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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:01 PM

Les Trois Perles de Domérat ÞÕÉ ÊÇÑíÎíÉ ÑæãÇäÓíÉ
 
Les Trois Perles de Domérat
A
NNA GALORE





Anna Galore est née en 1962 à Cilaos (La Réunion), d’un père italien et d’une mère française. Son
père l’a initiée très jeune à la plongée sous-marine, qu’elle pratique toujours régulièrement. Sa famille
et elle déménagent à Toulouse lorsqu’elle a 12 ans. Elle y fait le reste de ses études et y croise la route
de lamas tibétains, une rencontre déterminante dans sa vie. Pianiste confirmée, elle s’est produite
pendant une quinzaine d’années dans divers groupes amateurs du sud de la France. Elle est passionnée
de voyages, de cinéma, de photo, de musique et de littérature contemporaine. Elle vit actuellement près
de Marseille. « Les Trois Perles de Domérat » est le premier volet d’une trilogie nommée « L’éternel
amoureux errant ». Les deux volumessuivants sont « Là où tu es » et « Le Miroir Noir ».0


**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:09 PM

Des textes anciens peu connus ra******* que la Genèse ne s’est pas déroulée comme
le décrit la version officielle de l’Ancien Testament.
Au commencement, Dieu créa le ciel et la Terre. Tout n’était que solitude et chaos.
Des ténèbres couvraient la surface de l'abîme. Le souffle de Dieu plana à la surface des
eaux. Il dit: « Que la lumière soit! ». Et la lumière fut. Dieu appela la lumière, jour, et les
ténèbres, nuit.
En créant le premier soir et le premier matin, il créa le temps.
Dans les jours qui suivirent, il créa le soleil et la lune et les astres et les plantes et les
animaux. Il créa aussi deux sortes d’êtres immortels : les anges et les démons. Les anges
étaient asexués, leur plaisir était purement spirituel. Les démons étaient sexués, leur plaisir
était principalement physique.
Dieu aurait pu s’arrêter là. Mais, en voulant parachever son oeuvre, il commit une
erreur aux conséquences incalculables. Il décida d’ajouter à Gan Edinu, le Jardin d’Eden,
celui dont il pensait faire le sommet de la création : l’être humain. Il mélangea de la terre et
de l’eau dans le creux de sa main et façonna Adam.
Dieu ayant une haute opinion de lui-même, il fit Adam à son image et à sa
ressemblance. Il est vrai qu’il n’avait aucun autre modèle. Là est sans doute l’origine de
tous les problèmes qui suivirent.
A peine lui eut-il insufflé la vie qu’Adam commença à se plaindre.
« Dieu, je te remercie de m’avoir créé mais maintenant que tu as aussi créé le temps,
que vais-je faire seul pendant l’éternité ? Et, de plus, à quoi me servira ma vie si je n’y
prends aucun plaisir ? »
Dieu aurait pu s’irriter que sa créature ne prenne la parole pour la première fois que
pour exiger plus de lui. Mais avec l’indulgence coupable d’un père pour son enfant
turbulent, il accepta d’exaucer le désir d’Adam, au lieu de s’en tenir à son plan initial.
Il reprit de la terre et de l’eau et façonna un autre être humain, qu’il appela Lilith.
Adam et Lilith étaient différents par leur sexe mais ils étaient égaux en tout. Dieu leur
expliqua qu’ainsi ils pourraient se parler, avoir autant de plaisir qu’ils le voudraient et se
reproduire à l’infini.
Adam et Lilith étaient d’une grande beauté. Ils se regardèrent et se désirèrent. Ils
voulurent faire l’amour pour la première fois. Adam dit à Lilith :
« Allonge-toi sur le dos, je vais me mettre sur toi.
- D’accord, et la fois d’après, c’est moi qui me mettrais sur toi.
- Non, je ne me coucherai jamais sous toi. Tu es faite pour être dessous, je te suis
supérieur.
- Tu ne m’es pas supérieur. Je suis ton égale. Dieu nous a créés de la même
manière, avec la même terre et la même eau. Si tu veux faire l’amour avec moi, ce sera
comme je l’accepte moi. Et si je veux faire l’amour avec toi, ce sera comme tu l’acceptes
toi.
- Je n’ai pas à te demander ton avis. Dieu m’a créé en premier. Il t’a créée pour
moi. Tu m’appartiens. Tu dois m’obéir. Je disposerai de toi à chaque fois que j’en aurai
envie et de la façon que je voudrai. Couche-toi sur le dos maintenant, je vais te prendre.
- Tu ne me prendras pas. Je ne suis pas à toi. Je suis ton égale.
- Non, tu ne l’es pas. Tais-toi et obéis. »
Leur altercation s’envenima. Aucun des deux ne voulut céder. Ils se battirent et se
querellèrent toute la nuit mais, étant de force égale, aucun ne réussit à prendre l’avantage
sur l’autre. A l’aube, voyant qu’elle n’arriverait à rien de plus avec cet homme borné
Lilith s’écarta d’Adam et appela Dieu pour qu’il impose sa volonté. Elle prononça son nom
imprononçable :
« Ioh’évohé ! Ioh’évohé ! »
Dieu refusa de répondre. C’était le septième jour et il se reposait.
Se sentant trahie par son créateur, Lilith s’envola dans les airs et quitta Gan Edinu.
Elle venait de comprendre, avec amertume, que si tel était le sommet de la Création conçu
par Dieu, aucune femme ne pourrait aimer ce monde-là. De plus, quelle raison avait-elle
désormais d’adorer un Dieu pareil ? Aucune.
Le huitième jour, Dieu vint enfin voir ce qui se passait à Gan Edinu. Adam lui
raconta sa querelle avec Lilith et lui dit qu’elle était partie.
A partir de là, tout devint très compliqué.
Si Dieu avait vraiment été tout-puissant, rien de ce qui s’en suivit ne serait arrivé. Il
aurait imposé à Lilith d’obéir à Adam. Ou il aurait obligé Adam à être équanime envers
Lilith. Ou il les aurait simplement fait disparaître tous les deux de la Création et la Terre
aurait poursuivi son destin paisible sans ces êtres indisciplinés et querelleurs. Mais il ne fit
rien de tout cela. Il se mit en colère, signe flagrant d’impuissance s’il en est.
Ne daignant pas affronter lui-même Lilith la rebelle, il lui envoya trois anges pour la
convaincre de revenir, mais en vain. Elle ne voulait plus obéir à un Dieu comme lui. De
dépit, pour la punir, il lança sur elle un sort d’une cruauté effroyable : tous ses enfants
mourraient. Mais même cela ne la fit pas fléchir. Au contraire.
Lilith rencontra Samaël, l’Adversaire de Dieu, le plus puissant de tous les démons. Il
tomba aussitôt amoureux d’elle et elle de lui. Parce qu’il l’aimait telle qu’elle était, il la
considéra aussitôt comme son égale. Parce qu’il était un démon, il aimait le plaisir de la
chair. Lilith et Samaël devinrent des amants passionnés. Samaël acceptait volontiers
n’importe quelle position pour faire l’amour avec elle. Lors de leurs ébats insatiables, ils
faisaient tous les deux montre d’une imagination sans limite à ce sujet. Et parce que les
démons étaient des êtres d’une intelligence supérieure, ils ne confondaient pas l’amour et
le sexe. Lilith et Samaël trouvaient ainsi tous les deux naturel d’avoir autant d’autres
partenaires qu’ils le voulaient sans que cela n’affaiblisse leur amour.
Entre temps, voyant que Lilith ne se soumettrait jamais à Adam – et pour que ce
dernier arrête enfin ses récriminations geignardes – Dieu créa une autre femme mais, cette
fois, à partir de la chair d’Adam.
Dieu dit alors à Adam :
« Vois cette nouvelle femme. Elle est née de toi. Elle aura moins de force que toi.
Elle n’aimera que toi. Elle te sera soumise en tout. En échange, tu auras une responsabilité
envers elle. Celle de la chérir, de la protéger et de la respecter. Pour te rappeler à jamais
que cet être faible a cependant une origine aussi divine que la tienne, son nom sera formé
des trois dernières syllabes de mon propre nom : Evohé. Vous pourrez vivre et vous
multiplier à Gan Edinu où vous ne manquerez jamais de rien, à condition que plus rien ne
change désormais. Il vous faudra choisir entre le Paradis et l’Eveil. C’est pourquoi la seule
chose qui vous est interdite, c’est de cueillir le Fruit de la Connaissance. »
Adam fut satisfait. Il avait exactement ce qu’il désirait : une femme qu’il pouvait
dominer et qui devrait lui obéir en tout. Quant à la responsabilité que lui avait confié Dieu,
il n’y prêta même pas attention. Sans plus attendre, il disposa du corps d’Evohé à sa
volonté et l’obligea à faire tout ce qui lui plaisait, à commencer par ce qu’il n’avait pas
envie de faire, lui.
Samaël apprit à Lilith que Dieu l’avait remplacée auprès d’Adam par Evohé. Ils
décidèrent de se venger de cet affront voulu par Dieu. Lilith se mit aussitôt à haïr Evohé,
autant que Samaël haïssait Adam. Samaël se rendit à Gan Edinu. Il prit son apparence
favorite : celle du Serpent Tentateur. En ces temps-là, le serpent n’était pas un animal
rampant et méprisé. Il n’avait pas de crocs à l’intérieur de ses mâchoires, sa langue n’était
pas fourchue mais enveloppante et douce. Sa peau n’était pas couverte d’écailles, elle était
soyeuse, chaude et glissante. Il n’était qu’érotisme et lubricité : il utilisait son corps, à la
fois souple et dur, comme un sexe mâle à deux extrémités, ou comme un
sexe femelle en
ouvrant sa bouche sans dents. Il connaissait les mots qui éveillent un désir irrépressible. Il
séduisit sans peine Evohé, la poussant à trahir Adam. Il la connut charnellement, lui faisant
découvrir des plaisirs sans pareil, qu’elle ne soupçonnait même pas. Il la fit ensuite
désobéir à Dieu en la poussant à cueillir le Fruit Défendu qui pouvait la rendre libre en lui
donnant la Lumière. Mais ni elle ni Adam n’eurent le temps de laisser la Pomme de l’Eveil
faire son effet, car Dieu surgit, à peine le fruit cueilli.
Furieux du mépris montré par Adam pour Evohé, de l’infidélité d’Evohé envers
Adam, et de leur dédain à tous les deux en lui désobéissant, Dieu lança sur eux et sur leur
descendance une terrible malédiction.
Il les chassa à tout jamais de Gan Edinu et leur ôta l’immortalité. Il créa les maladies
et la souffrance. Il alla jusqu’à rendre douloureux l’acte même de donner la vie, pour que
chaque femme qui accouche se rappelle la faute d’Evohé.
Il obscurcit leur intelligence : il leur fit croire que la nudité était honteuse et le plaisir
sexuel, coupable ; il créa les religions, l’intolérance, les superstitions ; il créa le mensonge,
l’envie, la jalousie, le besoin de posséder, l’attachement ; il créa l’ego.
Comme toute l’espèce humaine allait désormais descendre de ce couple unique, elle
fut par nature incestueuse et vouée à la dégénérescence. Les enfants d’Adam et Evohé
durent copuler entre eux pour se reproduire. Puis les enfants de leurs enfants. Et ainsi de
suite.
Dieu n’eut pas besoin d’ajouter à toutes ces plaies l’instinct de domination, le mépris,
l’impatience, la colère, la cruauté, la haine, l’esprit de vengeance ou la capacité infinie à
faire des erreurs. Tout cela, il l’avait déjà transmis à Adam dès le début en le créant à son
image.
La malédiction de Dieu poursuivit à jamais la race des humains. Bien peu d’entre eux
parvinrent à y échapper, même partiellement. On les appela des sages, ou des saints, ou des illuminés.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:12 PM

Samaël et Lilith s’acharnèrent, eux aussi, sur la descendance d’Adam et Evohé. Lilith
hanta les cauchemars des enfants. Elle aimait à provoquer leur mort en bas âge, pour les
dévorer et faire souffrir leurs mères. Elle fit mourir une multitude de femmes en couche.
Elle vint exciter les hommes mariés en leur soufflant des pensées lascives d’adultère, soit
pendant leur sommeil, soit lorsqu’ils étaient éveillés, ce qui les faisaient se masturber. Elle
fit de même avec ceux qui désiraient en vain une femme inaccessible. Lorsqu’ils
répandaient leur semence dans leur couche ou sur le sol, elle la buvait et elle enfantait des
démons.
Parce qu’elle avait refusé de se soumettre à la domination d’Adam et à la volonté de
Dieu, Lilith devint la divinité glorifiée par toutes les femmes qui voulaient vivre libres.
Pendant des siècles, ses adoratrices furent persécutées, suppliciées et brûlées par les
hommes, à commencer par ceux qui étaient censés apporter, plus que n’importe qui, des
paroles d’amour et d’élévation : les représentants de Dieu eux-mêmes, prêtres et autres
abbés.
On appela ces femmes libres les sorcières. Comme Dieu les avait abandonnées et que
le Diable les avait toujours aimées, elles vouèrent toute leur haine aux hommes et tout leur
amour au Diable.
Et à Lilith, leur reine.
Pendant des millénaires, les descendants d’Eve et les adeptes de Lilith se
combattirent dans une guerre sans merci.
Les premiers essayaient de l’emporter de façon ouverte, impitoyable et brutale. Ils
tentèrent d’éradiquer par tous les moyens tous ceux qui étaient soupçonnés de posséder le
moindre pouvoir surnaturel. Ils déployèrent une imagination sans limite
pour leur faire
subir les tortures les plus effroyables. Du moins, quand ils n’étaient pas occupés à se
détruire entre eux, ce qu’ils faisaient le plus clair de leur temps.
Les seconds préféraient frapper dans l’ombre. Ils se rencontraient en secret,
procédaient à des actes innommables, déployaient une cruauté sans borne à l’égard de ceux
qu’ils combattaient – après tout, eux aussi descendaient d’Adam le Maudit. Ils jetaient des
sorts à leurs victimes qui perdaient soudain la raison, étaient frappés de tous les maux,
mouraient subitement sans que l’on sache trop pourquoi.
Les uns comme les autres démontrèrent sans relâche que, de toutes les créatures
peuplant la Terre, il ne pouvait pas y avoir plus inhumain qu’un humain, quel que soit son
camp, tant il est vrai que la haine se nourrit de la haine.
Avec l’apparition puis la montée en puissance de l’esprit rationnel, ceux qui
pensaient avoir été les victimes d’un sortilège furent de plus en plus souvent raillés par
ceux qui n’y croyaient pas.
Certains disent que ce sont les sorciers eux-mêmes qui ont fait croire à l’inexistence
de leurs pouvoirs. D’autres sont convaincus que tous les mythes et toutes les religions ont
été créés par l’homme pour tenter de donner un sens à la vie, en prêtant à des forces
supérieures la responsabilité de son destin erratique.
Chez certaines peuplades, les deux lignées ont vécu en harmonie au travers des
siècles, chacune bénéficiant des avantages que l’autre pouvait lui procurer. Mais pour tous
les autres, les affrontements ont été innombrables depuis l’origine des temps. De très
nombreux récits les relatent un peu partout à la surface de la Terre, quelles que soient les
cultures ou les croyances religieuses des protagonistes concernés. La plupart ont eu une
issue violente et tragique, où les vaincus ont payé leur défaite de leur vie. Rares sont ceux
qui se sont mieux terminés, car l’amour est rare et seul l’amour peut vaincre la haine.
L’histoire des Trois Perles de Domérat en est l’une des illustrations les plus récentes.
Elle prend ses racines tumultueuses en 1677 et se termine à l’automne de l’an 2000.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:21 PM

Chapitre 1
 
Chapitre 1
Le sperme des démons

Gabrielle Arfeuille se réveilla ce matin-là de très mauvaise humeur. Elle avait encore
fait le Rêve. Celui où Marie Filastre, sa lointaine aïeule, lui apparaissait, hurlant sa haine
infinie et sa douleur atroce sur le bûcher qui l’envoyait en enfer.
Le bûcher... A cette époque, la justice des hommes n’y allait pas de main morte. Une
femme belle qui vivait seule dans une cabane isolée sentait le soufre. Surtout si elle avait
des cheveux couleur de feu et des yeux verts de chat. Surtout si elle était vue en train de
danser nue, les nuits de pleine lune, au milieu de la forêt, près d’un grand feu de bois, en
psalmodiant des mélopées étranges. Et que des hommes habillés de noir l’entouraient,
surexcités, en bramant comme des fous. Et qu’ensuite, un par un, ils venaient la prendre et
jouissaient en elle de toutes les façons possibles. Qui aurait reconnu qu’elle n’était qu’une
pauvre femme, coupable d’être trop belle mais trop seule ? Qui aurait avoué, parmi eux,
qu’ils la droguaient, à chaque nuit de pleine lune depuis des mois, avec de l’ergot de seigle
macéré dans de l’alcool de sureau, pour pouvoir la violer tour à tour en toute impunité ?
Qui aurait pris sa défense, quand elle fut accusée de s’être présentée chez Mademoiselle de
Fontanges, la nouvelle jeune favorite du roi, pour l’empoisonner sur l’ordre de sa rivale
vieillissante et jalouse, Madame de Montespan ? Qui aurait témoigné qu’elle ne faisait, en
réalité, qu’essayer de fuir enfin ses violeurs ? Qui aurait dit à voix haute ce que tous
savaient – que Mathurin Bedeau, le chef occulte des hommes en noir, l’avait accusée de
sorcellerie parce qu’il était furieux de la voir lui échapper à nouveau ?0
Mathurin Bedeau... Du jour où Marie avait croisé la route de cet homme, cinq ans
plus tôt, sa vie n’avait fait que s’enliser toujours plus profondément dans la misère et la
souffrance. Elle habitait alors dans une masure à quelques kilomètres à l’ouest de
Montluçon. Elle n’était qu’une jeune fille miséreuse, rejetée de tous et orpheline. Elle avait
17 ans. L’âge qu’avait Gabarelle, sa mère, lorsqu’elle la mit au monde.
Gabarelle avait nommé sa fille Marie en hommage à sa seule amie, Marie Mélane,
une femme étrange au charme dérangeant, qui inspirait l’effroi partout où elle passait.
Avant de la rencontrer, Gabarelle était une jeune fille plutôt sage et pieuse, qui envisageait
même de se destiner au noviciat. C’est alors qu’elle croisa la route de Marie Mélane et que
sa vie bascula. Les deux femmes devinrent inséparables, le bruit courut qu’elles étaient
même amantes. Une nuit sans lune, Marie entraîna Gabarelle à une cérémonie obscure, en
pleine forêt. Un sabbat. Gabarelle en revint transfigurée – et enceinte. Marie Mélane l’aida
à accoucher, puis elle quitta la région. On la dit morte.
Quelques années plus tard, alors que sa fille venait d’atteindre l’adolescence,
Gabarelle fut emportée par une fièvre maligne, vite qualifiée de diabolique par ceux qui la
virent agoniser, la mourante ayant déliré pendant des jours en hurlant des paroles
incohérentes, donc forcément dictées par Satan en personne. Depuis, les habitants du bourg
voisin n’osaient plus approcher la jeune Marie Filastre. Ils disaient qu’elle était une
sorcière, comme sa mère et comme la Mélane. Seuls les plus braves, ou les plus
désespérés, venaient parfois lui demander, la peur au ventre, un philtre pour gagner le coeur
d’une jeune beauté inaccessible ou un sort pour repousser un voisin trop pénible.
Gabarelle avait enseigné à sa fille toutes sortes de mélanges d’herbes, des décoctions,
des paroles magiques. Elle lui avait appris à lire dans un grimoire mystérieux et interdit,
nommé « Alberti Magni de Secretis Mulierum Libellum », le Petit Livre du Grand Albert
sur les Secrets des Femmes, que tout le monde appelait plus simplement le Grand Albert.
La jeune fille, devenue orpheline, avait réalisé que ce savoir pouvait lui permettre de vivre
de la crédulité des autres, même si elle-même n’y croyait pas entièrement. Elle avait, en
effet, essayé sans succès plusieurs des recettes du livre pour satisfaire ses propres envies et
avait vite compris qu’aucune ou presque ne marchait, en dehors des poisons ou des
narcotiques – rien de magique à ça.
Un soir d’automne où il pleuvait dru, elle entendit un cheval s’approcher de son
cabanon isolé et les pas lourds d’un homme qui sautait à terre. Il ouvrit la porte grossière et
la regarda d’un air surpris. Il s’attendait à voir une vieille femme laide, pas une jeune fille
sensuelle et belle malgré la crasse, dont la peau luisait comme une invite à la lueur orangée
du feu de cheminée. Il lui dit qu’il s’appelait Mathurin Bedeau, notaire depuis peu à
Cusset. Il avait fait une longue route pour la rencontrer. Il était gras et couperosé, ses joues
ravagées par la vérole. Trempé par la pluie, il puait la vieille sueur et l’odeur forte de son
cheval mouillé. Venait-il pour lui demander un sortilège ? La jeune Marie ne le sut jamais.
Elle vit la lueur de désir dans son regard mais n’eut pas le temps de faire un geste. Il arrêta
tout à coup de parler, se jeta sur elle avec une souplesse et une rapidité étonnantes par
rapport à sa corpulence. Il l’écrasa au sol, la plaquant de tout le poids de ses 120 kilos. Elle
sentit son haleine horrible, ses mains mouillées qui lui arrachaient fébrilement le haillon
qui lui tenait lieu de robe, son sexe dur contre son ventre.
Il se mit à l’étrangler en soufflant frénétiquement. Elle perdit connaissance pendant
une dizaine de secondes. Quand elle revint à elle, il l’avait déjà pénétrée et il ahanait à
chaque mouvement du bassin en lui écrasant les bras de toutes ses forces. Elle eut beau
crier et essayer de se débattre, elle ne put rien faire pour le repousser. Dans un dernier râle
bestial, il éjacula avec un regard exorbité, la bouche grande ouverte, en se raidissant de tout
son long, son bassin poussé à fond contre celui de Marie. Puis, il se dégagea rapidement,
courut hors de la cabane, enfourcha son cheval hennissant, s’enfuit du plus vite qu’il put.
Recroquevillée sur le sol en terre, ses mains crispées sur son pubis souillé et douloureux,
Marie hurla, en sanglotant, des malédictions inutiles. Trois mois plus tard, son ventre
s’arrondissait. Elle donna naissance au début de l’été à une fille, qu’elle appela Gabrielle,
en souvenir de sa mère.
Quatre ans passèrent. Au hasard de leurs errances, Marie et la petite Gabrielle se
retrouvèrent sans le savoir près de Cusset. Mathurin Bedeau, malheureusement, habitait
toujours là. Il la reconnut sans peine le premier jour où elle se rendit sur le marché pour
vendre ses potions et ses philtres. Pour ne rien arranger, il n’avait même plus
d’appréhension vis à vis des supposés pouvoirs de sorcière de la jeune femme : depuis
qu’il l’avait violée, rien de fâcheux ne lui était arrivé, ni sortilège, ni maladie, ni même un
seul cauchemar. Au contraire, sa situation avait plutôt prospéré. A la pleine lune suivante,
il vint forcer sa porte, accompagné de huit comparses, tous habillés de noir. Le cauchemar
recommença, en pire, et se répéta à chaque pleine lune pendant des mois.
Aussi, quand Marie entendit parler de ce travail chez Mademoiselle de Fontanges,
elle prit immédiatement la route de Paris. Mais l’un de ses violeurs, qui n’était autre que le
chef de la police, en fut informé et le répéta à Mathurin.
A peine arrivée chez la jeune favorite, Marie fut arrêtée, enchaînée, jetée dans une
geôle pouilleuse, accusée de sorcellerie, torturée pendant des jours. Ses mains et ses pieds
furent broyés dans de grosses presses en bois, un de ses yeux arraché avec une pince, ses
seins tailladés et arrosés d’huile bouillante, son anus sodomisé avec un pieu puis pénétré
par un rat vivant, son vagin rempli de plomb fondu. A bout de forces, elle finit par dire tout
ce que ses bourreaux voulaient qu’elle dise. Ils la brûlèrent vive comme sorcière en place
de Grève, sous les cris de joie de la foule ravie du spectacle.
Elle mourut sans jamais avoir revu sa fille de 4 ans, qui s’était cachée non loin de sa
cabane quand les hommes en noir repassèrent voir s’ils pouvaient encore y piller quelque
chose. Ils ne trouvèrent d’intéressant que le chat, à qui ils coupèrent les quatre pattes,
comme ça, par jeu. Ils le regardèrent agoniser jusqu’à la fin, en buvant du vin et en
chantant des chansons paillardes pendant que la nuit tombait.
La petite Gabrielle vit tout. Entendit tout. Mathurin avait raconté avec force détails le
long martyre de sa mère. Il jubilait, ses comparses riaient. A un moment, il partit en
titubant vers le buisson où se cachait la gamine, pour soulager sa vessie. Elle resta
dissimulée sous les feuilles quand elle fut arrosée par son urine, immobile et muette malgré
sa rage et sa honte.0

Elle n’oublia aucun des neufs visages. Elle resta seule, cachée dans le buisson,
pendant deux jours et deux nuits. Le matin suivant, une vieille femme à l’allure de
paysanne s’approcha de la masure, puis se dirigea sans hésiter vers le buisson où se cachait
Gabrielle. Elle la recueillit sans que personne ne le sût. Elle n’était pas venue par hasard,
mais parce qu’elle avait appris ce qui était arrivé à Marie Filastre. La prétendue paysanne
était Marie Mélane, l’amie de Gabarelle. Elle était devenue une sorcière de très haut rang.
Une grande prêtresse du culte sombre de Lilith.
Lilith, la première femme, l’insoumise devenue reine des démons. Lilith, la Lune
Noire, la Mère Obscure.
Depuis quelques années, à la suite d’un nouveau rite initiatique, la Mélane avait pris
le nom de Samaëlle, en hommage au démon devenu le compagnon de Lilith après qu’elle
eut quitté Adam.
Avant de repartir avec la fillette, Samaëlle alla prendre dans la cabane le seul héritage
qu’eut Gabrielle de sa mère : le grimoire manuscrit du Grand Albert. La gamine savait où
il était caché, sous le plancher de la masure où elle avait vécu avec sa mère. Comme sa
mère avant elle, Gabrielle apprit à lire avec ce livre. Samaëlle l’éleva comme si elle était
son enfant, dans un mélange paradoxal d’amour pour le peuple des sorciers et de haine
pour le reste de l’humanité. Elle devint à la fois sa grand-mère adoptive et son initiatrice
aux rituels les plus terrifiants. Pour accélérer ses progrès, elle la fit rapidement participer
aux sabbats et aux messes noires.
_______________
Gabrielle connut son premier Grand Sabbat alors qu’elle n’avait pas 7 ans. Des
dizaines de sorcières et de sorciers s’étaient rassemblés dans une clairière en pleine nuit.
Tous se prosternèrent avec respect devant Samaëlle quand elle arriva avec Gabrielle, qui se
sentit très fière de cet accueil.0
Elle vit alors l’être hideux qu’ils entouraient. Il lui sembla immense, velu comme une
bête. Il portait une ample cape noire. Il puait le musc et la chair en décomposition. La peau
de son visage était couverte de verrues et de furoncles. Ses cheveux luisants de graisse
grouillaient de poux et d’autres vermines. Ses ongles, longs et pointus, ressemblaient à des
griffes.
Samaëlle chuchota à l’oreille de Gabrielle :
« Regarde, admire, prosterne-toi devant lui. C’est l’Adversaire.
- L’adversaire de qui ?
- L’Adversaire, Ham Shatan ! Lucifer, celui qui apporte la Lumière ! »
Chacun des sorciers vint déposer aux pieds de Shatan son herbe de sabbat, un
mélange de plantes toxiques. Quand ils eurent terminé, il ouvrit les pans de sa cape, en
extraya sans aucune gêne son pénis brunâtre et flacide. Il arrosa le tas d’offrandes de son
urine, qui empestait comme du compost pourri. Il se baissa, ramassa une grosse poignée
des herbes qu’il venait de tremper et les secoua pour asperger l’assistance dans un
simulacre de bénédiction. En poussant un grognement, il désigna ensuite Samaëlle du
doigt.
« Samaëlle, disciple d’Hécate, viens à moi.
- Ham Shatan, je viens à toi. Je suis Ardat Lili, la servante de Lilith mère
d’Asmodée. Je suis la descendante de Baal Zebub le Dragon Roux. Je me prosterne devant
toi. Je suis la fille de la fortitude, je suis la compréhension, et la science m’habite. J’ai la
connaissance de toutes choses. Les hommes me convoitent et me désirent, ils ont de moi
une faim sans limite. Mes pieds sont plus rapides que les vents, et mes mains plus douces
que la rosée du matin. Je suis déflorée et pourtant toujours vierge. Heureux celui qui
m’étreint, car je suis douce et je comble de jouissance. Mes lèvres sont plus délicieuses que
la vie. Je suis la prostituée de qui me ravit, et la vierge de ceux qui ne me connaissent pas.
- Adorez Lilith, vous mes fidèles ! Elle est sombre, mais lumineuse. Ses ailes sont
noires. Ses lèvres sont rouges comme la rose, embrasant tout l’univers. Elle est Lilith, celle
qui mène les hordes de l’abîme et conduit les hommes à la ruine. Elle est l’irrésistible qui
comble tout appétit charnel, prophétesse du désir. Elle est la première de toutes les
femmes, Lilith - et non Eve ! Elle est l’insoumise qui impose la véritable liberté. Elle est
Kisikil Lilaké, Reine du Cercle Magique. Contemplez sa luxure et son désespoir. »
Tous les participants se mirent à répéter en choeur :
« Lilith, Lilith, Lilith ! Lilith, Lilith, Lilith ! »
Shatan cria alors :
- La lune est noire, la nuit est nôtre ! Que le sabbat commence ! »
Samaëlle s’approcha d’un chaudron, posé sur un tas de bois qu’elle enflamma à
l’aide d’une torche. Shatan jeta dedans toutes les offrandes, les sorcières y rajoutèrent des
crapauds et des serpents morts qu’elles avaient emmenés avec elles dans des sacs de toile
grossière, ainsi que des morceaux de chair putréfiée. Gabrielle crut reconnaître des
membres d’enfants mais n’osa pas poser la question à qui que ce soit. Le mélange infect se
mit rapidement à bouillir dans une puanteur indescriptible, pendant que les sorcières et les
sorciers se dénudaient en chantant et en dansant une volte désordonnée. A l’aide d’une
grande louche en bois, Shatan fit boire un petit peu de la mixture infâme à chaque
participant, tout en psalmodiant des mots incompréhensibles.
Puis il leva les bras verticalement, se retrouvant entièrement nu en faisant tomber sa
cape au sol. Sa verge, boursouflée et turgescente, était désormais en pleine érection, elle
faisait plus de trente centimètres de long. L’assemblée s’immobilisa et se tut. D’une voix
qui ressemblait à un grondement, Shatan dit :
« L’heure de la fornication est venue ! Qu’on m’apporte la pucelle ! »
Dans les vivats de l’assemblée survoltée, trois hommes s’approchèrent en poussant
devant eux une adolescente d’une quinzaine d’années. Elle portait une tenue de religieuse,
elle avait été enlevée quelques jours auparavant aux abords d’un couvent où elle venait
d’arriver comme novice. Elle était visiblement droguée, ses yeux étaient mi-clos, elle tenait
à peine debout. Ils la dénudèrent, face à Shatan. Elle ne portait plus que son crucifix autour
du cou. Un des hommes se mit derrière elle et passa les bras sous les aisselles de la jeune
fille. Les deux autres la soulevèrent en attrapant chacun une de ses cuisses, qu’ils
écartèrent pour présenter son pubis à Shatan.0

Il cracha sur le crucifix puis, agrippant fermement le bassin de la jeune fille de ses
doigts crochus, il la pénétra avec un râle bestial. Elle poussa un long cri suraigu, semblant
ne réaliser qu’à cet instant ce qui était en train de lui arriver. Pendant tout le coït,
indifférent à ses contorsions désespérées et à ses hurlements de terreur et de douleur,
Shatan la griffa sur tout le corps, labourant de ses ongles sa peau blanche et douce, jusqu’à
ce qu’elle soit entièrement couverte de zébrures sanguinolentes. Les sorcières et les
sorciers criaient son nom au rythme des mouvements obscènes de son bassin. Lorsque
enfin il se retira, les trois hommes qui tenaient le corps supplicié de la novice la laissèrent
tomber au sol et se mirent à la prendre sauvagement tour à tour.
Ce fut le signal de l’orgie la plus effrénée, les accouplements se multipliant sans
préférence d’âge ou de sexe. Même Gabrielle, prise dans la mêlée, se faisait caresser et
lécher par les hommes et les femmes qui se retrouvaient près d’elle, à portée de main ou de
bouche. Elle ne dût qu’à la protection de Samaëlle de ne pas connaître pire. Quant à la
malheureuse jeune religieuse offerte à Shatan, elle fut encore violée de multiples fois, y
compris bien après qu’elle ait succombé à ses tortures.
Les ébats continuèrent jusqu’au chant du coq. Alors, tous se dispersèrent, aussi
furtivement qu’ils étaient venus, ne laissant derrière eux que le cadavre exsangue,
désarticulé et à moitié dévoré de la novice.
_______________
Gabrielle vécut avec sa protectrice jusqu’au jour où elle eut ses premières règles, à
l’âge de 11 ans. Samaëlle y vit le signe du temps de la vengeance. Le sang appelait le sang.
Gabrielle remercia avec émotion celle qui lui avait sauvé la vie et tant appris. Elle partit
avec le grimoire de sa mère glissé sous ses haillons.0
Dans les quatre années qui suivirent, elle retrouva huit des neuf hommes en noir et
les tua un par un. Qui se méfie d’une gamine miséreuse qui demande à faire un peu de
ménage en échange d’un quignon quotidien de pain rassis ?
Le premier, elle l’égorgea dans son sommeil, la nuit même de son embauche. Elle fut
déçue par cette fin trop rapide.
Pour les suivants, elle fit durer le plaisir, les torturant avec un raffinement croissant,
découvrant les meilleures façons de rendre leur agonie aussi lente et douloureuse que
possible. Au cours de ces longues années, plusieurs de ses employeurs eurent le temps de
la violer avant que ne vienne le jour de leur exécution. Elle avait beau n’être qu’une
tâcheronne à peine pubère, son corps était très vite devenu celui d’une femme. Sa beauté
sulfureuse, rehaussée par ses longs cheveux roux frisés, ne pouvait que faire chavirer les
pourceaux sans scrupules qui avaient autrefois abusé de sa mère. En ces temps obscurs,
aucune loi ni aucune morale ne les en empêchait. Surtout quand le violeur était un
bourgeois riche et que sa victime était une servante pauvre.
Elle fut forcée et dépucelée par le deuxième des hommes en noir alors qu’elle avait à
peine plus de 12 ans. Dans les trois ans qui suivirent, elle tomba trois fois enceinte. Ses
grossesses aboutirent à deux fausses couches et une naissance, un bébé mâle né deux mois
avant terme, qui ne survécut que quelques minutes. Elle offrit son corps minuscule à Lilith,
en suivant le rituel effrayant que lui avait appris sa grand-mère adoptive. Elle ne l’aurait
pas laissé vivre, de toutes façons. Elle voulait une fille.
Elle célébra l’anniversaire de ses 15 ans sur le corps agonisant de Barnabé Malveson,
le huitième et avant-dernier des hommes en noir, le chef de la police qui avait fait échouer
la tentative de fuite de sa mère. Après l’avoir drogué et ligoté, elle l’avait torturé pendant
des heures avec un rat affamé qu’elle tenait par la peau du dos et qui déchiqueta tout ce
qu’il put mordre du supplicié – son nez, ses oreilles, ses joues, sa langue, ses doigts, ses
tétons, son sexe. Ensuite, elle avait ouvert le ventre de sa victime toujours vivante avec un
couteau de cuisine, sorti ses viscères à pleines mains, glissé le rat à l’intérieur. Pendant que
le rongeur déchaîné dévorait le foie de Barnabé, elle avait regardé ses derniers soubresauts.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:27 PM

Elle commença à se masturber, accroupie nue à quelques centimètres de son visage, en
chantonnant une berceuse. Puis, ses soupirs de plaisir se mêlèrent aux derniers râles de
Barnabé en un choeur obscène. Elle jouit au moment précis où il mourut.
Ne restait plus que Mathurin Bedeau. Elle dût patienter deux ans de plus. En effet, le
roi en personne avait récompensé le notaire d’avoir « sauvé » sa jeune favorite de la mort
en lui octroyant des terres immenses en Louisiane. Il était donc parti là-bas avec sa famille,
pour en prendre possession. Il fit venir d’Afrique des centaines d’esclaves pour cultiver ses
champs de coton. Parmi eux se trouvait Batuuli.
_______________
Batuuli avait passé la porte de Gorée, comme des millions d’autres, alors qu’elle
avait à peine 16 ans. Elle avait embarqué dans les cales repoussantes d’un bateau, survécu
à l’enfer de la traversée et connu un enfer pire encore en arrivant à la Nouvelle-Orléans, de
l’autre côté de l’océan. Là-bas, parce qu’elle était divinement belle, Mathurin la mit à part
des autres et la viola presque tous les jours pendant des mois, au bon vouloir de ses
pulsions bestiales. Son épouse n’en prenait pas ombrage. A ses yeux, Batuuli n’était pas un
être humain, mais une esclave, autant dire moins qu’un animal. Tout au plus trouvait-elle
un peu écoeurant que son homme puisse supporter de toucher une négresse, même si ce
n’était que pour se soulager en la baisant, comme on se soulage en pissant.
Un jour, Batuuli tomba enceinte. Ses seins grossirent, son ventre s’arrondit. Pour se
protéger de Mathurin, elle se mit à pratiquer des vieux rites yoruba qu’un sorcier béninois,
esclave nouvellement arrivé, lui avait appris. C’est alors que Mathurin se désintéressa
d’elle. L’idée que l’enfant qu’elle portait puisse avoir un peu de son sang lui coupait toute
envie. Batuuli fut convaincue de son côté qu’elle devait ce répit aux rites voduns. Lalya, sa
petite fille, vint au monde avec une peau plus claire que celle de sa mère, mais Batuuli
l’aima de la même façon que si elle avait été née de l’amour. La santé de Mathurin vint à
se dégrader rapidement. Rites magiques ou infection liée à l’eau et aux aliments ? Il se mit
à souffrir de diarrhées et de fièvres chroniques. Il finit par repartir en France. Un autre
maître blanc le remplaça à la tête de la propriété. Il ne valait pas beaucoup mieux mais ni
Batuuli, ni Lalya ne furent plus inquiétées.
_______________
Un beau jour, deux siècles plus tard, l’esclavage fut aboli. Les survivants de la lignée
de Batuuli vinrent s’installer aux Antilles, puis, encore plus tard, en France. C’est là que
Salomé, la descendante lointaine de Batuuli, naquit. Elle n’ignorait pas qu’elle conservait
dans son sang un peu des gènes détestables du violeur blanc. L’histoire de ses origines
s’était transmise de bouche à oreille tout au long de la descendance de son aïeule. Elle
devait d’être née au supplice interminable de Batuuli, à l’un de ses multiples viols. Mais
malgré le destin tragique de sa malheureuse ancêtre, toutes les femmes de sa famille que
Salomé connut jusqu’à son arrière-grand-mère, l’élevèrent dans l’amour pour la vie.
_______________
De retour en France, Mathurin acheta une grande maison à Montluçon et s’y installa
avec sa famille. Dès que Gabrielle l’apprit, elle vint se présenter chez lui pour lui offrir de
faire ses ménages. Elle venait justement d’atteindre l’âge fatidique de 17 ans. Elle était
devenue une superbe jeune femme, avec les mêmes cheveux roux et les mêmes yeux verts
que sa mère. Subjugué par sa beauté, Mathurin l’embaucha aussitôt. Comme elle s’y
attendait, il voulut abuser d’elle dès le premier soir où il fût seul, sa femme et ses deux
jeunes fils nés en Louisiane étant partis rendre visite à une de leurs cousines à Condat.
Gabrielle laissa Mathurin la pénétrer sans trop résister, sur le carrelage de la salle à
manger. Elle fit même semblant de se laisser envahir par le plaisir, pour endormir sa
méfiance.
Lorsqu’il jouit enfin, en soufflant son haleine puante à travers ses chicots noirâtres à
quelques centimètres de son visage, elle lui arracha l’oeil droit, d’un geste vif et précis de
ses doigts durs comme une serre d’aigle. Pendant qu’il hurlait en se tenant le visage, elle se
releva, attrapa une chaise, la fracassa sur son crâne. Il s’écroula sur le sol.
Elle finit d’enlever les lambeaux de vêtements qu’il n’avait pas déjà arrachés.
Entièrement nue, elle alla tranquillement chercher une fiole qu’elle cachait sous sa
paillasse et un hachoir à la cuisine. Elle retourna auprès de Mathurin toujours sans
connaissance, fit couler dans sa bouche le contenu de la fiole pendant qu’il gisait à terre.
Au bout de quelques minutes, Mathurin revint à lui mais quand il voulut se relever, son
corps était entièrement paralysé par la potion que Gabrielle lui avait fait boire. Une recette
prise dans Le Grand Albert, à base d’aconit et d’hellébore. Son rythme cardiaque était
devenu tellement faible que le moindre mouvement lui était pénible et douloureux. Il
respirait difficilement, comme un asthmatique en pleine crise, avec une impression de
noyade permanente. Sa langue, dure comme une pierre, ne faisait qu’empirer sa sensation
d’étouffement. Il ne parvenait même pas à crier. Par contre, il sentait tout.
Seul le regard borgne de Mathurin put exprimer sa panique, puis sa douleur quand,
sans hésiter, elle lui trancha net les deux mains et les deux pieds avec le hachoir. Elle
attrapa aussitôt une bûche qui crépitait dans la cheminée et l’appliqua sur les quatre
moignons de Mathurin pour cautériser les plaies afin qu’il ne se vide pas trop vite de son
sang. L’odeur atroce de la chair brûlée envahit la pièce.
Elle ramassa les mains mutilées, toutes dégoulinantes, et le força à la regarder de son
oeil encore valide quand elle se les passa sur le corps en grotesques caresses, se
barbouillant les seins et le ventre de son sang, en riant et en faisant mine de jouir.
Elle hurla soudain en se jetant sur lui :
« Je suis Gabrielle, fille de Marie Filastre, suborneur de pucelle ! Tu as baisé ma
mère et tu viens de baiser ta propre fille, gros tripier ! Infâme pourceau, foutriquet maudit,
tu vas payer ! C’est toi mon père, Mathurin Bedeau, et tu viens de baiser ta fille !
Maintenant, tu vas te baiser toi-même ! »0
Elle lui lacéra le visage et le corps de ses ongles en rugissant comme une bête,
s’agenouilla près de son pubis, prit à pleine bouche son pénis mou et ses testicules. Elle
mordit la chair de toutes ses forces et d’un coup de tête violent en arrière l’émascula, puis
recracha le tout sur son ventre. Il s’évanouit. Quand il revint à lui, elle le força à avaler ses
parties génitales en poussant les lambeaux de chair sanguinolents au fond de sa gorge,
comme pour gaver une oie.
« Ta bite te baise, chien puant ! Ta bite te baise ! Que ton foutre t’étouffe ! »
Il mit plus de cinq heures à mourir.
A deux reprises où il perdit à nouveau connaissance, elle s’accroupit à califourchon
sur son visage et lui pissa dessus. Quand ses gémissements devinrent à peine audibles, elle
l’arrosa abondamment avec une grosse bonbonne d’eau-de-vie et y mit le feu, sans prêter
la moindre attention à ses râles de supplication. Elle resta encore plusieurs minutes à le
regarder après qu’il ait rendu son dernier soupir, écoutant la chair grésiller avec une
soudaine indifférence. Elle versa sur le corps fumant et couvert de cloques ce qu’il restait
d’eau-de-vie et jeta dessus tout ce qu’elle trouva d’inflammable. Elle quitta ensuite sans se
retourner la maison qui s’embrasait de pièce en pièce. Quand la femme et les fils de
Mathurin rentrèrent chez eux le lendemain, il ne restait plus que des débris calcinés.
De l’autre côté de l’océan, Batuuli eut un rêve dans lequel sa fille et elle vivaient
libres et heureuses à Farafina, la Terre des Hommes Noirs.
Huit mois plus tard, seule dans une cabane sordide, Gabrielle mettait au monde une
fille qu’elle prénomma comme elle et comme sa grand-mère. Elle trancha son cordon
ombilical et en fit couler quelques gouttes de sang dans la bouche du bébé avant de lui
donner le sein. La lignée des Gabrielle débuta ainsi.0

_______________

Gabrielle Douay, l’arrière-arrière-petite-fille de Gabrielle Filastre, faillit également
finir sur un bûcher plus d’un siècle plus tard. Elle habitait aussi à Cusset et vivait en
escroquant les paysans crédules qui venaient lui demander des potions ou des
désensorcellements. Lorsqu’elle eut 17 ans, comme toute sa lignée, elle chercha à tomber
enceinte. Par une nuit noire de nouvelle lune, elle attira au fond du bois un homme d’une
vingtaine d’années, bossu, muet, retardé mental, que le curé avait recueilli pour entretenir
l’église.
Sous le regard étonné de l’homme hébété, elle commença un cérémonial de messe
noire. Elle invoqua Astaroth et Belzébuth, Asmodée et Béhémoth, Azazul et Belial. Elle lui
fit boire du vin, en but aussi. Quand il fut ivre, elle se dénuda, se caressa le corps, lui
arracha ses vêtements, le fit tomber par terre. Elle susurra en s’approchant de lui :
« Viens en moi, ô Grand Dieu Pan, pour aimer cet homme aussi hideux que toi. Viens
lui faire ce que tu aimes faire avec les faunes. »
Elle s’agenouilla entre ses jambes et suça son pénis difforme avec avidité jusqu’à ce
qu’il soit bien dur. Puis elle s’assit à califourchon sur son dard dressé et le fit s’enfoncer en
elle d’un coup. Le bossu sentit venir son orgasme au bout d’à peine quelques secondes, les
yeux exorbités, entre l’extase et la terreur. Gardant son bassin bien collé à celui de son
amant involontaire pendant qu’il jouissait, elle éclata d’un rire sauvage. Les bras levés
comme si elle chevauchait un cheval sauvage en train d’être dompté, elle hurla en levant la
tête vers la lune noire :
« Viens en moi, ô Lilith, Reine des Striges, Mère Obscure ! Ouvre ta bouche au fond
de moi, ô Kiskill Udakkarra, aspire le sperme de cet homme jusqu’à ce qu’il en meure
épuisé ! »
Alors qu’il continuait d’éjaculer en elle à grands traits, elle se pencha tout près de son
visage et ajouta, d’une voix effroyablement douce :
« O Lamashtu, bois le sang de l’homme qui vient de répandre sa semence dans le
ventre de ta succube ! »
Elle lui trancha la carotide à pleines dents, but son sang comme une goule, se releva,
dansa une sarabande autour de son corps agité de violents soubresauts jusqu’à ce qu’il
mourût. Puis elle partit sans un regard pour le cadavre qui gisait sur le sol. Il fut dévoré
dans l’heure qui suivit par une horde de loups, attirés par l’odeur de la mort.
Quand Gabrielle fut sûre d’être enceinte quelques semaines plus tard, elle alla voir le
Pagnat, un vigneron du coin, âgé et solitaire, qui n’avait jamais pu trouvé femme tellement
il était laid et bête. Elle lui proposa de l’épouser en échange de la laisser élever sous son
toit la fille qu’elle portait. Il accepta.
Un jour, un habitant de Magnet vint consulter Gabrielle Douay, que tout le monde
appelait désormais la Pagnat, pour qu’elle le délivre d’une maladie qui le rongeait. Elle mit
un coeur de coq transpercé d’épingles dans un petit coffret en bois, encore une recette
trouvée dans Le Grand Albert. Elle avait arraché le coeur du coq encore vivant, l’avait fait
mordre à la femme et la soeur du malade, l’avait aspergé de soi-disant eau bénite - tirée en
fait directement de son puits malodorant – avait marmonné une formule mystérieuse en
faisant des signes de croix de la main gauche. Puis, elle leur avait dit de le faire cuire
pendant douze heures sous les cendres de leur cheminée. L’homme devait ensuite porter
sur lui le coeur carbonisé dans une petite boîte, tout le temps, sans jamais en parler à
personne. Malheureusement pour lui, son état empira et il mourut. Sa femme et sa soeur
allèrent porter plainte auprès du juge. Heureusement pour la Pagnat, on ne brûlait plus les
gens au Premier Empire. Elle fut seulement condamnée à une amende et une peine de
prison pour extorsion de fonds.
_______________
De fille en fille, de viols en rites noirs, de Gabrielle en Gabrielle, la descendance de
la Filastre finit par aboutir à Gabrielle Arfeuille, l’adolescente qui se réveillait par ce matin
pluvieux et froid près de Montluçon en janvier 2000, en ayant à nouveau rêvé de son aïeule
suppliciée. A son chevet trônait toujours le vieil exemplaire en parchemin du Grand Albert,

transmis de mère en fille depuis 330 ans.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:30 PM


Chapitre 2
Connexion

A quoi ça sert d’être connecté à la terre entière si on
n’a rien à se dire ?
Georges Wolinski

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 21-02-09 06:35 PM

Charlie rencontra Tess en 1999, un an après être arrivé à Londres. Il y avait été muté
et promu par IBM à un poste de directeur technique, quelques mois à peine après son
recrutement à Toulouse par le géant mondial de l’informatique. Il était en charge, comme
des milliers d’autres, de veiller au bon déroulement du passage à l’an 2000 qui, après
beaucoup de paranoïa et de gesticulations, allait finalement se passer sans incident
particulier.
Tess était assistante dans une entreprise de logiciels installée dans l’un des bâtiments
de l’Oxford Science Park, un parc technologique situé à Sandford, dans la banlieue
d’Oxford. Elle avait des cheveux auburn, des yeux indigo. Grande, fine, superbe, 22 ans.
D’ailleurs, elle améliorait son ordinaire en posant de temps en temps comme modèle pour
une marque de lingerie. Elle vivait avec un futur avocat, prénommé Dave. Ils projetaient de
se marier dès qu’il aurait son diplôme. Charlie et Tess eurent un coup de foudre réciproque
dès qu’ils se virent. Leur liaison, d’abord clandestine, fut extrêmement chaotique. Tess
était déchirée entre la passion qui la dévorait pour Charlie et son engagement vis à vis de
Dave, qu’elle aimait malgré tout sincèrement.
Un jour, Tess fut convoquée par le directeur du personnel de son entreprise, un
homme puritain et rigide, aux cheveux blancs coupés courts et aux costumes sévères. Il lui
déclara qu’il surveillait tous ses mails depuis des mois et que la messagerie de l’entreprise
n’était pas faite pour échanger des missives passionnées avec son amant. Elle crut mourir
de honte. Charlie et elle s’écrivaient en effet plusieurs fois par jour des mots extrêmement
intimes. Ceux qui suivaient leurs ébats secrets étaient particulièrement riches en détails
croustillants. Comme, par exemple, après les deux heures qu’elle venait de passer avec
Charlie dans un bed-and-breakfast la veille au soir alors qu’elle était soi-disant à son cours
de gym. Le directeur ajouta froidement qu’il venait de lui envoyer un avertissement écrit
chez elle. Humiliation supplémentaire, il avait adressé la lettre au nom de Dave.
A peine sortie du bureau du directeur, complètement paniquée, elle téléphona à
Charlie, pour le mettre au courant. Après avoir tenté de la calmer, il finit par lui dire
qu’elle allait devoir choisir très vite entre lui et Dave, puisque ce dernier serait mis au
courant le soir même. Elle lui répondit qu’elle allait affronter Dave d’abord et décider
ensuite. Quand elle arriva chez elle à la nuit tombée, elle trouva Dave assis par terre dans
la cuisine, effondré, en larmes, la lettre dans les mains. Pendant plusieurs heures, leur
appartement résonna de sanglots et de cris. A deux heures du matin, épuisée, elle enfourna
une pile de vêtements dans un gros sac de voyage, demanda à Dave de la pardonner et
partit rejoindre Charlie à Londres.
Depuis trois semaines, ils vivaient enfin leur passion sans avoir à se cacher. Ils
avaient même pu fêter Noël et le nouvel an ensemble, ce qu’ils n’auraient jamais osé
sérieusement envisager à peine un mois plus tôt. Leur félicité n’empêchait cependant pas
quelques soirées éprouvantes, quand Tess sentait la culpabilité de sa trahison l’envahir à
nouveau.
Une nouvelle crise de ce genre venait de se produire la nuit précédente, après que
Tess eût reçue un long mail de Dave la suppliant de revenir avec lui. Il lui racontait à quel
point son réveillon avait été misérable et solitaire, sans elle. Il lui rappelait les voeux qu’ils
avaient échangés de se marier à l’été, après ses examens. Il ajoutait que si elle revenait, il
lui pardonnerait tout, parce que la seule chose qui comptait pour lui était de passer tout le
reste de sa vie avec elle. Elle se sentit profondément ébranlée et passa la nuit en pleurs.
Charlie comprit qu’elle était en train de lui échapper, il ne dormit quasiment pas non plus.
A bout de nerfs, ils eurent une scène très violente au petit matin. Après avoir sommé Tess
de se décider et de choisir une bonne fois pour toutes avec qui elle voulait vivre, il partit en
claquant la porte.0
Il se rendit à son travail avec le moral à zéro. Il ne porta même pas attention au vent
glacial de janvier qui lui mordit la peau à la sortie du métro. Ni au sourire plein de
promesses que la fille de l’accueil lui faisait tous les jours lorsqu’il arrivait dans le hall
d’entrée de l’immeuble IBM. L’esprit ailleurs, il glissa machinalement son badge devant le
capteur, passa le portillon de sécurité et prit l’ascenseur pour rejoindre son bureau au
huitième étage.
Il soupira en regardant son écran. Encore un spam dans sa messagerie. Et pas
n’importe lequel, le fameux « Sauvez Amy ». Avec l’approche du passage à l’an 2000, les
fausses prophéties et les chaînes de la chance s’étaient multipliées à un rythme exponentiel.
Même si ce cap soi-disant fatidique était désormais passé, leur fréquence ne faisait
qu’empirer. Si les prétendues pyramides de solidarité ressurgissaient en plus, lire ses mails
le matin allait devenir une vraie course d’obstacles.
Celle-ci était un modèle du genre – fautes d’orthographe comprises, pour faire plus
« petite fille malade » sans doute.
De : Make-A-Wish
A : charlie, tess, s.maussel@aol.com, pCalini@sensorys.fr, mmartin@jlds.com,
b.pujol@irpf.fr, n.sanchez@irpf.fr, mina_noria@yahoo.fr, balkiss_noria@llamirail.
univ-tls1.fr, romain.sartoris@tiscali.fr, leila.kanou@cnac-gp.fr,
salome.montout@aol.com, g.arfeuille@wanadoo.fr, nora_alhegra@yahoo.fr
Objet : Sauvez Amy
FAITES SUIVRE S.V.P. MERCIFaites
le pour elle!
Un petit geste ne coute rien.
j'espère que vous aurez le coeur de ne pas effacer ce message!!
Bonjour, mon nom est Amy Bruce. J'ai sept ans et j'ai un grave cancer du poumons
comme fumeuse passive. J'ai aussi une grande tumeur cérébrale, produit de
plusieurs métastases (cancer des os).
Les médecins disent que je vais mourir bientôt si on ne fait rien, et ma famille n'as
pas assez d'argent pour payer les traitements.
La fondation "Make a wish" a décidé de donner 7 cents chaque fois que quelqu'un
recevra et enverra ce message. Pour tout ceux qui enverrons une copie de ce
message, je vous remercie et pour ceux qui ne le feront pas, n'oubliez pas que tout
ce qu'on fait, nous revient.
Ayez du coeur, s'il vous plaît envoyez ce é-mail à toutes vos connaissances
PS : Envoyez une copie, ne coute rien.
MERCI à VOUS TOUS !!!!!!!!!!!!

Pour une moribonde, la petite Amy tenait plutôt bien le coup. Déjà plus d’un an et
demi qu’elle était censée « mourir bientôt » et que ce poignant appel au secours tournait
sur le réseau mondial. Pas mal pour une fillette en cancer terminal généralisé. La cerise sur
le gâteau était la vague menace finale vis à vis de « ceux qui ne le feront pas ». Ben
voyons, soyons modernes, maintenant les malédictions circulent par Internet.
Charlie renvoya à tous les destinataires, dont la plupart qu’il ne connaissait même
pas, un message de mise en garde contre cette intox nauséabonde, afin qu’au moins ces
personnes-là ne continuent pas à relayer de telles bêtises. Comme à chaque fois, seules
quelques-unes d’entre elles lui retournèrent un petit mail de remerciement. La plupart se
*******èrent d’effacer les deux messages sans y penser plus que ça.
Pourtant, les treize hommes et femmes qui venaient de se trouver fortuitement en
contact avec Charlie par l’intermédiaire de « Sauvez Amy » allaient tous interférer de près
ou de loin avec lui, même si aucun, à part Tess, n’en avait conscience à cet instant précis.
Tess, seconde sur la liste des destinataires, qui le plaquerait définitivement quelques jours
plus tard. Venaient ensuite deux amis de Charlie, puis six inconnus qui transformeraient sa
vie plusieurs années plus tard et, pour finir, quatre femmes dont le rôle allait être
considérable dès les jours suivants.0
Les deux proches de Charlie étaient Sarah Maussel et Phil Calini.
Sarah avait fait sa connaissance quelques semaines plus tôt et le courant était
immédiatement passé entre eux. Cette sympathie se transforma rapidement en amitié
profonde. Elle allait recruter Charlie quelques mois plus tard dans le bureau d’études
qu’elle venait de fonder près de Marseille, lui donnant l’occasion de revenir en France.
Quant à Phil, il était le meilleur ami de Charlie depuis des années. Il animait un salon
d’aromathérapie et de relaxation à Montpellier. Quelques jours plus tard, c’est lui que
Charlie appellerait, à un moment où il se sentirait totalement désemparé.
_______________
Les six personnes d’après allaient n’interférer à nouveau avec la vie de Charlie que
plusieurs années plus tard. Mais leur destin se noua justement ce soir-là, à cause de la
première d’entre elles, Muriel Martin.
Blonde platine décolorée, au physique de playmate et au corps complètement épilé,
elle travaillait comme masseuse-esthéticienne dans un institut de beauté de Castres. C’était
une habituée des bars louches de la ville, aux envies sexuelles insatiables. Elle finirait la
nuit à venir dans une chambre d’hôtel avec trois hommes, dont les deux suivants de la liste,
des habitués de ce genre de pratique. Ils étaient respectivement chef de service et avocat
spécialisé en droit des brevets au sein de l’un des laboratoires castrais du puissant groupe
pharmaceutique Pierre Fabre. Le troisième homme à profiter des charmes de Muriel cette
nuit-là n’apparaissait pas sur la liste, d’ailleurs il n’avait pas de mail.
D’origine sino-française, il se prénommait Luo. Il était rugbyman au Stade
Toulousain, venu disputer dans l’après-midi un match amical contre le Castres Olympique.
C’est lors de la fête très arrosée de la traditionnelle troisième mi-temps qu’il avait fait la
connaissance des deux cadres de Fabre, qui ne lâchaient pas Muriel d’une semelle.
L’appétit de Luo pour le sexe égalait, voire dépassait, celui de Muriel. Elle allait devenir
l’une de ses maîtresses régulières pendant près d’un an, avec de nombreux épisodes
d’amour à plusieurs – filles ou garçons – Luo étant également très friand de ce genre de
plaisirs.
Il ne vivait pourtant pas seul. Sa première nuit avec Muriel ne fut qu’une énième
tromperie vis à vis de sa compagne officielle, Mina Noria, la destinataire suivante. Ce n’est
que huit mois plus tard que Mina surprendrait Luo avec Muriel. Cette révélation mettrait
fin à leur couple, Luo préférant continuer sa route avec Muriel que sa routine avec Mina.
Ensuite venait Balkiss, la soeur jumelle de Mina. Elle était étudiante en lettres à
l’université du Mirail, à Toulouse aussi. Quelques années plus tard, Balkiss et Mina
devaient rencontrer Charlie et bouleverser sa vie à jamais. Tout commencerait quand Mina
serait embauchée par Sarah, dans la même entreprise que Charlie. Il tomberait fou
amoureux d’elle jusqu’à la fin de ses jours, alors que Balkiss deviendrait, elle, amoureuse
de lui. Et Luo, revenu dans la vie de Mina, compliquerait tout.
Auparavant, Romain Sartoris, le suivant sur la liste et l’un des amis proches de Mina,
aurait une liaison aussi brève que désastreuse avec elle. Elle en garderait un traumatisme
douloureux. Ils ne se reverraient plus jamais ensuite.
_______________
Les quatre dernières destinataires de « Sauvez Amy », toutes des femmes, allaient,
elles, avoir un impact quasi immédiat sur la vie de Charlie.
Seule Leila Kanou n’y participa qu’indirectement. Elle fut, en quelque sorte, un signe
avant-coureur d’une incroyable avalanche d’évènements, dont l’essentiel se déroulerait en
moins d’un mois. Leila était une ravissante burkinabée travaillant au Centre Georges
Pompidou. Elle devait retrouver Salomé Montout pour un dîner le soir même. Les deux
jeunes femmes deviendraient ensuite amantes d’une nuit – cette même nuit pendant
laquelle Luo ferait l’amour pour la première fois avec Muriel.
Salomé oublierait Leila aussitôt après, en raison d’un coup de foudre intense et
réciproque qui les frapperait elle et Charlie dès le lendemain. Gabrielle Arfeuille, la dixhuitième
descendante de la Filastre, mettrait toute son énergie à détruire ce qui eut sans
doute pu devenir une vraie passion. Salomé et Gabrielle, les deux bourgeons lointains issus
de l’infâme Mathurin Bedeau, allaient en effet se disputer le même homme. En dehors de
leur origine commune dramatique qu’elles ignoreraient toute leur vie, elles ne se
ressemblaient en rien. Salomé baignait dans l’amour alors que Gabrielle n’avait jamais
connu que la haine.
Charlie rencontrerait Gabrielle en chair et en os exactement treize jours plus tard, une
semaine avant qu’il ne se retrouve dans les bras de Salomé.
Pour rejoindre Gabrielle au centre de la France, il prendrait un avion et aurait ensuite
besoin de louer une voiture. L’hôtesse de l’agence Avis, avec qui il sympathiserait en
remplissant le formulaire de location après son atterrissage à l’aéroport de Clermont-
Ferrand, serait Nora Alhegra, la dernière de la liste des destinataires de « Sauvez Amy ».
Elle jouerait également un rôle crucial dans la suite de cette histoire.
o
o o
o
Le jour de la connexion prit fin. Le soleil se coucha.
Les destinées des quatre femmes, comme animées par les rouages d’un mécanisme
occulte, entrèrent alors en résonance et commencèrent à échanger des échos étranges.
Etait-ce l’ombre menaçante de Lilith, exécutant un plan funeste, plaçant ses pièces en
ricanant, manipulant le sort des humains qu’elle voulait torturer avant de les dévorer ?0
Etait-ce, au contraire, un hasard pur et simple, une collision comme il y en a des milliards
dans l’essaim aveugle des vies qui s’agitent en tous sens ? A chacun d’en décider…
La nuit tomba.
Leila, Salomé, Gabrielle et Nora se retrouvèrent sous le signe de la lune noire.0


cocubasha 22-02-09 01:52 PM



ÊÓáãí ÑíåÇã

ÊÚíÔí æ ÊÌíÈí ÍÈíÈÊí

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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 04:14 PM

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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 04:17 PM

Chapitre 3
La lune noire
Nous sommes deux soeurs : la première engendre la
seconde et la seconde engendre la première. Qui
sommes-nous ?
Le Sphinx
Black moon is rising
How long will it be
Greg Lake
La lune est le rêve du soleil.
Paul Klee

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 04:50 PM

Salomé lut l’avertissement de Charlie sur « Sauvez Amy ». Elle le trouva très gentil
de la prévenir ainsi alors qu’il ne la connaissait pas. Elle le remercia en retour d’un petit
mail puis n’y pensa plus du reste de la journée. Ce soir-là, elle avait rendez-vous avec Leila
Kanou et cela occupait toutes ses pensées. Depuis le week-end précédent où elle avait fait
sa connaissance chez des amis communs à une soirée, cette fille l’attirait d’une façon
délicieusement troublante. Elle n’était pas seulement brillante quand elle parlait d’art, ou
drôle quand elle décrivait sa vie. Elle était aussi fabuleusement belle, ou plus précisément,
sensuelle dans ses moindres gestes, dans sa façon de regarder Salomé et même dans la
douceur soyeuse de sa voix qui, à elle seule, éveillait le désir. Quand, à la fin de la soirée,
Leila lui avait proposé un dîner à deux, entre filles, pour le jeudi suivant, Salomé avait
accepté immédiatement.
Le dîner se passa comme dans un rêve. Salomé raccompagna Leila chez elle. A peine
entrées dans son appartement à la fois moderne et chaleureux, Leila colla ses lèvres contre
celles de Salomé. Ce n’était pas la première fois que Salomé faisait une exception à son
hétérosexualité, même si cela ne lui était arrivé qu’assez rarement. Quant à Leila, elle était
exclusivement lesbienne et elle fit connaître à Salomé toute l’étendue de son expérience.
Qu’y a t’il de plus doux que deux femmes qui font l’amour… Sans parler de l’avantage
physique qu’elles ont sur n’importe quel homme, celui d’avoir autant d’orgasmes qu’elles
en ont envie.0
Entre deux de leurs multiples extases, elles se mirent à bavarder à voix basse. Salomé
raconta à Leila l’histoire de Batuuli et de sa descendance, jusqu’au jour où elle était née
dans un petit village près de Montluçon. Leila, quant à elle, avait des parents burkinabés
mais avait vu le jour au Togo, à Lomé.
« Lomé ? C’est drôle, comme coïncidence. Lomé, c’est comme mon prénom.
- Je ne crois pas aux coïncidences. D’ailleurs, ce n’en est pas une. C’est parce
qu’on m’a dit que tu t’appelais Salomé que j’ai voulu te connaître mieux. Et que j’ai eu très
envie que tu ne sois plus seulement Salomé, mais ma Lomé.
- Ta Lomé ? Ah oui ? Et si je t’avais dit non merci jamais avec une fille ? Et si tu
m’avais trouvée laide ? Tu m’aurais aussi entraînée chez toi ?
- Tu n’es pas laide et tu es ici avec moi.
- Oui, mais si tu m’av…
- Tu n’es pas laide et tu es ici avec moi. Ce « si » n’a pas de sens. Comment
pourrais-tu être laide ? Tu ne l’es pas. Tu es belle. Et tu as eu envie de moi tout de suite, je
l’ai vu dans tes yeux et dans tes gestes. Tu ne m’as pas repoussée. Tu ne m’as pas résistée.
Tu es ici dans mon lit. Tu es Salomé, je suis Leila, nous nous sommes rencontrées, nous
nous sommes plues et nous faisons l’amour. C’est ainsi.
- D’accord, d’accord, j’abandonne. Et je m’abandonne. Dis-moi, puisque je suis ta
Lomé, quel effet ça te fait d’être couchée nue sur moi comme le jour où tu es née, couchée
nue aussi au milieu de Lomé ?
- Tu veux que je te remontre quel effet ça me fait d’être au milieu de toi ? Et toi
quel effet ça te fait quand je te fais ça… et ça... et...
- Hmmmm, non, attends, on parle encore un peu d’abord.
- Ca t’embête tant que ça que je te caresse pendant qu’on parle ?
- Oui ! Ouh, mmmh, non ! Hmmm, là non plus, ça ne m’embête pas. Ouh, et ça,
mais alors là, ça ne m’embête pas du tout ! J’ai l’impression que tu connais mon corps
mieux que moi, je ne sais pas comment tu fais pour oooooohhh…. Mmmhhh, qu’est-ce que
je suis bien avec toi.
- Tu es à l’image de ton nom. Salomé, la paix…
- Et toi, que veut dire ton nom ?
- Leila, ça veut dire la nuit. J’adore la nuit. La nuit, c’est faire l’amour. Et faire
l’amour, c’est la paix. Leila c’est faire l’amour et faire l’amour c’est Salomé. Leila fait
l’amour avec Salomé. La nuit fait l’amour avec la paix.
- J’aime tes mots. Ca te va bien, comme nom, la nuit… Même ta peau est couleur
de nuit. La mienne est plus claire, c’est parce que je suis un peu métisse, à cause de
l’homme blanc qui a violé mon aïeule.
- Méfie-toi des hommes, ma Lomé, méfie-toi des hommes. Regarde comme on est
mieux sans eux. Nous, on fait l’amour. Eux, ils baisent les femmes. Eux, ils violent les
femmes. Eux, ils souillent les femmes. Ils crachent leur sperme gluant et ils oublient juste
après avec qui ils sont et ils s’endorment. Et ils sont prêts à prendre n’importe quelle autre
femme juste après. Méfie-toi des hommes.
- Oh, tu exagères, moi j’adore faire l’amour avec toi, mais j’adore aussi faire
l’amour avec les hommes. Ils ne sont pas tous comme tu dis. Il y en a quand même qui ne
sont pas si méchants que ça, qui sont tendres et aimants, qui donnent du plaisir avant de
penser au leur. Tiens, ce type, là, sympa comme tout, Charlie je ne sais plus quoi, qui nous
a écrit aujourd’hui pour nous dire de nous méfier du mail sur la petite fille malade, je suis
sûre que c’est quelqu’un de bien.
- Qu’est-ce que tu en sais ?
- Bon, tu as raison, je n’en sais rien mais tu vois, il ne nous connaît pas et son
réflexe le plus naturel, c’est de nous rendre un service, comme ça, pour le plaisir.
- Comme ça, pour le plaisir, vraiment ? Si ça se trouve, il est vieux et moche et il
ne sait parler de rien d’autre que de son boulot et il sent mauvais sous les bras...
- ...et il a des poils partout et il a des dents jaunes et tordues. »
Elles pouffèrent de rire. Salomé reprit :
« Mais ça m’étonnerait. Même avec le peu de mots qu’il a utilisé dans son mail, il
avait l’air chaleureux. Tu n’as pas trouvé ?
- Mouais. Peut-être. Et qu’est-ce qui te dit que ce n’est pas sa technique favorite de
drague, en essayant ensuite d’accrocher n’importe laquelle de nous qui aurait répondu,
comme ça, pour le plaisir ?
- Oh, tu vois le mal partout. Tu ne crois pas que tu en fais trop, là ?
- En tout cas, quand un mec que je ne connais pas m’envoie un mot sympa, ce n’est
pas pour ça que je vais lui proposer de coucher avec moi !0
- Non, bien sûr, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. Mais n’empêche, tu peux bien
admettre qu’il y a aussi des mecs bien, ce ne sont quand même pas tous des machos tarés
ou des débiles moches.
- Ah bon ? Sérieux ? Mais on me cache des choses ! Ils sont où ?
- Arrête de te moquer de moi ! Parfaitement, il y en a ! Tu n’as pas dû rencontrer
les bons, c’est tout. Mais si ça t’arrive un jour, tu devrais essayer… ou plutôt une nuit
puisque tu préfères…
- Alors là, pas question ! Oublie l’idée de moi avec un homme. Oublie tous les
hommes, d’ailleurs, ne m’en parle plus tant qu’on est toutes les deux. Tiens, je vais te
raconter une petite histoire. Quand Dieu a créé le premier homme et la première femme, il
leur a dit : « Je voudrais offrir à chacun de vous quelque chose d’unique. Qui de vous deux
souhaite avoir un sexe de plusieurs centimètres de long qui permet d’uriner debout
n’importe où ? ». Adam répondit aussitôt en agitant les bras « Moi ! Moi, Dieu, je veux
ça » sans laisser une seule chance à sa compagne d’ouvrir la bouche pour dire si oui ou non
ce cadeau pouvait l’intéresser aussi ou pas. Dieu dota alors Adam d’un pénis, qu’il alla
immédiatement essayer, très ******* de son choix, en pissant un peu partout contre les
arbres ou sur les fleurs. La première femme, même pas surprise par le comportement
infantile d’Adam, le regarda avec condescendance, leva les yeux au ciel puis se tourna vers
Dieu et lui demanda : « Bon, et moi, Dieu ? Quel est le cadeau qu’Adam m’a laissé sans
même savoir ce que c’était ? Que reste t’il pour moi ? ». Alors Dieu lui répondit : « La
capacité d’avoir des orgasmes multiples ».
Salomé éclata de rire, suivie de Leila.
« Quel taré cet Adam, reprit Salomé. Merci, Eve, d’avoir choisi le deuxième cadeau !
Nous te devons beaucoup !
- Eve ? Eve n’a rien à voir avec cette histoire.
- Quoi, mais tu viens de le dire, c’est elle qui a choisi les orga…
- Je n’ai pas parlé d’Eve. J’ai parlé de la première femme.
- Ce n’est pas la même chose ?
- Non. Eve n’était pas la première femme. La première femme s’appelait Leila
comme moi.0
- Ah bon ? D’accord, mais oui, la première femme s’appelait comme toi, tout le
monde sait ça.
- Je suis sérieuse.
- Mais oui, mais oui, pas de problème. Adam et Leila, le premier homme et la
première femme, bien sûr.
- Peu importe que tu me croies ou pas, après tout. Ce qui compte, c’est qu’aucun
homme ne peut donner autant de plaisir à une femme que ce qu’une autre femme peut lui
donner. Oublie les hommes. Il n’y a que toi et moi. Tu luis comme le soleil et moi je suis ta
lune noire… La journée et la nuit sont deux soeurs et en même temps, chacune est la mère
de l’autre puisque chacune engendre l’autre. La journée donne vie à la nuit quand elle se
couche, la nuit donne la vie à la journée quand elle se couche.
- Comme nous deux maintenant…
- Oui. Tu me donnes la vie quand tu te couches pour moi, je te la donne quand je
me couche pour toi… Et quand on est couchées toutes les deux ensemble, nous nous
donnons la vie en même temps…
- Donne-moi encore un peu de vie, ma lune noire… ma lune noire…
- J’aime quand tu m’appelles ta lune noire, mon soleil... Ta lune noire va te faire
briller encore cent fois... Ta lune noire va te faire jouir encore cent fois avant que le jour se
lève … »
Cent fois, bien sûr, c’était une façon de parler. Jouir, par contre, c’était le mot exact.
_______________
Comme toutes les filles de sa lignée, Gabrielle Arfeuille était belle, rousse, aux yeux
verts, haineuse envers tout et tout le monde. Et sorcière. Elle allait avoir 17 ans dans deux
semaines et elle était déterminée à perpétuer la tradition en trouvant le mâle qui lui
donnerait sa fille, de gré ou de force.
Comme toutes les jeunes filles de son âge, elle regardait des sitcoms sur M6 ou Teva,
adorait s’habiller chez Cop’Copine ou KanaBeach, se teignait les ongles de couleurs vives,
portait souvent des tenues provocantes. Elle avait un piercing au nombril, ainsi qu’un
tatouage que seuls ses amants avaient pu voir en entier. Un serpent la tête en bas, allant en
ondulant de son nombril à son pubis soigneusement rasé, et dont les mâchoires étaient
dessinées sur ses grandes lèvres.
Comme toutes les ados modernes, elle disposait d’Internet à la maison. Quand, ce
matin-là, elle alla jeter un coup d’oeil aux messages de la nuit, elle tomba sur « Sauvez
Amy ». Puis sur la mise en garde de Charlie. Elle avait horreur de ce genre de mecs, qui
rendent service, comme ça, par condescendance, pour se montrer supérieurs, pour qu’on
les admire, qu’on se sente dépendant d’eux. Pas de doute, il était celui qu’elle cherchait. Il
ne restait plus qu’à l’attirer jusqu’à elle. Facile. Les mecs, hein...
Elle se rappela, avec un sourire rêveur, son dépucelage trois ans plus tôt. Elle avait
alors un prof de français, rigide et sévère, un catholique intégriste qui ne manquait jamais
une occasion de fustiger ses élèves pour un rien. Il n’arrivait pourtant pas à cacher qu’il
était franchement troublé par les formes émouvantes de Gabrielle en pleine explosion
pubertaire, d’autant plus mises en valeur que le printemps était radieux et qu’il
encourageait à une exposition plus généreuse des corps. Lorsqu’elle lui avait demandé s’il
accepterait de lui donner quelques cours particuliers pour améliorer ses notes, il n’avait pas
su dire non. Elle avait rajouté qu’elle préférait que les cours aient lieu chez lui sous
prétexte que chez elle, sa mère les dérangerait tout le temps. Elle sous-entendit, d’un air
gêné parfaitement joué, que maman était un peu folle et, comment dire, plutôt agressive
avec les hommes en général, vous comprenez, monsieur, je ne voudrais pas vous mettre
mal à l’aise. Il déglutit, remonta ses lunettes sur son nez et dit qu’il comprenait.
Elle vint au premier cours vêtue d’une mini-jupe très, très courte et d’un débardeur
échancré dont les bretelles ne tenaient jamais sur ses épaules. Bien entendu, sans soutiengorge
dessous. Le décor du pavillon du prof était aussi ringard que ce à quoi elle
s’attendait. Meubles en faux XVIIIème, napperons en dentelle brodée, murs surchargés
d’iconographie religieuse et de grandes assiettes en porcelaine représentant des scènes de
la Bible. Plusieurs crucifix de tailles et de styles divers. Odeur écoeurante de vanille
artificielle provenant d’un diffuseur de parfum industriel de bas de gamme.0
Le prof la conduisit dans le séjour et lui montra du bras la table ronde aux pieds
rococo, qui devait servir habituellement à prendre les repas familiaux, dans une ambiance
que Gabrielle préférait ne pas imaginer. Elle rapprocha sa chaise pour s’asseoir tout près de
lui. Pendant qu’il commençait son cours, elle n’arrêta pas de se pencher en avant pour qu’il
louche sur ses seins, de remettre sa bretelle de débardeur sur son épaule de façon à ce
qu’elle retombe aussitôt, de se croiser et de se décroiser les jambes en laissant deviner la
soie rouge de sa culotte, de le frôler de la cuisse et du bras. Et de surveiller au passage son
pantalon. Quand elle vit qu’il bandait, elle se colla franchement contre lui, attrapa son sexe
durci à pleine main à travers le pantalon et lui glissa sa langue dans l’oreille.
Il la baisa sur la table comme un fou furieux.
Quand il eut fini, elle remit sa petite culotte et lui demanda où étaient les toilettes. En
y allant, elle passa devant sa chambre. Il ne pouvait pas la voir, elle entra, s’approcha du
lit, souleva les oreillers, vit sous le premier un pyjama ridicule à rayures et sous le
deuxième une chemise de nuit austère. Elle retira sa culotte souillée par le mélange de
sperme et de sang qui avait commencé à s’écouler et la posa sous le coussin de la femme
du prof. Pour faire bonne mesure, elle glissa également sous les draps plusieurs de ses
cheveux roux. Puis, une fois le lit bien refait, elle continua jusqu’aux toilettes, s’essuya,
tira la chasse, s’arracha quelques cheveux de plus qu’elle laissa tomber par terre, ressortit,
revint vers le séjour.
Elle manqua éclater de rire. Le prof était là, allongé sur le carrelage de tout son long,
face contre terre, les bras en avant, les mains jointes, au pied d’un des crucifix accrochés
au mur, comme un pénitent faisant repentance. Ah ça, il devait avoir de quoi se sentir
plutôt torturé. Lui, le croyant rigoriste et puritain, le moraliste implacable et froid, il venait,
en quelques minutes, à la fois de tromper sa femme épousée devant Dieu, de faire l’amour
par pur désir animal, de sauter une de ses propres élèves, très largement mineure de
surcroît, et sous le toit conjugal pour couronner le tout. L’absolution n’allait pas être
évidente. Elle partit sans lui dire un mot.
Le lendemain, le prof ne se présenta pas au lycée. Ni les jours d’après.
Manifestement, la découverte par la femme du prof de la petite culotte tachée et des
cheveux roux avait fait son effet. Les élèves apprirent plus tard qu’il s’était pendu.
Gabrielle considéra cet épilogue comme un magnifique exploit, qui restait à ce jour son
plus beau souvenir.
La suite de sa scolarité fut émaillée de quelques autres coups d’éclat, certes moins
impressionnants, mais qu’elle n’en savoura pas moins. Elle se fit une spécialité de briseuse
de couples. Dès qu’un premier de la classe ou un frimeur prétentieux entamait un début de
relation suivie avec une jeune fille tendre et proprette, elle le draguait à mort, le
convainquait d’aller chez lui pour une partie de sexe endiablée et se débrouillait pour que
sa petite amie l’apprenne ou, mieux encore, débarque dans la chambre au moment le plus
chaud, prévenue par un gentil mot anonyme.
Elle avait bien aimé aussi les circonstances dans lesquelles elle venait de se faire
virer du lycée juste avant Noël, en raison de sa « cruauté barbare inqualifiable et
écoeurante », pour reprendre les mots exacts du proviseur. Elle s’était faite surprendre par
le prof de SVT un peu après 17h. Elle pensait qu’il était parti mais, manque de chance, il
avait oublié ses clés de voiture dans la salle de cours. Elle venait tout juste de planter deux
longues aiguilles dans les yeux de la tortue qui y séjournait dans un petit enclos. Le prof
ouvrit la porte au moment exact où elle allait fracasser la carapace de la tortue avec un pied
de chaise. Sans la moindre gêne, elle le fixa droit dans les yeux avec un grand sourire et
abattit la chaise sans hésiter, traversant la tortue de part en part, dans un bruit écoeurant
d’oeuf qui s’écrase. Il l’empêcha d’en faire plus. Dommage, elle commençait à bien se
marrer.
Ses pensées revinrent à Charlie. Elle répondit à son mail d’avertissement par un
autre, bourré de perches – dans le genre je suis une jeune fille seule, naïve, canon et
romantique, mais oh que ce monde est compliqué et méchant, comment peut-on piéger les
gens comme ça, heureusement qu’il y a des personnes sympa comme lui, comment se faitil
qu’il ait su que c’était une arnaque, est-ce qu’il pourrait lui apprendre d’autres trucs à
éviter, et ainsi de suite.
Voilà. L’appât était lancé. Il n’y avait plus qu’à attendre que sa proie morde à
l’hameçon.
Pour mettre toutes les chances de son côté, Gabrielle récita à voix basse l’incantation
à la Lune Noire.Lune Noire, Lilith, Sombre Soeur,
Dont les mains façonnent l’infernale fange,
Lorsque je suis faible, lorsque je suis forte,
Façonne-moi comme le feu façonne l’argile.
Lune Noire, Lilith, Reine de la Nuit,
Tu mets au monde tes petits.
A mon tour je dois donner la vie,
Prends ton envol, ramène-moi cet homme.
Lune Noire, Lilith, Mère Obscure,
Je suis ton adepte dévouée
Pousse vers moi celui que je désire
Goûte sa semence et laisse-le moi.
Lune Noire, Lilith, Leila la Strige,
J’aspirerai tout son fluide,
Je le viderai de sa vie,
Je te ferai l’offrande de son corps.Elle alla se coucher en se demandant ce que pouvait bien faire Lilith en ce moment
précis. Sûrement encore en train de s’envoyer en l’air avec un humain de passage avant de
jeter sa dépouille épuisée dans un fossé, se dit-elle avec un petit ricanement. Elle
s’endormit, le sourire aux lèvres, en imaginant une sitcom sur M6 dont Lilith serait
l’héroïne.
Nora avait du mal à trouver le sommeil. Sa vieille blessure, venue du fond de son
enfance, se rouvrait une fois de plus dans le noir de la nuit, comme tous les vingt huit
jours.
Elle n’avait que 6 ans quand toute sa vie s’était écroulée. Il y avait alors toutes ces
nuits, toujours pareilles. Elle était couchée dans sa chambre, avec sa petite veilleuse
allumée. Elle était censée dormir mais elle ne pouvait pas ne pas entendre les cris que
poussaient ses parents dans la chambre d’à côté. Des cris de colère. Des scènes
interminables dont elle ne comprenait pas les mots, ni les raisons. Des pleurs parfois. La
porte de leur chambre qui claquait, puis le silence, enfin.
Le lendemain, elle se levait, allait au salon et son père était déjà habillé, assis sur le
canapé, une couverture froissée à ses pieds, le visage pas rasé. Il avait souvent les yeux
rouges. Sa mère sortait de la chambre un peu plus tard et ses yeux étaient rouges aussi. Ils
essayaient tous les deux de sourire à Nora mais elle voyait bien qu’ils se forçaient. Et elle
voyait aussi qu’ils faisaient tout pour ne pas se regarder entre eux et pour ne pas se parler
non plus. Et elle sentait la tension étouffante, palpable, qui ne s’évanouissait que lorsque
l’un des deux quittait la pièce ou sortait carrément de la petite villa.
Une nuit sans lune, alors que Nora guettait dans son lit le moment où les cris allaient
à nouveau résonner à travers la cloison, il n’y eut que le bruit de la porte de ses parents.
Puis celui de la porte d’entrée. Puis le silence. Nora attendit quelques minutes, immobile
dans son lit, déconcertée par ce changement dans la triste routine des nuits précédentes.
Elle se leva et marcha jusqu’au salon.
La couverture était posée, pliée en quatre sur le canapé. Sa mère était assise à la table
de la cuisine, les yeux dans le vide, une cigarette allumée entre les doigts. Nora demanda
où est papa. Sa maman répondit je ne sais pas et se mit à pleurer. Nora la regarda en
sentant ses propres yeux se mettre à la piquer. Puis elle réalisa qu’elle était en train de faire
pipi sur le carrelage de la cuisine. Sa maman regarda en portant ses deux mains sur sa
bouche la flaque qui se formait aux pieds de sa fille. Nora lui dit c’est pas grave maman
j’ai pas de culotte sous ma chemise de nuit je me suis pas mouillée c’est tout tombé par
terre mais je peux essuyer si tu veux. Sa maman répéta c’est pas grave c’est pas grave. Puis
elle se leva, souleva la petite dans ses bras, la serra très fort, la ramena dans sa chambre, la
remit dans son lit et se coucha à côté d’elle. Nora dit maman pourquoi tu dors dans mon lit.
Sa maman répondit parce que papa n’est pas là. Nora dit et pourquoi il est pas là papa. Sa
maman répondit il est parti et elle se remit à pleurer. Nora n’osa pas poser d’autre question.
Elles finirent par s’endormir.
Le lendemain dans la matinée, son papa revint, l’air grave, la mâchoire crispée. Nora
ne savait pas trop si elle devait montrer à sa maman qu’elle était *******e de le revoir. Sans
dire un mot, il alla directement dans la chambre parentale, en ressortit quelques minutes
plus tard avec un sac de voyage plein et vint s’agenouiller devant Nora. Il lui dit je t’aime
très fort ce n’est pas ta faute tout ça c’est juste que maman et moi on ne s’aime plus je
m’en vais mais je reviendrai te voir. Nora répondit en fondant en larmes ne pars pas papa
ne pars pas. Il l’embrassa très fort et partit. Nora et sa maman pleurèrent toutes les deux
jusqu’à l’heure de manger. Et encore un peu pendant l’après-midi. Et le soir, chacune dans
leur chambre.
Des semaines sans fin passèrent, pendant lesquelles Nora ne vit plus son père une
seule fois. De temps en temps, elle entendait sa mère parler de façon très énervée au
téléphone et elle se disait que ce devait être avec son père. Elle lui parlait d’une autre
femme en disant ta pute à chiens. Nora lui demanda ce que ça voulait dire taputachien
parce que ça ressemblait quand même à un gros mot. Sa mère lui répondit d’aller dans sa
chambre.
Il revint un soir, à la lune noire suivante. Il avait l’air bien dans sa peau, sûr de lui,
exalté même, comme avant, quand tout allait bien. Sa maman n’allait pas bien du tout, par
contre. Elle avait maigri, elle avait les traits tirés, elle s’était remise à beaucoup fumer, elle
buvait souvent de l’alcool, à n’importe quelle heure, et ça ne la rendait pas joyeuse de
boire, comme avant, quand tout allait bien.
Nora fit un immense sourire à son papa. Il lui sourit aussi, la prit dans ses bras, lui dit
des mots gentils, lui dit qu’elle lui manquait. Puis il la posa sur le canapé et lui dit qu’il
fallait qu’il parle avec maman. Ils allèrent parler dans la chambre des parents. Il y eut
quelques cris. Au bout d’un long moment, ils ressortirent. Il dit au revoir Nora à bientôt
n’oublie jamais que je t’aime je vais revenir te voir très vite et je te montrerai où j’habite
maintenant.
Deux jours après, il fut retrouvé mort dans sa voiture qui était garée tout près de leur
villa, sur un chemin de terre à la sortie du grand bois qui longeait le lotissement. Les
médecins dirent qu’il avait eu un malaise cardiaque, sans doute quelques heures à peine
après avoir dit au revoir à Nora. Ca, elle ne l’apprit que bien plus tard. Ca lui fit presque
plaisir parce qu’elle avait cru, pendant d’interminables semaines, que son papa ne voulait
plus la revoir ou pire, l’avait oubliée.
Le temps passa. Ce n’est qu’à la puberté qu’elle s’épanouit enfin. Ses règles
tombaient le jour de la pleine lune. Elle vit un signe dans cette symétrie parfaite : la nuit
maudite où son père avait disparu était celle de la nouvelle lune. Alors, elle se mit en tête
que son malheur s’écoulait hors d’elle avec ses règles. A l’inverse de toutes ses copines et
de la plupart des femmes, elle attendait presque ce moment avec impatience. Elle avait
l’impression que le flux menstruel la purifiait, la vidait des scories de son passé, l’éloignait
des heures sombres. A chaque fois qu’elle saignait, c’était encore un peu du cauchemar
qu’elle avait vécu qui partait. Le moral de Nora se calquait sur le cycle de la lune : plus elle
était ronde, plus Nora rayonnait. Quand elle devenait noire, son humeur aussi.
Elle devint gaie, vive, volubile. Et très belle. Une cour permanente de soupirants
l’entourait au lycée. Elle en choisissait un de temps en temps, acceptait quelques bisous,
quelques fleurs, quelques poèmes. Un peu plus avec les plus doux. Beaucoup plus avec les
plus doués.
Elle eut quelques liaisons prolongées quand elle devint adulte. Toujours avec des
hommes bien plus âgés qu’elle.
Toujours avec des hommes mariés.
Ca la rassurait de sentir qu’elle pouvait décider à tout moment de tout arrêter.
C’était elle qui avait le contrôle.
Bien sûr, qu’ils ressemblaient tous à son père.
Bien sûr.
Elle ne s’attacha à aucun. Elle se sentait libre et, à sa façon, heureuse.
Même si, à chaque lune noire, elle avait du mal à s’endormir si elle se retrouvait
seule.
Comme ce soir.
_______________
Il y eut un soir, il y eut un matin. Ce fut le premier jour.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 04:53 PM

Chapitre 4
Salomé pleure
Il n’y a qu’une chose qui puisse rendre un rêve
impossible, c’est la peur d’échouer.
Paulo Coelho

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 04:58 PM

Salomé pleure. Elle pleure comme elle a toujours vécu, avec douceur, sans heurt. Les
larmes coulent simplement de ses yeux sans à coup, comme deux petits ruisseaux au tout
début de leur source, un mince filet d’eau presque immobile. Salomé ne sanglote pas, elle
respire lentement, elle a les yeux mi-clos, la tête légèrement baissée et elle pleure. Elle a
revêtu une robe traditionnelle, elle est agenouillée dans la grande pièce sombre, les fesses
posées sur ses talons, le dos droit, les bras posés sur ses cuisses. Devant elle se trouve un
bol, rempli d’une poudre grise très fine. Ce sont les cendres de l’amour infini qui l’a
envahie. Et quand elle respire, les particules volent dans l’air en une poussière légère et
impalpable. Salomé inhale à chaque inspiration un peu de cette brume, un peu de ce qui
subsiste de cet amour. Elle sent pénétrer en elle le goût amer de ce qui reste de l’âme de cet
amour insaisissable. Et Salomé, malgré son immobilité et sa respiration lente, sent son
ventre qui se tord et sa peau qui la brûle, parce qu’il est parti et qu’elle ne sait pas s’il
reviendra.
Salomé a 30 ans. Elle tient une galerie d’art, dans une petite rue qui donne sur le
quartier Saint-Paul. Elle a fait les Beaux-Arts. Elle adore lire, dessiner, sortir, rire et aussi
faire l’amour. Son peintre favori est Dali. Lorsqu’elle avait 10 ans, elle est allée voir avec
sa tante l’immense exposition qui lui était consacrée à Beaubourg et elle n’arrivait plus à
quitter le musée. Devenue adulte, elle a fait plusieurs fois le voyage jusqu’à Figueras et
bien sûr, Port-Lligat. Son autre grande passion est la photographie. Elle a plusieurs
appareils, une panoplie d’objectifs et tout le matériel pour faire ses développements ellemême
dans un grand débarras de son appartement, qu’elle a recyclé en chambre noire.
Parce qu’elle aime les explosions de couleurs, elle porte des vêtements aux tonalités
acidulées et elle se teint les cheveux de nuances improbables. En ce moment, ils sont d’un
vert lumineux. Mais sur elle, rien ne semble artificiel.
Sa beauté est lumineuse. Quand elle est quelque part, elle a ce rayonnement qui fait
qu’on ne voit plus qu’elle. Les hommes ne peuvent s’empêcher d’avoir une pensée de désir
et les femmes de ressentir une bouffée d’envie – et parfois de désir aussi. Salomé est
douce, elle n’essaie pas d’écraser les autres, elle ne se sent pas supérieure ou unique, elle
ne cherche pas à séduire. Elle est simplement divine de naturel et de grâce. Sa voix seule
peut faire fondre le coeur le plus glacé. Parce qu’elle aime donner du plaisir à son corps,
elle a eu beaucoup d’amants d’une nuit, quelques amantes aussi et un grand amour.
Comme souvent, il a été destructeur. Il lui a fallu deux ans pour se reconstruire, pour se
remettre à être la Salomé qui aime la vie, qui est la vie.
Et puis, elle a rencontré Charlie. C’était il y a trois semaines, quelques jours après ce
fameux réveillon de l’an 2000. Quand elle y repense, elle a l’impression qu’il s’est écoulé
des années, qu’elle le connaît depuis toujours, que le temps d’avant lui n’est qu’un vague
souvenir. Trois semaines...
Salomé se rappelle. Tout a commencé le jour où elle a reçu le mail « Sauvez Amy »,
suivi de la mise en garde de Charlie. Salomé lui avait alors répondu par un petit mot de
remerciement. Puis elle avait passé une nuit de rêve avec Leila, tout en pensant à lui. Sans
savoir que, la veille, Charlie et Tess s’étaient déchirés en une scène destructrice.
C’est sans doute pour cela que Charlie a continué son amorce de conversation avec
Salomé. Très vite, il lui a demandé de lui dire ce qu’elle aimait et d’où elle venait. Parce
que Salomé le trouvait gentil de s’intéresser à elle alors qu’ils ne s’étaient jamais vus, elle
lui a raconté – son amour de l’art, son plaisir de vivre, ses origines mouvementées de
descendante d’esclave, rien de très intime si ce n’est un détail qui va tout faire basculer :
elle lui écrit aussi, en toute candeur, peut-être aussi un petit peu par jeu, qu’elle aime faire
l’amour et qu’en ce moment elle se sent seule. En retour, elle lui a demandé de lui dire ce
qu’il aimait et ce qu’avait été sa vie.
Il lui a répondu par un long message où il a décrit son enfance, elle aussi africaine
puisqu’il est né à Essaouira, au Maroc, au bord de l’océan, son arrivée à Toulouse quelques
années plus tard où il a découvert pour la première fois la télévision et la neige, ses études
qui l’ont mené vers l’informatique, sa passion pour toutes les formes de création depuis la
littérature jusqu’au cinéma en passant par les arts plastiques et la musique, les musées qu’il
a visités, son passé de musicien, sa vie sentimentale remplie de bouleversements et de
moments de magie à commencer par le bonheur que lui a donné Tess, son a priori de
confiance envers les gens, le poids qu’il donne à l’amitié, la douleur qu’il ressent quand il
aime quelqu’un qui ne l’aime pas, son goût pour les voyages et la découverte des gens et
des cultures, sa sensibilité souvent à fleur de peau et pour finir des mots qui rebondissent
sur la confidence trop intime de Salomé et qui vont finir de nouer leur destin. Il écrit : « Je
suis affamé de vie, d'amour, d'émotions, de plaisir. Et donc, bien sûr, j'aime faire l’amour
parce que quand on fait l'amour, il y a tout ça à la fois ».
A partir de là, tout s’est accéléré. Ils se sont mis à aller plus profond dans leur
découverte l’un de l’autre, échangeant jusqu’à vingt messages par jour. Il est vrai qu’entre
temps, la situation entre Tess et Charlie s’est aggravée mais Charlie n’en dit rien à Salomé.
Au bout du troisième jour, Salomé lui écrit qu’elle en a le vertige, qu’elle ne comprend pas
ce qui lui arrive, qu’elle se sent hypnotisée par son écran, guettant le mail suivant de
Charlie, trouvant le temps interminable quand il n’arrive pas assez vite.
Alors, elle lui dit : « C'est fou, mes doigts sont irrésistiblement attirés par le clavier,
l'envie de communiquer avec toi me démange et me dérange aussi ! J'ai envie de te voir, de
t'entendre et en même temps j'aimerais que ça reste tout le temps comme ça, et puis j'ai un
espèce de sentiment de culpabilité naissant, je ne veux pas perturber ton existence, tu n’es
pas seul... au secours, je tombe... ».
Les mots qu’il lui répond finissent de la faire basculer.
> j'ai envie de te voir, de t'entendre et en même temps
> j'aimerais que ça reste tout le temps comme ça,
ce sera comme tu voudras que ce soit, je ne veux te forcer à rien, je veux juste que
tout soit bien entre nous deux... mais moi aussi je meurs d'envie de te voir et de
t'avoir tout près de moi pour continuer à nous parler et à nous caresser nos âmes
autant que nos corps...
> et puis j'ai un espèce de sentiment de culpabilité
> naissant, je ne veux pas perturber ton existence, tu n’es pas seul...
c'est ta vie et la mienne, ton coeur et le mien, ça ne concerne personne d'autre...
> au secours, je tombe...
tombe avec moi, nous allons voler plus haut que les anges...
Elle reste en arrêt devant ces mots, un sourire rêveur éclairant son visage noble et
beau. Elle lui répond qu’elle adore tout ce qu’il lui a écrit depuis trois jours, qu’elle n’a
jamais ressenti une émotion aussi particulière, que ses mots sont magnifiques, doux et
magiques, qu’elle se demande si elle n’est pas en train de rêver. Il lui dit que la magie vient
d’elle. C’est déjà le soir, elle s’apprête à quitter son travail, elle lui envoie un dernier mot.
Je vais partir dans 5 minutes, trajet en voiture, environ 45 min avant d'arriver chez
moi (bouchons!!!). En voiture, j'écoute FIP, il y a toujours de bonnes musiques et
les animatrices ont une voix tellement douce. Je fais 2 ou 3 courses, je monte à
mon appart, 1 thé, 1 yaourt (j'adore les yaourts!!) et je ressors, vite la gym, je vais
rater mon super cours de body fitness perfect!
2 heures plus tard, je rentre, il fait nuit et froid...
une douche, une soupe ou une salade... (la cuisine et moi, ça fait deux !)
alors, télé ou lecture?
ce soir ce sera « blow out » de brian de palma sur canal, puis lecture, en ce
moment « le parfum » de patrick süskind que j’adore, j’ai aussi lu un autre livre de
lui, « la contrebasse »...
Quoi, une heure du mat’, déjà! Extinction des feux, je m'endors paisiblement dans
ma jolie chambre pleine de couleurs...
à demain bisou
Salomé
Charlie reste pensif, dans la calme solitude de son bureau déserté. Il sait au fond de
son coeur que tout est fini avec Tess. La nuit est déjà tombée depuis une heure. Il ferme les
yeux, il revisualise tout ce que Salomé vient de lui raconter. Il s’imagine être elle, il voit sa
vie de l’intérieur, il sent ce qu’elle ressent. Il se met à lui écrire lui aussi un dernier mot
avant de rentrer chez lui.
Je sais que tu es déjà partie mais je te réponds quand même tout de suite, tant
que je suis encore dans l'ambiance de tout ce que nous nous sommes dit
aujourd'hui...
Ce que tu me dis de ton quotidien, c'est exactement ce que j'ai imaginé que tu
vivais, ça me fait mal pour toi, je trouve que c'est inhumain et ce n'est pas une
consolation de se dire que c'est aussi le quotidien de millions d'autres personnes
parce que là, c'est à toi que je rêve et à toi que je parle...
Je sais depuis le début de notre basculement dans une vraie intimité toi et moi
(c'était quand... il y a à peine quelques jours, on dirait une éternité), que si tu m'as
ouvert tes portes aussi grandes, c'est parce qu'il y a ce vide froid qui t'entoure alors
que tu es une femme pleine de chaleur, de générosité et d'amour et que tu mérites
tellement d'être heureuse et d'avoir une vie plus belle. Oui, dès le début, j'ai
entendu ta soif d'amour comme si tu me l'avais criée aux oreilles.
La première fois que tu m’as écrit un mot, j'ai senti que quelque chose comme ça
allait se passer, je l'ai senti et je me suis dit que je devais m'imaginer des choses
mais c'est comme ça, je suis sûr que tu es pareille que moi et que tu vois des
signes partout, des traces de ce qui va arriver, des clés, en tout cas moi j'en vois
tout le temps et bien sûr, des fois, ce sont des leurres qui ne mènent nulle part et
puis des fois, ces signes sont aussi clairs que si je lisais ce qui allait se passer
dans un livre... Et alors que j'aurais pu me dire "oui bon sympa, et alors ?", j'ai senti
cette vibration qui voulait dire "je veux entrer dans son coeur et elle veut entrer
dans le mien" et c'est bien ce qui est arrivé: je suis rentré dans ton coeur et tu es
rentré dans le mien, quoi que cela devienne (parce que ça, il n'y a que l'avenir qui
le dira)...
Alors voilà, je ne sais pas ce que va devenir notre relation, quels que soient les
fantasmes les plus brûlants ou les mots les plus romantiques qu'on échange tous
les deux depuis quelques jours, mais s'il y a au moins une chose que je veux faire
pour toi, c'est de tenter de combler un peu ce vide et de te donner un peu de ma
chaleur pour que tu te sentes un peu plus heureuse et un peu moins seule quand
tu pars dans les bouchons, que tu traverses des kilomètres de béton, de froideur et
d'indifférence, que tu speedes pour tes courses, que tu speedes pour ta gym et
que tu te retrouves seule face à ta télé ou à ton livre, pas par choix mais parce que
personne n'a su t'aimer comme tu devrais l'être. Et tu mérites tellement d'être
aimée, ma douce amie, ma perle précieuse...
Alors, à distance, sans te voir, sans t'entendre, j'envoie ce que je peux de mon
âme caresser la tienne, lécher tes blessures, réchauffer ton coeur, et te serrer
contre moi au plus profond de tes rêves... dans ta jolie chambre pleine de couleurs,
je te regarde avec douceur t'endormir un sourire aux lèvres et je me sens heureux
parce que depuis quelques jours ce sourire est pour moi...
tendrement,
Charlie
Au matin suivant, quand elle arrive à son travail et qu’elle lit ces lignes, Salomé est
bouleversée, transpercée. Charlie l’a décrite mieux qu’elle n’aurait su le faire elle-même, il
a cristallisé tout ce dont elle n’a jamais été vraiment consciente, il a lu dans son coeur et vu
la dérive de sa vie et le malaise de sa solitude. Et surtout, elle sent dans ses mots une
chaleur et un réconfort que personne ne lui a jamais montrés auparavant, même aux
meilleurs moments de sa vie avec les hommes qu’elle a aimés. Elle lui envoie un court
message plein d’émotion. Charlie, en le lisant, se sent simplement heureux d’exister.
Les jours suivants, leurs échanges se font de plus en plus passionnés, les dernières
digues sont rompues et alors qu’ils ne se sont jamais rencontrés de leur vie autrement
qu’au travers de leurs mails, ils se parlent désormais de coeur à coeur, d’âme à âme. Ils ont
presque les mêmes mots pour décrire leur émotion commune, ce mélange de bonheur
auquel ils n’osent pas complètement croire et de trouble dû à la soudaineté du changement
de leur vie intérieure. Ils échangent des photos d’eux, découvrent leur visage, aiment ce
qu’ils voient. Charlie est tellement émerveillé par la beauté de Salomé qu’il lui dit à quel
point il est heureux de l’avoir connu et plu sans la voir, parce que s’il avait su qu’elle était
si belle, il n’aurait jamais osé lui adresser la parole. Salomé lui répond que c’est elle qui est
intimidée de plaire à quelqu’un d’aussi intensément doux et aimant que Charlie.
L’un et l’autre ont désormais une envie irrépressible de se rencontrer en chair et en
os, de se toucher, de se serrer dans les bras l’un de l’autre, de se caresser, de faire l’amour.
Parce que Charlie ne vit pas seul, même s’il ne sait plus il en est, il se sent perdu et ne sait
pas ce que tout cet amour inattendu va devenir. Salomé comprend, elle ne veut rien faire
non plus pour chambouler les choses. Alors, pendant des jours et des jours, ils continuent à
ne s’aimer que dans cet univers virtuel, ce cyberespace où tout est possible, où la distance
n’existe pas, où le temps ne compte pas, où les autres n’existent pas.
Le onzième jour après leur tout premier contact, Salomé se sent prise d’une angoisse
soudaine et inexplicable. Elle ne voit plus que les obstacles, réels ou imaginaires, qui
rendent son rêve de bonheur impossible. Elle ne se sent plus la force d’espérer quoi que ce
soit de cette liaison tellement immatérielle. Elle ne croit plus que tout ce chemin les amène
vers un paradis définitif. Tout va s’écrouler tôt ou tard, elle en est certaine, alors autant
qu’elle arrête tout, tout de suite, plutôt que de souffrir encore plus, plus tard. Désemparée,
elle écrit à Charlie qu’il ne doit plus vouloir la rejoindre pour toujours et qu’il faut qu’ils
deviennent de simples amis.
Charlie est stupéfait, anéanti, assommé. Il est écrasé par ses mots, il a l’impression
d’avoir été poignardé, lacéré par la personne qu’il aime le plus au monde, il ne comprend
pas.
Il s’enferme dans le silence.
Le douzième jour passe.
Puis le treizième.
Pas un mot de Charlie.
Elle n’y tient plus, elle aimerait qu’il lui dise quelque chose, n’importe quoi, tout
plutôt que ce silence qui lui enlève toute existence. Alors, juste avant de rentrer chez elle,
elle lui écrit à nouveau pour tenter de mieux expliquer ce qu’elle ressent, à quel point sa
décision la déchire elle-même.
Le soleil laisse la place aux ténèbres pour la treizième fois depuis la connexion.
La treizième nuit.
Que peut bien faire Charlie en ce moment précis ? Elle essaie de l’imaginer. Est-ce
qu’il pense à elle ? Est-ce qu’il a mal comme elle ? Est-ce qu’il est seul comme elle ? Estce
qu’il l’aime comme elle ?
Elle sent une appréhension suffocante l’envahir. Son sommeil est secoué de
cauchemars horribles, peuplés de démons grimaçants qui torturent de mille façons les âmes
des humains tombés en Enfer. Ils la voient, la saisissent dans leurs griffes, l’écartèlent, la
démembrent, la dévorent, elle crie, elle crie, elle crie. Elle se réveille en sursaut, épuisée,
couverte de sueur, elle a mal partout. Il y a du sang sur son drap, elle s’est écorchée le haut
des cuisses en s’agitant pendant son sommeil. Elle fond en larmes.
Charlie ne voit son mail que le lendemain matin. Il est lui aussi à bout de force, il n’a
pas dormi depuis trente heures, il sent les larmes venir lui piquer les yeux, il n’a plus la
force de supporter ce qu’elle lui dit, il a l’impression d’être broyé par une immense serre
de rapace. Il lui écrit un mail très court et plein de douleur, lui demandant de ne plus jamais
lui parler parce que lire ses mots lui fait encore plus mal que rester dans le silence. Si un
mail peut hurler à la mort, c’est celui-là.
Salomé est en larmes, elle lui répond en lui demandant de lui pardonner, qu’elle a eu
tort d’écrire ces mots, qu’elle veut qu’ils s’aiment quelles qu’en soient les conséquences.
Le lendemain, submergé par l’émotion des jours qu’il vient de passer, il dit d’accord. Elle
crie de joie dans son bureau, ses collègues se retournent vers elle, le regard interrogateur.
Elle les regarde sans les voir, un sourire béat illuminant son visage. Leur première querelle,
leur première réconciliation. Un peu plus tard, elle lui écrit ces mots :
Mon ange,
c'est drôle, c'est même extraordinaire, tu réalises que l'on ne s'est jamais vu et
pourtant on a déjà une véritable histoire: on s'est connus, on s'est aimés, on s'est
séparés, déchirés, on a pleuré, on s'est réconciliés, on s'est liés...
Tout cela sans se toucher, sans faire l'amour, sans s'embrasser, sans s'enlacer...
Tu imagines si on se voyait!!!
c'est incroyable!
Il répond, en flottant enfin à nouveau dans une douce sérénité.
Ma divine,
Je me rappelle de John Lennon qui avait quitté puis retrouvé Yoko Ono, sa
compagne. A un journaliste qui l’interrogeait là dessus, il a répondu: "notre
séparation a été un échec". J'adorais cette phrase avant de te connaître, je l'aime
encore plus maintenant.
Tu as raison, c'est extraordinaire, nous sommes unis tous les deux comme peu de
gens le sont, Salomé... et je me demande comme toi ce qui va passer entre nous
le jour où nous nous verrons...
Peut-être que la réincarnation existe et que nous avons déjà été amants des
centaines de fois dans des vies antérieures et qu'à chaque fois que nos routes se
croisent à nouveau, l'amour est là comme une évidence, ancré au fond de nos
coeurs pour toujours...
Ton ange
Cette fois, ils sont certains tous les deux que leur rencontre physique est imminente.
Quel qu’en soit le prix à payer.
Charlie organise, sans prévenir Salomé, un rendez-vous de travail avec une de ses
relations à Paris. Quand il a enfin fixé la date, il envoie ce mail très court : « Je serai avec
toi lundi à 19h. Je resterai toute la nuit ». Elle explose de joie.
Les derniers jours, les dernières heures qui les séparent de leur rencontre sont
interminables et délicieux. Ils partagent les mêmes sentiments mêlés pendant le compte à
rebours, entre l’excitation de l’événement à venir et la peur panique de ce qui va se passer.
Ils se sentent comme deux adolescents qui vont faire l’amour pour la première fois, ils ont
peur tous les deux que ce soit raté, ils se rassurent tous les deux en se disant que peu

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 05:03 PM

importe ce qui se passera vraiment, la seule chose qui compte ce sera la chaleur d’être
ensemble.
Salomé vient l’attendre à la descente du train. Vingt jours à peine se sont écoulés
depuis le premier mail. Ils sont tellement émus qu’ils restent face à face une minute entière
à simplement se regarder au fond des yeux avec une intensité qu’ils n’ont jamais connue
avant. Puis, comme dans un rêve, ils se retrouvent dans les bras l’un de l’autre, se
caressent, s’embrassent, collent leurs lèvres l’un à l’autre, maladroitement puis
passionnément, murmurent des mots inaudibles, pleurent et rient à la fois. Au bout d’un
long moment, ils parviennent enfin à se décoller l’un de l’autre pour rejoindre la voiture de
Salomé. Pendant qu’elle roule vers son appartement, il la regarde tout le temps, hypnotisé.
De temps en temps, il caresse avec émerveillement ses cheveux vert acide, crépus et doux.
Elle n’ose pas se tourner vers lui de peur d’avoir un accident, elle n’a qu’un seul but :
arriver enfin chez elle avec lui.
Chez elle avec lui. Elle avec lui.
A peine dans l’appartement simple et beau de Salomé, ils se jettent à nouveau l’un
sur l’autre. Très vite, ils se retrouvent sur le lit, nus, se caressant, se couvrant de baisers. Ils
font l’amour avec autant de sensualité que de douceur, longtemps, plusieurs fois,
insatiables.
Vers une heure du matin, alors qu’ils viennent de connaître une extase de plus, ils se
lèvent, épuisés mais heureux comme des enfants et surtout affamés. Charlie va à la cuisine,
fouille dans le frigo, prépare une omelette aux herbes et une salade. Salomé ouvre une
bouteille de vin. Ils se régalent de ce repas simple, ils boivent plusieurs verres, ils sont un
peu ivres, ils se disent des mots tendres, ils parlent d’art et de création. Charlie lui dit que
pour lui, les mots sont le moyen le plus accessible à n’importe qui de créer, pourvu d’être à
la fois sincère et sensible. Les mots peuvent tout. Ce sont grâce à de simples mots qu’ils
sont tombés amoureux sans se voir. La création est le cri de l’âme.0
Salomé boit ses paroles, lui caresse la bouche du bout des doigts pendant qu’il parle,
puis embrasse ses lèvres avec douceur. Charlie voit un des appareils photo de Salomé, le
prend, la cadre en gros plan, déclenche. Le flash éclabousse le visage de Salomé, elle rit,
lui dit « je vais avoir les yeux rouges, il faut la refaire ». Elle lui reprend l’appareil des
mains, fait les réglages nécessaires, lui rend le boîtier. Charlie la photographie à nouveau,
cette fois sans flash. Il en fait une autre, puis une autre, puis une autre, alors que Salomé
recule en riant vers la chambre. Charlie pose l’appareil.
Ils s’allongent. Salomé s’endort contre lui presque immédiatement, un sourire
merveilleux aux lèvres. Il la regarde dormir, il ne peut pas se résoudre à fermer les yeux
tellement le spectacle de son visage lisse et beau comme celui d’un enfant, à quelques
centimètres du sien, le fascine. Il finit par s’endormir aussi, sans même s’en rendre compte.
Vers 4 heures du matin, ils ouvrent tous les deux les yeux en même temps, se
sourient, recommencent leurs caresses, font à nouveau l’amour, parlent, parlent, parlent,
lèvres contre lèvres, jusqu’à ce que la fatigue les endorme à nouveau. A 7 heures, le réveil
sonne. Ils reprennent leurs mots d’amour là où ils se sont arrêtés, ils sont tellement,
tellement bien.
Salomé se lève au bout d’une heure pour préparer du thé et quelques toasts. Ils
prennent leur petit déjeuner sur le lit. Ils vont se doucher ensemble, chacun lavant le corps
de l’autre en étalant sensuellement le gel douche en une longue caresse de plus. Ils
s’habillent, sortent de l’immeuble, se disent au revoir.
Salomé reprend sa voiture, Charlie va vers le métro pour son rendez-vous. Ils sont
chacun encore sur leur nuage mais, en même temps, déjà nostalgiques de la nuit qu’ils
viennent de passer.
Salomé passe une journée interminable à son travail, le manque de sommeil la rend
irritable. Elle est ailleurs. La réalité la rattrape : Charlie est parti, Charlie ne vit pas avec
elle, Charlie n’est plus là, Charlie lui manque. En fin d’après-midi, elle reçoit un mail de
lui. Il est rentré à Londres. Il lui écrit depuis son appartement.
Ma divine,
Depuis hier soir je sais pourquoi j’ai vécu jusqu’à maintenant. Pendant une nuit
entière, nous avons été la première femme et le premier homme, la fille et le fils de
l’Afrique qui se retrouvent après avoir été séparés pendant des millions d’années et
qui redonnent un sens au monde. Nous avons connu une bulle de bonheur que
beaucoup de gens passent toute une vie sans connaître.
Je ne sais pas lire l’avenir mais ce moment que nous avons partagé ne disparaîtra
jamais de nos coeurs.
Ton ange.
Le retour chez elle le soir est terrible. Elle revoit toute leur nuit, elle a presque envie
de mourir tellement il lui manque, elle trouve insupportable de devoir attendre pendant
peut-être des semaines avant de le revoir. Elle se couche sur le lit, sent l’odeur de Charlie
partout sur les draps, se recroqueville en position foetale, pleure doucement. Elle repense à
sa vie chaotique, elle ne voit que le côté noir des choses, elle se dit qu’elle n’a rien, qu’elle
n’est rien.
Alors, venu du fond de sa mémoire, le vieux rite vaudou que lui a montré un jour sa
grand-mère ressurgit. Salomé avait 5 ans, elle était amoureuse d’un petit garçon qu’elle
avait croisé sur la plage, à Basse-Terre. Elle en avait parlé à sa grand-mère, qui lui avait dit
qu’elle pouvait faire chavirer le coeur du petit garçon pour elle. Elle avait alors demandé à
Salomé de lui ramener quelque chose appartenant au garçon. Le lendemain, Salomé
rassemblant tout son courage avait abordé le garçon et l’avait mis au défi de ne pas crier si
elle lui arrachait un cheveu. Il l’avait regardée, interloqué, mais devant la détermination de
Salomé, il avait accepté qu’elle le fasse. Il avait même réussi à ne pas crier.
Salomé avait ensuite ramené le cheveu à sa grand-mère, le tenant dans sa petite main
comme un trophée. A la nuit tombée, la vieille dame avait alors pratiqué devant Salomé le
rituel magique. Elle avait mis le cheveu dans une coupelle et demandé à Salomé d’y
rajouter l’un des siens. Puis, elle avait fait écrire à Salomé sur un bout de papier les mots
« que le feu de l’amour enflamme celui que j’aime comme il va enflammer ces cheveux ».
Elle avait fait une boulette de la feuille de papier, l’avait rajoutée à la coupelle, craqué une
allumette et avait brûlé le tout. Ensuite, elle avait dit à Salomé de respirer doucement au
dessus des cendres pour en inhaler quelques fragments, tout en pensant très fort au petit
garçon et en se retenant de tousser.
Et le lendemain, pour le plus grand émerveillement de Salomé, le petit garçon était
venu la voir pour lui proposer d’aller jouer avec elle sur la plage.
Elle avait par la suite toujours voulu croire que c’était grâce au rite et non parce que
le fait qu’elle lui eût arraché un cheveu la veille l’avait intrigué au point de vouloir mieux
connaître cette étrange – et très mignonne – petite fille.
Salomé se relève de son lit, court à la salle de bain, ouvre la petite poubelle, récupère
un peu des poils de barbe que Charlie a jetés après s’être rasé le matin même. Elle les
dépose dans un bol, se coupe quelques cheveux et les rajoute. Elle écrit sur une feuille les
mots magiques, en fait une boule, la met dans le bol. Elle pousse la petite table basse de
son séjour, pose le bol par terre, se trouve un peu bête. Oh, et puis tant pis, personne ne la
voit et pourquoi pas après tout, on ne sait jamais. Pour y croire plus, pour matérialiser un
peu de ses racines, elle revient dans sa chambre, prend dans la penderie la jolie robe
traditionnelle multicolore que sa grand-mère a faite pour elle lorsqu’elle a eu 18 ans,
l’enfile, revient au séjour.
Elle a mal partout de ne pas avoir Charlie à ses côtés, elle recommence à pleurer
silencieusement. Le regard brouillé par les larmes, elle enflamme avec un briquet le
contenu du bol, s’agenouille en le regardant se consumer. Quand il ne reste plus de
rougeoiement visible, elle broie la cendre avec une cuillère puis agite un peu la main, tout
près du bol, pour faire voler la cendre.
Elle inhale le nuage gris, parvient à ne pas tousser, pense très fort à Charlie. Ses
larmes forment deux petits ruisseaux presque immobiles le long de ses joues. En rêvant
que demain Charlie reviendra pour toujours, Salomé pleure.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 05:08 PM

Chapitre 5
La treizième nuit
Please to meet you
Hope you guess my name
But what’s puzzling you
Is the nature of my game
Mick Jagger
(Sympathy for the devil)
Elle est si mauvaise et si perverse
que jamais son envie ne s‘apaise.
Et quand elle est repue, elle a plus faim qu’avant.
Dante Alighieri

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 05:20 PM

Gabrielle fut un peu déçue de voir qu’elle n’avait toujours aucune réaction de
Charlie, une semaine après avoir tenté de l’appâter avec son mail. Elle patienta encore un
peu, mais toujours rien. Il ne pouvait y avoir qu’une seule raison à ce silence : une autre
femme.
Le onzième jour, elle réalisa le rite pour séparer les amants. Elle prit une feuille de
papier, y dessina un coeur à l’encre rouge, écrivit « Charlie » en son centre. Elle alluma un
gros cierge pourpre et saupoudra la flamme d’encens réduit en poudre. Elle récita la
première incantation :
« Lilith
Toi qui règnes sur la passion et la concupiscence,
Pose ton regard sur moi.
Je désire cette personne,
Je la veux à tout prix,
Je veux en faire mon esclave soumis.
Accorde-moi cette faveur,
Par mon sang, je me lie.
Je la désire avec chaque battement de mon coeur,
Avec chaque souffle que je prends. »
Puis, elle s’entailla le pouce avec le couteau et fit tomber quelques gouttes de son
sang sur le coeur dessiné. Elle mit la feuille de papier au-dessus de la flamme de la bougie.
Elle répéta trois fois :
«
Par le pouvoir du sang et du feu, la magie s'active.
Ressens l'attraction que j'exerce sur toi.
Tu n'as d'autre recours que de venir vers moi.
J'en appelle aux esprits de la discorde
Afin qu'ils s'unissent sous la flamme qui brille. »

Le papier s’enflamma. Elle le posa sur une coupelle en terre cuite et fit tomber dessus
des pétales de roses. Pendant que le papier et les pétales se consumaient, elle dit :
«
Bats pour moi, coeur mortel,
Désire-moi de toute ton âme,
Rêve de moi lorsque la nuit descend,
Viens vers moi, je t'attends.
Que rien ne te retienne, ni voeux ni amour.
Tu m'appartiens maintenant.
Ainsi soit-il. »

Elle psalmodia cette dernière incantation jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des
cendres. Au même moment, Salomé eut sa crise d’angoisse et rompit avec Charlie. Hasard,
magie noire, qui peut le dire...
Gabrielle laissa passer la journée, en se disant que si le charme avait été efficace,
Charlie devait être à l’heure présente trop déboussolé pour prêter attention à quoi que ce
soit d’autre que le maelström émotionnel qui venait de lui tomber dessus. Le lendemain,
elle le contacta.
De : Gabrielle
A : Charlie
Objet : Vous souvenez-vous de moi ?
Bonjour,
Je suis l’une des personnes qui ont reçu le mail « Sauvez Amy » il y a une
douzaine de jours et à qui vous aviez envoyé une mise en garde. Je vous avais
alors écrit pour vous connaître un peu mieux mais vous n’avez sans doute pas eu
le temps de me répondre. Seriez-vous un peu plus disponible aujourd’hui ? Je me
sens tellement seule, là où j’habite, et à quoi ça sert d’être sur le réseau et de
croiser des milliers d’autres personnes si on reste en fait chacun enfermé de son
côté ?
J’aimerais vraiment avoir un contact un peu plus profond avec quelqu’un d’aussi
gentil que vous. Je ne suis pas une détraquée, je n’essaie pas de vous monter un
plan tordu, je suis juste quelqu’un qui voudrait partager un peu de chaleur en
correspondant avec des gens qui se rappellent qu’ils sont humains. J’espère que
vous voudrez bien me répondre quelque chose.
Cordialement,
Gabrielle
PS : Je vous joins quelques photos de moi.
Elle était plutôt *******e de la façon dont elle avait dosé son message, à la fois
pudique et entreprenant, romantique et prudent, naïf et conscient. Quant aux photos, elles
étaient tout sauf choisies au hasard : un gros plan de son visage avec un demi-sourire
rêveur particulièrement enjôleur, une vue où elle riait en semblant surprise sur une plage en
maillot, une dernière enfin visiblement en ballade en montagne, le corps légèrement
transpirant, portant un débardeur échancré et des lunettes de soleil. L’image parfaite de la
jeune fille belle et sportive, pleine de vie et équilibrée. Innocente et sulfureuse.
Irrésistiblement érotique.
Charlie contempla longuement les trois photos. Il eut une fugitive impression de déjà
vu en admirant ses traits. Il avait connu des dizaines de très jolies femmes mais Gabrielle
était clairement de celles qui pouvaient prétendre à la plus haute marche du podium. Tess
avait disparu sans un mot depuis deux jours. Il ne savait pas trop si elle était repartie avec
Dave ou si elle avait juste eu besoin de prendre un bol d’air avant de revenir. Quant à
Salomé, elle venait à son tour de le plaquer de façon inexplicable et incompréhensible alors
qu’il avait eu l’impression qu’elle et lui s’investissaient à fond dans leur relation naissante.
Il se sentait en miettes, au trente sixième dessous, paumé, lâché. Pour Tess, il l’avait vu
venir et s’y était plus ou moins préparé mais pour Salomé, le choc avait été maximal.
Pendant ces derniers jours, elle était devenue pour lui comme une drogue dure à laquelle il
était complètement accro.
Malgré sa sensation d’écrasement, il savait comment faire pour supporter la douleur
au plus vite. Il avait déjà connu ce genre de situation auparavant. Il avait même donné un
surnom à sa stratégie de sevrage. Il l’appelait « bétadine et méthadone ». Un traitement
pour ses plaies (un ami à qui parler) et une drogue de substitution (du sexe pur sans
amour).
Gabrielle serait une parfaite méthadone. Il lui répondit. Il fit allusion au fait qu’il
passait par un moment difficile, sans donner de détails.
Sûre qu’elle était de ses pouvoirs, Gabrielle ne fut pas surprise par cet aveu. Elle
n’avait plus qu’à saisir la perche, en profitant à fond de son désarroi. Elle ne lésina ni sur
les signes de sa prétendue passion grandissante dans les mails qui s’enchaînèrent pendant
les deux jours suivants, ni sur les rituels magiques qu’elle pratiquait dans sa chambre pour
achever de faire sombrer le coeur de Charlie sous sa domination. Elle trouva même très
drôle de lui raconter, dans un de ses mots, que certaines de ses aïeules avaient été des
sorcières, histoire d’exciter son imagination. Elle le présenta, bien entendu, de façon
humoristique et détachée.
Quant à la bétadine de Charlie, elle ne pouvait être que Phil Calini, celui qu’il
appelait son âme-frère. Il passa toute la soirée avec lui au téléphone pour vider son coeur.
Phil fut parfait, comme toujours. Il avait une qualité rare chez un homme, celle de savoir
écouter. Quand Charlie raccrocha deux heures plus tard, sa blessure était toujours là mais
elle ne le démangeait quasiment plus, au moins pour un temps. Bétadine.
L’appartement de Charlie était situé à Brixton, en plein quartier jamaïcain au sud de
Londres, aux rues toujours animées d’une foule bigarrée, comme un second Kingston mais
avec des maisons aux murs de briques rouges. En arrivant devant chez lui, il croisa un rasta
au regard halluciné qui traînait toujours par là et qui lui proposa, comme d’habitude, des
herbes vaudoues pour bander, ou pour retrouver un amour perdu, ou pour jeter un sort à un
ennemi, ou pour se défoncer tout simplement. Comme à chaque fois, il déclina poliment
ses offres.
Une fois dans son appartement, il alla vérifier ses mails. Il sourit. Pour la méthadone,
ça se présentait bien aussi.
De : Gabrielle
A : Charlie
Objet : Viens
Je n’en peux plus de t’attendre. Viens demain. Je suis à toi.
Ta sorcière bien-aimée
Il lui répondit aussitôt.
De : Charlie
A : Gabrielle
Objet : J’arrive
Dis-moi juste où je peux te retrouver. Je serai là demain.
Charlie, ensorcelé
Elle lui donna son adresse. C’était à Domérat.
Domérat.
C’est où, ça, Domérat ?
Après une brève recherche sur Google, il eut sa réponse. Un petit patelin dans la
banlieue de Montluçon. Depuis Londres, ça allait être coton comme trajet. Tiens, c’était le
lieu de naissance d’Audrey Tautou, marrant, ça.
Il se brancha sur son site de voyage favori, tapa son itinéraire, vit que finalement ce
n’était pas si compliqué que ça : il y avait plusieurs vols directs quotidiens entre Londres et
Clermont-Ferrand et ensuite, il n’était plus très loin par la route. En quelques clics et un
mail, il acheta ses billets électroniques avec sa carte bleue, les imprima, puis réserva une
voiture de loc à son arrivée à l’aéroport. En partant tôt le lendemain matin, il pouvait être
dans les bras de Gabrielle en début d’après-midi. Et revenir à Londres le jour d’après.
Il envoya ensuite un mail à son chef de service lui expliquant qu’il venait d’avoir un
décès dans la famille et qu’il devait prendre deux jours pour aller en France. Il écrivit un
petit mot sur un post-it pour Tess, lui disant qu’il serait de retour le surlendemain si par
hasard elle repassait par l’appart, même s’il avait déjà fait une croix sur son avenir avec
elle. Puis il se mit au lit, enfin détendu.
Dans sa maison de Domérat, Gabrielle pratiqua un dernier rituel avant d’aller, elle
aussi, se coucher. Elle sacrifia un jeune corbeau qu’elle avait mis en cage, en lui tranchant
la tête d’un coup de hachoir. Pendant qu’il se vidait de son sang dans une coupelle, elle
alluma une chandelle noire et fit brûler du jasmin séché jusqu’à ce que la pièce soit bien
enfumée. Elle inscrivit à nouveau le nom de Charlie sur une feuille de papier, avec une
plume prise au corbeau, trempée dans la coupelle où elle avait recueilli son sang. Elle traça
un cercle de protection au sol, en se servant de la tête sanguinolente du corbeau comme
d’un pinceau. Elle se mit au centre du cercle et s’enduisit le corps d’une huile parfumée, de
façon langoureuse et sensuelle. Elle se mit à déclamer d’une voix grave :
« Lilith, déesse de l'amour et des passions charnelles, écoute ma prière, regarde-moi
et accorde-moi le coeur de Charlie. »
Elle se taillada à nouveau le pouce et fit couler un peu de sang entre ses seins et sur
son ventre.
« Lilith, vois mon corps et mon sang, ils brûlent pour toi et Charlie. Exauce ma
prière, qu’il devienne mien. »
Elle mit du sang sur la feuille de papier et la fit brûler lentement sur la bougie.
« Charlie, que ton coeur batte pour moi, que je sois pour toi une obsession. Tu ne
peux plus échapper à mon amour, tu me veux, je me donne à toi comme tu te donnes à moi,
tu m’appartiens à présent. Qu’il en soit ainsi par ma volonté et celle de Lilith. Qu’il en soit
ainsi par ma volonté et celle de Lilith. Qu’il en soit ainsi par ma volonté et celle de
Lilith. »
Puis, elle lâcha ce qui restait du bout de papier et se caressa jusqu’à l’aube, donnant
en offrande à Lilith son corps luisant d’huile et son plaisir insatiable.
Charlie fit des rêves érotiques toute la nuit et se réveilla à 4 heures du matin avec le
pénis tellement dur qu’il en était presque douloureux. Il alla se masturber sous la douche
pour se soulager, ses forces seraient largement reconstituées d’ici qu’il rejoigne Gabrielle.
La treizième nuit après la connexion promettait d’être chaude.
Bien que ni lui ni elle ne s’en rendent compte, la situation présentait une symétrie qui
ne manquait pas d’ironie. Gabrielle était convaincue qu’elle manipulait Charlie. Charlie
était certain qu’il utilisait Gabrielle. Chacun des deux pensait mener le jeu au détriment de
l’autre. Chacun des deux croyait maîtriser un art secret, la séduction pour Charlie, la magie
pour Gabrielle.
Le vol se passa sans histoire, sauf à l’approche de Clermont où un orage très violent
éclata. L’avion fut ballotté dans tous les sens mais finit par se poser sous des nuages noirs,
fréquemment illuminés par des éclairs immenses. Une fois dans l’aérogare, Charlie se
dirigea vers la zone des loueurs. Derrière le comptoir d’Avis, se tenait une jeune femme
qui le regardait s’approcher avec un large sourire. Avant même qu’il n’ouvre la bouche,
elle lui dit :
« Bonjour, Charlie.
- Euh... Bonjour. Nous nous connaissons ?
- En quelque sorte. Je m’appelle Nora Alhegra. Ca ne vous dit rien ?
- Nora Alhegra... Non, désolé, ça ne me dit rien...
- Mais si ! Rappelez-vous, il y a quelques jours ! Vous m’avez même écrit !
- Moi ? Ecoutez, c’est un peu gênant, je suis certain que c’est la première fois que
je vous vois. Vous êtes vraiment charmante, je m’en souviendrais quand même.
- C’est effectivement la première fois que vous me voyez. Mais nous nous sommes
quand même rencontrés. J’étais l’une des destinataires de « Sauvez Amy » à qui vous avez
envoyé un mot pour que je ne tombe pas dans le panneau.
- Aaaah d’accord ! Ca y est, j’y suis maintenant. Ouf, je commençais à me
demander si j’avais de sérieux problèmes de mémoire. Mais vous, comment savez-vous
que je suis, euh, moi ?
- Ca, c’est simple. Vous êtes notre seul client ce matin. Vous nous avez envoyé
votre résa hier soir par mail. Et moi, je n’avais pas oublié votre nom, je l’ai reconnu tout de
suite ! »
Ils rirent tous les deux.
« Je vous promets que je ne vous oublierai plus jamais, mademoiselle Alhegra !
- Nora. Appelez-moi Nora.
- Bien, Nora. Bonjour, Nora. Je ne vous oublierai plus, Nora.
- Bonjour, Charlie. Et, oh, merci de m’avoir dit que vous me trouviez charmante. Et
aussi que vous ne m’oublieriez plus. Tous les clients que je vois défiler à ce comptoir ne
sont pas aussi gentils.
- Ce n’est rien, je le pense vraiment. Nora, j’ai un petit renseignement à vous
demander. Je dois me rendre dans un trou paumé qui s’appelle, attendez, euh, Domérat.
Pouvez-vous me dire comment m’y...
- Domérat ? Bien sûr que je peux vous indiquer la route. C’est là que je suis née !
- Oups ! Décidément, tout le monde sait où est Domérat sauf moi ! Désolé pour le
trou paumé. A partir de maintenant, je saurai que c’est le centre du monde, promis. En
plus, c’est drôle, je vais justement voir là-bas une autre personne qui a aussi reçu ce
fameux mail.
- Ah bon ? C’est quelqu’un que vous connaissez ?
- Et bien, c’est à dire... Oui et non... C’est un peu...
- Oh, excusez-moi, ça ne me regarde pas. Bon, où vous rendez-vous exactement ? »
Charlie lui montra l’adresse que Gabrielle lui avait donné. Nora lui dit que ça devait
être un peu à l’écart du village, vers le bois qui jouxtait un grand lotissement. Elle ne savait
même pas qu’il y avait d’habitation sur ce chemin-là. Elle lui traça un plan sur une feuille
de papier, tout en lui donnant des explications détaillées. Puis elle lui souhaita bonne route
et lui promit d’être là, fidèle au poste, le lendemain soir, pour récupérer sa voiture.
Charlie prit la route, se perdit deux fois, finit par trouver Domérat, se retrouva devant
un petit aéro-club fièrement nommé « Les Ailes Montluçonnaises », demanda son chemin
au vieux gardien qui regardait, à moitié endormi, un match de foot dans le bar désert au
bord de la piste, tourna encore en rond. Alors qu’il n’y croyait plus, il trouva enfin le petit
chemin qui s’enfonçait dans les bois. Puis la vieille maison de pierre. Elle était plutôt
sinistre sous la lueur lugubre de l’orage qui redoublait de fureur. Mais il n’y avait pas de
doute, c’était bien là, le nom de Gabrielle était écrit sur la boîte aux lettres. Il se gara,
attrapa son sac, le fit tenir d’une main sur sa tête pour se protéger du mieux possible de la
pluie battante et courut jusqu’au porche alors que la foudre s’abattait à quelques centaines
de mètres, avec un grand craquement, au milieu des arbres torturés par le vent. Il repensa à
un vers de Dante, décrivant le cinquième des neuf cercles de l’Enfer :
« Déjà venait par les terribles eaux le fracas de son plein d’épouvante »
Il n’y avait pas de sonnette, juste un heurtoir en bronze représentant un diable
grimaçant. Génial, se dit-il en souriant, on se croirait vraiment dans un film d’horreur. Il
actionna le heurtoir et entendit, au milieu de sons non identifiables, la voix lointaine de
Gabrielle lui disant d’entrer. Il ouvrit la porte et resta interloqué.
Des dizaines de bougies étaient allumées, posées un peu partout autour de la pièce
sur laquelle donnait l’entrée, projetant des ombres mouvantes et fantomatiques sur les
murs, qui semblaient onduler de façon chaotique. Il reconnut, sortant des baffles à plein
volume, les choeurs d’outre-tombe du chef d’oeuvre de Krzisztof Penderecki, Utrenja, un
opéra contemporain inclassable, à l’ambiance lovecraftienne, que le compositeur polonais
avait écrit pour évoquer la mise au tombeau du Christ.
De nombreux passages en avaient été utilisés par Stanley Kubrick dans les scènes
finales les plus horrifiques de son film, « The Shining ». Charlie revit en un flash le
passage où le petit Danny est retranché avec sa mère Wendy dans l’appartement de
l’immense hôtel Overlook, isolé du reste du monde par la neige. Jack, le père de Danny,
joué par Jack Nicholson au sommet de son talent, est quelque part dans l’hôtel en train de
se laisser envahir par une folie meurtrière, à moins qu’il ne soit possédé par des fantômes
haineux. Danny a une crise de somnambulisme et répète d’une voix étrange « redrum !
redrum ! redrum ! ». Il prend un grand couteau de cuisine dans une main et un bâton de
rouge à lèvres dans l’autre. Il s’approche de la porte de la salle de bain et écrit dessus le
mot REDRUM. Wendy se réveille alors, essaie de calmer son gamin et soudain voit dans
le miroir le reflet de la porte sur laquelle Danny a écrit. REDRUM devient MURDER.
Quelques minutes plus tard, Jack, armé d’une hache, défonce la poitrine de Hallorann, un
employé de l’hôtel revenu aider Wendy et Danny, alors qu’éclatent les percussions
d’Utrenja, suivies de choeurs déshumanisés qui chuchotent des mots chtoniens.
Charlie s’avança dans le séjour en refermant la porte derrière lui. Sur des meubles
hétéroclites hors d’âge, plusieurs coupelles remplies de brindilles fumantes diffusaient des
senteurs entêtantes. Il sentit son niveau d’excitation monter d’un cran. Les bougies
traçaient un chemin lumineux qui continuait dans la pièce suivante, une chambre avec un
grand lit. C’est alors qu’il la vit.
Elle était là, sur le lit, adossée au mur, souriante. Nue. A la lueur tremblotante des
bougies, ses cheveux frisés roux semblaient être des braises rougeoyantes. Charlie alla
jusqu’à l’orée de la chambre. Il ne put s’empêcher de ressentir une vague appréhension,
mais la mit sur le compte de l’orage qui se déchaînait de plus belle à l’extérieur, chaque
coup de tonnerre faisant vibrer toute la maison. Il admira la blancheur de sa peau lisse. Ses
seins parfaits dont les tétons roses étaient fermement érigés. Son corps fin et musclé. Ses
longues jambes étendues, légèrement écartées. Son pubis avec le tatouage du serpent qui
semblait entrouvrir sa bouche luisante d’excitation.
« J’ai eu 17 ans ce matin. Tu viens me souhaiter un bon anniversaire ? J’ai
commencé à le fêter toute seule depuis bien une heure en t’attendant, rajouta t’elle en
caressant le serpent tatoué. Mais c’est mieux quand on est deux, pour que la fête soit
vraiment réussie. »
Sa voix était plus grave et rauque qu’il ne l’avait imaginée. C’était la première fois
qu’il l’entendait, leurs conversations précédentes ayant toutes eu lieu par mails. Il laissa
tomber son sac par terre et commença à se déshabiller, fasciné par sa beauté renversante,
surexcité par l’atmosphère étrange créée par le fracas de l’orage, la musique de Penderecki,
les bougies, les odeurs émises par les herbes qui se consumaient. Il était comme hypnotisé
par les yeux émeraude de Gabrielle, qui luisaient comme ceux d’un chat. D’accord, elle
n’était pas encore tout à fait majeure, mais d’une part elle était consentante et même
demandeuse, et d’autre part il aurait fallu être un homosexuel, un héros surhumain ou un
saint pour repartir sans la toucher maintenant qu’elle se prélassait nue devant lui. Il n’était
aucun des trois.
Quand il fut enfin nu, elle pensa avec satisfaction qu’à la différence de la plupart de
ses ancêtres, sa fécondation avait toutes les chances d’être un moment plus qu’agréable. Et
qu’il n’allait pas être nécessaire d’invoquer beaucoup de démons pour mettre le futur
géniteur de sa fille en état de la pénétrer. Charlie avait effectivement largement retrouvé
tous ses moyens, quelques heures après son petit plaisir matinal sous sa douche à Londres.
En fait, il avait même du mal à concevoir que Londres puisse exister, quelque part hors de
cette chambre, et qu’il ait pu s’y trouver dans un passé récent. Il ne voyait plus que
Gabrielle. Le reste de l’univers lui était devenu aussi inconsistant qu’un rêve oublié.
Il s’allongea doucement au-dessus d’elle pour commencer à la caresser mais elle
n’avait manifestement aucune envie de préliminaires, peut-être parce qu’elle venait de
consacrer le plus clair de l’heure précédente à se masturber sur son lit. Elle le retourna
immédiatement sur le dos tout en passant sur lui, puis s’assit sur son pénis, l’enfonçant en
elle d’un coup – aucun doute, elle était parfaitement prête à être pénétrée.
Comment avait-il pu penser une seconde que cette fille pouvait être classée dans la
sous-catégorie « méthadone » ? Toutes les femmes qu’il avait connues jusque là n’étaient
que de faibles étincelles comparées à ce volcan en éruption, des pétards d’enfant à côté de
cette bombe thermonucléaire, des grattouillis par rapport à ce déchaînement de tous ses
sens, comme un climax permanent. Il eut la sensation de découvrir tout à coup ce qu’était
le sexe.
Gabrielle était Sexe.
L’après-midi commençait à peine quand ils se mirent à faire l’amour. Ils ne
s’arrêtèrent qu’au milieu de la nuit. Ils jouirent à neuf reprises, à chaque fois en même
temps. Charlie n’en revenait pas, il n’avait jamais été capable d’une telle performance de
toute sa vie. Son « record » en la matière était un honorable triplé dans une nuit, mais
c’était 15 ans auparavant.
Après chaque éjaculation, il se disait, désespéré, que c’était terminé pour lui. Mais à
chaque fois, Gabrielle collait à nouveau son pubis contre le sien ou lui proposait une autre
position et il rebandait comme s’il n’avait pas baisé depuis des mois. Gabrielle était Sexe.
Il ne se demandait même plus d’où pouvait bien venir tout ce sperme, toujours aussi
abondant à chaque fois qu’ils ré-atteignaient un orgasme. Gabrielle était Sexe. Gabrielle
était Sexe. Gabrielle. Etait. Sexe.
La première fois, elle s’assit sur lui, telle une amazone ivre chevauchant son pursang.
Jamais Charlie n’avait senti sa verge aussi fermement et délicieusement serrée. Le
vagin tout entier de Gabrielle semblait frémir autour de son sexe, le massant sur toute sa
surface comme si des dizaines de doigts chauds et moites le palpaient, comme si de
multiples langues se disputaient pour le lécher. Le bassin de Gabrielle était pourtant
totalement immobile depuis qu’elle s’était comme embrochée sur lui. Quand elle se mit à
le bouger lentement, avec des mouvements réguliers et amples, la sensation de plaisir fut
tellement démultipliée qu’il dût faire des efforts désespérés pour ne pas jouir tout de suite.
Après qu’il eut éjaculé, elle resta au-dessus de lui quelques instants sans bouger, la
tête rejetée en arrière. Puis elle lui tourna le dos, en faisant une rotation d’un demi-tour
autour de la verge toujours raide de Charlie complètement enfoncée dans son vagin. Elle
posa ses mains de part et d’autre des jambes de Charlie. La deuxième fois pouvait
commencer. Charlie admira son dos gracile, sa taille à peine marquée, ses hanches étroites
et ses petites fesses rondes fermement collées contre son bassin. Il pensa que, vue sous cet
angle, elle aurait pu aussi bien être une gamine d’à peine une douzaine d’années avec cette
silhouette. Il se sentit un peu honteux d’avoir laissé une image aussi malsaine lui traverser
l’esprit, mais à ce moment-là Gabrielle minauda d’une toute petite voix :
« S’il vous plait, monsieur, non, vous me faîtes mal, laissez-moi monsieur, laissezmoi.
»
Il en eut le souffle coupé. Gabrielle avait 12 ans, avec ce corps et cette voix. En tout
cas, soit elle avait le même fantasme que lui à cet instant précis, soit elle savait exactement
ce qu’elle faisait en ayant choisi cette position qui ne laissait plus voir ni ses seins, ni son
visage.
Charlie voulut lui dire quelque chose pour rompre le charme vénéneux qu’elle venait
de créer, mais avant qu’il n’ouvre la bouche, elle reprit sa voix rauque d’adulte et gronda
impérieusement :
« Qu’est-ce que tu attends ? Baise-moi ! Baise-moi ! »
Puis, de nouveau avec sa voix d’enfant :
« Oh monsieur, s’il vous plait, laissez-moi partir, j’ai mal, oh, j’ai mal, monsieur,
pourquoi vous avez mis votre zizi dans mon pipi, c’est tout dur, j’ai mal, monsieur,
détachez-moi les mains du lit, laissez-moi partir. »
Charlie se sentit envahi par un désir pervers irrépressible. Il allait violer cette gamine,
quelles que soient ses supplications, après tout il savait qu’elle n’était pas une gamine,
alors quelle importance d’imaginer qu’elle en était une. Il commença à faire des
mouvements brutaux de son bassin. Gabrielle accompagnait chacun des coups de boutoir
de Charlie par des simulacres de cris aigus de douleur, en se tortillant comme pour tenter
de lui échapper. Plus elle criait, plus il était excité. Sa jouissance le traversa comme une
longue décharge électrique.
La troisième fois s’enchaîna immédiatement, alors qu’il planait encore dans la
stratosphère. Toujours en gardant le pénis de Charlie dans son vagin, Gabrielle se coucha
sur le côté en chien de fusil, entraînant également Charlie sur le côté. Gabrielle fit alors
passer ses jambes par dessus celle de Charlie et se mit sur le dos. Pendant que Charlie
reprenait ses mouvements du bassin, Gabrielle se caressait frénétiquement le clitoris, avec
une respiration hachée de plus en plus courte. Quand elle poussa enfin un long cri de
plaisir, il sentit à nouveau qu’il éjaculait.
La quatrième fois, elle lui demanda une sodomie et exigea qu’il soit violent. Pendant
tout l’acte, elle n’arrêta pas de pousser des hurlements, comme si elle était déchirée à
chaque pénétration. Il fut effaré de voir qu’il y prenait d’autant plus de plaisir, sa
sauvagerie explosant sans effort, pire, exacerbant toutes ses sensations.
La cinquième, elle le prit dans sa bouche goulûment, à peine s’était-il retiré de son
anus. Il eut, à nouveau, l’impression que des dizaines de langues le léchaient en même
temps. Quand il jouit abondamment au fond de sa gorge, elle n’en perdit pas une goutte.
La sixième, elle s’allongea sur le dos et le laissa se coucher sur elle. Ce fut la seule
fois où il sentit vraiment son corps contre le sien. Au moment de l’accélération finale, elle
replia ses jambes, les genoux quasiment sur les épaules, afin qu’il aille le plus
profondément possible.
La septième, elle lui dit de se mettre debout et, l’attrapant par le cou à deux mains,
elle s’empala sur son sexe dressé en croisant les jambes autour de ses hanches. Elle
n’arrêta pas de lui laper le visage comme un animal, jusqu’à la déferlante finale de plaisir
et de sperme.
La huitième, elle se mit à quatre pattes par terre, face au mur, et il la prit en levrette.
Vers la fin, elle se redressa à demi, s’appuya des mains sur le mur, lui rugit de la mordre
dans le cou quand il sentirait qu’il allait jouir. Il le fit avec une avidité bestiale qui le
surprit lui-même. Leurs cris ressemblaient plus à des grognements de fauves qu’à des
soupirs de plaisir.
La neuvième, elle se remit au-dessus de lui, le chevauchant avec des râles rauques et
un regard halluciné. Charlie était littéralement hypnotisé par le tatouage du serpent qui
semblait avaler son sexe à chaque mouvement du bassin. Après qu’il eut une fois de plus
éjaculé copieusement, elle prit appui des deux mains sur son torse et se dégagea lentement,
avec un bruit de succion obscène pendant que son vagin glissait le long de sa verge,
toujours aussi incroyablement dure.
Soudain glaciale, elle lui dit une phrase étrange :
« C’est la neuvième fois qui m’a faite le plus jouir. Maintenant, tu dois disparaître. »
Il pouffa de rire, croyant qu’elle plaisantait, qu’elle faisait allusion à son probable
épuisement physique. Ou au fait qu’après un plaisir aussi intense, il pouvait bien mourir,
maintenant.
Il répondit d’un ton amusé :
« Oh tu sais, je suis lancé, là. Regarde comme je bande. Quand il y en a pour neuf, il
y en a pour dix. Et peut-être même onze ou douze, allez. Maintenant qu’on est bien chaud,
je suis sûr que je peux te faire jouir encore plus la prochaine fois. Reviens sur moi, je vais
te montrer. Tu veux quoi, comme position, maintenant ?
- Maintenant, tu dois disparaître. »
Elle ne riait pas du tout. Son visage avait même une expression effrayante, il
ressemblait à celui d’un spectre, sans doute parce que la plupart des bougies s’étaient
éteintes depuis longtemps. Ses mots prenaient, de ce fait, une connotation soudain
menaçante.
« Euh, bon, d’accord. On va faire une petite pause, si neuf ça te suffit. Enfin, pour
commencer, je veux dire. »
Elle se leva et sortit de la chambre, sans lui répondre quoi que ce soit. Il attendit
quelques minutes, pensant qu’elle était partie aux toilettes. Il contempla, interloqué, son
sexe toujours aussi raide, infatigablement dressé. Il se demanda ce qui pouvait causer un
priapisme à ce point au-delà de ses capacités habituelles. Peut-être les herbes qui brûlaient
dans les coupelles étaient-elles puissamment aphrodisiaques ? Si c’était le cas, il fallait
absolument qu’il lui demande où il pouvait s’en procurer.
C’est alors qu’elle revint, le visage toujours aussi fermé. Elle ramassa les vêtements
de Charlie par terre et les lui jeta sans ménagement à la figure.
« Que fais-tu encore ici ? Tu as eu ce que tu voulais. J’ai eu ce que je voulais. Pars,
maintenant.
- Mais… euh… qu’est-ce qui te prend ? Pourquoi tu me…
- Pars. Je n’ai rien à te dire.
- Ecoute, si j’ai fait ou dit quelque chose qui t’a …
- Tais-toi et pars.
- Gabrielle, enfin, explique-moi ! C’est quoi cette façon de me jeter comme ça ! Tu
es infernale !
Les pupilles de Gabrielle se contractèrent instantanément comme deux têtes
d’épingle. Sa voix prit un ton menaçant.
- Ne dis pas des mots que tu ne comprends pas. Pars. Maintenant. »
Charlie leva les bras au ciel en faisant une moue dégoûtée. Il se leva, se rhabilla tant
bien que mal malgré son érection persistante puis, sans un mot, se dirigea vers la porte
d’entrée. Il marqua un léger temps d’arrêt sur le seuil, il sentit qu’enfin il débandait. La
nuit était noire et l’orage, toujours aussi violent. Il sortit, claqua la porte derrière lui et
courut se mettre à l’abri dans sa voiture. Il ne se décidait pas à démarrer, se demandant où
il allait bien pouvoir aller, à quatre heures du matin. Il se dit que tout cela était à la fois
incompréhensible et idiot.
Il sortit de la voiture, revint vers la maison pour tenter de raisonner Gabrielle. Même
si elle ne voulait plus de lui dans son lit, elle accepterait bien de le laisser dormir quelques
heures à l’abri, que ce soit sur un canapé ou même par terre. Il vit une lueur se déplacer
derrière l’une des fenêtre, sans doute Gabrielle avec un bougeoir à la main. Il s’approcha
de la fenêtre aux carreaux mal polis et regarda à l’intérieur. Il ne comprit pas
immédiatement ce qu’il vit à travers la vitre déformante. Gabrielle en chemise de nuit
faisait face à… elle-même en chemise de nuit !
Il crût pendant une seconde qu’il avait une hallucination : il avait bien sous les yeux
deux Gabrielle identiques qui se faisaient face. Quoique… à mieux y regarder, l’une des
deux semblait plus âgée, peut-être la trentaine ou un peu plus. Son sang se glaça quand il
comprit enfin : la deuxième femme ne pouvait être que la mère de Gabrielle. Bien sûr,
voyons, à 17 ans, Gabrielle habitait toujours chez sa mère. Mais alors… Sa mère avait été
là tout le temps pendant qu’il faisait l’amour avec sa fille ? Elle les avait forcément
entendus, leurs cris de plaisir pendant des heures avaient été peu discrets et même souvent
carrément animaux ! Merde, elle les avait même sûrement vus en train de s’envoyer en
l’air, pour ce qu’il en savait ! La porte de la chambre était restée tout le temps grande
ouverte et les bougies, même faiblissantes, les avaient éclairés largement assez pour que le
spectacle soit total.
Charlie se sentit soudain furieux. Ca voulait dire quoi ce genre de plan glauque où la
mère faisait la voyeuse pendant que la fille se faisait sauter ? Est-ce que les deux femmes
jouaient à ce jeu pervers depuis longtemps, la fille draguant ses amants d’une nuit sur
Internet et les attirant chez elles pour que la mère se rince l’oeil, et même, pourquoi pas, se
tripote tout au long de l’action ? Il allait se ruer sur la porte pour leur dire son dégoût
quand soudain la mère tourna la tête vers la fenêtre et le vit. Son regard vert électrique
paralysa Charlie. Il était absolument effrayant, inhumain, spectral. Gabrielle se mit à son
tour à le fixer mais, elle, d’un air terrorisé.
Pris de panique, il détala comme un fou vers sa voiture, démarra, écrasa
l’accélérateur en tournant le volant à fond. La voiture dérapa violemment sur le chemin
boueux mais il parvint, après deux embardées, à en retrouver le contrôle et à s’engager sur
la route par laquelle il était arrivé, en faisant rugir le moteur. Il roula sans interruption aussi
vite qu’il le put, jetant fréquemment des coups d’oeil dans le rétroviseur.
Il finit par atteindre l’aéroport désert de Clermont, un peu avant l’aube. Il alla se
garer sur le parking d’Avis, coupa le contact et se détendit enfin en s’appuyant sur le
volant.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 09:02 PM

http://http://www.liillas.com/up2//v...ile=35db3f803e

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 27-02-09 09:04 PM

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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:16 PM

Chapitre 6

La malédiction de Cusset
You're the only witness
To the murder of an angel.
How much longer are you gonna pay
For yesterday sins of the father.
Ozzie Osbourne
(Sins of the father)
Every life you destroy will return.
It will come back and haunt you
For ever and ever.
Ozzie Osbourne
(The Kiss of Death)

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:23 PM

Mais qu’est-ce que c’était que ces folles ? Des vicieuses ? Des tueuses en série ?
Mais oui, bien sûr, ça devait être ça ! Voilà pourquoi Gabrielle avait insisté si durement
pour qu’il parte, elle avait eu tout bonnement pitié de lui à la dernière minute, sans doute
parce qu’il l’avait sexuellement comblée. Cela expliquait aussi pourquoi elle avait eu l’air
tellement effrayé quand sa mère avait vu Charlie par la fenêtre, alors que Gabrielle devait
sans doute tenter de lui expliquer qu’il s’était enfui sans qu’elle ait pu le retenir. Et même
sa phrase énigmatique prenait soudain un autre sens : « Il ne te reste plus qu’à disparaître ».
Elle savait que s’il était resté plus longtemps, sa mère serait entrée en action en venant lui
planter un couteau dans le dos, ou pire, l’assommer puis le torturer à mort. Lorsqu’elle était
sortie de la chambre, c’était probablement pour aller détourner l’attention de sa mère afin
qu’il ait le temps de s’enfuir. Et lui qui était resté connement sur le lit à s’admirer la bite, il
s’en serait giflé.
Est-ce qu’il fallait qu’il prévienne la police ? Non, c’était ridicule. Qu’aurait-il dit ?
Qu’il s’était envoyé en l’air avec une fille de 17 ans et qu’il avait eu très peur en voyant sa
mère ? Les flics se seraient, au mieux, foutu gentiment de sa gueule. Au pire, ils lui
auraient fait passer un sale moment pour savoir si la mineure était réellement consentante
et si sa mère l’avait bien autorisée à avoir des relations sexuelles avec un adulte. Et
d’ailleurs, auraient-ils eu tort de se moquer de lui ? Charlie commença à se dire qu’il avait
tout simplement disjoncté. Bien sûr que la mère de Gabrielle devait être hors d’elle si elle
avait surpris sa fille en train de faire l’amour avec un parfait inconnu surgi de nulle part !
Alors, cette expression qu’elle avait eu ? Serial-killer féroce ou maman-poule furieuse ?0
Une forme sombre s’approcha soudain de sa portière et cogna à sa vitre. Il sursauta
tellement violemment qu’il crut avoir un arrêt cardiaque. Et puis, il vit qu’il s’agissait de
Nora, l’employée d’Avis qu’il avait vu la veille en prenant sa voiture. Il ouvrit la porte et
sortit.
« Excusez-moi, j’ai l’impression que je vous ai fait une peur de tous les diables, lui
dit-elle.
- Non, non, ce n’est pas grave, j’ai eu une nuit un peu… euh… éprouvante.
- Vous avez une tête atroce ! On dirait un déterré !
- Merci, c’est sympa.
- Oh, excusez-moi, je n’aurais pas dû....
- Non, ce n’est rien, pas de problème. D’ailleurs, je me sens effectivement comme
un déterré.
- Pardonnez-moi si je suis indiscrète mais que faîtes-vous ici aussi tôt ? Vous ne
deviez pas revenir qu’en fin de journée ?
- J’ai eu un petit… changement dans mes plans. Bon, je crois que j’ai besoin d’un
triple café bien tassé.
- Ca vous embête si je viens le prendre avec vous ? Mon service ne commence qu’à
9 heures aujourd’hui. Je suis venue plus tôt juste pour aider un petit nouveau à démarrer
mais je peux être libre d’ici une trentaine de minutes au plus tard. Enfin, je veux dire, si
vous voulez bien de moi. Et si vous pouvez attendre. Vous voulez bien ? Oh, excusez-moi,
je suis folle, je suis désolée, laissez tomber, je parle trop, je n’aurais pas dû vous proposer
ça, vous préférez sûrement que je vous laisse tranquille.
Charlie, sidéré par la tirade de Nora, la regarda avec des grands yeux ronds puis
éclata de rire.
- En fait, répondit-il en souriant largement, vous savez quoi ? Vous êtes
exactement ce dont j’ai besoin en ce moment : quelqu’un de normal, avec qui je vais
pouvoir passer un moment normal, à parler de choses normales. Va pour le petit déj’ en
tête à tête !
- Super ! Je vous retrouve dans une demie-heure au bar de l’aéroport !
- Très bien, d’accord. A tout de suite, mademois... euh, Nora. »
Charlie s’appuya au dossier de son siège, un sourire béat aux lèvres. Après ses
émotions de la nuit et sa panique incontrôlable, il décompressait enfin. La perspective de se
changer la tête en passant un moment agréable avec une quasi-inconnue aussi sympathique
et volubile le réjouissait au plus haut point.
Il sortit de la voiture et se rendit vers le hall du terminal avec son petit sac de voyage.
Vu son intense activité physique de ses dernières heures, il était urgent qu’il aille se laver
un peu dans les toilettes de l’aéroport. Magnifique, il y avait même des douches. Il se serait
senti vraiment mal à l’aise s’il avait dû retrouver Nora en sachant que des odeurs non
équivoques, vestiges de ses folies nocturnes, pouvaient être perçues par son odorat
féminin, donc par définition hyper-sensible. Une fois douché, il put même rapidement se
changer, se raser, se mettre quelques gouttes de parfum Kenzo dans le cou et arriver
flambant neuf au bar.
Nora l’y attendait déjà. Ou le petit nouveau de chez Avis était franchement doué, ou
elle l’avait expédié vraiment très vite. Ils commandèrent deux grands cafés et de la
viennoiserie, visiblement heureux l’un et l’autre de cet intermède imprévu. Pendant
quelques minutes, ils bavardèrent de tout et de rien, même si Nora brûlait d’envie de le
questionner sur sa nuit. Mais elle avait beau être extravertie, elle n’osait quand même pas
poser à Charlie une question aussi directe. Et indiscrète.
Ce fut lui qui en parla. Oh, une version très édulcorée, bien sûr, mais l’essentiel y
était. Il dit à Nora qu’il avait fait la connaissance, grâce à « Sauvez Amy », d’une jolie
jeune fille très délurée sur Internet, qu’ils s’étaient plu, qu’ils avaient décidé de se voir,
qu’il était donc arrivé hier soir, qu’ils avaient fait l’amour toute la nuit – sans rentrer du
tout dans les détails techniques ni le nombre de fois où ils s’étaient envoyés en l’air – et
qu’à un moment, Gabrielle l’avait jeté dehors, de crainte que sa mère ne les surprenne.
Cette explication lui semblait finalement la plus vraisemblable, maintenant qu’il faisait
grand jour et qu’il était en agréable compagnie. Il raconta néanmoins à Nora sa frousse
monumentale quand il était revenu près de la fenêtre et que la mère de Gabrielle l’avait vu.
Il ajouta qu’avec l’orage, la maison paumée au milieu des bois et les bougies, il avait
eu l’impression d’être tombé sur une tanière de sorcières. Nora, qui jusque là riait
gentiment de sa mésaventure finale, se rembrunit soudain.
« Comment s’appelait la jeune fille avec qui vous avez passé la nuit ?
- Gabrielle. Pourquoi, vous la connaissez ?
- Gabrielle ? Vous êtes sûr ? Une rousse avec des yeux verts, très jeune, très belle ?
- Oui, c’est ça ! Mais comment… ?
- Gabrielle, fille de Gabrielle, petite-fille de Gabrielle et ainsi de suite depuis des
siècles. Pas étonnant que vous ayez failli prendre la mère pour sa fille, elles n’ont que 18
ans d’écart. Tout le monde les connaît dans la région. Et personne ne s’en approche. Elles
sont dangereuses, mauvaises. Ce sont des sorcières.
- Quoi ? Attendez, vous voulez rire ! Des sorcières ? Des sorcières en 2000 ? Mais
enfin, Nora, ça n’existe pas les sorcières ! J’ai un peu flippé hier soir, d’accord, mais quand
même, maintenant que je suis devant un café, en plein milieu d’un aéroport, avec vous en
face de moi, charmante et tout, je me dis que cette nuit, je me suis juste senti pris en faute,
comme un petit garçon qui vient de faire une bêtise en voulant manger toute la confiture.
Et si j’ai eu peur, c’est parce que l’ambiance était vraiment digne d’un film d’épouvante
avec l’orage, les bougies et tout. Vous et moi, on travaille pour des multinationales, on
utilise des ordinateurs, des voitures, on regarde la télé, on voyage en avion, alors le
surnaturel, hein, faut pas pousser, c’est trop…
- C’est la deuxième fois que vous me dîtes que je suis charmante.
- Ah ? Euh, oui, vous voyez, ça doit être que je le pense vraiment. D’ailleurs, c’est
bien le seul genre de charme auquel je crois, moi. Celui de quelqu’un comme vous. Pas
celui qui s’obtient en invoquant je ne sais quels démons sortis de l’enfer en mélangeant de
la bave de crapaud à des ongles de chauve-souris par une nuit sans lune. »
A nouveau, Nora éclata de rire. Puis elle jeta un coup d’oeil à sa montre et dit :
« Hou la ! Il faut que je retourne au comptoir, moi, je n’ai pas vu passer l’heure.
Dîtes, je suis à nouveau libre à partir de 13 heures si vous voulez qu’on poursuive cette
conversation. De toute façon, vous venez de louper le vol du matin pour Londres, rajouta
t’elle avec un regard espiègle.
- D’accord ! D’accord ! Comment vous dire non, répondit-il en riant aussi.
- Génial ! Je vous amènerai manger en ville. Le menu de la brasserie de l’aéroport,
il me sort par les trous de nez. A tout à l’heure. »
Ils se levèrent et avec un naturel total, Nora l’embrassa sur la joue puis partit
rejoindre son travail, comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Charlie la regarda
s’éloigner en se disant « non, non, tu te calmes, n’imagine pas des trucs, elle est gentille,
c’est tout, et si tu restes manger avec elle, c’est pour qu’elle t’en dise plus sur ces fameuses
sorcières, juste pour bien te marrer de ces superstitions ridicules, et ensuite, ciao bella,
retour à Londres et basta, tu reprends ta vie normale qui est déjà assez compliquée comme
ça. ».
Bon, il avait quatre heures à tuer en attendant que Nora soit libre. Il sut tout de suite à
quoi il allait les consacrer. Il avait toujours les clés de sa voiture de loc sur lui. Il revint au
parking, se mit au volant et prit la route de Clermont-Ferrand. Il se gara au sous-sol d’une
galerie commerciale en plein centre-ville puis se mit à marcher dans les rues alentours. Il
n’eut aucun mal à repérer ce qu’il cherchait. Il y a cinquante ans, il se serait rendu dans une
bibliothèque et y aurait compulsé des dizaines d’ouvrages pendant des jours. Mais
aujourd’hui, il lui suffisait de quelques heures pour avoir autant d’information que dans
toutes les bibliothèques du monde, en naviguant avec un bon moteur de recherche depuis
n’importe quel PC connecté au réseau mondial.
Il passa la porte du premier cybercafé qu’il trouva. A cette heure encore matinale, il
n’y avait aucun autre client que lui. Il s’installa devant l’un des postes, commanda un café
au patron et se connecta tout d’abord sur sa messagerie. Il ouvrit aussitôt le mail que lui
avait envoyé Salomé mais son contenu le mit hors de lui. Elle lui expliquait à nouveau en
détails qu’elle ne voulait plus qu’ils se parlent en amants mais qu’ils restent amis, parce
que selon elle cette passion n’allait nulle part et qu’ils en souffriraient forcément tous les
deux. Il renvoya un message furieux, lui disant qu’il préférait qu’ils ne se parlent plus du
tout plutôt que de faire comme si ils n’étaient plus qu’amis. Puis il ouvrit une autre fenêtre
et passa à la vraie raison de sa visite. Il lança une recherche sur Google avec seulement
deux mots très simples : « sorcières Allier ».

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:28 PM

L’avalanche de réponses qu’il obtint le surprit. Parmi les toutes premières, l’une le
laissa pantois. Elle s’intitulait « Les deux sorcières de Cusset ». On y racontait la présence,
dans ce même petit village, de deux sorcières à 150 ans d’intervalle.
La première, dite la Filastre, avait été arrêtée, torturée et brûlée vive pour avoir tenté
d’empoisonner Mademoiselle de Fontanges, la nouvelle favorite de Louis XIV. Le meurtre
avait été commandité par Madame de Montespan, jalouse de voir arriver une jeune rivale
sur son territoire. Mais seule la malheureuse apprentie tueuse à gages avait été exécutée,
personne n’osant inquiéter la Montespan. En quoi la tentative supposée d’assassinat de la
Filastre avait à voir avec de la sorcellerie restait un mystère. Sans doute son dénonciateur
avait trouvé l’argument bien commode. Charlie apprit également que Madame de
Montespan était une fervente pratiquante de messes noires. Y participaient un soi-disant
abbé qui procédait à des simulacres sordides de rituels sur le ventre flasque et dénudé de la
favorite, ainsi qu’une autre sorcière nommée la Voisin. Montespan n’hésita pas à faire
enlever puis égorger un enfant en bas âge, dont les personnes présentes burent ensuite le
sang recueilli dans un calice. Elle recourait à ces pratiques dans l’espoir de conserver
l’affection de son roi. Elle avait déjà eu sept enfants illégitimes de lui, ce qui avait rendu
son corps bien moins séduisant qu’il n’avait pu l’être. Et les jeunes et belles prétendantes à
la couche du roi ne manquaient pas, ce qui la rendait folle de jalousie.
Quand les agissements de Madame de Montespan parvinrent aux oreilles du roi, il fut
horrifié. Pour étouffer le scandale, il fit arrêter des dizaines de gens, tous ceux qui se
retrouvaient aux messes noires et tous ceux qui en avaient entendu parler de près ou de
loin. Parmi eux se trouvaient de nombreux notables, qui furent mis au secret jusqu’à la fin
de leur vie. La Voisin eut un sort bien plus horrible. Elle mourut brûlée vive, un peu avant
la Filastre. Seule Madame de Montespan, intouchable, ne fut jamais punie. Mais le roi finit
rapidement par ne plus venir la voir. Peu après, il abolissait définitivement le châtiment du
bûcher pour les sorcières et autres mages.
La deuxième sorcière de Cusset, une certaine Gabrielle Douay, dite la Pagnat du nom
de son mari, vendait ses mélanges d’herbes aux paysans crédules au début du 19ème siècle à
Cusset et aux environs, en particulier dans un village proche nommé… Arfeuilles.
Charlie sentit un filet de sueur froide s’écouler dans son dos. Il vit, comme dans un
tourbillon, le visage de Gabrielle Arfeuille, celui de sa mère, la maison éclairée aux
bougies en plein orage et Nora lui disant que les deux femmes faisaient partie d’une longue
lignée de sorcières, toutes prénommées Gabrielle. Ce n’était plus un café qu’il lui fallait
mais un alcool fort. Il ne croyait toujours pas à ces sornettes mais elles, elles y croyaient.
Jusqu’où avaient-elles eu l’intention d’aller ? Au meurtre rituel ? Qui sait ce qui lui serait
arrivé s’il ne s’était pas enfui dans la nuit ?
Il eut un frisson, puis se ressaisit en se disant qu’il se faisait du cinéma et qu’il fallait
qu’il reste rationnel au lieu de lâcher la bride à son imagination. Il continua à éplucher les
autres réponses qu’il avait obtenues. Il se concentra assez vite sur la plus ancienne des
prétendues sorcières, la Filastre. De toute évidence, tout était parti d’elle puisque son
exécution relevait sans aucun doute d’une machination. Qui avait pu vouloir se débarrasser
ainsi de cette pauvre femme ? Quel pouvait être le mobile ? Jalousie ? Dépit amoureux ?
Intérêt financier ? Dispute de voisinage ? Rien ne lui permettait de le deviner.
Il revint vers la fenêtre où il était connecté sur sa messagerie. Il commença à prendre
des notes dans un mail qu’il comptait s’envoyer ensuite à lui-même pour le retrouver à son
retour à Londres. Pendant plus d’une heure, il navigua de page web en page web au fil des
réponses que lui donnait Google lorsqu’il faisait varier ses mots-clés. Il essaya ainsi
« Gabrielle Allier sorcière » mais il ne retrouva que les récits relatifs à la Pagnat. Il tenta
alors « Arfeuille sorcière », pour un résultat à peu près identique. Puis « sortilèges Allier »,
« rites sataniques Allier », et quelques autres combinaisons du même genre, sans
progresser réellement. Il lut, avec effroi et dégoût, une description de cérémonial de sabbat,
tel qu’il s’en pratiquait à peine trois siècles plus tôt. A chaque fois qu’il pensait tomber sur
un nouveau détail pertinent, il le copiait-collait dans sa fenêtre de messagerie.
Il obtint quelques nouvelles informations intrigantes lorsqu’il tapa, un peu à court
d’idées, « malédiction Cusset ». Il semblait qu’un certain nombre de crimes rituels avaient
eu lieu au début du 18ème siècle dans la région, entre Cusset et Montluçon. Ils avaient
frappé l’imagination de leurs contemporains par le fait que les neuf victimes étaient toutes
des notables originaires de Cusset, d’où le titre « La malédiction de Cusset » sur la page
web qui relatait le drame. Parmi eux se trouvaient un officier de police et même un bedeau.
Ah non, « Bedeau » c’était son nom, en fait il était notaire à Cusset avant de partir faire
fortune en Louisiane et de revenir, quelques années plus tard, s’installer avec sa famille à
Montluçon. Charlie était plutôt sceptique en découvrant cette série de faits-divers. Il n’était
pas convaincu qu’il puisse y avoir des liens entre les différents meurtres, et encore moins
avec la lignée des sorcières de Cusset. Il rajouta néanmoins à ses notes tous les détails de
l’affaire et décida d’en parler avec Nora, quand ils iraient manger ensemble.
Il lut ensuite des dizaines de pages sur les superstitions qui frappaient, dès le Moyen-
Age, les femmes aux cheveux roux. Les malheureuses étaient systématiquement
considérées comme des créatures de Satan en personne. Des sorcières qui ne méritaient que
le bûcher – et qui, la plupart du temps, l’avaient. Voilà qui pouvait peut-être expliquer
pourquoi Gabrielle et sa mère étaient des sorcières désignées, aux yeux d’un certain
nombre de personnes crédules, alors qu’elles n’étaient sans doute rien d’autre que deux
asociales un peu dérangées.
Il arrêta là ses recherches, il fallait qu’il reparte à l’aéroport pour retrouver Nora. Il ne
put s’empêcher de sourire en arrivant près du comptoir Avis. Elle était justement en train
de donner quelques dernières instructions à un jeune homme falot et pâle, en costumecravate
strict, qui faisait tous ses efforts pour éviter de croiser le regard gris acier de Nora
et qui se mettait à rougir violemment à chaque fois que ses yeux fuyants se tournaient par
hasard vers le décolleté généreusement garni de Nora. Elle vit soudain Charlie, lui fit un
large sourire et un grand signe du bras – ondulation des seins, nouvelle flambée écarlate
aux joues du jeune homme, planté là sans ménagement par Nora qui courut rejoindre
Charlie.
« Charlie, enfin ! Allons-y, je meurs de faim. On prend ma voiture, d’accord ? Ce
sera plus simple. »
Le collègue émotif jeta un regard d’envie pitoyable à cet intrus, qui ne pouvait être
qu’un rival incroyablement chanceux. Mais qu’est-ce qu’il avait de plus que lui ?
Comment une personne aussi exquise et raffinée que Mademoiselle Alhegra pouvait-elle
s’intéresser à ce demi-voyou bien plus âgé qu’elle et habillé d’un jean et d’un blouson en
cuir ?
Pendant qu’ils roulaient vers le centre ville, Charlie dit à Nora d’une voix moqueuse :
« Je crois que vous venez d’acculer au suicide votre nouveau collaborateur. Il est
visiblement total raide dingue de vous.
- Quoi ? Vous voulez rire ? Mais enfin, non, pourquoi vous me dîtes ça ?
- Ne me dîtes pas que vous n’avez rien remarqué. Il avait l’air à deux doigts de
l’apoplexie quand il louchait par mégarde sur vos seins. Bon, sur ce point-là, on ne peut
pas lui en vouloir, bien sûr, mais…
- Arrêtez ! dit-elle, hilare. Vous vous rendez compte, moi avec ce… ce… cette
endive ? »
Ils partirent tous les deux d’un fou rire libérateur, qui ne s’éteignit qu’au moment où
ils se garèrent près du restaurant. Ils étaient, entre temps, passés rapidement au tutoiement.
Une fois leur commande prise, Charlie commença à relater à Nora l’essentiel de ses
recherches de la matinée. Nora l’interrompit à peine, fascinée par tout ce qu’il lui racontait.
Il arriva à l’histoire de la malédiction de Cusset, au moment où le garçon leur apportait leur
entrée.
« Là, dit-il après lui voir servi un verre de vin, je ne sais pas trop quoi penser. Neuf
notables ayant tous vécu à Cusset à un moment ou un autre de leur vie, ont été assassinés,
la plupart de façon horrible. Tu te rends compte, il y avait même un notaire et un flic parmi
eux. Les meurtres ont commencé huit ans après la mort de La Filastre et se sont étalés sur
six ans, de façon plutôt irrégulière. Rien ne prouve qu’il y ait un lien avec elle ni même
qu’il s’agisse du même assassin. Tout cela peut très bien n’être qu’une coïncidence
macabre.
- Attends, tu plaisantes ? Comment peux-tu croire qu’il s’agit d’une coïncidence ?
D’abord, ce n’est pas une, mais neuf coïncidences ! Neuf personnes qui viennent toutes
d’un patelin minuscule, qui ne devait pas avoir plus d’une centaine d’habitants. Combien te
faut-il de coïncidences pour croire qu’elles n’en sont pas ?
- Ah ben ça, tu sais, il y a des fois, tu serais surprise ! Tiens, si je te donnais un
exemple avec trente millions de coïncidences, est-ce que tu te dirais qu’elles ne sont pas
dues au hasard ?
- Ben, bien sûr ! Trente millions, qu’est-ce qu’il te faut !
- Bon, alors écoute bien. Tu as sûrement entendu parlé de la catastrophe de
Tchernobyl, même si tu étais encore à la maternelle à l’époque. C’était en 1986.
- Espèce de charmeur incorrigible. Je suis née en 1977. Et on capte les émissions
de télé à Clermont-Ferrand, figure-toi, alors oui, je sais très bien ce qui s’est passé à
Tchernobyl en 1986.
- D’accord, d’accord. Alors tu sais aussi que les départements français les plus
touchés par les retombées radio-actives ont été tous ceux qui se trouvent à l’est de la
France.
- Quelle surprise, justement ceux par où est arrivé le nuage toxique, répondit-elle
d’une voix ironique.
- Exactement. Bon, maintenant, sais-tu quels sont les départements qui ont le plus
voté pour le Front National de 1987 à nos jours ?
- Euh… non je n’en sais rien, répondit-elle décontenancée. Quel rapport avec
Tchernobyl, de toutes façons ?
- Aucun, justement. Et pourtant, ces départements sont justement les mêmes que
ceux qui ont reçu le plus haut niveau de pollution radioactive en 1986. Bien sûr, beaucoup
pensent qu’il faut être sérieusement atteint pour voter Front National mais quand même, la
radioactivité, c’est un peu limite, non, comme analyse politique ? Comme il y a environ
trente millions de personnes en âge de voter en France, cela veut dire…
- …trente millions de coïncidences entre le niveau d’irradiation dû aux retombées
de Tchernobyl et le vote d’extrême droite !
- Bravo. Je ne te le fais pas dire. Trente millions de coïncidences.
- Euh, attend, et si après tout il y avait vraiment un lien entre le nuage radioactif et
le vote pour le Front pendant les 13 ans qui ont suivi ?
- Tu ne lâches pas prise facilement, toi. OK, admettons. Alors, je vais te donner un
autre exemple avec trente millions de coïncidences.
- Quoi ?
- C’est presque le même, en fait. Mais sans Tchernobyl. En France, plus les gens
voient le soleil se lever tôt, plus ils votent Front National.
- Mais c’est n’importe quoi !
- Et pourtant, c’est pareil, puisque les sympathisants du Front sont plus nombreux à
l’est de la France qu’à l’ouest. Même sans nuage radioactif. Tu vas me dire que c’est lié au
fait qu’ils sont éclairés par le soleil un peu plus tôt ?
- Euh…
- Ou alors, ils votent pour le Front parce qu’ils sont plus loin de l’océan Atlantique
et que ça leur manque d’aller à la plage ? Ou est-ce parce qu’ils sont plus près du Japon ?
Tu vois, des variations autour de trente millions de coïncidences, je peux t’en donner à
volonté.
- Ca va, ça va, j’ai compris ! Alors là, je suis scotchée ! Mais quand même, pour les
notables de Cusset…
- …oui, moi aussi ça me turlupine. Et pourtant je connaissais déjà l’exemple de la
corrélation entre Tchernobyl et le vote facho. Mais même si neuf, c’est beaucoup moins
que trente millions…
- …ça reste quand même un peu trop extraordinaire pour n’être qu’une
coïncidence.
- Oui. Bon. Admettons. Les neuf notables ont été zigouillés par le même tueur en
série. Quelle chance y a t’il que ce tueur soit justement la fille de la Filastre ?
- Déjà, elle aurait un sacré mobile si elle pensait que ces hommes étaient
responsables d’une façon ou d’une autre de la fin horrible de sa mère.
- Oui, c’est clair, mais est-ce que ça peut vraiment être sa fille ? La Filastre a été
brûlée vive à l’âge de 22 ans. Même si elle avait eu sa fille très jeune, la petite aurait eu au
plus 4 ou 5 ans au moment de l’exécution de sa mère et n’aurait sans doute pas eu la
moindre chance de survivre, seule, plus de quelques jours en ce temps-là. Et même si elle
avait survécu, elle aurait eu à peine une douzaine d’années au moment de commettre son
premier crime. Ca m’a l’air complètement invraisemblable.
- Pourtant… pourtant, si c’est bien sa fille, tout colle : elle avait un mobile et en
plus, elle vivait à Cusset, comme les neuf victimes, et comme sa mère. Tu vas me dire
qu’en fait, c’est parce qu’un nuage radioactif est aussi passé sur Cusset à l’époque de Louis
XIV ? Ou est-ce que tu vas enfin admettre que c’est la seule explication possible ?
- La seule, je ne sais pas. La plus probable, je dois bien le reconnaître, Miss
Sherlock.
- Je peux finir ton entrée ? Tu n’y as pas touché.
- Par contre, toi, je vois que tu n’as aucun problème à parler et manger en même
temps.
- Il y a plein d’autres choses que j’arrive à faire en même temps.
- Hmmm, excitant ! Il faudra que tu me montres tes autres talents, mais une autre
fois peut-être, il faut vraiment que je sois rentré à Londres ce soir.
- Oooooh, tu es sûr ?
- Oui, désolé. Je suis obligé de travailler pour gagner ma vie, surtout ne l’ébruite
pas. Et l’impitoyable entreprise qui m’emploie exige même que je respecte un certain
nombre d’heures minimum par mois. Je sais, c’est affreux. Mais bon, je reviendrai dès que
je peux, promis.
- Tu as intérêt, sinon je te jette un sort terrible et je fais de toi mon esclave !
- Pitié, pitié, je ferai tout ce que tu veux, dit-il en riant. Et en attendant que je te
revoie, on pourra toujours communiquer par email.
- Je préfère communiquer avec ma bouche.
- Un allusion de plus de ce genre et je te passe sur le corps, là, tout de suite, sur la
table, devant tous les autres clients du restau.
- Chiche !
- Puis-je, hum, vous débarrasser ? dit le garçon qui venait de s’approcher.
- Euh, oui, oui, merci.
A peine fut-il reparti avec les assiettes et les couverts que Nora et Charlie éclatèrent
de rire.
- Tu crois qu’il a tout entendu ?
- Si c’est le cas, il n’y aura pas besoin de lui souhaiter « fais de beaux rêves » ce
soir.
- Tiens, ça me rappelle, quand j’étais une petite fille et que j’avais peur dans le noir,
ma maman me disait… »
Ils passèrent le reste du repas à bavarder de leurs enfances respectives. Puis, ils
revinrent à l’aéroport et Nora accompagna Charlie jusqu’à la porte d’embarquement.
- S’il te plait, ne m’oublie pas quand tu seras à Londres.
- Comment pourrais-je t’oublier ?
Ils se serrèrent dans les bras l’un de l’autre, puis s’embrassèrent sur les lèvres, d’un
baiser long et tendre. Charlie la repoussa ensuite gentiment et se dirigea vers son vol de
retour. En marchant dans la passerelle, il essaya de ne pas penser à la confusion qui
l’envahissait depuis quelques heures.
Bon, Tess, passe encore, elle s’enfonçait déjà dans son passé. Mais trois coups de
foudre en si peu de temps, c’était quand même un peu trop pour un seul homme. Même si
cet homme était quelqu’un d’aussi chaud lapin que Charlie pouvait l’être à cette époque de
sa vie.
Salomé, Gabrielle, Nora.
Trois femmes au charme exceptionnel qui, toutes trois, avaient craqué pour lui d’une
façon ou d’une autre, en l’espace de quelques jours. Toutes les trois rencontrées grâce à
« Sauvez Amy ».
Il en aurait presque remercié les auteurs de ce spam.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:30 PM

Chapitre 7


Superstition
Very superstitious, nothing more to say,
Very superstitious, the devil is on his way,
When you believe in things that you don’t understand,
Then you suffer.
Superstition ain’t the way, no, no, no
Stevie Wonder
(Superstition)
La plus belle ruse du Diable est de nous persuader qu’il
n’existe pas.
Charles Baudelaire

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:32 PM

Quelque part près de Domérat, au bout d’un chemin oublié, la mère de Gabrielle,
dont le nom initiatique était la Sentinelle, mélangea et réduisit en poudre des ingrédients
étranges sous les yeux de sa fille, en psalmodiant des mots dans une langue d’un autre âge.
Elle voulait la punir de l’attachement qu’elle avait montré pour cet homme en le poussant à
partir, alors qu’il était à leur merci. Et pour la punir, elle allait le punir lui.
La Sentinelle avait été déstabilisée par l’endurance de Charlie. Il aurait dû s’effondrer
dès la troisième ou la quatrième fois, comme n’importe quel homme. Gabrielle lui aurait
alors fait boire une potion préparée par sa mère. Il aurait péri en quelques secondes avec
tous les symptômes d’une crise cardiaque. Elles l’auraient ensuite toutes les deux remis
dans sa voiture. Elles auraient roulé jusqu’à la grande route et l’auraient abandonné au
volant sur le bas-côté. Mais voilà, malgré tous les efforts de Gabrielle, Charlie avait
recommencé encore et encore, sans montrer le moindre signe d’épuisement. La mère en
avait été furieuse. La fille, secrètement ravie. Cette performance surhumaine n’en était pas
moins un mystère. Charlie avait-il été protégé par un autre sortilège ?
Gabrielle n’osa pas avouer à sa mère qu’elle en était responsable. Elle avait eu
tellement de plaisir les trois premières fois qu’elle avait voulu en profiter plus longtemps.
Elle avait récité mentalement une invocation qui redonnait toute sa vigueur à Charlie. On a
beau être sorcière, on n’en est pas moins femme. Ce n’est qu’à la neuvième fois qu’elle
avait réalisé que ça faisait quand même beaucoup pour sembler encore naturel. Sa mère,
qui patientait dans la pièce à côté en guettant leurs gémissements, allait finir par perdre
patience. Ne se sentant plus le courage de mener son amant à la mort si elle attendait plus
longtemps, Gabrielle avait tenté de lui faire maladroitement comprendre qu’il fallait qu’il
parte. Elle était immédiatement sortie de la chambre pour faire diversion, allant voir sa
mère en jouant l’incompréhension, afin de donner le temps à Charlie de filer. Quand elle
avait vu, en revenant, que Charlie n’avait pas bougé du lit, elle s’était franchement énervée
pour qu’il ne perde plus une seconde. Elle avait été terrorisée de le voir regarder ensuite à
la fenêtre au lieu de fuir. Ce débile inconscient avait vraiment failli y passer.
Bien entendu, Charlie avait une explication bien plus prosaïque à son rut sans limite.
En marchant sur la passerelle qui conduisait à l’avion, il se disait que la raison de ses
exploits était tout simplement le plus puissant de tous les aphrodisiaques qu’il ait jamais
connu : Gabrielle elle-même. La façon dont son vagin palpitait autour de son pénis.
L’imagination explosive qu’elle lui avait montré à chaque nouvelle position. La sensualité
exceptionnelle qu’elle avait exprimée à chaque seconde, pendant des heures et des heures.
D’une certaine manière, il n’était pas si éloigné de ce que croyait Gabrielle : aussi bien elle
que lui pensaient que c’était à elle qu’il devait son érection infatigable. Sauf qu’elle voyait
de la magie là où lui ne voyait que de l’érotisme.
En tout cas, la Sentinelle voulait vider sa colère sur Charlie en lui faisant passer un
mauvais moment, faute de mieux. Elle jeta sur les flammes d’un petit brasero une poignée
de sa mixture. Une fumée épaisse s’éleva.
Au même moment, alors qu’il venait à peine de s’asseoir dans l’avion et de boucler
sa ceinture, Charlie perdit connaissance. Il se revit devant la fenêtre, la mère de Gabrielle
le fixant de son regard haineux et déchaînant toute sa puissance maléfique sur lui. Tout à
coup, elle se retrouva dehors, face à lui. Elle était vêtue d’une grande robe noire en
lambeaux, qui volait au vent. Elle lui sauta à la gorge. Il se retrouva couché sur le dos dans
la boue, sous la pluie qui tombait. Il était nu, en érection. La Sentinelle s’accoupla à lui en
le chevauchant frénétiquement. Au moment où il allait jouir, une crevasse s’ouvrit sous ses
pieds et il se mit à tomber en suffoquant dans un précipice noir sans fond, le vent
déformant son visage, alors que la Sentinelle, accompagnée de dizaines de harpies aux
cheveux rouges, volait autour de lui en lui lançant des imprécations effrayantes et en le
lacérant de leurs serres. Il essayait dans sa chute de s’agripper aux lamies, mais elles le

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:36 PM

griffaient et le mordaient, l’obligeant à lâcher prise. Une chaleur de plus en plus violente se
mit à monter vers lui. Il regarda en bas et vit au fond du gouffre noir des coulées de lave en
fusion. Des diables grimaçants nageaient à la surface, comme s’ils batifolaient dans une
piscine. Un immense serpent, avec des ailes de ptéranodon, surgit de la lave, fonça la
gueule grande ouverte en direction de Charlie, le happa dans ses mâchoires luisantes
garnies de crocs acérés et commença à le ballotter dans tous les sens. Charlie reprit
connaissance. C’était son voisin de gauche qui était en train de le secouer pour le faire
revenir à lui.
Son malaise n’avait duré que quelques secondes. Il eut l’impression fugitive d’avoir
été parti au-delà de la mort.
« Monsieur ? Monsieur ? Vous allez bien ?
- Euh... oui... merci, je... j’ai eu un malaise...
- Voulez-vous que j’appelle l’hôtesse ?
- Non, c’est inutile. Ce n’est qu’un malaise vagal. Ca m’arrive de temps en temps,
quand je suis très fatigué.
- Vous êtes sûr que tout va bien ?
- Oui, oui, je vous assure. Vous comprenez, là, je viens de passer 36 heures sans
dormir et ma nuit a été très, euh, agitée. C’est ce qui a causé mon malaise. Ca va aller,
maintenant. Je vais dormir pendant le vol. Merci pour votre aide.
- Pas de quoi. Surtout, n’hésitez pas à me dire si vous vous sentez mal à nouveau.
- D’accord. Merci encore. »
Charlie se tourna vers la fenêtre et s’appuya sur le dossier pour tenter de dormir un
peu. Un éclair violent le fit sursauter, suivi d’un coup de tonnerre roulant comme une
avalanche déchaînée. L’avion décolla au moment où une pluie battante se déversait sur
l’aéroport, telle un déluge de fin du monde. Charlie dormit d’un sommeil agité jusqu’à
l’atterrissage.
Il lui fallut encore deux heures interminables pour arriver enfin à son appartement,
complètement épuisé. Le mot qu’il avait laissé pour Tess n’avait pas bougé de sa place.
Raison de plus pour ne rien regretter de sa nuit à Domérat. Il alla directement se coucher,
tout habillé.
Le lendemain, après avoir dormi plus de douze heures comme une masse, il alla
vérifier ses mails dès son réveil. Rien de Nora. Rien de Gabrielle. Un mot de Salomé le
suppliant de revenir à elle. Bouleversé, il craqua et fondit en larmes. Tout le stress
accumulé depuis des jours se déversa enfin hors de lui. Il trouva ce qu’il venait de faire
depuis 48 heures stupide et infantile. Quelle idée d’être aller voir sur un coup de tête cette
gamine, cette prétendue sorcière, juste pour s’envoyer en l’air ! Et sa folle de mère, quelle
tarée ! Il répondit à Salomé que lui aussi voulait que leur relation revive.
Leur passion redémarra de plus belle. Une semaine plus tard, il passa avec elle une
nuit où l’expression « faire l’amour » reprit enfin tout son sens.
Entre temps, Nora lui envoya, elle aussi, un mail plein de tendresse mais il n’y était
plus réceptif. Il se dit que, de toutes façons, s’il y réagissait trop chaleureusement, son
cerveau exploserait à force d’aller et venir d’un coeur à l’autre. Il n’avait vraiment pas
besoin de plus de confusion, il fallait qu’il se pose un peu et Salomé était tellement solaire
et sereine... Il envoya donc à Nora une réponse à la fois gentille et distante.
De : Charlie
A : Nora
Objet : Coucou
Bonjour Nora,
Comme tu vois, je suis rentré à Londres sans encombres. Plus aucune sorcière
n’est venue croiser mon chemin. Je suis ravi d’avoir eu l’occasion de faire ta
connaissance et j’espère que nous aurons à nouveau la possibilité de nous voir à
l’avenir.
Bisous
Charlie

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PS : je crois que je vais laisser tomber notre petite enquête pour le moment. Plus
j’y repense, plus je me dis que j’ai simplement paniqué comme un gamin.
Voilà. Comme ça, elle ne le relancerait pas sur ces bêtises à propos de sorcières
vivant à l’aube du 21ème siècle à deux pas de chez elle. Et tant pis si elle allait se sentir
déçue par la froideur avec laquelle Charlie remettait leur prochaine rencontre aux calendes
grecques. Le temps de Salomé était venu et jusqu’à ce qu’il la voie, il était hors de question
qu’il pense à qui que ce soit d’autre. Il verrait bien ensuite quoi dire à Nora, s’il avait
encore envie de lui dire quoi que ce soit.
Quant à Gabrielle, il se sentait plutôt soulagé de ne plus avoir de ses nouvelles depuis
son retour. Il aimait autant ne plus jamais entendre parler d’elle, ni de son bled paumé, ni
de sa maison isolée, ni de sa mère terrifiante, ni de toutes les superstitions d’un autre âge
qui les entouraient.
Pourtant, Gabrielle interféra une fois de plus avec Charlie sans qu’il ne le sache
jamais.
Dans la nuit du vingtième au vingt-et-unième jour après leur premier contact, alors
que Charlie atteignait enfin un pur moment de sérénité et d’amour dans les bras de Salomé,
Gabrielle prononça, au coeur de sa maison, les paroles d’un rituel très ancien. Il était
environ 1h30 du matin. Elle but un breuvage à base de venin de crapaud et de racines rares,
au goût de tourbe et à l’odeur putride. Elle y avait mélangé un peu du sperme de Charlie.
Une semaine plus tôt, lorsqu’elle était sortie de la chambre après leur neuvième orgasme et
juste avant de retrouver sa mère, elle avait prélevé un peu de la précieuse semence sur ellemême,
dans ce but.
Ce sortilège très puissant était habituellement utilisé par les sorcières pour se
retrouver sur les lieux d’un sabbat. Modifié par le sperme de son amant d’une nuit, il allait,
cette fois, lui permettre de quitter son propre corps pour rejoindre l’endroit où se trouvait
Charlie. Pour la première fois de sa vie, Gabrielle ressentait quelque chose que ni elle, ni
aucune de ses ascendantes n’avaient jamais connu. La jeune sorcière s’était tout
simplement attachée à un homme. Elle en était tombée amoureuse, comme une adolescente
qu’elle était. Charlie lui manquait. Elle en avait mal au ventre. Elle le voulait avec lui, là,
tout de suite. Et comme il n’était pas là, elle allait utiliser ses pouvoirs pour le retrouver.
Elle était sorcière. Elle pouvait être n’importe quelle femme. Elle pouvait se retrouver
n’importe où. La seule chose qu’elle ne pouvait pas faire, c’était de l’avouer à sa mère, qui
aurait bien été capable de la tuer pour ça, si jamais elle le découvrait. Mais sa mère était
partie une fois de plus pour toute la nuit. Alors, Gabrielle allait une fois encore appeler
Lilith à sa rescousse. Elle allait posséder le corps de celle avec qui Charlie passait la nuit,
où qu’il soit. Ce faisant, elle pourrait à nouveau faire l’amour avec lui.
Elle ne devait se méfier que d’une chose. Pendant tout le temps de la possession, il
fallait juste qu’elle évite à tout prix de passer devant un miroir ou une vitre. Le sort, en
effet, serait rompu si quoi que ce soit d’autre que les yeux de Charlie capturait son reflet.
Elle cria trois fois les mots « Emen etan », qui veulent dire en langage satanique « Ici
et là ». Son corps astral se transporta instantanément là où se trouvait Charlie. Au moment
précis où elle se matérialisa dans le corps de Salomé, Charlie appuya sur le déclencheur de
l’appareil photo. En éblouissant Gabrielle, le flash rompit le sort. Son reflet ayant été saisi
par la pellicule, son âme fut aussitôt aspirée à nouveau dans son corps physique, resté à
Domérat. Elle n’avait aucun moyen de retourner aussitôt envahir Salomé, ayant bu tout le
philtre qu’elle avait préparé et dont l’assemblage demandait plusieurs jours.
Furieuse d’avoir été chassée du corps de Salomé avant que Charlie ne refasse l’amour
avec elle, elle hurla à la mort comme une louve, la tête rejetée en arrière. Elle fit éclater sa
rage en renversant par terre tout ce qui lui tomba sous la main. Quand la pièce où elle se
trouvait ne fut plus qu’un indescriptible chaos, elle tomba à genoux et continua à hurler,
encore et encore, jusqu’à ce que la fatigue la terrasse.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:38 PM

Chapitre 8


Elues - seulE
- Mon bien-aimé, tu es pour moi un bouquet de myrrhe.
Tu passeras la nuit entre mes seins.
- Comme tu es belle, mon amour, comme tu es belle.
Tes yeux sont des colombes.
Le Cantique des Cantiques
Les hommes qui rôdent en ville m’ont trouvée. Ils
m’ont frappée, ils m’ont blessée, ils ont arraché mes
vêtements. Si vous voyez mon bien aimé, que lui direzvous
? Que je n’aime que lui.
Le Cantique des Cantiques

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 28-02-09 09:40 PM

ÊÑÞÈæ ÇáÝÕæá ÇáÇÎÑì ÞÑíÈÇ



merina3891 10-08-09 11:45 AM

OU EST LA SUITE????

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 12-08-09 10:47 PM

Depuis son retour à Londres après avoir quitté Salomé, Charlie se sentait planer audessus
du sol. Il avait connu des nuits d’amour plus débridées – sur ce terrain-là, Gabrielle
remportait de loin la palme – mais jamais, par contre, il n’avait ressenti une telle intensité
dans la tendresse. Chacune dans leur genre, ces deux femmes avaient été des amantes
absolument exceptionnelles. Et il avait couché avec les deux à une semaine d’intervalle, se
dit-il avec un petit sourire auto-satisfait.
La femme noire à l’âme blanche, la femme blanche à l’âme noire. La sensuelle et la
sexuelle. La tendre et la déchaînée. La divine et la damnée.
Salomé et Gabrielle...
Championnes ex aequo à l’unanimité sur la plus haute marche du podium de son
panthéon féminin personnel. Dans ses rêves de la nuit, les deux élues se superposèrent en
une seule et même femme, dont l’apparence s’inversait sans cesse au cours d’ébats infinis.
Gabrielle l’amena à deux doigts de tacher ses draps mais la lueur du jour interrompit son
rêve à temps.
Avec le soleil levant, sa première pensée consciente fut pour Salomé. Les versets
magnifiques du Cantique des Cantiques l’envahirent. Il connaissait ce texte par coeur,
certainement le plus beau poème d’amour qu’il ait eu l’occasion de lire.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 111
Il se demandait souvent comment un texte aussi érotique avait pu se retrouver dans la
Bible et être présenté aux fidèles comme une allégorie mystique sur l’amour pour Dieu. Il
fallait quand même être croyant au-delà de toute limite raisonnable pour penser que
Salomon s’adressait à Dieu, et non à une sensuelle jeune femme, quand il lui déclarait
« Tes lèvres, mon amour, distillent le miel. Sous ta langue il y a du miel et du lait », ou
bien « Ta taille ressemble à un palmier et tes seins à des grappes, je monterai sur le
palmier, j’en saisirai les rameaux, tes seins seront comme les grappes de la vigne ». Ce à
quoi, son amante, pas vraiment mystique non plus, lui répliquait « Couvre-moi des baisers
de ta bouche, car ton amour est plus enivrant que le vin. Tu es comme un parfum versé,
c’est pourquoi les jeunes filles t’aiment. Entraîne-moi, je courrai après toi. Amène-moi
dans ta chambre » . Et Salomon de lui répondre, de façon aussi peu sacrée : « Nous serons
heureux tous les deux et je prendrai mon plaisir en toi. ». Plutôt explicite, comme
déclaration. Pas vraiment le genre de choses que des fidèles sont censés reprendre en
choeur, au beau milieu d’une messe, à l’église, le dimanche matin, en famille, avec les
enfants.
Si Charlie avait repensé à ce cantique plus que profane, qui racontait la vie
amoureuse du roi Salomon, c’était à cause de l’une de ses toutes premières phrases, celle
où la bergère qu’il courtise s’exclame : « Je suis noire et je suis belle, filles de Jérusalem !
Comme les tentes de Kédar, comme les tentures de Salomon ! Ne me regardez pas parce
que je suis noire, je le suis parce que le soleil m’a regardée ». Si Salomon aimait une belle
femme noire, elle ne pouvait être que Salomé.
Euphorisé par toutes ces pensées, il s’attabla à son PC et écrivit d’une traite un long
mail poétique à Salomé pour lui faire partager tout ce qu’il avait dans le coeur.
De : Charlie
A : Salomé
Objet : Ma divine
Quand Salomé parle, les oiseaux se taisent pour l’écouter.
Quand Salomé se réveille, l’univers reprend vie.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 112
Quand Salomé apparaît, le ciel s'illumine.
Rien ne rend le soleil plus fier que la couleur de la peau de Salomé. Rien n’est plus
beau que sa peau. Et rien ne s'approche de ce que j'ai ressenti la première fois
que j’ai touché cette peau. Du moins jusqu’au jour où je l’ai vue nue.
La peau de Salomé a un contact à nul autre pareil. On dit parfois d’une peau
qu’elle est douce comme de la soie. La soie est moins douce que la peau de
Salomé, la soie est grossière à côté de la peau de Salomé. Il n’y a pas de mot pour
décrire la douceur de sa peau, si ce n’est de dire que c’est la peau de Salomé.
Jamais mes mains n’ont senti une peau comme celle-là, jamais elles n’ont eu
autant de plaisir à parcourir un corps. Jamais mes yeux n’ont vu un corps aussi
beau. Le corps de Salomé est ferme et doux à la fois. Il est un monde plein de
merveilles, tout droit sorti d’un rêve. Ses montagnes, ses vallées, ses cols et ses
secrets hypnotisent le regard, attirent la caresse, provoquent le désir, conduisent à
l’extase.
Quand je me prosterne entre les jambes de Salomé, quand ma langue lèche le
délicieux diamant rose de Salomé, quand je butine cette fleur sacrée, tout ce qui
n’est pas elle disparaît. Il ne reste qu’elle, le nectar qu’elle me laisse boire et le
plaisir que je lui donne. Quand je relève la tête, je vois les globes de ses seins de
part et d’autre de la pyramide de son menton dressé vers le ciel. Cette vue
m’hypnotise et le goût de Salomé sur ma langue me soûle. Ses soupirs de plaisir
excitent ma langue, excitent mes doigts, excitent mon sexe. Ses seins frémissent
quand je les prend dans mes mains, ses seins si doux. Son corps palpite quand je
pénètre en elle. Son bassin danse contre le mien quand elle se dresse au-dessus
de moi. Sa jouissance est le plus beau spectacle du monde, la plus belle chose qui
puisse arriver au monde, le plus bel événement qui soit arrivé au monde. Ma
jouissance est ce qu’elle me donne pour me remercier. Son offrande.
Les formes de Salomé sont celles d’une femme mais pourtant Salomé ne
ressemble à aucune autre femme. Salomé ne peut être comparée à personne,
Salomé est unique, magique et belle au-delà de ce qu’aucune femme ne peut
rêver de l’être. Les yeux qui ont vu le corps de Salomé ne comprennent plus ce
qu’ils voient quand ils voient le corps d’une autre femme.
Si Salomé est une femme, elle est la seule femme.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 113
Si les femmes sont des femmes, Salomé est une déesse.
Salomé est une déesse.
La femme primordiale, la mère de l’humanité, l’amante universelle.
Le visage de Salomé est celui dont tous les autres dérivent, celui que tous les
humains essaient de retrouver derrière les traits des humains qu’ils rencontrent.
Les idoles anciennes, les divinités oubliées, la première Eve, toutes ont le visage
de Salomé. Moi, j’ai vu le visage de Salomé me sourire, me parler, me toucher. Les
humains qui n’ont jamais vu Salomé la recherchent toute leur vie, sans savoir ce
qu’ils cherchent parce qu’ils ne peuvent pas imaginer que quelqu’un comme
Salomé existe vraiment. Ils ne peuvent pas imaginer Salomé. Moi, je l’ai trouvée.
Les humains qui n’ont jamais vu Salomé cherchent un sens à leur vie, croient en
un dieu qu’ils rêvent à leur image, désespèrent quand ils pensent que ce dieu qui
n’existe pas les abandonne. Moi, Salomé a donné un sens à toute ma vie, elle est
la déesse que je veux adorer, elle n’est à l’image de personne d’autre. Elle est le
début et la fin. L’origine et la direction. La source et l’aboutissement.
Je me sens humble et heureux qu’elle m’ait choisi pour me laisser l’approcher et
l’adorer, moi, humain parmi les humains, grain de sable dans le désert, improbable
élu égaré dans la grisaille, incroyant converti au culte de Salomé.
Et pourtant Salomé est humaine, Salomé est une femme, Salomé est fragile. Je lui
donne ma douceur, je lui offre ma tendresse, je lui consacre mon amour. Moi qui
suis emprisonné dans mon propre destin, j’envie ceux qui ont pu l’aimer librement
et je ne comprends pas les hommes qui lui ont fait du mal, je ne comprends pas
ceux qui l’ont eue dans leurs bras et l’ont laissée partir. Salomé ne devrait
connaître que le bonheur et l’amour parce que Salomé n’est que douceur et
amour. Le coeur de Salomé bat plus vite quand elle pense à moi, mon coeur
s’emballe aussi quand je pense à elle.
Je voudrais la protéger de la dureté du monde, la réchauffer quand elle a froid, la
faire rire quand elle a peur, la soulager quand elle a mal. La faire jouir toutes les
nuits. Aller au bout du plaisir avec elle toutes les nuits. Dormir à ses côtés toutes
les nuits. Je voudrais... Il faut que je scie mes barreaux, il faut que j’ouvre ma cage,
il faut que je m’envole avec elle. Il faut...
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 114
Salomé est divine. Salomé est féline. Salomé est câline. Salomé est mutine.
Salomé est toutes les femmes quand elle est avec moi. Salomé m’élève vers elle
quand elle se penche vers moi. Salomé m’ouvre le paradis quand elle me sourit.
Salomé est divine et je suis son ange. Salomé est féline et je suis son lion. Salomé
est câline et je suis son amant. Salomé est mutine et je suis son libérateur.
Elle est la lumière, la voie, la vie.
Salomé... Ma divine...
En lisant ces lignes, Salomé fut émue aux larmes, comme elle ne l’avait jamais été
auparavant. Elle répondit à Charlie que personne ne lui avait rien écrit de plus beau. Elle se
demanda si le rituel vaudou y était pour quelque chose, décida finalement que ça n’avait
aucune importance. Elle était la Divine aux yeux de Charlie, et rien d’autre ne comptait.
Le coeur léger, elle ne vit pas passer la journée. Aucun pressentiment de ce qui allait
arriver peu après ne vint troubler son euphorie.
De retour chez elle en fin de journée, elle mit le CD « Live – eviL » de Miles Davis.
Elle en adorait la pochette représentant une femme noire enceinte et nue sur un fond de
labyrinthe, observée par le regard d’un visage androgyne mystérieux. Accompagnée par le
son inimitable de la trompette de Miles soutenu par une impressionnante flopée de
musiciens tous devenus célèbres ensuite, elle alla développer dans son petit labo amateur
les négatifs des photos que Charlie avait prises la veille. Elle les suspendit à un fil avec des
épingles. Quand ils furent secs, elle les observa de près avec une grosse loupe pour vérifier
leur qualité.
L’un d’entre eux lui parut troublant. Elle avait pourtant l’habitude de voir son propre
visage avec toutes les couleurs inversées mais celui-ci la mit mal à l’aise, sans qu’elle
comprenne vraiment pourquoi. C’était la première photo, celle où le flash avait déclenché.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 115
Ses yeux étaient rouges comme elle l’avait craint, puisqu’ils s’affichaient en vert sur
le négatif. Ses cheveux teints en vert acide se retrouvaient rouge foncé. Sa peau noire
apparaissait en blanc. Sa bouche, ouverte en train de rire, semblait grimaçante, à cause des
dents blanches devenues noires. L’ensemble dégageait une impression menaçante.
Peau blanche, yeux verts, cheveux rouges frisés, expression démoniaque.
Son visage inversé semblait être celui d’une créature maléfique, sortie droit de l’enfer
pour hurler sa haine en ricanant.
Un visage que Charlie aurait reconnu sans hésiter.
Celui de Gabrielle.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 12-08-09 10:51 PM

Chapitre 9
Bardho Thodol
Vous qui entrez ici, perdez tout espoir.
Dante Alighieri
And if I don’t meet you no more in this world,
Then I’ll meet you in the next one.
Don’t be late.
Jimi Hendrix (Voodoo Child)
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 118
Malgré ce qu’il avait écrit à Nora, malgré son amour retrouvé avec Salomé, Charlie
ne parvenait pas à s’ôter de la tête sa nuit mouvementée avec Gabrielle, ni les informations
troublantes qu’il avait commencé à rassembler sur les sorcières et les crimes rituels des
notables de Cusset. Il se mit à relire ses notes, quelque chose le chiffonnait et il n’arrivait
pas à mettre le doigt dessus.
Quand il comprit enfin, il sentit les poils de ses bras se hérisser. Trois siècles plus tôt,
neuf notables du même village avaient été torturés et assassinés. Gabrielle, sa Gabrielle, lui
avait dit : la neuvième mort est celle qui m’a faite le plus jouir. Coïncidence ou lien
causal ? Oh, et merde, tout cela ne menait à rien. Il fallait qu’il trouve quelqu’un à qui
parler de tout ça. Quelqu’un qui aurait suffisamment de sérénité pour analyser ce qui lui
était arrivé. Cela éliminait Nora, qui avait trop envie d’une petite aventure – au minimum –
avec Charlie pour raisonner froidement, surtout sur une rivale potentielle. Phil non plus
n’était, pour une fois, pas la bonne personne, trop loin de ce genre de choses.
C’est alors qu’il vit, posé sur sa table de nuit comme un signe, son exemplaire en
langue anglaise du Bardho Thodol, le Livre des Morts tibétain. Charlie avait été bouddhiste
dans sa jeunesse. Il avait été, vers la fin des années 70, l’un des fondateurs du premier
Centre Bouddhiste Tibétain de Toulouse, installé initialement dans une villa de
Tournefeuille à quelques kilomètres de la ville rose. Ses amis et lui y avaient accueilli
pendant plusieurs années un grand lama nommé Karma Tsungpo Rinpotché, qui les avait
initiés à un grand nombre de rites, des plus simples jusqu’aux plus ésotériques. Tsungpo
Rinpotché s’était éteint quelques années plus tard. Bien que Charlie ait par la suite suivit sa
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© Anna Galore 2006 119
propre route, il n’avait jamais vraiment perdu de vue les lamas, qu’il gardait toujours au
plus haut de son estime, en raison de leur bonté et de leur ouverture d’esprit sans limites.
En arrivant à Londres, il avait appris qu’un tulkou, connu pour être la réincarnation
de son ancien maître Tsungpo Rinpotché, séjournait désormais à Amrita Dzong, le Centre
Tibétain situé sur Kingsland Road. Charlie trouva le numéro du téléphone du Centre et
appela pour demander une entrevue avec le tulkou, entrevue qui lui fut accordée sans
problème pour le lendemain.
Charlie se présenta à l’heure convenue au Centre, avec dans les mains une kata, la
traditionnelle écharpe blanche qu’il était usuel d’offrir à un lama. Il fut introduit dans une
pièce au mobilier discret et se retrouva seul face au tulkou, qui l’attendait assis en lotus sur
une petite estrade, vêtu avec simplicité de la traditionnelle robe safran. Celui-ci, un jeune
homme d’une douzaine d’années, avait été élevé la majeure partie de sa vie en Grande-
Bretagne et parlait donc parfaitement anglais, sans avoir besoin de recourir à un interprète.
Charlie s’inclina devant le tulkou en lui tendant la kata à deux mains. Le tulkou
souriant attrapa l’écharpe et la mit autour du cou de Charlie, puis, lui saisissant la tête à
deux mains, colla son front contre le sien en murmurant « om mani padme hum », le
mantra omniprésent dans la culture tibétaine qui signifie « gloire au joyau dans le lotus ».
Il lui dit ensuite, dans un anglais parfait :
« Namasté, Karma Droubgyé Dordjé. Où étais-tu passé pendant tout ce temps ? »
Charlie ne put s’empêcher de sourire. Le tulkou l’avait appelé par le nom initiatique
secret que Tsungpo Rinpotché lui avait donné vingt ans plus tôt, démontrant ainsi qu’il
était bien sa réincarnation et qu’il avait reconnu Charlie même après avoir changé de corps.
Charlie avait beau être cartésien, ces petits mystères ne le surprenaient plus depuis
longtemps, venant de grands maîtres tibétains, tellement il avait pu souvent en être témoin
au fil des ans. Il répondit au tulkou :
« Namasté, Karma Tsungpo Rinpotché. Je suis heureux que tu ne m’aies pas oublié
pendant ton voyage dans le samsara.
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© Anna Galore 2006 120
- Kyab sou tcho ! Nous avons connu tellement de moments agréables ensemble,
pourquoi t’oublierais-je? Mais dis-moi, que me vaut le plaisir de te revoir aujourd’hui ? »
Le bouddhisme tibétain est l’une des rares religions au monde pour laquelle le sexe
est vu comme quelque chose de non seulement positif mais de puissant pour atteindre
l’illumination, l’état de bouddha. Les rites tantriques sont entièrement fondés sur
l’utilisation à cette fin de l’énergie sexuelle. Charlie put donc, sans risque de choquer le
tulkou, lui donner tous les détails de sa nuit avec Gabrielle. Le nombre de fois. Les
positions. L’érection infatigable qu’il avait connue. L’abondance sans fin de son sperme.
Les bougies. Les herbes qui brûlaient en dégageant cette odeur si particulière. La façon
dont il avait été congédié. L’épisode de la fenêtre par laquelle il avait vu Gabrielle et sa
mère. Le regard haineux que sa mère avait porté sur lui et celui effrayé de Gabrielle. Ses
recherches sur la Filastre et la Pagnat. Les meurtres rituels des neuf notables de Cusset. La
violence de l’orage. Son malaise vagal.
Pendant tout son récit, le tulkou partait parfois d’un éclat de rire enfantin comme
seuls les lamas tibétains peuvent rire, le plus célèbre d’entre eux étant le Dalaï Lama, aux
rires coutumiers légendaires. D’autres fois, il écoutait avec la gravité d’un vieux sage.
Quand Charlie se tut, le tulkou resta un long moment silencieux. Puis il dit :
« Ton histoire est emplie de tourments et de souffrance, mon ami. Des humains sont
morts de façon haineuse parce que d’autres n’ont pas respecté leur vie. Le chemin qu’a pris
leur moi après leur mort physique a sûrement été douloureux et bon nombre d’entre eux se
sont réincarnés en des formes de vie inférieures en raison de leur karma négatif tout au
long de leur passage sur terre lorsqu’ils étaient humains. Tu as été autrefois initié au rite de
Chöd, je crois qu’il faudrait que tu ailles avec Lama Tsyangmé pour découvrir avec lui ce
que veulent ces morts. »
En dehors de la cérémonie de la Coiffe Noire pratiquée par le Karmapa - qui est
l’équivalent du Dalaï Lama pour la branche des Kagyu Pa à laquelle Charlie avait
appartenu - le rite de Chöd, mot qui se prononce Tcheu, était certainement l’un des plus
impressionnants auquel il ait jamais assisté. Traditionnellement, cette pratique avait lieu la
nuit près d’endroits liés à la mort, comme des sites de crémation ou de décès violents. Les
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© Anna Galore 2006 121
méditants devaient visualiser l’offrande de leur propre corps découpé en morceaux et
donné aux esprits mauvais hantant les lieus. Une fois ces esprits repus, ils montraient leur
satisfaction en ne troublant plus les vivants. Bien que le cérémonial soit très simple,
Charlie se souvenait encore, des années plus tard, de l’angoisse profonde qui l’avait
accompagné pendant toute la durée du rituel, la première et la seule fois où il avait pu y
assister.
Accompagné par un moine au sourire permanent, Charlie fut conduit jusqu’à une
petite pièce vide aux murs nus où l’attendait Lama Tsyangmé. Le moine s’éclipsa aussitôt,
en refermant doucement la porte. Charlie s’assit par terre les jambes croisées, face au lama
qui l’attendait en position du lotus avec, à ses côtés, deux objets très particuliers : un bout
de tibia humain, percé de trous, dont le lama allait se servir comme d’une flûte et un
damaru, sorte de tambourin formé de deux calottes crâniennes collées l’une contre l’autre
par leur sommet, le tout monté sur un petit manche en bois et assorti de deux ficelles
terminées par des perles en bois également. Les faces tronquées des calottes étaient
recouvertes d’une peau tendue. Pour jouer du damaru, il suffit de tourner le manche
rapidement dans un sens puis dans l’autre, ce qui projette les deux perles en bois sur les
peaux en produisant un claquement sec.
Le lama sourit à Charlie, les yeux mi-clos, puis sa voix incroyablement grave se mit à
vibrer dans la pièce en une lente mélopée glaçante. Il accompagnait certains passages par
des coups de damaru ou des notes étranges jouées sur le tibia. Bien que Charlie ne
comprenne pas un mot de tibétain à part les expressions les plus basiques, il se sentit,
comme la première fois, de plus en plus angoissé alors que rien de surnaturel ne paraissait
se produire. Un observateur extérieur aurait dit qu’il était assis dans une pièce vide, face à
un lama qui chantait un texte immémorial en jouant de temps en temps de la flûte ou des
percussions. Pourtant, Charlie eut la nette sensation que la température de la pièce chutait
de plusieurs degrés et que d’étranges courants d’air glacés venaient le frôler furtivement.
Soudain, le lama se tut et ferma les yeux. Il venait d’arriver à la phase de la méditation, au
cours de laquelle les morts qu’il avait appelés étaient présumés être là.
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Le silence était désormais total. Charlie avait également fermé les yeux. Il faisait de
son mieux pour appliquer les techniques de respiration qu’il avait apprises et pour laisser
son cerveau recevoir tout ce qu’il pouvait percevoir après cette mise en condition. Il laissa
flotter librement ses pensées, visualisant à nouveau sans tenter de les contrôler les
différentes bribes de ce qu’il avait vécu avec Gabrielle et découvert ensuite.
Comme dans un film tourné à l’envers, il vit alors tous les morceaux du puzzle
s’assembler parfaitement. Les viols de la Filastre perpétrés par les neuf notables de Cusset.
Sa dénonciation comme sorcière parce qu’elle avait tenté de leur échapper. Son agonie
horrible jusqu’à sa crémation. Sa fille de 4 ans, probablement née de l’un des viols,
entendant les coupables se vanter de leurs crimes. Sa soif inextinguible de vengeance. Les
tortures mortelles qu’elle leur avait infligés. L’utilisation que Gabrielle avait faite de lui,
celle d’un vulgaire inséminateur juste bon à prolonger sa lignée. Et à prendre un peu de
plaisir au passage, au vu de certaines des positions qu’elle lui avait proposées. Le regard de
haine de la mère de Gabrielle quand elle l’avait vu s’enfuir sain et sauf, alors que la
tradition chez elles semblait plutôt d’agir comme des veuves noires, ces araignées femelles
qui tuent le mâle une fois qu’il a joué son rôle reproducteur.
Cette analogie le fit soudainement réaliser qu’il avait peut-être fécondé Gabrielle
cette nuit-là. Qu’il était peut-être le père de sa future fille, la prochaine Gabrielle. Il avait,
en effet, la dangereuse habitude de ne pas mettre de préservatif quand il faisait l’amour,
même avec des inconnues. Jusque là, il n’avait jamais eu de problème. Mais si Gabrielle ne
l’avait attiré chez elle que dans ce but, cela voulait dire qu’elle se savait en milieu de cycle
et qu’elle n’avait certainement pas pris de contraceptif non plus. En d’autres circonstances,
il serait immédiatement revenu la voir pour en avoir le coeur net et faire, éventuellement,
face à ses responsabilités. Mais là, il y avait clairement eu manipulation et Charlie ne se
sentait, en l’occurrence, aucune envie de revoir Gabrielle, et encore moins sa mère.
Le lama reprit son chant funèbre, toujours entrecoupé de damaru et de flûte-tibia. Le
rituel arriva à son terme. Le lama ouvrit les yeux et sourit à Charlie, en hochant doucement
la tête. Encore retourné par toutes ses pensées, Charlie resta un moment immobile. Puis il
se leva, se prosterna devant le lama, les deux mains jointes, et sortit de la pièce.
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Il était tellement perturbé qu’il rentra chez lui sans passer revoir le tulkou pour le
remercier. Mais ce dernier savait sans doute déjà que Charlie avait obtenu la réponse à ses
questions. Et pour lui, le temps n’avait pas d’importance, ni même d’existence. Charlie
avait beau n’en avoir aucun souvenir, Tsungpo le connaissait et le côtoyait depuis déjà
quatre réincarnations. Alors, il aurait bien l’occasion d’en reparler avec lui, le jour où il
croiserait à nouveau sa route, que ce soit dans cette vie ou dans n’importe laquelle des
suivantes.
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Chapitre 10
Chassé-croisé
A force de ne jamais réfléchir, on a un bonheur stupide.
Jean Cocteau
On y voit bien plus clair une fois la nuit venue.
Marko Prince
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Quatre mails l’attendaient quand il rentra chez lui. Un de Tess. Un de Nora. Un de
Salomé. Un de Gabrielle. Carré de reines. Détail curieux, tous les quatre avaient le même
titre : « Pardon ».
Charlie lut d’abord celui de Tess, dont il était sans nouvelle depuis presque deux
semaines. Ce qu’il y apprit ne le surprit pas outre mesure.
De : Tess
A : Charlie
Objet : Sorry
Dearest one,
Sorry for not telling you earlier where I’ve been. I told you once that I was Miss
Chaos, now you know it’s true. As you’ve certainly guessed, I’m back with Dave, in
Oxford. Sorry for this, but I had to make a painful choice, and at the end of the
day, I feel the choice I’ve made is the best possible one. Thank you so much for
everything I’ve lived with you. You taught me a lot. Please forgive me for the pain.
I feel terribly sorry that things could not evolve in a better way for us. You’re a
beautiful man and a heartful one, I’m sure you’ll meet The One that you deserve.
Sorry.
Tess
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Voilà qui était clair. Honnêtement, Charlie ne se sentit pas aussi triste qu’il aurait pu
le craindre. Son amour pour Tess avait purement et simplement disparu, atomisé par les
évènements et les rencontres de ces derniers jours, qui l’avaient largement entraîné ailleurs.
Bon. Et les trois autres, de quoi voulaient-elles lui parler ? Surtout Salomé, ça
l’intriguait.
De : Salomé
A : Charlie
Objet : Pardon
Mon ange,
Désolée d’être restée silencieuse aussi longtemps. Je ne veux pas te mettre en
colère ou te faire de la peine, mais mes doutes m’ont assaillie à nouveau. Je
connais malheureusement bien cette sensation. A chaque fois que j’ai eu
l’occasion de vivre quelque chose de beau avec un homme, je me suis ensuite
repliée. Il ne faut pas que tu t’en sentes fautif, c’est moi qui suis la seule
responsable de mes errances et de mes revirements.
Tu es quelqu’un d’unique, mon ange, j’ai beaucoup de chance de t’avoir rencontré
et encore plus de t’avoir fait ressentir autant d’amour pour moi. Malheureusement
pour moi, j’ai depuis toujours une sorte d’incapacité à être heureuse, de peur
qu’ensuite tout s’arrête et que je souffre encore plus que si je vivais librement,
c’est à dire seule.
Peut-être est-ce un héritage de mon passé. Je t’avais parlé de mon aïeule
lointaine, l’une des premières femmes du pays de mes racines à avoir été vendue
comme esclave. Elle s’appelait Batuuli et une fois arrivée en Louisiane, le
propriétaire des champs de coton où elle s’était retrouvée la violait régulièrement.
Dans ma famille, on appelle ce monstre le matwinbô. Je n’ai jamais su ce que ça
voulait dire mais c’est un nom que nous avons toujours identifié, à travers les
générations, à une sorte de démon.
Et moi, je suis la descendante lointaine de ce démon. Peut-être que c’est ce qui
m’empêche d’être à la hauteur de mes rêves et qui fait que je laisse échapper,
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
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pire, que je détruis toute chance de connaître un vrai bonheur quand l’occasion
s’en présente.
Alors, s’il te plait, pardonne-moi mais je crois que je me sentirais mieux si nous
restions simplement deux amis. Il me semble que nous aurions ainsi plus de
chance de rester proches pour toujours que si nous étions deux amants.
Pardon si je te déçois. J’espère que tu me comprendras et, à la manière qui me
convient, tu auras toujours dans mon coeur une place qu’aucun autre homme ne
pourra jamais avoir.
Ta divine
Décidément, c’était la série. Qu’est-ce qu’elles avaient, toutes ? Merci Tess, merci
Salomé de m’expliquer que si vous me plaquez c’est pour mon bien, se dit Charlie devant
son écran. Et encore, Tess, c’était pour un autre homme, ça il comprenait. Mais Salomé,
elle, le plaquait parce qu’elle l’aimait mais qu’elle ne voulait pas risquer qu’un jour elle en
souffre si tout venait à s’écrouler. Bon, d’accord, Charlie n’était pas un saint, loin de là,
mais si elle abandonnait avant même que quoi ce soit de sérieux ne s’installe, comment
pouvaient-ils bien avoir la moindre chance ? Ca, bien sûr, si elle arrêtait tout après la
première nuit, elle ne risquait pas d’être déçue par les suivantes. Vraiment, chapeau,
comme raisonnement. C’était quoi, déjà, cette phrase de Coelho sur les gens qui ne vont
pas au bout de leur rêve parce qu’ils ont peur d’échouer ? A moins que tout ça ne veuille
dire qu’une chose : que sa prétendue passion brûlante n’était en fait qu’un feu de paille.
Elle n’avait joué tout ce jeu que pour s’envoyer en l’air une fois et ensuite, bye bye baby
bye bye, merci pour tout. Comment avait-il pu s’y laisser prendre...
Et Gabrielle, elle lui écrivait peut-être aussi pour lui dire qu’elle le plaquait ? Ah,
mais non, elle, ce n’était pas possible, ha-ha, c’était déjà fait depuis longtemps. Alors,
quoi ? Que pouvait-elle bien pouvoir lui dire de plus, après l’avoir viré de chez elle aussi
brutalement ?
De : Gabrielle
A : Charlie
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© Anna Galore 2006 129
Objet : Pardon
Salut Charlie,
Je voudrais te demander pardon pour la façon dont les choses se sont passées
l’autre nuit. J’ai complètement perdu les pédales quand j’ai entendu ma mère
rentrer alors que nous finissions de faire l’amour. Elle avait prévu de ne revenir
que le lendemain soir. Et quand elle a compris que j’étais avec un homme, elle est
devenue furieuse et j’ai passé un sale moment. Elle m’a fait promettre de ne plus
jamais te recontacter et pendant plusieurs jours, elle m’a surveillée de près.
Tu sais, des fois elle est la plus géniale des mères et d’autres fois elle est
absolument effrayante, même pour moi qui la connais bien. Enfin, je suppose que
toutes les mamans sont comme ça, quand elles ont peur pour leur enfant. Là, elle
vient enfin de sortir pour une heure, alors j’en profite pour t’envoyer ce petit mot
vite fait.
Charlie, j’ai trouvé notre nuit absolument merveilleuse et je veux que tu le saches
parce que je n’ai eu aucune chance de pouvoir te le dire depuis. Tu n’étais pas
mon premier amant mais tu as, de très loin, surpassé tous ceux que j’ai connus
avant.
Depuis que tu es reparti, je rêve de toi tout le temps. J’ai envie plus que tout de te
revoir, de te serrer dans mes bras, de passer toutes mes nuits avec toi et toutes
mes journées aussi. Et je rêve que tu viennes me chercher et qu’on parte tous les
deux, loin de cette masure horrible où je suis obligée de vivre avec ma mère, et
que tu me fasses découvrir les plus beaux endroits de la Terre.
Charlie, tu me manques, s’il te plait ne m’en veux pas, je voudrais tant être avec
toi en ce moment et pour toujours. Je voudrais tant être là où tu es.
Ecris-moi quand tu veux, ma mère ne connaît pas le mot de passe de ma
messagerie.
Gabrielle
Alors, là, il était scié. Et lui qui commençait à croire à ces histoires de créatures
démoniaques, prêtes à le trucider une fois qu’il aurait transmis sa précieuse semence.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 130
Gabrielle, tout à coup, n’avait plus rien à ses yeux d’une prétendue sorcière. Même si elle
n’osait pas utiliser une seule fois le mot « amour » dans son mail, elle n’était rien d’autre
qu’une post-adolescente amoureuse. Amoureuse et effrayée par sa mère qui lui mettait des
bâtons dans les roues, comme n’importe quelle mère inquiète, avec n’importe quelle
adolescente transie d’amour.
La phrase faisant allusion aux autres amants de Gabrielle le laissa rêveur. Combien
d’autres en avait-elle connus, alors qu’elle venait à peine d’avoir 17 ans ? Par contre, quel
tempérament ! Et quelle imagination érotique ! Charlie avait eu la sensation de faire
l’amour avec neuf femmes différentes à chaque fois qu’ils avaient recommencé. Il avait
pourtant eu souvent des partenaires plus qu’expérimentées, mais aucune ne lui arrivait à la
cheville de ce point de vue-là. Et de bien d’autres points de vue non plus, d’ailleurs.
Waow. Quelle nuit ils avaient passée. Ab-so-lu-ment ex-cep-tion-nel-le. Elle avait trouvé
Charlie merveilleux et unique, mais il pouvait en dire bien autant d’elle.
Il laissa courir ses pensées pendant plusieurs minutes en se remémorant les passages
les plus chauds. Aucun doute, s’il avait la moindre possibilité de coucher à nouveau avec
Gabrielle, il le ferait sans hésiter. Par contre, il n’imaginait pas d’aller plus loin avec elle
qu’une simple relation basée sur le sexe. Il avait une quarantaine d’années et elle était
encore lycéenne. Se lancer dans une vraie vie de couple, comme elle en rêvait, aurait été
aussi ridicule qu’insensé. Et puis, belle-maman n’avait vraiment pas l’air d’être très
disposée à les recevoir le week-end à la maison. Il en frissonna. Quelle mégère horrible
elle devait être.
Il poussa un long soupir. Les lamas avaient bien raison de répéter souvent que tout
n’était qu’illusion. L’amour fou de Tess qui l’avait décidée à tout plaquer pour lui ?
Illusion. La passion soudaine mais éphémère de Salomé ? Illusion. Gabrielle sorcière avec
une mère serial killer ? Illusion.
Il ne restait plus que Nora. De quoi diable pouvait-elle vouloir se faire pardonner,
elle ?
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 131
De : Nora
A : Charlie
Objet : Pardon
Bonjour Charlie,
Salut, c’est Nora. Ah oui, tu sais que c’est moi, bien sûr, c’est écrit sur l’en-tête du
mail, je me mettais à te parler comme si j’allais te laisser un message sur ton
téléphone. Mais ça, ça ne risque pas d’arriver parce que rien ne me déprimerait
plus que d’essayer de te joindre par téléphone et de n’avoir que ton répondeur. Je
ne saurais pas si ça veut dire que tu es vraiment absent ou que tu me filtres. Très
très très désagréable.
Bon, je ne sais pas trop comment te dire ça mais je vais te le dire quand même,
parce que j’ai eu l’impression, au cours des quelques heures pendant lesquelles
nous avons pu bavarder tous les deux que nous pouvions tout nous dire. Et
justement, pendant ces heures-là, j’ai nettement ressenti qu’il se passait quelque
chose de fort entre nous et j’aurais à la limite accepté que je me faisais des idées
si tu ne m’avais pas embrassé sur la bouche au moment de ton départ, mais voilà,
il y a eu ce baiser, justement.
Dis-moi, je n’ai pas rêvé ? Tu m’as bien embrassée sur la bouche ? C’était bien un
baiser volontaire, vu qu’il a duré pas loin d’une minute ? C’était bien un baiser très
tendre ou tu voulais juste vérifier le goût de ma langue ? Est-ce que tu embrasses
comme ça toutes les nanas à qui tu loues une voiture ou il s’est vraiment passé
quelque chose de particulier avec moi ?
Allô ? Tu m’écoutes toujours ? Alors, explique-moi un truc, parce que là, moi, je
suis un peu paumée, j’avoue. Mais bon, je ne suis pas forcément une lumière,
hein, après tout je ne suis qu’employée chez Avis alors que toi tu es un grand
informaticien débauché par IBM pour sauver le monde. Donc essaye d’employer
des mots simples, OK ? Moi pas bien comprendre tout mais vas-y, explique-moi
pourquoi, depuis que tu es rentré à Londres, le seul mot que tu m’aies envoyé en
deux semaines, sans doute parce que tu es débordé de boulot bien sûr, c’est cette
espèce de merdouille foireuse dans le genre hé merci pour le café et le papotage
et à un de ces jours peut-être qui sait ?
TU TE FOUS DE MA GUEULE ?????
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 132
Si par hasard tu as un doute, parce que bon avec les mails on n’est jamais très
sûr du ton qui est utilisé pour dire un truc, alors je vais être extrêmement claire :
OUI, je suis FURIEUSE !!!!
Alors bon, tu me connais, je suis une gentille fille, un peu bavarde peut-être, un
peu conne sûrement aussi, je veux bien reconnaître, mais gentille ça oui, et je
vais, malgré tout ce que je viens de te dire, faire semblant de croire que peut-être
tu ne m’as plus adressé la parole parce que quelque chose de gravissime t’est
arrivé, tiens, je sais, je parie que des hordes de sorcières prépubères avec des
flammes qui leur sortent de la chatte (ben oui, de la chatte, elle t’a bien plu la
petite pétasse à Domérat, non ?) te harcèlent jour et nuit pour récupérer un peu de
ta semence divine et que toi, bien sûr, tu résistes de toutes tes forces ô mon héros
parce que depuis ce doux baiser devant le comptoir d’enregistrement de ton vol à
Clermont-Ferrand, tu t’es juré de m’être fidèle et de m’aimer pour toujours mais tu
es tellement timide que tu n’oses pas me le dire, c’est ça, hein ? Rassure-moi, je
me sens comme qui dirait légèrement énervée en ce moment. Dans ce cas, bien
sûr, je me prosternerai à tes pieds pour te demander pardon d’avoir douté de toi,
mon preux chevalier. Pardon de t’avoir engueulé comme je viens de le faire mais
c’est parce que JE T’AIME, moi, si par hasard tu saisis bien le sens de cette
expression.
Surtout, ne me dis pas que je m’enflamme trop vite comme une gamine pour juste
un unique baiser échangé comme ça, une fois, en passant, entre deux vols. Oui,
je m’enflamme trop vite et alors ? Je suis sûre que c’est ça que tu as adoré chez
moi dès la première minute, ma spontanéité. Tous les mecs me disent ça quand
ils essaient de me sauter, que hé vous, ah ben alors qu’est-ce que vous êtes
spontanée, ça vous dirait qu’on baise ? Enfin, c’est les plus spontanés d’entre eux
qui vont aussi vite au but mais, tu vois, je sais pas trop si c’est ce genre de
spontanéité qui me plait le plus alors en général je leur réponds d’aller se faire voir
pour qu’ils comprennent bien qu’il y a spontanéité et spontanéité.
Merde, je ne pense qu’à toi jour et nuit, tu appelles ça comment, toi ? Moi j’appelle
ça de l’amour.
Et c’est justement parce que je suis sûre de ce qui fait battre mon coeur depuis
que je t’ai rencontré qu’en fait, je ne peux que me dire que tu as une vraie bonne
raison que je ne connais pas de ne plus m’avoir parlé, alors, bon, ne fais pas trop
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 133
attention à mon explosion depuis le début de ce mail, mais c’est parce qu’il faut
que ça sorte, ça m’a vraiment foutue en l’air ton silence, parce que ce baiser, ce
fameux baiser était bien trop parfait pour ne pas vouloir dire quelque chose de
profond.
Et puisque tu as une vraie bonne raison, tu as sûrement petit-a très envie de me la
dire et petit-b très envie de me revoir même si tu n’oses pas me le dire, grand
angoissé, va. Oui, c’est forcément ça.
Alors, bonne nouvelle, mon amour, tiens-toi bien, je serai à Londres ce week-end.
Oui, là, demain, je débarque chez toi et je te promets une nuit d’amour que tu
n’oublieras jamais. Et des milliers d’autres après, si affinités. Ensuite, c’est toi qui
me diras pardon, oui pardon, d’avoir tant attendu avant de me revoir.
A demain.
Nora
Oh la. Oh la la.
Mais qu’est-ce qui lui prenait, à elle ? Elle était complètement bourrée ou elle avait
fumé une herbe exotique, juste au moment d’écrire son mail ? Bon, oui, d’accord, Charlie
avait eu une attirance certaine pour elle, après sa crise de panique – crise qui lui semblait
désormais totalement ridicule, d’ailleurs, maintenant qu’il avait lu le dernier mail de
Gabrielle. Et, d’accord, ils s’étaient embrassés sur la bouche, OK, so what ? Il ne lui avait
pas fait de déclaration d’amour enflammée et pleine de promesses, quand même, alors il ne
fallait peut-être pas exagérer.
Il avait presque envie de lui répondre quelque chose de gentil mais ferme sur sa
réaction complètement disproportionnée et lui conseiller de plutôt passer son week-end
dans une baignoire remplie d’eau froide pour la calmer là où elle avait chaud, au lieu de
venir débarquer chez lui comme ça, quand tout à coup il réalisa qu’un léger détail lui avait
échappé.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 134
Le mail de Nora datait de la veille au soir. Elle allait donc arriver aujourd’hui, là,
n’importe quand.
Le ding-dong de la sonnette retentit.
Et merde.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 135
Chapitre 11
Héritage
C’est une fille de l’ombre
C’est une fille de l’ombre
Ca se sent, ça se sent
Dashiell Hedayat
Everything under the sun is in tune
But the sun is eclipsed by the moon.
There is no dark side of the moon really.
Matter of fact, it's all dark.
Roger Waters
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 136
Il ouvrit la porte à Nora, fermement décidé à avoir avec elle une bonne explication,
amicale mais franche, autour d’un apéro par exemple, et ensuite à la congédier
définitivement. Sauf que rien ne se passa comme il l’aurait voulu.
Elle entra dans l’appart sans dire un mot et posa son gros sac de voyages au milieu du
séjour, qu’elle inspecta d’un long regard circulaire jusqu’à revenir sur Charlie, toujours
devant la porte.
« Ben alors, on s’embrasse ou pas ? Tu fais une drôle de tête. Tu n’es pas ******* de
me voir ?
- Ecoute Nora, je viens à peine de découvrir ton mail il y a trois minutes alors, tu
comprends, je suis un peu surpris que tu débarques chez m…
- Génial, ça fait chaud au coeur d’être accueillie avec autant de joie.
- Oh mais enfin, ne le prends pas comme ça. Bien sûr que je suis ******* de te voir.
Je ne m’y attendais pas, c’est tout.
- Alors, on s’embrasse maintenant ?
- Euh, oui, on s’embrasse. »
Elle courut lui sauter au cou mais lorsqu’elle voulut coller ses lèvres contre les siennes,
il tourna légèrement la tête et lui fit un baiser bien sonore sur la joue. Genre enjoué. Copain
copine, quoi. Pas on-s’envoie-en-l’air-là-tout-de-suite-et-on-parlera-ensuite. Elle le
regarda, interloquée et très nettement vexée. Il attaqua le premier.
« Nora, il faut que je te parle.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 137
- Ah ça y est, j’ai compris. Tu as du nouveau sur ton enquête ? C’est pour ça que tu
as un comportement aussi bizarre, hein, c’est ça ? »
Charlie se dit qu’après tout, c’était une diversion qui en valait une autre pour
commencer par autre chose que parler d’elle et lui. Et quand la pression serait un peu
retombée, il enchaînerait le plus gentiment possible vers leur relation, afin de remettre les
pendules à l’air, en essayant de faire le minimum de casse. Il ne voulait aucun mal à Nora
mais il allait bien falloir qu’elle comprenne qu’il n’était pas amoureux d’elle, point.
« Euh, oui, c’est ça, tu lis en moi comme dans un livre. Je vais tout te raconter. Mais
d’abord, enlève ton manteau et dis-moi ce que je peux te servir à boire.
- Qu’est-ce que tu as comme single malt ?
- Tu aimes le whisky, toi ?
- Je ne bois que ça. D’ailleurs, je viens d’en prendre deux verres au pub, en bas de
chez toi, je ne voulais pas débarquer trop tôt. Et un grand verre de rhum blanc aussi. Le
barman est jamaïcain et il m’a dit que je ne pouvais pas partir avant d’y avoir goûté.
- Ah bon ? Et tu n’es pas trop, euh…
- Non, pourquoi ? Juste bien détendue. Excellent le whisky, d’ailleurs, du
Lagavullin, tu connais ?
- Un de mes préférés. Mais je n’en ai pas en ce moment.
- Alors que me proposes-tu ?
- Un Islay 16 ans d’âge, ça te dirait ?
- Parfait, j’adore tous les Islay.
- Va pour deux verres de Bowmore, alors. Sans glace, je suppose ?
- Si, glace et coca. Mais non, je déconne ! Bien sûr sans glace. »
Charlie alla chercher le Bowmore, les verres et un sachet de cacahuètes. Ils
trinquèrent et burent une bonne gorgée chacun. L’onde de chaleur qui leur traversa le corps
les détendit sensiblement l’un et l’autre. Surtout Nora, pour qui ce n’était pas le premier de
la soirée. Elle s’affala nonchalamment bien au fond de son fauteuil.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 138
Charlie se mit alors à lui raconter sa visite au Centre Tibétain, sa rencontre avec le
jeune tulkou et surtout son voyage intérieur avec Lama Tsyangmé pendant le rite de Chöd.
Au début, Nora lui posa des dizaines de questions sur les Tibétains en général et le
bouddhisme en particulier. Par contre, elle l’écouta sans dire un mot quand Charlie se mit à
lui décrire sa reconstitution du drame vécu par La Filastre et de la vengeance perpétrée par
sa fille. Quand il se tut, elle resta également un long moment silencieuse. Elle attrapa son
verre, le finit d’un trait et le tendit à Charlie pour qu’il le lui remplisse à nouveau. Il en
profita pour se resservir également.
Elle finit par reprendre la parole.
« Dans les récits que tu avais trouvés sur Internet, est-ce que tu te rappelles qui est le
dernier notable que la fille de la Filastre aurait exécuté ? C’est certainement lui, le meneur
et sans doute aussi le dénonciateur de sa mère. Si j’avais été elle, je l’aurais gardé pour la
fin, histoire qu’il vive dans la frousse pendant des années et qu’il flippe un peu plus à
chaque fois qu’un autre membre de sa bande était liquidé.
- Attends, le meneur, euh, je ne suis plus très sûr. C’est le flic, je crois, non ? Ou
alors le notaire ? Oui, c’est ça, c’est le notaire.
- Tu te rends compte quelle jouissance ça a dû être pour elle, quand elle l’a torturé
à mort en sachant que c’était le dernier ?
- Qu… qu’est-ce que tu dis ?
- Je disais, tu te rends compte quelle jouiss…
- Nom de dieu ! Merde, merde, merde !
- Ben, qu’est-ce qui se passe ? Tu es livide. Et pourquoi tu me fais répéter si tu as
bien entendu ce que je viens de…
- Elle me l’a dit ! Elle me l’a dit !
- Quoi ? Qui, elle ? Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ?
- Gabrielle ! Gabrielle m’a dit : c’est la neuvième fois qui m’a faite le plus jouir !
La neuvième fois ! Elle parlait du neuvième meurtre, celui du dénonciateur de la Filastre,
du meneur de la bande de violeurs. Elle répétait les mots qu’a dû dire la fille de la Filastre
à sa propre fille qui elle-même l’a répété à sa fille et ainsi de suite jusqu’à la Gabrielle
d’aujourd’hui.
- Attends, attends, attends. Je n’ai plus les idées très claires, là, avec ton Macallan.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 139
- C’est du Bowmore.
- Oui, bon, ton Bowmore. Explique-moi un truc. Pourquoi Gabrielle t’a dit quelque
chose d’aussi farfelu que « c’est la neuvième fois qui m’a faite le plus jouir » ? Vous ne
vous êtes quand même pas envoyés en l’air neuf de suite, si ? Pourquoi tu fais cette tête ?
Putain, mais qu’est-ce que je suis tarte ! Bien sûr que vous l’avez fait neuf fois ! C’est
parce que tu es revenu la voir en douce pendant plusieurs jours sans me le dire, espèce
d’enfoiré ! Alors, c’était quoi, trois fois par nuit pendant trois nuits ? Une fois le matin, une
à midi et une le soir, comme un médicament ? Ou alors...
- Nora, ça suffit ! D’abord, au cas où ça t’aurait échappé, je ne vis pas avec toi
alors ce que je fais de mes nuits et de mes jours ne te regarde pas, OK ? Je t’aime bien,
mais faut pas pousser non plus.
- Tu m’aimes bien. Génial. J’en ai le coeur qui bat. Serre-moi fort, c’est trop bon.
- Stop ! Arrête avec ça ! Et puis, si ça t’intéresse tant que ça, les neuf fois, c’était
bien neuf de suite, la même nuit.
- Tu… tu as… vous… neuf fois de suite ? Sans rire ? Tu mets quoi dans ta
nourriture ? Il t’en reste ?
- Oui, ben, écoute, j’en ai été le premier surpris, figure-toi. Ca ne m’était jamais
arrivé avant, si tu veux savoir. Hé ! Arrête de me regarder avec ces yeux lubriques !
- Mmmhh... Et moi, tu crois que j’arriverais à t’exciter assez pour battre ton, euh,
record ?
- Oh mais tu te calmes, oui ? On ne va quand même pas faire l’amour tous les deux
juste pour battre un record !
- Ca veut dire que tu veux bien qu’on fasse l’amour à condition de ne pas tenter de
battre le record ?
- Ca veut dire que tu as assez bu ! Et que tu ferais mieux d’aller te coucher. D’aller
te coucher seule, je précise. Je te laisse ma chambre, je vais dormir sur le canapé du salon.
- Oh noooon, allez, regarde, tu ne me trouves pas excitante? »
Vraiment très gaie, Nora commença à déboutonner son chemisier. Charlie se dit qu’il
avait sans doute forcé un peu trop sur la dose quand il avait rempli les verres, aussi bien la
première fois que la deuxième. Sans compter tout ce qu’elle avait bu avant d’arriver. Il se
leva et, alors que Nora finissait d’ouvrir largement son chemisier en découvrant des seins
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 140
superbes dans un soutien-gorge particulièrement sexy en dentelle noire, il l’attrapa par un
bras et l’entraîna d’une démarche un peu titubante jusqu’à sa chambre. Arrivée près du lit,
Nora se tourna vers lui pour tenter de l’embrasser mais, vaincue par l’alcool, elle perdit
l’équilibre et s’affala sur le matelas. Charlie en profita pour sortir sans s’attarder et referma
la porte. Il attendit deux minutes sur le seuil sans bouger. Rien ne se passa. Soit elle avait
laissé tomber, soit elle s’était simplement endormie. Finalement, il avait bien fait d’avoir
versé des rations aussi généreuses de son délicieux Bowmore. En plus des deux Lagavullin
et du rhum, elle avait enfin eu sa dose.
Il se dirigea vers un placard, y prit le plaid que Tess lui avait offert à Noël, bien trop
petit pour s’en couvrir complètement, mais il n’avait aucune intention de revenir dans sa
chambre prendre une vraie couverture au risque de réveiller Nora. Il alla s’allonger sur le
canapé en s’entortillant comme il le pouvait et éteignit la lumière. Il se retourna plusieurs
fois sur sa couche de fortune pendant une bonne vingtaine de minutes puis finit par se
mettre en chien de fusil, le nez collé au dossier du canapé.
Il ne savait plus quoi penser du mail de Gabrielle – était-ce une manipulation de plus
ou était-elle sincère ? Est-ce que son « c’était la neuvième fois la mieux » n’était qu’une
coïncidence ou était-il vraiment passé à deux doigts de la mort ? Il était sur le point de
s’assoupir enfin quand il entendit des bruits furtifs. Il fit un nouveau demi-tour pour
regarder vers le salon. Face à lui, à dix centimètres de son visage, se trouvaient les genoux
de Nora. Il fit lentement remonter son regard le long de ses jambes. Elle était entièrement
nue, debout devant lui. Et malgré la pénombre, il ne faisait aucun doute qu’elle avait un
corps parfait.
« Nora, qu’est-ce que tu fais là ?
- J’arrive pas à dormir.
- Non, je veux dire, qu’est-ce que tu fais là, toute nue, devant moi ?
- Je dors toujours nue.
- Bon, super intéressant, alors maintenant que tu es nue, si tu allais dormir ?
- J’ai peur toute seule. C’est toutes ces histoires. Et puis cette nuit, c’est la nouvelle
lune. Ca me fait flipper depuis toujours, quand la lune est noire.
- Qu’est-ce que ça peut foutre que la lune soit n...
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 141
- Quand j’étais petite, je faisais pipi au lit quand la lune était noire.
- Pipi au... Hé, ça t’arrive encore ? Et si tu allais aux toilettes, à tout hasard, avant
d’aller te recouch...
- C’est parce que papa est parti une nuit comme ça.
- Ah... D’accord... Euh, dis, écoute, je suis désolé que ton papa se soit barré quand
tu étais petite mais...
- Il est parti pour une autre femme.
- Ben, c’est triste, d’accord, mais ce sont des choses qui arr...
- Et ensuite il est mort dans sa voiture, et c’était aussi une nuit comme ça.
- Oh... Pardon, je...
- Alors quand la lune est noire, j’ai peur.
- Nora, écoute, vraiment je suis sincèrement désolé que tu aies vécu tout ça mais je
ne crois pas que ce soit le moment idéal pour en discuter. On en reparlera demain,
d’accord ? Maintenant il faut aller te cou…
- D’accord, je vais me coucher.
- Ah, c’est bien.
- Avec toi. Comme ça, je n’aurai pas peur.
- Nora, non, je ne… »
Trop tard.
Repoussant le plaid par terre, elle s’allongea face à Charlie en se serrant tout contre
lui, une de ses cuisses passée entre ses jambes. L’effet fut immédiat. Nora ne put pas ne
pas s’en apercevoir.
« Mmmhh, c’est quoi ce que je sens ? chuchota t’elle ironiquement.
- Je ne sais pas de quoi tu veux parl… oh et puis merde, tu as gagné. Je vais te
montrer ce que tu sens.
- Oui, bonne idée, montre-moi, je te promets que je n’exigerai pas neuf fois. »
Ils s’arrêtèrent après seulement deux. Epuisés. Euphoriques. Enfin bien d’être l’un
avec l’autre. Ce n’est pas le nombre de fois qui compte.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 142
Ils dormirent jusqu’à midi le lendemain. Refirent une fois l’amour en s’éveillant,
sensuellement, lentement, langoureusement. Prirent une longue douche chaude ensemble.
Puis, Charlie prépara un solide petit déjeuner britannique, pendant que Nora alla s’asseoir
devant le PC pour feuilleter la cinquantaine de pages de notes qu’il avait imprimées une
fois revenu chez lui.
Il s’approcha d’elle, avec un plateau bien chargé - jus de fruits, toasts de pain noir,
bagels, deux tasses de thé et deux assiettes copieusement remplies d’oeufs brouillés et de
bacon grillé. Il posa le tout sur la table basse, devant le canapé.
« Mademoiselle est servie ! »
Elle ne répondit rien. Il se tourna vers elle. Elle tenait une page à la main, qu’elle
fixait d’un air livide.
« Nora ? Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Pourquoi tu fais cette tête ? Nora ? C’est quoi ce
que tu viens de lire ? »
Regardant toujours la feuille de papier, elle dit d’une voix sourde :
« Le neuvième. Tu ne m’avais jamais dit son nom.
- Qui, le notaire ?
- Oui.
- Qu’est-ce qu’il a, son nom ? Tu connais quelqu’un de sa famille ?
- Oui.
- Tu veux bien me dire qui ou je dois deviner ?
- Moi.
- Quoi ?
- Moi.
- Quoi, toi ?
- Moi. Je suis de sa famille.
- Comment ça ? Mais ton nom de famille, c’est Alhegra, non ?
- Oui. Depuis que ma grand-mère maternelle s’est mariée à un Sarde venu
travailler à Montluçon. Son nom de jeune fille, c’est Bedeau. Comme le notaire.
- Comme le… Attends, ne t’emballe pas, ça doit être courant comme nom, ça, dans
la région. C’est peut-être une coïnci…
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 143
- Tu m’énerves avec tes coïncidences. Moi, je trouve que ça en fait un peu trop, de
coïncidences. Même si c’est moins de trente millions. Tu en veux une autre ? Devine quel
était le prénom de ma grand-mère.
- Le prénom de ta... C’est quoi ce jeu ? Comment veux-tu que je le sache ?
- Mathurine.
- Hein ?
- Elle s’appelait Mathurine Bedeau. Et le notaire, il s’appelait…
- Mathurin. Mathurin Bedeau.
La peau de Charlie se hérissa d’une chair de poule soudaine. Il eut l’impression
d’entendre battre les veines qui passaient sur ses tempes. Il avait, devant lui, la descendante
de l’homme qui, trois siècles plus tôt, avait violé et fait brûler l’aïeule de Gabrielle.
Mathurin Bedeau. Le géniteur abominable de la fille de la Filastre, dont la semence
profanatrice avait donné naissance à la lignée des Gabrielle, sorcières de mère en fille. Le
notable abject, que sa fille illégitime avait torturé à mort, une fois qu’il était revenu de
Louisiane, après avoir… oh merde… la Louisiane, comme... Il se jeta fébrilement sur son
PC, afficha à nouveau le mail qu’il avait lu la veille de Salomé.
Une boule de peur primale lui comprima l’estomac. « Dans ma famille, on appelle ce
monstre le matwinbô ». Matwinbô. Mathurin Bedeau. Le propriétaire des champs de coton
qui avait violé Batuuli et l’avait mise enceinte. Matwinbô. Mathurin Bedeau.
En l’espace de deux semaines, Charlie avait fait l’amour avec les trois descendantes
de ce démon.
Gabrielle, issue du viol de la Filastre.
Salomé, de celui de Batuuli.
Nora, son héritière légitime.
Il n’ignorait plus que trois détails.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 144
Le premier, bien qu’horrible, n’avait plus grande importance trois siècles plus tard.
Charlie ne pouvait pas savoir que Mathurin Bedeau avait violé non seulement la Filastre
mais aussi sa propre fille, dans un dernier viol incestueux 18 ans plus tard. Gabrielle
Arfeuille était la descendante lointaine de ce double viol.
Le deuxième, c’est que Salomé, comme Nora et comme Gabrielle, était née à
Domérat, le petit village à l’ouest de Montluçon. Une coïncidence de plus dans une histoire
qui n’en manquait pas.
Le troisième n’était pas le moins troublant. Lorsque le père de Nora avait quitté le
foyer conjugal, alors qu’elle avait 6 ans, c’était pour retrouver une irrésistible jeune fille de
17 ans dont il était tombé amoureux. Une rousse, aux yeux verts, vivant dans une maison
au bout d’un chemin perdu, près de Domérat. Elle s’appelait aussi Gabrielle et pas encore
la Sentinelle. La future mère de Gabrielle Arfeuille.
Il lui avait fallu plusieurs semaines de tentatives infructueuses avant d’être fécondée,
la nuit où le père de Nora vit sa fille pour la dernière fois. Juste après l’orgasme, la
Sentinelle avait mis fin, sans hésiter, aux jours de son amant devenu inutile, en offrande à
Lilith. Le lendemain, il était abandonné, mort, au volant de sa voiture, apparemment d’une
crise cardiaque. Il avait connu le sort que la mère de Gabrielle voulait réserver aussi à
Charlie, après qu’il eut fait l’amour avec sa fille.
Gabrielle et Nora étaient demies-soeurs.
Aucune coïncidence, finalement, dans le fait qu’elles fussent toutes deux nées à
Domérat. Leurs mères habitaient à quelques centaines de mètres à peine l’une de l’autre et
leur père était le même homme.
S’il y avait une coïncidence, c’était plutôt que dix-sept ans et neuf mois plus tard,
elles venaient d’avoir le même amant. Et ce n’était pas la dernière.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 12-08-09 10:54 PM

Chapitre 12
Les trois perles de Domérat
N’attends de ton passé héritage ou leçon que si de lui
tu t’arraches sans plainte.
Gabor Garai
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 146
Quelques semaines plus tard, Charlie quittait définitivement l’Angleterre. Il venait
d’être recruté par Sarah Maussel, la deuxième destinatrice du mail « Sauvez Amy », juste
après Tess. Sarah avait créé, depuis peu, un bureau d’études près de Marseille, dans la zone
industrielle de Marignane. Elle avait été surprise, mais ravie, que Charlie accepte sa
proposition d’emploi, au salaire bien moins généreux que ce qu’IBM le payait jusque là.
Mais Charlie n’avait pas hésité. Il voulait couper tous les ponts avec la période agitée qu’il
venait de connaître.
Il ne donna plus aucun signe de vie à Gabrielle, Nora ou Salomé. Elles n’essayèrent
pas non plus de le retrouver. Il ne savait pas, au moment où il partait de Londres, que sa vie
allait être à nouveau durablement marquée par la plupart des autres destinataires du mail
qui les avait tous mystérieusement connectés.
Surtout par Mina et Kiss, les soeurs jumelles dont il ferait la connaissance quelques
mois après son arrivée à Marseille. Mais ceci est une autre histoire.
A un détail près, cependant.
Le jour où il eut son coup de foudre pour Mina en la rencontrant, pour la première
fois, dans la cafétéria du bureau d’études de Marignane, trois enfants naquirent à la petite
maternité de Domérat. Les mères, toutes les trois natives également de ce village, ne
s’étaient jamais rencontrées physiquement auparavant et donc, ne se reconnurent pas quand
elles se croisèrent dans les couloirs de la maternité, leur bébé dans les bras.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 147
Les trois nouveaux-nés avaient pour père Charlie. Celui-ci ne l’apprit jamais.
Nora accoucha d’une fille. Elle l’appela Anna.
Salomé mit au monde une fille également, qu’elle nomma Batuuli.
Gabrielle eut un petit garçon. Elle le trouva adorable avec ses cheveux noirs et ses
yeux marrons, comme son père. Elle le prénomma Charlie.
Les trois enfants eurent une vie heureuse et sans histoire. Aucun des trois ne croisa
plus jamais la route de l’un des deux autres. Aucun des trois ne s’intéressa jamais au
surnaturel. Jamais personne, pas même leurs mères, ne leur raconta que trois siècles
auparavant, un homme maléfique avait été leur ancêtre commun, faisant de leurs aïeules
lointaines trois demi-soeurs. Jamais ils ne surent qu’eux-mêmes avaient tous les trois le
même père et, pour deux d’entre eux, également le même grand-père. Les fils du destin,
entremêlés depuis près de quatre mille lunes, venaient de se dénouer pour l’éternité.
Anna, Batuuli, Charlie.
Les trois perles de Domérat.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 148
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 149
Epilogue
L’aube nouvelle
Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin
de la nuit.
Khalil Gibran
Que devient le rêveur quand le rêve est fini ?
Hubert-Félix Thiéfaine
Il y a toujours un rêve qui veille.
Louis Aragon
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 150
La nuit de la naissance des trois perles, une ultime coïncidence réunit les quatorze
connectés : ils firent tous le même rêve étrange. Au cours de ce rêve, un couple mystérieux
et superbe évoqua le sort de Gabrielle. Pour la plupart, les rêveurs ignoraient pourtant tout
de son existence. Quant au couple lui-même, seule Gabrielle le reconnut et comprit ce à
quoi elle assistait.
Au commencement, il y avait le ciel et la terre. Tout n’était que solitude et chaos. Les
ténèbres couvraient la surface de l’abîme. Aucun souffle ne planait à la surface des eaux.
Au bord d’un précipice éclairé par la lueur rougeoyante d’immenses coulées de lave, le
couple faisait l’amour. Elle était au-dessus de lui, lascive et sensuelle. Quand ce fut fini, ils
s’allongèrent côte à côte. Ils étaient tous deux d’une beauté surhumaine. Elle prit la parole
la première.
« Tu crois que c’est le début de la fin ?
- Quoi donc ?
- Encore une lignée de sorcières qui s’arrête.
- Celle de Gabrielle ?
- Oui. Elle a eu un fils et elle n’a pas voulu s’en débarrasser. Elle veut le garder et
l’aimer. Elle ne cherche plus à avoir une fille, et même si elle en avait une, elle ne lui
transmettrait pas son savoir de sorcière.
- Pour elle, tu as raison, c’est la fin. Mais après tout, n’est-ce pas normal ?
- Normal ? Pourquoi ?
- Elle est tombée amoureuse d’un homme qui l’a respectée, même si ensuite il l’a
oubliée. Elle n’a plus senti le besoin de rester une sorcière. Et lui, il n’a pas essayé de la
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 151
dominer ou de lui dire comment conduire sa vie. Il n’est plus l’héritier de la faute
originelle de Dieu. Chacun à leur façon, elle et lui ont échappé, comme bien d’autres, à la
malédiction que Dieu a jetée sur l’humanité après avoir fait d’Adam un homme infatué de
lui-même et d’Eve, une femme soumise.
- C’est bien ce que je veux dire : c’est le début de la fin. Il y a de plus en plus
d’humains comme eux. Ce ne sont pourtant ni des saints, ni des illuminés, ni même des
sages.
- Non, juste des humains qui vivent libres, sans tenter d’empiéter sur la liberté des
autres. Ce faisant, ils n’ont plus besoin de Dieu. Plus rien ne les retient sous sa domination.
- Qui peut encore croire que Dieu est tout-puissant ? Tout juste tient-il en son
pouvoir ceux qui ont une foi aveugle en lui. Face à ceux qui l’ignorent, il n’est rien, il
n’existe même pas.
- N’en est-il pas de même pour toutes les créatures de notre monde ? Que nous
soyons des démons, des anges, ou même Dieu ou Satan, nous aussi nous n’existons que
pour ceux qui croient que nous existons. Regarde cet homme qui a séduit Gabrielle. Si
nous n’avons aucune prise sur lui, c’est parce qu’il ne croit pas en notre existence, ni même
en l’existence de notre monde.
- Il ne croit qu’en lui-même et en les gens qu’il aime. Son bonheur ou son malheur
ne dépendent que de lui-même ou des gens qu’il aime. Il n’a besoin de personne d’autre.
- C’est ce qui le rend faible, mais également ce qui le rend fort.
- Le libre arbitre, voilà son arme la plus redoutable. Contre cela, nous sommes tous
impuissants.
- D’ailleurs, Dieu a t’il même du pouvoir sur ceux qui croient en lui ? Regarde ces
myriades d’humains depuis la nuit des temps. Croyants ou non, ils ont tous souffert, tué ou
été massacrés, sans répit, quels qu’en soient les causes ou les prétextes. Qu’a fait Dieu pour
préserver de ces malheurs sans fin ne serait-ce que ses plus purs fidèles, lui qui se dit toutpuissant
?
- Rien, à part leur faire miroiter un paradis dont il a fait un champ de ruines
quelques heures après l’avoir créé.
- Il a prétendu maudire la descendance d’Adam et Eve le jour où il les a chassés du
Jardin d’Eden. En vérité, il s’est caché derrière ce piètre subterfuge pour ne pas avouer
qu’il n’a jamais eu de contrôle sur rien depuis le début de la Création.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 152
- Et le Diable, alors ?
- Que veux-tu dire ?
- Le Diable ne vaut pas mieux. A t’il sauvé une seule fois une sorcière du bûcher ?
- Jamais. Il les a toutes laissées agoniser dans d’horribles souffrances.
- Exactement.
- Tout cela n’a aucun sens. Que sont Dieu et le Diable s’ils n’ont aucun pouvoir ?
- Que sont-ils s’ils ne servent à rien ? »
Ils méditèrent un moment en silence, comme bercés par le grondement sourd du
magma en fusion. Les descendant d’Eve et les adeptes de Lilith s’étaient combattus sans
pitié depuis la Genèse. Cette haine ancestrale n’était-elle basée que sur un mythe ?
Pourquoi ne pas penser que les êtres humains, quelles que soient leurs origines et leurs
croyances, ne devaient qu’à eux-mêmes leurs forces et leurs faiblesses ? Tout le reste
n’était au mieux que symboles, et au pire, une immense mystification.
Chacun pouvait lire sans effort dans les pensées de l’autre.
« Si tout cela n’est qu’illusion, il n’y a qu’une seule explication cohérente.
- Oui, une seule : Dieu et le Diable ont été créés par les humains.
- Alors, qui nous a créés, nous ? Sommes-nous réels ou n’existons-nous que dans
les rêves des humains ?
- Si c’est le cas, toi et moi allons disparaître au fur et à mesure qu’ils s’éveilleront.
- Espérons qu’ils dorment encore longtemps.
- A moins que ce soit eux qui fassent partie de nos rêves ?
- Dormons, alors. Peut-être que notre rêve continuera… »
Lilith se serra contre Samaël. Ils s’endormirent. Il y eut une nuit, il y eut un matin.
Les quatorze humains ouvrirent les yeux. Presque tous oublièrent aussitôt leur songe.
Presque tous. L’aube nouvelle se leva.
LES TROIS PERLES DE DOMERAT ANNA GALORE
© Anna Galore 2006 153
F I N

cocubasha 13-08-09 08:38 AM



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ruba 13-08-09 06:53 PM

tislame riham


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princesse.samara 10-03-10 05:45 PM

merci ma belle pour tous


ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 04:01 PM.

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