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DOROTHÉE DANSEUSE DE CORDE-- de-- Maurice Leblanc

DOROTHÉE DANSEUSE DE CORDE Maurice Leblanc Chapitre I Le château de Roborey Sous un ciel lourd

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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
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Thanks DOROTHÉE DANSEUSE DE CORDE-- de-- Maurice Leblanc

 

DOROTHÉE
DANSEUSE DE CORDE

Maurice Leblanc




Chapitre I



Le château de Roborey






Sous un ciel lourd d’étoiles, où s’accrochait un dernier
quartier de lune, la roulotte dormait sur l’herbe du chemin, ses
volets clos, ses brancards allongés comme des bras. Dans l’ombre
du fossé voisin, un cheval ronflait et soupirait.
Très loin, par-dessus la crête noire des collines, une bande
plus claire annonça l’approche de l’aube. Une horloge d’église
sonna quatre heures. Quelques oiseaux s’éveillèrent de place en
place, et se mirent à chanter. Il faisait doux et tiède.
Brusquement, à l’intérieur, une voix de femme cria :
« Saint-Quentin ! Saint-Quentin ! »
Et une tête passa par la lucarne qui donnait sur le siège,
par-dessous l’avancée du toit.
« C’est bien ça, je m’en doutais ! Le gredin a déguerpi cette
nuit. L’animal ! Quelle correction ! »
D’autres voix lui répondirent. Il s’écoula deux ou trois minutes.
Puis la porte d’arrière fut ouverte et une silhouette descendit
les cinq marches de l’escalier, pendant que, à la fenêtre
latérale, deux têtes ébouriffées apparaissaient.
« Dorothée ! où vas-tu ?
– 4 –
– Chercher Saint-Quentin ! répliqua celle qu’on appelait
Dorothée.
– Mais il est rentré de promenade avec toi hier soir, et je
l’ai vu se coucher sur son siège.
– Tu vois bien qu’il n’y est plus, Castor.
– Où est-il ?
– Patience ! Je vais vous le ramener par les oreilles. »
Mais les deux gamins bondirent de la roulotte, en chemise,
et supplièrent :
« Non, maman Dorothée… t’en va pas toute seule dans la
nuit, c’est dangereux…
– Qu’est-ce que tu chantes, Pollux ? Dangereux ! Est-ce que
ça te regarde ? »
Elle leur envoya des gifles et des coups de pied, et les reconduisit
prestement jusqu’à la voiture où ils s’engouffrèrent.
Là, montée sur l’escabeau, elle prit leurs deux têtes qu’elle pressa
contre la sienne et les baisa tendrement.
« Pas de bile, mes deux gosses. Du danger ? D’ici une demiheure,
je retrouve Saint-Quentin.
– La belle affaire !… Saint-Quentin… un type qu’a pas seize
ans…
– Tandis que Pollux et Castor en ont vingt, à eux deux ! fit
Dorothée.
– 5 –
– Et puis, pourquoi qu’il traîne comme ça, la nuit ? Et c’est
pas la première fois… Où est-ce qu’il va en expédition ?
– Chiper des lapins au collet, dit-elle. Vous voyez, ce n’est
pas bien grave… Allons, assez bavardé. Au dodo, les garçons. Et
surtout ne vous battez pas, Castor et Pollux, hein ? Pas de bruit !
le capitaine dort, et il n’aime pas qu’on le réveille, le capitaine
! »
Elle s’éloigna, sauta par-dessus le fossé, franchit une prairie,
où ses pieds clapotaient dans des flaques d’eau, et gagna un
sentier qui filait entre de jeunes taillis qu’elle dépassait de la
tête. Deux fois déjà la veille, en se promenant avec son ami
Saint-Quentin, elle avait suivi cette piste mal tracée, de sorte
qu’elle avançait hardiment, sans la moindre hésitation. Elle traversa
deux routes, arriva près d’une rivière dont le lit de petits
cailloux blancs luisait dans l’eau paisible, s’y engagea, en remonta
le courant comme si elle eût voulu que ses traces fussent
perdues et, lorsque les premières lueurs du jour commençaient
à donner aux choses des formes distinctes, s’élança de nouveau
à travers bois, légère, gracieuse, plutôt petite, ses jambes nues
jaillissant d’une jupe très courte qui laissait flotter derrière elle
des rubans multicolores.
Elle courait sans effort, évitant de fouler aux pieds, parmi
les feuilles mortes, les fleurs du jeune printemps, le muguet, les
anémones violettes ou les blancs narcisses.
Ses cheveux noirs, très peu longs, se séparaient en deux
masses qui battaient comme deux ailes. Son visage souriant, sa
bouche entrouverte, ses narines palpitantes, ses yeux à demi
fermés, disaient toute sa joie de courir et de respirer l’air frais
du matin. Le cou, long et flexible, surgissait d’une blouse de
toile grise que fermait un foulard de soie orange. Elle semblait
âgée de quinze ou seize ans.
– 6 –
Les bois cessèrent. Une vallée se creusa entre deux parois
de roches et tourna brusquement. Dorothée s’arrêta net. Elle
atteignait le but.
En face d’elle, sur un socle de granit découpé régulièrement
et haut de trente mètres tout au plus, s’arrondissait le corps
principal d’un château, qui n’avait point grand style par luimême,
mais auquel sa position et le développement de sa construction
donnaient un caractère de demeure seigneuriale. À
droite et à gauche le vallon, rétréci en ravin, paraissait
l’envelopper comme un fossé d’autrefois. Mais, devant Dorothée,
l’espace était large et formait un glacis légèrement ondulé,
semé de lourdes pierres, traversé par des haies de ronces, et que
terminait la falaise presque verticale du socle.
« Les trois quarts de cinq heures qui sonnent, se dit la
jeune fille. Saint-Quentin ne va pas tarder. »
Elle s’accroupit derrière un énorme tronc d’arbre déraciné
et regarda fixement la ligne de démarcation entre le château luimême
et le roc de soubassement. Un léger rebord longeait cette
ligne, au-dessous des fenêtres du rez-de-chaussée, et il y avait
un endroit de cette corniche exiguë où aboutissait une coupure
transversale de la falaise, très mince, quelque chose comme une
lézarde dans la façade d’un mur.
La veille, durant leur promenade, Saint-Quentin lui avait
dit, le doigt tendu vers la coupure :
« Il y a des gens qui se croient à l’abri et, cependant, rien de
plus facile que de se hisser par là jusqu’à l’une des fenêtres…
Tiens, en voici une justement qui est entrebâillée… la fenêtre
d’un office… »
Cette idée d’escalade, Dorothée ne doutait pas qu’elle ne se
fût imposée à Saint-Quentin et que, le soir même, il n’eût tenté
– 7 –
quelque furtive expédition. Depuis, qu’était-il devenu ? N’y
avait-il personne dans la pièce où il entrait ainsi ? Ne connaissant
ni les lieux qu’il allait explorer, ni les habitudes des gens du
château, ne s’était-il point laissé prendre ? Ou bien, plutôt, attendait-
il simplement le lever du jour ?
Elle se tourmenta. Les minutes se hâtaient. Bien que le ravin
n’offrît pas trace de route, quelque paysan pouvait passer
dans ces parages au moment où Saint-Quentin se risquerait à
descendre, opération bien plus malaisée que l’escalade.
Soudain elle tressaillit. On eût dit qu’en songeant à un tel
péril, elle l’avait, par là même, provoqué. Des pas sourds se faisaient
entendre, qui suivaient le ravin et devaient venir de l’entrée
principale. Dorothée s’enfonça sous les racines de l’arbre
qui la dissimulait. Un homme apparut, vêtu d’une longue
blouse, le visage entouré d’un haut cache-nez gris, de vieux
gants fourrés aux mains, et un fusil sous le bras.
Elle pensa que ce devait être un chasseur, ou plutôt un braconnier,
car il marchait d’un air inquiet, en surveillant les alentours,
comme quelqu’un qui a peur d’être aperçu et qui, à tout
hasard, change son allure ordinaire. Mais il s’arrêta près du
mur, à cinquante ou soixante mètres de l’endroit où Saint-
Quentin avait grimpé, et il observa le sol, contournant certaines
pierres plates et se penchant au-dessus d’elles.
Enfin il se décida, et, saisissant une de ces dalles par son
extrémité la plus mince, il la souleva et la plaça de telle sorte
qu’elle tînt en équilibre à la manière d’un dolmen. Il découvrit
ainsi un trou creusé au centre de l’excavation laissée par la
dalle. À côté, il y avait une pioche, qu’il ramassa, et dont il se
servit pour agrandir le trou, tout en remuant la terre avec beaucoup
de précaution afin de ne faire aucun bruit.
– 8 –
Quelques minutes encore s’écoulèrent, et l’événement inévitable
que Dorothée désirait et redoutait à la fois, se produisit :
les deux battants de la fenêtre du château que Saint-Quentin
avait enjambée la veille furent poussés, et un long corps surgit,
habillé d’une redingote noire et coiffé d’un chapeau haut de
forme, redingote et chapeau qui, même à distance, semblaient
luisants, crasseux et rapiécés.
Le ventre au mur, aplati, Saint-Quentin se laissa glisser de
la fenêtre et réussit à poser ses deux pieds sur la corniche. À ce
moment, Dorothée, qui se trouvait en arrière de l’homme à la
blouse, fut près de se lever et de faire des signaux à son camarade.
Geste inutile. L’homme avait aperçu cette espèce de diable
noir accroché à la falaise, et, déposant sa pioche, s’était enfoncé
dans l’excavation.
D’ailleurs Saint-Quentin, tout à sa besogne, ne s’occupait
guère de ce qui se passait au-dessous de lui, et qu’il n’aurait pu
voir qu’en se retournant, ce qui lui était quasiment impossible.
Dépaquetant une corde, sans doute ramassée dans le château, il
l’enroulait au balcon de la fenêtre comme autour d’une poulie,
de manière que les deux bouts pendissent également le long de
la falaise. Avec l’aide de cette double corde, la descente ne présentait
aucune difficulté.
Sans perdre une seconde, Dorothée, qui s’inquiétait de ne
plus apercevoir l’homme à la blouse, rampa jusqu’aux abords de
l’excavation. Quand elle se fut approchée, elle étouffa un cri : au
fond du trou, comme au fond d’une tranchée, l’homme avait
pris son fusil et, lentement, en appuyait le canon devant lui, sur
la terre amoncelée, et dans la direction de Saint-Quentin.
Appeler ? Prévenir Saint-Quentin ? C’était précipiter les
événements, dénoncer sa propre présence, et engager une lutte
inégale avec un adversaire armé. Pourtant, il fallait agir. Là-bas,
Saint-Quentin s’engageait dans la cassure de la falaise, ainsi
– 9 –
qu’il eût fait dans le conduit d’une cheminée. On voyait tout entière
sa silhouette noire, efflanquée, et son haut-de-forme en
accordéon qu’il avait enfoncé jusqu’aux oreilles.
L’homme épaula et visa longuement. D’un bond, Dorothée
sauta sur la pierre dressée derrière lui, et de tout son élan, de
ses deux bras tendus, la poussa. L’équilibre en était peu stable.
Au premier effort, la pierre s’abattit, fermant comme un couvercle
l’excavation, écrasant le fusil, et emprisonnant l’homme à la
blouse, dont la jeune fille eut juste le temps de voir la tête qui se
courbait et les épaules qui s’enfonçaient dans le trou.
Elle pensa bien que l’attaque n’était que différée et que
l’ennemi ne tarderait pas à s’évader de son cercueil, et elle courut
en toute hâte jusqu’au bas de la crevasse où elle arriva en
même temps que Saint-Quentin.
« Vite… vite… dit-elle… Il faut se sauver… »
Ahuri, il ramena la corde par l’un de ses bouts, tout en
marmottant :
« Quoi ? Que veux-tu ? Comment as-tu su que j’étais ici ? »
Elle l’empoigna.
« Au galop, imbécile !… On t’a vu… On voulait tirer sur
toi… Vite, on va nous poursuivre…
– Qu’est-ce que tu dis ? Nous poursuivre ? Qui ?
– Un type, déguisé en paysan, et qui est là-bas, dans un
trou. Il te tenait au bout de son fusil, comme un perdreau,
quand j’ai rabattu la dalle sur lui.
– Mais…
– 10 –
– Obéis-moi, triple idiot, et emporte la corde. Il ne faut pas
laisser de traces. »
Ils s’enfuirent tous les deux par le vallon, avant que la dalle
ne fût soulevée et, rapidement, gagnèrent les bois, sans échanger
une parole.
Vingt minutes après, ils pénétrèrent dans la rivière d’où ils
ne sortirent que pour aborder, beaucoup plus loin, sur une
berge caillouteuse que leur passage ne pouvait marquer
d’aucune empreinte.
Déjà Saint-Quentin repartait comme une flèche, mais Dorothée
resta sur place, secouée tout à coup d’un fou rire qui la
courbait en deux.
« Qu’est-ce que tu as ? fit-il. Quoi ? Qu’est-ce qui te
prend ? »
Elle ne pouvait répondre. Elle se convulsait, ses mains serrées
contre sa poitrine, la figure rouge, toutes ses dents découvertes,
des dents menues et régulières, étincelantes de blancheur.
À la fin, elle réussit à bégayer, le doigt tendu vers lui :
« Ton chapeau haut de forme… ta redingote… tes pieds
nus… c’est trop drôle !… Où as-tu chipé ce déguisement ?…
Dieu ! que tu es rigolo ! »
Son rire sonnait frais et jeune, dans le silence où palpitaient
les feuilles. En face d’elle, Saint-Quentin, grand garçon
dégingandé, trop vite poussé, avec un visage trop pâle, des cheveux
trop blonds, une bouche trop fendue, des oreilles trop décollées,
mais avec d’admirables yeux noirs, chargés de tendresse,
regardait la jeune fille en souriant, heureux de cette diversion
qui semblait détourner de lui une colère qu’il redoutait.
– 11 –
De fait, subitement, elle se jeta sur son compagnon et
l’assaillit de coups de poings et de reproches, mais sans conviction,
avec des tremblements de rire qui enlevaient toute valeur
au châtiment.
« Misérable ! Forban ! Tu as encore volé, hein ! Monsieur
ne se *******e plus de ses honoraires de saltimbanque ! Il lui
faut encore barboter de l’argent ou des bijoux pour se payer des
hauts-de-forme ? Qu’est-ce que tu as pris, maraudeur ? Hein ?
Raconte ! »
À force de frapper et de rire, elle avait épuisé son indignation.
Elle se remit à marcher, et Saint-Quentin, tout penaud,
balbutia :
« Te raconter ? À quoi bon ? Tu as tout deviné, comme
d’habitude… Eh bien oui, je suis entré par la fenêtre, hier soir…
C’était un lavabo, au bout d’un corridor qui conduit aux salles
du rez-de-chaussée… Personne… Les patrons dînaient… Un escalier
de service m’a mené dans un autre couloir, tout en rond,
avec les portes de toutes les chambres qui ouvraient dessus. J’ai
visité tout ça. Rien. Ou des tableaux, des choses trop grosses.
Alors je me suis caché dans un débarras, d’où on pouvait voir
dans un petit salon, près d’une chambre, la plus belle. On a dansé
tard, puis on est remonté… Des gens très chics… que je voyais
par un vasistas… les dames décolletées, les messieurs en habit…
Enfin, une des dames est entrée dans le boudoir. Elle a mis ses
bijoux dans une cassette, et la cassette dans un petit coffre-fort
qu’elle a ouvert en disant tout haut les trois lettres de la serrure
: R.O.B… De sorte que, quand elle a quitté le boudoir pour
sa chambre, je n’ai eu qu’à me servir de ces trois lettres… Ensuite…
j’ai attendu le jour… je n’osais pas descendre…
– Fais voir », ordonna-t-elle.
– 12 –
Il lui montra, au creux de sa main, deux boucles d’oreilles,
ornées de saphirs. Elle les prit et les regarda. Son visage se
contracta un peu. Ses yeux brillèrent, et, la voix altérée, elle
murmura :
« Que c’est beau, les saphirs !… Le ciel est quelquefois
comme ça, la nuit… de ce bleu noir, plein de lumière… »
À ce moment ils traversaient une pièce de terre que dominait
une sorte d’épouvantail grossier, vêtu d’un simple pantalon,
et dont l’un des balais, qui figuraient les bras, portait une veste.
C’était la veste de Saint-Quentin. Il l’y avait déposée la veille, et,
pour se rendre méconnaissable, avait emprunté la redingote et
le chapeau haut de forme du mannequin. Cette redingote, il la
défit, en habilla le buste de paille, replaça le chapeau. Puis il
enfila sa veste et rejoignit Dorothée.
Elle contemplait toujours les diamants, d’un air
d’admiration. Il se pencha sur elle et lui dit :
« Garde-les, Dorothée. Tu sais bien que je ne suis pas un
voleur, et que c’est pour toi que j’ai fait cela… pour que tu aies
de la joie à les regarder… à les toucher… J’ai souvent tant de
peine à te voir trimer comme une malheureuse ! Toi, danser sur
la corde raide ! Toi, Dorothée ! toi qui devrais vivre dans le
luxe !… Ah ! Dorothée, tout ce que je ferais pour toi, si tu voulais
! »
Elle leva la tête vers lui et prononça :
« Tu ferais tout pour moi, dis-tu ?
– Tout, Dorothée.
– Eh bien, sois honnête, Saint-Quentin. »
– 13 –
Ils repartirent, et la jeune fille continua :
« Sois honnête, Saint-Quentin, c’est tout ce que je te demande.
Toi, et les autres gosses de la roulotte, je vous ai recueillis,
parce que vous êtes, comme moi, des orphelins de guerre, et,
depuis deux ans, on traîne ensemble sur les grands chemins,
heureux plutôt que malheureux, nous amusant, et, somme
toute, mangeant à notre faim. Seulement, pas de malentendu
entre nous. Moi, je n’aime que ce qui est propre, clair, luisant
comme un rayon de soleil. Es-tu comme moi ? Voilà trois fois
que tu voles pour m’être agréable. Est-ce fini ? Si oui, je te pardonne.
Sinon, adieu. »
Elle parlait gravement, en accentuant chaque phrase d’un
hochement de tête qui faisait battre les deux ailes de ses cheveux.
Bouleversé, Saint-Quentin l’implora :
« Tu ne veux plus de moi ?
– Si. Mais jure de ne plus recommencer.
– Je le jure.
– Alors n’en parlons plus. Je sens que tu as dit la vérité.
Reprends les bijoux. Tu les cacheras sous la roulotte, dans la
grande corbeille. La semaine prochaine, tu les renverras par la
poste. C’est bien le château de Chagny, n’est-ce pas ?
– Oui, et j’ai vu le nom de la dame sur une de ses cartes :
Comtesse de Chagny. »
Ils repartirent, les mains jointes, deux fois se cachèrent
pour éviter les rencontres des paysans, et enfin, après quelques
détours, arrivèrent aux environs de la roulotte.
– 14 –
« Écoute, dit Saint-Quentin, en prêtant l’oreille. Oui, c’est
ça, Castor et Pollux qui se battent, comme toujours. Les sacripants
! »
Il s’élança.
« Saint-Quentin, cria la jeune fille, je te défends de les
frapper !
– Tu t’en prives, toi !
– Oui, mais moi, ça leur fait plaisir. »
À l’approche de Saint-Quentin, les deux gosses, qui se battaient
en duel avec des sabres de bois, firent front contre
l’ennemi commun, en hurlant :
« Dorothée ! Maman Dorothée ! Empêche Saint-Quentin.
C’est un brutal. Au secours ! »
Il y eut une distribution de taloches, des éclats de rire, des
embrassades.
« Dorothée, c’est à moi d’être embrassé !
– Dorothée, à mon tour d’être giflé ! »
Mais la jeune fille gronda :
« Et le capitaine ? Je suis sûre que vous l’avez réveillé ?
– Le capitaine ? Il dort comme un sapeur, affirma Pollux.
Écoute s’il ronfle ! »
– 15 –
Sur le côté de la route, les deux gamins avaient allumé un
feu de bois. La marmite, suspendue à un trépied de fer, bouillait.
Tous quatre mangèrent une soupe épaisse et fumante, du
pain, du fromage et burent une tasse de café.
Dorothée ne bougeait pas de son tabouret. Ses trois compagnons
ne l’eussent pas permis. C’était à qui, des trois, se lèverait
pour la servir, tous attentifs, empressés, jaloux les uns des
autres, agressifs même entre eux. Les batailles de Castor et de
Pollux étaient toujours provoquées par quelque faveur de Dorothée,
et les deux gamins – deux garçons gros et joufflus, habillés
pareillement d’une culotte, d’une chemise et d’une demi-bretelle
– à l’instant où l’on y pensait le moins, et bien qu’ils s’aimassent
comme deux frères, se jetaient l’un sur l’autre avec une violence
haineuse, parce que la jeune fille avait dit à l’un une parole trop
douce ou gratifié l’autre d’un regard trop affectueux.
Saint-Quentin, lui, les détestait cordialement. Lorsque Dorothée
les caressait, il leur eût volontiers tordu le cou. Jamais
Dorothée ne l’aurait embrassé, lui. Il devait se *******er d’une
bonne camaraderie, affectueuse et confiante, qui ne se manifestait
que par une poignée de main amicale ou par un sourire heureux,
dont l’adolescent se réjouissait d’ailleurs comme de la
seule récompense que méritât un pauvre diable de son espèce.
Saint-Quentin était de ceux qui aiment et qui se dévouent.
« La leçon d’arithmétique, maintenant, commanda Dorothée.
Toi, Saint-Quentin, dors une heure sur ton siège. »
Castor apporta son livre de classe. Pollux montra son cahier.
La leçon de calcul fut suivie d’un cours que fit Dorothée sur
les rois mérovingiens, puis d’un cours sur l’astronomie.
Les deux enfants écoutaient passionnément et, sur son
siège, Saint-Quentin se gardait bien de dormir. C’est que Dorothée
avait une manière de professer qui était pleine de fantaisie
– 16 –
et qui divertissait sans jamais lasser l’attention. Elle avait l’air
d’apprendre elle-même ce qu’elle enseignait. Et ces choses, dites
d’une voix très douce, révélaient un certain savoir, du discernement
et la souplesse d’une intelligence pratique.
À dix heures, la jeune fille donnait l’ordre qu’on mît le harnais
au cheval. Le trajet jusqu’au bourg voisin était long et l’on
devait arriver à temps pour obtenir la meilleure place devant la
mairie.
« Et le capitaine qui n’a pas mangé ! s’écria Castor.
– Tant mieux, dit-elle. Le capitaine mange toujours trop.
Ça le reposera. Du reste, quand on le réveille, le capitaine, il est
d’une humeur massacrante. Qu’on le laisse dormir ! »
On partit. Au pas nonchalant de Pie-Borgne, vieille jument
efflanquée, mais solide encore et courageuse, qu’ils appelaient
ainsi parce qu’elle avait une robe pie et un oeil crevé, la roulotte
démarra. Lourde, juchée sur deux hautes roues, branlante, sonnant
la ferraille, chargée de caisses et d’ustensiles, d’échelles, de
barils et de cordages, elle avait été fraîchement repeinte, et, sur
les deux faces, portait cette inscription pompeuse « Cirque Dorothée,
Voiture de la Direction », ce qui donnait à croire que
toute une file de camions et de véhicules suivaient à quelque
distance avec le personnel, le matériel, les bagages et les animaux
féroces.
Saint-Quentin précédait le convoi, un fouet à la main. Dorothée,
flanquée des deux enfants, cueillait des fleurs sur les
talus, chantait avec eux des refrains de marche ou leur racontait
des histoires. Mais, après une demi-heure, au milieu d’un carrefour,
elle ordonna :
« Halte !
– 17 –
– Qu’y a-t-il ? demanda Saint-Quentin, voyant qu’elle lisait
la plaque d’un poteau indicateur.
– Regarde, fit-elle.
– Il n’y a pas à regarder. C’est tout droit. J’ai consulté notre
carte.
– Regarde, répéta-t-elle. Chagny, 2 kilomètres.
– Évidemment, c’est le village de notre château d’hier. Seulement,
pour y aller, nous avions suivi le raccourci des bois.
– Tu ne lis pas jusqu’au bout. Chagny, 2 kilomètres, château
de Roborey. »
Elle semblait assez agitée et à mi-voix elle redisait :
« Roborey… Roborey.
– Peut-être que le village s’appelle Chagny, supposa Saint-
Quentin, et que le château s’appelle Roborey. Qu’est-ce que ça
peut te faire ?
– Rien… rien… dit-elle.
– Cependant, tu as l’air toute chose.
– Non… une simple coïncidence.
– À quel propos ?
– À propos du nom de Roborey.
– Eh bien ?…
– 18 –
– Eh bien, c’est un mot qui était gravé dans ma mémoire…
un mot qui a été prononcé dans des circonstances exceptionnelles.
– Quelles circonstances, Dorothée ? »
Elle expliqua lentement, d’un air pensif :
« Rappelle-toi, Saint-Quentin. Tu sais que mon père est
mort d’une blessure, au début de la guerre, à l’hôpital, près de
Chartres. J’avais été avertie, mais je suis arrivée trop tard… Seulement,
deux blessés, ses voisins de salle, m’ont dit qu’il n’avait
pas cessé de répéter le même mot pendant toute son agonie :
Roborey… Roborey… Cela revenait comme une litanie, interminablement,
et comme s’il ne s’en était pas rendu compte. Et, en
mourant, il prononçait encore : « Roborey… Roborey. »
– Oui, fit Saint-Quentin, je me rappelle… tu m’as raconté
ça.
– Depuis, je me demande ce que cela signifiait, et par quel
souvenir mon pauvre père fut obsédé à l’heure de la mort.
C’était même autre chose que de l’obsession, paraît-il… de la
crainte… de la terreur… Pourquoi ? Je n’ai jamais pu me
l’expliquer. Alors tu comprends, Saint-Quentin, en voyant ce
nom, écrit là, devant moi… en apprenant qu’il y a un château
qui s’appelle ainsi… »
Saint-Quentin s’effraya :
« Hein ! Tu n’aurais pourtant pas l’intention d’y aller ?…
– Pourquoi pas ?
– C’est de la folie, Dorothée ! »
– 19 –
La jeune fille resta songeuse. Mais Saint-Quentin se rendait
bien compte qu’elle ne renonçait pas à ce projet insolite, et il
cherchait des arguments, lorsque Castor et Pollux accoururent :
« Trois roulottes qui débouchent, maman ! »
Elles sortaient, en effet, à la queue leu leu, d’un chemin encaissé
qui aboutissait au carrefour, et elles s’engageaient sur la
route de Roborey. C’était un « Jeu de massacre », un « Tir à la
carabine » et un « Manège de tortues ». En passant devant
Saint-Quentin et Dorothée, un des hommes du tir les interpella
:
« On y va donc aussi ?
– Où ça ? fit Dorothée.
– Au château. Y a fête populaire dans la cour. J’vous garde
une place ?
– Entendu, et merci », répondit la jeune fille.
Les forains s’éloignèrent.
« Qu’est-ce que tu as, Saint-Quentin ? murmura Dorothée.
»
Il paraissait plus pâle encore que d’habitude.
« Qu’est-ce que tu as donc ? répéta-t-elle. Tes lèvres tremblent,
et tu es vert. »
Il bégaya :
« Les gendarmes… »
– 20 –
Par le même sentier creux, deux cavaliers arrivaient au carrefour.
Impassibles, ils défilèrent devant la petite troupe.
« Tu vois, fit Dorothée, en souriant, ils ne s’occupent guère
de nous.
– Non, mais ils vont au château.
– Parbleu ! il y a une fête. La présence de deux gendarmes
est indispensable.
– À moins, gémit-il, qu’on n’ait découvert la disparition des
boucles d’oreilles et qu’on n’ait téléphoné à la gendarmerie.
– Improbable ! La dame ne s’en apercevra que ce soir, au
moment de s’habiller.
– Tout de même, n’y allons pas, supplia le pauvre garçon…
C’est se jeter dans le piège… Et puis, il y a aussi cet homme…
celui qui était dans un trou…
– Il creusait sa tombe, dit-elle en riant.
– S’il est là ? S’il me reconnaît ?
– Tu étais déguisé. Tout ce qu’on pourrait faire, c’est
d’arrêter l’épouvantail à la redingote et au haut-de-forme !
– Et si je suis dénoncé déjà ? Si l’on fouille ? Si l’on trouve
les boucles d’oreilles ?
– Jette-les dans un fourré du parc, dès notre arrivée. Je dirai
la bonne aventure aux gens du château et, grâce à moi, la
dame retrouvera ses boucles d’oreilles. Notre fortune est faite.
– 21 –
– Mais si, par hasard…
– Zut ! Ça m’amuse d’aller là-bas et de voir ce qui se passe
dans ce château qui s’appelle Roborey. Donc j’y vais.
– Oui, mais moi j’ai peur… peur aussi pour toi…
– Alors, reste. »
Il haussa les épaules.
« À Dieu vat ! » s’écria-t-il, en claquant son fouet.
– 22 –

 
 

 

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Chapitre II

Le cirque Dorothée



Le château, situé non loin de Domfront, dans la partie la
plus âpre du pittoresque département de l’Orne, n’a pris le nom
de Roborey qu’au cours du XVIIIe siècle. Jadis il s’appelait château
de Chagny comme le village qui s’était groupé tout contre
lui. La grand’place du village n’est en effet qu’un prolongement
de la cour seigneuriale. Les grilles étant ouvertes, les deux espaces
forment une esplanade construite sur les anciens fossés, où
l’on descend à droite et à gauche, par des pentes escarpées. La
cour intérieure, circulaire, et bordée de deux parapets qui courent
jusqu’aux bâtiments, est ornée d’une belle fontaine ancienne
à dauphins et à sirènes, et d’un cadran solaire dressé sur
une rocaille de fort mauvais goût.
Le cirque Dorothée traversa le village, musique en tête,
c’est-à-dire que Castor et Pollux s’époumonaient à tirer de deux
trompettes tout ce qu’elles pouvaient rendre de fausses notes.
Saint-Quentin avait revêtu un pourpoint de satin noir et portait
sur l’épaule le trident qui tient en respect les bêtes fauves, et
une pancarte qui annonçait la représentation pour trois heures.
Dorothée, debout sur le plafond de la roulotte, conduisait
Pie-Borgne à quatre guides, avec autant de majesté que si elle
eût dirigé un carrosse royal.
L’esplanade était déjà encombrée par une dizaine de voitures,
près desquelles les forains montaient vivement leurs bara–
23 –
ques de toile ou leurs installations de jeux, balançoires, chevaux
de bois, etc.
Le cirque, lui, ne fit aucun préparatif. La directrice s’en alla
jusqu’à la mairie pour le visa de la carte d’identité professionnelle,
tandis que Saint-Quentin dételait Pie-Borgne, et que les
deux musiciens, changeant de profession, s’occupaient de la
cuisine.
Le capitaine dormait toujours.
Vers midi, la foule commença d’affluer, venue de tous les
villages voisins. Saint-Quentin, Castor et Pollux faisaient la
sieste près de la roulotte. Dorothée, après le repas, s’en était
allée de nouveau, descendait dans le ravin, examinait
l’excavation de la dalle, remontait, se mêlait aux groupes de
paysans, et se faufilait dans les jardins, aux abords du château,
et partout où il était permis de se promener.
« Alors ? lui dit Saint-Quentin, à son retour, ton enquête
?… »
Elle semblait soucieuse et, lentement, elle expliqua :
« Le château, inhabité depuis longtemps, appartient à la
famille de Chagny-Roborey dont le dernier représentant, le
comte Octave, gentilhomme d’une quarantaine d’années, s’est
marié, il y a douze ans, avec une femme extrêmement riche.
Après la guerre, le comte et la comtesse ont restauré et modernisé
le château. Hier soir, on pendait la crémaillère en présence
de nombreux invités qui sont repartis dans la soirée. Aujourd’hui,
c’est l’inauguration populaire.
– Et pour ce nom même de Roborey, tu n’as rien appris ?
– Rien. J’ignore toujours pourquoi mon père l’a prononcé.
– 24 –
– De sorte que nous partons aussitôt après la représentation
? fit Saint-Quentin qui avait hâte de s’en aller.
– Je ne sais pas… on verra… J’ai constaté certaines choses
bizarres…
– Qui ont rapport à ton père ?
– Non, dit-elle, avec hésitation… non… aucun rapport…
Cependant j’aimerais bien y voir clair. Quand il y a des ténèbres
quelque part, on ne sait jamais ce qu’elles dissimulent… et je
voudrais… »
Elle resta longtemps pensive et, à la fin, reprit d’une voix
sérieuse, en regardant Saint-Quentin bien en face :
« Écoute, tu as confiance en moi, n’est-ce pas ? Tu sais que
je suis très raisonnable au fond… et très prudente. Tu sais que
j’ai une certaine intuition… et de bons yeux qui voient ce que
tout le monde ne voit pas… or je sens nettement que je dois rester
ici.
– À cause de ce nom de Roborey ?
– À cause de cela, et pour d’autres motifs, qui m’obligeront
peut-être à prendre, selon les circonstances, des résolutions
inattendues… dangereuses. À ce moment-là, Saint-Quentin, il
faut me suivre… hardiment.
– Parle donc, Dorothée. Qu’y a-t-il ?
– Rien… rien… un mot cependant… L’homme qui t’a visé ce
matin, l’homme à la blouse, est ici.
– 25 –
– Hein ? Que dis-tu ? Il est ici ? Tu l’as vu ? Avec les gendarmes
? »
Elle sourit :
« Pas encore. Mais ça peut venir. Où as-tu mis les boucles ?
– Au fond de la corbeille, dans une petite boîte en carton
fermée par un caoutchouc.
– Bien. Sitôt la représentation finie, dépose-les dans un
massif de rhododendrons entre la grille et les remises.
– S’est-on aperçu de leur disparition ?
– Pas encore, affirma Dorothée. D’après tes indications, je
crois que le coffre-fort se trouve dans le boudoir de la comtesse
de Chagny. Or, j’ai entendu parler entre elles les femmes de
chambre de la comtesse, et il n’était nullement question de
vol. »
Elle ajouta :
« Tiens, voici les personnes du château devant le tir. C’est
bien cette jolie dame blonde, qui a grand air ?
– Oui. Je la reconnais.
– Une femme excessivement bonne à ce que prétendent les
domestiques, généreuse, auprès de qui les malheureux ont toujours
accès. On l’aime beaucoup autour d’elle – plus que son
mari, qui, paraît-il, est peu sympathique.
– Lequel est-ce ? Ils sont trois.
– 26 –
– Le plus gros – tout en gris – avec un ventre gonflé
d’importance. Tiens, il prend une carabine. Les deux qui sont de
chaque côté de la comtesse sont des parents éloignés. Le grand,
avec une barbe un peu grise qui monte jusqu’à ses lunettes
d’écaille, est au château depuis un mois. L’autre, le plus jeune,
en velours de chasse et en guêtres, est arrivé hier.
– Mais ils ont l’air de te connaître tous les deux ?
– Oui. Nous avons causé déjà. Le barbu est même très empressé.
»
Saint-Quentin eut un geste d’indignation qu’elle réprima
aussitôt :
« Du calme, Saint-Quentin. Et approchons-nous. La bataille
commence. »
La foule se massait derrière la baraque pour assister aux
exploits du châtelain, dont on connaissait l’adresse. Les douze
balles qu’il tira entourèrent le centre du carton, ce qui provoqua
des applaudissements. Le comte protesta avec une fausse modestie
:
« Non, non… c’est mauvais. Pas une mouche.
– Défaut d’habitude », fit une voix près de lui.
Dorothée s’était glissée au premier rang, et elle avait dit cela
d’un petit ton de connaisseur qui fit rire les assistants. Le gentilhomme
barbu la présenta au comte et à la comtesse.
« Mlle Dorothée, la directrice du cirque. »
La comtesse Octave salua. Le comte plaisanta :
– 27 –
« Est-ce comme directrice de cirque que mademoiselle juge
un carton ?
– Comme amateur.
– Ah ! mademoiselle tire aussi ?
– À l’occasion.
– Sur les jaguars ?
– Non, sur les têtes de pipe.
– Et mademoiselle ne manque pas son coup ?
– Jamais.
À condition, bien entendu, d’avoir une arme de premier
choix ?
– Nullement. Un bon tireur se sert de n’importe quoi qui
lui tombe sous la main… même d’une mécanique hors d’usage
comme celle-ci. »
Elle empoigna la crosse d’un vieux pistolet, se fit donner six
cartouches, et visa le carton déchiqueté par le comte de Chagny.
La première balle fit mouche. La seconde écorna le cercle
noir. La troisième fit mouche.
Le comte était stupéfait.
« C’est prodigieux !… Elle ne prend même pas la peine de
viser… Qu’en dites-vous, d’Estreicher ? »
– 28 –
Enthousiasmé, celui que Dorothée appelait le gentilhomme
barbu s’écria :
« Inouï ! Fantastique ! Mademoiselle, vous pourriez faire
fortune… »
Sans répondre, avec ses trois autres balles, elle cassa deux
tuyaux de pipe et abattit une coquille d’oeuf qui dansait à
l’extrémité d’un jet d’eau.
Et tout de suite, écartant ses admirateurs, apostrophant la
foule ébahie, elle déclara :
« Mesdames et messieurs, c’est pour avoir l’honneur de
vous dire que la représentation du cirque Dorothée continue.
Après les exercices de tir, les visions chorégraphiques, et puis
les manoeuvres de force, d’adresse, de voltige, à pied, à cheval,
sur la terre et dans l’air. Feu d’artifice, régates, courses d’autos,
combats de taureaux, attaques de chemin de fer, tout y passera.
On commence, messieurs et dames. »
À partir de ce moment, Dorothée ne fut plus que mouvement,
exubérance et gaîté. Saint-Quentin avait tracé, devant la
petite porte de la roulotte, un cercle assez large marqué par une
corde que soutenaient des piquets de fer. Autour de cette arène
où des chaises étaient réservées aux châtelains, on s’entassa, sur
des bancs, sur des échelles, sur ce qu’on put trouver aux environs.
Et Dorothée dansa. Sur une corde d’abord, tendue entre
deux poteaux. Elle bondissait, comme un volant que la raquette
reçoit et renvoie plus haut encore. Ou bien, elle se couchait et se
balançait comme sur un hamac, marchait en avant et en arrière,
se retournait, saluait à droite et à gauche. Puis elle sauta à terre
et se mit à danser.
– 29 –
Mélange extraordinaire de toutes les danses, où rien ne
semblait étudié ni volontaire, où tous les gestes et toutes les attitudes
paraissaient inconscients et comme provoqués par une
suite d’inspirations soudaines. Tour à tour, elle fut la dancing
girl de Londres, l’Espagnole armée de castagnettes, la Russe qui
tournoie et qui bondit, ou, dans les bras de Saint-Quentin, la
fille de bar qui danse un tango lent et sauvage.
Et, chaque fois, il lui suffisait d’un mouvement, de presque
rien qui déplaçait son châle ou modifiait sa coiffure, pour être
des pieds à la tête Espagnole ou Russe, Anglaise ou Argentine.
Et c’était toujours une vision incomparable de grâce, de charme,
de jeunesse harmonieuse et saine, de volupté et de pudeur, de
joie excessive et mesurée.
Castor et Pollux, penchés sur un vieux tambour, faisaient
avec leurs doigts un accompagnement de mélopée sourde. Sans
un mot, sans un cri, le public regardait et admirait, déconcerté
par tant de fantaisie et par la diversité des images qui passaient
devant lui. À l’instant même où il la considérait comme une gamine
en train d’exécuter des pirouettes, elle lui apparaissait tout
à coup sous l’aspect d’une dame à jupe longue, qui manie l’éventail
et danse le menuet. Était-ce une enfant ? Une femme ?
Avait-elle moins de quinze ans, ou plus de vingt ans ?
Elle coupa court aux applaudissements qui éclatèrent soudain
dès qu’elle s’arrêta, en sautant sur le toit de la roulotte, et
en ordonnant d’un geste impérieux :
« Silence ! Le capitaine s’éveille. »
Il y avait, derrière le siège, un long panier étroit, en forme
de guérite fermée. Le soulevant à moitié par un bout, elle entrouvrit
le couvercle et s’écria :
– 30 –
« Eh bien, capitaine Montfaucon, on a bien dormi ? Dites
donc, capitaine, nous sommes un peu en retard pour nos exercices.
À l’amende, capitaine ! »
Elle ouvrit tout à fait, dressa le panier, et l’on aperçut, dans
une sorte de berceau confortable, un bambin de sept ou huit
ans, aux boucles blondes, aux joues écarlates, et qui bâillait démesurément.
À peine éveillé, il tendit les mains à Dorothée qui
le serra contre elle et l’embrassa de toute sa tendresse.
« Baron de Saint-Quentin, appela-t-elle, je vous passe le
capitaine. Sa tartine est prête ? Alors la séance continue avec le
capitaine Montfaucon dans ses exercices. »
Le capitaine Montfaucon était le comique de la troupe. Vêtu
d’un vieil uniforme américain, il avait une veste qui traînait à
terre et un pantalon en tire-bouchon dont le bas était relevé jusqu’aux
genoux, et cela lui composait un costume si incommode
qu’il ne pouvait pas faire dix pas sans tomber tout de son long.
Le comique du capitaine Montfaucon provenait de ces chutes
ininterrompues, et de l’air impassible avec lequel il se relevait.
Lorsque, muni d’un fouet, cramponné de l’autre main à sa tartine,
les joues barbouillées de confiture, il présenta Pie-Borgne
en liberté, ce ne fut qu’un éclat de rire.
« Changez de pied, commandait-il. Pivotez… Dansez la
polka. Debout, Pie-Borne (il ne pouvait prononcer Borgne). Et
maintenant, le pas « espagnol ». Bien, Pie-Borne… Parfait. »
Pie-Borgne, promue à la dignité de cheval de cirque, trottinait
en cercle, sans se soucier des ordres du capitaine, lequel
d’ailleurs, trébuchant, tombant, se relevant, ramassant sa tartine,
ne se souciait guère d’être obéi. Et c’était si drôle, le flegme
du petit bonhomme et le manège imperturbable de la bête, que
Dorothée riait d’un rire qui redoublait la gaîté des spectateurs.
On voyait que la jeune fille, malgré la répétition sans doute quo–
31 –
tidienne de ce spectacle, s’en amusait toujours avec autant de
bonne humeur.
« Très bien ! capitaine, lui criait-elle pour l’encourager… À
merveille !… Et maintenant, capitaine, nous allons jouer
l’enlèvement de la gitane, drame en quatre tours de piste. Baron
de Saint-Quentin, c’est vous l’infâme ravisseur. »
L’infâme ravisseur la saisit en poussant des hurlements,
l’étendit sur Pie-Borgne, l’y attacha, et enfourcha lui-même la
bête, qui, pliant sous le fardeau, repartit à pas comptés, tandis
que le baron de Saint-Quentin criait :
« Au galop ! Ventre à terre ! »
Et que le capitaine, tranquillement, armait un petit jouet
d’enfant et le braquait sur l’infâme ravisseur.
La capsule claqua. Saint-Quentin dégringola, et la gitane,
transportée de reconnaissance pour son sauveur, le couvrit de
baisers.
Il y eut d’autres scènes auxquelles Castor et Pollux prirent
part. Toutes procédaient de ce même esprit de charge. Toutes
étaient la caricature, vraiment bouffonne, de ce qui nous divertit
ou nous captive, et révélaient une imagination vive, une observation
primesautière, un sens du pittoresque et du ridicule.
« Capitaine Montfaucon, prenez un sac et faites la quête.
Castor et Pollux, un roulement de tambour afin d’accompagner
le bruit de l’or qui cascade. Baron de Saint-Quentin, beware of
pick-pockets ! »
Le capitaine traîna parmi la foule un énorme sac où
s’engouffraient les sous et les billets crasseux et, du haut de la
roulotte, Dorothée prononça des paroles d’adieu :
– 32 –
« Merci et merci encore, agriculteurs et citadins ! C’est avec
regret que nous quittons votre généreuse localité. Mais avant de
partir, nous tenons à vous apprendre que Mlle Dorothée (elle
salua) n’est pas seulement une directrice de cirque et une exhibitionniste
de premier ordre. Mlle Dorothée (elle salua) fait
preuve également du mérite le plus rare dans le domaine de la
clairvoyance et de la suprasensibilité. Les lignes de la main, les
cartes, le marc de café, la graphologie et l’astrologie n’ont pas de
secrets pour elle. Elle dissipe les ténèbres. Elle déchiffre les
énigmes. Avec sa baguette magique, elle fait jaillir les sources
invisibles et, en particulier, elle découvre dans les endroits les
plus insondables, sous les pierres des vieux châteaux, et au fond
d’oubliettes inconnues, des trésors fantastiques dont personne
ne soupçonnait l’existence. À bon entendeur, salut ! C’est pour
avoir l’honneur de vous remercier. »
Elle descendit rapidement. Déjà les trois garçons emballaient
les accessoires.
Saint-Quentin s’approcha.
« Nous filons, hein ! et presto ! Les gendarmes ne m’ont
pas quitté de l’oeil. »
Elle répondit :
« Tu n’as donc pas écouté la fin de mon speech ?
– Et après ?
– Après ? Eh bien ! les consultations vont commencer. Dorothée,
voyante extra lucide… Tiens, voici des clients… Le gentilhomme
et le type en velours… Il me plaît, le type en velours. Il
est très poli, et il a des guêtres en cuir fauve qui n’ont aucune
prétention. Un gentleman-farmer accompli. »
– 33 –
Le gentilhomme barbu était hors de lui. Il couvrit la jeune
fille de compliments excessifs, tout en la dévisageant d’une façon
gênante, se présenta : « Maxime d’Estreicher », présenta
son compagnon « Raoul Davernoie », et, enfin, invita Dorothée,
de la part de la comtesse Octave, à prendre le thé.
– Seule ? demanda-t-elle.
– Certes non, protesta Raoul Davernoie qui s’inclina avec
courtoisie. Notre cousine tient à féliciter tous vos camarades.
C’est entendu, mademoiselle ? »
Dorothée promit. Le temps de faire un peu de toilette, et
elle se rendrait au château.
« Non, non, pas de toilette ! s’écria d’Estreicher. Telle que
vous êtes… Ce costume un peu débraillé vous va à ravir. Ce que
vous êtes jolie comme ça ! »
Dorothée rougit, et d’un ton sec :
« Pas de compliments, monsieur, je vous en prie.
– Ce n’est pas un compliment, mademoiselle, dit-il avec
une nuance d’ironie, c’est l’hommage naturel que l’on doit à la
beauté. »
Il s’éloigna, entraînant Raoul Davernoie.
« Saint-Quentin, murmura Dorothée, qui les suivait du regard,
méfie-toi de ce monsieur-là.
– Pourquoi ?
– 34 –
– C’est l’homme à la blouse qui, ce matin, a failli te descendre
d’un coup de fusil. »
Saint-Quentin chancela, comme s’il avait reçu le coup de
fusil.
« Tu es sûre ?
– À peu près. C’est la même façon de marcher, en traînant
un peu la jambe droite. »
Il marmotta :
« Il m’a reconnu ?
– Je le crois. Dès qu’il t’a vu gambader pendant la représentation,
il s’est souvenu du diable noir qui faisait l’acrobate
contre la paroi de la falaise. Et, de toi, il a passé à moi, qui lui
avais rabattu sa dalle sur la tête. J’ai vu tout cela dans ses yeux,
et dans son attitude, cet après-midi. Rien que sa manière de me
parler… d’un petit air goguenard. »
Saint-Quentin s’exaspéra :
« Et nous ne partons pas ! Tu oses rester !
– J’ose.
– Mais cet homme ?
– Il ne sait pas que je l’ai démasqué, et tant qu’il ne le saura
pas…
– De sorte que tes intentions ?…
– 35 –
– Très nettes. Leur dire la bonne aventure, les amuser et
les intriguer.
– Dans quel but ?
– Dans le but de les faire parler à leur tour.
– Sur quoi ?
– Sur ce que je veux savoir.
– Mais, à quel sujet ?
– Je n’en sais rien. C’est à eux de me l’apprendre.
– Et si on découvre le vol ? Si on nous interroge ?
– Saint-Quentin, prends le fusil de bois du capitaine,
monte la garde devant la roulotte, et, lorsque les gendarmes approcheront,
tire dessus, mon vieux ! »
Sa toilette achevée, elle emmena Saint-Quentin vers le château,
tout en lui faisant raconter tous les détails de son expédition
nocturne. Derrière eux marchaient Castor et Pollux, puis le
capitaine, qui tirait par une ficelle un petit chariot d’enfant encombré
de colis minuscules.
On leur fit fête dans le grand salon du château. La comtesse,
qui était bien, ainsi que Dorothée l’avait dit, une femme
aimable et douce autant que jolie et séduisante, bourra les enfants
de friandises, et se montra pleine de prévenances envers la
jeune fille. Celle-ci ne semblait pas plus embarrassée près de ses
hôtes qu’elle ne l’était sur sa roulotte. Elle avait simplement caché
sa jupe courte et son corsage sous un grand châle noir serré
à la taille par une ceinture. L’aisance de ses manières, la distinc–
36 –
tion de sa voix, son langage correct auquel, parfois, un terme
d’argot ajoutait de la saveur, son allégresse, l’intelligence de ses
yeux brillants, tout émerveillait la comtesse et ravissait les trois
hommes.
« Mademoiselle, s’écria d’Estreicher, si vous prédisez
l’avenir, je puis vous assurer que, moi aussi, j’y vois clair, et que
votre fortune est certaine. Ah ! si vous vouliez vous en remettre
à moi et que je vous pilote à Paris ! J’ai des relations dans tous
les mondes, et je vous garantis le succès. »
Elle hocha la tête :
« Je n’ai besoin de personne.
– Mademoiselle, dit-il, avouez que je ne vous suis pas sympathique.
– Ni sympathique ni antipathique. Je ne vous connais pas.
– Si vous me connaissiez, vous auriez confiance en moi.
– Je ne crois pas, dit-elle.
– Pourquoi ? »
Elle lui prit la main, la retourna, se pencha sur la paume
ouverte, et, tout en l’examinant, articula :
« Débauche… Esprit de lucre… Pas de conscience…
– Mais je proteste, mademoiselle ! pas de conscience, moi !
Moi qui suis plein de scrupules !
– Votre main dit le contraire, monsieur.
– 37 –
– Dit-elle aussi que je n’ai pas de chance ?
– Aucune.
– Comment ! Je ne serai jamais riche ?
– Je le crains.
– Bigre !… Et ma mort ? Lointaine ?
– Pas trop.
– Une mort douloureuse ?
– Quelques secondes.
– Donc un accident ?
– Oui.
– De quelle sorte ? »
Elle désigna du doigt :
« Regardez ici, au bas de l’index.
– Qu’y a-t-il ?
– Une potence. »
Il y eut un accès de rire. D’Estreicher était enchanté et le
comte Octave applaudit.
« Bravo, mademoiselle, la potence pour ce vieux libertin, il
faut vraiment que vous ayez le don de double vue. Aussi je
n’hésiterai pas… »
– 38 –
Il consulta sa femme du regard, et continua :
« Aussi je n’hésiterai pas à vous dire…
– À me dire, acheva Dorothée malicieusement, les raisons
pour lesquelles vous m’avez convoquée. »
Le comte protesta :
« Mais pas du tout, mademoiselle. En vous invitant, nous
avions seulement le désir de vous voir.
– Et peut-être un peu le désir de faire appel à mes talents
de sorcière. »
La comtesse Octave intervint :
« Eh bien, oui, mademoiselle, votre annonce finale a éveillé
notre curiosité. Je vous avouerai d’ailleurs que nous ne croyons
guère à ces choses-là, et que c’est plutôt par curiosité que nous
voudrions vous poser quelques questions.
– Si vous ne croyez pas à mes petits talents, madame, nous
les laisserons de côté, et je ferai quand même en sorte que votre
curiosité soit satisfaite.
– Par quel moyen ?
– En réfléchissant tout simplement à vos paroles.
– Comment ! fit la comtesse, pas de passes magnétiques ?
pas de sommeil hypnotique ?
– Non, madame, du moins pour l’instant. Plus tard, nous
verrons. »
– 39 –
Ne gardant que Saint-Quentin auprès d’elle, Dorothée enjoignit
aux enfants de jouer dehors. Puis elle s’assit et dit :
« Je vous écoute, madame.
– Comme ça ? sans plus de manières ?
– Sans plus de manières.
– Voici, mademoiselle. »
Et la comtesse prononça, d’un ton de légèreté qui n’était
peut-être pas absolument sincère :
« Voici. Vous avez parlé, mademoiselle, d’oubliettes inconnues,
de vieilles pierres et de trésors cachés. Or, le château de
Roborey date de plusieurs siècles, il a sans doute été le théâtre
d’aventures et de drames, et cela nous amuserait de savoir si
quelqu’un de ses habitants n’aurait pas laissé, par hasard, dans
un petit coin, un de ces trésors fabuleux auxquels vous faisiez
allusion. »
Dorothée garda le silence assez longtemps, puis elle dit :
« Je réponds toujours avec d’autant plus de précision que
l’on me témoigne plus de confiance. Si l’on y met des réserves, si
la question n’est pas faite comme elle doit l’être…
– Quelles réserves ? Je vous assure, mademoiselle… »
La jeune fille insista :
« Vous m’avez interrogée, madame, comme si vous cédiez à
une curiosité soudaine, ne reposant, pour ainsi dire, sur aucune
– 40 –
base réelle. Or, vous savez comme moi que des fouilles ont été
faites dans le château.
– Cela est fort possible, dit le comte Octave, mais, en ce
cas, cela remonterait à des dizaines d’années, du temps de mon
père ou de mon grand-père.
– Ce sont des fouilles récentes, affirma Dorothée.
– Mais nous n’habitons le château que depuis un mois !
– Il ne s’agit pas de mois, mais de quelques journées… de
quelques heures… »
Vivement la comtesse déclara :
« Je vous certifie, mademoiselle, que nous n’avons pas fait
la moindre recherche.
– C’est alors que les recherches ont été faites par d’autres
que par vous.
– Par qui ? Et dans quelles conditions ? Et à quel endroit
? »
Un nouveau silence, et Dorothée reprit :
« Vous m’excuserez, madame, si je me suis occupée
d’affaires qui ne semblent pas me concerner. C’est un de mes
défauts. Saint-Quentin me le dit souvent : « Avec ta manie de
fouiner et de te faufiler partout, tu t’attireras des désagréments.
» Toujours est-il qu’en arrivant ici, comme nous devions
attendre l’heure de la représentation, je me suis promenée, j’ai
flâné de droite et de gauche, j’ai observé et, en fin de compte, j’ai
fait un certain nombre de remarques qui, je m’en aperçois, ont
quelque importance. Ainsi… »
– 41 –
Le comte et ses invités se regardèrent, avides de l’entendre.
Elle poursuivit :
– Ainsi, en examinant, et en admirant la belle fontaine ancienne
qui se trouve dans la cour d’honneur, j’ai pu constater
que, tout autour, des coupures ont été pratiquées sous le bassin
de marbre qui recueille les eaux. L’exploration a-t-elle été fructueuse
? Je l’ignore. En tout cas, les terres ont été remises en
place avec soin, mais pas assez bien cependant pour qu’on ne
puisse voir le gonflement du sol. »
Le comte et ses invités se regardèrent encore avec étonnement.
L’un d’eux objecta :
« Peut-être a-t-on réparé le bassin ?… ou construit des canalisations
?…
– Non, dit la comtesse d’un ton péremptoire, on n’a pas
touché à cette fontaine. Et, sans doute, mademoiselle a relevé
d’autres traces de même nature, n’est-ce pas ?
– Oui, déclara Dorothée, le même travail a été effectué un
peu plus loin, au-dessous du piédestal de rocaille qui soutient le
cadran solaire. Là, en outre, on a opéré des sondages à travers
ces rocailles. Une tige de fer a été cassée. Elle y est encore.
– Mais pourquoi ? s’écria la comtesse avec agitation. Pourquoi
ces deux endroits plutôt que d’autres ? Que cherche-t-on ?
Que veut-on ? Avez-vous un indice ? »
La réponse ne se fit pas attendre, et Dorothée la formula
lentement, comme pour bien montrer que c’était là le point essentiel
de son enquête :
– 42 –
« Le motif de ces investigations est inscrit dans le marbre
de la fontaine. Vous la voyez d’ici ? Des sirènes entourent une
colonne à chapiteau, n’est-ce pas ? Eh bien, l’une des faces de ce
chapiteau porte des lettres… des lettres presque effacées…
– Mais nous ne les avons jamais vues ! s’écria la comtesse.
– Elles existent, affirma la jeune fille. Elles sont usées et se
confondent avec les cicatrices du marbre. Cependant, il y a un
mot… un mot tout entier… qu’on peut reconstituer, et qu’on lit
aisément dès qu’il vous est apparu.
– Lequel ?
– Le mot : Fortuna. »
Les trois syllabes se prolongèrent dans un silence stupéfait.
Le comte les répéta, entre ses dents, le regard fixé sur Dorothée,
qui reprit :
« Oui, le mot Fortuna. Et ce mot, on le retrouve aussi sur la
colonne du cadran solaire. Plus effacé encore, au point qu’on le
devine plutôt qu’on ne le lit. Mais il y est bien. Chaque lettre est
à sa place. Aucun doute possible. »
Le comte n’avait pas attendu qu’elle eût fini de parler. Déjà
il était dehors, et, par les fenêtres ouvertes, on le voyait courir
vers la fontaine. Il n’y jeta qu’un coup d’oeil, passa devant le cadran,
et revint en hâte.
« Tout ce que dit mademoiselle est l’exacte vérité. On a
fouillé aux deux endroits… et le mot Fortuna, que j’ai vu aussitôt
et que je n’avais jamais discerné, donne la raison des fouilles…
On a cherché… et on a trouvé peut-être…
– Non, déclara la jeune fille calmement.
– 43 –
– Pourquoi dites-vous non ? Qu’en savez-vous ? »
Elle hésita. Ses yeux rencontrèrent ceux de d’Estreicher. Il
savait maintenant, sans aucun doute, qu’il était démasqué, et il
commençait à comprendre où la jeune fille voulait en venir.
Mais oserait-elle aller jusqu’au bout et engager la lutte ? Et puis
quelle était la raison de cette lutte imprévue ?
Il la défia du regard, et il répéta la question de
Mme de Chagny :
« Oui, pourquoi dites-vous qu’on n’a rien trouvé ? »
Hardiment, Dorothée releva le défi :
« Parce que les fouilles ont continué. Il y a dans le ravin,
sous les murs du château, parmi les pierres qui ont dégringolé
de la falaise, une ancienne dalle qui provient certainement de
quelque construction démolie. Le mot Fortuna s’y déchiffre également
à la base. Qu’on écarte cette dalle, et l’on découvrira une
excavation toute fraîche, et des traces de pas qui ont été brouillées
avec la main. »

 
 

 

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Chapitre III


Extralucide…




Ce dernier coup acheva de troubler M. et Mme de Chagny,
qui se concertèrent à voix basse, pendant un moment, avec leurs
cousins d’Estreicher et Raoul Davernoie.
Saint-Quentin, en entendant évoquer les événements du
ravin, de la cachette de l’homme à la blouse, s’était effondré
parmi les coussins d’une vaste bergère. Dorothée devenait folle !
Indiquer la piste de l’homme à la blouse, c’était indiquer leur
piste à eux, Dorothée et Saint-Quentin. Quelle imprudence !
Elle, cependant, au milieu de l’agitation et de l’inquiétude,
demeurait fort paisible. Elle semblait suivre une route bien définie
et marcher vers un but clair, alors que les autres, sous sa
conduite, trébuchaient et s’effaraient.
« Mademoiselle, reprit la comtesse, vos révélations nous
ont singulièrement émus. Elles montrent à quel point vous êtes
perspicace et je ne saurais trop vous remercier de nous avoir
avertis.
– Vous m’avez accueillie si gentiment, madame, réponditelle,
que je suis heureuse si j’ai pu vous rendre service.
– Un véritable service, reconnut la comtesse, et que je vous
demande de compléter.
– Comment ?
– 45 –
– En nous disant ce que vous savez.
– Je ne sais rien de plus.
– Mais vous pouvez peut-être savoir plus ?
– De quelle façon ? »
La comtesse sourit :
« Grâce à ces petits talents de sorcière dont vous parliez
tout à l’heure.
– Et auxquels vous ne croyez pas, madame.
– Et auxquels je suis toute prête à croire maintenant. »
Dorothée s’inclina.
« Je veux bien… Mais ce sont là des expériences qui ne réussissent
pas toujours.
– Essayons.
– Soit. Essayons. Mais je vous demande l’indulgence. »
Elle prit dans la poche de Saint-Quentin un foulard et le
mit en bandeau sur ses yeux.
« Extralucide, à condition d’être aveugle, dit-elle. Moins j’y
vois, et plus je vois. »
Et elle ajouta sérieusement :
– 46 –
« Posez-moi des questions, madame. J’y répondrai de mon
mieux.
– Tout en restant à l’état de veille ?
– Oui. »
Elle appuya ses deux coudes sur une table et serra son front
entre ses deux mains. La comtesse lui demanda aussitôt :
« Qui a creusé ? Qui pratiquait des fouilles sous la fontaine
et sous le cadran solaire ? »
Une minute s’écoula. On eut l’impression que la jeune fille
se concentrait en elle-même et se détachait de tout ce qui
l’environnait. À la fin, elle articula, d’une voix réfléchie qui
n’empruntait rien aux accents d’une pythonisse ou d’une somnambule
:
« Je n’aperçois rien sur l’esplanade. De ce côté cela doit déjà
remonter à plusieurs jours, et tout est recouvert. Mais dans le
ravin…
– Dans le ravin ? fit la comtesse.
– La dalle est debout, et un homme creuse à l’aide d’une
pelle.
– Un homme ? Lequel ? son signalement ?
– Il a une blouse très longue…
– Mais la figure ?…
– La figure est entourée d’un cache-nez qui passe pardessus
une casquette aux bords rabattus… On ne voit même pas
– 47 –
les yeux. Quand il a cessé de travailler, il fait retomber la dalle et
il emporte la pelle.
– Pas autre chose ?
– Non. Il n’a rien trouvé.
– Vous en êtes certaine ?
– Absolument certaine.
– Et quel chemin suit-il ?
– Il remonte le ravin… Il arrive devant la grille du château.
– Mais elle est fermée !
– Il en a la clef. Il entre… C’est le matin… Personne n’est
encore levé… Il se dirige vers l’orangerie… Il y a là une petite
pièce…
– Oui, où le jardinier range ses instruments.
– L’homme s’y débarrasse de la pelle, enlève sa blouse et
l’accroche à un clou du mur.
– Mais ce ne peut être le jardinier ! s’écria la comtesse. Le
visage ?… vous voyez le visage ?
– Non… non… il reste enveloppé…
– Mais les vêtements ?…
– Les vêtements ?… Je ne me rends pas bien compte… il
s’éloigne… il disparaît. »
– 48 –
La jeune fille s’interrompit, comme si toute son attention
se fixait sur quelqu’un dont la silhouette s’estompait et se perdait
dans l’ombre ainsi qu’un fantôme.
« Je ne le vois plus, dit-elle… je ne vois plus rien. Ah ! si, le
perron du château… La porte se referme doucement… Et puis…
et puis un escalier… un long corridor à peine éclairé par de petites
fenêtres… Cependant je distingue des gravures… des chevaux
qui galopent… des chasseurs en habit rouge… Ah !
l’homme… l’homme est là, agenouillé, devant une porte… il
trouve la serrure… Il entre…
– Un domestique, sûrement… fit la comtesse d’une voix
sourde… Et c’est une chambre du premier étage, puisqu’il y a
des gravures dans le couloir. Comment est-elle, cette chambre ?
– Les volets sont clos. L’homme a allumé sa lampe de poche,
et il cherche autour de lui… Sur la cheminée un calendrier…
C’est aujourd’hui, mercredi… Et une pendule empire à colonnes
dorées…
– La pendule de mon boudoir, murmura la comtesse.
– Elle marque cinq heures trois quarts… La lumière de la
lampe est aussitôt projetée à l’opposé, sur un meuble d’acajou à
deux battants. L’homme ouvre ces deux battants, et démasque
un coffre-fort. »
On écoutait Dorothée, dans un silence anxieux. L’émotion
contractait les figures. Comment n’eût-on pas ajouté foi à toute
cette vision que décrivait la jeune fille, alors qu’elle n’avait jamais
pénétré dans le château, jamais franchi le seuil de ce boudoir,
et que, néanmoins, elle évoquait les choses même qui eussent
dû lui être inconnues ?
Bouleversée, la comtesse articula :
– 49 –
« Le coffre-fort était fermé… j’en suis certaine… j’ai fermé
après avoir rangé mes bijoux… j’entends encore le bruit du battant
qui claque…
– Fermé, oui. Mais la clef est dessus.
– Qu’importe ! j’avais brouillé les lettres de la serrure.
– Non, puisque la clef tourne.
– Impossible !
– La clef tourne. Je vois les trois lettres.
– Les trois lettres ! Vous les voyez ?
– Nettement. Un R, un O et un B, c’est-à-dire les trois premières
lettres du mot Roborey. Le coffre est ouvert. Il y a une
cassette. La main de l’homme fouille… et prend…
– Quoi ? quoi ? Qu’est-ce qu’il a pris ?
– Deux boucles d’oreilles.
– Deux saphirs, n’est-ce pas ? Deux saphirs ?…
– Oui, madame, deux saphirs. »
Très inquiète, les mouvements saccadés, la comtesse sortit
rapidement, suivie de son mari et de Raoul Davernoie. Et Dorothée
entendit le comte Octave qui disait :
« Si c’est vrai, vous avouerez, Davernoie, que ce cas de divination
serait bien étrange.
– 50 –
– Bien étrange, en effet », répéta d’Estreicher, qui les accompagnait
aussi, mais qui referma la porte sur eux et refit
quelques pas dans le salon, avec l’intention évidente de parler à
la jeune fille.
Dorothée s’était débarrassée de son foulard et se frottait les
yeux comme quelqu’un qui sort des ténèbres. Le gentilhomme
barbu et elle se regardèrent un instant tous les deux. Puis, après
une hésitation, il reprit la direction de la porte. Mais là, de nouveau,
il se ravisa et, tourné vers Dorothée, il caressa longuement
sa barbe épaisse, et à la fin, laissa échapper un petit ricanement
joyeux.
Dorothée qui n’était jamais en reste quand il s’agissait de
rire, fit comme le gentilhomme barbu.
« Vous riez ? dit-il.
– Je ris parce que vous riez. Mais j’ignore la raison de votre
gaîté. Puis-je la connaître ?
– Certainement, mademoiselle. Moi, je ris parce que je
trouve cela très amusant.
– Qu’est-ce qui est très amusant ? »
D’Estreicher fit encore deux ou trois pas en avant, et répliqua
:
« Ce qui est très amusant, c’est l’idée de confondre en un
seul et même personnage l’individu qui a creusé sous la dalle et
cet autre individu qui a pénétré cette nuit dans le château et volé
les bijoux.
– C’est-à-dire ? interrogea la jeune fille.
– 51 –
– C’est-à-dire, pour être plus précis encore, l’idée de mettre
d’avance le vol commis par le sieur Saint-Quentin…
– Sur le dos du sieur d’Estreicher », acheva Dorothée.
Le gentilhomme barbu réprima une grimace, mais ne protesta
point. Il s’inclina :
« C’est cela même. Autant jouer cartes sur table, n’est-cepas
? vous n’êtes pas, et je ne suis pas de ceux qui ont des yeux
pour ne pas voir. Et si j’ai vu une silhouette noire se glisser,
cette nuit, par une fenêtre, vous avez vu, vous…
– Un monsieur qui recevait une dalle sur la tête.
– Parfaitement. Et je le répète : c’est très fort à vous de
chercher à les identifier l’un à l’autre. Très fort… et très dangereux.
– Dangereux en quoi ?
– En ce sens que toute attaque entraîne une riposte.
– Je n’ai pas encore attaqué. Mais j’ai voulu montrer que
j’étais prête à tout.
– Même à m’attribuer le vol de ces deux boucles d’oreilles ?
– Peut-être.
– Oh ! oh ! il faut donc que je me hâte de prouver qu’elles
sont entre vos mains ?
– Hâtez-vous. »
– 52 –
Une fois encore il s’arrêta au seuil de la porte et dit :
« Nous sommes donc ennemis ? Pourquoi ? vous ne me
connaissez pas.
– Je n’ai pas besoin de vous connaître pour savoir qui vous
êtes.
– Comment, ce que je suis ? Je suis le chevalier Maxime
d’Estreicher.
– Possible. Mais vous êtes aussi le monsieur qui, furtivement,
à l’insu de ses cousins, cherche… ce qu’il n’a pas le droit
de chercher. Dans quel but, sinon pour le dérober ?
– Et cela vous regarde ?
– Oui.
– À quel titre ?
– Vous ne tarderez pas à le savoir. »
Il eut un geste. Colère ou mépris ? Mais il se contint et mâchonna
:
« Tant pis pour vous, et tant pis pour Saint-Quentin. À tout
à l’heure ! »
Sans un mot de plus, il salua et se retira.
Chose bizarre, dans cette sorte de duel brutal et violent,
Dorothée avait gardé un tel sang-froid que, la porte à peine refermée,
obéissant à ses instincts de gaminerie, elle lança un pied
de nez et fit quelques pirouettes. Puis, *******e d’elle-même et
– 53 –
des événements, elle ouvrit une vitrine, prit un flacon de sels et
s’approcha de Saint-Quentin, qui gisait au fond de sa bergère.
« Respire, mon vieux. »
Il renifla, se mit à éternuer et bredouilla :
« Nous sommes perdus.
– Tu en as de bonnes, Saint-Quentin. Pourquoi veux-tu que
nous soyons perdus ?
– Il va nous dénoncer.
– Certes, il va aiguiller les recherches contre nous. Mais
nous dénoncer, dire ce qu’il a vu ce matin, il n’osera pas. Sinon,
je dis, moi, ce que j’ai vu.
– Tout de même, Dorothée, ce n’était pas la peine de révéler
la disparition des bijoux.
– On aurait toujours bien fini par s’en apercevoir. Le fait
d’en parler la première détourne les soupçons.
– Ou les attire sur nous, Dorothée.
– En ce cas, j’accuse le gentilhomme barbu.
– Il faut des preuves.
– J’en aurai.
– Comme tu le détestes !
– Non, mais je veux le perdre. C’est un homme dangereux,
Saint-Quentin. J’en ai l’intuition, et tu sais que je ne me trompe
– 54 –
guère. Il a tous les vices. Il est capable de tout. Il trahit ses cousins
de Chagny. Je veux les en débarrasser par n’importe quel
moyen. »
Saint-Quentin essaya de se rassurer.
« Tu es étonnante. Tu combines, tu calcules, tu agis, tu
prévois. On sent que tu te diriges d’après un plan.
– D’après rien du tout, mon garçon. Je marche à l’aventure,
et je me décide au petit bonheur.
– Cependant…
– J’ai un but précis, voilà tout. Quatre personnes sont en
face de moi, qui, cela n’est pas douteux, sont réunies par un secret
commun. Or, le mot de « Roborey », prononcé par mon
père en mourant, me donne le droit de rechercher si lui-même
ne faisait pas partie de ce groupe, et si, en conséquence, sa fille
n’est pas qualifiée pour prendre sa place. Jusqu’ici, les quatre
personnes se tiennent les coudes et me repoussent. J’ai beau
tenter l’impossible pour obtenir leur confiance d’abord, et ensuite
leurs confidences, je n’aboutis à rien. Mais je réussirai. »
Elle frappa du pied, avec une brusquerie où s’affirmaient
soudain toute l’énergie et toute la décision qui animaient cette
souriante et mignonne créature, et elle répéta :
« Je réussirai, Saint-Quentin, je te le jure. Je ne suis pas au
bout de mes révélations, et il y en a une qui les décidera peutêtre
à plus d’abandon.
– Laquelle, Dorothée ?
– Je m’entends, mon garçon. »
– 55 –
Elle se tut. Son regard s’en allait par la fenêtre ouverte près
de laquelle Castor et Pollux se battaient. Des bruits de pas précipités
résonnaient dans le château. Il y eut des exclamations.
Un domestique traversa la cour à toute allure et ferma les grilles,
ce qui laissa dans l’enceinte une petite partie de la foule et
trois ou quatre roulottes, dont celle du cirque Dorothée.
« Les gendarmes… les gendarmes… bégaya Saint-Quentin.
Ils sont là-bas… Ils visitent la baraque du tir.
– Et d’Estreicher est avec eux, observa la jeune fille.
– Oh ! Dorothée, qu’as-tu fait ?…
– Tout m’est égal, dit-elle imperturbable. Ces gens-là ont
un secret, qui m’appartient peut-être autant qu’à eux. Je veux le
connaître. L’agitation, les coups de théâtre, tout cela travaille en
ma faveur.
– Cependant…
– Flûte, Saint-Quentin. Ma vie se décide aujourd’hui. Au
lieu de trembler, réjouis-toi… Un fox-trot, mon vieux. »
Elle le saisit à la taille, le dressa comme un mannequin aux
jambes molles, et le contraignit à tournoyer. Escaladant la fenêtre,
Castor et Pollux, que suivait le capitaine Montfaucon, entourèrent
le couple, et se mirent à danser en chantant l’air de la
Capucine, dans le salon d’abord, puis à travers le large vestibule.
Mais une nouvelle défaillance de Saint-Quentin coupa l’élan des
danseurs. Dorothée s’impatienta.
« Qu’est-ce que tu as encore ? » lui demanda-t-elle en tâchant
de le relever et de le faire tenir debout.
Il bégaya :
– 56 –
« J’ai peur… j’ai peur…
– Mais enfin, quoi ! Je ne t’ai jamais vu aussi poltron.
Qu’est-ce que tu crains ?…
– Les bijoux…
– Imbécile ! puisque tu les as jetés dans le massif…
– Non.
– Tu ne les as pas jetés ?
– Non.
– Mais alors, où sont-ils ?
– Je ne sais pas. Je les ai cherchés dans la corbeille, selon
tes instructions, là où je les avais mis moi-même. Ils n’y étaient
plus. La petite boîte de carton avait disparu. »
À mesure qu’il s’expliquait, Dorothée devenait plus sérieuse.
Le danger lui apparaissait brusquement.
« Pourquoi ne m’as-tu pas avertie ? je n’aurais pas agi
comme je l’ai fait.
– Je n’ai pas osé. Je ne voulais pas te donner du tourment.
– Ah ! Saint-Quentin, tu as eu bien tort, mon garçon. »
Elle ne lui fit pas d’autres reproches et repartit :
« Qu’est-ce que tu supposes ?
– 57 –
– Je suppose que je me suis trompé, que je n’ai pas mis les
boucles dans la corbeille… mais ailleurs… dans un autre endroit
de la roulotte… j’ai recherché partout vainement. Mais eux, ils
trouveront, eux, les gendarmes… »
La jeune fille était atterrée. Les boucles d’oreilles en sa possession,
le vol dûment constaté, c’était l’arrestation, la prison.
« Abandonne-moi, gémissait Saint-Quentin… je ne suis
qu’un imbécile… un criminel… N’essaye pas de me sauver… Rejette
tout sur moi, puisque c’est la vérité. »
À ce moment, au seuil du vestibule, se dressa l’uniforme
d’un brigadier de gendarmerie que guidait un domestique du
château.
« Pas un mot, murmura Dorothée. Je te défends de prononcer
une seule parole. »
Le brigadier s’avança :
« Mademoiselle Dorothée…
– C’est moi, brigadier. Que désirez-vous ?
– Suivez-moi, il serait nécessaire… »
Il fut interrompu par l’arrivée de la comtesse Octave, qui
accourait en compagnie de son mari et de Raoul Davernoie.
« Non, non, brigadier, criait-elle, je m’oppose absolument à
tout ce qui pourrait paraître un acte de défiance à l’égard de
mademoiselle. Il y a là un malentendu. »
Raoul Davernoie protestait aussi. Mais le comte Octave
prononça :
– 58 –
« Remarquez, chère amie, que c’est une simple formalité,
une mesure générale que le brigadier est obligé de prendre. Un
vol a été commis ? Par conséquent, il est juste que l’enquête se
poursuive auprès de toutes les personnes…
– Mais c’est mademoiselle qui nous l’a révélé, ce vol. C’est
elle qui, depuis une heure, nous prévient de tout ce qui se trame
contre nous.
– Pourquoi ne pas l’interroger, comme tout le monde ?
Ainsi que d’Estreicher le disait tout à l’heure, il se peut que vos
boucles d’oreilles n’aient pas été prises dans votre coffre-fort. Il
se peut que vous les ayez mises aujourd’hui à vos oreilles machinalement,
et ensuite perdues dehors… où quelqu’un les aura
ramassées… »
Le brigadier, un brave homme, qui semblait fort ennuyé de
voir que le comte et la comtesse ne s’accordaient pas, ne savait
que faire. Dorothée le tira d’embarras.
« Je vous approuve, monsieur le comte. Mon rôle peut vous
paraître suspect, et l’on a le droit de se demander comment je
connais le mot du coffre, et si mes talents de sorcière suffisent à
expliquer ma clairvoyance. Il n’y a donc aucun motif pour qu’on
fasse une exception en ma faveur. »
Elle se courba devant la comtesse, dont elle embrassa doucement
la main :
« N’assistez pas aux recherches, madame. Ce n’est pas très
joli. Pour moi, c’est un des risques que nous courons, nous autres
saltimbanques. Mais cela vous ferait de la peine. Seulement
je vous demanderai, pour des raisons que vous comprendrez
tout à l’heure, de nous rejoindre quand on m’interrogera…
– 59 –
– Je vous le promets.
– À vos ordres, brigadier. »
Elle partit avec ses quatre compagnons et avec le brigadier
de gendarmerie. Saint-Quentin avait l’air d’un condamné que
l’on mène à l’échafaud. Le capitaine Montfaucon, les mains dans
ses poches, une ficelle autour du poignet, traînait son chariot de
colis et sifflait une chanson américaine, en garçon qui sait que
toutes ces petites histoires-là finissent toujours bien.
Au bout de la cour, les derniers paysans s’en allaient par la
grille ouverte, près de laquelle se trouvait le garde champêtre.
Les forains étaient rassemblés autour de leurs baraques, et dans
l’orangerie où le second gendarme examinait leurs papiers.
En arrivant devant sa roulotte, Dorothée aperçut
d’Estreicher qui causait avec deux domestiques.
« C’est donc vous, monsieur, fit-elle gaîment, qui dirigez les
recherches ?
– Ma foi oui, mademoiselle… dans votre intérêt, répliqua-til
sur le même ton.
– Alors, je ne doute pas du résultat. »
Et s’adressant au brigadier :
« Aucune clef à vous donner. Le cirque Dorothée n’a pas de
serrures. Tout est ouvert. Rien dans les mains, rien dans les poches.
»
Le brigadier ne semblait pas aimer beaucoup cette besogne.
Mais les deux domestiques s’y employèrent de leur mieux,
et d’Estreicher ne se gênait pas pour les conseiller.
– 60 –
« Excusez-moi, mademoiselle, dit-il à la jeune fille, en la
prenant à part. J’estime qu’on ne doit rien épargner pour vous
mettre hors de cause.
– C’est grave, dit-elle avec ironie.
– En quoi ?
– Dame ! Souvenez-vous de notre conversation. Il y a un
coupable : si ce n’est pas moi, c’est vous. »
Il fallait que d’Estreicher considérât la jeune fille comme
un adversaire redoutable et qu’il craignît ses menaces, car, tout
en restant très aimable, galant même, et tout en échangeant
avec elle des plaisanteries, il fut acharné dans ses investigations.
Sur un signe de lui, les domestiques descendirent les paniers et
les caisses, et sortirent de pauvres hardes avec quoi formaient
contraste, par leurs couleurs éclatantes, les foulards et les châles
dont la jeune fille aimait à s’embellir.
On ne trouva rien.
On scruta les parois et le plafond de la roulotte, les matelas,
les harnais de Pie-Borgne, le sac d’avoine, les provisions. Rien.
On fouilla les quatre garçons. Une femme de chambre palpa
les vêtements de Dorothée. Recherches inutiles. Les boucles
d’oreilles demeurèrent introuvables.
« Et cela ? » fit-il en désignant la vaste corbeille encombrée
d’ustensiles sans valeur qui se balançait sous la voiture.
D’un coup de pied furtif sur les chevilles, Dorothée redressa
Saint-Quentin qui titubait.
– 61 –
« Sauvons-nous, bégaya-t-il.
– T’es bête. Puisque les boucles n’y sont plus.
– J’ai pu me tromper.
– T’es bête. On ne se trompe pas dans ces cas-là.
– Alors, où se trouve le carton ?
– Tu as donc les yeux bouchés ?
– Tu le vois, toi ?
– Si je le vois ! Comme ton nez au milieu de ton visage.
– Dans la voiture ?
– Non.
– Où ?
– Par terre, à dix pas de toi, entre les jambes du barbu. »
Elle désignait du regard le chariot du capitaine Montfaucon
que l’enfant avait abandonné pour jouer avec une toupie, et
dont les petits colis, valises, malles en miniature, ballots ficelés,
gisaient sur le sol, contre les talons de d’Estreicher.
Un de ces colis n’était autre que la boîte en carton qui
contenait les boucles, et que le capitaine Montfaucon avait ajoutée,
l’après-midi, à ce qu’il appelait son matériel de traction.
En livrant sa découverte imprévue à Saint-Quentin, Dorothée,
qui ne soupçonnait pas la subtilité et la puissance d’observation
de l’homme qu’elle combattait, commit une imprudence
– 62 –
irréparable. Ce n’était point la jeune fille que d’Estreicher épiait
à l’abri de ses lunettes, mais son camarade Saint-Quentin, dont
il avait remarqué bien vite les inquiétudes et les défaillances.
Dorothée, elle, demeurait impassible. Mais Saint-Quentin ne
finirait-il pas par trahir quelque impression ?
Il en fut ainsi. Lorsqu’il reconnut la petite boîte au caoutchouc
rouge, Saint-Quentin respira, brusquement soulagé. Il se
dit que personne n’aurait l’idée de dépaqueter ces joujoux d’enfant
qui traînaient sur le sable à la disposition du premier venu.
Plusieurs fois, sans le moindre soupçon, d’Estreicher les heurta
du pied et trébucha dans les roues, méritant du capitaine cette
verte semonce :
« Dis donc, le monsieur, si t’avais une auto, et que je la
bouscule, qu’est-ce que tu dirais ? »
Saint-Quentin hocha la tête, goguenard. D’Estreicher suivit
la direction de ses yeux, et, instinctivement, comprit. Les boucles
d’oreilles étaient là, sous la protection du hasard et avec la
complicité inconsciente du capitaine. Mais dans quel colis ? La
boîte en carton lui parut plus suspecte. Sans dire un seul mot, il
se baissa rapidement et la saisit. S’étant relevé, il l’ouvrit d’un
geste furtif et aperçut, au milieu de petits cailloux blancs et de
coquillages, les deux saphirs.
Il regarda Dorothée. Elle était très pâle.

 
 

 

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Chapitre IV


L’interrogatoire



« SAUVONS-NOUS, répéta Saint-Quentin, qui s’était assis
sur une caisse et qui eût été incapable de faire un seul pas.
– Excellente idée, souffla Dorothée. Attelle Pie-Borgne, et
cachons-nous tous les cinq dans la roulotte. Et ventre à terre
jusqu’à la frontière belge ! »
Elle ne quittait pas des yeux son ennemi. Elle se sentait
vaincue. D’un mot, il pouvait la livrer à la justice, la jeter en prison
et rendre vaines toutes les menaces qu’elle lui avait faites.
Que valent les accusations d’une voleuse ?
Le carton en main, il se dandinait d’un pied sur l’autre avec
une satisfaction ironique. Il avait l’air d’attendre qu’elle faiblît et
le suppliât. Que c’était mal la connaître ! Elle gardait au
contraire une attitude de défi et de provocation, comme si elle
avait eu l’audace de lui dire :
« Si tu parles, tu es perdu. »
Il haussa les épaules et, s’adressant au brigadier, qui n’avait
rien vu de tout ce manège :
« Brigadier, félicitons-nous d’en avoir fini, et tout à
l’avantage de mademoiselle. Tudieu ! quel ouvrage désagréable !
– 64 –
– Il ne fallait pas l’entreprendre, dit la comtesse de Chagny
qui venait de s’approcher, ainsi que le comte et que Raoul Davernoie.
– Mais si, chère cousine. Votre mari et moi, nous avions
des doutes. Autant les éclaircir.
– Et vous n’avez rien découvert ? fit le comte Octave.
– Rien… moins que rien. Tout au plus une petite chose assez
bizarre avec laquelle jouait le sieur Montfaucon et que
Mlle Dorothée a bien voulu me donner. N’est-ce pas, mademoiselle
?
– Oui », fit Dorothée nettement.
Il montra la boîte en carton, autour de laquelle il avait rajusté
le caoutchouc, et, la remettant à la comtesse :
« Gardez-la jusqu’à demain matin, voulez-vous, chère
amie ?
– Pourquoi la garderais-je, et pas vous ?
– Ce ne serait pas la même chose, dit-il, La remettre entre
vos mains, c’est lui apposer comme un cachet. Demain au déjeuner,
nous l’ouvrirons ensemble.
– Vous y tenez ?
– Oui… une idée comme une autre.
– Soit, conclut Mme de Chagny. J’accepte, si mademoiselle
m’y autorise ?
– 65 –
– Je vous le demande, madame, répliqua Dorothée, comprenant
que le péril était retardé au lendemain. Ce carton ne
contient rien d’intéressant, des cailloux blancs et des coquillages.
Mais puisque ça divertit monsieur, et qu’il a besoin d’un
contrôle, accordez-lui cette petite satisfaction. »
Cependant il restait une formalité qui, pour le brigadier,
était essentielle en ces sortes d’enquêtes. L’examen des pièces
d’identité, le dépouillement des papiers, le respect du règlement
; sur ce chapitre il ne plaisantait pas. D’autre part, si Dorothée
flairait l’existence d’un secret entre les de Chagny et leurs
cousins, il est certain que les hôtes de Roborey n’étaient pas
moins intrigués par l’étrange personnalité qui, depuis quelques
heures, les dominait et les troublait. Qui était-elle ? D’où venaitelle
? Quel était son nom véritable ? Comment expliquer que
cette créature fine, intelligente, d’esprit souple et de manières
distinguées, courût les routes en compagnie de quatre galopins
?
Elle avait pris dans un tiroir de la roulotte une couverture
de registre qu’elle tenait sous son bras. Dès qu’ils furent tous
entrés dans la grande salle de l’orangerie, qui était vide maintenant,
elle sortit de cette couverture une feuille noircie de signatures
et timbrée en tous sens et la tendit au brigadier.
« C’est tout ce que vous avez ? dit celui-ci au bout d’un instant.
– Ça ne suffit donc pas ? À la mairie, ce matin, le secrétaire
s’en est *******é.
– Ils se *******ent de tout, dans les mairies, dit-il avec dédain…
Ainsi, qu’est-ce que c’est que ces noms ?… On ne
s’appelle pas Castor et Pollux !… Et celui-là… Baron de Saint-
Quentin, acrobate !…
– 66 –
Dorothée sourit.
« C’est pourtant son nom et sa profession.
– Baron de Saint-Quentin ?
– Dame, il était le fils d’un plombier, qui habitait Saint-
Quentin, et qui s’appelait Baron.
– Mais alors, il lui faut l’autorisation paternelle.
– Impossible.
– Pourquoi ?
– Parce que le père est mort pendant l’occupation.
– Et la mère ?
– Morte aussi. Aucune famille. Les Anglais avaient adopté
l’enfant. Vers la fin de la guerre, il était aide-cuisinier dans un
hôpital de Bar-le-Duc, où, moi, j’étais infirmière. Je l’ai recueilli.
»
Le brigadier approuva d’un grognement, et continua son
interrogatoire.
« Et Castor et Pollux ?
– Pour eux, je ne sais d’où ils viennent. En 1918, lors de la
ruée allemande vers Châlons, ils ont été pris dans la tempête, et
ramassés sur une route par des soldats français qui leur ont
donné leurs sobriquets. La secousse avait été tellement grande
qu’ils ont perdu la mémoire de toutes les années qui ont précédé
ces jours-là. Sont-ils frères ? Se connaissaient-ils ? Où sont leurs
familles ? On l’ignore. Je les ai recueillis.
– 67 –
– Ah ! » fit le brigadier un peu interloqué.
Et, regardant la feuille, il lut d’un ton de plaisanterie :
« Reste maintenant le sieur Montfaucon, capitaine de
l’armée américaine, décoré de la croix de guerre.
– Présent », dit une voix.
Montfaucon se raidissait dans une attitude militaire, les talons
joints et le petit doigt sur la couture de son vaste pantalon.
Dorothée le saisit sur ses genoux et l’embrassa fortement.
« Un marmot, dont on ne sait rien non plus. À quatre ans,
il vivait avec une douzaine de soldats américains qui lui avaient
confectionné comme berceau un sac de fourrure. Le jour de la
grande attaque américaine, l’un de ces douze le chargea sur son
dos, et il arriva que, de tous ceux qui allaient de l’avant, ce fut ce
soldat-là qui alla le plus loin, et qu’on retrouva son cadavre, le
lendemain, près du pic de Montfaucon. À côté, dans le sac de
fourrure, l’enfant dormait, légèrement blessé. Sur le champ de
bataille, le colonel le décora de la croix de guerre, et le baptisa
capitaine Montfaucon, de l’armée américaine. Plus tard, j’eus
l’occasion de le soigner à l’hôpital où il fut évacué. Trois mois
après, le colonel voulut l’emmener en Amérique. Montfaucon
refusa. Il ne voulait pas me quitter. Je le recueillis. »
Dorothée raconta cette histoire d’une voix un peu basse, où
il y avait de l’attendrissement. Les yeux mouillés, la comtesse
murmura :
« C’est bien, ce que vous avez fait, mademoiselle, c’est très
bien. Seulement, cela vous donnait quatre orphelins à nourrir.
Avec quelles ressources ? »
– 68 –
Dorothée répondit en riant :
« Nous étions riches.
– Riches ?
– Oui, grâce à Montfaucon. Avant de partir, son colonel lui
avait laissé deux mille francs. Nous avons acheté une roulotte et
un vieux cheval. Le cirque Dorothée était constitué.
– Métier difficile, qui nécessitait un apprentissage ?
– L’apprentissage eut lieu sous la direction d’un vieux soldat
anglais, ancien clown, qui nous dressa et nous indiqua toutes
les roueries et toutes les cocasseries du métier. Et puis j’avais
ça dans le sang. La corde raide, la danse, j’y étais rompue depuis
des années. Alors, on s’est mis en route à travers la France. C’est
une vie un peu dure, mais on se porte à merveille, on ne s’ennuie
jamais, et, somme toute, le cirque Dorothée réussit.
– Mais se trouve-t-il en accord avec les prescriptions ? demanda
le brigadier à qui son souci des règlements permettait de
dominer la sympathie qu’il éprouvait. Car enfin, ajouta-t-il,
cette feuille n’a qu’une valeur de renseignements. Ce que je
voudrais voir, c’est votre carte d’identité professionnelle.
– J’ai cette carte, brigadier.
– Établie par qui ?
– Par la préfecture de Châlons, qui est le chef-lieu du département
où je suis née.
– Montrez-moi. »
– 69 –
Visiblement la jeune fille hésita. Elle regarda le comte Octave,
puis la comtesse. Elle les avait priés de venir justement
pour qu’ils fussent témoins de son interrogatoire, et connussent
les réponses qu’elle se proposait de faire, et voilà que, au dernier
moment, elle en concevait quelque regret.
« Devons-nous nous retirer ? offrit la comtesse.
– Non, non, répliqua-t-elle vivement, au contraire, je tiens
à ce que vous sachiez…
– Et nous ? demanda Raoul Davernoie.
– Oui, dit-elle en souriant. Il y a là un fait que mon devoir
est de vous divulguer. Oh ! rien de très important. Mais… tout
de même… »
Elle sortait de son registre une carte salie aux coins déchiquetés.
« Voici », dit-elle.
Le brigadier examina la carte avec attention, et prononça,
du ton de quelqu’un à qui l’on n’en raconte pas :
« Mais ce n’est pas votre nom… C’est un nom de guerre,
bien entendu… comme vos jeunes camarades ?
– Nullement, brigadier.
– Voyons, voyons, vous ne me ferez pas croire…
– Voici mon bulletin de naissance à l’appui, brigadier, avec
le timbre de la commune d’Argonne. »
Le comte de Chagny s’écria :
– 70 –
« Comment ! vous êtes du village d’Argonne ?
– Ou plutôt j’étais, monsieur le comte, car ce petit village
ignoré qui a donné son nom à toute la région de l’Argonne
n’existe plus. La guerre l’a supprimé.
– Oui… oui… je sais, fit le comte. Nous avions là un ami…
un parent… N’est-ce pas, d’Estreicher ?
– Jean d’Argonne, sans doute ? demanda-t-elle.
– En effet… Jean d’Argonne, mort à l’hôpital de Chartres,
des suites d’une blessure… Le lieutenant prince d’Argonne…
Vous l’avez connu ?
– Je l’ai connu.
– Où ? Quand ? Dans quelles conditions ?
– Mon Dieu, dit-elle, dans les conditions ordinaires où l’on
connaît quelqu’un qui vous touche de près.
– Comment, vous aviez avec Jean d’Argonne des liens… des
liens de parenté ?
– Des liens très étroits. C’était mon père.
– Votre père, Jean d’Argonne ! Que dites-vous ? C’est impossible.
Voyons, quoi… la fille de Jean s’appelait Yolande.
– Yolande-Isabelle-Dorothée. »
Le comte arracha la carte que le brigadier tournait et retournait
en tous sens, et, à haute voix, il lut, stupéfait :
– 71 –
« Yolande-Isabelle-Dorothée, princesse d’Argonne. »
Elle acheva en riant :
« Comtesse Marescot, baronne de la Hêtraie, de Beaugreval
et autres lieux. »
Le comte s’empara également du bulletin de naissance et,
syllabe par syllabe, de plus en plus confondu, il scanda lentement
:
« Yolande-Isabelle-Dorothée, princesse d’Argonne, née à
Argonne, le 14 octobre 1900, fille légitime de Jean Marescot,
prince d’Argonne, et de Jessie Varenne. »
Le doute n’était plus possible. L’état civil auquel prétendait
la jeune fille se justifiait par des preuves, que l’on pensait
d’autant moins à récuser que la vérité imprévue expliquait précisément
tout ce qui semblait inexplicable dans les manières et
dans l’apparence même de Dorothée.
La comtesse s’abandonnait à son émotion.
« Yolande ? Vous êtes la petite Yolande dont Jean
d’Argonne nous parlait si affectueusement !
– Il m’aimait bien, dit la jeune fille. Les circonstances ne
nous ont pas permis de vivre toujours l’un près de l’autre,
comme je l’aurais voulu. Mais je l’aimais comme si je l’avais vu
chaque jour.
– Oui, dit la comtesse, on ne pouvait pas ne pas l’aimer. Je
ne l’ai vu pourtant que deux fois dans ma vie, à Paris, au début
de la guerre. Mais quel souvenir charmant j’ai conservé de lui !
Un être plein de gaîté et d’exubérance ! Comme vous, Doro–
72 –
thée ! D’ailleurs je le retrouve en vous… Les yeux… le sourire
surtout. »
Dorothée montra deux photographies qu’elle tira de ses
papiers.
« Son portrait, madame. Vous le reconnaissez ?
– Si je le reconnais ! Et l’autre, cette dame ?…
– Ma mère, morte depuis longtemps, et qu’il adorait.
– Oui, oui, je sais… Elle avait fait du théâtre autrefois,
n’est-ce pas ? Je me rappelle. Nous causerons de tout cela, voulez-
vous, et de votre existence, des épreuves qui vous ont forcée
à vivre de la sorte. Et d’abord, comment êtes-vous ici ? Pourquoi
? »
Dorothée raconta par quel hasard elle avait vu sur une plaque
indicatrice le mot même de Roborey, que son père répétait
en mourant. Mais le comte Octave les interrompit.
C’était un homme d’ordinaire assez effacé, qui cherchait
toujours à donner aux circonstances le plus de solennité possible,
afin d’y jouer le rôle de premier plan que lui assignaient sa
naissance et sa fortune. Pour la forme, il avait consulté ses deux
cousins, et, sans écouter leurs réponses, il avait congédié le brigadier
avec une désinvolture de grand seigneur. Il mit également
dehors Saint-Quentin et les trois enfants, ferma soigneusement
les portes, fit asseoir les deux femmes, et se promena
devant elles les mains au dos, et l’air pensif.
Dorothée fut *******e. Elle avait triomphé, obligeant ses
hôtes à dire les paroles qu’elle souhaitait. Mme de Chagny la
serrait contre elle étroitement. Raoul semblait un ami. Tout al–
73 –
lait bien. Il y avait, certes, un peu à l’écart, hostile et redoutable,
le gentilhomme barbu, dont les yeux durs ne la quittaient pas.
Mais confiante en elle-même, acceptant la lutte, pleine d’audace
et d’insouciance, elle ne consentait pas à fléchir sous la menace
du danger terrible qui cependant pouvait l’écraser d’une minute
à l’autre.
« Mademoiselle, prononça le comte de Chagny d’une voix
importante, il nous a semblé, à mes cousins et à moi, puisque
vous êtes la fille de notre regretté Jean d’Argonne, il nous a
semblé, dis-je, que nous devions vous mettre, à notre tour, au
courant d’événements qu’il connaissait, et dont il vous eût entretenue
si la mort ne l’en avait empêché… dont il désirait
même, nous le savons, que vous fussiez entretenue. »
Il fit une pause, heureux de son préambule. En ces occasions,
il employait un langage pompeux et des termes choisis,
s’appliquait à respecter les règles de la grammaire, et ne redoutait
pas les subjonctifs. Il reprit :
« Mademoiselle, mon père, François de Chagny, mon
grand-père, Dominique de Chagny, mon arrière-grand-père,
Gaspard de Chagny, ont toujours vécu sur cette certitude que
des richesses immenses leur seraient… comment dirai-je ?…
leur seraient offertes, grâce à certaines circonstances ignorées,
dont chacun se croyait sûr d’avance d’être le bénéficiaire. Et
chacun s’en réjouissait d’autant plus et s’abandonnait à un espoir
d’autant plus agréable que la révolution avait ruiné de fond
en comble la maison des comtes de Chagny. Sur quoi cette
conviction s’appuyait-elle ? Ni François, ni Dominique, ni Gaspard
de Chagny ne l’ont jamais su. Cela provenait de légendes
vagues qui ne précisaient ni la nature des richesses, ni l’époque
où elles apparaîtraient, mais qui toutes, cependant, avaient ce
caractère commun d’évoquer le nom de Roborey. Et ces légendes
ne devaient pas remonter très haut, puisque ce château, qui
s’appelait autrefois Chagny, ne fut appelé Chagny-Roborey que
– 74 –
sous le règne de Louis XVI. Est-ce cette désignation qui provoqua
les fouilles que l’on y fit de tout temps ? C’est fort probable.
Toujours est-il qu’au moment de la guerre, j’avais résolu de remettre
en état ce château de Roborey qui n’était plus qu’un rendez-
vous de chasse, et de l’habiter définitivement – bien que, je
n’ai pas honte de le dire, mon récent mariage avec
Mme de Chagny me permît d’attendre ces soi-disant richesses
sans trop d’impatience. »
Le comte eut un sourire fin en faisant cette allusion discrète
à la façon dont il avait redoré son blason, et il continua :
« Inutile de vous dire, n’est-ce pas, que pendant la guerre,
le comte Octave de Chagny remplit son devoir de bon Français.
En 1915, lieutenant de chasseurs à pied, j’étais à Paris en permission
lorsqu’une série de coïncidences, produites par la
guerre, me rapprocha de trois personnes que je ne connaissais
pas, et dont j’appris fortuitement le lien de parenté avec les
Chagny-Roborey. D’abord le père de Raoul, le commandant
Georges Davernoie. Puis Maxime d’Estreicher. Enfin Jean
d’Argonne. Nous étions tous quatre cousins éloignés, tous quatre
en permission ou en convalescence. Et c’est ainsi, au cours
de nos entretiens, que nous sûmes, à notre grande surprise, que
la même légende s’était transmise dans chacune de nos quatre
familles. Comme leurs pères et leurs grands-pères, Georges Davernoie,
d’Estreicher et Jean d’Argonne, attendaient la fortune
fabuleuse qui leur était promise, et qui devait régler les dettes
que cette conviction les avait entraînés à faire. D’ailleurs, même
ignorance chez les quatre cousins. Aucune preuve, aucune indication…
»
Après une nouvelle pause destinée à préparer un effet, le
comte repartit :
« Si, cependant, une indication. Jean d’Argonne se souvenait
d’une médaille en or dont son père lui avait signalé jadis
– 75 –
l’importance. Son père était mort d’un accident de chasse quelques
jours plus tard, sans lui en avoir dit davantage. Mais Jean
d’Argonne affirmait que cette médaille portait quelques mots en
inscription, et que l’un de ces mots, il se le rappelait tout à coup,
était ce mot de Roborey autour duquel décidément se concentraient
toutes nos espérances. Il nous annonça donc son intention
de fouiller les quelque vingt malles qu’il avait pu, au mois
d’août 1914, sauver du pillage imminent de sa gentilhommière
et mettre à l’abri dans un hangar de Bar-le-Duc. Mais, auparavant,
comme nous étions d’honnêtes gens, exposés aux hasards
de la guerre, nous fîmes tous quatre le serment solennel que
toutes nos découvertes, relatives au fameux trésor, seraient mises
en commun. D’ores et déjà, le trésor, si la Providence
consentait à nous l’accorder, nous appartenait à tous les quatre,
et Jean d’Argonne, dont la permission expirait, nous quitta.
– C’était à la fin de 1915, n’est-ce pas ? demanda Dorothée.
Nous avons passé huit jours ensemble, les meilleurs de ma vie.
Je ne devais pas le revoir.
– Fin 1915, en effet, confirma M. de Chagny. Un mois plus
tard, Jean d’Argonne, blessé dans le Nord, était évacué sur
Chartres, d’où il nous écrivit, quelque temps après, une longue
lettre… restée inachevée… »
Mme de Chagny eut un geste. Elle semblait désapprouver
son mari.
« Si, si, je remettrai cette lettre, dit fermement le comte.
– Peut-être avez-vous raison… prononça Mme de Chagny.
Cependant…
– Que craignez-vous, madame ? demanda Dorothée.
– 76 –
– Je crains que l’on ne vous fasse une peine inutile, Dorothée.
La fin de ces pages vous révélera des choses très douloureuses.
– Que notre devoir est de lui communiquer », déclara le
comte d’un ton péremptoire.
Et il tira de son portefeuille et déplia une lettre marquée du
signe de la Croix-Rouge. Dorothée sentit son coeur qui se serrait.
Elle reconnaissait l’écriture de son père. La comtesse lui pressa
la main. Elle vit que Raoul Davernoie la regardait avec un air de
compassion, et, la figure inquiète, cherchant moins à comprendre
les phrases qu’elle entendait qu’à deviner la fin de cette lettre,
elle écouta.
« Mon cher Octave,
« Je vous rassurerai tout d’abord sur ma blessure. Ce n’est
rien. Pas de complication à craindre. À peine, le soir, un peu de
fièvre, qui déconcerte le major, mais tout cela passera, n’en parlons
plus, et arrivons tout de suite à mon voyage à Bar-le-Duc.
« Octave, je vous dirai sans retard qu’il n’a pas été inutile,
et qu’après de patientes recherches, j’ai fini par dénicher, entre
des piles de bottes et ces amas d’objets inutiles qu’on emporte
quand on se sauve, la précieuse médaille. Dès la fin de ma
convalescence et lors de mon passage à Paris, je vous la montrerai.
Mais, dès maintenant, et tout en gardant secrètes les indications
gravées sur une des faces, je puis vous dire que l’autre face
porte ces trois mots latins : In robore fortuna, trois mots qui
peuvent se traduire ainsi : « La fortune est dans la fermeté
d’âme », mais qui, par la présence du mot « robore » et malgré
la différence d’orthographe, font sans doute allusion au château
de Roborey où conséquemment serait cachée la fortune dont
parlent nos légendes de famille.
– 77 –
« Ne voilà-t-il pas, mon cher Octave, un pas en avant dans
la voie de la vérité ? Nous ferons mieux. Et peut-être y seronsnous
aidés, de la façon la plus imprévue, par une jeune personne
vraiment curieuse, avec laquelle je viens de passer quelques
jours qui m’ont ravi… je veux dire ma chère petite Yolande.
« Vous savez, mon cher ami, que j’ai bien souvent regretté
de n’avoir pas été le père que j’aurais voulu. Ma passion pour
celle qui fut la mère de Yolande, mon chagrin de sa mort, ma vie
errante durant les années qui suivirent, tout cela me tint éloigné
de la modeste ferme que vous appelez une gentilhommière, et
qui n’est plus, j’en suis sûr, qu’un monceau de ruines.
« Pendant ce temps, Yolande vivait sous la garde des fermiers,
s’élevant elle-même, s’instruisant auprès du curé ou de
l’instituteur, auprès de la nature surtout, aimant les bêtes, cultivant
les fleurs, exubérante et très réfléchie. Plusieurs fois, au
cours de mes visites à Argonne, elle m’avait étonné par son sens
pratique et par son intelligence. Cette fois-ci, j’ai trouvé, dans
l’ambulance de Bar-le-Duc, où elle s’est, de sa propre autorité,
établie comme aide-infirmière, une jeune fille. Quinze ans à
peine, et l’on n’imagine pas l’ascendant qu’elle exerce sur tous
ceux qui l’entourent. Elle juge les événements comme une
grande personne, elle se décide selon ses propres raisonnements,
elle a une vision toujours juste de la réalité, non pas telle
qu’on l’aperçoit, mais telle qu’elle est sous les apparences.
« Tu vois clair, lui disais-je. Tu as des yeux de chat qui se
promène tranquillement dans les ténèbres.
« Mon cher Octave, quand la guerre sera finie, je vous
amènerai Yolande et je vous assure que, avec nos amis, nous
ferons de la bonne besogne… »
– 78 –
Le comte s’arrêta. Dorothée souriait tristement, émue par
la tendresse et par l’admiration qui se dégageaient de cette lettre.
Elle demanda :
« Ce n’est pas tout, n’est-ce pas ?
– En elle-même, répondit le comte, la lettre finit là. Datée
du 15 janvier 1916, elle ne fut envoyée que le 30 ; je ne la reçus,
moi, pour des raisons diverses, que trois semaines plus tard. Et
j’appris par la suite que Jean d’Argonne avait eu, le soir même
de ce 15 janvier, une crise de fièvre plus forte, de cette fièvre qui
déroutait le major et qui indiquait l’infection subite de la blessure
dont votre père est mort… ou du moins…
– Ou du moins ? demanda la jeune fille.
– Ou du moins dont votre père est mort officiellement,
acheva le comte d’une voix plus basse.
– Qu’est-ce que vous dites ? Qu’est-ce que vous dites ?
s’écria Dorothée. Mon père n’est pas mort de sa blessure ?
– Ce n’est pas certain… avança M. de Chagny.
– Mais alors, de quoi est-il mort ? Que prétendez-vous ?
Que supposez-vous ? »

 
 

 

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ÇáÊÓÌíá: Oct 2007
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