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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
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Chapitre V


L’assassinat du prince d’Argonne



Le comte se taisait.
Dorothée murmura anxieusement, avec cette appréhension
que l’on éprouve à prononcer certaines paroles :
« Est-ce possible ?… On aurait tué… on aurait tué mon
père ?…
– Tout porte à le croire.
– Et comment ?
– Le poison. »
Le coup était porté. La jeune fille pleurait. Le comte se pencha
sur elle et lui dit :
« Lisez. Pour ma part, j’estime que votre père, entre deux
accès de fièvre et de délire, a griffonné ces dernières pages.
Quand il est mort, l’administration de l’ambulance, trouvant
une lettre et une enveloppe toute prête, m’a expédié le tout sans
en prendre connaissance. Regardez la fin… c’est une écriture de
malade… tracée au hasard du crayon, et par un effort de volonté
qui fléchissait à tout instant… »
Dorothée essuya ses larmes. Elle voulait savoir et juger par
elle-même, et elle lut à demi-voix :
– 80 –
« Quel rêve… Mais est-ce bien un rêve ? Ce que j’ai vu cette
nuit, l’ai-je vu dans un cauchemar ? Ou l’ai-je vu réellement ?
Les autres blessés… mes voisins… personne ne s’est réveillé…
Pourtant, l’homme… les hommes ont fait du bruit… Ils étaient
deux… Ils causaient tout bas… dans le jardin… au-dessous d’une
fenêtre… qui était sûrement entrouverte à cause de la chaleur…
Et puis, cette fenêtre a été poussée… Pour cela il a fallu qu’un
des deux… monte sur les épaules de l’autre. Que voulait-il ? Il a
essayé de passer le bras… Mais la fenêtre touchait à la table de
nuit… Et alors il a dû retirer sa veste… Malgré tout, la manche
de sa chemise est restée accrochée et c’est le bras seul… le bras
nu qui a passé… précédé par une main qui cherchait de mon
côté… du côté du tiroir… Alors j’ai compris… La médaille se
trouvait là… Ah ! comme j’aurais voulu crier ! Mais ma gorge
s’étranglait… Et puis autre chose me terrifiait. La main tenait un
flacon… Il y avait sur la table un verre d’eau pour moi, avec un
médicament à prendre… La main a versé quelques gouttes du
flacon dans le verre. Oh ! l’horreur !… Du poison, sans doute.
Mais je ne prendrai pas ma potion, non, non… Et j’écris cela, ce
matin, pour être sûr de me rappeler… J’écris que la main, ensuite,
a ouvert le tiroir… Et tandis qu’elle s’emparait de la médaille…
je voyais… je voyais sur le bras nu… au-dessus du
coude… des mots inscrits… »
Dorothée dut se pencher, tellement l’écriture devenait
tremblante, illisible, et c’est avec peine, syllabe par syllabe,
qu’elle put déchiffrer :
« Trois mots inscrits… un tatouage… comme les marins…
trois mots… Ah ! mon Dieu, ces trois mots… les mots de la médaille…
In robore fortuna… »
C’était tout. La page inachevée n’offrait plus que des signes
incohérents, que Dorothée n’essaya même pas d’interpréter.
– 81 –
Longtemps elle se tint courbée, ses yeux à demi clos, laissant
couler des pleurs. On sentait que les conditions dans lesquelles,
en toute vraisemblance, son père était mort, ravivaient
son chagrin.
Le comte cependant reprit :
« La fièvre sera revenue… le délire… et, machinalement, il
aura bu le poison. Ou du moins l’hypothèse est plausible… car
enfin, qu’est-ce que cette main d’homme aurait versé dans le
verre ? Mais j’avoue que nous n’avons pas obtenu de certitude à
ce propos. D’Estreicher et le père de Raoul, prévenus aussitôt
par moi, m’accompagnèrent à Chartres. Malheureusement
l’administration, le major et les deux infirmières avaient été
changés, de sorte que je me heurtai au document officiel qui
attribuait la mort à des complications infectieuses. D’ailleurs
devions-nous chercher plus loin ? Ce ne fut pas l’opinion de mes
deux cousins, ni la mienne. Un crime… comment le prouver ?
Par ces quelques lignes où un malade raconte le cauchemar qui
l’a hanté ? Impossible. N’est-ce pas votre avis, mademoiselle ? »
Dorothée ne répondit pas, ce qui démonta quelque peu
M. de Chagny. Il parut se défendre, non sans humeur :
« Mais nous ne le pouvions pas, mademoiselle ! À cause de
la guerre, nous nous heurtions à des difficultés sans nombre.
C’était impossible ! Nous devions nous en tenir au seul fait qui
demeurait acquis et ne pas nous aventurer au-delà de cette
chose réelle que je formulerai ainsi : en dehors de nous quatre,
de nous trois plutôt, puisque d’Argonne, hélas ! n’était plus, il y
avait une quatrième personne qui s’attaquait au problème que
nous tâchions de résoudre et qui, même, avait sur nous une
avance considérable. Un rival, un ennemi surgissait, capable des
pires actions pour atteindre son but. Quel ennemi ?
– 82 –
« Les événements ne permirent pas de nous occuper de
cette affaire, et pas davantage de vous retrouver comme nous
l’aurions voulu. Deux lettres que j’écrivis à Bar-le-Duc restèrent
sans réponse. Les mois s’écoulèrent. Georges Davernoie fut tué
à Verdun, d’Estreicher blessé en Artois, et moi-même envoyé en
mission à Salonique d’où je ne revins qu’après l’armistice. Dès
l’année suivante, les travaux commencèrent ici. L’inauguration
avait lieu hier, et c’est aujourd’hui que le hasard vous y amenait.
« Vous comprenez, mademoiselle, quelle fut notre stupéfaction
lorsque, coup sur coup, nous apprîmes par vous, d’abord
que des fouilles étaient pratiquées à notre insu, ensuite, que le
lieu de ces fouilles s’expliquait par le mot fortuna, qui précisément
complétait l’inscription que votre père avait lue deux fois,
sur la médaille d’or et sur le bras de l’homme qui lui avait volé
cette médaille. Notre confiance en votre extraordinaire lucidité
devenait telle que Mme de Chagny et Raoul Davernoie voulaient
vous mettre au courant de toute cette histoire, et je dois reconnaître
que Mme de Chagny faisait preuve d’intuition et de jugement,
puisque la confiance que nous éprouvions s’adressait à
cette Yolande d’Argonne que son père nous recommandait.
« Il est donc naturel, mademoiselle, que nous vous offrions
de collaborer à nos efforts. Vous prenez la place de Jean
d’Argonne, comme Raoul Davernoie a pris la place de Georges
Davernoie. Notre association continue. »
Une ombre se mêlait au *******ement que M. de Chagny
ressentait de son discours et de sa proposition magnanime : Dorothée
gardait un silence obstiné. Ses yeux regardaient dans le
vide. Elle ne bougeait pas. Estimait-elle que le comte ne s’était
pas donné beaucoup de peine pour retrouver la fille de son parent
d’Argonne et pour la soustraire à la vie qu’elle menait ?
Gardait-elle quelque rancune de l’humiliation qu’on lui avait fait
subir en l’accusant du vol des boucles d’oreilles ? Mme de Chagny
l’interrogea doucement :
– 83 –
« Qu’avez-vous, Dorothée ? Cette lettre vous a tout assombrie.
La mort de votre père, n’est-ce pas ?…
– Oui, fit Dorothée, au bout d’un instant et d’une voix
sourde… C’est une chose terrible…
– Vous croyez aussi qu’on l’a tué ?…
– Certes. Sans quoi on aurait retrouvé la médaille.
D’ailleurs ces quelques pages sont formelles.
– Et, d’après vous, on aurait dû saisir la justice ?
– Je ne sais pas… je ne sais pas… dit la jeune fille.
– Mais si vous pensez ainsi, on peut reprendre l’affaire.
Nous vous prêterons notre concours, soyez-en sûre.
– Non, dit-elle, j’agirai seule. Cela vaut mieux. Je découvrirai
le coupable, et il sera puni. Je le promets à mon père… Je lui
en fais le serment… »
Elle prononça ces mots avec une gravité réfléchie, et en
avançant un peu la main.
« Nous vous y aiderons, Dorothée, affirma la comtesse. Car
j’espère bien que vous ne partirez pas… Vous êtes ici chez
vous. »
Dorothée hocha la tête.
« Vous êtes trop bonne, madame.
– Ce n’est pas de la bonté. C’est de l’affection. Vous avez
tout de suite gagné mon coeur, et je vous demande votre amitié.
– 84 –
– Vous l’avez, madame, et tout entière. Mais…
– Comment ! vous refusez ! articula M. de Chagny, d’un ton
vexé. Nous offrons à la fille de Jean d’Argonne, notre cousin, de
vivre conformément à son nom et à sa naissance, et vous préférez
reprendre cette existence misérable !
– Elle n’est pas misérable, je vous assure, monsieur. Mes
quatre enfants et moi, nous en avons l’habitude, et leur santé
l’exige… »
La comtesse insista :
« Voyons. C’est inadmissible ! Il y a quelque raison secrète.
– Aucune, madame, je vous assure.
– Alors vous allez rester, tout au moins quelques jours, et
dès ce soir vous dînez et couchez au château.
– Je vous en prie, madame. Je suis un peu lasse… j’ai besoin
d’être seule. »
De fait, elle semblait soudain harassée de fatigue. On n’eût
jamais dit qu’un sourire pût animer cette figure morne et
contractée.
Mme de Chagny ne s’obstina pas.
« Eh bien, remettons à demain toute décision. Envoyeznous
vos quatre enfants à dîner ce soir. Cela nous fera plaisir de
les voir et de les gâter un peu… D’ici demain, vous réfléchirez et
si vous persistez, je vous laisserai libre. Nous sommes d’accord,
n’est-ce pas ? »
– 85 –
Dorothée s’était levée. Elle se dirigea vers la porte, accompagnée
par M. et Mme de Chagny. Mais, au moment de sortir,
elle eut une hésitation. Malgré son chagrin, la mystérieuse aventure,
qui lui était révélée depuis quelques heures, continuait à la
préoccuper pour ainsi dire à son insu, et elle déclara, jetant une
première clarté dans les ténèbres :
« Je crois vraiment que toutes les légendes que nos familles
se sont transmises correspondent à une réalité. Il doit y avoir
quelque part des richesses enterrées ou cachées, et ces richesses
seront, un jour ou l’autre, la propriété de celui ou de ceux qui
seront possesseurs du talisman que représente cette médaille
d’or dont mon père a été dépouillé. Et c’est pourquoi je voudrais
savoir si, en dehors de mon père, quelqu’un de vous a jamais
entendu mêler à ces légendes une médaille d’or ? »
Ce fut Raoul Davernoie qui répondit :
« Je puis vous donner à ce sujet un renseignement, mademoiselle.
Il y a une quinzaine de jours, j’ai vu entre les mains de
mon grand-père, avec qui j’habite le Manoir-aux-Buttes, en
Vendée, une large pièce d’or qu’il examinait, et qu’il a replacée
aussitôt dans son écrin avec l’intention évidente de la dissimuler
à mes yeux.
– Il ne vous a donné aucune explication ?
– Aucune. Cependant, la veille de mon départ, il m’a dit :
« Lorsque tu seras de retour, j’aurai une révélation très grave à
te faire. Je n’ai déjà que trop tardé. »
– Vous croyez que c’était là une allusion à ce qui nous occupe
?
– Je le crois. Aussi, dès mon arrivée à Roborey, j’ai averti
mes cousins de Chagny et d’Estreicher, qui m’ont promis de ve–
86 –
nir me voir à la fin de juillet, et à qui je ferai part alors de mes
découvertes.
– C’est tout ?
– C’est tout, mademoiselle, et il me semble que tout cela
confirme bien votre hypothèse ; il y a là un talisman dont il
existe sans aucun doute plusieurs exemplaires.
– Oui… oui… sans aucun doute, murmura la jeune fille, et
la mort de mon père s’explique par ce fait qu’il était possesseur
de ce talisman.
– Mais, objecta Raoul Davernoie, ne suffisait-il pas qu’on le
lui dérobât ? Pourquoi ce crime inutile ?
– Parce que la pièce d’or, rappelez-vous, donne certaines
indications. En supprimant mon père, on restreignait le nombre
de ceux qui, dans un avenir peut-être assez proche, seront appelés
au partage des richesses. Qui sait même si d’autres crimes
n’ont pas été commis ou ne seront pas commis ?
– D’autres crimes ? En ce cas, mon grand-père court des
dangers ?
– Oui, monsieur », fit-elle nettement.
Le comte s’inquiéta, et, affectant de rire :
« Alors, nous aussi, mademoiselle, puisque Roborey offre
des traces de fouilles récentes ?
– Vous aussi, monsieur le comte.
– Nous devons donc nous mettre en garde ?
– 87 –
– Je vous le conseille. »
M. de Chagny pâlit et, d’une voix mal assurée :
« Comment ? Par quel moyen ?
– Je vous le dirai demain, déclara Dorothée. Vous saurez
demain ce que vous devez craindre et ce que vous devez faire
pour vous défendre.
– Vous le promettez ?
– Je le promets. »
D’Estreicher, qui avait suivi attentivement toutes les phases
de l’entretien, sans y prendre part, s’avança :
« Nous tenons d’autant plus à ce rendez-vous, mademoiselle,
qu’il nous reste à résoudre ensemble un petit problème
accessoire, relatif à cette boîte de carton. Vous ne l’avez pas oublié
?
– Je n’oublie rien, monsieur, dit-elle. Demain, à cette
heure-là, cette petite chose, et d’autres choses, le vol des boucles
d’oreilles entre autres, seront élucidées. »
Elle sortit.
Le jour commençait à baisser. La grille avait été rouverte
et, leurs installations une fois défaites, les forains s’en étaient
allés. Dorothée retrouva Saint-Quentin qui l’attendait impatiemment,
et les trois enfants qui allumaient du feu. Lorsque la
cloche du dîner sonna, elle les envoya au château et demeura
seule à manger la soupe épaisse et les fruits qui composaient
son repas. Le soir, en les attendant, elle s’éloigna dans la nuit,
– 88 –
vers le parapet qui dominait le ravin, et sur lequel elle s’appuya
de ses deux coudes.
La lune n’était pas visible, mais le voile des petits nuages
qui flottaient au ciel s’imprégnait de clarté. Elle écouta longtemps
le grand silence et, la tête nue, elle offrait à la fraîcheur
du soir son front brûlant et ses cheveux qui palpitaient.
« Dorothée… »
Son nom avait été dit très bas, par quelqu’un qui s’était approché
d’elle sans qu’elle l’entendît. Mais le son de cette voix, si
assourdi qu’il fût, la fit tressaillir. Avant même de reconnaître la
silhouette de d’Estreicher, elle devina sa présence.
Le parapet eût été moins haut et le ravin moins profond
qu’elle eût tenté de s’enfuir, tellement cet homme lui faisait
peur. Cependant, elle se raidit pour demeurer calme et pour le
dominer.
« Que me voulez-vous, monsieur ? dit-elle sèchement.
M. et Mme de Chagny ont eu la délicatesse de se prêter à mon
désir de repos. Je m’étonne de vous voir ici. »
Il ne répondit pas, mais elle discerna son ombre plus proche,
et répéta :
« Que me voulez-vous ?
– Vous dire quelques mots seulement, murmura-t-il.
– Il sera temps demain, au château.
– Non, ce que j’ai à vous dire ne peut être entendu que par
vous, et vous pouvez l’entendre, mademoiselle, sans en être offensée,
je vous le jure. Malgré l’hostilité incompréhensible que
– 89 –
vous m’avez témoignée depuis la première heure, j’éprouve,
moi, à votre égard, de l’amitié, de l’admiration, et un grand respect.
Ne craignez donc ni mes paroles ni mes actes. Ce n’est pas
à la jeune fille jolie et séduisante que vous êtes, que je
m’adresse, mais à la femme qui, tout ce jour, nous a déconcertés
par son intelligence. Écoutez-moi…
– Non, fit-elle, je ne veux pas. Vos paroles ne peuvent être
qu’injurieuses. »
Il reprit plus fortement – et l’on sentait que sa nature
s’accommodait mal de la douceur et du respect, – il reprit :
« Écoutez-moi ! Je vous ordonne de m’écouter… et de me
répondre tout de suite. Je ne suis pas pour les grandes phrases
et j’irai droit au but, un peu rudement, s’il le faut, au risque de
vous choquer. Donc, voici. Le hasard vous jette d’emblée dans
une affaire que j’ai tous les titres à considérer comme une affaire
qui m’appartient. Autour de nous, il y a des comparses
dont je suis très résolu à ne tenir aucun compte quand le moment
sera venu. Tous ces gens sont des imbéciles qui
n’arriveront à rien. Chagny est un vaniteux ridicule… Davernoie
un campagnard… Autant de poids morts que nous allons traîner,
vous et moi. Alors, pourquoi travailler pour eux ?… Travaillons
pour nous, voulez-vous, pour nous deux ? Vous et moi associés,
amis, quelle besogne on ferait ! Mon énergie, mes forces
au service de votre intelligence et de votre lucidité ! Et puis… et
puis… tout ce que je sais ! Car le problème, je le connais, moi !
Ce que vous mettrez des semaines à trouver, ce que vous ne
trouverez sans doute jamais, j’en suis le maître, moi. J’ai tous
les éléments de la vérité entre les mains, sauf quelques-uns que
je finirai bien par réunir. Aidez-moi, cherchons ensemble, et ce
sera la fortune, la découverte des richesses fabuleuses, le pouvoir
sans bornes… Voulez-vous… voulez-vous ?… »
– 90 –
Il s’était incliné un peu trop vers la jeune fille, et ses doigts
frôlèrent le châle qu’elle portait. Dorothée, qui l’avait écouté en
silence pour connaître la pensée secrète de l’adversaire, tressauta
d’indignation à ce contact.
« Allez-vous-en… Laissez-moi… Je vous défends de me
toucher… Vous, un ami ?… vous ! vous ! »
La répulsion qu’il inspirait à Dorothée le mit hors de lui, et,
frémissant de colère, il scanda :
« Ainsi… ainsi… vous refusez ? Vous refusez malgré ce que
j’ai surpris, malgré ce que je pourrais faire… et que je vais faire.
Car enfin, les boucles d’oreilles volées, ce n’est pas seulement
Saint-Quentin. Vous étiez là, dans le ravin, à surveiller son expédition.
Et, tantôt, vous l’avez protégé comme un complice. Et
la preuve existe, terrible, irréfutable. La boîte est entre les mains
de la comtesse. Et vous osez, vous, une voleuse !… »
Il tendait les bras vers elle. Dorothée se baissa, glissa le
long du parapet. Mais il put lui saisir les poignets et il l’attirait
contre lui, quand il lâcha prise subitement, frappé par un jet de
lumière qui l’aveuglait.
Juché sur le parapet, Montfaucon lui envoyait en pleine figure
la clarté d’une lampe électrique.
D’Estreicher s’écarta : la clarté le poursuivit, comme une
projection habilement braquée.
« Sale gosse ! mâchonna-t-il… Je te repincerai… Et toi aussi,
la petite… Si demain, à deux heures, au château, tu ne mets
pas les pouces, la boîte sera ouverte en présence des gendarmes.
À toi de choisir, gredine. »
– 91 –
Il disparut dans le taillis.
Vers trois heures du matin, le guichet qui, de l’intérieur de
la roulotte, donnait sur le siège, fut ouvert, comme il l’avait été
le matin précédent. Une main passa et secoua Saint-Quentin qui
dormait dans ses couvertures.
« Lève-toi. Habille-toi. Pas de bruit. »
Il protesta :
« Dorothée, ce que tu veux faire est absurde.
– Flûte. »
Saint-Quentin obéit.
Dehors, il retrouva Dorothée toute prête. À la lumière de la
lune, il vit qu’elle portait en bandoulière une sacoche de toile et
un rouleau de corde.
Elle le conduisit jusqu’à l’endroit du parapet qui touchait
aux grilles d’entrée. Ils attachèrent la corde à l’un des barreaux
et se laissèrent glisser. Puis Saint-Quentin remonta sur
l’esplanade et détacha la corde.
Par la rampe, ils descendirent dans le ravin et longèrent la
falaise jusqu’à la crevasse que Saint-Quentin avait escaladée la
veille.
« Montons, fit Dorothée. Tu dérouleras la corde au fur et à
mesure, et tu m’aideras à monter. »
L’ascension ne fut pas très difficile. La fenêtre de l’office
était ouverte. Ils entrèrent et Dorothée alluma sa lampe de poche.
– 92 –
« Prends cette petite échelle-là, dans le coin », dit-elle.
Mais Saint-Quentin, de nouveau, raisonna :
« C’est absurde. C’est fou. Nous nous jetons dans la gueule
du loup.
– Va toujours.
– Mais enfin, Dorothée… »
Il reçut un coup de poing dans l’estomac.
« Assez. Réponds-moi. Tu es sûr que la chambre de
d’Estreicher est la dernière du couloir à gauche ?
– Sûr. D’après tes instructions, j’ai interrogé les domestiques,
sans en avoir l’air, hier soir, après le dîner.
– Et tu as bien versé dans sa tasse de café la poudre que je
t’ai donnée ?
– Oui.
– Donc d’Estreicher dort à poings fermés, et nous pouvons
y aller carrément. Plus un mot. »
En route, ils s’arrêtèrent devant une petite porte. C’était le
cabinet de débarras attenant au boudoir de la comtesse.
Saint-Quentin dressa l’échelle et passa par le vasistas.
Trois minutes plus tard, il revenait.
« Tu as trouvé la boîte en carton ? lui demanda Dorothée.
– 93 –
– Oui, sur la table. J’y ai pris les boucles d’oreilles et j’ai
remis la boîte où elle était, avec son caoutchouc. »
Ils continuèrent.
Chaque chambre avait son cabinet de toilette et son débarras
qui servait de garde-robe. Ils s’arrêtèrent devant le dernier
vasistas. Saint-Quentin l’enjamba, puis ouvrit à Dorothée le cabinet
de toilette.
Entre ce cabinet de toilette et la chambre, une porte. Dorothée
l’entrebâilla et lança prudemment un jet de lumière.
« Il dort », dit-elle.
De la sacoche, elle tira un large mouchoir, déboucha un petit
flacon de chloroforme et versa quelques gouttes sur le mouchoir.
En travers du lit, tout habillé, comme un homme assailli
par le sommeil, d’Estreicher dormait si profondément que la
jeune fille alluma l’électricité. Puis, d’un geste doux, elle lui posa
le linge chloroformé sur la figure.
L’homme soupira, se débattit un peu, puis ne bougea plus.
Avec précaution, Saint-Quentin et Dorothée passèrent chacun
de ses bras dans le noeud coulant d’une corde dont ils fixèrent
les deux extrémités aux montants du fer de lit. Puis, vivement,
sans plus se gêner, ils rabattirent les draps et les couvertures
autour des jambes et du buste et nouèrent le tout avec le
tapis de la table et les embrasses des rideaux.
– 94 –
Cette fois, d’Estreicher s’était réveillé. Il voulut se défendre.
Trop tard. Il appela : Dorothée lui entoura d’une serviette le bas
de la figure.
Le lendemain matin, M. et Mme de Chagny prenaient leur
café avec Raoul Davernoie dans la grande salle du château,
quand le concierge vint les avertir que, au lever du jour, la directrice
du cirque Dorothée avait demandé qu’on lui ouvrît la grille,
et la roulotte s’en était allée. La directrice laissait une lettre
adressée au comte de Chagny. Ils montèrent tous trois dans le
boudoir de la comtesse. La lettre était ainsi conçue :
« Mon cousin (offusqué, le comte eut un haut-le-corps et
reprit) :
« Mon cousin, j’ai fait un serment, et je le tiens. L’homme
qui pratiquait les fouilles du château et, la nuit dernière, volait
les boucles d’oreilles, est le même qui, il y a cinq ans, a dérobé la
médaille et empoisonné mon père.
« Je vous le livre. Que la justice suive son cours…
« Dorothée, princesse d’Argonne. »
M. et Mme de Chagny et leur cousin se regardèrent avec
stupeur. Qu’est-que cela voulait dire ? Qui était le coupable ?
Comment et où l’avait-elle livré ?
« Dommage que d’Estreicher ne soit pas encore descendu
de sa chambre, observa M. de Chagny. Il est de bon conseil. »
La comtesse prit sur la cheminée la boîte en carton que
d’Estreicher lui avait confiée et l’ouvrit résolument. La boîte
contenait exactement ce qu’avait dit Dorothée : des cailloux
– 95 –
blancs et des coquillages. Alors, pourquoi d’Estreicher semblaitil
accorder tant d’importance à sa découverte ?
Quelqu’un frappa discrètement à la porte du boudoir.
C’était le maître d’hôtel, l’homme de confiance de M. de Chagny.
« Qu’y a-t-il, Dominique ?
– Monsieur le comte, on a pénétré dans le château, cette
nuit…
– Impossible ! affirma M. de Chagny d’un ton péremptoire.
Les portes sont toujours fermées. Par où serait-on passé ?
– Je ne sais pas. Mais j’ai trouvé une échelle debout dans le
couloir, devant l’appartement de M. d’Estreicher, et le vasistas
de la garde-robe a été fracturé. Les malfaiteurs ont pénétré dans
le cabinet de toilette, et sont repartis par la porte du couloir une
fois leur besogne accomplie.
– Quelle besogne ?
– Je ne sais pas, monsieur le comte. Je ne me suis pas
permis de pousser plus loin mon enquête. J’ai tout remis en
place. »
M. de Chagny tira de sa poche un billet de cent francs.
« Pas un mot de tout cela, Dominique. Surveillez le corridor,
pour que personne ne nous dérange. »
Raoul et sa femme le suivirent. La porte entre le cabinet de
toilette et la chambre de d’Estreicher était également ouverte.
Une odeur de chloroforme emplissait la pièce.
Le comte poussa un cri.
– 96 –
Sur son lit, d’Estreicher était étendu, bâillonné et solidement
attaché. Ses yeux roulaient, furieux. Il gémissait.
À côté de lui, il y avait le cache-nez que Dorothée avait décrit
comme appartenant à l’homme qui pratiquait les fouilles.
Sur la table, bien en évidence, les boucles d’oreilles.
Mais quelque chose d’effrayant, de bouleversant, leur apparut
à tous trois en même temps, quelque chose qui était la
preuve irréfutable du crime commis contre Jean d’Argonne et
du vol de la médaille. Le bras droit, nu, pendait le long du lit,
attaché par le poignet. Et, sur ce bras, on lisait ces trois mots
tatoués : IN ROBORE FORTUNA.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 12-03-10, 07:18 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 7
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Chapitre VI

Sur les routes

 
 

 

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Chaque jour, au pas nonchalant ou au trot paresseux de
Pie-Borgne, le cirque Dorothée se déplaça, jouant l’après-midi,
et flânant dans ces vieilles villes de France dont la jeune fille
goûtait profondément le charme pittoresque : Domfront, Mortain,
Avranches, Fougères, Vitré, cités féodales, ceinturées par
endroits de leurs fortifications ou hérissées de leurs antiques
donjons… Dorothée les visitait avec toute l’émotion d’un être
qui comprend et qui s’enthousiasme à l’évocation du passé.
Elle les visita seule, de même qu’elle marchait seule sur les
grandes routes, avec un désir si manifeste de se tenir à l’écart
que les autres, tout en l’épiant d’un air anxieux et en mendiant
un regard de leur maman, ne lui adressaient même pas la parole.
Cela dura une semaine, une bien sombre semaine pour les
enfants. Le pâle Saint-Quentin conduisait Pie-Borgne comme il
eût conduit le cheval d’un corbillard. Castor et Pollux ne se battaient
plus. Quant au capitaine, il se plongeait dans la lecture de
ses livres de classe et s’épuisait sur des additions et des soustractions,
sachant que Dorothée, maîtresse d’école de la bande,
était d’habitude fort sensible à ces crises d’application. Vains
efforts. Dorothée pensait à autre chose.
Dès le matin, au premier village traversé, elle achetait un
journal, le parcourait des yeux, et le froissait d’un geste irrité,
comme si elle n’y eût point trouvé ce qu’elle attendait. Saint–
98 –
Quentin le ramassait aussitôt et le feuilletait à son tour. Rien.
Rien sur le crime qu’elle lui avait raconté en quelques mots.
Rien sur l’arrestation de cet abominable d’Estreicher que tous
les deux ensemble avaient ficelé sur son lit.
Enfin, le huitième jour, ainsi que le soleil se lève après
d’interminables pluies, le sourire apparut. Il n’y avait à cela aucune
raison extérieure. C’était la vie qui reprenait. L’esprit de la
jeune fille se dégageait du drame lointain où son père avait
trouvé la mort. Elle redevenait la Dorothée légère, exubérante et
caressante. Castor, Pollux et Montfaucon furent embrassés à
pleine joues. Saint-Quentin reçut force bourrades et poignées de
main. À la représentation qui eut lieu sous les remparts de Vitré,
elle se montra étourdissante de gaîté et de verve. Et, lorsque le
public fut parti, elle bouscula ses quatre camarades et les entraîna
dans une de ces rondes folles qui étaient pour eux la meilleure
des récompenses.
Saint-Quentin pleurait de joie.
« Je croyais que tu ne nous aimais plus, disait-il.
– Pourquoi ne plus vous aimez, mes quatre gosses ?
– Parce que tu es princesse.
– L’étais-je pas avant, imbécile ? »
Et, l’emmenant vers les rues étroites du vieux Vitré, dans le
pêle-mêle des maisons de bois bardées d’ardoises grossières, à
bâtons rompus et pour la première fois, elle lui parla de ses jeunes
années.
Elle avait toujours été heureuse, n’ayant jamais connu
l’entrave, la gêne, la discipline, ce qui contrarie le libre instinct
et déforme la nature. Désireuse de s’instruire, elle n’avait em–
99 –
prunté aux autres que ce qu’il lui plaisait de savoir, tirant du
bon curé d’Argonne ce qu’il connaissait de latin, et lui laissant
son catéchisme, apprenant beaucoup de choses avec le maître
d’école, beaucoup d’autres dans les livres qu’on lui prêtait, et
bien plus encore près du couple de vieux fermiers auxquels
l’abandonnaient ses parents.
« C’est à ceux-là que je dois le plus, dit-elle. Sans eux, je ne
saurais pas ce que c’est qu’un oiseau, une plante, un arbre, la
signification des choses réelles. »
Saint-Quentin plaisanta.
« Ce n’est pas eux pourtant qui t’ont appris à danser sur la
corde raide.
– La danse est en moi. Je tiens cela de ma mère, qui n’était
pas du tout une grande dame de théâtre, mais simplement une
brave petite danseuse, une « dancing girl ! » de music-hall et de
cirque anglais. »
Bien qu’élevée à l’aventure, privée de guide et de conseils,
n’ayant sous les yeux, comme exemple, que la vie frivole de ses
parents, elle avait acquis de fortes notions morales, gardait toujours
une grande dignité et demeurait sensible aux inquiétudes
de la conscience. Ce qui est mal est mal. Pas de transaction làdessus.
« On n’est heureux, disait-elle, que si on est d’accord avec
les braves gens. Moi, je suis une brave fille. »
Longtemps ainsi, elle s’expliqua sur elle-même. Saint-
Quentin l’écoutait, bouche béante.
« Mon dieu ! Où as-tu appris tout cela ? Tu m’étonnes toujours,
Dorothée. Et puis comment peux-tu deviner ce que tu
– 100 –
devines ? L’autre jour, à Roborey, je n’y ai rien compris, rien de
rien !
– Ah ! ça, c’est autre chose, dit-elle. C’est un besoin de
combiner, d’organiser, de commander, un besoin
d’entreprendre et de réussir. Quand j’étais enfant, je groupais
tous les gosses du village et je formais des bandes. On se liguait
contre un malfaiteur, on cherchait le mouton ou le canard dérobés
à une pauvre femme, ou bien on s’ingéniait à faire des enquêtes.
Ah ! les enquêtes, c’était mon fort. Avant que les gendarmes
soient prévenus, je débrouillais une affaire, de telle
sorte que les paysans des environs venaient consulter la gamine
de treize à quatorze ans que j’étais. « Une vraie petite sorcière »,
disaient-ils. Mon Dieu, non ! tu le sais comme moi, Saint-
Quentin, si je joue quelque fois à la voyante et à la cartomancienne,
tout ce que je raconte aux gens, je le tire des faits que
j’observe et que j’interprète… Et je le tire aussi, je dois le dire,
d’une espèce d’intuition qui me montre les choses sous un aspect
qui n’apparaît pas tout de suite aux autres. Oui, je vois bien
souvent, avant de comprendre. Alors des histoires très compliquées
me semblent à moi, du premier coup, très simples et je
m’étonne toujours qu’on ne relève pas tel détail qui, cependant,
porte en lui toute la vérité. »
Saint-Quentin, subjugué, réfléchissait. Il hocha la tête :
« C’est cela, c’est cela. Rien ne t’échappe, tu penses à tout.
Et voilà comment les boucles d’oreilles, au lieu d’avoir été volées
par Saint-Quentin, l’ont été par d’Estreicher. Et c’est
d’Estreicher, et non pas Saint-Quentin, qui ira en prison, parce
que tu l’as voulu ainsi. »
Elle se mit à rire.
– 101 –
« Je l’ai peut-être voulu ainsi. Mais la justice n’a pas l’air de
se soumettre à mes volontés. Les journaux ne parlent de rien. Il
n’est pas question du drame de Roborey.
– Alors, qu’est devenu ce misérable ?
– Je ne le sais pas.
– Et tu ne pourras pas le savoir ?
– Si, affirma-t-elle.
– Comment ?
– Par Raoul Davernoie.
– Tu vas donc le voir ?
– Je lui ai écrit.
– Où ?
– À Roborey.
– Il t’a répondu ?
– Oui. Un télégramme que j’ai été chercher à la poste avant
la représentation.
– Et il nous rejoint ?
– Oui. En quittant Roborey et en retournant chez lui, il doit
nous rejoindre à Vitré, vers trois heures. Il est trois heures. »
Ils étaient montés sur un point de la ville d’où l’on découvrait
une route qui serpentait parmi des prairies et des bois.
– 102 –
« Tiens, dit-elle. Son auto ne doit pas tarder à paraître…
c’est la route…
– Tu crois vraiment ?…
– Je crois vraiment que ce brave jeune homme ne manquera
pas l’occasion de me revoir », fit-elle en souriant.
Saint-Quentin, toujours un peu jaloux et qui s’inquiétait facilement,
soupira :
« Tous ceux avec qui tu parles sont ainsi… aimables… empressés.
»
Ils attendirent quelques minutes. Une auto surgit, entre
deux haies. Ils allèrent au-devant, ce qui les rapprocha de la
roulotte autour de laquelle jouaient les trois gamins.
Un instant passa. L’auto escalada la pente et déboucha d’un
tournant, conduite par Raoul Davernoie. S’élançant à sa rencontre,
et, d’un geste, l’empêchant de descendre, Dorothée lui
cria :
« Eh bien, qu’y a-t-il ? Arrêté ?
– Qui ? d’Estreicher ? fit Raoul, un peu interloqué par cet
accueil.
– Évidemment, d’Estreicher… On l’a livré, n’est-ce pas ? Il
est sous les verrous ?
– Non.
– Alors ? fit Dorothée.
– 103 –
– Il s’est échappé. »
La réponse lui donna un coup.
« D’Estreicher, libre !… libre d’agir !… Ah ! c’est effroyable.
»
Et, entre ses dents :
« Mon Dieu… mon Dieu ! pourquoi ne suis-je pas restée ?
j’aurais empêché cette évasion… »
Mais les plaintes ne servaient à rien, et Dorothée n’était pas
femme à se lamenter longtemps. Sans tarder, elle interrogea le
jeune homme :
« Pourquoi êtes-vous resté au château ?
– Précisément… à cause de d’Estreicher.
– Soit. Mais une heure après son évasion, il fallait partir et
retourner chez vous.
– Quelle raison ?
– Votre grand-père… je vous ai prévenu à Roborey. »
Raoul Davernoie protesta :
« D’abord, je lui ai écrit de se mettre sur ses gardes, pour
des raisons que je lui expliquerai. Et puis, vraiment, le danger
qu’il court est un peu problématique.
– Comment ! Il est possesseur de cet indispensable talisman
qu’est la médaille d’or. D’Estreicher le sait. Et vous ne
croyez pas au danger ?
– 104 –
– Mais, ce talisman, d’Estreicher en est aussi possesseur
puisque, le jour où il a tué votre père, il lui a dérobé la médaille
d’or. »
La jeune fille s’était plantée devant la portière, et tenait la
poignée pour empêcher Raoul d’ouvrir. Et, d’un ton pressant,
elle lui dit :
« Partez, je vous en prie. Certes, je ne comprends pas toute
l’aventure. D’Estreicher, possesseur de la médaille, essaye-t-il
d’en voler une seconde ? Celle qu’il a prise à mon père lui a-telle
été reprise par un complice ? Je n’en sais encore rien. Mais
j’ai la certitude que désormais, le véritable terrain de la lutte est
là-bas, chez vous. À tel point que je m’y rendais également. Oui,
tenez, voici la carte routière. Le Manoir-aux-Buttes, près de
Clisson… encore cent cinquante kilomètres. Huit étapes pour la
roulotte. Allez-y, vous arriverez ce soir. J’y serai, moi, dans huit
jours. »
Il se laissait faire, dominé par elle.
« Peut-être avez-vous raison. J’aurais dû penser à tout cela.
D’autant plus que mon grand-père est seul, ce soir.
– Seul ?
– Oui. Tous les domestiques sont en fête. L’un d’eux se marie
au village voisin. »
Elle sursauta.
« D’Estreicher est au courant ?
– Je le crois. Il me semble bien avoir parlé de cette fête devant
lui durant mon séjour à Roborey.
– 105 –
– Et quand a-t-il pris la fuite ?
– Avant-hier.
– Ainsi, depuis avant-hier ? »
Elle n’acheva pas. Se précipitant vers la roulotte, elle ressortit
presque aussitôt avec une petite valise et un vêtement.
« Je pars, dit-elle. Je vous accompagne. Il n’y a pas un instant
à perdre. »
Elle remit elle-même le moteur en marche, tout en donnant
des ordres :
« Saint-Quentin, je te confie la roulotte et les trois gosses.
Dirige-toi d’après la ligne rouge que j’ai marquée sur la carte.
Double les étapes, pas de représentations. En cinq jours tu peux
être là-bas. »
Elle prit place à côté de Davernoie. L’auto démarrait déjà
quand elle cueillit le capitaine qui lui tendait les bras. Elle le jeta
dans l’encombrement des paquets et des sacs à l’arrière de la
voiture.
« Là… ne bouge pas… Au revoir, Saint-Quentin. Castor et
Pollux, défense de se battre. »
Un dernier adieu de la main.
Toute la scène n’avait pas duré trois minutes.
L’auto de Raoul Davernoie était un peu ce qu’on appelle
communément un « tacot ». Aussi l’allure ne fut-elle pas bien
– 106 –
rapide, et Raoul, très heureux d’emmener cette délicieuse créature,
qui était sa cousine, et avec qui les événements le mettaient
d’un coup en rapports si étroits, Raoul put-il lui raconter
par le menu ce qui s’était passé, la façon dont on avait retrouvé
d’Estreicher, et les incidents de sa captivité.
« Ce qui l’a sauvé, dit-il, ce fut une blessure assez profonde
qu’il se fit, le premier jour, à la tête, contre le fer du lit, en se
débattant dans ses cordes. Il perdit beaucoup de sang. La fièvre
se déclara, et mon cousin de Chagny dont vous avez dû voir la
nature timorée, nous dit aussitôt :
« – Cela nous donne le temps.
« – Le temps de quoi ? lui demandai-je.
« – De réfléchir. Vous comprenez bien que tout cela va causer
un scandale inouï, et que, pour l’honneur de nos familles, on
pourrait peut-être l’éviter. »
« Je m’opposai à tout délai. Je voulais qu’on téléphonât
aussitôt à la gendarmerie. Mais Chagny était chez lui, n’est-ce
pas ? et les jours s’écoulèrent dans l’attente d’une décision qu’il
ne se résignait pas à prendre. D’ailleurs, le prisonnier semblait
si faible ! Comment se méfier d’un malade ? »
Dorothée demanda :
« Mais quelles explications donnait-il de sa conduite ?
– Aucune, pour ce motif qu’on ne l’interrogea pas.
– Il ne parla pas de moi ? Il n’essaya pas de m’accuser ?
– Non. Il jouait son rôle d’homme épuisé par la fièvre et
par la douleur. Pendant ce temps, Chagny écrivait à Paris pour
– 107 –
avoir des renseignements sur lui, car, somme toute, ses relations
avec son cousin ne remontaient pas au-delà de 1915. Il y a
trois jours, on reçut un télégramme :
« Personnage extrêmement dangereux, recherché par la
police. Lettre suit.
« Du coup, Chagny se décida et, avant-hier matin, téléphona
à la gendarmerie. Quand le brigadier arriva, il était trop tard.
D’Estreicher avait pris la fuite par la fenêtre d’un office qui
donne sur le ravin.
– Alors, les renseignements ?
– Très graves. Antoine d’Estreicher, jadis officier de marine,
a été rayé des cadres pour vol qualifié. Plus tard, poursuivi
comme complice dans une affaire de meurtre, il fut relâché
faute de preuves. Au début de la guerre, il déserta. On a la
preuve aujourd’hui – et une instruction est ouverte depuis
quinze jours – que, durant la guerre, il a emprunté la personnalité
d’un de ses parents, mort depuis plusieurs années, et c’est
sous son nouveau nom de Maxime d’Estreicher qu’il est actuellement
recherché par la police. »
Dorothée haussa les épaules.
« Quel dommage ! Un pareil bandit ! On l’avait sous la
main, et on le laisse échapper !
– Nous le retrouverons.
– Oui, mais pourvu qu’il ne soit pas trop tard ! »
Raoul pressa l’allure. Ils filaient assez vite, traversant les
villages sans ralentir et sautant sur les pavés des villes. La nuit
– 108 –
s’annonçait quand ils arrivèrent à Nantes où ils devaient
s’arrêter pour acheter de l’essence.
« Encore une heure », dit Raoul.
En route, elle se fit expliquer la topographie exacte du Manoir-
aux-Buttes, la direction du chemin qui conduisait, par le
verger, jusqu’au logis, l’emplacement du vestibule et de
l’escalier. Et, de même, il dut donner des détails sur les habitudes
de son grand-père, sur l’âge du vieillard (il avait soixantequinze
ans), sur son chien, Goliath (un molosse, terrible à voir,
aux aboiements furieux, mais inoffensif et incapable de défendre
son maître).
Au gros bourg de Clisson, on entrait dans la Vendée. Raoul
eût voulu faire un détour et passer par le village où se trouvaient
les domestiques. On eût ramené tes deux valets de ferme. Dorothée
s’y opposa.
« Mais enfin, s’écria-t-il, que craignez-vous ?
– Tout, répondit-elle. Tout, de cet homme-là. Nous n’avons
pas le droit de perdre une minute. »
On quitta la grande route, et on s’engagea dans un chemin
de campagne qui était plutôt une piste aux ornières profondes.
« C’est là-bas, dit-il… Il y a de la lumière à la fenêtre de la
chambre. »
Presque aussitôt, il s’arrêta et sauta de la voiture. Un portail
à tourelles, vestige d’une époque reculée, s’érigeait entre les
hauts murs qui ceignaient le domaine. La porte était fermée.
Tandis que Raoul s’occupait de l’ouvrir, ils perçurent, dominant
le bruit assourdi du moteur, les aboiements du chien. D’après la
nature de ce bruit, Raoul déclara que Goliath n’était pas à
– 109 –
l’intérieur du Manoir, mais dehors, au pied du perron, et qu’il
aboyait devant la maison close.
« Eh bien ! lui cria Dorothée, vous n’ouvrez pas ? »
Il revint en hâte.
« C’est très inquiétant. On a mis le verrou, et on a tourné la
clef dans ta serrure.
– Ce n’est pas l’habitude ?
– Jamais. C’est quelqu’un d’étranger qui a fait cela… et puis
vous entendez les aboiements ?
– Alors ?
– Il y a une autre porte à deux cents mètres.
– Et si elle est fermée ? Non, il faut agir tout de suite. »
Elle se mit au volant et dirigea l’auto de manière à la placer
le long du mur, un peu plus loin à droite du portail. Là, elle
monta debout sur le siège, après avoir rangé les uns au-dessus
des autres les quatre coussins de cuir.
« Montfaucon ! » appela-t-elle.
Le capitaine avait compris. Quelques mouvements lui suffirent
pour s’installer d’abord à genoux, puis debout sur les épaules
de Dorothée. Ses mains atteignaient ainsi le faîte du mur.
Il s’y cramponna et se hissa, aidé par Dorothée. Quand il
fut à califourchon, Raoul lui jeta une corde qu’il attacha autour
de sa taille, et dont la jeune fille garda l’une des extrémités. En
quelques secondes, l’enfant toucha terre et Raoul n’avait pas
– 110 –
encore regagné le portail que la clef grinçait et que les verrous
étaient tirés.
Raoul s’élança dans le verger.
Dorothée, qui le suivait, dit à Montfaucon :
« Tu feras le tour de la maison et si tu vois une échelle appuyée
contre le mur, jette-la bas. »
Ils trouvèrent en effet, devant le perron, Goliath, qui grattait
de ses pattes la porte close. On te fit taire et, dans le silence,
ils entendirent, au-dessus d’eux, un bruit de lutte et de plaintes.
Rapidement, pour effrayer l’agresseur, le jeune homme tira
un coup de revolver. Puis, avec sa clef, il ouvrit, et ils montèrent
l’escalier en toute hâte.
Dans une des chambres de devant, qui était éclairée par
deux lampes, le grand-père de Raoul, étendu la face au parquet,
se convulsait en poussant de petits cris rauques.
Raoul se précipita à genoux, tandis que Dorothée, prenant
une des lampes, courait dans une chambre située de l’autre côté
du couloir, et dont elle avait aperçu la porte ouverte.
Cette chambre était vide. À la fenêtre, on voyait dépasser
les bras d’une échelle.
Dorothée se pencha :
« Montfaucon !
– Je suis là, maman, répondit l’enfant.
– Tu as vu quelqu’un descendre et s’enfuir ?
– 111 –
– De loin, maman, comme je débouchais.
– Tu as reconnu l’homme ?
– L’homme était deux, maman.
– Ah ! il y en avait deux ?
– Oui… un autre… et puis le vilain monsieur… »
Le grand-père de Raoul n’était pas mort, et n’était même
pas en danger de mort. On pouvait croire, d’après certains détails
de la lutte, que d’Estreicher avait tenté, par des menaces et
par des violences, de contraindre le vieillard à révéler ce qu’il
savait et, sans doute, à livrer la pièce d’or. En particulier le cou
portait les traces des doigts qui s’y étaient agrippés. Le bandit et
son complice avaient-ils réussi au dernier moment ?
Les domestiques ne tardèrent pas à rentrer. Le médecin,
prévenu, déclara qu’il n’y avait aucune complication à craindre.
Mais, au cours de la journée, on constata que le vieillard ne répondait
pas aux questions, semblait ne pas entendre, et ne s’exprimait
que par des balbutiements incompréhensibles.
La commotion, la peur, la souffrance… il était fou.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 12-03-10, 07:22 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 9
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Chapitre VII

La date approche


Dans le pays plat où gît, sous la verdure, le Manoir-aux-
Buttes, une gorge profonde, creusée par la rivière la Maine, enserre
comme une boucle les prairies, les vergers et les bâtiments
du Manoir. Des monticules, bossués de rocs et couverts de sapin,
se dressent en hémicycle à l’intérieur de la propriété, et une
dérivation de la Maine, coupant la boucle et isolant les Buttes, a
formé un gracieux étang, qui reflète les pierres sombres, les briques
roses et les ardoises de l’antique logis.
Aujourd’hui, c’est une ferme plutôt. Une partie du rez-dechaussée
abrite des celliers et des granges, témoignages d’une
exploitation plus vaste, florissante jadis, mais très déchue depuis
que s’en occupait le grand-père de Raoul.
Le vieux baron, comme on l’appelait – il avait droit au titre
et à la particule, le domaine, avant la Révolution, constituant la
baronnie d’Avernoie –, le vieux baron, grand chasseur et grand
buveur, bel homme, aimant les femmes, se souciait fort peu de
travailler, et son fils, le père de Raoul, avait hérité de ces habitudes
insouciantes.
« J’ai fait ce que j’ai pu, une fois démobilisé, confia Raoul à
la jeune fille, pour remonter le courant et ramener le bien-être
ici. Mais, que voulez-vous ? mon père et mon grand-père ont
vécu sur cette idée, qui résulte évidemment de la légende que
vous connaissez : « Un jour ou l’autre, nous serons riches. Alors
pourquoi se gêner ? » Et ils ne se sont pas gênés. Actuellement
– 113 –
nous sommes entre les mains d’un usurier qui a racheté toutes
nos créances et je viens d’apprendre que, durant mon séjour à
Roborey, mon grand-père a signé un contrat de vente qui permet
à cet usurier de nous mettre à la porte dans six semaines ! »
C’était, lui, un garçon courageux, un peu lourd d’esprit, un
peu embarrassé de manières, mais de nature droite, sérieuse et
réfléchie. Tout de suite la grâce de Dorothée l’avait conquis, et,
malgré une timidité invincible qui lui avait toujours interdit de
traduire en paroles ses sentiments les plus vifs, il ne cachait ni
son admiration ni son trouble. Tout ce qu’elle ordonnait était
chose accomplie.
D’après ses conseils, il raconta l’agression dont son grandpère
avait été victime et déposa une plainte contre inconnu. Autour
de lui, il parla ouvertement de la fortune qu’il escomptait à
brève échéance, et des recherches entreprises pour trouver une
médaille d’or dont la possession était la condition première de
réussite. Enfin, sans révéler le nom exact de Dorothée, il ne dissimula
pas sa parenté lointaine avec elle, et les raisons qui attiraient
la jeune fille au Manoir.
Trois jours après, Saint-Quentin, ayant exigé de Pie-Borgne
des étapes doubles, arriva en compagnie de Castor et de Pollux.
Dorothée n’accepta point d’autre domicile que sa chère roulotte,
laquelle fut installée au centre de la cour, et la vie recommença
entre les cinq camarades, vie heureuse et nonchalante. Castor et
Pollux se battaient avec moins de vigueur. Saint-Quentin pêchait
dans l’étang. Le capitaine, toujours très important, avait
pris sous sa garde le vieux baron et lui racontait ainsi qu’à Goliath
d’interminables histoires.
Quant à Dorothée, elle observait. On la sentait mystérieuse,
jalouse de ses réflexions et de ses procédés. Elle passait des heures
à jouer avec ses camarades ou à diriger leurs exercices. Puis,
les yeux fixés sur le vieux baron qui, accompagné de son chien
– 114 –
fidèle, les jambes vacillantes et le regard inerte, allait s’adosser à
un arbre du verger, elle épiait tout ce qui pouvait être chez lui
manifestation de l’instinct ou survivance du passé.
Plusieurs jours de suite, elle vécut dans une soupente du
grenier où il y avait quelques rayons de bibliothèque, et, sur ces
rayons, des paperasses, des dossiers et des brochures imprimées
au siècle dernier, histoires de la région, rapports communaux,
archives de paroisse.
« Eh bien, demandait Raoul, en riant, nous avançons ? J’ai
l’impression que vos yeux commencent à mieux voir.
– Peut-être… je ne dis pas non… »
Les yeux de Dorothée ! Dans cet ensemble de jolies choses
qui composaient son visage, c’était à cela surtout que l’on
s’attachait. Raoul ne voyait plus qu’à travers eux, et ne
s’intéressait plus guère qu’à ce qu’ils exprimaient. Et peut-être

Dorothée se laissait-elle contempler avec une certaine satisfaction.
L’amour de ce grand garçon timide la touchait par son respect,
elle qui n’avait connu jusqu’ici que l’hommage brutal de la
convoitise.
Un jour elle le fit monter dans une petite barque amarrée
au bord du lac et, la laissant glisser au fil du courant, elle lui dit :
« Nous approchons.
– De quoi ? fit-il tout agité.
– De la date que tant de choses annoncent depuis si longtemps
!
– Vous croyez ?
– 115 –
– Je crois, Raoul, que vous ne vous êtes pas trompé le jour
où vous avez vu entre les mains du baron cette médaille d’or
dans laquelle semblent se résumer toutes les traditions de famille.
Malheureusement le pauvre homme a perdu la raison
avant que vous soyez mis au courant, et le fil qui reliait le passé
à l’avenir a été rompu.
– Alors qu’espérez-vous, si on ne retrouve pas cette médaille
? Nous avons cherché partout, dans sa chambre, dans ses
vêtements, dans la maison, dans les vergers. Rien.
– Il ne se peut pas qu’il garde le mot de l’énigme, dit-elle. Si
sa raison est morte, ses instincts survivent. Et quel instinct que
celui qui est formé par des siècles ! Sans doute a-t-il mis la pièce
à portée de sa main ou de ses yeux : à l’heure voulue, un geste
inconscient nous révélera la vérité. »
Raoul objecta :
« Et si d’Estreicher lui a pris la médaille ?
– Non, car alors nous n’aurions pas entendu le bruit de la
lutte. Votre grand-père a résisté jusqu’au bout, et c’est notre
venue seule qui a mis d’Estreicher en fuite.
– Ah ! ce bandit, s’écria Raoul, si je le tenais !
La barque glissait doucement. Dorothée fit, à voix très
basse et sans bouger :
– Silence ! Il nous écoute.
– Hein ! que dites-vous ?
– Je dis qu’il est là, et qu’il ne perd pas une de nos paroles.
»
– 116 –
Raoul était stupéfait.
« Voyons, voyons, que signifie ? Vous l’apercevez ?…
– Non, mais je le devine, et, lui, il nous aperçoit.
– De quel endroit ?
– D’un endroit situé dans les Buttes. J’ai toujours pensé
que ce nom de Manoir-aux-Buttes faisait allusion à quelque retraite
impénétrable, et j’en ai découvert la preuve dans un vieux
livre, qui parle précisément d’une retraite où les Vendéens se
terraient et que l’on place aux environs de Tiffauges et de Clisson.
– Mais comment la connaîtrait-il ?
– Rappelez-vous que, le jour de l’agression, votre grandpère
était seul ou se croyait seul. Se promenant dans les Buttes,
il aura démasqué l’une des issues. Or, d’Estreicher l’épiait. Et
depuis, le misérable se sert de ce refuge. Regardez le terrain,
tout bossué et raviné. À droite, à gauche, de tous côtés, il y a
place, dans le roc, pour des sortes d’observatoires d’où l’on peut
tout voir et tout entendre de ce qui se passe en dessous, dans les
limites du domaine. D’Estreicher est là.
– Qu’y fait-il ?
– Il cherche, affirma-t-elle, et, plus encore, il surveille mes
recherches. Lui aussi (bien que je n’en puisse deviner la raison)
il veut la pièce d’or. Et il craint que je ne le devance. »
Raoul prononça :
« Mais il faut avertir la police !
– 117 –
– Pas encore. Le terrier doit avoir plusieurs issues dont
quelques unes, peut-être, passent sous la rivière. Si on donne
l’éveil au bandit, il s’échappe.
– Alors, votre plan ?
– Le faire sortir de ce terrier et le prendre au piège.
– Comment ? Quand ?
– Le plus tôt possible. J’ai vu l’usurier, le sieur Voirin, et il
m’a montré l’acte de vente. Si le 31 juillet, à 17 heures, le sieur
Voirin qui, toute sa vie, a désiré acquérir le Manoir-aux-Buttes,
n’a pas reçu la somme de trois cent mille francs en espèces ou
en titres sur l’État, le Manoir lui appartiendra.
– Je sais, fit Raoul, et comme il n’y a aucune raison pour
qu’en un mois je devienne riche…
– Si, il y a une raison, celle qui a toujours soutenu votre
grand-père. « Voirin, ne vous réjouissez pas, a-t-il dit. À la date
du 31 juillet, je vous paierai rubis sur l’ongle. » Raoul, c’est la
première fois que nous sommes en face d’une précision. Jusqu’ici
des mots, une tradition confuse. Aujourd’hui, un fait. Un
fait qui prouve que, d’après votre grand-père, toutes les légendes
qui tournent autour de ces richesses promises aboutissent
rigoureusement à un jour quelconque du mois de juillet. »
La barque touchait le rivage. Dorothée sauta légèrement et
s’écria, sans crainte d’être entendue :
« Raoul, nous sommes le 27 juin. Dans quelques semaines,
vous serez riche. Moi aussi. Et d’Estreicher sera pendu haut et
court, ainsi que je le lui ai prédit. »
– 118 –
À la fin de cette même journée, la nuit commençant à tomber,
la jeune fille se glissa hors du Manoir et gagna furtivement
un chemin bordé de haies très hautes, qui la conduisit, en une
heure, devant un petit jardin au fond duquel brillait une lumière.
Les investigations particulières de Dorothée lui avaient révélé
le nom d’une vieille dame, Juliette Azire, que la rumeur
publique désignait comme une des anciennes amies du baron.
Avant de tomber malade, le baron lui rendait encore visite, bien
qu’elle fut sourde, mal portante et d’esprit un peu faible. De
plus, d’après une indiscrétion de la bonne qui la servait et que
Saint-Quentin avait interrogée, Juliette Azire possédait une médaille
du même genre de celle que l’on cherchait au Manoir.
L’idée de la jeune fille était de profiter d’une absence que
faisait la bonne une fois par semaine pour frapper à la porte et
interroger tout droit Juliette Azire. Mais le hasard en décida
autrement. La serrure n’était pas fermée à clef et, lorsque Dorothée
eut franchi le seuil de la salle basse et confortable où se
tenait la vieille dame, elle s’aperçut qu’elle dormait sous la lumière
de sa lampe, la tête baissée sur le canevas qu’elle était en
train de broder.
« Si je cherchais ? pensa Dorothée. À quoi bon lui poser des
questions auxquelles elle ne répondrait sans doute pas ! »
Elle regarda autour d’elle, examina les gravures accrochées
au mur, la pendule sous son globe de verre, les candélabres.
Plus loin un escalier conduisait aux chambres. Elle s’y dirigeait
lorsqu’un grincement se produisit du côté de la porte. Et,
tout de suite, bien qu’elle n’eût aucun indice, elle fut certaine
que d’Estreicher allait apparaître. Peut-être l’avait-il suivie ?
Peut-être l’avait-il attirée là, par un ensemble de machinations…
– 119 –
Elle eut peur et ne songea qu’à la fuite. L’escalier ? Les chambres
du premier étage ? Elle n’avait pas le temps. Près d’elle, il y
avait une porte vitrée, sans doute celle qui menait à la cuisine,
et, de là, à quelque issue par où elle pourrait se sauver.
Elle entra, et aussitôt s’avisa de son erreur. C’était un cabinet
obscur, un placard plutôt, contre les planches duquel il lui
fallut s’aplatir pour que le battant pût être fermé. Elle se trouvait
prisonnière.
En même temps, très doucement, la porte principale était
poussée. Deux hommes s’introduisirent avec précaution, et l’un
d’eux souffla au bout d’un moment :
« La vieille dort. »
À travers les vitres que recouvrait un morceau d’étoffe déchiré,
Dorothée reconnut aisément d’Estreicher, malgré son col
relevé et sa casquette dont les ailes rabattues se nouaient audessous
du menton. Son complice également enfouissait dans
un cache-nez la moitié de son visage.
« Ce que t’en fais des bêtises pour cette donzelle ! dit celuici.
– Des bêtises, non, grogna d’Estreicher. Je la surveille, voilà
tout.
– Allons donc, t’es toujours dans son ombre. T’en perds la
tête… jusqu’au jour où elle te la fera perdre pour de bon.
– Je ne dis pas non. Elle y a déjà presque réussi à Roborey.
Mais j’ai besoin d’elle.
– Pourquoi ?
– 120 –
– Pour la médaille. Elle seule est capable de mettre la main
dessus.
– Pas ici, en tout cas. Voilà deux fois qu’on fouille la maison.
– Mal, sans doute, puisque voilà qu’elle y vient, elle aussi.
Quand nous l’avons aperçue, elle se dirigeait de ce côté. Elle aura
eu vent du bavardage de la bonne, et elle aura choisi le jour
où la vieille était seule.
– Ah ! tu y tiens, à ta mijaurée !
– Si j’y tiens, articula d’Estreicher sourdement. Qu’elle me
tombe entre les griffes, et je te jure que la belle ne l’oubliera pas
de sitôt !
Dorothée frémit. Il y a avait dans l’accent de cet homme à
la fois une haine et une violence de désir, qui l’épouvantaient.
Il se taisait maintenant, posté derrière la porte, l’oreille aux
aguets.
Quelques minutes s’écoulèrent. Juliette Azire dormait toujours,
la tête de plus en plus inclinée sur son ouvrage.
À la fin d’Estreicher murmura :
« Elle ne viendra pas. Elle aura changé d’idée en cours de
route.
– Eh bien, décampons, proposa le complice.
– Non.
– T’as une idée ?
– 121 –
– Une volonté… Découvrir la médaille.
– Mais puisque, deux fois déjà…
– On s’y est mal pris. Il faut changer de procédé. Tant pis
pour la vieille ! »
Il frappa du poing sur la table, au risque de réveiller Juliette
Azire.
« Enfin quoi, c’est trop bête ! La bonne l’a bien dit : « Il y a
une médaille dans la maison, quelque chose comme on en cherche
une au Manoir ». Alors, profitons de l’occasion, hein ? Ce
qui n’a pas réussi avec le baron peut réussir aujourd’hui.
– Comment ! tu voudrais ?…
– La faire parler, oui, comme on a essayé de faire parler le
baron. Seulement, c’est une femme, elle. »
D’Estreicher avait enlevé sa casquette. Son visage mauvais
exprimait une cruauté sauvage. Il marcha vers la porte, dont il
ferma la serrure à double tour, et dont il mit la clef dans sa poche.
Puis il revint jusqu’au fauteuil où la bonne femme dormait,
la considéra un moment, et soudain, s’abattit sur elle, l’étreignit
à la gorge, et la renversa contre le dossier.
Le complice ricana.
« T’as pas besoin de te donner tant de peine ! Si tu serres
trop, tu vas la tuer, la malheureuse ! »
D’Estreicher ouvrit un peu les doigts. La vieille écarquillait
les yeux et gémissait faiblement.
– 122 –
« Parle, ordonna d’Estreicher. Le baron t’a confié une médaille.
Où l’as-tu mise ? »
Juliette Azire ne comprenait pas bien ce qui lui arrivait.
Elle se débattit. Exaspéré, il la secoua.
« Vas-tu bavarder, hein ? Où est la médaille, celle de ton
ancien amoureux ? Il te l’a remise, hein ? Ne dis pas non, vieille
carcasse. Ta bonne le raconte à qui veut l’entendre. Allons,
parle. Sans quoi… »
Il ramassa sur les dalles du foyer un des chenets de fer à
boule de cuivre, et le brandit en criant :
« Un… deux… trois… À vingt, je te casse la tête ! »

 
 

 

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Chapitre VIII


Sur le fil de fer


Le battant derrière lequel s’abritait Dorothée fermait mal.
L’ayant poussé doucement, elle vit et entendit toute la scène,
bien que la figure de Juliette Azire lui demeurât cachée. La menace
du bandit ne l’inquiéta pas beaucoup, car elle savait qu’il
ne l’exécuterait pas. Et, de fait, d’Estreicher compta jusqu’à
vingt sans que la vieille soufflât mot. Mais cette résistance redoubla
sa fureur au point que, ayant rejeté la masse de fer, il
saisit la main de Juliette Azire et la tordit violemment. Juliette
Azire hurla de douleur.
« Ah ! ah ! fit-il, tu commences à comprendre, et tu vas
peut-être répondre… Où est la médaille ? »
Elle se tut.
Il donna un nouvel effort.
La vieille tomba à genoux et le supplia avec des mots incohérents.
« Parle ! parle ! cria-t-il. Je tournerai jusqu’à ce que tu parles…
»
Elle bredouilla quelques syllabes.
« Qu’est-ce que tu dis ? prononce mieux, hein ! Faut-il que
je tourne encore ?
– 124 –
– Non… non… implora-t-elle… Voilà… C’est au Manoir…
dans la rivière…
– Dans la rivière ? Quelle blague ! Vous auriez jeté ça dans
la rivière ? Tu te fiches de moi, hein ? »
Il la tenait sous lui, un genou sur la poitrine de la malheureuse,
et leurs deux mains crispées l’une autour de l’autre. De
son poste, Dorothée les voyait avec horreur, impuissante en face
de ces deux hommes, et ne pouvant néanmoins se résigner à
l’inaction.
« Alors, je tourne, hein ? grondait le bandit. Tu aimes
mieux ça que de parler ?… Je tourne ? »
Il eut un mouvement brusque qui arracha un cri à Juliette
Azire. Et tout à coup elle se souleva, montra son visage convulsé
de terreur, agita les lèvres, et réussit à bégayer :
« Le placard… le placard… les dalles… »
La phrase ne fut pas achevée, bien que la bouche continuât
à remuer nerveusement, mais il arriva ceci d’étrange que
l’effroyable visage se calma peu à peu, prit une sérénité inconcevable,
devint heureux, souriant, et que, tout à coup, Juliette
Azire éclata de rire. Elle ne sentait plus la torture de son poignet
meurtri, et elle riait doucement, sans soubresaut, avec une expression
de béatitude.
Elle était folle.
« T’as pas de chance, plaisanta le complice. Dès que tu veux
faire chanter les gens, c’est un couac qui se produit. Le baron,
loufoque. Sa bonne amie, folle. Tu vas bien. »
– 125 –
Exaspéré, d’Estreicher repoussa la vieille, qui trébucha et
alla tomber en tournoyant derrière un fauteuil et tout contre
Dorothée, et il s’exclama rageusement.
« Pas de chance, tu l’as dit. Mais, cette fois, il y a peut-être
un filon. Avant que son cerveau claque, elle a parlé d’un placard
et de dalles. Lequel ? Celui-ci ou celui-là ? Les deux sont pavés
de dalles. »
Il désignait alternativement l’espèce de cabinet où Dorothée
se dissimulait, et une armoire située à gauche de la cheminée.
« Je commence par cette armoire. Occupe-toi de l’autre…
dit-il. Ou plutôt non…, tiens, aide-moi, et finissons-en avec
celle-ci. »
Il s’accroupit près de la cheminée, ouvrit le battant de
l’armoire, et, avec un tison de fer, attaqua l’une des rainures
entre les dalles que le complice essayait de soulever.
Dorothée n’hésita pas. Elle savait qu’ils allaient venir vers
son placard et qu’elle était perdue si elle ne prenait pas la fuite.
La vieille, étendue à côté d’elle, exhalait de petits rires qui
s’éteignaient peu à peu tandis que les hommes travaillaient.
À l’abri du fauteuil, et sans le moindre bruit, Dorothée tendit
le bras, détacha le bonnet de dentelle qui recouvrait les cheveux
de Juliette Azire et le mit sur sa tête. Ensuite, elle prit les
lunettes, puis tira le fichu, s’enveloppa les épaules, et réussit à
cacher sa taille et sa jupe dans un large tablier de serge noire.
Juliette, à ce moment, se taisant, ce fut au tour de Dorothée
d’exhaler le même petit rire égal et joyeux. Les deux hommes
redoublaient d’effort. Elle se leva, et, courbée comme une
vieille, trottina, tout en riant, à travers la pièce.
– 126 –
D’Estreicher grogna :
« Qu’est-ce qu’elle fait, la folle ? Qu’elle ne s’en aille pas,
hein ?
– Comment s’en irait-elle ? observa le complice. T’as la clef
en poche.
– La fenêtre ?
– Beaucoup trop haute, et puis quoi, elle n’a pas du tout
envie de quitter sa chaumière. »
La jeune fille s’arrêta devant la croisée dont le rebord, très
élevé, se trouvait à la hauteur de ses yeux. Les volets n’étaient
pas clos. D’un geste lent, elle réussit à tourner l’espagnolette. Là
elle fit une pause. Elle savait que, aussitôt ouverte, la croisée
laisserait s’engouffrer l’air et les bruits du dehors, ce qui donnerait
l’éveil aux complices. En quelques secondes, elle calcula
donc et décomposa les mouvements qu’elle devait accomplir.
Sûre d’elle, et se fiant à son extraordinaire agilité, elle regarda
du côté de ses ennemis, puis rapidement, sans une erreur de
tactique, sans une hésitation, elle ouvrit toute grande la croisée,
bondit sur le rebord et sauta dans le jardin.
Deux cris derrière elle, des exclamations furieuses. Mais il
fallait aux hommes le temps de comprendre, d’examiner, de
heurter le corps de la véritable Juliette… La jeune fille en profita.
Trop habile pour filer par le jardin et par la barrière, elle
contourna la maison, franchit un talus, s’écorcha aux ronces
d’une haie, et sortit dans la campagne.
À ce moment des coups de feu retentirent. D’Estreicher et
son camarade tiraient au hasard sur des ombres confuses…
– 127 –
Lorsque Dorothée eut rejoint Raoul et les enfants qui, anxieux
de son absence, l’attendaient aux abords de la roulotte, et
qu’elle eut raconté sommairement son expédition, elle conclut :
« Maintenant, il s’agit d’en finir. Dans une semaine exactement,
la partie définitive se jouera. »
Ces quelques jours furent très doux aux deux jeunes gens.
Tout en demeurant sur la réserve, Raoul s’enhardissait à causer,
et montrait mieux le fond de sa nature à la fois grave et passionnée.
Dorothée s’abandonnait avec une certaine joie à cet
amour dont elle sentait toute la sincérité. Fort inquiets, Saint-
Quentin et ses camarades manifestaient de la mauvaise humeur.
Le Capitaine hochait la tête.
« Dorothée, je crois que j’aime encore moins celui-là que le
vilain monsieur, et si tu m’écoutais…
– Que ferions-nous, mon petit ?
– On attellerait « Pie-Borne » et on décamperait.
– Et le trésor ? car tu sais que nous cherchons un trésor.
– Le trésor, c’est toi, maman. Et j’ai peur qu’on nous le
prenne.
– Sois tranquille, mon gosse. Mes quatre enfants passeront
avant tout. »
Mais les quatre enfants n’étaient pas tranquilles. Le sentiment
d’un danger pesait sur eux. On respirait, dans cet enclos,
entre les murs du Manoir-aux-Buttes, une atmosphère lourde
qui les troublait. Le danger provenait certes de Raoul, mais aussi
d’autre chose, qui prenait corps peu à peu dans leur esprit,
– 128 –
car, deux fois, ils virent une silhouette se glisser le soir parmi les
fourrés des Buttes.
Le 30 juin, elle pria Raoul de donner congé à tout son personnel
pour le lendemain, qui était un jour de grande fête religieuse
au bourg de Clisson. Trois des domestiques, choisis parmi
les plus solides et armés de fusils, auraient l’ordre de revenir
furtivement à quatre heures de l’après-midi, et de se grouper à
proximité d’une petite auberge, l’auberge Masson, située à cinq
cents mètres du Manoir.
Le lendemain Dorothée se montra plus exubérante que jamais.
Elle dansa des gigues dans la cour et chanta des chansons
anglaises. Elle en chanta d’autres sur la barque où elle avait entraîné
Raoul, et fit alors de telles extravagances que, plusieurs
fois, ils manquèrent de chavirer. C’est ainsi qu’en jonglant avec
ses trois bracelets de corail, elle en laissa tomber un dans l’eau.
Elle voulut le rattraper, trempa jusqu’à l’épaule son bras nu, et
resta là, immobile, la tête penchée vers le fond de l’étang,
comme attentive à quelque spectacle.
« Que regardez-vous ainsi ? demanda Raoul.
– Il n’a pas plu depuis longtemps, le niveau a baissé, et l’on
voit plus distinctement les pierres et les graviers du fond. Or, j’ai
remarqué déjà que quelques-unes de ces pierres sont disposées
dans un certain ordre. Regardez.
– En effet, dit-il. Et ce sont des pierres taillées, régulières.
On croirait que cela forme des lettres immenses.
– Oui, et ces lettres forment des mots que l’on peut deviner
: In robore fortuna. J’ai consulté, à la mairie, une ancienne
carte topographique. Là où nous sommes, c’était jadis la pelouse
principale d’un jardin creux, et, à même cette pelouse, un de vos
ancêtres avait fait inscrire cette devise en blocs de pierre. De–
129 –
puis, on a attiré jusqu’ici les eaux de la Maine. L’étang remplace
la pelouse. La devise est recouverte… »
Et Dorothée ajouta entre ses dents :
« Ainsi que les quelques mots et que les chiffres qui sont
au-dessous de l’inscription, et que je n’avais pas encore aperçus.
Et c’est cela qui m’intéresse. Vous voyez ?
– Oui. Mais mal.
– Évidemment Nous sommes trop près. Il faudrait
contempler l’image de haut.
– Montons sur les Buttes.
– Non. De biais, l’image serait déformée par l’eau.
– Alors, dit-il en riant, montons en aéroplane. »
À l’heure du déjeuner, ils se séparèrent. Quand son repas
fut fini, Raoul assista au départ du char à bancs qui emmenait à
Clisson tout le personnel du Manoir, puis il retourna vers
l’étang où il avisa la petite troupe de Dorothée en train de se
démener sur les rives. Un fil de fer assez gros était tendu audessus
de l’étang à trois ou quatre mètres de hauteur, fixé d’un
côté au pignon d’une grange, et de l’autre à un anneau qui se
trouvait scellé dans une roche des Buttes.
« Diable ! fit-il, ça m’a tout à fait l’air d’un exercice de cirque
que vous nous préparez ?
– Très juste, répondit-elle, gaîment. N’ayant point
d’aéroplane, je me rejette sur la voltige aérienne.
– 130 –
– Comment ! s’écria-t-il, avec inquiétude, vous avez
l’intention… Mais la chute est inévitable.
– Je sais nager.
– Non, non, je m’y oppose absolument.
– De quel droit ?
– Vous n’avez même pas de balancier.
– Un balancier ? dit-elle en s’esquivant, et quoi encore ? Un
filet ? Une corde de sauvetage ? »
Elle monta par l’escalier intérieur de la grange et apparut
sur le rebord du toit. Elle riait, comme d’habitude, quand elle se
livrait à un de ses exercices, devant la foule. Elle était vêtue
d’une robe de toile, à larges raies blanches et rouges, et son fichu
de soie écarlate était croisé sur sa poitrine.
Raoul s’agitait fiévreusement.
Le capitaine s’approcha de lui.
« Veux-tu rendre service à maman Dorothée ? dit-il d’un
ton de confidence.
– Certes.
– Eh bien, va-t-en, monsieur. »
Dorothée, cependant, avança la jambe. Son pied, qui était
nu dans une sandale d’étoffe fendue après le gros orteil, tâta le
fil de fer comme le pied d’une baigneuse tâte l’eau froide. Et,
très vite, elle s’engagea, fit quelques pas en glissant et s’arrêta.
– 131 –
Elle salua de droite et de gauche, affectant de croire à la
présence d’un nombreux public, et glissa de nouveau, avec un
rythme régulier des jambes et une oscillation du buste et des
bras qui la berçait comme le battement d’ailes d’un oiseau. Elle
arriva ainsi au-dessus de l’étang. Le fil de fer, moins tendu, fléchissait
sous son poids et la relançait en l’air. Et, une seconde
fois, quand elle fut arrivée au milieu, elle s’arrêta.
C’était le plus dur de sa tentative. Elle ne pouvait plus
s’accrocher du regard, pour ainsi dire, à un point fixe des Buttes,
et appuyer son équilibre sur quelque chose de stable. Il lui
fallait baisser les yeux, chercher dans l’eau mouvante et miroitante,
se soustraire à la fascination des reflets du soleil, lire des
mots et des chiffres. Besogne terriblement dangereuse ! elle dut
s’y prendre à plusieurs fois, et se redresser au moment même où
elle semblait pencher sur le vide. Une minute ou deux s’écoulèrent,
vraiment pleines d’angoisse. Elle y mit fin par un salut de
ses deux bras qui se déployèrent harmonieusement, et par un
cri de victoire, et, aussitôt, elle se remit en marche.
Raoul avait franchi le pont qui enjambe l’extrémité de
l’étang et il était déjà là, quand elle atteignit les Buttes, sur
l’espèce de plate-forme où aboutissait le fil de fer. Elle fut frappée
de sa pâleur et touchée de son émotion.
« Et alors ? dit-il.
– Alors, j’ai bien lu la devise, soulignée par cette date que
nous ne réussissions pas à déchiffrer 12 juillet 1921. Nous savons
donc que le 12 juillet de cette année est le grand jour annoncé
depuis si longtemps. Mais il y a mieux, je crois… »
Elle appela Saint-Quentin et lui dit quelques mots à voix
basse. Saint-Quentin courut jusqu’à la roulotte et en sortit,
quelques instants plus tard, vêtu d’un de ses maillots d’acrobate.
Il monta dans la barque avec Dorothée qui le conduisit au mi–
132 –
lieu de l’étang. Rapidement, il se laissa glisser dans l’eau, plongea,
reparut, et jeta dans la barque un objet assez lourd que Dorothée
saisit vivement et qu’elle tendit à Raoul, lorsqu’ils eurent
abordé de nouveau sur les Buttes.
C’était un disque de métal, fer ou cuivre rouillé, de la grandeur
d’une soucoupe, et bombé comme une montre énorme. Il
devait se composer de deux plaques réunies, mais les bords de
ces plaques avaient été soudés, de sorte qu’on ne pouvait ouvrir
le disque.
Dorothée frotta l’une des faces et, avec sa main, fit voir à
Raoul un mot gravé grossièrement : Fortuna.
« Je ne me suis pas trompée, dit-elle, et la vieille Juliette
Azire ne mentait pas, en parlant d’abord de la rivière. Au cours
d’une de leurs dernières rencontres, le baron aura jeté ici, dans
son écrin de métal, la médaille d’or. Quelle meilleure cachette
que le fond de l’étang, jusqu’au jour prochain où il devait utiliser
la médaille ? Le premier gosse venu la lui eût repêchée. »
Toute joyeuse, elle lança le disque en l’air et s’en servit avec
trois cailloux pour jongler. Mais le capitaine fit observer que
c’était fête à Clisson, et qu’on devrait bien s’y rendre en auto
pour célébrer la victoire.
Ils redescendirent tous en hâte vers le Manoir. Saint-
Quentin alla changer de costume. Raoul mit en marche l’auto et
la sortit du garage. Tandis que les trois garçons y prenaient
place, il rejoignit Dorothée qui s’était assise devant une petite
table, sur la terrasse qui longeait la maison.
« Vous ne venez donc pas avec nous ? », dit-il.
Depuis le début de la journée, il avait l’impression bizarre
que tout ce qui se produisait n’était pas très naturel. Les inci–
133 –
dents se suivaient dans un ordre parfait, et avec une logique et
une précision mathématique que la réalité ne connaît pas. Certes,
sans comprendre le jeu de Dorothée, il devinait le dénouement
où tendait la jeune fille et qui était la capture de d’Estreicher.
Mais grâce à quel stratagème ?
« Ne m’interrogez pas, dit-elle. Nous sommes épiés. Donc,
pas de gestes, pas de protestations. Écoutez. »
Elle s’amusait à faire tourner le disque sur la table et, très
calmement, elle lui dévoila une partie de ses desseins et de ses
manoeuvres.
« Voici, j’ai écrit en votre nom, il y a quelques jours, au
procureur de la République, le prévenant que le sieur
d’Estreicher, recherché par la police, coupable de tentative de
meurtre contre le baron Davernoie et contre la dame Juliette
Azire, serait aujourd’hui au domaine des Buttes. Je demandais
l’envoi de deux agents qui vous retrouveraient à quatre heures à
l’auberge Masson. Il est quatre heures moins le quart. Allez,
Raoul, vos trois domestiques y seront également.
– Que ferai-je ?
– En hâte vous reviendrez ici avec les deux agents et avec
les trois domestiques, et cela, non point par la route directe,
mais par des sentiers que vous indiqueront Saint-Quentin et ses
camarades. À ces endroits, il y a déjà des échelles. Vous les dresserez
contre le mur. D’Estreicher et son complice seront là. Vous
les tiendrez en respect avec vos fusils, pendant que les agents
viendront les arrêter.
– Êtes-vous sûre que d’Estreicher sortira des Buttes ? si
tant est que les Buttes lui servent de refuge.
– 134 –
– Absolument sûre. Voici la médaille. Il sait qu’elle est entre
mes mains. Comment ne profiterait-il pas de l’occasion pour
la reprendre, alors que nous touchons au grand événement ? »
Elle s’exprimait avec une tranquillité déconcertante. Bien
qu’elle attirât, contre elle seule, toutes les menaces d’un combat
qui s’annonçait redoutable, elle n’avait même pas l’air d’être en
danger, et sa présence d’esprit était telle qu’en apercevant le
vieux baron qui passait devant eux et pénétrait dans le manoir,
suivi de son fidèle Goliath, elle fit part de ses observations à
Raoul.
« Avez-vous remarqué comme votre grand-père est plus
agité depuis quelques jours ? Lui aussi, dans son instinct profond,
il sent l’approche de l’événement, et il voudrait agir, il se
débat, il lutte contre le mal qui l’immobilise à l’heure même de
l’action. »
Malgré tout, Raoul hésitait. L’idée de la laisser seule en face
de d’Estreicher lui était infiniment pénible.
« Vous avez tout préparé aujourd’hui, dit-il. La police est
avertie. Mes domestiques sont prévenus. Le rendez-vous est
fixé. Soit. Cependant vous ne pouviez pas savoir que la découverte
de ce disque aurait lieu précisément une heure avant le
rendez-vous ?
– Obéissez, Raoul. Vous savez que je n’agis pas à la légère,
et revenez tous en hâte, car d’Estreicher n’apparaîtra pas ici seulement
pour s’emparer de la médaille, mais aussi pour une
chose à laquelle il tient peut-être tout autant.
– Quoi ?
– Moi, Raoul ! »
– 135 –
L’argument précipita la décision du jeune homme. L’auto
démarra et traversa le verger. Saint-Quentin ouvrit le grand
portail qui fut ensuite refermé après le passage de la voiture.
Dorothée était seule.
Elle devait ainsi rester seule et sans défense durant un espace
de temps qui pouvait être de douze à quinze minutes.
Le dos tourné aux Buttes, elle ne bougea pas de sa chaise.
Elle semblait très occupée à manier le disque, à en vérifier la
soudure, comme une personne qui cherche le secret ou le point
faible d’un mécanisme. Mais, de toutes ses oreilles, de tous ses
nerfs surexcités, elle tâchait de recueillir les bruits ou le froissement
des feuilles que la brise pouvait lui transmettre.
Tour à tour la soutenait une certitude inébranlable, ou
l’assaillaient le doute et le découragement. Oui, d’Estreicher
allait venir. Il était inadmissible qu’il ne vînt point. La médaille
l’attirait comme un appât auquel il ne pouvait résister.
« Et puis, non, se disait-elle, il se défiera. Mon petit manège
est vraiment trop puéril. Cet écrin, cette médaille qu’on
retrouve au moment fatidique, ce départ de Raoul et des enfants,
et puis moi qui demeure seule dans la ferme vide, alors
que mon unique souci devrait être, au contraire, de protéger ma
découverte contre l’ennemi… En vérité tout cela est forcé. Un
vieux renard comme d’Estreicher évitera le piège. »
Et aussitôt l’autre face du problème surgissait.
« Il viendra. Peut-être est-il déjà sorti de sa tanière. C’est
inévitable. Évidemment le danger lui apparaîtra, mais après,
quand il sera trop tard. À la minute actuelle, il n’est pas libre
d’agir ou de ne pas agir. Il obéit. »
– 136 –
Ainsi, une fois de plus, Dorothée se dirigeait d’après la
forte vision qu’elle prenait des événements, en dépit de ce que
pouvait lui apprendre sa raison. Les faits se groupaient devant
son esprit suivant un ordre logique et avec une méthode rigoureuse,
mais elle en voyait l’accomplissement alors qu’ils
n’étaient qu’en formation. Les mobiles qui conduisaient les autres
lui semblaient toujours très clairs. Son intuition les lui
montrait, et sa vive intelligence les adaptait instantanément aux
circonstances.
Et puis, comme elle l’avait dit, la tentation de d’Estreicher
était double. S’il réussissait à se dérober au piège de la médaille,
comment échapper à la proie merveilleuse et si facile à prendre
qu’était Dorothée elle-même ?
Elle se redressa avec un sourire. Quelque part des pas
avaient craqué. Ce devait être sur le pont de bois qui franchissait
la rivière à hauteur de l’étang.
L’ennemi approchait…
Mais presque en même temps, elle perçut un autre bruit
sur sa droite. Et puis un autre sur sa gauche. D’Estreicher avait
deux complices. Elle était cernée.
Sa montre marquait quatre heures moins cinq.

 
 

 

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