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Chapitres : - 9


A 23 heures, la salle des inspecteurs du commissariat ressemblait à une ruche, constata Tracker en l’observant à travers la cloison vitrée de la salle de conférences. On interrogeait des témoins, des malfrats, les machines à écrire cliquetaient et, plus loin, il apercevait Sophie dans une pièce similaire à la sienne, s’entretenant avec l’inspecteur Gibbs.
Pour l’instant, il poireautait pendant que l’inspecteur Ramsey passait quelques coups de téléphone. Lui-même en avait passé un sur son portable, à Chance. Mais il avait dû se *******er de laisser un message. Celui qui avait abattu Landry avait-il récupéré la pièce ? C’était la question du jour. Aucun des objets arrivés dans la journée n’avait disparu, il s’en était lui-même assuré.
Lorsque Ramsey les avait invités à le suivre au commissariat, il avait accepté, car cela lui laissait un peu de temps pour respirer. Pour prévoir ce qu’il ferait quand Sophie comprendrait ce qu’il faisait chez elle et dans son lit.
Déjà, les questions de Gibbs, en ce moment, lui mettaient peut-être la puce à l’oreille. Et elle avait l’esprit vif. Un tempérament de feu. Une fois qu’elle aurait compris, il ne savait absolument pas ce qu’elle ferait, à part ne plus vouloir le voir.
Une peur glacée lui noua soudain le ventre. Car, dès l’instant où il avait vu Landry, gisant dans la pièce du haut, il avait imaginé Sophie à sa place. Ça aurait pu être elle, songea-t-il en se passant la main dans les cheveux, comme pour effacer cette image atroce. Si Sophie le repoussait…
Nom de nom. Si seulement il pouvait flanquer un coup de pied à n’importe quoi. Lui, pour commencer. Lui qui laissait ses émotions l’empêcher de réfléchir sainement.
Bien. Eviter que Sophie lui embrouille davantage les idées en désignant un de ses hommes pour la protéger. Oui, mais Chance avait bien prévenu de ne rien faire qui puisse éveiller les soupçons. Lui-même avait déjà bâti sa couverture d’amant de la dame. Moralité : il fallait coller au scénario, ce qui restait la plus sûre option pour le moment.
Il faudrait juste garder l’esprit clair et coller aux faits. John Landry était mort dans une des pièces du haut de la boutique, tué d’une balle dans la tête. Aucun signe de lutte. Tir net et précis de professionnel. Et Landry avait pénétré là où il était mort, en arrêtant le système d’alarme, comme il avait pu le vérifier avant de venir ici.
Il leva les yeux en entendant Ramsey revenir.
— J’ai effectué quelques recherches à votre propos, monsieur McGuire, dit l’inspecteur en posant un dossier sur la table. Et j’ai monté ce dossier l’an dernier, quand nous pensions que Mme Lloyd avait disparu. Voulez-vous y jeter un coup d’œil ?
— Pourquoi ne pas me dire de quoi il s’agit ? répondit Tracker, regardant successivement le dossier et Ramsey.
— Je sais que Lucas Wainright et vous-même avez travaillé clandestinement dans certains coins chauds du globe, et que vos états de service sont classés « confidentiel ». Je sais également que M. Wainright vous confierait la vie de sa femme comme celle de sa sœur. Je sais aussi que Landry sortait régulièrement avec Sophie Wainright depuis deux semaines, mais que c’est avec vous qu’elle s’est rendue à la réception de ce soir. Selon elle, vous avez passé la nuit dernière chez elle et ne l’avez pas quittée de la journée.
Il marqua une pause et croisa les mains sur la table.
— Tout cela me suggère qu’il a dû se passer quelque chose pour que Mme Wainright flanque Landry à la porte et le remplace, du jour au lendemain, par le chef de la sécurité de la Wainright & Co. J’aimerais donc que vous me disiez tout ce que vous savez sur la mort de ce John Landry.
— Je ne sais absolument rien à ce sujet, répondit Tracker en plantant son regard dans le sien.
Ramsey eut un sourire amer.
— Permettez-moi, en ce cas, de reformuler ma question. Que soupçonnez-vous ? Et si cette question ne vous convient pas non plus, vous pouvez toujours commencer par la raison pour laquelle vous assurez la protection de Mme Wainright.
Tracker étudia un instant l’inspecteur, dont Mac et Lucas lui avaient dit le plus grand bien. Abstraction faite de la chemise chiffonnée, l’homme avait le regard intelligent, et il n’avait pas fait semblant de vérifier le passé, s’il avait exhumé leur passé militaire commun, à Lucas et à lui. Combien suffirait à son bonheur ? Au bout d’un moment, il décida de lui dire le maximum qu’il pouvait. Avoir Ramsey dans la manche pourrait se révéler payant un jour ou l’autre.
— Il y a certains éléments que je dois garder pour moi, car ils concernent des agents travaillant dans la clandestinité. Ce que je peux vous dire, c’est que le magasin de Sophie est sous la surveillance de deux ou trois agences gouvernementales et autant de compagnies d’assurances. En effet, il a été repéré comme l’un des quelques lieux stratégiques utilisés par un réseau très complexe et très influent de contrebande pour importer des pièces de monnaie volées. Trois pièces découvertes en Turquie, et dérobées lors d’une exposition à Londres. Sophie n’a rien à voir dans le trafic, mais elle court un danger potentiel.
— C’est donc là que vous entrez en scène, commenta Ramsey, avant de battre la mesure sur la table avec son stylo.
— Elle ignore tout de cette histoire.
Le stylo se figea.
— Qui vous a mis au courant ?
— L’un des agents que je ne peux nommer. Selon lui, ils sont très près de coincer la tête du trafic, et il est impératif que l’activité se poursuive comme à l’accoutumée dans la boutique de Sophie. Le propriétaire d’un commerce similaire, dans le Connecticut, a été retrouvé mort dans l’incendie de son magasin, il y a environ deux mois. Il y a six semaines, une femme ayant acheté quelque chose chez Sophie a été écrasée par un chauffard.

— Gibbs et moi travaillons sur cette enquête, fit remarquer Ramsey, se calant contre le dossier de sa chaise. Selon vous, cela aurait un rapport ?
— D’après ce qu’on m’a dit, elle était en route pour rencontrer le grand manitou. Difficile de croire à une coïncidence.
— Landry était-il un des fameux agents dont vous avez parlé ?
— Bonne question.
L’inspecteur était vraiment un homme intelligent, et Tracker s’en voulut de ne pas s’être posé cette question plus tôt.
— L’autre possibilité serait qu’il ait fait partie de l’équipe adverse. Landry est originaire d’un milieu aisé, l’aristocratie terrienne, et il s’est lancé en dilettante dans le commerce d’antiquités. Il recherche des objets particuliers, pour des clients fortunés.
— Ce qui ferait une excellente couverture, de quelque côté de la loi qu’il se place, fit remarquer Ramsey. Et vous dites que Mme Wainright ne sait rien de tout ce que vous avez appris ?
— Non. J’ai pensé que cela vaudrait mieux pour sa sécurité. Elle est très susceptible… et n’aime pas être protégée.
— Je vois, dit Ramsey en l’étudiant attentivement. Combien de temps, avant de pouvoir coincer les trafiquants ?
— Une livraison est arrivée aujourd’hui, contenant en principe l’une des pièces. Nous attendons que quelqu’un bouge.
— J’ai comme l’impression que c’est fait. Est-ce qu’on l’a prise, ce soir ?
— Aucun des objets arrivés n’a été dérobé. Je devrais bientôt en savoir plus.
— Donc, reprit Ramsey au bout d’un instant, Mme Wainright ne sait pas que vous la protégez. Vous jouez un jeu très dangereux, ne trouvez-vous pas ?
— Si. Mais pour le moment, c’est le meilleur moyen que j’ai trouvé pour la protéger. J’aimerais bien continuer.
— D’accord. Elle ne saura rien de moi pour l’instant. Mais mon travail, c’est d’élucider deux homicides.
— Je vous donnerai tous les éléments possibles dès que nous aurons coincé ce salaud, acquiesça Tracker.
Ramsey lui tendit une carte.
— Je pensais davantage en termes de coopération. Avertissez-moi dès que vous avez besoin de mon aide.
Tracker se tourna vers le lieu où on interrogeait Sophie.
— L’inspecteur Gibbs est-elle une bonne policière ?
— Parmi les meilleures. Nous faisons équipe depuis deux ans.
Tracker ramena son regard vers l’inspecteur.
— Si Mme Wainright décide qu’elle ne veut plus de mes services vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, j’aurai peut-être du travail pour elle.
L’inspecteur Gibbs garda Sophie encore une demi-heure. En l’attendant, Tracker fit les cent pas devant l’ascenseur en réfléchissant. Oh, il pouvait bien se dire qu’il n’aurait pas dû coucher avec elle, il n’arrivait pas à le regretter. Non, ce qu’il regretterait, ce serait de ne plus le faire, de ne plus pouvoir la toucher, la serrer contre lui.
— Tracker.
Il pivota lentement au son de sa voix. Elle avançait vers lui et, en voyant son regard, il comprit qu’il avait un répit. Elle n’allait pas le flanquer tout de suite dehors.
— Tu veux bien me serrer contre toi ?
Il avait déjà ouvert les bras, et quand elle vint s’y nicher, il les referma sur elle. La peur qui l’avait étreint devant le cadavre de Landry laissa peu à peu la place à un flot d’émotions.
— Excuse-moi, marmonna-t-elle, se serrant plus fort contre lui. Je ne peux pas m’en empêcher. Tu comprends, je venais de lui parler, à la réception. Il m’avait fait la bise pour me dire au revoir, parce qu’il repartait à Londres, demain. Et maintenant, il est…
Tracker lui caressa les cheveux.
— Je regrette que tu aies dû le voir.
— Je déteste être comme ça, murmura-t-elle, mais sans écarter sa joue de sa poitrine.
— Etre comment ?
— Aussi faible, aussi crampon.
— Tu en as tout à fait le droit.
— Mais ça n’a jamais rien résolu. C’est juste que…
— Que quoi ?
— J’en avais besoin. Même quand tu avais déterré toute cette boue sur ce salaud de Bradley et que je te détestais d’avoir fait ça, je m’étais sentie mieux quand tu m’avais tenue dans tes bras.
Une foule de sensations envahit Tracker, et il se souvint que lui aussi, il s’était senti mieux. Et il savait pourquoi. Ce qu’il avait ressenti ce jour-là, ce qu’il ressentait en ce moment même, c’était l’impression d’être chez lui. Non qu’il ait jamais eu un vrai foyer, mais c’était comme cela qu’il avait toujours imaginé l’effet que cela ferait. Cette chaleur, cette compréhension, cette acceptation.
— J’ai envie de t’emmener loin de tout ceci, dit-il, avant même d’avoir pris conscience de ce qu’il disait.
Elle se raidit dans ses bras, et s’écarta.
— Je te laisserais bien faire, mais l’inspecteur Gibbs m’a demandé de dresser un inventaire plus minutieux de mes objets, afin d’être sûre que rien ne manque. Et elle dit qu’ils auront peut-être encore besoin de moi.
Tracker se rembrunit.
— Tu n’es pas suspecte. Ils ne peuvent pas t’obliger à rester à leur disposition.
— Non, mais je tiens à faire tout mon possible pour les aider à découvrir qui a tué John. C’était un type bien, et il a été abattu chez moi. Ce qui me chiffonne un peu, c’est qu’il ait bricolé mon système de sécurité. Comme ils ne soupçonnent ni Noah ni moi de l’avoir fait entrer, comment a-t-il pu faire cela ?
— N’importe quel système peut être désactivé, si on a la technique.
Ce qu’il n’ajouta pas, c’est qu’il fallait le talent, mais aussi les outils appropriés.
— De toute façon, ils comptent interroger Noah.
— C’est la routine policière.
— Je voudrais que tu me rendes un service, dit Sophie après avoir longuement inspiré. Pourrais-tu m’aider à découvrir qui a tiré sur John ?

— Princesse, l’inspecteur Ramsey est un as dans sa partie. Mac et Lucas te le confirmeront.
— Il n’est pas toi. Il ne dirige pas le service de sécurité de la Wainright & Co, il ne dispose pas d’une équipe de sécurité au complet. Je me suis dit qu’on pourrait retourner à la boutique, et que pendant que je dresse un inventaire pour l’inspecteur Gibbs, tu pourrais rechercher des indices.
Il se voyait mal lui dire qu’il l’avait déjà fait.
— Tu es certaine de vouloir y retourner cette nuit ?
Elle se raidit encore une fois.
— C’est mon magasin. Je t’en prie, il faut que je le fasse. Me donneras-tu un coup de main ?
Il posa son front contre le sien.
— Tes désirs sont des ordres, princesse… à une condition.
— Une condition ? répéta-t-elle, un sourcil levé. Je ne pense pas que l’on puisse imposer des conditions à une princesse.
Tracker ne put que sourire, et un peu de la tension qui l’habitait se dissipa.
— Et si cette condition incluait des pénalités ?
Elle lui décocha alors le premier sourire depuis qu’ils avaient reçu cet appel, ce soir. Et il sentit son cœur faire la cabriole.
— Des pénalités ? Voyez-vous ça.
— Seulement si tu acceptes cette condition, bien entendu. Si tu veux mon aide, il va te falloir coopérer. Une fois terminé l’inventaire de ta boutique, nous allons dans l’appartement que j’occupe dans le bâtiment de la Wainright & Co. Je pense qu’une bonne nuit de sommeil nous fera le plus grand bien.
— De sommeil ? Si tu comptes dormir cette nuit, il va vraiment y avoir des pénalités.
— Mais j’y compte bien, princesse. J’y compte bien.
— Que penses-tu des oignons, du persil et du fromage quand ils font connaissance dans une omelette ?
Sophie grimpa sur un tabouret, face à Tracker. Posté sur le comptoir, Chester inspectait déjà d’une narine frémissante les ingrédients qu’il venait de sortir du réfrigérateur. La cuisine était aussi petite que la sienne, mais en revanche, elle disposait des dernières nouveautés technologiques.
— Je n’en pense que du bien.
Le sourire arriva alors, lent et chaleureux.
— Voilà qui nous fait au moins un point en commun, princesse.
Ces mots réchauffèrent le cœur de Sophie. Il y avait encore quelques jours, elle n’aurait jamais cru qu’ils puissent avoir quelque chose en commun. Pas plus qu’elle n’aurait cru pouvoir se sentir aussi détendue, assise dans sa cuisine. Il y avait un je-ne-sais-quoi de rassurant dans sa manière rapide et compétente de réunir sur le comptoir tous les ustensiles dont il avait besoin. Cela lui rappela aussitôt la manière dont il avait pris les choses en main dans les toilettes, ce soir.
Le rose aux joues, elle arrêta son regard sur ses mains, occupées à couper, émincer et jeter les ingrédients dans un poêlon chaud. Il lui suffisait de regarder ces doigts effilés pour les imaginer sur elle, sur sa peau, en elle.
— Allô, la lune ? Ici la terre.
— Hum ? fit-elle, surprise.
— Des piments rouges dans l’omelette ?
— Chiche !
Elle ne savait pas trop pourquoi, mais elle avait le sentiment qu’avec lui, elle serait chiche pour beaucoup de choses. Et elle n’imaginait même pas essayer le truc du ruban noir avec quelqu’un d’autre. Et lui, il avait été tellement emballé par l’idée. Si patient, aussi, quand elle avait complètement oublié ce qu’elle devait faire. Et si talentueux, surtout. Un éclair de plaisir la traversa au souvenir de ce qu’il lui avait fait, de ce qu’elle avait éprouvé. Elle le savait, qu’il serait un fabuleux amant, mais jamais elle n’aurait cru qu’il pouvait être aussi impulsif, aussi joueur.
Bien sûr, jamais elle ne l’avait imaginé en train de battre des œufs dans une cuisine. Pas plus qu’elle n’aurait songé qu’il était si… normal de le regarder faire. Soudain, elle comprit qu’elle se sentait davantage chez elle ici que dans n’importe laquelle des résidences Wainright, et un frisson de peur lui parcourut le dos. Toute sa vie, les gens qu’elle aimait l’avaient abandonnée. Il allait falloir se préparer à ce que lui aussi la quitte.
A moins qu’elle n’arrive à l’arrêter avant.
La princesse réfléchissait. Tracker le comprit en voyant la fine ride qui se forma au milieu de son front. Cette réflexion conduirait à l’inquiétude, puis aux interrogations. D’un geste vif du poignet, il replia l’omelette.
La dernière chose qu’il voulait la voir faire, c’était bien de commencer à réfléchir sur ce qui avait pu se passer dans sa boutique pour aboutir à la mort de Landry. Il voulait la voir rire et penser uniquement à lui.
Il la voulait, point. Sa faim d’elle était constante, et il commençait à craindre qu’elle ne cesse jamais. S’il ne faisait pas quelque chose pour leur changer les idées, à tous les deux, il allait oublier cette fichue omelette et la prendre là, tout de suite. Il en fit glisser la moitié dans une assiette et la posa sur le bar, devant elle.
— Mange, d’abord. Et puis on jouera au jeu des vingt questions.
— D’accord, dit-elle, saisissant la fourchette qu’il lui tendait et la plantant dans ses œufs.
Il la regarda mastiquer, avaler, puis lever de yeux étonnés vers lui.
— Mais c’est fameux ! Tu connais le métier, n’est-ce pas ? Je suis certaine que tu as gagné ta vie en faisant la cuisine, dans ta jeunesse.
Il sourit.
— Bravo. Si jamais le commerce te fatigue un jour, j’aurai du travail pour toi à la sécurité de la Wainright & Co.
— Sans façon, merci. Mais j’ai raison, n’est-ce pas ?
— J’ai travaillé dans un fast-food pour payer mes études à l’université.

— Ce que je déguste n’a rien à voir avec la nourriture des fast-food, dit-elle, savourant une nouvelle bouchée. Mais bon, venons-en au jeu.
— Thomas Jefferson McGuire.
— Pardon ?
— On a commencé ce jeu à la soirée d’anniversaire, et je me suis dit qu’on pourrait reprendre là où on avait arrêté. T. J. signifie Thomas Jefferson.
— On t’a donné pour prénom un nom de président ?
Il secoua la tête.
— Non, c’était le nom de mon père. Je l’ai fait légalement modifier en T. J. dès que j’ai pu, car je le détestais.
— Je suis désolée, dit-elle en glissant sa main dans la sienne et en la serrant fort.
Il n’y avait, dans ses yeux, pas trace de jugement, seulement de la compréhension. Au fond de lui, il sentit quelque chose se dissoudre et disparaître.
— Il battait ma mère. C’est à cause de lui qu’elle est morte. J’avais onze ans.
Allons bon, mais d’où étaient sortis ces mots ? Même à Lucas, il n’avait jamais rien dit de cet épisode de son passé. Sophie abattait jusqu’à ses dernières barrières.
Elle posa une main sur sa joue.
— A ton tour, maintenant. Demande-moi ce que tu veux.
— De nouvelles règles, princesse ?
Elle hocha la tête.
— Nouveau jeu. Juste pour cette nuit. Une question chacun. Pas d’esquive, pas de pénalité, juste la vérité vraie.
Il la dévisagea un moment. Il avait pensé la distraire avec le jeu, avec la pénalité qui suivrait automatiquement, mais elle avait élevé les enjeux. Et la perspective d’en savoir plus sur elle était tentante. Irrésistible, même.
— Quelle est la pire chose que tu aies jamais faite ? Une chose dont tu n’as jamais parlé à personne ?
— Eh bien, tu n’y vas pas de main morte, toi !
— Toi non plus. Et c’était chacun son tour. A toi, donc, la dernière question.
— J’ai volé à l’étalage, quand j’avais quatorze ans, avoua-t-elle, revoyant parfaitement l’incident. C’était dans un grand magasin, et j’étais totalement furieuse contre mes parents. Ma mère n’avait même pas pris la peine de me téléphoner pour mon anniversaire, et mon père était en croisière avec sa… je crois que c’était sa troisième femme. J’ai dû me dire qu’en me faisant arrêter, j’obtiendrais peut-être un peu plus d’attention de la part de mes parents, expliqua Sophie, posant sa fourchette avant de regarder Tracker. On croirait entendre l’histoire de la pauvre petite fille riche, non ?
Il resserra sa prise sur sa main.
— Raconte-moi la suite.
— J’avais un grand sac, et je l’ai rempli avec toutes sortes de choses : pulls en cashmere, lingerie de prix. Je tenais à être arrêtée sous l’inculpation de vol qualifié.
— Que s’est-il passé ?
— Je savais que j’avais été repérée, que je serais interceptée dès que je tenterais de sortir. Je n’avais pas fait dix pas en direction de la porte que j’étais paralysée. Alors, j’ai emporté mon sac à la caisse la plus proche, j’ai sorti ma carte de crédit et j’ai payé, parce que j’étais trop poltronne pour y arriver.
Il leva leurs mains jointes et déposa un baiser sur la sienne.
— Tu fais partie des gens les plus courageux que je connais, princesse.
Il le pensait vraiment, lui apprit son regard, et elle aurait volontiers dit quelque chose, si une boule ne lui avait pas soudain bloqué la gorge.
— A ton tour, dit-il. Pose-moi une question.
Il lui avait déjà confié une chose dont il ne parlait jamais. Et, soudain, elle eut envie que ce ne soit pas au cours d’un jeu qu’il lui révèle d’autres éléments de lui-même.
— Quel est ton film préféré ?
Il la fixa un bon moment sans répondre.
— Tu aurais pu me demander tout ce que tu voulais.
— Je viens de le faire.
— Tu m’étonneras toujours. Je ne sais pas si j’arriverai jamais à te comprendre.
— C’est parfait, répondit-elle en souriant. Parce que j’ai toujours l’impression de n’avoir aucun secret pour toi. Tu m’as connue dans les pires moments.
— Les pires ? Princesse, tu ne voudrais pas me voir dans ces moments-là. J’ai tué.
Il avait dit cela pour la choquer, elle le comprit en apercevant l’éclair de colère dans ses yeux. Avait-il peur qu’elle s’en aille ? Serait-il possible qu’il craigne la même chose qu’elle ? Elle ne répondit rien et attendit.
— Je n’étais pas très doué, au début. La première fois que j’ai tué un homme, j’ai vomi. J’avais tout juste seize ans, et je m’étais engagé avec dans l’idée de devenir un héros. Avant, j’avais déjà participé à des bagarres de rues, mais jamais avec des armes à feu. J’ignorais les dégâts qu’elles provoquent sur des êtres humains. C’était une mission de maintien de la paix, on patrouillait, et puis on a été séparés de l’unité, un copain et moi. Brutalement, il s’est fait descendre, et quand j’ai vu un soldat courir vers moi, j’ai levé mon fusil et j’ai tiré. L’impact de la balle… je n’oublierai jamais.
Elle mêla ses doigts aux siens, les serra.
— Que s’est-il passé ?
— J’ai réussi à ramener mon pote dans l’unité avant de vomir mon déjeuner sur les chaussures du sergent.
La colère, le besoin de la choquer, tout cela avait disparu de son regard.
— Ce n’était que la première fois, princesse. Je pourrais t’en raconter, des histoires. Tu partirais en courant.
— Non, répliqua-t-elle en le regardant en face. Tu vas peut-être me trouver superficielle, mais la seule chose à laquelle je pense pour l’instant, c’est la manière dont je pourrais bien t’extraire de ces vêtements.
— Qu’as-tu en tête ? demanda-t-il, le regard intense.
Un peu de sa tension se dissipait, mais elle le sentait néanmoins sur la réserve, méfiant. Pourquoi cela l’excitait-il autant, d’ailleurs ? Elle se pencha vers lui et murmura d’un ton confidentiel.

— Comme j’ai laissé tous les joujoux à la maison, on va devoir improviser. Je pensais à un strip-poker. Tu es partant ?

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
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Chapitres 10 -



C’était une fameuse joueuse de poker, chose que Tracker n’aurait jamais devinée, tant elle avait le regard limpide. Il lui fallut plusieurs mains pour comprendre que justement, là était son secret. Elle savait que les gens la pensaient transparente, et elle en jouait.
Il prit autant de plaisir à leur force égale qu’à mettre son sang-froid à l’épreuve de ce petit jeu sexuel. Même s’il n’avait pas eu l’avantage jusqu’à maintenant. Car alors qu’elle était encore entièrement vêtue, lui n’avait plus que son caleçon. Et après avoir admiré le sang-froid de Sophie, il avait à présent envie de le lui faire perdre. Elle avait peut-être encore tous ses vêtements, mais la veine qui pulsait à son cou devenait de plus en plus frénétique, et ses yeux avaient pris une teinte sombre. Ils s’assombriraient encore quand il serait en elle.
Stop. Si jamais il se mettait à imaginer qu’il la possédait, le jeu risquait de tourner court. Et il ne voulait pas qu’ils fassent l’amour trop vite, ce soir. Cette nuit serait peut-être la dernière où il pourrait la toucher, la caresser, la serrer…
— Full, annonça-t-elle en retournant ses cartes.
— Encore perdu. A moi de donner.
— D’abord, tu dois enlever quelque chose, dit-elle, le regard pétillant d’amusement.
Et d’autre chose, aussi. Cette autre chose qui lui tordait également les tripes.
— D’accord. Qu’est-ce qui te ferait plaisir ?
— Hum… je me demande.
— Quand tu veux.
Son ventre se contracta encore quand il la vit baisser les yeux vers son sexe érigé, parfaitement visible sous le fin coton du caleçon. Au risque de se faire mourir tout seul, il fit courir une main nonchalante sur ce qui n’attendait plus qu’elle.
— Tracker…
La voix lui manqua, elle tendit une main vers lui, et il crut un instant que le jeu était fini. Mais elle planta ses yeux dans les siens.
— Un jour, on m’a dit que l’attente décuple le plaisir.
Il dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas s’emparer d’elle sur-le-champ. Quand il pensait à la rapidité avec laquelle il pourrait la coucher sous lui, à son besoin d’être en elle… Oui, mais alors elle gagnerait aux deux jeux : le poker et ce petit jeu de l’attente qui venait de démarrer.
Non. Il n’allait pas lui faciliter les choses. Pas encore. Allons, il pouvait attendre encore un peu, puisqu’elle était à portée de main.
Qu’allait-il faire quand elle n’y serait plus ?
— Jamais aucun homme ne s’est effeuillé pour moi. J’ai comme l’impression que je pourrais en prendre l’habitude.
Il sentit sa peau le brûler alors qu’elle la caressait du regard et, pour incroyable que ce fut, son érection crût encore.
— Les chaussettes, finit-elle par dire d’une voix haletante.
— On se dégonfle, princesse ?
Elle leva le menton.
— Pas du tout. Je n’ai pas envie de terminer tout de suite. Je veux aller au bout du jeu.
Encore une chose qu’il avait apprise sur elle : quoi qu’elle commençât, elle s’y tenait avec une détermination qu’il ne pouvait qu’admirer. Ils se ressemblaient bien, de ce côté-là.
— Il n’y aura qu’une seule fin à ce jeu, dit-il, posant un pied sur la table basse pour enlever une chaussette.
— Je sais.
Et il pourrait l’arrêter tout de suite, songea-t-il, enlevant l’autre. Ce n’était pas seulement de ses vêtements dont elle l’avait dépouillé, ce soir. Il lui avait confié des choses qu’il n’avait encore jamais dévoilées à personne. Et, au lieu d’être choquée, elle avait compris.
Il en venait à la comprendre, elle aussi. Il savait ce que ça faisait, de ne pas avoir sa place, d’avoir l’impression que l’amour va toujours vous éviter. Mais lui, il ne l’éviterait pas, il ne le permettrait pas. En la voyant poser ses cartes et se lever, il comprit qu’il venait de perdre bien plus qu’une partie de poker. Il avait perdu son cœur.
— Je suis fatiguée de ce jeu, dit-elle.
Et comme c’était exactement ce qu’il pensait, lui aussi, il garda le silence un bon moment, incapable de parler. Trop d’émotions se bousculaient en lui, et il n’était plus sûr que d’une seule chose. Il la voulait encore plus qu’avant et, de plus, il voulait l’impossible. Il la voulait pour de bon.
— Tes désirs sont des ordres, princesse.
Sophie n’était plus sûre que d’une seule chose. L’attente avait presque signé son arrêt de mort. Elle le voulait, elle voulait tout de lui. Tout de suite. Mais il y avait ce truc dans ses yeux, par-delà la brûlure du désir, quelque chose qui l’intriguait presque autant que son désir la consumait.
— Dis-moi ce que tu veux, demanda-t-elle.
— Je veux… faire partie de toi.
On eut dit qu’on lui avait arraché ces mots, et la chaleur qu’ils firent naître en elle fut tout à fait différente de celle qu’il avait déjà provoquée. Elle tenta de se persuader qu’il n’y avait pas de quoi en faire un plat, qu’ils voulaient tout dire et rien dire dans le même temps, que Tracker ne faisait qu’évoquer l’acte physique à venir, rien n’y fit. Il faisait généralement attention à ce qu’il disait, et pensait ce qui passait ses lèvres. Alors même qu’un bouillonnement de joie montait en elle, elle se morigéna de vouloir encore l’impossible. Surtout, elle ne voulut pas le pousser plus loin. Elle ne voulut plus que ce qu’elle avait : l’opportunité de lui montrer ce qu’elle éprouvait pour lui.
— On m’a dit, un jour, que lorsqu’on veut quelque chose, il suffit de tendre la main et de le prendre.
Il tendit alors les mains et la fit passer par-dessus la table basse. Puis, alors qu’il se penchait pour prendre sa bouche, elle lui plaqua une main contre la poitrine.
— Pas encore. Si tu m’embrasses, je n’aurai plus les idées claires.
— Sophie, le jeu est fini. Il y a des limites aux agaceries qu’un homme peut supporter.
Même si tout en elle réclamait sa bouche sur la sienne, son corps dans le sien, elle tint bon.
— Tout doux, dit-elle en utilisant ses propres termes. Il y a d’abord une chose que je veux faire. J’en ai rêvé toute la nuit, et tu ne vas pas être déçu.
Combien elle comprit l’effort qu’il dut faire pour la relâcher, car elle dut en faire un similaire pour poser ses mains sur son caleçon et glisser les doigts sous l’élastique. Pour lui, elle allait se cramponner et y arriver.
— J’ai eu envie de le faire la première fois que je t’ai vu, dans le bureau de Lucas, quand tu m’as serrée contre toi et consolée. Quand l’image même de cela m’est venue à l’esprit, dit-elle, refermant sa main sur son pénis érigé, j’ai été choquée. Je n’ai jamais songé à le faire avec aucun homme avant toi. Mais cela ne me choque plus.
Elle tomba à genoux et referma sa bouche sur lui.
*
* *
Peut-on mourir de plaisir ? fut la seule question qui vint à l’esprit de Tracker quand elle le prit dans sa bouche. Oui. La réponse arriva, claire et nette, dès qu’il sentit la langue de Sophie s’enrouler autour de son sexe tendu. Il aurait dû se douter qu’elle essaierait une chose pareille. Il aurait dû s’y préparer. Il fallait qu’il la fasse arrêter. Il ne pouvait pas la laisser continuer. Il fallait qu’il…
— Arrête, réussit-il à bredouiller, refermant ses mains autour de son visage en la repoussant. Si tu veux y aller tout doux, ce n’est pas le bon moyen.
— Là, tout de suite, je serais partante pour du rapide, et même du brutal, répondit-elle. Tu as bon goût.
Il referma les mains sur ses épaules, la remit sur pied, puis la fit s’asseoir.
—Je crois qu’on a tous les deux besoin d’une petite pause, dit-il. Et comme tu es bien trop vêtue, que dirais-tu d’enlever tout ça pour moi ?
Ce fut avec des doigts tremblants qu’elle entreprit de remonter lentement sa robe sur ses jambes. Il se souvint alors de l’intermède des toilettes, de l’effet que lui avaient fait ses jambes refermées autour de lui et fut transpercé par un nouvel accès, plus brutal, de désir.
Elle interrompit son geste.
— Non ! grogna-t-il.
— Non, quoi ?
— N’arrête pas.
La robe remonta, dévoila son ventre satiné, sa taille, ses seins. Le cœur battant furieusement, le souffle court, il la regarda faire passer la robe par-dessus sa tête, puis la lâcher et enlever son soutien-gorge. L’espace d’un instant, il ne put que la contempler, debout devant lui et uniquement vêtue d’un soupçon de soie et de talons aiguilles. Autant il avait envie de tendre les mains et de s’emparer d’elle, autant il voulait autre chose. La pousser aussi loin qu’elle l’avait poussé.
— Caresse-toi pour moi, Sophie.
Il l’entendit suffoquer, et la vit hésiter. Puis elle leva les mains et les referma sur ses seins.
— Non, je veux que tu te caresses là où je vais venir, là où je vais t’emplir. Là où je vais faire partie de toi.
Un frisson le traversa en la voyant baisser la main. Elle allait relever le défi qu’il venait de lui lancer. Puis il cessa de penser quand elle ôta son slip, glissa la main entre ses cuisses. En proie à un désir dévastateur, il se pencha. Elle lui posa les mains sur les épaules, il la souleva et la ramena de son côté de la table basse.
— Dis-moi ce que tu veux.
— Je te veux en moi, tout de suite.
Il tomba à genoux, l’attira à califourchon sur lui et la pénétra lentement.
— Ne bouge pas, dit-il, la voix rauque.
Pendant un moment, il n’osa même pas respirer, de peur d’exploser. S’il parvenait à se reprendre, il pourrait faire durer plus longtemps le plaisir. Il fallait qu’il y arrive, pour elle.
Tout en la serrant fort contre lui, il se laissa aller en arrière jusqu’à ce qu’ils se retrouvent sur le sol, imbriqués. Quand elle voulut se cambrer contre lui, il l’immobilisa. Elle eut beau vouloir s’arquer, onduler, il la tenait serrée, empalée, impuissante.
C’était ainsi qu’il avait voulu la voir. Le regard chaviré, le souffle erratique, la peau brûlante. C’était ainsi qu’il la voulait. Captive. A jamais sienne.
— S’il te plaît, murmura-t-elle.
— Dis-moi que tu m’appartiens, Sophie.
Au moins ça.
— Je t’appartiens, T. J.
Alors il referma les mains sur ses hanches et commença à se mouvoir en elle, lentement, paresseusement. Sensuellement.
— Encore. Encore, gémissait-elle dès qu’il s’arrêtait.
Il voulait faire durer le plaisir, faire durer l’instant. Quand elle le quitterait, il garderait le souvenir de ce moment où elle avait été sienne.
Puis il la laissa faire, et ce fut elle qui ondula sur lui, pâle dans le clair de lune, les cheveux ébouriffés, le visage extatique. Il crut être chevauché par une déesse consciente de son pouvoir.
Quand il comprit que l’orgasme était sur le point d’emporter Sophie, il intensifia ses coups de reins et la regarda partir dans les étoiles. Avant de la rejoindre.
Il ne sut pas combien de temps plus tard il trouva la force de se lever, de la soulever dans ses bras, et de l’emporter au lit. Dans la chambre, il l’allongea, endormie, et se coucha contre elle. En la tenant dans ses bras.
Le ciel s’éclaircissait à peine lorsque Tracker se faufila hors de son lit. Sophie dormait comme un enfant, une main sous la joue et l’autre jetée au-dessus de la tête. Bizarre, qu’il n’ait encore jamais songé à elle en termes de fragilité, même quand il lui faisait l’amour. Ce matin, en remarquant ses attaches frêles et l’ossature délicate de son visage, il sentit croître en lui son besoin de la protéger. Mais, pour forte que fût son envie de rester là, allongé près d’elle, à la regarder dormir, il n’en avait pas moins un travail à accomplir. Celui-là même qui assurerait la sécurité de Sophie.


Aussi sortit-il sans bruit de la chambre avant d’enfiler son caleçon et un pantalon. Puis il tenta encore une fois de joindre Chance sur son portable.
— Allô !
— Mitchell ? Il faut qu’on se voie.
— Eh bien, il te suffit de me téléporter, Scotty.
Tracker coupa la connexion, puis s’entretint avec ses hommes en faction sur l’Interphone. Chance savait qu’ils ne pouvaient rien dire sur un portable, et la référence à Star Trek signifiait qu’il était à deux pas de l’immeuble Wainright. Elle lui rappela également l’époque où ils travaillaient ensemble pour l’armée. Bon. Les bons souvenirs, la nostalgie, ce serait pour plus tard. Pour le moment, il avait un compte à régler avec « Carter Mitchell ».
Cinq minutes plus tard, il introduisait Chance dans la petite salle de conférences attenante à ses quartiers privés. Son vieil ami était entièrement vêtu de noir, depuis le jean jusqu’au sweater en passant par la casquette.
Il referma la porte, posa une main sur l’épaule de Chance, le fit pivoter vers lui et lui enfonça son poing dans l’estomac. Sans lui laisser le temps de reprendre son souffle, il lui tordit le bras dans le dos et lui cogna le visage contre le mur.
— Bon sang, que f…
— Je crois qu’il est grand temps de mettre cartes sur table. A quel jeu joues-tu ?
Chance commença par garder le silence, et Tracker put presque entendre son cerveau évaluer les options qui se présentaient à lui. Il lui tordit un peu plus le bras.
— N’envisage même pas de me raconter encore une fois des salades. Et, tiens, commence donc par me dire quels étaient précisément tes rapports avec Landry.
— Qu’est-ce qui te fait croire qu’on était en relation ?
— Il y a un flic très futé qui bosse sur le meurtre et qui m’a mis la puce à l’oreille. Et puis, je ne connais que deux personnes, à part moi, capables de contourner le système de sécurité que j’ai élaboré, précisa-t-il en lui cognant encore une fois la tête contre le mur. L’homo devient son meilleur ami, le pote de l’homo devient son soupirant… tout ça dans le but d’attraper un trafiquant. Tu ne comptes tout de même pas me faire avaler ça ?
— D’accord, reconnut Chance en soupirant. Landry était mon partenaire depuis trois ans. Entre autres choses, nous travaillions en indépendants pour la Lloyd’s de Londres.
Tracker le lâcha.
— Et tu n’as pas cru nécessaire de nous prévenir, Lucas et moi, que ton partenaire, qui faisait tout son possible pour mettre Sophie dans son lit, ne l’utilisait qu’en guise de couverture pour votre enquête en faveur de la Lloyd’s ?
Chance lui fit face et leva les deux mains.
— Je t’ai dit que je n’avais aucune idée de la parenté entre Lucas et elle avant la soirée d’anniversaire. Alors, je vous ai dit ce que j’estimais que vous deviez savoir. Bon sang, Landry était mon partenaire, je me devais de protéger sa couverture ! Dis-moi, qu’aurais-tu fait à ma place ?
Le hic, c’était qu’il aurait fait la même chose, songea Tracker, en gagnant la fenêtre. Le travail devait passer en premier. S’il voulait protéger Sophie, il allait devoir se remémorer cela et mettre ses émotions sous le boisseau. Dehors, le ciel qu’il apercevait derrière le Washington Monument était à présent strié de rose. L’heure tournait.
— J’ai besoin que tu me dises tout. Absolument tout.
— Je ne vous ai pas menti sur notre enquête. Landry avait infiltré l’organisation, et il avait pour mission de récupérer les objets et de les faire passer. Seulement, il y a eu un problème. L’objet qui était censé arriver n’était pas dans les caisses. Le big boss devait le recontacter la nuit dernière, et ensuite il devait me rejoindre à son hôtel. Je l’y ai attendu jusqu’à ce que je finisse par avoir ton message.
— Il a été contacté, pas de doute là-dessus. Et quiconque l’a fait a décidé de ne pas laisser de témoins derrière lui. Peut-être même qu’il a eu ce qu’il recherchait. Je veux qu’à partir de tout de suite, Sophie n’ait plus rien à voir là-dedans.
— C’est une possibilité, répondit Chance en l’étudiant. Mais Landry jurait ses grand dieux que l’objet n’avait pas été déballé.
— Pourquoi est-il retourné dans la boutique, si ce n’était pas pour la pièce ? Il a quitté précipitamment la réception Langford-Hughes. Peut-être que la pièce était cachée dans un autre objet, et que le big boss lui a dit où chercher.
Chance se mit à faire les cent pas.
— Tu as peut-être raison, mais Landry a pu également retourner au magasin pour un autre motif. Peut-être était-ce l’occasion pour lui de rencontrer le Maître des Marionnettes à visage découvert. Il y a également la possibilité d’un retard à l’autre bout, et que l’objet n’arrive pas avant la livraison prévue mercredi prochain. Ce jour-là, toutes les boutiques de Prospect Street font leur grande braderie annuelle. Comme la foule offrira une couverture idéale à notre Maître des Marionnettes, nous pourrons peut-être l’avoir.
Tracker prit le temps de soupeser les avantages et les inconvénients des diverses éventualités. Facile à dire, qu’il voulait sortir Sophie de ce guêpier, mais comment la garder en sécurité tant qu’ils n’auraient pas attrapé celui qui se cachait derrière tout cela ?
— Ce type ne recule devant rien, et la mort de Landry devrait suffire à t’en convaincre. Je suis plus que jamais persuadé que le meilleur moyen de protéger Sophie est de ne rien changer à ses habitudes. La seule manière d’assurer sa sécurité, c’est de choper ce type.

— Landry out, qui va récupérer la pièce ?
— Il n’est jamais à court de plans de rechange. On ne l’appelle pas le Maître des Marionnettes pour rien.
— Ah oui ? Eh bien, j’ai comme l’impression que je vais lui couper quelques-unes de ses ficelles. On est en train de changer le code de sécurité du magasin, et d’y installer des caméras vidéo. La boutique sera fermée toute la journée, le temps de tout mettre en place.
Il y avait autre chose qu’il savait devoir faire. Bon sang, une chose qu’il avait comprise en voyant le corps sans vie de Landry, et que sa conversation avec l’inspecteur Ramsey n’avait fait que confirmer.
— Deux choses, encore : primo, je vais tout dire à l’inspecteur Ramsey et à sa coéquipière. Secundo, je vais faire de même avec Sophie.
— Ce sont de très mauvaises idées, protesta Chance.
— Peut-être, mais Sophie est ma priorité, et je ne laisserai rien ni personne m’empêcher de la protéger. A présent, elle a besoin de savoir que sa vie est en danger, afin de se montrer prudente. Quant à moi, j’ai toujours préféré avoir un plan de repli, et je vais avoir besoin de l’aide de Ramsey pour cela.
Le téléphone sonna quatre fois avant d’être décroché.
— Oui ? répondit une voix ensommeillée.
— J’ai un travail pour vous, dit-il.
— Oui, répondit la voix, plus claire, avec un je-ne-sais-quoi dans l’intonation qui ressemblait à de la peur. Qu’est-ce que c’est ?
Le Maître des Marionnettes réfléchit, tout en regardant le soleil jouer sur les pièces en argent toutes neuves posées sur l’échiquier, devant lui. Très doucement, il déplaça un cavalier.
— Le cheval en céramique qui est arrivé hier, dans la boutique de Mme Wainright. Je le veux.
— Un cheval en céramique ? Je ne me souviens… Non. Il n’y avait rien de tel dans cette livraison. Vous devez faire erreur.
Le Maître des Marionnettes poussa un soupir et, d’une main parfaitement manucurée, se pinça l’arête du nez. Le seul fléau de son existence était bien de traiter avec l’incompétence.
— Je ne fais jamais erreur.
A l’aide de sa tour, son vis-à-vis lui prit le cavalier. Parfait. Au moins un jeu se déroulait-il bien.
— J’ai en main une copie de l’ordre d’expédition, murmura-t-il dans le combiné. Le cheval en céramique y figure au même titre qu’une écritoire Louis XIV et un clavecin du XVIIIe siècle. Ces objets vous disent-ils quelque chose ?
— Parfaitement. Mais je n’ai pas vu de cheval.
— Il est arrivé. Vous avez pour mission de le trouver.
— Mais…
— Ah, ah, ah !
Il attendit le silence complet à l’autre bout.
— Pas de mais. En cas d’échec, je serais contraint de prendre certaines mesures. Au cas où vous voudriez avoir un aperçu de votre avenir, achetez donc le journal de ce matin.
Il coupa la communication sans laisser à son correspondant le temps de répondre. Puis il déplaça son deuxième cavalier.
— Echec et mat.
Il rit doucement en voyant son vis-à-vis étudier l’échiquier, sourcils froncés.
— Je n’ai rien vu venir.
C’était toujours mieux comme cela. Détruire l’adversaire avant même qu’il se rende compte de votre présence.
— Votre mission sera un peu plus stimulante, je vous le promets.
Sophie s’éveilla en sursaut, et comprit, avant même de se retourner, que Tracker n’était plus là. C’était idiot d’avoir de la peine qu’il l’ait quittée avant son réveil. Il ne pouvait pas être loin, puisqu’ils étaient chez lui. Il allait revenir. A un moment donné, cette nuit, elle avait senti ses bras l’étreindre, et elle se souvenait encore du trouble qu’ils avaient suscité chez elle.
Elle se sentit ridicule, et repoussait ses cheveux quand Chester vint la rejoindre.
— Il est en train de m’avoir, lui confia-t-elle.
Le chat se frotta contre elle.
Ce fut alors qu’elle comprit qu’elle avait eu beau rêver de Tracker McGuire pendant un an, et coucher avec lui depuis… une journée ou à peu près, elle en savait toujours aussi peu sur lui. Bon, peut-être en savait-elle un tout petit peu plus. Elle connaissait son prénom, elle savait qu’il était gentil et qu’elle pouvait le battre au poker. Mais, en bien des points, il lui était aussi étranger que lorsqu’elle l’avait baptisé Fantômas. Les quelques secrets qu’il lui avait révélés, hier soir, n’avaient fait qu’aiguiser son appétit.
Il devait bien y avoir quelques indices, dans son appartement, songea-t-elle, regardant autour d’elle. La chambre, petite, n’était que sommairement meublée. Un lit, une table de chevet, surmontée d’une lampe, et une commode. Aucune décoration sur les murs uniformément blancs. Rien, nulle part, ne lui parlait de Tracker McGuire.
Elle se leva, alla ouvrir tour à tour chaque tiroir de la commode, mais n’y trouva que des piles impeccables de T-shirts, des sous-vêtements et des chaussettes, tous de sa couleur favorite, le noir. Les jeans, pantalons, chemises et vestes étaient pendus dans le placard et étaient tous noirs ou blancs.
— Cet homme a définitivement besoin d’un peu de couleur dans son existence, dit-elle au chat.
Chester ne répondit rien.
— Je sais que je me mêle de ce qui ne me regarde pas, mais le pouvoir réside dans le savoir. Non que j’apprenne grand-chose ici, sauf qu’il est ordonné et qu’il aime les chemises de lin.
Elle fit courir sa main sur une des chemises, et perçut une bouffée de son odeur. Brusquement, elle le crut revenu dans la chambre. Mais non. Elle refoula l’impression de solitude qui avait accompagné son réveil, dépendit la chemise et glissa les bras dans les manches.

— Je l’aime bien, Chester.
Le chat s’ébroua.
— Je dis la vérité, insista-t-elle, vexée. Je l’aime vraiment bien. Il est gentil, doux, et drôle. On a beaucoup de choses en commun.
Chester bondit du lit et vint se frotter contre son mollet.
— Bon. Tu es au moins d’accord avec ça. Allons, viens.
Dans le living-room, les vêtements qu’il y avait semés la veille avaient disparu, mais sa robe était toujours là où elle l’avait jetée, les cartes toujours sur la table basse. L’espace d’un instant, elle revit ce qu’ils avaient fait.
Jamais encore elle n’avait joué au strip-poker, et rien ne l’avait préparée à l’impression qu’on pouvait en retirer, du moins quand on gagnait. Jamais elle n’aurait cru que voir un homme obéir à ses directives l’exciterait autant. Même maintenant, elle en était un peu choquée. Mais ce qui était sûr, c’était qu’elle rejouerait au strip-poker, aussi longtemps qu’elle aurait Tracker pour adversaire.
Tandis que Chester s’installait sur le canapé, elle alla ouvrir le secrétaire duquel Tracker avait sorti les cartes à jouer. A l’intérieur, se trouvait un ensemble audio-vidéo dernier cri, et les étagères débordaient de CD, DVD et cassettes vidéo. Elle s’accroupit pour les passer en revue.
La collection de films de Tracker éclipsait sans conteste la sienne. Elle parcourut les titres du regard, sortant parfois un boîtier pour en lire le résumé.
Il devait avoir l’intégralité des œuvres filmées d’Hitchcock. Ravie, elle découvrit Casablanca et African Queen. Quelle astuce, d’avoir acheté les classiques pour les avoir à disposition, sans dépendre des chaînes satellite.
— Dis donc, Chester, je parie qu’il a tous les films qu’a jamais tournés Humphrey Bogart !
— Je les ai, en effet.
La voix de Tracker la fit sursauter.
— Mais d’où sors-tu ?
— J’ai mon bureau dans la pièce adjacente. Cherchais-tu quelque chose en particulier ?
Oui, toi, fut-elle sur le point de répondre, et elle sentit le rouge lui monter aux joues. Tout en se redressant, elle croisa les mains devant elle.
— J’étais carrément en train d’espionner. Je crois que le jeu des vingt questions n’a fait que stimuler ma curiosité.
Elle avait joué au strip-poker et fait sauvagement l’amour avec cet homme à l’endroit même où elle se tenait, et c’était maintenant que la crise de nerfs menaçait ? Où était la logique, dans tout cela ?
— Si je préparais du café, afin que tu puisses me demander ce que tu veux ?
— Où étais-tu ? lâcha-t-elle sans plus réfléchir.
Il avait l’air si détaché, comme s’il avait l’habitude de trouver des femmes en train de fouiller dans ses affaires.
— J’avais une réunion et plusieurs coups de fil à passer, répondit-il en la regardant par-dessus son épaule, tandis qu’il mettait une bouilloire à chauffer. En ce moment même, on est en train de modifier le code de sécurité de ton magasin.
Ses yeux s’agrandirent, et elle dut se rattraper au comptoir de la cuisine. Juste ciel, depuis son réveil, elle avait totalement oublié John Landry et tout ce qui s’était passé la veille, à la boutique. Elle n’avait plus pensé qu’à Tracker.
— Il faut que j’y aille, bredouilla-t-elle, prenant la direction de la salle de bains.
— Sophie, j’ai envoyé des hommes réparer ton système de sécurité. J’ai aussi parlé à l’inspecteur Ramsey, et il pense qu’il vaudrait mieux ne pas ouvrir aujourd’hui.
Elle fit volte-face et faillit le percuter.
— C’est mon magasin. Tu n’aurais pas dû…
Elle s’interrompit juste à temps avant de dire « me laisser ». Mais d’où lui était venue une phrase pareille ? Cet homme avait un travail à accomplir. Elle aussi, d’ailleurs. Et se sentir abandonnée, sous le simple prétexte qu’il s’était levé avant elle, était proprement ridicule. Ils n’avaient aucun droit l’un sur l’autre.
— Excuse-moi, dit-il, lui prenant les mains.
Quoi qu’elle ait pu vouloir dire, cela lui échappa à l’instant même où elle comprit qu’il était sincère. Peut-être était-il également un peu nerveux, se dit-elle alors.
— J’ai pensé que tu avais besoin de récupérer, dit-il. Je ne t’ai pas franchement laissée beaucoup dormir, ces derniers temps.
— Je ne me plains pas, répondit-elle en souriant.
— Je n’essaie pas, non plus, de prendre les décisions à ta place. Le meurtre de Landry sera dans tous les journaux, ce matin, et beaucoup de gens viendront dans ton magasin dans le seul but d’apaiser leur curiosité morbide.
Sophie opina, pensive.
— Par respect pour John, il vaut peut-être mieux ne pas ouvrir, aujourd’hui.
Elle ne se rendit compte qu’elle avait bougé que lorsqu’elle appuya sa tête contre le torse de Tracker, et que ses bras se refermèrent autour de lui.
— Je n’arrive pas à m’y faire. A me dire que… qu’il est vraiment mort.
Elle se laissa aller contre lui. Ça devenait trop facile, d’attendre un soutien de lui. C’était une faiblesse qu’elle ne pouvait se permettre. N’avait-elle pas encore assimilé la leçon ?
— Merci de t’être chargé de tout.
Tracker lutta contre le flot d’émotions qui le submergeait. Chaque fois qu’il la tenait ainsi, dans ses bras, quelque chose de vital, en lui, semblait l’abandonner. Il n’était plus parvenu à réfléchir sainement depuis l’instant où il était arrivé de son bureau, et il ne savait même pas combien de temps il était resté sur le seuil, à la regarder. Peut-être était-ce dû au fait qu’elle avait enfilé une de ses chemises, ou à l’éclat que le soleil matinal donnait à ses cheveux. Quoi qu’il en soit, il comprit brutalement qu’elle avait inexplicablement trouvé sa place chez lui.

De tous les fantasmes qu’il s’était permis à propos de Sophie Wainright, aucun ne l’avait jamais située dans cet appartement stérile et fonctionnel qui lui servait quand il devait dormir en ville. Et il comprit soudain qu’il ne voudrait plus jamais y venir sans elle.
Tous deux s’écartèrent en même temps.
— Je vais m’habiller. Il faut que j’aille à la boutique, pour y prendre des papiers à remplir. Et je dois également passer un ou deux coups de fil. J’ignore pourquoi, mais pas mal de gens se sont pris d’une brutale affection pour les chevaux en céramique.
— Je t’accompagne, proposa-t-il.
— Tu n’es pas obligé, tu sais. Tu as du travail, toi aussi. Ce… ce qui se passe entre nous, eh bien… il ne faut pas que cela gêne nos activités professionnelles.
— Tant que nous n’aurons pas découvert comment John Landry a trouvé la mort chez toi, mon travail c’est toi, Sophie.
Différentes réactions se succédèrent alors dans les yeux de Sophie : ressentiment, colère, puis un soupçon de peur. Tracker décida de jouer sur cette dernière.
— Cela aurait pu être toi.
— C’est ridicule, s’insurgea-t-elle aussitôt.
— Non.
Là, il allait devoir choisir soigneusement ses mots, car il avait déjà déterminé le lieu et l’heure où il lui dirait la vérité.
— Soit Landry a laissé entrer quelqu’un dans ta boutique, soit il a surpris un intrus et s’est fait descendre. Si tu avais été chez toi, tu te serais précipitée en entendant du bruit. Tu crois vraiment qu’on t’aurait épargnée ?
Tout en se maudissant intérieurement, il la regarda blêmir, et ajouta :
— Si j’appelais Lucas pour l’informer de ce qui s’est passé, que crois-tu que seraient les ordres ?
— Ne l’appelle pas, s’écria-t-elle, avec dans le regard une colère plus facile à manipuler que la peur.
— A une condition.
— Laquelle ? demanda-t-elle, méfiante.
— Tu me laisses assurer ta sécurité.
Elle hésita un instant.
— D’accord.
Puis elle regagna la chambre sans mot dire.

 
 

 

ÚÑÖ ÇáÈæã ÕæÑ princesse.samara   ÑÏ ãÚ ÇÞÊÈÇÓ
ÞÏíã 28-12-09, 08:30 PM   ÇáãÔÇÑßÉ ÑÞã: 23
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ÇáÊÓÌíá: Apr 2008
ÇáÚÖæíÉ: 71788
ÇáãÔÇÑßÇÊ: 417
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ãÚÏá ÇáÊÞííã: princesse.samara ÚÖæ ÈÍÇÌå Çáì ÊÍÓíä æÖÚå
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ÇáÈáÏMorocco
 
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ÇáÅÊÕÇáÇÊ
ÇáÍÇáÉ:
princesse.samara ÛíÑ ãÊæÇÌÏ ÍÇáíÇð
æÓÇÆá ÇáÅÊÕÇá:

ßÇÊÈ ÇáãæÖæÚ : princesse.samara ÇáãäÊÏì : ÇáÑæÇíÇÊ ÇáÑæãÇäÓíÉ ÇáÇÌäÈíÉ
ÇÝÊÑÇÖí

 

Chapitres : - 11



— Je me fais peut-être une montagne de rien, mais en général, tu me préviens quand tu mets quelque chose de côté.
— Quoi donc ?
— Il manque un objet dans la liste d’expédition d’hier. Tu l’as coché comme arrivé, mais il n’est nulle part dans le magasin. J’ai vérifié.
Elle laissa échapper un soupir de soulagement.
— Le cheval en céramique. Je l’ai monté ici et déballé moi-même.
— Seigneur Dieu, voilà que je passe pour un imbécile. Quand j’ai lu le journal ce matin, tous les scénarios possibles me sont passés par la tête. J’ai cru que, peut-être, M. Landry l’avait pris, ou cet ami de ton frère. J’ai même soupçonné M. Mitchell. On n’avait jamais eu autant de monde pour nous aider à déballer une livraison.
— Eh bien, tu peux te détendre, à présent. Le cheval est là, sur l’étagère du haut.
Noah alla examiner sa collection pendant qu’elle dosait le café et versait l’eau chaude.
— Lequel est-ce ? s’enquit Noah.
— Celui du milieu. Je vais te montrer.
Elle n’avait pas fait trois pas que la vitre de la fenêtre derrière elle explosait. D’instinct, elle s’accroupit derrière le comptoir. Une balle siffla avant d’aller se ficher dans le plan de travail.
— Noah, fiche le camp d’ici.
Il disparaissait déjà par la porte lorsqu’une autre vitre vola en éclats. Non, c’était la cafetière. Les premières gouttes brûlantes coulèrent sur son cou, et elle entendit des pas pressés dans l’escalier.
Tracker parvint au deuxième étage à temps pour voir quelqu’un sortir en trombe de chez Sophie. Noah.
— Sophie ! appela-t-il.
— N’entre pas ! cria-t-elle.
— On nous tire dessus, lança Noah.
En passant, Tracker le poussa à plat ventre par terre.
— Restez là, mains sur la tête.
Puis il risqua un œil dans l’appartement. Le soulagement le gagna quand il aperçut Sophie assise au pied du comptoir de la cuisine. Puis il comprit qu’elle était bloquée. Si jamais elle faisait un geste, quiconque tirait l’aurait dans sa ligne de mire. Pour l’instant, elle ne craignait rien.
Repoussant un accès de rage, il sortit son arme, plaqua le dos contre le mur et entreprit de se déplacer vers la fenêtre.
— Fais attention, le prévint-elle.
— T’inquiète.
Mais justement, il n’avait pas fait assez attention, puisqu’on avait pu approcher suffisamment pour tenter de la tuer. Plus tard, il se permettrait une bonne crise de colère, mais pour l’instant il devait garder la tête froide. Il revit en esprit les magasins situés de l’autre côté de la rue. Il avait, dans le temps, suffisamment surveillé Antiquités pour se souvenir précisément des alentours. Le bâtiment de deux étages, en face de la boutique, avait un toit plat, et il y avait gros à parier que le tueur s’était embusqué là.
En atteignant la fenêtre, il s’adressa à elle.
— Il va falloir que tu fasses quelque chose pour moi.
— J’espère qu’il n’y aura pas de gage.
Il hocha la tête. Le moment n’était pas à la plaisanterie.
— Quoi qu’il arrive, tu ne bouges pas. Tu me le promets ?
— Bien sûr.
Totalement concentré, il revit la rangée de magasins sur le trottoir opposé et s’efforça de se remémorer tous les détails possibles. Un bref coup d’œil devrait suffire, car le type en face devait avoir un fusil à lunette. Lui n’avait que son revolver, et il aurait donc besoin de quelques secondes pour viser.
Il inspira profondément et se pencha. Il se redressait déjà quand une balle siffla près de sa joue et se logea dans le mur, à quelques centimètres de lui.
— Tout va bien. Ne bouge pas.
Collé contre le mur, il repassa dans son esprit la scène qu’il venait juste de voir. Autrement dit, un reflet de soleil sur du métal, à la droite du toit. Il avait aussi eu le temps d’apercevoir Natalie Gibbs pénétrant dans le magasin en dessous. Moralité : elle avait également repéré le tireur.
Il prit le temps d’évaluer quelques scénarios possibles. Comme il ne pourrait tirer qu’une balle, il allait lui falloir un leurre.
— Sophie, j’ai besoin que tu fasses autre chose.
— Ça va te coûter cher.
Nom de nom, cette femme avait un sacré sang-froid. Quand tout serait terminé, elle aurait droit à un énorme câlin.
— Enlève ton T-shirt.
— Tracker, je ne pense pas que ce soit le moment idéal pour réclamer une récré-sexe.
Cette fois-ci, il ne put s’empêcher de sourire.
— Je m’en souviendrai plus tard. Dis-moi simplement quand tu l’auras enlevé. Je vais compter jusqu’à trois. A trois, agite-le au-dessus du comptoir.
— T-shirt enlevé, dit-elle.
— Un… deux… trois !
Faisant de nouveau face à la fenêtre, il pointa son arme vers le toit. A l’instant où le tireur levait son fusil, il fit feu par trois fois. Le fusil se dressa vers le ciel avant de tomber sur le toit en même temps que l’homme qui le tenait.
— Tracker ?
— Tout va bien. Maintenant.
Sophie jaillit alors de dessous le comptoir et lui tomba dans les bras. Aussitôt, la peur qu’il avait repoussée si fort revint en force. Il l’étreignit contre lui, lui caressa les cheveux.
— Tout va bien, princesse, répéta-t-il en embrassant sa tempe.
A travers la vitrine de la Beacham Art Galerie, Sophie regardait Tracker discuter âprement avec l’inspecteur Ramsey, tandis que Natalie Gibbs surveillait les deux hommes en blanc qui embarquaient le tireur dans une ambulance. Deux voitures de patrouille, gyrophares allumés, étaient arrêtées n’importe comment dans la rue. Un peu plus tôt, elle avait vu deux policiers en uniforme charger Noah dans une voiture pour le ramener chez lui. Jamais elle ne l’avait vu aussi effrayé. Il pouvait à peine marcher.

— Ça parait incroyable, dit-elle à Chance, debout près d’elle. Je sais que tout cela est bien réel, mais si je n’avais pas les jambes en coton, je jurerais que je viens d’assister au tournage d’un épisode d’ Au Nom de la Loi.
— C’est malheureusement réel, répondit-il en lui tendant un café.
Elle avait l’impression d’évoluer dans le brouillard depuis l’instant où la vitre avait explosé, derrière elle. La peur ne l’avait assaillie que lorsqu’elle avait entendu monter Tracker. Elle porta une main à sa tempe. Il fallait arrêter de penser à cela, arrêter de revivre ces instants où elle avait compris qu’il allait risquer sa vie pour sauver la sienne. Arrêter de penser qu’elle pourrait le perdre. Il allait bien et elle aussi.
Dans la rue, Natalie Gibbs grimpa dans l’ambulance. Tracker repoussa Ramsey et allait grimper derrière elle quand deux policiers en uniforme l’en empêchèrent.
— Tu as raison, commenta Chance, c’est un peu comme si on regardait un film policier à la télé.
— C’était un tueur à gages, n’est-ce pas ? Tracker veut savoir qui l’a engagé, et moi aussi, dit Sophie, posant sa tasse pour gagner la porte.
Chance lui barra prestement le chemin.
— J’ai pour mission de te garder ici. Il est hors de question que tu serves encore de cible.
— Comment ça, pour mission ? Depuis quand t’es-tu mis d’accord avec Tracker et la police de Washington ?
— Depuis que Tracker m’a promis de m’écorcher vif si je te laisse sortir de la galerie, répondit-il en souriant. J’ai une grande affection pour ma peau, et tu n’as aucune raison de te mettre en danger bêtement, alors que tu disposes d’au moins trois personnes extrêmement compétentes pour veiller sur toi.
— Oui, maugréa-t-elle. Quel heureux hasard, n’est-ce pas ?
Trois personnes compétentes veillaient effectivement sur elle. Soudain, tout se mélangea dans sa tête. Puis tout se remit progressivement en place.
Landry tué dans sa boutique, un tueur essayant de la tuer chez elle… Chaque fois, Tracker était là. Et la police pas loin.
Sophie croyait à la chance, de même qu’elle pensait les coïncidences tout à fait possibles. Mais, dernièrement, il y avait peut-être un peu trop des deux dans son existence.
Surtout quand elle vit Tracker recommencer à discuter avec l’inspecteur Ramsey.
— Les barrages de police sont néfastes au commerce.
Elle se retourna et aperçut Meryl Beacham qui s’avançait de sa démarche féline.
— Carter, pourquoi ne pas justifier tes mirifiques émoluments en allant les prier de les retirer ? Nous n’aurons aucun chaland tant qu’ils bloqueront la rue.
— A tes ordres, chef. Je vais les amadouer à grand renfort de café, répondit Chance en attrapant sa cafetière.
— Bonté divine, que se passe-t-il, Sophie ? s’enquit Meryl dès qu’elles furent seules. On vous aurait tiré dessus, selon ce qu’on m’a dit ?
Sophie étudia son interlocutrice. Elle la connaissait très peu, en dépit de la proximité de leurs commerces, et elle nota une certaine inquiétude sur ses traits.
— En effet, répondit-elle. Mais j’ignore pourquoi.
— Vous avez la tête de quelqu’un à qui un verre ferait du bien, dit Meryl.
Elle alla prendre une bouteille et deux verres dans un petit secrétaire.
— Puis-je vous offrir une goutte de cet excellent cognac ?
Sophie se rapprocha et prit le verre que lui tendait sa voisine. La brûlure de l’alcool lui fit le plus grand bien.
— Inutile de me dire ce qui se passe. Nous ne sommes pas intimes, et je sais que vous vivez pour votre travail. Mais à votre place, je prendrais quelques vacances le temps que la police règle cette affaire. Les catastrophes arrivent toujours par trois, et il y a déjà eu deux meurtres en relation avec Antiquités.
— Deux meu… Mais de quoi parlez-vous ?
— Oui. John Landry, et puis cette femme, il y a un mois, qui a été tuée alors qu’elle sortait de chez vous. Vous étiez en Angleterre, à cette époque, il me semble. Mais la police a dû vous interroger.
— Oui, répondit Sophie en posant son verre. Je n’avais tout simplement pas fait le rapprochement. Dites-moi, pourriez-vous me rendre un service ?
— Bien sûr.
— Si on me demande, dites que je suis au magasin.

 
 

 

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magnifique merci fort chérie j'attend toujours la suite de cet adorable roman et merci pour tes éfforts

 
 

 

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merci a toi aussi pour tes commentaire

 
 

 

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