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princesse.samara 02-12-08 05:07 PM

Dans la chaleur de l'été de Penny JORDAN
 
[SIZE="4"]je veux publie cette romans s'il vous l'aimez

Dans la chaleur de l'été de Penny JORDAN



En allant s’installer pour les vacances dans la maison de campagne de sa cousine, Livvy
comptait bien se reposer et faire le point sur sa vie. Ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était qu’il lui faudrait partager les lieux avec un parfait inconnu, misogyne et arrogant de surcroît ! Elle avait pourtant beau s’efforcer d’ignorer Richard Field, il prenait une importance croissante dans ses pensées - jusqu’à devenir une véritable obsession…
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princesse.samara 02-12-08 05:28 PM

ÇáÓáÇã Úáíßã æÑÍãÉ Çááå æÈÑßÇÊå
même pas un seul repense?

nevertity 03-12-08 03:03 PM

d'aprés le résumé le roman paraît bon ne nous fais pas attendre longtemps

merci

princesse.samara 03-12-08 04:05 PM

Chapitres : 1


Livvy poussa un soupir d’aise en engageant sa voiture dans le parking de l’auberge et en se garant dans l’une des rares places encore libres. D’autres véhicules que le sien arboraient des plaques d’immatriculation du Royaume-Uni, mais cela n’avait rien de surprenant, car cette ville était une halte classique pour tous ceux qui, à son instar, faisaient route vers la Dordogne.
Quoi qu’il en fût, l’hôtel semblait bondé et elle avait bien fait de réserver sa chambre pour la nuit !
La jeune femme descendit de voiture et prit dans son coffre le sac qui contenait ses effets de nuit.
Certains auraient sûrement raillé son sens de l’organisation, y voyant l’un des ridicules typiques d’une enseignante, et lui prêtant une existence terne et ennuyeuse. Ceux qui pensaient en ces termes ne mesuraient pas, songeait-elle, ce qu’était réellement le métier de professeur. De nos jours, il s’apparentait parfois à une course d’obstacles susceptible de mettre à l’épreuve les caractères les mieux trempés…
Livvy était *******e d’avoir pu établir une relation équilibrée avec les élèves dont elle s’était occupée cette année. Si elle acceptait le poste de directrice-adjointe qu’on lui avait proposé, elle perdrait peut-être cet acquis, hélas…
A ce stade de ces pensées, la jeune femme se reprocha de ne songer qu’au travail. Après tout, elle était en vacances, non ? Cependant, si elle avait cédé aux instances de sa cousine Gail, acceptant de s’installer pour quelques semaines dans sa ferme isolée au cœur de la Dordogne, c’était entre autres pour mieux réfléchir à la suite qu’elle donnerait à sa carrière. Devenir directrice-adjointe et risquer de « perdre la main » sur le plan pédagogique, ou… ou bien quoi ? Continuerait-elle à enseigner le français, comme elle l’avait toujours fait ?
Elle s’immobilisa un instant, humant avec délices l’air vespéral ; il avait ce parfum particulier qu’elle aurait reconnu entre mille et qui, pour elle, était indissociablement lié à la France.
Le sourire de Livvy se mua en moue réprobatrice tandis qu’une grosse B.M.W. s’engageait dans le parking, la frôlant de près. La vitre du conducteur était baissée et elle put voir le profil dur de l’homme qui était au volant. Il avait des cheveux épais et noirs et, alors qu’il se tournait vers elle pour la dévisager avec arrogance, la jeune femme éprouva un curieux frisson, inhabituel et perturbant. Etait-ce parce qu’elle était fatiguée, ou parce qu’il y avait en lui quelque chose qui la déstabilisait ? Toujours est-il qu’elle réagit avec la plus grande vivacité lorsqu’il lui ordonna de s’écarter de son chemin.
Se rapprochant de la voiture au lieu de s’en éloigner, elle laissa tomber d’une voix coupante :
C’est un parking, pas le circuit du Mans, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué.
Vu de près, l’inconnu lui parut encore plus rude et viril : il avait un regard glacial, un air à demi menaçant, et sa bouche pleine, incurvée en un pli arrogant, dégageait une forte sensualité, presque choquante.
Il la toisa, la jaugeant du regard… la jaugeant et la rangeant dans la catégorie des êtres sans importance, sentit-elle.
Comme c’est aimable à vous de me le faire observer, lâcha-t-il d’une voix traînante.
Mais son inflexion nonchalante masquait mal sa rudesse sous-jacente et Livvy réprima un tressaillement lorsqu’il ajouta avec mépris :
Vous auriez sans doute mieux fait d’utiliser l’allée réservée au piétons, et non la route. Cela nous aurait évité une altercation inutile.
Déjà, il avait redémarré en abaissant sa vitre, sans plus accorder d’attention à la jeune femme. Celle-ci demeura figée sur place, puis finit par se retourner dans la direction qu’il lui avait indiquée. Une vive rougeur se répandit sur ses joues quand elle vit la pancarte signalant la voie d’accès piétonnière. Ainsi, c’était elle qui était en tort…
Tandis qu’elle se hâtait vers l’entrée de l’auberge, Livvy se demanda ce qui l’avait poussée à réagir avec autant d’irascibilité. Cela ne lui ressemblait guère. Elle n’aimait pas les querelles et n’en provoquait jamais. Cependant, l’attitude hautaine de l’inconnu avait suscité son animosité. Elle avait vu dans son dédain affiché un sentiment plus personnel que général, comme si c’était elle, et non le monde, qu’il méprisait particulièrement. « Tu es ridicule », pensa-t-elle en chassant ces idées absurdes.
Elle pénétra dans l’hôtel et se présenta à la réception, s’exprimant dans un français fluide et sans accent. En réalité, c’était sa seconde langue, qu’elle utilisait à l’égal de l’anglais depuis l’enfance. Elle avait eu une grand-mère française, et dans la famille, Gail, elle et tous leurs autres cousins germains étaient bilingues.
A l’instar de Livvy, Gail avait elle aussi utilisé sa connaissance du français pour gagner sa vie, non pas en tant que professeur, mais en tant qu’interprète à Bruxelles. Puis, après plusieurs années d’une brillante carrière, brusquement, à trente ans, elle avait décidé d’épouser George.
Dans la famille, tout le monde vouait à Gail une admiration mêlée de crainte. George et les deux garçons qu’ils avaient eus ensemble n’échappaient pas à cette règle. En fait, Livvy était la seule à résister à sa cousine et à ne pas se sentir inférieure à elle. Même si Gail avait une très forte personnalité…
En réalité, Livvy non plus n’avait rien d’ordinaire. Son rude métier lui avait forgé un tempérament encore plus fortement trempé que celui de sa cousine. En apparence, elle semblait céder parfois aux exigences de Gail. Cependant, sous des dehors placides, elle cachait une volonté peu commune et ne se laissait pas régenter. Car, il fallait l’admettre, Gail avait tendance à manipuler les autres, et c’était d’ailleurs ce qui s’était plus ou moins produit, en ce qui concernait les vacances un peu particulières que Livvy s’apprêtait à passer en Dordogne…
Livvy sourit à la réceptionniste, qui lui remettait la clé de sa chambre tout en lui indiquant que, vu l’heure déjà tardive, elle n’avait plus que quelques instants devant elle pour faire réserver son repas, si elle désirait dîner.
L’ayant remerciée, Livvy monta dans sa chambre et, tenant compte des indications de l’hôtesse, décida de descendre aussitôt au restaurant. Son repas de midi était loin et elle avait grand faim ; elle déferait son sac plus tard.
La jeune femme prit toutefois le temps de se donner un coup de brosse, tout en souriant à son propre reflet dans le miroir. Si ses élèves avaient pu la voir en cet instant, ils auraient été fort surpris. Consciente de paraître beaucoup plus jeune que ses vingt-cinq ans, Livvy avait toujours soin de s’habiller de façon très classique, très « dame », lorsqu’elle se rendait au lycée. Son long chandail aux coloris vifs et veloutés et son caleçon assorti, ses cheveux retombant librement sur ses épaules… Oui, c’était là une tenue inhabituelle, une image d’elle qui n’était pas du tout familière à ses élèves.
Pour sa part, elle se sentait très différente et beaucoup plus détendue, ainsi vêtue. Livvy aimait son métier, mais la tension qui allait de pair avec l’enseignement, la nécessité de faire régner la discipline et de commander le respect lui pesaient parfois. C’était une sorte de luxe, pour elle, que de pouvoir se dépouiller de son moi « autoritaire » pour être elle-même, tout simplement.
Même si ce changement avait des conséquences inattendues et légèrement déconcertantes, ainsi qu’elle le constata une dizaine de minutes plus tard en descendant au rez-de-chaussée de l’hôtel et en se voyant soumise aux regards appuyés et admiratifs de deux hommes d’âge mûr qui venaient de pénétrer dans la réception…
La salle de restaurant, où les premiers dîneurs achevaient leur repas, était envahie d’odeurs appétissantes. Livvy fut installée à une petite table confortable par l’un des serveurs. Il s’adressait à elle dans un anglais laborieux mais, touchée par son effort, elle n’eut pas le cœur de lui répondre dans son français impeccable. Patiemment, elle attendit qu’il ait fini de s’expliquer en résistant au désir de lui souffler les mots justes. Ici, elle n’était plus professeur, se rappela-t-elle en choisissant son menu.
Tandis qu’elle attendait d’être servie, il y eut du brouhaha à l’entrée de la salle. Quatre jeunes gens vociférant bousculèrent le serveur qui tentait de leur barrer le passage. A en juger par leur comportement, ils étaient passablement éméchés. Ils parlaient fort, employaient un langage vulgaire et tinrent sur les touristes anglais attablés dans la salle des propos insultants.
A en juger par la mine de ses compatriotes, s’ils étaient conscients de l’inconduite des jeunes gens, ils ne maîtrisaient pas suffisamment la langue française pour comprendre les propos des intrus, songea Livvy. Et c’était tant mieux, conclut-elle en se concentrant sur son repas et en ignorant délibérément les quatre trouble-fête.
Le serveur avait averti le patron de l’hôtel et celui-ci surgit pour fustiger sévèrement la conduite des jeunes gens. En l’entendant parler, la jeune femme comprit que l’un des trublions était son fils.
Elle lui donnait tout juste dix-huit ans ; ses acolytes, eux, paraissaient nettement plus âgés. C’étaient en réalité des hommes faits et, en en prenant conscience, Livvy les trouva soudain plus menaçants.
Le directeur de l’hôtel s’efforçait de les persuader de partir mais son fils insistait pour dîner, lui demandant si l’argent de ses amis ne valait pas celui des « sales Anglais » qu’il semblait leur préférer. Jetant des regards inquiets en direction des clients, espérant visiblement qu’ils ne comprenaient pas ce qui se disait, le directeur finit par capituler.
Alors que le groupe passait devant Livvy, le plus âgé et le plus bruyant de la bande trébucha contre sa table. Avec sang-froid, la jeune femme continua de manger. Son bon sens lui dictait d’ignorer cette présence.
Mais elle ne portait pas, ce jour-là, l’un et d’ailleurs, des tailleurs sévères qui en imposaient aux élèves de sa classe l’intrus était nettement plus âgé qu’eux. Quand il se redressa en marmonnant des excuses d’une voix avinée, il ajouta aussi un commentaire vulgaire et cru sur les seins de Livvy.
Grâce au sang-froid qu’elle avait acquis en trois ans d’enseignement, cette dernière parvint à se contenir au lieu de réagir avec colère ; elle réussit même le tour de force de ne pas rougir.
Comme toutes les femmes, elle avait déjà eu à subir des commentaires un peu lestes, de la part d’ouvriers de chantiers ou de chauffeurs de taxi, par exemple. Mais cette fois, c’était différent. Le jeune homme s’était montré indécent, vraiment grossier. Et puis…
Et puis elle était consciente de la jubilation mauvaise de son agresseur, qui prenait plaisir à insulter une femme sans défense ; et consciente, surtout, de la crainte du directeur, qui n’osait visiblement pas s’opposer à lui. Elle fut vivement tentée de lui demander d’alerter la gendarmerie ; mais elle n’avait aucune envie de gâcher le début de ses vacances en se lançant dans une telle démarche.
Si irritée qu’elle fût, elle résolut donc de ne pas réagir, de terminer son repas le plus vite possible et de quitter la salle.
Dix minutes plus tard, elle regretta de ne pas avoir exigé l’intervention des autorités au moment où le directeur était encore là.
Le serveur qui s’occupait d’elle était terrifié par le quatuor. Les autres dîneurs, eux, achevaient déjà leur repas et s’éclipsaient rapidement. A mesure que la salle se vidait, la jeune femme comprit qu’elle ne tarderait pas à être la seule cliente restante, en dehors des quatre voyous, bien entendu.
Le meneur du groupe n’avait cessé de faire des commentaires sur elle à ses trois amis. Livvy se réconfortait de son mieux en songeant qu’il se permettait des réflexions vulgaires parce qu’il ignorait qu’elle parlait le français.
En tant que professeur, elle était habituée à l’agressivité et avait toujours su s’imposer aux élèves qui lui tenaient tête. Mais ici, elle n’était investie d’aucune autorité. Elle avait affaire à un homme, et non à un adolescent. Et face à lui, elle n’était qu’une femme, tout aussi vulnérable que les autres.
Ecœurée par la situation, Livvy repoussa son assiette loin d’elle. Elle n’avait plus faim. Et, bien qu’il ne fût pas dans son tempérament de battre en retraite, son instinct lui soufflait de partir le plus vite possible. Calmement, en ignorant les commentaires que son tourmenteur lui lançait d’une voix pâteuse, elle quitta donc la salle.
La clé de sa chambre se trouvait dans son sac. Cependant, lorsqu’elle entendit la porte du restaurant se rouvrir derrière elle, elle gagna la réception et demanda :Y a-t-il des messages pour moi? Chambre 24.
Elle n’attendait aucun message, mais cette manœuvre lui permettrait ensuite de se retourner pour voir si elle était suivie ou non.
Non, il n’y en a pas, lui répondit la réceptionniste.
L’ayant remerciée, Livvy fit alors volte-face. Le meneur du groupe avait quitté le restaurant à sa suite et, à présent planté à quelques pas de distance, il la dévisageait en affichant un sourire insolent. Cependant, à son grand soulagement, il ne lui adressa pas la parole.
La jeune femme se hâta de grimper l’escalier, pressée de s’enfermer à double tour dans sa chambre.
Celle-ci se trouvait à l’extrémité du couloir, en face de l’issue de secours. Plus tard, elle pensa qu’elle aurait dû se rappeler ce fait et agir en conséquence. Cependant, sur le moment, étant parvenue sans encombre devant sa porte, elle tourna le dos à cette issue et fouilla dans son sac pour prendre sa clé, tout en jetant un coup d’œil dans le couloir afin de s’assurer qu’elle n’avait pas été suivie.
Elle fut donc tout à fait surprise lorsqu’elle sentit qu’on la happait par-derrière. Eclatant d’un rire triomphant, son agresseur la fit pivoter face à lui et, la coinçant dos au mur, s’abattit contre elle de tout son poids.
De près, il était vraiment répugnant, songea-t-elle en luttant contre un élan de panique. Il l’écrasait contre la paroi et elle avait mal. Elle sentit qu’il guettait l’instant où elle se rebellerait, pour avoir le plaisir de la terrasser. Refusant de commettre cette erreur, elle n’essaya pas de lutter. Alors, en ricanant, il lui révéla crûment ce qu’il comptait faire avec elle et cette fois, la jeune femme fut submergée par la peur. Une étrange paralysie, née de sa terreur, la clouait sur place. Et pourtant, en même temps, elle avait une sorte de distance avec ce qui était en train de lui arriver, un peu comme si son cerveau refusait d’appréhender dans toute son horreur la situation dramatique qu’il lui était donné de vivre.
Soudain, la chambre d’en face s’ouvrit et l’agresseur de Livvy se figea, sa main s’immobilisant sur la poitrine de sa victime.
Livvy voulut appeler à l’aide l’homme qui venait de surgir sur le seuil pour suspendre une pancarte à sa porte. Mais un sentiment confus la retint.
Elle venait d’identifier l’inconnu arrogant avec lequel elle avait eu une altercation sur le parking. La robe de chambre qu’il portait, entrouverte jusqu’à la taille, révélait son torse viril et hâlé. A cette vision, la jeune femme ne put s’empêcher de frémir…
Brusquement, son agresseur essaya de l’embrasser.
Allons, laisse-toi faire, chérie, lui dit-il. Tu en meurs d’envie. J’ai bien vu comment tu me regardais, tout à l’heure. Tu vas voir, je vais te montrer ce que c’est qu’un homme, un vrai…
Livvy put lire alors dans le regard de l’inconnu un dégoût et un mépris intenses. Le voyou parlait toujours, déversant un flot d’obscénités.
L’inconnu paraissait de plus en plus écœuré. Livvy remarqua qu’il avait un visage d’une rare puissance, dont les traits aigus et durs exprimaient une austérité glaciale. Il se détourna, rentrant dans sa chambre et refermant la porte derrière lui, et Livvy comprit qu’il la croyait consentante. Ainsi, il s’imaginait qu’elle acceptait volontiers les attouchements infects de cette brute ! Elle fut si furieuse de le voir réagir de cette façon qu’elle trouva la force nécessaire pour repousser violemment son agresseur.
Lequel, d’elle ou de lui, fut le plus surpris par cette démonstration de force inattendue, elle n’aurait su le dire. Le Français émit un juron puis revint vers elle.
Mais cette fois, la surprise ne jouait plus en sa faveur. Livvy brandit les poings dans sa direction avec autant d’agressivité qu’elle put et l’apostropha en français, le menaçant d’alerter la police.
Il fut visiblement démonté et stupéfait de l’entendre s’exprimer dans sa langue. Cependant, cela n’aurait sans doute pas suffi à le tenir en respect ; mais heureusement, le directeur de l’hôtel et l’un des serveurs surgirent alors par l’issue de secours, le maîtrisèrent et le contraignirent à quitter les lieux.
Le directeur revint quelques instants plus tard pour présenter ses excuses à Livvy. Il comprendrait, assura-t-il, qu’elle porte plainte auprès de la police. La jeune femme lui laissa le soin de se charger de cette démarche, en souhaitant que son agresseur soit puni comme il le méritait.
Ce n’est guère une bonne compagnie pour votre fils, souligna-t-elle.
Il s’ensuivit une brève discussion sur la difficulté d’élever les enfants, puis Livvy put enfin se retirer dans sa chambre. Quelques instants plus tard, tandis qu’elle s’apprêtait à se coucher, elle dut s’avouer que l’incident l’avait secouée plus qu’elle ne l’avait d’abord cru. Elle sursautait au moindre bruit et, par deux fois, alla s’assurer qu’elle avait bien verrouillé sa porte. Elle tint même à fermer sa fenêtre, bien qu’il fît chaud et qu’elle fût installée au premier étage. Après ce qui venait de se passer, elle ne voulait négliger aucune précaution. En cas de problème, elle ne pouvait guère espérer qu’on lui porterait secours, n’est-ce pas ?
Elle n’avait toujours pas admis la réaction de l’Anglais inconnu et lui gardait rancune de son comportement. Comment cet homme avait-il osé supposer qu’elle acceptait, et même encourageait l’agression odieuse dont elle était victime ? Il était clair, pourtant, qu’elle était loin de prendre plaisir à ce qui lui arrivait !
Mais quelles femmes fréquentait-il, pour avoir osé tirer une pareille conclusion de ce qu’il avait vu ? Plus elle songeait à son attitude, plus Livvy en concevait de la colère. Car elle avait bel et bien failli être violée sous les yeux de cet arrogant individu !
Oh, elle devinait par avance qu’il se moquait pas mal de ce qui aurait pu advenir d’elle. La conduite qu’il avait eue dans le parking était révélatrice à cet égard. Heureusement, elle n’était pas de ces femmes susceptibles d’être séduites par sa virilité ténébreuse, sa puissante sensualité. Pour elle, c’était la personnalité qui comptait ; pas l’apparence.

princesse.samara 03-12-08 04:27 PM

j'espère qu'elle vous plaiez

princesse.samara 05-12-08 06:01 PM

Tandis qu’elle songeait cela, elle se rappela brusquement, avec un sentiment de malaise, l’étrange trouble qui l’avait envahie lorsqu’il l’avait regardée.
Selon toute probabilité, il s’agissait d’un effet pervers de la peur et du choc… Les émotions fortes avaient d’étranges répercussions, parfois. Car, en aucun cas, ce qu’elle avait ressenti ne pouvait se rapporter à cet individu lui-même. Comment cela aurait-il été possible ? Il n’avait rien, vraiment rien de séduisant… Rien qui aurait pu expliquer l’élan de sensualité qui l’avait saisie.
Sans doute avait-elle imaginé tout cela… Se rassurant elle-même, elle conclut que la violence de l’agression était responsable de tout. Elle se glissa sous les draps, résolue à oublier cette journée manquée et à se reposer pour affronter le voyage du lendemain.
Cependant, une heure plus tard, elle était encore en train de s’admonester en silence, se rappelant qu’elle avait toujours été quelqu’un de posé, de raisonnable.
Alors, qu’est-ce qui n’allait pas ? Pourquoi le visage arrogant et méprisant de l’inconnu se présentait-il sans cesse à son esprit, s’interposant entre elle et une bonne nuit de sommeil ? Ce qui aurait dû l’empêcher de dormir, c’était le souvenir de l’agression qu’elle avait subie. Or, étrangement, elle n’aurait même pas pu décrire le jeune voyou. Tandis que les traits de l’autre… de l’Anglais inconnu s’étaient gravés dans sa mémoire, comme si elle l’avait fréquenté durant des années au lieu de l’entrevoir pendant quelques secondes.
Lui, en revanche, n’avait guère dû s’attarder en pensée sur « la femme d’en face », après avoir refermé sa porte…
De l’autre côté du couloir, celui qui occupait ainsi les pensées de Livvy essayait lui aussi de trouver le sommeil. Il s’agita dans son lit, tendu et irrité. S’il effectuait ce voyage en France, c’était pour se détendre un peu et non pour… Pour quoi, au juste ? Se remémorer des événements qu’il préférait oublier ?
Maudite femme. Une provocatrice, une fauteuse de trouble. Cela, il l’avait su dès l’instant où il l’avait vue dans le parking — la délicatesse et la sensualité féminines incarnées. Lorsqu’elle s’était éloignée, tous ses mouvements avaient confirmé cette première impression : elle avait semblé si libre et si vivante, si charnelle, avec ses cheveux lâchés au vent, sa démarche souple et provocante, son teint rayonnant, son corps souple…
Il se retourna dans son lit, lâchant un juron agacé. Mais enfin, que lui arrivait-il ? N’avait-il pas vu par lui-même quel genre de femme elle était ? Si sa bouche pleine exprimait de la vulnérabilité, ce n’était qu’une illusion, il avait pu le constater.
Bon sang, pourquoi n’avaient-ils pas attendu d’être dans leur chambre pour se livrer à ces attouchements intimes, l’individu qu’elle avait dragué dans l’hôtel et elle ? Comment diable cette femme pouvait-elle en venir à se dégrader ainsi ?
Car, à en juger par ce que lui disait son partenaire d’un soir, il n’y avait rien de tendre ou de sentimental dans leur relation… Sans doute n’avaient-ils même pas pris la peine d’échanger leurs noms de baptême !
Mais enfin, pourquoi s’agitait-il ainsi ? Pourquoi ne cessait-il de penser à cette femme à peine entrevue ?
Il connaissait déjà la réponse, bien sûr. Dans le parking, son corps et ses sens avaient parlé, répondant malgré lui à la sensualité exacerbée qu’elle dégageait.
Il y avait plus de dix ans que son mariage avait pris fin. Si l’on pouvait appeler mariage cette tragi-comédie noire et grotesque à la fois. Quel imbécile il avait été ! Car il s’était laissé piéger par le plus vieux tour du monde. Claire lui avait assuré qu’elle avait pris des précautions, mais malgré cela, sans savoir comment, elle s’était retrouvée enceinte de lui. Et il n’avait pas eu d’autre choix que de l’épouser.
Depuis, il avait suffisamment déchanté pour ne pas se laisser aussi aisément troubler par une femme. Surtout une créature comme celle de tout à l’heure.
Comment aurait-elle réagi, si c’était lui qui l’avait abordée ?
Il jura une fois de plus. Mais enfin, qu’allait-il imaginer ? Il ne voulait pas d’elle, voyons. Il ne pouvait tout de même pas éprouver du désir pour une telle femme ! N’est-ce pas ?
2 heures. Livvy soupira en entendant tinter les coups à l’église voisine de l’hôtel. Décidément, elle ne parviendrait pas à s’endormir… Alors, pourquoi s’évertuer à quêter le sommeil ? Pourquoi ne pas songer, plutôt, aux événements qui l’avaient conduite en France ? Tout était survenu si vite qu’elle avait à peine eu le temps de réfléchir…
Ses élèves et ses collègues auraient eu peine à croire qu’elle s’était laissé manœuvrer. Mais la perspective de plusieurs semaines de vacances en Dordogne, dans la ferme de Gail, lui avait semblé si enchanteresse qu’elle n’avait guère songé à résister. Même si les arguments de sa cousine ne l’avaient guère convaincue par ailleurs !
Tout avait commencé trois semaines plus tôt. Gail lui avait téléphoné, annonçant qu’elle venait la voir car elle avait à lui parler de toute urgence. Ce seul fait avait constitué une surprise, car Gail n’avait guère l’habitude de solliciter l’aide ou l’avis des autres.
Les autres membres de la famille se plaignaient souvent de son attitude dictatoriale. Mais Livvy aimait bien sa cousine aînée et en réalité, ses réactions l’amusaient souvent. Contrairement aux autres, elle ne permettait pas à Gail de la régenter, résistant avec calme et sang-froid aux penchants dominateurs de cette dernière.
Quand elle avait choisi l’enseignement, les conseillers d’orientation lui avaient indiqué qu’étant donné sa personnalité plutôt douce, un tel métier risquait de lui paraître éprouvant sur le plan nerveux et affectif. Elle avait répliqué que la douceur n’avait rien à voir avec la faiblesse. Et après avoir obtenu son diplôme, elle avait prouvé à maintes reprises qu’elle savait prendre l’ascendant sur ses élèves lorsque cela était nécessaire.
Contrairement à Gail, elle n’avait jamais resssenti le besoin de démontrer qu’elle avait du caractère. Il lui suffisait de savoir qu’elle était capable de s’imposer en cas de nécessité. Et cela lui donnait une sérénité que ses amis lui enviaient souvent.
Les deux jeunes femmes sirotaient tranquillement une tasse de bon café noir dans le joli salon de Livvy lorsque Gail avait annoncé :
Je suis inquiète au sujet de George.
George ! Qu’est-ce qu’il a ? Il est malade ? Il a des ennuis ?
Non, mais… il a terriblement changé, Livvy. Il ne ressemble plus du tout à l’homme que j’ai épousé. Depuis que son entreprise a été rachetée, l’année dernière, je ne le vois presque plus. Quand il rentre à la maison, il s’enferme dans son bureau en prétextant qu’il a du travail. Et maintenant, pour couronner le tout, il s’est mis en tête de vendre la ferme.
Mais… vous l’avez achetée il y a à peine un an !
Elle se souvenait de la fierté de sa cousine, lors de cette acquisition. Gail s’était même montrée un peu vaniteuse, à dire vrai… Cela entrait dans son caractère : elle attachait beaucoup d’importance aux choses matérielles.
Je sais bien ! Cependant, George soutient que le crédit coûte beaucoup trop cher et qu’avec l’entrée des garçons au collège, il va falloir nous restreindre pour payer leur scolarité. Pourtant, il vient d’avoir une grosse augmentation…
Tu connais George : il a toujours été prudent sur le plan financier. Et puis, tu m’as dit toi-même que la ferme avait besoin d’être rénovée de fond en comble, non ?
Oui, mais George connaît l’importance que j’attache à cette maison. Alors, me menacer de vendre quand il sait que je n’y tiens pas et que je n’ai pas les moyens de m’y opposer… Tu comprends, il a emprunté l’argent à sa compagnie, et pour des raisons administratives, le contrat est à son nom. Je l’ai averti que je ne le laisserais pas faire, Livvy… Ecoute, ce que je voudrais, c’est que tu ailles là-bas pendant quelques semaines, juste pour…
A quoi cela servirait-il ? l’avait coupée Livvy. Je ne peux tout de même pas m’opposer à George s’il est résolu à vendre.
Bien entendu. Cependant, si tu occupes les lieux, ça me donnera le temps de me retourner, de lui faire comprendre qu’il est déraisonnable. Tu sais bien qu’il a toujours eu un faible pour toi. Je lui dirai que tu as besoin d’être un peu au calme à cause du stress de ton travail et…
Ecoute, je suis parfaitement capable de faire face aux difficultés de mon travail, quelles qu’elles soient.
Sentant qu’elle s’aventurait sur un terrain glissant, Gail avait changé de tactique :
Livvy, je t’en prie ! Je ne te demanderais pas ça si ce n’était pas très important pour moi. Tu connais mes sentiments au sujet de la France et je sais que tu les partages. Après tout, c’est une partie de nous-mêmes… de nos racines. Je tiens à transmettre cet héritage à mes fils. Je veux qu’ils passent une partie de leur enfance dans la campagne française, comme nous…
In petto, Livvy avait admiré l’habileté de cet argument. Ses séjours en France comptaient parmi ses meilleurs souvenirs, et Gail le savait…
Et puis, il n’y a pas que des raisons sentimentales, avait ajouté sa cousine. Le français des garçons laisse un peu à désirer et de nos jours, il est très important de posséder une deuxième langue.
En effet, avait concédé Livvy.
Tout ce que je désire, c’est un peu de temps pour amener George à changer d’avis. Si au moins on pouvait avoir un peu d’intimité, tous les deux ! Mais en ce moment, il travaille pratiquement vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Depuis que Robert Forrest a racheté la compagnie…
Robert Forrest ? Avait lancé Livvy avait curiosité.
Tu sais bien, son nouveau patron. L’entrepreneur multimillionnaire. George trouve que c’est quelqu’un d’extraordinaire. Personnellement, je suis certaine que c’est ce type qui est responsable du changement de George. C’est lui qui l’assomme de travail. On voit bien qu’il est célibataire… Enfin, il a été marié, mais sa femme l’a quitté pour quelqu’un d’autre. Pas étonnant… D’après ce que je sais, elle avait obtenu une pension alimentaire mirobolante. Elle est décédée depuis… un accident de voiture avec son nouveau mari, je crois…
Pauvre homme, c’est affreux ce qui lui est arrivé ! Ça a dû le rendre passablement amer.
Robert Forrest ? Ce type est un misogyne, oui ! Un briseur de ménages, avait tempêté Gail. Je serais enchantée de lui dire deux mots sur ce que je pense de lui et de ce qu’il a fait de mon couple, crois-moi… Sans parler des enfants. Evidemment, lui, il n’en a pas, il ne sait pas ce que c’est… Quant à George, il défend son patron contre vents et marée. Il lui est plus attaché qu’un chien à son os !
En la regardant parler avec animation et colère, Livvy avait souri. En dépit de ses façons autoritaires, Livvy avait de l’affection pour elle. Gail l’avait hébergée lorsqu’elle avait débuté dans la carrière de professeur et l’avait soutenue de ses conseils. C’était une chose qu’elle n’oubliait pas.
Par ailleurs, elle aimait beaucoup George et ses deux neveux. Et puis, la perspective d’un séjour en Dordogne était alléchante… Après tout, rien ne la retenait en Angleterre. Oui, elle était tentée d’aller en France ; cependant, quelque chose la retenait.
Ecoute, Gail, avait-elle demandé, tu es bien sûre que tu n’es pas un peu injuste envers George ? Il y a tant de gens qui se retrouvent au chômage, de nos jours…
Comment ça, injuste ? s’était récriée sa cousine. Et lui, il est juste envers sa femme et ses enfants, dans cette affaire ? Je lui ai parlé, Livvy… Je lui ai dit qu’il devrait passer davantage de temps en famille… qu’il finirait par nous perdre, à force de nous négliger. En fait, je lui ai donné un ultimatum…
Gail s’était interrompue, avait longuement hoché la tête d’un air songeur.
C’était la semaine dernière et depuis, rien n’a changé. Rien. Ce matin, il est si j’ai de la parti au travail à 7 heures, et il ne rentrera pas avant minuit chance… Franchement, Livvy, tu trouves toujours que j’exagère ?
Non sans tristesse, Livvy avait hoché la tête à son tour. Et, quelques instants plus tard, une fois Gail repartie chez elle, elle s’était avoué que sa cousine avait des raisons de réagir avec autant de véhémence. Et pourtant… n’aurait-elle pu se montrer plus compréhensive, plus indulgente ? C’était sans doute trop lui demander. De tels sentiments étaient si étrangers au caractère de Gail !
*
* *
Deux mois en Dordogne, et gratis en plus ? Veinarde, va ! avaient soupiré les collègues de Livvy lorsqu’elle leur avait annoncé son départ.
Mmm… tu rencontreras peut-être un prince charmant beau et sexy, avait observé d’une voix taquine Jenny, le professeur de mathématiques.
Livvy avait haussé les épaules.
Je vais dans la France rurale, pas à Paris, lui avait-elle dit. Et tous les Français que je rencontrerai, beaux ou pas, seront sûrement mariés et très attachés à leur femme et à leurs enfants.
Et alors ? Avait rétorqué Jenny, toujours badine. Qui te parle d’une relation permanente ? Qu’y a-t-il de mal à avoir une aventure ?
Ce n’est pas mon genre. 
Et si tu ne peux pas t’en empêcher ? Et si tu tombes amoureuse ?
Non, je ne ferais jamais ça. Mon sens de la dignité me l’interdit. Quand j’aimerai un homme, ce sera parce que je l’admirerai sur le plan intellectuel et sentimental, pas parce que je serai troublée par son corps…
Là-dessus, Livvy avait quitté la salle des professeurs tandis que Jenny lui lançait en riant de plus belle :
Fais attention ! Tu pourrais tenter le sort, en tenant des propos pareils !
Pas de danger, avait gaiement rétorqué Livvy.
A vingt-cinq ans, elle se savait trop réfléchie et trop sage pour se lancer dans une aventure sensuelle. De telles liaisons, d’après ce qu’elle avait pu constater, ne conduisaient qu’à la déception et la souffrance. Par tempérament, elle était trop prudente pour courir un tel risque.
En fait, pendant son séjour en France, elle comptait se consacrer à la préparation de la prochaine année scolaire et réfléchir à son avenir. Cela ne laisserait guère de place à la romance, et d’ailleurs, elle ne nourrissait aucune rêverie sentimentale.
Cependant, elle ne songerait pas seulement au travail ! Elle se détendrait, ferait des randonnées, des excursions touristiques. Elle avait même proposé à Gail de prendre contact avec des artisans locaux pour superviser les rénovations les plus urgentes que sa cousine voulait entreprendre dans la ferme.
Tu es bien sûre que tu veux effectuer toutes ces modifications ? lui avait-elle demandé lorsqu’elles avaient discuté de l’adjonction d’un cabinet de toilette et de la réfection de la salle de bains existante. Après tout, si George veut vendre…
Il ne vendra pas. Lorsque je l’aurai tiré des griffes de Robert Forrest, je lui ferai entendre raison ! avait décrété Gail.
Puis elle avait ajouté :
Je ne serais pas étonnée d’apprendre que c’est ce sale type qui l’a persuadé de céder la ferme. Ce serait bien dans son genre !
Livvy l’avait dévisagée d’un air songeur. Elle espérait que Gail saurait convaincre George car, de toute évidence, sa cousine tenait à cette propriété. Elle comprenait d’ailleurs qu’elle veuille offrir à ses enfants les joies qu’elles avaient elles-mêmes connues lorsqu’elles étaient petites filles. Cependant, il lui semblait que ses neveux auraient été tout aussi heureux dans une maison plus modeste, et qui n’aurait pas représenté un tel fardeau financier.
Livvy se demandait aussi si sa cousine avait raison de rendre Robert Forrest responsable du revirement de son mari. Bien entendu, un homme qui avait connu une union malheureuse était susceptible de devenir hostile au mariage et de développer des sentiments misogynes…
La jeune femme remua entre les draps, étouffant un bâillement de lassitude. Plus elle observait les autres, plus elle apprenait à se méfier des relations entre les deux sexes. Et elle se réjouissait de ne pas être du genre à s’enflammer pour un rien et à s’amouracher du premier venu.
D’ailleurs, avec la malchance qui était la sienne, si cela lui arrivait, elle s’éprendrait d’un homme qui n’était pas du tout fait pour elle. D’un homme comme celui qui occupait la chambre d’en face, par exemple…
Allons donc, cette supposition était ridicule ! Comment pouvait-on s’éprendre d’un individu qui, en dépit de sa splendide virilité, n’avait à l’évidence aucun respect pour le sexe dit faible et aucune idée de ce qu’était le caractère féminin ?
Si elle tombait amoureuse un jour, ce serait d’un homme attentionné et compréhensif, intelligent, proche d’elle. D’un homme qui la considérerait comme son égale, et non comme un objet sexuel digne de dégoût et de mépris…
La B.M.W. se trouvait toujours sur le parking lorsque la jeune femme quitta l’hôtel, tôt le lendemain matin. Elle ne lui jeta qu’un coup d’œil distrait, s’installa au volant de sa propre voiture, boucla sa ceinture de sécurité et se mit en route.
Comme elle avait soigneusement étudié le trajet, elle atteignit sans encombre la ville de Beaulieu, cité la plus proche de la ferme de Gail. Elle prit un déjeuner tardif en ville, puis acheta des provisions pour un jour ou deux. Sa grand-mère lui avait appris à préparer et à mitonner de la bonne cuisine à la française, et elle entendait s’adonner à cet agréable passe-temps.
L’après-midi était déjà bien avancé lorsqu’elle se mit en route pour l’ultime étape de son voyage. Elle roula en guettant les panneaux indicateurs pour ne pas manquer l’embranchement qui conduisait à la ferme. Elle fut bientôt récompensée de ses efforts en parvenant dans le petit village tout proche de la ferme de Gail.
Si elle n’avait jamais visité la maison, elle en avait vu des photographies et savait qu’elle était située dans un cadre idyllique. Nichée au cœur d’une campagne verdoyante, elle donnait sur un petit affluent de la Dordogne et était entourée d’un vaste domaine qui assurait une douce intimité à ses possesseurs.
Timidement, George avait fait observer qu’elle était peut-être un peu trop isolée, mais Gail avait rétorqué que cet isolement était l’un de ses charmes.
Pour nous, peut-être, avait dit son mari. Mais pour les enfants…
Ils adoreront cet endroit. Du bon air, une vie voilà exactement ce qu’il leur faut. Cela leur fera le simple et campagnarde plus grand bien, avait décrété Gail.
A présent, Livvy se demandait si George n’avait pas eu raison. Car, pour des enfants, une existence solitaire n’avait guère d’attraits. Bien entendu, il ne serait pas facile de faire admettre cela à sa cousine… La jeune femme se demanda tout à coup si le surcroît de travail qui accablait George était dû aux exigences de son nouveau patron ou si c’était un choix volontaire. Peut-être cherchait-il à échapper à une épouse trop dominatrice ?
Soudain, la forêt dense à travers laquelle elle roulait céda place à une clairière ; Livvy aperçut les champs qui entouraient la ferme, actuellement en friches, mais que Gail comptait donner en fermage à un paysan de la région.
La maison, dont les murs de grès aux tons affadis par les intempéries révélaient l’ancienneté, se dressait au-delà des terres. Bientôt, Livvy pénétra dans la cour pavée et s’y gara. Des mauvaises herbes avaient poussé à l’envi entre les pierres, indiquant que les lieux étaient inoccupés depuis longtemps.
Munie du trousseau de clés que Gail lui avait confié, la jeune femme gagna la porte d’entrée. Bien que ce fût son premier séjour en Dordogne, elle connaissait bien la France rurale et, loin de la rendre nerveuse, le silence qui régnait alentour lui procurait une douce quiétude. Tranquillement, elle déverrouilla l’antique portail, qui grinça sur ses gonds.
Il donnait directement dans la cuisine, grande pièce rectangulaire dotée d’étroites fenêtres où régnait une légère odeur de renfermé. Livvy éclaira le plafonnier, cillant sous la lumière vive et crue.
Il faudra refaire entièrement la cuisine, avait dit Gail. Le fermier auquel nous avons acheté la maison et les meubles y a laissé une armoire magnifique et un buffet régional qui a beaucoup de cachet. Il ne devrait pas être difficile de compléter ça avec de bonnes antiquités…
Livvy ne doutait pas que Gail réaliserait bientôt les transformations rêvées. Mais en attendant… Enfin, les lieux paraîtraient sans doute moins tristes à la lueur du jour, songea-t-elle en considérant le vieil évier de porcelaine et l’antique plan de travail. Dans un angle de la pièce, la présence d’un énorme Frigidaire accolé à un gros appareil de chauffage au gaz semblait incongrue. Tout comme celle du petit fourneau qui les flanquait. Mais celui-ci était le bienvenu, se dit Livvy en s’avançant pour prendre la bouilloire qui était restée posée dessus.
Elle la rinça sous l’eau du robinet, glacée et légèrement roussâtre. C’était un puits qui alimentait la ferme en eau et pour obtenir de l’électricité, il fallait recourir à une chaudière, située dans l’une des dépendances.
Ayant placé la bouilloire sur le feu, la jeune femme décida d’aller chercher ses bagages.
Elle n’avait emporté que peu d’effets personnels ; le coffre de sa voiture était occupé presque en totalité par les draps, les serviettes, les ustensiles de cuisine et autres affaires que Gail avait voulu qu’elle emporte.
Proche de la salle de séjour adjacente dans la cuisine, un vieil escalier de bois menait à l’étage. Livvy en gravit les marches d’un pas alourdi par la lassitude et entreprit de s’installer dotées, selon sa cousine, de la dans l’une des vastes chambres de devant meilleure vue sur la propriété et la nature environnante.
Une demi-heure plus tard, tandis qu’elle achevait de siroter son thé après avoir fait son lit, elle songea qu’elle allait dormir à poings fermés. Elle était si lasse qu’elle effectua machinalement ses préparatifs pour la nuit, avant de se faufiler sous la couette avec un soupir d’aise.
Demain, songea-t-elle, les vacances commenceraient pour de bon. Demain, elle descendrait au village, pour avoir le plaisir de manger de délicieux croissants tout droit sortis du four, accompagnés d’un bon café noir. Mmm…
Ce fut en caressant cette agréable perspective que Livvy sombra dans le sommeil.
Elle entendit un bruit de portière qu’on claque, se redressa mollement et, fronçant les sourcils, consulta sa montre posée sur la table de chevet. Il était un tout petit peu plus de 9 heures. Elle avait dormi beaucoup plus tard que d’habitude !
Alors qu’elle sautait à bas de son lit et enfilait un peignoir, elle se demanda qui pouvait lui rendre visite à cette heure. M. le fermier à qui George et Gail avaient acheté la maison. Dubois, sans doute Ils le lui avaient décrit : cinquante ans bien sonnés, petit et noueux, aimant jouer les imbéciles pour mieux rouler son monde et doté d’un sens aigu des affaires.
Livvy pensa avec amusement à la petite note de contrariété qui s’était glissée dans la voix de sa cousine, à cette dernière remarque ; Gail avait enfin trouvé, semblait-il, quelqu’un d’aussi retors qu’elle…
La jeune femme n’avait pas fini de traverser la cuisine lorsqu’elle entendit un déclic ; une clé était en train de tourner dans la serrure. S’immobilisant sur place, elle fronça les sourcils. Il semblait naturel que le fermier ait une clé, pour surveiller les lieux en l’absence des propriétaires. Mais M. Dubois se serait probablement annoncé en frappant à la porte ; car, bien que la voiture de Livvy, garée sous l’appentis, ne fût pas en vue, il était averti de son arrivée.
Le portail s’ouvrit et Livvy se figea.
« Impossible ! » pensa-t-elle. Et pourtant, elle ne rêvait pas : l’homme qui venait de pénétrer dans la ferme était l’inconnu qu’elle avait vu l’avant-veille à l’auberge ; celui qui s’était montré désagréable sur le parking et qui, plus tard, n’avait pas esquissé le moindre geste pour lui porter secours…
Incapable de proférer une parole, elle contempla l’intrus, scrutant son beau visage glacial et arrogant. A l’arrière-plan de son esprit, elle avait confusément conscience de la curieuse réaction de ses sens dans cette confrontation inattendue : sous son peignoir, les pointes de ses seins s’étaient dressées et une sensation de chaleur intense et perturbante se répandait dans tout son corps.
D’un geste instinctif, elle ramena plus étroitement autour d’elle les pans de son vêtement. Son cœur battait à coups saccadés ; elle se sentait troublée, impuissante, aux prises avec une situation à la fois inquiétante et excitante.
Qu’est-ce que cet homme faisait ici ? Comment l’avait-il retrouvée ? Et pourquoi l’avait-il suivie ? Toutes ces questions se bousculaient dans son esprit, lui donnant le vertige. Elle ne possédait plus son sang-froid habituel et se sentait particulièrement vulnérable. Après tout, elle était seule, et cet homme, si respectable qu’il pût paraître, était susceptible de…
Refusant d’aller au bout de sa pensée, Livvy s’efforça de juguler sa peur. Elle ne devait ni se laisser intimider, ni trahir son angoisse.
Que faites-vous ici ? demanda-t-elle hardiment. Pourquoi m’avez-vous suivie ? Si vous ne partez pas sur-le-champ, j’appelle la police.
Alors comme ça, je vous ai suivie ? s’exclama l’inconnu. 
Sa voix brusque et railleuse froissa la jeune femme, dont la tension s’accrut.
Vous ne manquez pas de culot, poursuivit-il. Si quelqu’un doit appeler la police, c’est moi ! Vous n’avez pas le droit de vous introduire dans une propriété privée et de l’occuper indûment.
Indûment ! s’écria Livvy.
Estomaquée, elle poursuivit avec véhémence :
C’est vous qui êtes un intrus, pas moi ! Cette maison appartient à ma cousine Gail et à son mari et c’est elle qui m’a invitée à passer l’été ici, figurez-v…
Vous êtes la cousine de Gail ? 
Elle acquiesça d’un signe de tête, puis, non sans méfiance, demanda à son tour :
Vous connaissez Gail et George ? 
Certes. Gail vous a invitée ici, dites-vous… Pourtant, George m’avait assuré que la ferme serait inoccupée.
Livvy déglutit avec difficulté.
Tu avertiras George ? avait-elle demandé à sa cousine.
Il saura que tu es chez nous dès que j’aurai la possibilité de lui parler, sois tranquille ! avait assuré Gail.
Là-dessus, elle s’était lancée dans une nouvelle diatribe contre son mari et sa décision de vendre la ferme. Livvy l’avait un peu taquinée, car elle était convaincue que George ne vendrait jamais la propriété à l’insu de sa femme ou contre sa volonté. Or, soudain, elle comprenait qu’elle s’était entièrement trompée sur ce point. Et la présence de l’inconnu ne l’étonnait plus guère.
Il avait tout l’air d’un homme capable de profiter des difficultés d’un couple pour réaliser une bonne affaire immobilière, pensa-t-elle.
Comme vous le voyez, il y a tout de même quelqu’un, lui répondit-elle d’un ton léger. Si vous voulez visiter, libre à vous. Mais bien entendu, j’aimerais que vous partiez le plus vite possible…
Et pourquoi cela ? Nous sommes convenus que je resterai quelque temps, George et moi.
Pour savoir si vous achetez la ferme ? Vous n’allez tout de même pas mettre une éternité à vous décider !
Acheter la ferme ? répéta l’inconnu, apparemment déconcerté.
La jeune femme ne se laissa pas abuser.
Parfaitement. Vous espérez sûrement l’obtenir pour un prix inférieur à sa valeur réelle. Je ne suis pas dupe, vous savez. Et je n’ai que mépris pour les profiteurs de votre espèce. Vous feriez un joli duo avec le patron de George ! Encore un de ces individus qui placent l’argent et le pouvoir au-dessus de tout et se moquent pas mal des conséquences de leur attitude sur l’existence de leurs employés. Oui, vous êtes bien comme Robert Forrest : vous n’avez pas une once de moralité.
Livvy constata avec satisfaction, en achevant sa tirade, qu’elle avait réduit l’inconnu au silence. Son triomphe fut de courte durée, cependant.
C’est vous qui parlez de valeurs morales ? s’exclama-t-il. Ça par exemple, c’est un peu fort !
Qu’insinuez-vous par là ? 
A l’instant où elle eut fini de formuler sa question, Livvy sentit qu’elle avait commis une erreur.
Allons, allons, fit-il, passant de l’hostilité au dédain cynique. Comme si je ne vous avais pas vue hier soir ! Dites-moi, vous avez pris la peine de lui demander son nom, avant de vous vautrer avec lui sur ce lit d’hôtel ? Il vous avait tapé dans l’œil, hein, mais il n’était pas assez bien pour que vous l’emmeniez chez vous, j’imagine ! Je parie que vous êtes de la même espèce que votre cousine. Le jour où vous trouverez un malheureux assez stupide pour vous épouser, vous vous assurerez qu’il a un compte en banque bien garni pour vous payer tous vos caprices !
Livvy fut sidérée par ce qu’elle entendait. De quel droit cet homme portait-il contre elle ces accusations ignobles ? Comment osait-il formuler un jugement aussi injuste malgré l’agression flagrante dont elle avait été victime ? Cependant, elle ne s’abaisserait pas à relever ses insultes. En revanche, elle ne laisserait pas passer son commentaire injurieux à propos de sa cousine.
Gail n’a pas épousé George pour son argent, déclara-t-elle d’un ton glacial.
  — Vraiment ? Pourtant, à en juger par ce que je sais d’elle, elle s’y entend fort bien pour dépenser l’argent de son mari. Elle n’hésite même pas à exercer un chantage sur lui en se servant de leurs enfants.
Gail veut ce qu’il y a de mieux pour ses fils, comme n’importe quelle mère.
Pour ses fils et pour elle, ça je n’en doute pas. Mais George, dans tout ça, que devient-il ? Elle ne se soucie guère de savoir ce qu’il désire ou ce dont il a besoin. Il n’est pas étonnant…
L’inconnu s’interrompit brusquement. Et, non sans malaise, Livvy se demanda ce qu’il avait failli dire. Il semblait savoir beaucoup de choses sur Gail et George… Il semblait aussi avoir un solide préjugé envers les femmes. A moins que son mépris ne fût réservé à Gail et à elle-même ?
Si c’était le cas… Eh bien, qu’est-ce que cela pouvait faire, après tout ? Elle ne le connaissait pas et, étant donné sa conduite et les propos qu’il venait de tenir, elle se réjouissait de ne pas avoir à faire plus ample connaissance avec lui !
Au fond, ce qu’elle aurait dû éprouver à son égard, c’était de la pitié et non de la colère. De toute évidence, il était très mauvais juge du caractère des gens. En d’autres circonstances, il aurait presque été risible.
Je pense que vous feriez bien de partir, lui dit-elle résolument. George aurait dû consulter Gail avant de vous autoriser à venir inspecter sa propriété. Gail n’a pas…
Gail n’a pas quoi ? Envie qu’il vende ? C’est pour ça qu’elle vous a envoyée ici ? Pour user de vos charmes afin de manipuler les acheteurs potentiels ?
Lorsqu’il avait prononcé le mot « charmes », l’inconnu avait eu une expression si méprisante que Livvy eut envie de le gifler. Elle se domina, cependant ; mais elle tenait à faire une rectification :
Gail ne m’a pas « envoyée » ici. J’y suis venue de mon plein gré, pour passer des vacances paisibles.
Cela ne parut guère impressionner son interlocuteur. Le regard qu’il lui lança la glaça par sa dureté, sa quasi-férocité. Elle voyait qu’il n’appréciait guère son attitude rebelle ; elle avait aussi conscience de son pouvoir viril, opposé à sa propre faiblesse féminine. C’était une sensation inédite pour elle ; elle n’avait jamais eu une perception aussi aiguë de la masculinité. Cela la perturbait d’autant plus que ce sentiment était déplacé, vu les circonstances… Elle se sentait tout à la fois contrariée, irritée, déroutée et inquiète.
L’inconnu reprit la parole d’un ton railleur et méprisant :
Des vacances tranquilles ? Vous ? Comme si je ne vous avais pas vue à l’hôtel !
Vous ne comprenez pas !
Presque aussitôt, cependant, Livvy renonça à en dire davantage. Si pourtant fort cet homme n’avait pas saisi la véritable nature de la scène à laquelle il avait assisté, avait-elle la moindre chance de se parlante ! Faire entendre ? Et puis, elle n’avait pas à se justifier !
En effet, je ne comprends pas, dit-il.
Ensuite, comme si ces mots lui échappaient malgré lui, il lâcha :
Seigneur ! Vous n’avez donc aucune conscience des risques que vous encourez ? A moins que cela ne vous excite encore plus… le danger… l’inconnu…
Trop abasourdi pour se défendre, Livvy le dévisagea d’un air interdit. De façon tout à fait incongrue, elle se demanda ce qu’elle aurait éprouvé dans la situation périlleuse qu’il évoquait, si c’était à lui qu’elle avait eu affaire… Des visions érotiques surgirent dans son esprit, comme malgré elle.
Gail ne peut pas empêcher George de vendre cette maison, vous savez, reprit l’inconnu. Il est plutôt stressé, en ce moment, et…
Evidemment ! coupa la jeune femme. Robert Forrest l’assomme de travail. Gail aimerait s’entretenir avec son mari, mais elle le voit à peine. George est constamment débordé de boulot.
Je n’ai pas l’impression que votre cousine soit encline à la discussion et aux compromis, observa l’homme. Si George l’évite, peut-être a-t-il de bonnes raisons pour cela.
Livvy sentit un regain de tension l’envahir. Quel qu’il fût, cet homme paraissait en savoir long sur la vie de couple de Gail et de George. Il révélait des failles dont elle n’avait, pour sa part, jamais soupçonné l’existence. George et Gail avaient toujours donné l’image d’un couple uni, indestructible. Ils étaient très attachés à leur deux fils…
Gail aime George, affirma-t-elle, sans pouvoir dissimuler entièrement son anxiété et son angoisse.
Vraiment ? Dites plutôt qu’elle aime le style de vie qu’il lui offre.
C’est faux ! Gail avait un travail passionnant et très bien payé, lorsqu’elle a rencontré George. Elle était indépendante. Si elle a renoncé à son métier, c’est pour se consacrer à son mari et à ses enfants.
Alors, pourquoi refuse-t-elle de vendre, si les choses matérielles lui importent peu ?
Ce qu’elle n’accepte peut-être pas, c’est qu’il ait pris cette décision sans lui demander son avis. Il agit dans son dos… lui ment… lui cache qu’il vous a envoyé ici…
Comme elle-même lui a caché qu’elle vous avait invitée, coupa l’inconnu. D’ailleurs, qu’est-ce qui vous permet de penser que je veux acheter cette ferme ? Pourquoi ne serais-je pas venu, tout comme vous, passer quelques jours au calme pour me détendre ?
Non ! s’écria Livvy, incapable de retenir ce cri du cœur.
Cet homme ne pensait pas séjourner ici ! Pas après toutes les insultes qu’il avait proférées à son sujet ! Il cherchait certainement à la tourmenter.
Je ne vous crois pas, déclara-t-elle tout de go.
Ah oui ? fit-il en haussant les épaules. Ma foi, à votre guise. Vous n’êtes pas précisément le genre de compagnie que j’aurais souhaitée, mais contre mauvaise fortune…
Sur ces derniers mots, il se détourna vers la porte. Aussitôt, la jeune femme déclara :
Vous ne pouvez pas rester ici.
Il fit volte-face et l’observa en silence pendant quelques instants, avant de laisser tomber d’une voix doucereuse :
Oh, mais si, je le peux. Après tout, contrairement à vous, j’ai la permission du propriétaire légal. Au demeurant, je me dois de rester pour défendre les intérêts de George, non ? Tout comme vous êtes venue défendre ceux de Gail.
C’est faux… Je suis en vacances. 
Ignorant cette affirmation, l’inconnu décocha à Livvy un sourire triomphant et dénué d’aménité.
Bien entendu, nous pouvons aussi envisager votre départ…
C’est hors de question. 
Ce n’est pas en restant que vous sauverez le mariage de votre cousine, observa son adversaire. A moins que vous n’ayez un tout autre but… Si vous tenez tant à vous installer ici comme une occupante en titre, c’est peut-être bien pour empêcher George de procéder à la vente.
Livvy ne put réprimer un haut-le-corps scandalisé.
C’est un mensonge ! Je suis en vacances, je vous le répète. Et puis, Gail est incapable d’une telle…
Elle s’interrompit, contrariée par sa propre réaction. Pourquoi se laissait-elle entraîner dans cette discussion ?
Gail désire seulement pouvoir s’expliquer avec George, reprit-elle. Mais depuis que Robert Forrest… Je me demande vraiment quel genre d’homme c’est ! explosa-t-elle soudain, dominée par son émotivité. Si le mariage de ma cousine bat réellement de l’aile, c’est lui le responsable ! Je ne m’étonne plus que sa femme l’ait quitté. Ce qui me surprend, c’est qu’il ait pu trouver quelqu’un d’assez stupide pour l’épouser.
Elle se tut brusquement, en colère contre elle-même. Seigneur, qu’allait-elle donc raconter ? Cela ne lui ressemblait nullement de d’autant qu’elle ne connaissait critiquer quelqu’un sans justification réelle même pas Robert Forrest ! Si elle réagissait ainsi, eh bien c’était la faute de cet intrus arrogant qui se mêlait de son existence et la dévisageait de son regard glacial et menaçant.
Elle souhaitait qu’il s’en aille et la laisse tranquille. Hélas, elle sentait qu’il n’en ferait rien. Et elle ne voulait pas perdre la face. Par fierté féminine, elle se devait de rester.
Quant à lui, en dépit de ses affirmations, il n’était pas venu se reposer, elle en était certaine. Bien entendu, il ne lui révélerait pas le véritable but de sa visite, pour la narguer et la tourmenter. Elle devinait pourtant que son projet initial avait été de jeter un bref coup d’œil sur la propriété, d’y passer un jour ou deux avant de regagner l’Angleterre. A présent, il entendait rester. Mais il voulait être débarrassé d’elle…
Eh bien, elle n’allait certainement pas lui faire le plaisir de déserter les lieux !
Vous ne pouvez pas me forcer à partir et je ne partirai pas, lui déclara-t-elle d’un air farouche.
Pendant un court instant, elle crut qu’elle était allée trop loin. Il aurait aimé la chasser par force, la rudoyer un peu, cela elle le sentait. Néanmoins, il finit par hausser les épaules :
A votre guise, laissa-t-il tomber. Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait grand-chose d’intéressant dans la région pour une femme de votre genre.
Livvy se crispa légèrement. Que cherchait-il encore à insinuer ?
Comment ça, « une femme de mon genre » ? demanda-t-elle. Qu’entendez-vous par là ?
La réponse est-elle nécessaire ? J’en doute. Mais puisque vous semblez y tenir…
L’expression des yeux gris de son interlocuteur mua soudain, passant du dédain à l’attention aiguë. Incrédule et choquée, Livvy se retrouva soumise à un examen prolongé, à une « évaluation sexuelle » qui s’affichait clairement pour telle. Aucun homme, jamais, ne l’avait regardée ainsi. Aucun n’avait osé. Et elle n’aurait jamais cru que l’un deux le ferait un jour. Ce qui se passait était si étranger à son expérience qu’elle demeura d’abord paralysée, incapable de réagir.
Mais son corps, lui, parut enregistrer le traitement auquel il était soumis. Une vive sensation de chaleur se répandit en elle, ses muscles se tendirent, ses sens s’embrasèrent, les pointes de ses seins se dressèrent… Confusément, elle s’étonna de ces curieux effets de la colère. Jusque-là, elle avait cru que ce genre de réaction ne pouvait surgir que sous l’effet du trouble sensuel.
Vous n’avez pas le droit, vous ignorez totalement quel genre de femme je suis, dit-elle enfin d’une voix rauque, où se mêlaient la rage impuissante et l’envie de pleurer.
J’en sais autant que n’importe quel mâle qui a connu toutes les étapes et les rites du développement hétérosexuel. Le style bouche en cœur, yeux dilatés, cheveux défaits et négligé au saut du lit exerce un charme pervers sur les gamins inexpérimentés. Mais heureusement, on mûrit et on acquiert plus de discernement à l’âge adulte.
Livvy avait peine à en croire ses oreilles. Cette description d’elle-même lui ressemblait si peu qu’en d’autres circonstances, elle l’aurait trouvée franchement risible. Une provocatrice, elle ? Une sorte de Lolita ? Allons donc !
Prenant une profonde inspiration, elle commença :
Ecoutez, mons… 
Mais elle s’interrompit aussitôt, démontée, réalisant soudain qu’elle ne connaissait pas le nom de son interlocuteur.
Celui-ci parut hésiter, puis finit par lâcher, comme à contrecœur :
R… mon nom est Richard Field. Et puisque nous allons partager cette maison, autant que je sache aussi le vôtre. Même si je ne compte pas l’utiliser souvent.
Pendant un bref instant, Livvy fut tentée de lui tourner le dos et de le planter là. Mais l’habitude, l’éducation, l’emportèrent.
Olivia… Olivia Lucy, lui dit-elle avec une brusquerie égale à la sienne.
Elle se garda d’ajouter que personne n’utilisait ce qu’elle déplorait. « prénom, qu’on l’appelait toujours par son diminutif Livvy Lucy » n’avait aucune classe, alors qu’« Olivia Lucy » sonnait si bien ! C’était élégant, sophistiqué…
Olivia…, murmura Richard Field.
Son regard se modifia de façon inattendue, prenant une expression songeuse. La jeune femme retint son souffle, comme pour un enjeu d’importance.
Lorsqu’il finit par détourner le regard, elle s’irrita de sa propre réaction. Pourquoi se serait-elle soumise au jugement de cet homme ? S’il n’avait aucune sympathie pour elle, elle n’en éprouvait pas non plus pour lui. En fait, elle le méprisait.
Brutalement, elle lui tourna le dos et quitta la pièce, résolue à lui signifier qu’une femme « dans son genre » n’avait que dédain pour les types de son genre à lui !
Elle comptait téléphoner à Gail pour savoir de quoi il retournait. Mais d’abord, elle devait faire sa toilette et s’habiller.
Tandis qu’elle achevait de se préparer dans la salle de bains, elle entendit son indésirable compagnon monter à l’étage. D’un mouvement instinctif, elle s’enveloppa étroitement dans sa serviette, fixant la porte close d’un air figé.
Il y avait en Richard Field quelque chose qui donnait à Livvy une conscience aiguë, inhabituelle et dérangeante de sa féminité, de sa propre sexualité, de sa vulnérabilité. Et ce n’était pas uniquement à cause de la façon dont il s’adressait à elle ou la regardait. C’était plus profond que cela. C’était une perception intime de la virilité qu’il dégageait, et qui semblait exacerber leur antagonisme. Jamais, dans son souvenir, elle n’avait réagi à un homme d’une façon aussi épidermique et aussi passionnée.
« Passionnée » ! Quels mots ne lui venaient-ils pas à l’esprit, lorsqu’il était question de lui !
Un moment plus tard, lorsqu’elle redescendit au rez-de-chaussée, sagement coiffée et vêtue, Richard Field n’était plus là.
Elle jeta un coup d’œil au-dehors, par la fenêtre de la cuisine, et constata que la B.M.W. avait également disparu. Avait-il résolu de se comporter en gentleman et de partir ? Sans trop savoir pourquoi, elle en doutait.
Cependant, son absence momentanée lui donnait l’occasion de téléphoner tranquillement à Gail.
Debout face à la fenêtre, Livvy composa le numéro de sa cousine d’un geste résolu. Par chance, celle-ci était chez elle. La jeune femme s’empressa de raconter ce qui se passait et comprit, en percevant le petit cri étouffé de Gail au bout du fil, qu’elle était aussi surprise qu’elle.
Est-ce que George t’avait avertie qu’il envoyait quelqu’un ici pour visiter la ferme ?
Non.
Gail, il faut que tu lui parles. 
Si seulement je pouvais, soupira Gail avec amertume. Robert l’a de nouveau expédié je ne sais où, pour le boulot. George a promis de me téléphoner, mais j’attends toujours son coup de fil. Sa secrétaire prétend qu’elle ne sait pas où le joindre.
A son intonation, Livvy comprit que sa cousine était à la fois furieuse et frustrée. Non sans inquiétude, elle se demanda si le projet de vente était à l’origine des problèmes du couple ou s’il était le symptôme révélateur d’un conflit plus grave.
Comme elle connaissait la susceptibilité de sa cousine, elle préféra éviter une question directe. Elle biaisa donc :
Ecoute, la situation est très déplaisante pour moi. Cet homme m’a fait comprendre que ma présence ici est illégale, puisque George l’ignore et qu’il est le propriétaire de la maison.
C’est absurde. La ferme m’appartient autant qu’à mon mari.
Moralement, oui. Mais sur le plan purement légal, technique…
George ne s’opposerait  jamais à ce que tu séjournes là-bas, quels que soient nos différ…, commença Gail.
Elle s’interrompit brusquement, puis reprit d’un ton presque suppliant :
Livvy, ne te laisse pas manipuler, surtout. D’après ce que tu me racontes, ce type essaie de te forcer à partir. Il veut sans doute provoquer une vente précipitée, amener George à lui brader la ferme. Mais si j’arrive à parler à mon mari, je saurai lui ouvrir les yeux… Reste, je t’en prie.
Si tu ne peux pas contacter George, souligna Livvy, alors, personne n’y arrivera. Ce type pas plus qu’un autre.
C’est probable… Mais je serais plus tranquille de te savoir sur place.
Ce fut ainsi que se conclut la conversation. Livvy songea, en reposant le récepteur, qu’elle n’avait guère d’alternative ; et pas seulement à cause de Gail… Car en partant à présent, elle aurait l’air de capituler, de prendre la fuite. Comme si elle n’avait pas le cran de tenir tête à son adversaire !
Songeuse, la jeune femme plissa involontairement le front et tressaillit en entendant gronder le moteur d’une voiture.
Avec nervosité, elle jeta un coup d’œil par la fenêtre. Cependant, ce ne fut pas la B.M.W. qui surgit dans la cour, mais une vieille camionnette ; quant à l’homme qui en descendit, ce n’était certes pas Richard Field.
Cette fois, son visiteur était bien Gustave Dubois, le plus proche voisin de Gail : un petit homme trapu, tanné par le soleil, d’environ une cinquantaine d’années. Il décocha un regard admiratif à la jeune femme.
Il venait, dit-il, pour lui présenter ses hommages et lui remettre le petit panier de légumes que son épouse tenait à lui offrir.
L’autre but de sa visite consistait à vérifier la chaudière, qu’il avait alimentée et mise en route la veille en prévision de son arrivée. D’après lui, c’était un appareil très capricieux, qu’il fallait manier avec délicatesse et savoir-faire. En cas de problème, Livvy ne devait surtout pas s’inquiéter : elle n’avait qu’à lui téléphoner, et il accourrait aussitôt à son aide.
M. Dubois présentait la chose comme un acte de pure galanterie de sa part, mais Livvy n’ignorait pas qu’il avait un petit arrangement avec Gail : il veillait à l’entretien de la chaudière, du puits et rendait divers autres services ; en échange, il pouvait cultiver une partie des terres pour son propre compte. La jeune femme le remercia cependant de sa gentillesse et lui demanda de lui expliquer le fonctionnement de l’appareil.
Mais à cet instant, M. Dubois se détourna, surpris et visiblement contrarié de voir survenir une B.M.W. dans la cour.
Tandis que Richard Field descendait de sa voiture et examinait le duo en fronçant les sourcils, Gustave Dubois s’empressa de dire à Livvy :
Ah, je n’avais pas compris ! Mme Gail n’avait pas précisé que vous viendriez avec votre mari…
Ce n’est pas mon mari, souligna Livvy. 
Richard Field les rejoignit à cet instant et elle vit qu’il avait entendu sa dénégation. Mais elle ne comprit pas, sur le moment, la signification du sourire qui se peignit sur ses lèvres et la portée de son propre commentaire.
En fait, elle était trop irritée par la réaction de M. Dubois pour capter des informations plus subtiles. En effet, dès qu’il s’était trouvé confronté à Richard Field, le fermier s’était empressé de s’adresser à lui.
La jeune femme eut beau se rappeler qu’ici, à la campagne, les antiques hiérarchies étaient encore en vigueur et que M. Dubois n’avait aucune idée du camouflet involontaire qu’il lui infligeait en accordant la préséance à Richard Field, elle ne put s’empêcher d’être furieuse de se voir traiter comme quantité négligeable parce qu’elle était une femme, tandis que le fermier donnait au nouveau venu des explications fort détaillées sur la chaudière.
Alors que les deux hommes se dirigeaient vers le bâtiment annexe qui abritait l’appareil, Livvy se hâta de leur emboîter le pas. Elle refusait d’accorder à Richard Field l’avantage d’être le seul à connaître le fonctionnement de la chaudière.
C’était compter sans le fermier. S’interrompant à l’instant de pénétrer dans le local, il se tourna vers elle pour lui suggérer de leur servir une tasse de café ou, mieux encore, un verre de vin.
Elle s’empourpra de colère en percevant l’expression de mépris triomphant de Richard Field. Refusant cependant de lui laisser entrevoir sa contrariété, elle se retourna avec dignité et alla prendre le panier de légumes à l’endroit où M. Dubois l’avait laissé. Puis elle l’emporta dans la cuisine.
Se postant ensuite devant l’antique cuisinière, elle l’observa avec perplexité.
Méfie-toi de la cuisinière à charbon, avait souligné Gail. Si le vent souffle dans la mauvaise direction quand on l’allume, elle se met à crachoter et à fumer d’une manière épouvantable.
La jeune femme décida néanmoins de la mettre en route. Cela n’était pas nécessaire, car il y avait un petit fourneau électrique. Mais sans la chaleur d’un foyer, la cuisine semblait privée de vie. Et puis, si elle s’attelait à cette tâche, elle aurait un bon prétexte pour éviter d’apporter une boisson aux deux hommes.
Une demi-heure plus tard, en nage et les mains encharbonnées, elle se redressait avec un sourire de triomphe alors qu’un bon feu flambait dans l’antique appareil.
Elle referma le portillon, et songea qu’après avoir allumé la cuisinière, il fallait encore savoir préparer des mets avec, ce qui n’était pas une mince affaire.
« Heureusement, je n’aurai pas à cuisiner pour quinze », songea Livvy en essuyant le fourneau et en allant se laver les mains. Elle se demanda quand Richard Field se lasserait du petit jeu qu’il jouait avec elle et se déciderait à partir. Vite, elle l’espérait. D’ici là, elle essaierait de supporter sa présence, par solidarité avec Gail.
Comment George en était-il venu à agir avec autant d’inélégance et de dureté ? Cela ne lui ressemblait guère. Livvy, qui avait le cœur tendre, avait de la peine pour sa cousine et ses neveux.
Elle aperçut les deux hommes qui revenaient, de l’autre côté de la cour, et se rembrunit en voyant le fermier donner une petite claque amicale dans le dos de Richard Field avant de remonter dans sa camionnette. De toute évidence, le visiteur avait impressionné M. Dubois et conquis son respect.
Il s’écoula quelques minutes, puis Richard surgit dans la cuisine. Il portait un cageot de provisions. Livvy perçut une bonne odeur de pain frais qui lui mit l’eau à la bouche. Bien qu’il fût près de midi, elle n’avait pas encore pris son petit déjeuner, s’étant *******ée d’avaler une tasse de café instantané pas bien fameux. A présent, elle se remémorait son projet de descendre au village pour y acheter des croissants, anéanti par l’arrivée de Richard Field.
Vous avez allumé la vieille cuisinière, dit ce dernier.
Il fronça les sourcils et s’approcha de l’appareil comme s’il avait peine à croire à cette réalité. La jeune femme éprouva un élan de satisfaction à l’idée d’avoir réussi à le désarçonner un peu. Aux yeux de Richard, les femmes « de son genre » n’avaient sans doute qu’un unique talent… acquis auprès de la ribambelle d’hommes dont elles avaient partagé le lit.
M. Dubois s’excuse de ne pas être revenu jusqu’ici pour vous saluer, reprit-il. A mon avis, il a peur d’encourir la réprobation de sa digne épouse en fréquentant une femme déchue, si libre de mœurs qu’elle n’hésite pas à admettre publiquement qu’elle a un amant.
Livvy le dévisagea sans comprendre.
Que lui avez-vous raconté ? s’écria-t-elle. Quels mensonges ? Il sait que je suis la cousine de Gail, elle l’a averti de ma v…
Je ne lui ai rien dit du tout. C’est vous qui lui avez révélé que je n’étais pas votre mari.
Vous n’êtes pas mon amant non plus. Je…
M. Dubois ne voit pas les choses de cette façon. Pour lui, lorsqu’un homme et une femme s’installent ensemble dans une ferme isolée en pleine campagne, il n’y a pas trente-six explications.
Mais il se fait des idées fausses ! protesta Livvy. Vous auriez dû le détromper…
Oh, j’ai essayé. Il a cru que je mentais pour préserver votre honneur, de toute évidence. On dirait que je ne suis pas le seul à vous voir telle que vous êtes, chérie.
L’ironie insultante de ce dernier mot eut raison de la patience de Livvy. Franchissant les quelques pas qui la séparaient de Richard Field, elle se planta devant lui, dominée par un élan de colère tel qu’elle n’en avait jamais éprouvé de sa vie.
Vous n’avez pas la moindre idée de ce que je suis, s’exclama-t-elle. Et vous ne le saurez jamais. Vous et moi, amants ?
Elle lui décocha un regard qui était un pur concentré de haine et de mépris.
Jamais, au grand jamais, je ne permettrais à un homme tel que vous de me toucher !
Elle frissonna, son corps soulignant malgré elle la passion qu’elle avait mise dans ce rejet, et comprit confusément qu’en réagissant ainsi, elle refusait aussi l’élan sensuel qui l’avait d’abord portée vers Richard Field.
Se détournant alors brusquement, elle voulut s’éloigner ; mais il fut plus preste qu’elle. Vif comme l’éclair, il la happa entre ses bras tandis qu’elle se figeait sur place, paralysée par le choc.
Pressentant un danger, prenant conscience de son extrême vulnérabilité, elle se mit à trembler, tenta de se libérer, comprit que c’était impossible.
Dès le premier instant, elle avait deviné son intention. Pourtant, au moment où il l’embrassa avec fureur, comme pour la punir de l’avoir déchaîné ainsi, elle n’était toujours pas prête à admettre qu’il passerait vraiment à l’acte, dans cette parodie brutale et féroce d’étreinte amoureuse.
Elle voulut se débattre, détourner la tête. Mais, prévenant son geste, il la força à subir son baiser.
Les yeux écarquillés, le corps et les lèvres figés par le choc, elle s’obstinait à le dévisager. Mais il refusa de se laisser dompter et l’expression de son regard viril, où flambait une lueur intense, amena la jeune femme au bord des larmes. Elle ferma les paupières pour se défendre de pleurer.
Aussitôt, elle regretta sa réaction. Les yeux clos, elle avait une conscience plus aiguë du contact du corps de Richard, de sa force, de la tiédeur de ses doigts. Alors qu’il ébauchait une caresse, elle frissonna, et lorsqu’elle identifia la cause de ce frisson, un élan de panique la submergea.
Elle ne pouvait tout de même pas être troublée par cet homme. Si elle tremblait ainsi, cela ne pouvait être que sous l’effet combiné de la colère, du ressentiment et de la peur… Il n’était pas possible que cela fût à cause de la caresse légère des doigts de Richard sur son cou, ou de la façon dont il la tenait à présent enlacée, plaquée contre lui, si proche qu’elle percevait les battements précipités de son cœur, sentait la force du désir de son compagnon… L’élan instinctif et viril qui le poussait à relever le défi qu’elle lui avait lancé.
Délibérément, il prolongeait son baiser et, sous son assaut sensuel, elle se sentait peu à peu mollir, devenir vulnérable. Elle comprit qu’il ne cherchait pas seulement à assouvir sa colère, mais à la troubler aussi… pour pouvoir mieux l’humilier ensuite.
Désespérément, elle tenta de rester insensible. Mais elle cédait peu à peu, perdant sa faculté de penser et de raisonner pour céder à l’élan de désir qui la soulevait. Sa bouche s’entrouvrit, elle laissa échapper un soupir de plaisir, et il profita de son instant de faiblesse pour glisser sa langue entre ses lèvres et se livrer à une caresse de plus en plus troublante et vertigineuse.
Elle voulait lutter, ouvrir les yeux, briser le charme puissant qui la tenait prisonnière. En vain. L’élan voluptueux qui l’avait saisie devenait presque douloureux, et elle devina qu’il sentait sa réaction. Il s’écarta d’elle un instant comme pour s’en assurer, puis émit un soupir étranglé, tout contre sa bouche. Il laissa glisser une main vers ses seins, en effleura une pointe, la caressa doucement.
Elle gémit, rouvrit les yeux et le regarda.
Il s’immobilisa alors, et son expression mua d’un seul coup, redevenant glaciale et dure. Il la relâcha si brusquement qu’elle chancela. Mesurant soudain ce qui venait de lui arriver, elle rougit jusqu’à la racine des cheveux, mortifiée au plus haut point.
L’observant d’un regard aigu et méprisant, il dit alors :
Comme je le disais, je connais les femmes dans votre genre.
Puis, sans lui accorder un regard de plus, il tourna les talons, ouvrit la porte et s’éloigna dans la cour.
Livvy demeura figée sur place. Son corps était raide et glacé, ses muscles douloureux. Mais cela n’était rien en comparaison de l’angoisse qui l’avait saisie, du choc qu’elle subissait, du mépris qu’elle éprouvait pour elle-même.
Que lui était-il donc arrivé, au nom du ciel ? Pourquoi s’était-elle laissé humilier ainsi ? Elle n’avait pourtant rien d’une fille facile, n’était pas du genre à se laisser troubler ou à perdre le contrôle d’elle-même.
Elle se mit à trembler, en proie à de violentes nausées. Honteuse, au bord des larmes, elle monta se réfugier dans sa chambre.
Si elle n’avait pas promis à Gail de rester, elle aurait refait ses valises séance tenante, prête à admettre sa défaite plutôt que de devoir se retrouver face à Richard Field et lire dans son attitude et dans son regard sa jubilation d’avoir triomphé d’elle. Cependant, la situation de sa cousine était grave, beaucoup plus importante que les sentiments qu’elle-même éprouvait en cet instant.
Elle se figea en entendant des pas dans l’escalier, et ne put parvenir à se détendre, même lorsque Richard Field eut dépassé le seuil de la pièce qu’elle occupait pour s’enfermer dans sa propre chambre.
Elle avait beau se dire qu’elle n’était pas la seule à avoir éprouvé de l’émoi, qu’il avait été excité, lui aussi… Cela ne la tranquillisait guère. En fait, cela ne faisait même qu’augmenter son mépris d’elle-même. Car à l’instant où elle avait senti qu’il éprouvait du désir pour elle, elle avait joui de cette sensation d’une façon primitive.
Comme elle ne pouvait quitter les lieux, elle n’avait à présent d’autre solution que d’ignorer Richard Field. De prétendre qu’elle n’était nullement affectée par ce qui s’était produit.
En fait, elle devait se comporter comme la femme qu’il l’accusait d’être. Après tout, mieux valait laisser croire à Richard qu’elle était une dévergondée prête à satisfaire ses besoins sexuels avec le premier homme capable de les susciter et de les assouvir… plutôt que de lui laisser deviner que ce qu’elle avait ressenti entre ses bras était totalement inédit et bouleversant pour elle !
De nouveau, elle se crispa en l’entendant quitter sa chambre pour descendre au rez-de-chaussée, ne se détendant à demi que lorsqu’elle entendit claquer la portière de la B.M.W. et gronder le moteur.
Il partait ? Tant mieux ! Si seulement il pouvait ne jamais revenir !
Livvy arpentait la cuisine avec nervosité. Il y avait près d’une heure que Richard Field était parti. Ou était-il allé ? Et quand reviendrait-il ?
Mé*******e d’elle-même, elle finit par s’immobiliser en se demandant pourquoi elle se souciait de lui… N’aurait-elle pas mieux fait d’ignorer sa présence et de profiter de son temps, comme prévu ?
La jeune femme avait réalimenté l’antique cuisinière, défait ses bagages et rangé ses affaires, exception faite de la nettoyé la cuisine et sa chambre et exploré la maison pièce occupée par Richard Field. Ainsi que Gail l’avait affirmé, la demeure était vaste et en bon état. Mais il y avait beaucoup de travaux d’aménagement à accomplir.
La vieille salle de bains ne suffira jamais à toute la famille, avait-elle expliqué entre autres. J’ai dit à George qu’il nous faudrait au moins deux cabinets de toilette supplémentaires. J’en ai déjà parlé à l’installateur local, un cousin de M. Dubois. Livvy, j’aimerais que tu ailles le voir pour lui rappeler que je tiens à commencer les travaux le plus vite possible. Tu as ici la liste des éléments que j’ai choisis. Lorsque tu passeras la commande, insiste pour qu’il te donne une date de livraison précise…
En femme organisée, Gail avait également fourni à sa cousine quantité de cartes géographiques et lui avait vanté toutes les choses à voir aux alentours : la ville fortifiée de Rocamadour, le gouffre de Padirac et sa rivière souterraine, fort opportunément nommée le Styx… En l’entendant parler, Livvy s’était réjouie d’explorer cette belle région ; elle avait rêvé de jouir enfin du calme et de la solitude, de se « refaire une santé » à la campagne. A présent…
A présent, elle n’était plus qu’une boule de nerfs, songea-t-elle en se mettant en route.
Tout d’abord, elle se rendit à la ferme voisine, pour se présenter à Mme Dubois et la remercier de sa gentillesse. Connaissant les mœurs paysannes, elle savait qu’elle commettrait un impair si elle ne lui réservait pas sa première visite.
Sa halte suivante eut lieu chez l’entrepreneur, le cousin de M. Dubois. Comme elle s’y attendait plus ou moins, il était sorti ; mais son épouse l’accueillit avec chaleur et l’écouta attentivement tandis qu’elle lui expliquait la mission dont elle était chargée.
Ensuite, s’éloignant du village, Livvy gagna la ville la plus proche. Nichée au cœur d’une région très boisée, la jolie cité s’étirait le long d’une rivière. Tandis qu’elle franchissait en voiture le beau pont de pierre qui enjambait les flots, la jeune femme aperçut une demi-douzaine de pêcheurs, postés sur les rives. George était un passionné de pêche et c’était l’une des raisons qui l’avaient convaincu d’acheter la ferme. Hélas, il semblait aujourd’hui que ni lui, ni Gail et les enfants ne passeraient leurs vacances estivales en Dordogne…
Attristée à cette pensée, la jeune femme se gara pour descendre de voiture, tout en éprouvant un regain d’animosité envers Richard Field. S’il était l’ami de George, il aurait dû l’aider à ressouder son ménage, au lieu de tirer parti de la situation pour le pousser à vendre la ferme à son profit !
Mais il était clair qu’il avait piètre opinion des femmes, songea Livvy. Tandis qu’elle se dirigeait vers la place du marché, elle rougit une fois de plus en se remémorant les propos de Richard Field, et la façon dont il avait réagi lorsqu’elle…
Elle se figea et tenta de dominer un frisson d’angoisse. Cependant, s’évertuant à nier ce qu’elle avait éprouvé, elle se persuada qu’elle avait été victime d’une aberration passagère. Tout cela n’était qu’une erreur de ses sens abusés. Et si, à l’instant même, elle avait encore ressenti un émoi étrange en évoquant le baiser que Richard Field lui avait donné, eh bien, cela n’avait pas de signification particulière…
La petite cité était très paisible. La ville semblait assoupie dans la touffeur de l’après-midi, et seul un petit groupe d’hommes était attablé à la terrasse d’un café, de l’autre côté de la place. Attirée par la fraîcheur ombreuse d’une ruelle, la jeune femme s’y engagea et ne tarda pas à s’arrêter face à la devanture d’une petite librairie.
En Angleterre, elle ne s’était guère souciée de la façon dont elle occuperait ses soirées : elle avait sa rentrée à préparer, une provision de cassettes à écouter ; après avoir passé ses journées au grand air, à visiter la région ou à arpenter la campagne, elle éprouverait le besoin de se coucher tôt, avait-elle pensé.
Bien entendu, c’était avant de découvrir qu’elle devrait partager la ferme avec l’insupportable Richard Field. Tant qu’il serait là, elle ne parviendrait pas à se laisser aller, elle le sentait. Il lui fallait quelque chose pour s’occuper, pour se donner contenance vis-à-vis de lui, et surtout pour bien lui montrer qu’elle ne lui accordait pas le moindre intérêt…
Elle entra donc dans la boutique et en ressortit une demi-heure plus tard après une agréable conversation avec la libraire, lestée d’un paquet contenant les deux romans qu’elle avait acquis. Cela la distrairait pendant une soirée ou deux. Au fond, elle n’avait qu’à s’armer de patience. Richard Field n’allait sûrement pas rester très longtemps, n’est-ce pas ?
La jeune femme se remit en route, mais à mesure qu’elle approchait de sa destination, elle se surprit à ralentir insensiblement. Elle se demanda ce qui lui arrivait. Elle n’avait tout de même pas peur de Richard Field ?
Analysant ses sentiments, elle s’avisa que le jugement qu’il avait porté sur elle l’avait affectée, si erroné fût-il. A moins que ce ne fût l’étrange et violente réaction sensuelle qu’elle avait eue qui lui donnait cette déplaisante sensation de vulnérabilité ? Mal à l’aise à cette pensée, la jeune femme s’engagea dans la cour de la ferme. Elle constata avec soulagement que la B.M.W. n’était pas là.
Garant sa propre voiture à l’abri de l’un des vastes hangars, elle rassembla ses achats et se dirigea vers la maison. Au passage, elle aperçut avec surprise un petit chat famélique qui attendait devant la porte d’un air d’espoir. Machinalement, elle se baissa pour le caresser et il lui répondit par un ronronnement.
Il avait le poil brillant, mais il était très maigre et ses yeux dorés se fixèrent d’un air implorant sur la jeune femme, tandis qu’elle sortait son trousseau de clés pour ouvrir. L’animal venait probablement d’une ferme voisine, songea-t-elle alors qu’elle pénétrait dans la maison et qu’il la suivait à l’intérieur. Elle lui trouvait plutôt l’allure d’un chat vivant en liberté et se nourrissant surtout du produit de sa chasse ; cependant, il semblait avoir tous les instincts d’un chat domestique, car il ne paraissait pas le moins du monde effarouché. Déjà, il se dirigeait vers la cuisinière pour profiter de la chaleur qu’elle dégageait.
La jeune femme n’eut pas le cœur de le renvoyer et, attendrie malgré elle, elle se surprit à lui verser un peu de lait dans une écuelle puis à passer en revue ses provisions, *******e d’y trouver une boîte de sardines à lui donner.
Une heure plus tard, attablée pour savourer l’omelette qu’elle s’était confectionnée en l’accompagnant d’un bon verre de vin local, elle songea que s’il n’y avait pas eu Richard Field, son séjour aurait été proche de la perfection.
La cuisine était tiède et le chat ronronnait en sommeillant devant le feu, non loin d’elle ; dans la pénombre du crépuscule, l’atmosphère à la fois familière et excitante des lieux évoquait pour Livvy la Normandie de son enfance. Elle en venait à prendre conscience de sa profonde nostalgie des plaisirs simples.
Oui, tout cela lui manquait. Et si elle acceptait le poste de directrice-adjointe, elle aurait encore moins de loisirs qu’aujourd’hui. Elle s’était engagée dans la carrière d’enseignante parce qu’elle aimait ce métier, et le dilemme dans lequel elle se trouvait maintenant plongée la déprimait. Comme tout un chacun, elle tenait à progresser dans sa carrière, bien sûr. Mais elle était avant tout une pédagogue, pas une administratrice.
Elle songea à Gail et se demanda si cette dernière avait réussi à entrer en contact avec son mari. Envisageant de lui téléphoner, elle se leva pour débarrasser la table. En emportant son assiette et ses couverts vers l’évier, elle repensa à Richard Field, s’étonnant qu’il ne fût pas encore rentré.
A cette idée, elle ne put réprimer un mouvement d’agacement. Pourquoi diable se préoccupait-elle de ses faits et gestes ? Probablement parce qu’elle n’avait pas surmonté son ressentiment à son égard, se dit-elle en faisant la vaisselle.
Quelques instants plus tard, elle composa le numéro de sa cousine et attendit, fronçant les sourcils à mesure que les sonneries s’égrenaient. Elle finit par se rendre à l’évidence : Gail n’était pas chez elle.
Ayant raccroché, Livvy sortit de son sac la liste de tâches que sa cousine lui avait confiée et s’attabla pour en prendre connaissance. Tandis qu’elle lisait, le chat bondit sur la table en miaulant plaintivement et elle le caressa. L’animal lui répondit par un ronronnement appuyé, puis se pelotonna sans façons sur ses genoux.
Oh, non, pas ça, dit en riant Livvy. Je vais monter me doucher et me coucher tôt. Je crains de devoir te mettre dehors, tu sais…
Le chat ronronna encore plus fort. La jeune femme pensa qu’il ne tarderait pourtant pas à retourner chez ses maîtres, quand elle l’aurait libéré. Il lui manquerait. Sa présence avait quelque chose de réconfortant… Elle se leva, tenant l’animal dans ses bras, et s’avança vers le seuil de la cuisine pour sortir dans la cour. Le bruit d’une voiture, et la lueur de ses phares, la figèrent sur place.
Richard Field était de retour.
Tenant toujours le chat dans ses bras, elle attendit qu’il fît son apparition dans la cuisine. Pendant un instant, il parut presque choqué de la voir. Puis il demanda avec colère :
Personne ne vous a jamais dit qu’il était dangereux de laisser sa porte ouverte ? N’importe qui aurait pu entrer.
Il ajouta d’une voix insinuante, empreinte de cynisme :
Mais vous attendiez peut-être quelqu’un ? Les femmes comme vous ne peuvent pas se passer de coucheries, j’imagine. Encore un amant de passage, comme celui de l’hôtel ?
Machinalement, les bras de Livvy se crispèrent autour de l’animal qu’elle tenait contre elle. Ignorant son léger miaulement de protestation, elle redressa le menton avec fierté. L’insulte de Richard Field l’avait profondément affectée, mais elle refusait de le laisser paraître.
Elle refusait même de dénier ses accusations injurieuses. Elle n’avait rien à lui prouver, après tout ! Cependant, elle fut tentée de rétorquer qu’elle était loin d’avoir souhaité ou provoqué les avances de son agresseur de l’hôtel, et que ce n’était certes pas grâce à lui qu’elle avait échappé à une tentative de viol.
De nouveau, le chat miaula et se débattit entre ses bras. Aussitôt, l’attention de Richard se porta sur lui et il demanda en fronçant les sourcils :
D’où sort cet animal ? 
Je l’ai trouvé dehors en arrivant, si vous voulez le savoir. Bien que ce ne soient pas vos affaires, répondit-elle d’un ton rogue.
Il lui décocha un regard furieux et méprisant à la fois et elle eut la nette impression qu’il souhaitait qu’elle le provoque et le défie.
Vous rendez-vous compte qu’il est probablement plein de puces ?
Livvy ne répondit pas. Pour qui la prenait-il ? Pour une idiote qui allait aussitôt relâcher le chat d’un air horrifié ? Ignorant son adversaire, elle s’avança vers le seuil. A l’instant où elle parvenait près de la porte, Richard lui lança sans aménité :
Où allez-vous ? 
Cette fois, elle fit volte-face, le toisant sans chercher à dissimuler sa colère.
Je libère le chat avant d’aller me coucher, figurez-vous. Et d’ailleurs, mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Vous vous couchez ? Déjà ? Ne me dites pas que vous êtes du genre à vous installer au lit pour lire un bon livre, je ne vous croirais pas.
Et si je vous dis que c’est pour ne pas avoir à passer une minute de plus en votre détestable compagnie, cela vous paraîtra plus vraisemblable ? répliqua-t-elle.
Elle ouvrit le battant, mit le chat dehors et se redressa, inspirant profondément pour recouvrer son calme. L’espace d’un instant, elle eut la tentation de partir séance tenante. Mais elle avait promis à Gail de rester. Et puis, pourquoi se serait-elle laissé intimider et manipuler par cet individu ? Car il cherchait à la manœuvrer, elle le voyait bien. Sans doute croyait-il la victoire à sa portée.
Prenant une profonde inspiration, elle pivota sur elle-même et rentra dans la cuisine.
En passant devant Richard Field, elle s’aperçut qu’il examinait la liste qu’elle avait laissée sur la table. Relevant la tête, il lui décocha un regard cynique et glacial.
Gail fuit la compagnie de son mari, mais elle ne répugne pas à dépenser son argent, à ce que je constate. Voilà bien les femmes.
Mais voyons, c’est George qui…, commença Livvy.
Elle s’interrompit, agacée par sa réaction irréfléchie. Elle n’avait pas à discuter du mariage de Gail avec Richard Field !
Gail a établi ces plans l’an dernier avec l’accord de George, se *******a-t-elle de souligner.
Alors que son mari s’était déjà surendetté pour acheter cette propriété. Je comprends que le malheureux s’en aille cher…
A son tour, Richard se tut brusquement, tandis que Livvy l’observait en silence. Oubliant son ressentiment, elle se demanda comment il pouvait si bien connaître les problèmes financiers de George. Ce dernier n’était pas du genre à se confier facilement. De plus, Richard Field était le type d’individu dont il n’aurait jamais fait son ami. George était placide, accommodant, tout dévoué à sa famille ; Richard méprisait les femmes et n’avait rien de doux ou de bienveillant, tout au contraire. En fait, ils avaient des personnalités diamétralement opposées.
Une autre différence les séparait aussi, que Livvy aurait bien voulu pouvoir oublier… Gail aimait George, indubitablement ; mais elle n’aurait jamais pu prétendre que son mari avait du sex-appeal. George ne possédait pas une once de l’intense sensualité virile qui caractérisait Richard.
Votre cousine a-t-elle pensé une seule seconde à la surcharge financière que l’achat de cette propriété représentait pour George ? demanda brusquement Richard Field.
Gail désirait qu’ils aient une vraie maison de vacances, répondit Livvy, sur la défensive.
Elle se rappela alors les incessantes critiques des autres membres de la famille, qui reprochaient à Gail sa conduite dominatrice. Gail n’aurait jamais délibérément cherché à faire du mal à George, cela, Livvy en était sûre. Cependant, inconsciemment, il n’était pas impossible…
A ce stade de ses pensées, la jeune femme se reprit. Voyons, que lui arrivait-il ? Pourquoi se laissait-elle influencer ?
Une maison pour se pavaner auprès de ses amies, oui, ironisa Richard Field.
Elle voulait que George puisse vraiment se reposer ! Elle voulait l’éloigner de son tyran de patron qui le traite en esclave ! S’il y a des tiraillements dans leur couple, eh bien, c’est lui qui en est la cause. Pas Gail. Ils étaient parfaitement heureux ensemble avant qu’il ne rachète la compagnie.
Livvy s’interrompit. Elle avait le souffle court, le visage empourpré, les nerfs à vif. Elle décocha un regard à son adversaire ; il demeurait figé, l’air impénétrable.
Pas étonnant que ce sale type ait divorcé, reprit-elle. Je ne serais pas surprise qu’il cherche délibérément à briser leur mariage…
Vous ne savez même pas de quoi vous parlez.
La jeune femme se tendit. Quelque chose, dans ses propos, semblait avoir blessé à vif son interlocuteur. Il avait l’air réellement furieux… Elle frissonna, eut un mouvement de recul instinctif.
Votre cousine devrait d’abord examiner son propre comportement, au lieu de rejeter les responsabilités sur quelqu’un d’autre.
Richard Field s’était exprimé d’une voix atone qui amena Livvy à l’examiner avec attention. Sa réaction était si opposée à celles qu’il avait eues jusque-là…
Je refuse de discuter du mariage de ma cousine avec vous, lui dit-elle. Vos critiques envers Gail sont injustes et…
Une nouvelle fois, elle n’acheva pas sa phrase. Il était vain de lui expliquer qu’il méjugeait Gail tout comme il l’avait méjugée elle-même. De toute évidence, il avait un préjugé envers les femmes, en dépit de la sensualité vibrante qu’il dégageait et qui devait les fasciner toutes…
Et… ? dit-il, quêtant la suite. 
Il l’observait avec une intensité perturbante, et elle sentit qu’elle avait raison de ne plus vouloir raisonner avec lui. A quoi bon rouvrir sans cesse les hostilités ? Elle prit le paquet de livres qu’elle avait déposé sur la table et quitta la pièce. Quelques instants plus tard, elle était sous la douche.
Bien qu’il fût à peine 21 heures, elle se sentait recrue de fatigue. Sa tension était due sans aucun doute au stress provoqué par Richard Field, songea-t-elle, regrettant déjà la promesse faite à Gail. Cependant, une petite voix obstinée lui soufflait de ne pas s’en aller, de refuser ce triomphe à son adversaire.
Les accusations qu’il portait contre sa cousine étaient injustes. D’ailleurs, que savait-il vraiment d’elle, puisque Gail ignorait qui il était ? En réalité, son opinion ne pouvait être fondée que sur les propos de George…
Cette déduction perturba la jeune femme. Sortant de la douche, oubliant qu’elle était nue et mouillée, elle s’immobilisa au beau milieu de la pièce tandis qu’elle tournait et retournait cette idée dans sa tête. Habituée à aller et venir chez elle comme bon lui semblait, elle n’avait pas pensé à verrouiller la porte de la salle de bains.
En fait, elle était si préoccupée par la « découverte » qu’elle venait de faire que, lorsque le battant s’ouvrit pour livrer passage à Richard Field, elle dévisagea ce dernier un instant sans mot dire, l’air ailleurs. Jusqu’au moment où il laissa tomber d’une voix peu amène :
Si c’est une invite, la réponse est non… 
S’empourprant alors jusqu’à la racine des cheveux, Livvy se hâta de saisir une serviette et de s’en envelopper.
Vous n’avez pas le droit d’entrer sans frapper, protesta-t-elle d’une voix rauque.
Vous auriez dû fermer la porte.
Si j’avais su que vous viendriez rôder ici comme un… un voyeur, c’est ce que j’aurais fait.
Elle était à la fois gênée et en colère ; démontée aussi, placée sur la défensive malgré elle. Enfin, il s’était forcément aperçu, en ouvrant la porte, qu’elle était là ! Alors, pourquoi ne s’était-il pas *******é de se retirer discrètement ?
Parce que cela n’était pas dans son tempérament, conclut-elle avec amertume. Parce qu’il prenait plaisir à l’humilier. Car, dans la situation inverse, jamais elle ne serait restée plantée à le regarder comme il le faisait…
« Vous n’avez jamais vu une femme nue ? » faillit-elle demander. Elle sentit pourtant que ce serait une provocation dangereuse. Déjà, sa première repartie l’avait exaspéré, elle le sentait. En effet, il s’inclina vers elle, demandant d’une voix insinuante :
Que cherchez-vous, exactement ? Je vous ai déjà dit que vous ne m’intéressiez pas, mais vous ne renoncez pas, on dirait. Pourquoi ? L’idée de faire l’amour avec un homme qui vous méprise vous excite tant que ça ? Ou alors, vous avez tellement envie de coucher que peu importe avec qui ?
Livvy laissa échapper un petit hoquet étranglé. La fureur lui nouait la gorge. Elle avait des tas de choses à dire, de protestations à émettre, de sentiments à livrer ; mais par-dessus tout, elle voulait échapper à Richard Field et à l’humiliation qu’elle ressentait.
Avant de le rencontrer, elle aurait ri d’incrédulité à l’idée qu’un homme aurait pu lui tenir de tels propos. Elle était si éloignée du type de femme qu’il décrivait ! En fait, elle était plutôt réservée et même distante avec les hommes. Et jamais, au grand jamais, elle n’avait éprouvé les besoins lancinants et maladifs auxquels il faisait allusion !
Elle sentit qu’elle chancelait et eut peur de s’évanouir ou de fondre en larmes devant son agresseur. Son cœur battait à se rompre, elle avait des nausées. Surtout, elle se sentait infiniment vulnérable.
Il s’écarta à demi de la porte et elle saisit l’occasion, se ruant presque hors de la pièce tandis qu’elle lui lançait d’une voix dure :
C’est vous qui êtes entré ici, je ne vous ai pas invité. Si l’un de nous deux cherche à coucher, ce n’est sûrement pas moi.
Elle s’élança dans sa chambre sans même lui laisser le temps de répliquer puis demeura un long moment figée, adossée à la porte, tremblante sous l’effet du choc.
Sous la serviette qui l’enveloppait, elle pouvait sentir les battements précipités de son cœur… et le frottement du tissu contre les pointes de ses seins, durcies et dressées, étrangement hypersensibles.

ÏãæÚ ÝÑÍÉ 07-12-08 01:02 PM

merci ma chérie
j'attend la suite avec impatience
ne nous fais pas trop attendre stp

princesse.samara 07-12-08 11:48 PM

Je vous souhaite une bonne suite de lecture

[LEFT]la suite[/LEFT

Livvy dormit fort mal. Ses rêves furent hantés par la figure d’un homme grand et brun aux traits durs, la poursuivant sans cesse, la menaçant d’une façon impalpable… Elle finit par se réveiller en sursaut, la bouche sèche et le cœur battant.
Le clair de lune filtrant par la fenêtre lui rappela qu’elle avait oublié de tirer les rideaux en se couchant. Elle se leva et gagna la croisée à pas silencieux ; se figea en apercevant au-dehors, dans la cour, la silhouette solitaire et immobile de Richard Field.
Il se tenait debout, dos tourné, les mains fourrées dans ses poches, et quelque chose d’indéfinissable amena la jeune femme à rester où elle se trouvait au lieu de se détourner en hâte.
Seul dans la cour éclairée par la lune, il semblait très différent de l’homme qui l’avait harcelée. Moins agressif et hostile. La rude puissance qui émanait de lui semblait comme adoucie, elle aussi.
Tandis que Livvy l’observait, le chat qu’elle avait nourri dans la soirée surgit tout à coup, s’approchant de Richard à petit pas et se frottant amoureusement contre ses chevilles. Elle s’attendait qu’il le chasse mais, à sa grande surprise, il se pencha pour le caresser. Elle s’aperçut qu’il lui parlait et put même distinguer le sourire mélancolique qui incurvait sa bouche.
Cette démonstration inattendue de tendresse et d’humanité amena des larmes dans les yeux de la jeune femme. « Pauvre idiote », se morigéna-t-elle. Elle se hâta de regagner son lit, irritée par son accès de sentimentalisme. Si Richard avait paru humain, et même vulnérable et solitaire pendant quelques instants fugitifs, ce n’était pas cela qui faisait de lui un être moins dur, ou qui modifiait l’attitude qu’il avait eue envers elle. Il ne fallait pas qu’elle se laisse aller à des émotions insidieuses.
Il l’avait insultée et humiliée d’une manière impardonnable. Il n’avait pas fait mystère de la piètre opinion qu’il avait d’elle. Et pourtant, en dépit de tout cela, une partie d’elle-même trouvait moyen de ne pas lui être insensible…
Livvy rabattit les couvertures par-dessus sa tête. « Plus de rêves, cette fois », murmura-t-elle. Elle avait déjà bien assez de mal à supporter Richard Field pendant la journée. Alors, elle voulait au moins en être délivrée pendant son sommeil…
Lorsque Livvy s’éveilla le lendemain matin et vit au-dehors un ciel bleu et sans nuages, elle sourit de plaisir en se rappelant où elle était. Six grandes semaines à passer dans ce paradis campagnard… Quelle bénédiction !
Soudain, cependant, elle se souvint que le paradis en question abritait aussi un serpent sous la forme de Richard Field.
Eh bien, elle ne lui permettrait pas de gâcher ses vacances. Qui sait ? se dit-elle avec optimisme. Il avait peut-être changé d’avis après une bonne nuit de sommeil, mesuré toute la malhonnêteté des projets de George et résolu de partir ? Après tout, c’était là ce que toute personne sensée aurait fait, n’est-ce pas ?
Se remémorant l’incident de la veille, la jeune femme ne s’aventura sur le palier qu’après s’être assurée que la voie était libre et verrouilla la porte de la salle de bains avant de faire sa toilette. Lorsqu’elle descendit au rez-de-chaussée et découvrit que la cuisine était libre de toute présence indésirable, sa bonne humeur s’accrut.
Etant donné qu’elle n’avait pas encore fait de véritables provisions, elle se *******erait de céréales et de café pour le petit déjeuner ; mais elle décida de sortir pour jouir du soleil.
Pour l’instant, la cour n’était pas un lieu particulièrement enchanteur, mais elle n’avait pas besoin de solliciter beaucoup son imagination pour l’imaginer, ornée de pots de terre cuite débordant de fleurs, de jolis bancs patinés par les intempéries et garnis de coussins aux couleurs chatoyantes. Sa vision était si féerique que Livvy se surprit à sourire.
Soudain, un ronronnement l’avertit qu’elle n’était plus seule. Laissant échapper un petit rire, elle alla ouvrir à son visiteur.
Oui, songea-t-elle tandis que le chat se lovait sur ses genoux, elle avait été sotte, la veille, de se laisser démonter par Richard. Le mieux était de l’ignorer. Ainsi, aujourd’hui, au lieu de ruminer en pensant à lui, en s’inquiétant du moment où il surgirait dans les parages et de ce qu’il ferait ou dirait, elle allait tout simplement se détendre et mettre à exécution les agréables projets qu’elle avait formés en Angleterre.
Comme elle avait besoin de faire des courses, elle irait à Beaulieu et en profiterait pour prendre contact avec l’installateur de salles de bains dont Gail lui avait parlé. Une fois cette tâche accomplie, elle serait libre de s’adonner à une activité davantage dans ses goûts. Une promenade à l’aventure dans les rues de Beaulieu, par exemple ; puis une exploration des environs. Si elle partait tôt, elle pourrait disposer ainsi de son après-midi pour cela.
Fermant les yeux, elle se vit installée dans un havre isolé en pleine nature, goûtant un casse-croûte de bon pain frais, de pâté et de fromage local, tandis que, depuis son poste d’observation, elle contemplait le fleuve.
Vous rêvez à votre amant ?
Livvy rouvrit les paupières et lança un regard noir à Richard qui venait de l’arracher à son rêve d’une voix rude. La sentant nerveuse, le chat sauta à terre, faisant aussi tomber le guide qu’elle tenait sur ses genoux. La jeune femme se pencha pour le ramasser, mais Richard la devança. Il fronça les sourcils.
« Les sites naturels et historiques de la Dordogne », énonça-t-il, déchiffrant le titre d’un air ironique. Je n’aurais pas cru que c’était dans votre style.
Furieuse, Livvy lui arracha le livre des mains, ignorant l’étrange frisson, comparable à une décharge électrique, qui se propagea dans son bras au moment où elle effleurait involontairement les doigts de son adversaire.
C’est un jugement arrogant et parfaitement illogique, lui assena-t-elle. Vous ignorez tout de mes goûts et de ma personnalité.
Cherchez-vous à me dire que vous vous intéressez sincèrement à l’histoire de la région…
Je ne cherche rien du tout. Je n’ai aucune envie de perdre mon temps.
J’aurais pensé qu’un centre commercial rempli d’articles coûteux, où vous auriez pu claquer sans complexe l’argent de quelqu’un d’autre, vous intéresserait davantage que ceci, dit Richard.
Il désigna la page à laquelle le guide s’était ouvert lorsque Livvy le lui avait ôté des mains, et où figuraient des photographies des célèbres grottes préhistoriques de la région.
Si c’était le cas, je ne serais pas ici, non ? répliqua Livvy d’un ton léger.
Et elle passa dédaigneusement devant lui pour gagner la cuisine.
Tandis qu’elle pénétrait dans la pièce, elle fut surprise de constater qu’un sentiment inattendu se mêlait à sa sensation de triomphe : elle éprouvait une sorte de pitié pour Richard Field. De toute évidence, c’était un homme riche ; son attitude cynique envers le sexe faible était-elle due à une ancienne liaison avec une femme volage et dépensière ?
Si c’était le cas, eh bien, cela la surprenait, il fallait l’avouer. Il paraissait trop perspicace, trop méfiant, trop dur aussi, pour tomber dans le piège d’une maîtresse vénale ; et même de n’importe quelle maîtresse, d’ailleurs, car, de toute évidence, il n’aimait pas les femmes et s’en défiait comme de la peste.
Cependant, elle était très satisfaite de lui avoir « cloué le bec ». En lui tenant tête, elle avait recouvré un peu de sa dignité. Ce fut d’un pas léger qu’elle monta à l’étage pour prendre sa veste.
Toutefois, elle sentait qu’il faudrait plus qu’un simple succès dans une joute oratoire pour qu’elle parvienne à oublier le baiser qu’il lui avait donné… Mal à l’aise, elle s’immobilisa sur le palier du premier, s’avouant malgré elle que ce n’était pas le baiser lui-même qui l’humiliait, mais la façon inattendue dont elle avait réagi à cette caresse.
Lorsqu’elle redescendit au rez-de-chaussée, Richard Field n’était plus en vue. Mais elle aperçut, posés sur le sol près de la B.M.W., une canne à pêche et des appâts.
Tandis qu’elle s’installait au volant de sa propre voiture, elle ne put réprimer un élan d’envie. Enfant, elle avait connu de grands moments de bonheur auprès de son grand-père, qu’elle accompagnait à la pêche ; elle avait pris plaisir à apprendre tous les trucs et astuces qu’il lui transmettait…
La ville de Beaulieu se révéla plus séduisante encore que les guides ne l’annonçaient, mais Livvy résista à la tentation d’explorer ses rues anciennes. Elle voulait d’abord s’occuper de la tâche que Gail lui avait confiée. Pourtant, elle ne put s’empêcher de vagabonder un peu sur la place du marché, s’arrêtant çà et là pour humer les arômes montant des étalages, admirant le contraste entre les couleurs franches et chaudes des fruits d’un marchand et les teintes pâles et délicates des fleurs de son voisin. Sur une impulsion, elle acheta un bouquet. Il égaierait, pensa-t-elle, la cuisine trop terne ; elle le placerait dans le vieux vase qu’elle avait aperçu dans un coin…
Puis, à regret, elle vérifia l’adresse du plombier recommandé par Gail et se mit en quête de sa boutique.
Elle était située dans une ravissante rue étroite, bordée de maisons anciennes qui semblaient avoir traversé les siècles dans leur état d’origine.
L’homme qui vint la servir, lorsqu’elle eut pénétré dans la boutique, déploya toute la séduction enjôleuse qui, dit-on, caractérise les Français.
Il leur fallut près d’une heure pour parvenir à un accord ferme, après de nombreux coups de fil aux divers fournisseurs. Les travaux pourraient commencer au début du mois de septembre.
L’ayant remercié, Livvy quitta la boutique et il la suivit, tenant le bouquet de fleurs tandis qu’elle logeait dans son sac les brochures et tarifs qu’il lui avait remis. Alors qu’elle se tournait vers lui pour reprendre ses fleurs et le remercier de sa prévenance, à sa grande surprise, il lui fit un baise-main avec des façons très théâtrales. Retenant à grand-peine une envie de pouffer, la jeune femme retira sa main et se détourna, s’apprêtant à partir.
Soudain, elle se figea sur le trottoir en découvrant Richard, posté à quelques pas de là. Il l’observait avec un mépris non dissimulé.
Elle se sentit rougir malgré elle. Quelques instants plus tard, l’artisan était rentré dans sa boutique et elle se retrouva seule dans la rue étroite, face à Richard Field.
Les protestations de ce matin n’étaient que du vent, à ce que je vois, lâcha-t-il en se rapprochant d’elle. On dirait que mon premier jugement était juste, au bout du compte.
Livvy serra les mâchoires. Après avoir interprété de travers la scène de l’hôtel, il récidivait… S’il était capable de voir une relation sexuelle torride dans l’innocent échange auquel il venait d’assister, il avait réellement un tempérament expéditif et porté aux jugements sans appel !
Je connais à peine cet homme, si vous voulez savoir. Il…
Elle n’eut pas le loisir d’aller plus loin.
Et depuis quand cela a-t-il de l’importance, pour une femme comme vous ? C’est l’inconnu qui vous excite, les émois et le danger du risque encouru…
En songeant à sa nature prudente, réservée et même conventionnelle, Livvy fut tentée de lui rire au nez. Mais l’air furieux de Richard la retint.
La tension qu’il dégageait était si forte qu’elle en devenait presque palpable et, d’un mouvement instinctif, Livvy recula, comme si son esprit lui envoyait des signaux d’alarme. Etrangement, cette réaction de sa part sembla accroître la colère de son adversaire.
Il est un peu tard pour jouer les vierges effarouchées, lui dit-il avec mépris. Ce rôle ne vous convient pas du tout.
Soudain aussi furieuse que lui, elle lança d’un ton mordant :
Pour vous, il n’y a que deux sortes de femmes, hein ? Les aventurières du sexe et les vierges, les bonnes et les mauvaises… Eh bien, je vous trouve pitoyable, figurez-vous. On n’a pas idée de se cramponner à des idées aussi antédiluviennes. Pour vous, une femme doit être timide et sans expérience parce que vous ne supportez pas l’idée d’être comparé à un autre.
Vous ignorez tout de moi et de mon mariage.
La jeune femme demeura un instant sans voix. L’information qu’elle venait d’apprendre, étrangement, lui nouait l’estomac.
Vous êtes marié…, dit-elle d’une voix passablement troublée.
Je l’étais, répliqua Richard d’un ton dur. Je ne le suis plus.
A ces mots, elle réaction qu’elle ne comprit eut l’impression d’être délivrée d’un grand poids pas. Que lui arrivait-il ?
Soudain, elle était toute tremblante. Abandonnée par le désir de rébellion, elle souhaitait plutôt pouvoir se réfugier dans un endroit calme et tranquille, où elle serait à l’abri.
Je… je dois m’en aller. Des courses à faire…, lâcha-t-elle.
Et elle se demanda pourquoi elle s’était exprimée d’une façon aussi hésitante, aussi émotive, presque.
Comme son interlocuteur ne tentait pas de la retenir, elle se hâta de s’éloigner. Il ne lui échappa pas, tandis qu’elle s’esquivait ainsi, que son adversaire entrait dans une boutique située à quelques pas, dont la vitrine indiquait en lettre capitales : « Secrétariat informatique, boîtes postales, télécopie. »
Le cœur battant, la jeune femme s’immobilisa à quelque distance et fit volte-face pour contempler le magasin. Pourquoi était-il entré là ? Pour contacter George et l’avertir de ce qui se passait ?
S’il savait comment joindre son ami, c’était en le persuadant de téléphoner à Gail et de régler le différend qui les opposait qu’il aurait le mieux servi ses intérêts. Mais évidemment, un homme tel que lui, monté contre les femmes et le mariage, n’était certes pas l’avocat rêvé pour une réconciliation…
Son altercation avec Richard Field, couplée à la durée de sa visite chez le plombier, avait considérablement rogné le temps que Livvy s’était accordé pour accomplir ses tâches de la matinée. Lorsqu’elle eut enfin achevé ses courses, il était déjà midi et il faisait trop chaud pour rouler longuement en voiture à travers la campagne.
Elle pouvait retourner à la ferme, bien entendu, mais elle n’en avait pas envie pour l’instant. Elle pouvait aussi prendre une boisson à la terrasse de l’un des agréables cafés qu’elle avait vus en ville puis flâner une heure ou deux dans les vieilles rues médiévales de Beaulieu ; cependant, ne risquait-elle pas de tomber sur Richard ?
Se rebellant contre sa propre réaction, elle songea qu’elle n’avait aucune raison d’agir en fonction de lui. S’il s’obstinait à la juger défavorablement parce qu’il n’avait pas surmonté l’échec de son mariage, c’était son problème. Elle n’avait pas à en tenir compte.
Logeant ses achats dans le coffre de sa voiture et se dirigeant ensuite vers un café, elle songea que la déception matrimoniale de Richard Field n’avait rien de surprenant. Tandis qu’elle sirotait l’excellent café noir qu’on lui avait servi, elle se demanda à quoi avait bien pu ressembler son épouse. Etait-ce une jeune femme naïve et inexpérimentée ? Ou au contraire une femme sans scrupules, qui l’avait conduit à juger toutes les autres avec mépris et amertume ?
Elle reposa sa tasse en se renfrognant légèrement. Pourquoi se posait-elle toutes ces questions sur l’ex-femme de Richard Field ? Tout cela ne l’intéressait en rien.
Si ce n’était… si ce n’était que l’homme qui l’avait embrassée avec tant de ressentiment et qui la traitait avec une telle agressivité et un tel mépris était aussi celui qui avait éveillé son désir d’une façon si violente et si inexplicable…
Commandant une seconde tasse de café, Livvy la savoura avec lenteur, s’efforçant de chasser Richard de ses pensées et de profiter du cadre enchanteur qui l’entourait.
Il était environ 15 heures lorsqu’elle rentra à la ferme. La B.M.W. était garée dans la cour, mais son propriétaire n’était nulle part en vue, ainsi qu’elle le découvrit avec soulagement.
Elle logea son bouquet dans le vase qu’elle avait repéré sur un coin du buffet et, tout en accomplissant cette tâche, songea que le joli service provençal qu’elle avait vu dans une vitrine à Beaulieu serait du plus bel effet sur les étagères du vaisselier. Haussant les épaules, elle sourit de ses instincts de femme d’intérieur, qui cherchaient à s’exercer même dans une demeure qui n’était pas la sienne.
La chaleur était moins forte, à cette heure de la journée et, en apercevant le fleuve depuis la fenêtre de sa chambre, un instant plus tard, Livvy fut tentée d’en explorer les abords. Elle quitta donc la ferme et s’engagea sur un chemin qui partait dans cette direction, à travers le terrain boisé.
Le sentier descendait assez abruptement à travers les arbres et bientôt, surgissant hors de l’abri de leurs frondaisons, la jeune femme découvrit la rivière.
Elle était plus vaste qu’elle ne l’avait cru et merveilleusement claire. Si limpide qu’elle pouvait distinguer les petites taches dorées de la truite qui paressait entre deux eaux, non loin du rivage. Cette vision réveilla aussitôt le souvenir de ses parties de pêche enfantines, sur une rivière très semblable à celle-ci.
Souriante, elle remonta le cours du fleuve, s’arrêtant de temps à autre pour contempler le paysage verdoyant et serein qui l’environnait. C’était si paisible, ici…
Soudain, sur une impulsion, elle ôta ses tennis et son jean, nouant son T-shirt au-dessus de ses hanches, et s’engagea dans l’eau en réprimant un sursaut. Elle avait oublié à quel point l’eau de rivière pouvait être froide… Mais peu à peu, tandis qu’elle pénétrait dans les flots, son corps s’accoutuma à la température et le bain devint agréable.
Rien, conclut-elle, n’était aussi délicieux que de s’immerger dans une eau courante et de sentir sous ses pieds le contact lisse des galets polis. D’instinct, sans s’en rendre compte, Livvy recouvrait toutes les sensations de son enfance, se remémorait les heures passées avec ses cousins à édifier des barrages avec les plus grosses pierres pour créer des mares artificielles au détour de la rivière…
La jeune femme s’avança jusqu’au centre du fleuve puis s’immobilisa, scrutant les eaux. Ah, là-bas il y avait un endroit propice : un petit bassin naturel cerné de gros rochers. Avec un peu de chance…
Précautionneusement, elle remonta le long de la rive sans faire de bruit, rejoignant les rochers qu’elle avait repérés. Une fois là, elle s’allongea dessus, s’assurant d’être solidement en équilibre avant de se pencher par-dessus la berge.
Oui, elle avait eu du flair. Là, en bas, une truite paressait à l’abri des rochers, juste sous la tache d’or qu’un rayon de soleil dessinait à la surface des eaux. Retenant son souffle, Livvy se pencha encore. L’astuce consistait à plonger la main et le bras dans l’eau sans faire fuir le poisson. Lentement… délicatement…
Qu’est-ce que vous fabriquez, bon sang ? 
Surprise, elle voulut se retourner et s’aperçut alors qu’elle n’était plus en équilibre sûr et allait tomber. Mais avant que cela ne se produise, deux mains masculines la saisirent par la taille et la tirèrent en arrière, l’amenant à se redresser. Richard Field venait de la remettre debout.
Mais qu’est-ce que vous faites ? lui lança Livvy avec colère en faisant volte-face. Lâchez-moi, à la fin !
Comment ça, qu’est-ce que je fais ? s’écria-t-il. 
Il parut soudain s’apercevoir qu’elle était à demi nue et lui décocha un long regard, tandis que ses mains se resserraient machinalement autour de sa taille. Un long frisson la parcourut. Etrangement, le toucher rude des doigts de Richard avait quelque chose de caressant… Troublée par la conscience aiguë qu’elle avait soudain de la présence de son partenaire inattendu, la jeune femme se raidit.
Pas étonnant qu’il la regarde de cette façon-là, pensa-t-elle en s’empourprant. Elle devait offrir un sacré spectacle, avec sa petite culotte blanche et son T-shirt roulé au-dessus des hanches !
Vous ne pourriez pas éviter de surgir comme ça derrière les gens ? dit-elle. J’aurais pu tomber d…
A vous voir, on dirait que c’est déjà fait, coupa-t-il.
Et, sans qu’elle pût prévenir ou empêcher son geste, il éleva une de ses mains, faisant courir ses doigts sur la courbe de ses hanches humides. Cet effleurement léger et dénué de toute sensualité donna la chair de poule à Livvy, et un cri de protestation étranglé lui monta aux lèvres.
Pendant un instant, elle n’eut pas d’autre pensée que celle du contraste étrange qu’il y avait entre eux : le corps viril et musclé de Richard était moulé dans un jean noir, et un T-shirt noir qui révélait ses avant-bras dorés par le soleil ; ainsi vêtu, il se dressait dans le soleil, tel un dieu noir et or surgi des profondeurs de la nature. Alors qu’elle était presque entièrement dévêtue, et que sa chair laiteuse semblait encore plus vulnérable, ainsi offerte à la vue et au contact de cette divinité virile.
Il parut deviner ce qu’elle ressentait, car il s’écarta brusquement d’elle et la relâcha en demandant :
Que faisiez-vous  ?
Je taquinais la truite, lui répondit-elle. 
Et elle redressa le menton avec défi en lisant de la surprise, puis de l’amusement dans son regard.
Hein ? s’écria-t-il d’un ton moqueur. Et il ne vous est pas venu à l’idée que ce serait plus facile avec une canne à pêche ?
Si j’en avais eu une, je suppose que je m’en serais servie, répliqua-t-elle. Même si l’on m’a appris qu’il faut plus d’habileté pour s’emparer d’une truite à mains nues que pour attendre tranquillement qu’elle vienne s’empaler à l’hameçon.
Beaucoup de pêcheurs s’offusqueraient sans doute de ce que vous venez de dire, observa-t-il.
Il l’examinait toujours, mais il y avait de la curiosité dans son regard, à présent. De la curiosité et de l’intérêt.
Vous aimez pêcher ? demanda-t-il, comme s’il s’attendait presque à un déni de sa part.
Oui, répondit-elle. 
Puis, honnêtement, elle ajouta :
Mais seulement si je peux remettre le poisson vivant dans la rivière. Mon grand-père me sermonnait parce que je refusais de manger nos prises. Aujourd’hui encore, je ne mange pas très volontiers de la truite.
Votre grand-père ? 
Mmm… C’est lui qui m’a appris à pêcher.
Elle s’interrompit en fronçant les sourcils. Pourquoi lui racontait-elle ces choses ? Cela ne risquait guère de l’intéresser. Elle se détourna pour s’éloigner, mais son pied encore humide dérapa sur une plaque de mousse. Se sentant tomber en arrière, elle laissa échapper un léger cri. Aussitôt, Richard fit un pas et la saisit, la tirant en arrière, et elle se retrouva de nouveau entre ses bras.
Immédiatement, elle se figea, clouée sur place.
Levant les yeux vers lui et remarquant l’expression de son regard, elle sut qu’elle venait de commettre une erreur. Car il ne pouvait pas ne pas avoir remarqué le frisson fugitif qui l’avait secouée, ou s’être trompé sur sa nature sensuelle. Oui, elle devinait qu’il savait aussi bien qu’elle ce qu’elle ressentait et la raison pour laquelle son cœur battait si vite…
Elle vit la tête de son compagnon s’incliner vers la sienne. Les lèvres de Richard effleurèrent les siennes, lui arrachant un soupir de volupté.
Olivia…, murmura-t-il. Livvy… 
Au même instant, quelque part derrière eux, dans un arbre, un oiseau poussa un cri aigu. Aussitôt, se rendant compte du caractère provocant de son attitude, la jeune femme se ressaisit et s’écarta de son compagnon, le visage en feu.
Il la relâcha tout de suite et elle se sauva vers l’endroit où elle avait laissé ses tennis et son jean. « Mais qu’est-ce qui m’a pris ? » se demandait-elle. Heureusement, le criaillement de l’oiseau avait rompu l’étrange charme… Sinon…
Elle frissonna, chassant farouchement les visions troublantes qui surgissaient dans son esprit.
Mais qu’est-ce qui m’arrive ? se demanda Livvy tout en essorant ses cheveux avec une serviette. Son visage s’empourpra tandis qu’elle se remémorait la scène de la rivière. Pourquoi avait-il fallu qu’elle cède au désir puéril de se dévêtir et de ressusciter les bonheurs de son enfance ?
Il n’était pas étonnant que Richard l’ait regardée comme il l’avait fait. Il avait dû croire qu’elle avait perdu la tête. Ou bien que… Elle rougit violemment et une expression rêveuse passa sur son visage. Malgré elle, ses lèvres s’entrouvrirent. Puis elle se vit dans le miroir et bannit aussitôt de son esprit les idées étranges qui la possédaient.
Plus tard, habillée et les cheveux nattés, heureuse d’avoir le champ libre dans la cuisine, elle s’assit à la table en se réprimandant sévèrement.
Cette folie insensée ne la mènerait à rien… Toutes ces rêveries dangereuses et coupables à propos de Richard Field… de cet homme si viril qui, pour une raison insaisissable, l’attirait comme un aimant…
Attirée par Richard Field ? Elle ? Allons donc, c’était impossible. Elle était beaucoup trop sensée, elle avait trop les pieds sur terre pour être bouleversée par un homme aussi peu estimable, songea-t-elle en plaçant sur la table la pile de livres qu’elle avait descendue de sa chambre. Elle était venue ici pour se détendre autant que pour travailler et, qu’elle décide ou non d’accepter le poste de directrice-adjointe, elle devait tout de même préparer les leçons du premier trimestre.
Lorsqu’elle avait suggéré de donner aux élèves des cours de conversation française, le directeur s’était montré réticent. Mais à la fin de l’année, comme son initiative avait profité aux élèves, il ne lui avait pas ménagé ses éloges. La jeune femme comptait faire franchir une étape supplémentaire à ses étudiants, à la rentrée. Ayant d’abord envisagé de leur proposer la lecture de romans français modernes qui serviraient de base aux discussions, elle avait changé d’avis, préférant des films vidéo. Il était vain d’attendre que des adolescents s’enthousiasment pour des classiques de la littérature, fussent-ils du XXe siècle. Et si elle en avait tout de même emporté, c’était pour avoir le plaisir personnel de les relire.
Cependant, pour l’instant, elle voulait définir les thèmes qu’elle aborderait à la rentrée. Et ce n’était pas en songeant à Richard, et aux instants vertigineux qu’elle avait vécus pendant ce moment fou où elle l’avait éperdument désiré, qu’elle avancerait dans cette tâche.
S’évertuant à le chasser de son esprit sans y parvenir vraiment, elle se mit au travail et ne s’interrompit qu’une fois, pour avaler une tasse de café noir et une tartine de pain croustillant.
Richard avait dû partir pendant qu’elle faisait sa toilette et se changeait à l’étage. Etrangement, au lieu d’être *******e de pouvoir disposer des lieux, elle se surprit à regretter sa présence, à se demander ce qu’il faisait, avec qui il était…
Lorsqu’il rentrerait, il ne serait sûrement pas très ******* de constater qu’elle avait accaparé la table de la cuisine, pensa-t-elle en contemplant la masse de livres et de documents étalés devant elle. Mais où aurait-elle pu s’installer ? Il n’y avait pas de table dans le salon, et les autres pièces étaient encore très pauvrement meublées. Et puis, elle se sentait plus à l’aise ici, où l’antique cuisinière diffusait une agréable tiédeur et où le chat somnolait en ronronnant devant le foyer.
Pensivement, Livvy se demanda pourquoi Richard était si hostile aux femmes. Elle se doutait que son mariage rompu expliquait au moins en partie son attitude. Il avait dû beaucoup aimer son épouse, pour être encore aussi profondément éprouvé par leur rupture…
Livvy secoua la tête. Les raisons du cynisme de Richard Field et de sa vision des femmes n’étaient pas son affaire et ne devraient jamais le devenir. Et rien ne pouvait justifier l’anxiété qu’elle éprouvait, son incertitude quant à sa capacité à maintenir avec lui une distance raisonnable. Ce n’était tout de même pas à cause d’un instant de trouble sensuel que…
La jeune femme se crispa légèrement en entendant au-dehors le bruit du moteur de la B.M.W. Sa prudence et son bon sens lui intimaient de ramasser ses affaires et de s’esquiver avant que Richard n’entre dans la cuisine. A quoi bon risquer une nouvelle confrontation, une nouvelle dispute ? Ou lui rappeler par sa présence de quelle façon elle l’avait regardé quelques heures plus tôt, en lui laissant clairement entendre, par son expression et son attitude, qu’elle désirait qu’il lui donne un baiser ?
Lorsque la porte de la cuisine s’ouvrit, elle baissa précipitamment la tête vers ses dossiers, pour la relever une seconde plus tard en entendant le bruit sourd de la bouteille de gaz que Richard faisait rouler vers l’autre bout de la pièce après l’avoir déposée au sol.
Pour une raison obscure, elle lui dit avec hauteur :
Vous n’aviez pas besoin de faire ça. Gail s’est entendue avec M. Dubois pour qu’il remplace la bouteille lorsque c’est nécessaire…
Tout cela est très bien, mais apparemment, il a négligé de lui dire qu’il surfacture le prix du gaz et l’installation de la bouteille. Au point d’en faire doubler le prix. On en fait des gorges chaudes dans le garage où j’ai acheté celle-ci. Le garagiste m’a même confié qu’il en a assez de lui fournir des pièces rouillées difficiles à visser pour la connection du une des astuces de M. Dubois pour décourager ses naïfs clients de Butagaz s’occuper de cette tâche et l’accomplir lui-même moyennant finances.
Il est tout naturel qu’il recherche un petit bénéfice, observa pitoyablement Livvy.
Un bénéfice, soit. Mais du vol organisé, c’est une tout autre affaire.
La jeune femme ne sut que répondre. Richard Field, lui, n’en avait pas encore terminé avec sa petite leçon.
Bien entendu, vous, vous avez peut-être un accord spécial avec lui. Une petite « douceur » en échange de ses services, par exemple ?
Le sous-entendu était clair. Frémissante de colère, Livvy se leva d’un bond et s’écria :
Vous n’avez pas le droit de supposer des choses pareilles ! Jamais je ne…
Elle n’alla pas plus loin, se disant qu’elle n’avait aucune raison de se justifier, et encore moins de céder à son envie de pleurer. Luttant pour dominer son accès de faiblesse, elle lança :
Au demeurant, à vous en croire, M. Dubois me prend pour votre maîtresse.
Raison de plus pour qu’il prenne plaisir à vous posséder, répondit brutalement Richard Field.
C’en était trop. Blême d’angoisse, Livvy brandit les bras dans un geste de déni, faisant glisser à terre certains de ses documents sans le vouloir.
Me posséder ? répéta-t-elle avec une véhémence fébrile. C’est là votre idée des relations sexuelles entre un homme et une femme ? Eh bien, je ne suis pas surprise…
Elle se tut brusquement, effrayée par sa réaction et par ce qu’elle avait failli dire. Qu’il la traîne dans la boue, s’il en avait envie ; elle ne s’abaisserait pas à son niveau.
Et vous, quelle est votre idée des relations sexuelles ? demanda-t-il.
Cette question la prit par surprise. Il se tenait debout près du Frigidaire, le visage à demi masqué par la pénombre, et elle ne put déchiffrer son expression.
Un frisson la secoua. Tandis qu’elle fermait les paupières, une vision fugitive surgit dans le corps viril et dur de Richard penché sur son esprit : elle et lui enlacés le sien ; son corps à elle, plus petit et plus pâle, cambré de désir, offert à ses caresses. Epouvantée par ces images, elle se mordit involontairement la lèvre inférieure.
Eh bien ? reprit Richard. 
Sa voix était douce, mais insistante. Très résolue, même.
Pour moi, c’est une union totale entre deux êtres complémentaires ; un partenariat où il n’y a ni désir de domination, ni égoïsme, ni envie de blesser l’autre. J’y vois une expérience unique et privilégiée entre toutes, que trop de gens dénigrent et détruisent.
Livvy avait prononcé ces mots d’une voix vibrante. Elle tremblait de la tête aux pieds, s’avisa-t-elle en se détournant de Richard. Mais que lui arrivait-il ? Elle n’avait pas eu l’intention de lui révéler tout cela. A la pensée de s’être dévoilée ainsi, elle avait presque la nausée. Tendue, sur le qui-vive, elle attendit qu’il la raille, lui fasse part de son mépris. Mais lorsqu’il reprit la parole, ce fut avec une sorte de brusquerie très éloignée de la dureté qu’elle avait prévue ; il s’exprimait d’une voix râpeuse, un peu comme s’il avait la gorge trop sèche.
Il n’y a que les idéalistes naïfs qui ont ces pensées-là.
Encore dominée par son émotivité, Livvy se pencha pour ramasser ses documents, sans s’apercevoir que Richard avait quitté sa place et s’inclinait pour les prendre, lui aussi. La devançant, il les saisit et les examina avant de les lui tendre.
Vous êtes enseignante ?  demanda-t-il.
Il semblait très étonné, et en d’autres circonstances, Livvy n’aurait sans doute pas manqué de s’amuser de sa surprise.
Elle répondit avec calme :
Oui. Pourquoi ? Vous avez aussi quelque chose contre les femmes qui enseignent ? Voyons, laissez-moi deviner. Votre premier professeur était une femme et vous vous êtes senti rejeté parce qu’elle ne vous accordait pas toute son attention…
Certes, coupa-t-il d’un air grave, mon premier professeur était une femme. N’est-ce pas le cas pour chacun d’entre nous ? Et en effet, en un certain sens, elle m’a rejeté. Elle a plaqué mon père lorsque j’avais deux ans pour aller vivre avec son amant. Elle ne voulait pas m’abandonner, mais elle n’avait pas le choix ; c’est du moins ce qu’elle m’a expliqué plus tard. Son amant n’aimait pas les enfants et n’avait aucune envie d’élever celui d’un autre…
Si Richard entendit le petit cri apitoyé de Livvy, il n’en laissa rien paraître, au grand soulagement de la jeune femme, qui se maudissait d’avoir eu des paroles malheureuses. Elle n’avait pas voulu se montrer cruelle ou indiscrète ; elle avait simplement cherché à le punir de la peine qu’il lui avait causée.
Mon père a fait de son mieux, poursuivit Richard, mais il avait une entreprise à diriger, une vie à lui… Au moins, dans l’internat où il m’a envoyé, j’avais des camarades.
Vous étiez en pension ? 
Il lui décocha un regard aigu.
Pourquoi semblez-vous si choquée ? C’était un excellent collège.
Changeant abruptement de sujet, il ajouta :
Qu’est-ce que vous enseignez ? 
Le français. 
Richard avait pris l’un des livres qu’elle avait emportés et en examinait la couverture.
Au départ, c’était pour mon cours de conversation, expliqua Livvy. Mais à leur âge, les élèves ne s’intéressent pas aux classiques. J’ai persuadé le directeur de me laisser leur montrer des films. La projection sera suivie d’un jeu de questions-réponses et d’une discussion.
C’est un lycée de filles ?
Mixte. Il ne sera pas facile de trouver des thèmes qui intéressent autant les filles que les garçons, mais…
Des jeux vidéo, intervint Richard. 
Livvy le dévisagea tandis qu’il se départait de son air renfrogné et qu’un demi sourire inattendu incurvait les coins de sa bouche.
Pardon, fit-il. Je me mêle de ce qui ne me regarde pas, hein ? C’est juste que mes demi-frères et sœurs, qui sont des adolescents, raffolent des jeux informatiques.
Votre père s’est remarié, alors ? demanda Livvy sans réfléchir. 
Et soudain, sans raison précise, elle se sentit le cœur plus léger et se surprit à répondre au sourire de Richard.
Il a fini par le faire, oui.
Et… cela ne vous gêne pas ? 
Non. Ma belle-mère l’a rendu très heureux. Elle a été sa secrétaire pendant de nombreuses années et le connaissait très bien.
Et vous, vous vous entendez bien avec elle?
La jeune femme n’aurait su dire pourquoi elle tenait à poser cette question, pourquoi il lui importait de savoir s’il y avait au moins une femme pour laquelle il éprouvait de la sympathie et du respect.
Comme il hésitait, elle se surprit à retenir son souffle.
Aujourd’hui, oui.
Aujourd’hui ? 
Le sourire de Richard s’était évanoui. Il reprit :
Elle ne voulait pas que je me marie. Elle n’aimait pas ma femme. Si je l’avais écoutée, peut-être que…
Il s’interrompit brusquement et Livvy s’empourpra en réalisant qu’elle se montrait très indiscrète. Mettrait-il cela sur le compte de la curiosité féminine, ou devinerait-il qu’elle avait des motivations plus profondes et personnelles ? A ce stade de ses pensées, elle se reprit. Quelles motivations personnelles, voyons ? N’avait-elle pas résolu de ne pas accorder d’intérêt particulier à Richard Field ?
Je m’entends très bien avec elle, dit ce dernier.
Mais il était devenu plus brusque et son interlocutrice se garda de l’interroger davantage. Du ton le plus léger qu’elle put, elle enchaîna :
Des jeux vidéo… merci pour le tuyau. Vous avez raison. Je n’y aurais jamais pensé toute seule. Ces choses ne m’attirent guère… Mon cerveau ne fonctionne pas de cette manière-là.
Ayant levé les yeux vers lui en achevant sa phrase, elle s’aperçut qu’il semblait surpris.
C’est très honnête de votre part de l’admettre.
Cette fois, ce fut Livvy qui fut étonnée.
Nous avons tous nos faiblesses et nos insuffisances, dit-elle. Je n’ai jamais jugé bon de nier les miennes. J’ai le don des langues, ce qui suppose un certain sens logique ; mais il est très différent de celui qu’il faut pour résoudre des problèmes mathématiques ou devenir un fanatique d’ordinateurs, et d’ailleurs…
Ce n’est pas très féminin. 
Sur ces mots, comme pour mettre un terme à la conversation, il déposa ses documents sur la table et se détourna.
Livvy tenta de s’absorber de nouveau dans son travail, mais insensiblement, son attention se reportait toujours vers l’homme qui œuvrait en silence dans l’angle le plus éloigné de la pièce. Il lui tournait le dos et elle pouvait voir les mouvements de ses muscles, tendus par l’effort sous sa chemise, tandis qu’il desserrait à l’aide d’une clé l’écrou rouillé de la bouteille de gaz usagée.
Un léger frisson parcourut Livvy. Que se serait-il passé, quelques heures plus tôt, si elle ne s’était pas écartée de lui comme elle l’avait fait ?
Brièvement, elle ferma les paupières, imaginant Richard torse nu… Elle entendit son petit grognement de satisfaction, indiquant qu’il était venu à bout de l’écrou, et rouvrit les yeux.
Comment pouvait-elle être excitée à ce point par une vision aussi anodine ? C’était vraiment ridicule. Cela n’arrivait qu’aux très jeunes filles ou aux femmes amoureuses.
Aux femmes amoureuses !
Ce fut un frisson de peur qui fit frémir la jeune femme, cette fois. Amoureuse de Richard Field ? Elle ? Impossible…
Obstinément, elle se concentra sur son travail, s’efforçant d’ignorer la présence de son compagnon à l’autre bout de la pièce.
Pourquoi George s’était-il conduit avec autant d’irrationalité, permettant à Richard de séjourner à la ferme sans en avertir Gail ? Et quant à elle, comment pouvait-elle, fût-ce en imagination, tomber amoureuse d’un homme aussi méprisant et grossier envers les femmes ?
Cet après-midi, il avait un peu levé le voile sur son passé et elle avait entrevu la souffrance qu’il avait dû éprouver lorsqu’il avait été abandonné par sa mère. Soit. Mais rien de tout cela ne pouvait excuser le comportement agressif et injuste qu’il avait envers elle. Et une femme qui se laisserait aller à aimer un homme tel que lui s’acheminerait vers le malheur.
Là, ça devrait aller, dit-il. 
Pourquoi s’était-il rapproché, se penchant maintenant au-dessus d’elle ? Pourquoi ne la laissait-il pas tranquille ? Effrayée par le trouble qui grandissait en elle, Livvy se hâta de dire :
Il faudrait que je téléphone à Gail… Elle voudra savoir comment les choses se sont passées avec le plombier…
Elle s’exprimait avec volubilité pour oublier son propre malaise.
Le plombier ? s’enquit Richard.
Oui… je suis passée le voir ce matin. Gail désire…
C’est avec le plombier que je vous ai vue à Beaulieu?
Oui, effectivement. 
Sur le qui-vive, la jeune femme se détourna vers son compagnon. Il était debout près d’elle, plus près encore qu’elle ne l’avait imaginé. Elle pouvait distinguer l’ombre de sa barbe naissante, sur sa mâchoire, et la petite tache de gras qui lui maculait la joue, après sa lutte avec le vieux système d’alimentation du gaz. Curieusement, cela le faisait paraître plus jeune, plus abordable ; très humain au fond, et même presque vulnérable…
ou plutôt la chatte, car c’était en fait une Le chat paraissait elle aussi affectée par la femelle que Livvy avait recueillie proximité de Richard. Elle se leva, s’étira et vint se frotter contre ses jambes, avec un ronronnement sonore. D’un air presque absent, Richard se pencha pour le prendre dans ses bras.
Tu ne devrais pas être ici, mais dehors, dit-il à l’animal.
De nouveau, il s’était renfrogné, constata Livvy.
J’ai besoin de prendre une douche, déclara-t-il avec brusquerie.
Il reposa le chat à terre, puis il ajouta d’un air tout aussi peu amène :
Est-ce trop demander que de vous prier de libérer un coin de table pour que je puisse prendre mon repas ?
J’aurai fini quand vous redescendrez, répondit Livvy sur le même ton.
Il était si lunatique, si incompréhensible, songea-t-elle ; tantôt presque touchant et tantôt agressif, déplaisant et glacial. Elle se pencha sur ses documents, ne redressant de nouveau la tête qu’après avoir entendu la porte se refermer derrière lui.
Une douche, avait-il dit. Une fois encore, elle s’embrasa à la vision imaginaire du corps nu de Richard et, aussitôt, refoula cette image dont l’effet dévastateur la perturbait.
Quant à toi, traîtresse, dit-elle à la chatte qui venait de bondir sur ses genoux, tu n’as pas le moindre goût, sais-tu ? Pas le moindre sens de la solidarité féminine. Sinon, tu l’aurais griffé, au lieu de te frotter à lui comme une enjôleuse en pâmoison.
J’ai oublié ma veste, dit la voix de Richard, derrière elle.
Livvy s’empourpra jusqu’à la racine des cheveux. Il avait sûrement écouté son commentaire… Elle ne l’avait absolument pas entendu revenir et n’allait certes pas se retourner pour lui donner la satisfaction de constater qu’elle était rouge comme une pivoine.
L’intonation amusée de sa voix, lorsqu’il avait parlé, suffisait amplement à l’humilier…
Des milliers d’années d’érosion ont eu raison des parties les plus tendres de la roche. Ces grottes en sont le résultat, expliqua le guide.
Ont-elles été habitées ? lui demanda Livvy tandis qu’il faisait une pause pour permettre aux visiteurs d’examiner l’immense caverne créée par la nature.
Ici, sous la surface, il régnait un froid glacial, en total contraste avec la chaleur du dehors. Mais Livvy s’était vêtue en conséquence pour cette équipée.
Alors qu’elle écoutait avec intérêt la réponse du guide, elle en vint à songer que, dans l’ex-Yougoslavie ravagée par la guerre, les habitants étaient contraints de vivre dans les grottes où leurs parents et grand-parents s’étaient réfugiés pendant la Seconde Guerre mondiale. Et elle se demanda ce qu’elle aurait ressenti si elle avait dû faire son « foyer » d’un lieu aussi peu accueillant.
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ÏãæÚ ÝÑÍÉ 07-12-08 11:51 PM

merciiiiiiii
j'attend la suite !!!
merci encore et 3id mobarak pour toi et toute ta famille

princesse.samara 08-12-08 09:33 PM

merci pour l'encouragement et 3ide mobarak a vous et a votre famille et a tout les membre de site liilas

ÏãæÚ ÝÑÍÉ 10-12-08 09:54 PM

de rien ma chérie
merci a toi aussi
et j'attend la suite

princesse.samara 12-12-08 02:43 PM

La suite

Plusieurs tunnels s’ouvraient sur la galerie principale et elle imaginait assez bien le labyrinthe de passages et de cavernes qui constituait ce monde souterrain. Des endroits tels que celui-ci l’avaient toujours fascinée et rebutée à la fois. Elle se souvenait encore de sa première visite à Inglewhite, dans son pays ; de son étonnement mêlé d’effroi devant les énormes stalactites et stalagmites. Mais ce qui l’avait le plus impressionnée, c’était le lac, si profond que personne n’en avait jamais sondé les abîmes, et si glacé que le plus aguerri des plongeurs ne pouvait rester bien longtemps sous sa surface.
Le guide les menait à présent à travers un étroit couloir. C’était un jeune étudiant en géologie, enthousiaste naïf mais captivant.
Je n’aimerais pas me trouver là-dedans pendant une inondation, commenta quelqu’un.
Et Livvy perçut l’élan de peur qui s’emparait du groupe.
Nous sommes en sécurité, ici, assura le guide en souriant. Il y a d’autres endroits de ce réseau souterrain qui sont dangereux, cependant. Les visiteurs n’y sont pas admis, bien entendu…
Tandis qu’il expliquait les consignes de sécurité, la jeune femme laissa vagabonder ses idées.
Ce matin-là, lorsqu’elle était partie, Richard avait déjà quitté la ferme. Tant mieux, avait-elle songé. Elle n’était pas fâchée, au bout du compte, qu’il ait autant de préjugés à son endroit. Sinon… Sinon quoi ? Ce n’était tout de même pas pour un simple baiser que…
Bouleversée par le tour que prenaient ses pensées, elle les refoula aussitôt et s’attacha à suivre les propos du guide, qui décrivait à présent les diverses étapes géologiques de la formation des grottes. A ce moment-là, un autre groupe de visiteurs arriva dans la grande caverne : des enfants bruyants, tout excités par l’écho que leurs voix faisaient naître dans les profondeurs des lieux. Livvy éprouva un élan de sympathie pour la jeune femme à l’air tendu qui les accompagnait, et qui était certainement leur professeur.
L’un des garçonnets, marchant le nez levé vers la voûte, heurta accidentellement Livvy. Lorsque son professeur se précipita pour le gronder et s’excuser de sa maladresse, Livvy lui sourit avec sympathie.
Ne vous inquiétez pas, dit-elle. Je sais ce que c’est.
Vous êtes enseignante ? demanda la  jeune femme.
Elle avait à peu près l’âge de Livvy, était toute petite et très française d’allure, avec ses cheveux bruns coupés court, sa chemise blanche et son jean, ses mocassins de cuir souple. Non sans un élan de jalousie, Livvy songea qu’elle n’aurait jamais eu l’air aussi chic dans une telle tenue.
Oui, bien que mes élèves soient sensiblement plus âgés, répondit-elle.
Elles bavardèrent quelques instants et ce fut seulement lorsque la Française se présenta et s’enquit de la matière qu’enseignait Livvy qu’elle prit conscience de ne pas avoir affaire à une compatriote. Son étonnement flatta Livvy, qui s’empressa cependant d’expliquer les raisons de son excellente connaissance du français, révélant ses origines et ses fréquents séjours dans le pays.
Son interlocutrice s’appelait Marie-Louise Fermier et avait recommencé à enseigner à mi-temps après la naissance de son fils, expliqua-t-elle. Quand elle sut que Livvy séjournait dans les environs, elle lui proposa aussitôt de venir la voir à l’école.
Nous pourrions déjeuner ensemble. Ça me ferait très plaisir.
Livvy accepta avec enthousiasme. Sa collègue était sympathique, et il ne lui déplaisait pas non plus de voir de près comment on pratiquait l’enseignement en France.
Demain, ça te conviendrait ? demanda Marie-Louise. En fait,  c’est mon dernier jour de classe. Après, ce sont les grandes vacances.
Livvy accepta et, une fois que Marie-Louise, dont l’école se trouvait tout près de Beaulieu, lui eut indiqué comment l’y rejoindre, les deux jeunes femmes se Livvy s’empressant de rejoindre son groupe, qui s’était déjà séparèrent éloigné.
Elle aurait plaisir à échanger son point de vue avec Marie-Louise et se sentait soulagée d’avoir un projet qui lui permettrait d’oublier Richard, et les émotions perturbantes qu’il éveillait.
Tu es venue en France seule ? avait demandé Marie-Louise.
Et Livvy car c’était la vérité, n’est-ce pas ? Bien sûr, s’était empressée d’acquiescer sur le plan strictement technique, Richard Field partageait la même maison qu’elle…
La journée a été bonne ?
En entendant cette question, Livvy ne put dissimuler son étonnement et se tourna vers Richard.
Il était entré dans la cuisine quelques minutes auparavant et, bien qu’elle eût fait mine de ne pas l’avoir remarqué, elle se sentait si sensible à sa présence que cela lui mettait les nerfs à vif. Elle n’aurait pas eu de réaction plus impulsive s’il l’avait touchée, pensa-t-elle, sur le qui-vive. C’était tout de même ridicule !

Oui, excellente. Et vous ? répondit-elle sans le regarder.
Je suis allé à la pêche. 
La jeune femme sentit une rougeur diffuse envahir ses joues. Le mot « pêche » n’évoquait en soi rien d’érotique, et pourtant, lorsque Richard l’avait prononcé, elle avait éprouvé le plus étrange et le plus intense des émois sensuels.
Un instant, elle recouvra les sensations qu’elle avait ressenties au bord de la rivière, alors qu’elle se tenait debout auprès de lui sur la pierre, le cœur battant, les sens exacerbés par sa présence, par son contact, par sa bouche si proche de la sienne…
Et vous, où êtes-vous allée ? 
Euh…, balbutia Livvy.
Elle avait le vertige, tant elle était troublée. « Reprends-toi, bon sang », se dit-elle. Si la voix de Richard avait eu, pour une fois, des intonations douces et gentilles, presque taquines, comme s’il se remémorait lui aussi la scène de la rivière, ce n’était pas une raison pour perdre la tête comme elle le faisait…
J’ai visité les grottes.
Moi, je pense aller à Cahors, demain, lui dit-il.
A sa profonde surprise, il ajouta :
Vous aimeriez peut-être venir avec moi. Nous pourrions déjeuner quelque part…
Désarçonnée, abasourdie par le choc, Livvy le dévisagea un instant sans mot dire. Puis elle finit par énoncer :
Non… non, je suis désolée, je ne peux pas. J’ai déjà d’autres projets… je déjeune avec quelqu’un…
Elle se rendit compte qu’elle bredouillait, mais à sa place, n’importe qui en aurait fait autant, sans doute. Il était inouï que Richard lui propose de passer quelques heures en sa compagnie, lui qui l’avait toujours traitée avec tant de mépris !
Tandis qu’il la regardait et que son visage se fermait peu à peu, reprenant une expression hostile et dure, elle réprima difficilement une envie de s’écrier qu’il se méprenait du tout au tout… qu’elle n’avait pas voulu refuser son invitation, mais avait été dominée par son sentiment de surprise.
Je vois…, lâcha-t-il. 
Il se détourna et s’en fut, mettant de nouveau de la distance entre eux. Livvy réprima son désir de le rappeler. Ce qu’il pensait était évident : il était persuadé qu’elle avait rencontré un homme et s’était arrangée pour le revoir… Elle éprouva une douleur sourde, à laquelle elle refusa pourtant de céder. Ne valait-il pas mieux qu’il ait une piètre opinion d’elle ? Ne valait-il pas mieux ignorer ce désir ridicule d’entendre une fois encore l’inflexion presque tendre que sa voix avait eue… et qui n’était bien sûr qu’une illusion, née de son imagination exacerbée ?
Après tout, il était impossible qu’il éprouve la moindre tendresse envers elle, elle le savait.
Le déjeuner a été excellent, j’imagine?
Livvy se raidit en percevant l’intonation sarcastique de Richard Field.
Elle était rentrée à la ferme vingt minutes plus tôt, pour découvrir qu’il était revenu avant elle.
Oui, en effet, répondit-elle. C’était très agréable.
En disant cela, elle se reprocha de chercher à le provoquer, et se demanda pourquoi elle se comportait avec aussi peu de sang-froid chaque fois qu’elle avait affaire à lui.
Elle savait fort bien de quelle façon il croyait qu’elle avait occupé son « repas ». Avait-elle donc l’air de revenir d’une rencontre torride avec un homme, et non d’un sympathique déjeuner en compagnie d’une amie, suivi d’une passionnante discussion sur les diverses méthodes pédagogiques ?
Et le vôtre ? lui lança-t-elle pourtant.
Le regard qu’il lui décocha lui fit comprendre qu’elle avait poussé le bouchon trop loin.
Oh, bon sang ! s’exclama-t-elle avec humeur. Ecoutez, je sais ce que vous pensez, mais vous vous fourvoyez entièrement. J’ai déjeuné avec une femme… une consœur. Nous avons sympathisé hier, pendant que je visitais les grottes. Elle m’a invitée à venir voir son école.
Comme il restait impassible, elle haussa les épaules et poursuivit d’un ton agacé :
Très bien, ne me croyez pas si ça vous chante… je m’en fiche.
Pourquoi ne m’avez-vous rien dit hier ?
Livvy se détourna, mal à l’aise. Elle ne savait que trop pourquoi elle ne l’avait pas détrompé, et n’ignorait pas non plus qu’elle ne consentirait jamais à révéler ses véritables motivations. Comment en effet aurait-elle pu primitifs, ataviques, dire à cet homme que tous ses instincts de femme impossibles à maîtriser, la mettaient en garde contre lui ? Lui soufflaient qu’il serait périlleux de se laisser apprivoiser ? Oui, elle trouvait plus sécurisant d’être prise pour une « femme facile » ; cela érigeait entre eux une barrière infranchissable, qui la protégeait contre la séduction retorse que Richard exerçait sur elle.
Elle haussa donc de nouveau les épaules, laissant tomber :
A quoi bon ? 
Comme il gardait le silence, elle ajouta :
Ça ne m’a pas paru important. 
— Ah oui ? Alors, pourquoi me le dites-vous maintenant ?
Richard avait l’esprit vif, il fallait bien l’admettre, songea Livvy, prise au dépourvu.
Sans raison précise, mentit-elle. 
Il lui adressa un regard si railleur qu’il eut raison de son insouciance feinte.
Très bien, je vais être franche. Je n’aime pas être méjugée, prise pour une sorte de… de… de nymphomane.
Ce que vous voulez dire, c’est qu’il vous déplaît que je sache la vérité sur votre compte, rétorqua Richard sans indulgence.
Ah, en voilà assez, à la fin ! s’écria Livvy. Ce que vous avez vu à l’hôtel n’est pas du tout ce que vous imaginez… Je sais que vous ne voudrez pas me croire… que vous avez un problème qui vous empêche de considérer les femmes autrement que sous le jour le plus défavorable et en fonction des préjugés les plus ridicules… Mais l’homme avec lequel vous m’avez vue ne bénéficiait ni de mon consentement, ni de mon désir. Loin de là ! Il m’avait suivie et agressée par surprise en empruntant l’issue de secours. Ce que vous avez pris pour un duo sensuel était en réalité une tentative de viol. Ce n’est certes pas grâce à vous qu’elle a échoué ! Franchement, je me moque de ce que vous pensez, mais je vous conseille vivement d’apprendre à décoder les signes qui indiquent si une femme accepte ou non les avances d’un homme ! Si j’avais voulu de ce… de ce porc, croyez-vous vraiment que je lui aurais permis de me brutaliser de cette façon, en public ? Mais bien entendu, vous faites sans doute partie de ces hommes qui prétendent qu’une femme qui se fait agresser a toujours une part de responsabilité et…
Non, c’est faux ! 
La véhémence de cette protestation réduisit Livvy au silence ; sa colère retomba d’un coup, la laissant étrangement affaiblie et proche des larmes.
Elle n’avait pas voulu se livrer ainsi, laisser voir combien l’attitude de Richard la blessait ; à présent, dans le silence soudain qui régnait dans la cuisine, elle regrettait d’avoir parlé.
Avec lassitude, elle songea qu’il ne la croyait sans doute pas. Il était certainement trop habitué au confort de ses préjugés hostiles pour accepter de les remettre en cause.
Elle se détourna, se dirigeant vers le seuil.
Pourquoi n’avez-vous rien dit, ce jour-là ?
La jeune femme s’immobilisa et, sans se retourner, demanda d’une voix rauque :
Dit quoi ? « S’il vous plaît, aidez-moi. » 
Et cette fois, se détournant à demi, elle lui adressa un sourire amer.
Ce fut en parvenant sur le seuil qu’elle sentit les mains de Richard se poser sur ses épaules. Tandis qu’il la faisait pivoter sur elle-même, l’amenant face à lui, elle se tendit de nouveau. Il était crispé, lui aussi. Cela se voyait au pli de sa mâchoire ; cela se sentait à la chaleur qui émanait de lui.
Cela vous plaît, hein ? demanda-t-il entre ses dents serrées. Vous êtes *******e de me tourmenter… de…
Il s’interrompit en entendant le petit cri étranglé de Livvy.
Mes bras… vous me faites mal…, protesta-t-elle.
Pourtant, c’était le choc plus que la douleur qui la faisait trembler, ainsi que le contact des mains de Richard, sa chaleur et sa force, qui provoquaient en elle des sensations bien éloignées de celles qu’elle prétendait ressentir.
Excusez-moi. 
Il semblait en pleine confusion, amer, et même angoissé, semblait-il. Le regard de Livvy se posa sur la bouche de son compagnon et une émotion intense la submergea. Elle dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas clore les paupières et se laisser aller vers lui, tête renversée en arrière, lèvres offertes.
Très vite, elle s’écarta de lui en priant le ciel qu’il n’ait pas deviné ce qu’elle ressentait.
Peut-être avait-il raison, au bout du compte. Peut-être était-elle à son insu une femme sans vergogne et sans pudeur. A moins que ce ne fût lui qui possédât une sorte de pouvoir magique, qui l’avait transformée du tout au tout et la rendait incapable de lui résister.
« Ça s’appelle de l’attirance physique », pensa-t-elle dans un élan de lucidité, tandis qu’il s’éloignait de quelques pas, la laissant libre d’ouvrir la porte et de s’éclipser.
De toute évidence, il n’avait pas cru un mot de ce qu’elle avait dit.
Et c’était probablement aussi bien.
Alors, tu n’as pas encore réussi à joindre George ? demanda fébrilement Livvy à Gail.
Tandis que la porte de la cuisine livrait passage à Richard, elle rapprocha le récepteur de son oreille pour qu’il ne puisse deviner à qui elle parlait.
Il y avait près d’une semaine, à présent, qu’ils étaient tous deux arrivés à la ferme et à mesure que le temps passait, la jeune femme était de plus en plus désireuse de voir se dénouer la situation. Ce n’était pas parce que Richard la perturbait ; ou parce qu’elle était de plus en plus troublée par sa virilité et les émotions nouvelles qu’elle éprouvait, non… C’était pour le bien de Gail. N’est-ce pas ?
Tout en songeant cela, elle se surprit pourtant à se détourner légèrement pour regarder Richard, qui se mettait en devoir de préparer du café.
George m’a téléphoné hier du Japon, expliqua Gail. Mais il a raccroché avant que j’aie pu aborder la question de la ferme. J’ai bien envie d’aller dire deux mots à Robert Forrest. Je me demande à quoi il joue… George a des responsabilités envers les siens, pas seulement envers son entreprise.
Livvy fronça involontairement les sourcils en percevant le léger tremblement de la voix de Gail. De toute évidence, sa cousine était plus angoissée qu’elle n’avait bien voulu l’admettre au départ.
Livvy, je ne sais vraiment plus quoi faire, avoua-t-elle en effet. George ne s’est jamais comporté comme ça. Il a toujours placé sa famille en premier. Je sais que son job est important… mais il a manqué la séance de fin d’année du conseil d’orientation, pour les enfants, et ça ne lui était jamais arrivé. Les garçons étaient perturbés par l’absence de leur père. Roderick m’a même demandé si… si nous allions divorcer. Je lui ai répondu que non, mais vu que George n’est pratiquement jamais à la maison, nous pourrions aussi bien être séparés.
Sous l’intonation véhémente de Gail, Livvy percevait des accents d’étonnement et de chagrin. Sa cousine tenait à George et elle avait besoin de lui, c’était clair.
L’autre est toujours là, j’imagine, reprit Gail en changeant de sujet. J’espère que tu lui as bien fait comprendre qu’il n’aurait jamais la ferme sans mon consentement. Franchement, ce type est têtu comme une bourrique…
Il connaît la situation, coupa Livvy, consciente du fait que Richard risquait de percevoir les propos de Gail.
Mmm… Eh bien, quand George rentrera, il va m’entendre ! Il aurait dû m’en parler, bon sang. Donner une clé à cet individu sans me mettre au courant, sans tenir compte de la situation où il te plaçait… C’est tout de même un comble !
George ignorait que je devais venirici, intervint Livvy, poussée par son honnêteté foncière.
Puis, changeant délibérément de sujet, elle enchaîna :
Au fait, je crois que tout est pratiquement réglé avec le plombier. Je lui ai demandé de t’envoyer le devis. Mais j’ai l’impression que ça va coûter cher. Vu les circonstances, tu ferais peut-être mieux d’attendre…
Attendre ! Je ne fais que ça avec George ! coupa Gail. Non merci. Bon, écoute, je te téléphonerai dès que j’aurai pu discuter avec lui et comprendre ce qui se passe. Pour l’instant, je dois te laisser : j’accompagne Roderick à son cours de tennis.
Lorsque Livvy eut raccroché, elle précisa sans nécessité à Richard que c’était Gail qui venait d’appeler.
L’odeur du café qu’il venait de faire vint lui titiller les narines, mais elle n’osa pas lui en demander une tasse. Sans en discuter entre eux, ou établir de règles de conduite, ils avaient instauré une sorte de routine tacite, qui les amenait à être aussi peu que possible en contact l’un avec explorant l’autre. Richard passait le plus clair de son temps hors de la ferme la région, sans doute. Aujourd’hui, cependant, il n’était pas sorti.
Comment va-t-elle ? lui demanda-t-il soudain. 
Sa question la surprit et elle le dévisagea, quêtant les signes d’irritation ou d’hostilité qu’elle avait toujours lus sur son visage lorsqu’il était question de sa cousine. Non sans étonnement, elle n’en discerna aucun.
Elle est bouleversée et inquiète, lui dit-elle posément, renonçant à esquiver la discussion. Elle commence à comprendre qu’elle ne peut vraiment pas se passer de George. Les garçons se sentent privés de leur père, eux aussi… J’ai l’impression qu’elle est vraiment désespérée. Elle parlait même de joindre le patron de George…
La jeune femme s’interrompit en voyant se rembrunir son compagnon. Aussitôt sur la défensive, elle reprit :
Vous devriez pouvoir comprendre qu’elle ait besoin de parler à George. Je sais bien que vous avez piètre opinion du sexe « faible », mais Gail est la femme de George et elle a le droit…
Elle s’interrompit en voyant qu’il se détournait, et un élan d’indignation la traversa. Il aurait au moins pu se montrer courtois, au lieu de lui tourner le dos. Même si ses propos lui déplaisaient ! Cependant, avant qu’elle ait eu le temps de lui reprocher son impolitesse, il avait saisi une deuxième tasse et y versait du café. Quand il se retourna enfin et la lui tendit, elle en resta bouche bée.
Tenez. Si nous allons avoir une discussion en règle sur le mariage en général et celui de votre cousine en particulier, autant que vous avaliez un petit remontant. Pendant que vous buvez, ça me donnera au moins la possibilité de développer mon point de vue.
Livvy le dévisagea d’un air interdit. On aurait dit qu’il se réjouissait d’avoir une joute oratoire avec elle… d’être avec elle. S’efforçant de dominer la sensation de vertige qui s’emparait d’elle, de revenir à des pensées rationnelles, elle observa :
En tant qu’épouse de George, Gail est en droit d’attendre qu’il discute de ses projets avec elle. Qu’il partage…
Partager… On voit bien que vous n’avez jamais été mariée, ou engagée dans une longue relation avec quelqu’un. Interrogez ceux qui en ont vécu une : ils vous diront bientôt que seuls les idéalistes s’imaginent qu’un couple est basé sur le partage. En réalité, il n’y est question que de pouvoir et d’ascendant. Gail domine George et leur relation de couple. Et en ce moment, ayant peur que George échappe à son contrôle, elle panique.
C’est faux ! s’écria Livvy.
Le cynisme de Richard l’épouvantait. A quoi son mariage avait-il bien pu ressembler, pour qu’il soutienne de telles choses ? Il n’avait certes pas dû connaître une union heureuse.
Gail aime George, même si elle ne le montre pas toujours. Elle passe pour la plus forte, la plus assurée des deux, mais en fait…
Allons donc ! Elle le traite comme un enfant, lui donne des ordres et l’humilie en public. C’est comme ça qu’on montre son amour à quelqu’un ?
Bon, j’admets qu’elle est parfois plutôt dominatrice. Mais ce n’est qu’une façade. Au fond d’elle-même…
Il faut croire que vous êtes une incurable romantique, si vous pensez ça, coupa Richard.
Une incurable romantique. Moins d’une semaine plus tôt, il l’avait accusée d’être exactement le contraire. Comme s’il s’en souvenait, lui aussi, il ajouta avec brusquerie :
Au demeurant, il n’est pas étonnant que vous soyez du côté de Gail. La solidarité féminine joue à plein.
Je ne cherche pas du tout à la défendre. J’essaie simplement de vous faire comprendre qu’elle a besoin de son mari.
Sur le plan financier, soit. En revanche… 
Cela n’a rien à voir avec l’argent, voyons ! C’est affectivement qu’elle a besoin de s’appuyer sur lui. Mais bien entendu, vous ne pouvez pas comprendre. Vous semblez obsédé par l’argent, résolu à croire que c’est le pivot d’une relation. Eh bien, moi, pour ma part, je ne placerais jamais l’argent avant…
Avant quoi ? demanda doucement Richard. 
Livvy comprit tout à coup qu’elle s’était aventurée sur un chemin périlleux. Cependant, elle refusa de battre en retraite.
Avant mes sentiments, soutint-elle en redressant le menton d’un air de défi.
Son interlocuteur se mit à rire.
Alors, si vous vous engagiez exclusivement envers un homme, ce serait par amour ?
Eh bien, oui. 
Il la regarda longuement, avant de commenter d’un ton rude :
De deux choses l’une : ou vous mentez, ou vous êtes d’une naïveté confondante. Et sachant ce que je sais sur les femmes…
Il n’acheva pas sa phrase. C’était inutile, songeait amèrement Livvy une demi-heure plus tard, tandis qu’elle quittait la ferme en voiture.
Mais aussi, pourquoi s’était-elle livrée de cette manière ? Ne savait-elle pas à quoi s’attendre de sa part ? Il semblait ne plus la considérer comme une fille facile et une allumeuse. Cependant, rien ne pouvait, sans doute, l’amener à remettre en cause ses préjugés injustes envers les femmes en général.
Tout en s’engageant sur la départementale, Livvy s’avoua qu’elle avait eu elle aussi une attitude tendancieuse. Il n’avait guère apprécié son ultime défi, lorsqu’elle lui avait lancé que si son mariage à lui s’était soldé par un échec, cela ne signifiait pas que le bonheur était impossible dans un couple.
Que savez-vous de mon mariage ? lui avait-il lancé avec agressivité.
Rien de plus que ce que vous m’en avez dit, je l’admets. Mais visiblement, ça n’a pas marché. Votre femme…
Ma femme ne m’avait épousé que pour une seule raison, qui n’avait rien à voir avec l’amour. Elle avait déjà prévu notre contrat de divorce avant même que nous ayons consommé notre union.
L’amertume de Richard l’avait réduite au silence et elle n’avait pu dissimuler sa compassion. Elle avait beau être en désaccord total avec ses idées, elle ne pouvait qu’éprouver de la sympathie pour lui en songeant à la souffrance qu’il éprouvait sans doute, bien qu’il la dissimulât sous une attitude brusque et rude.
Vous deviez vraiment l’aimer, avait-elle lâché presque sans y penser.
Aussitôt, elle avait compris qu’elle avait commis un nouvel impair. Il lui avait décoché un regard embrasé, où flambaient la désillusion et la souffrance.
Je croyais en effet que je l’aimais, et qu’elle m’aimait aussi. Je me trompais. Ce que je prenais pour un sentiment amoureux s’apparentait plutôt à du désir, en réalité ; seulement, j’étais trop jeune et trop idéaliste pour m’en rendre compte.
Le ton de sa voix avait fait frissonner la jeune femme. « Alors, pourquoi l’avez-vous épousée ? » avait-elle failli lui demander. Pourtant, la prudence l’avait emporté sur la curiosité, et elle s’était tue.
Je sais ce que vous pensez, lui avait-il lancé. Eh bien, allez-y, dites-le.
Elle avait rougi ; puis, reposant sa tasse de café et s’apprêtant à se retirer, elle avait déclaré posément :
Ce ne sont pas mes affaires.
Sûrement pas, en Elle avait aussitôt balayé cette éventualité. Elle, jalouse du pouvoir de séduction de l’ex-femme de Richard ? C’était absurde !
*
* *
Elle fit ses courses et s’arrêta effet, mais je vais vous le dire quand même. Sexuellement, c’était la plus…
Livvy avait baissé la tête. Cela lui avait fait mal, d’entendre Richard s’exprimer ainsi. Mais pourquoi ? Etait-elle… jalouse ?
ensuite pour déjeuner dans un café situé sur une petite place ombragée.
Non loin d’elle, un couple accompagné de deux fillettes déjeunait également sur la terrasse. La jeune femme était visiblement enceinte et Livvy l’entendit dire à un moment :
J’espère que ce sera un garçon, cette fois.
Un garçon, une fille, je m’en moque, pourvu que tu sois heureuse, lui répondit son mari.
Le petit groupe dégageait une impression de bonheur si vive que Livvy regretta que Richard ne fût pas là pour les voir. Puis elle songea en frissonnant qu’elle commençait à être vraiment obsédée par cet homme.
Et si tu tombes amoureuse ? lui avait lancé son amie Jenny.
Elle avait ri, tentant peut-être ainsi le destin. Pourtant, le sort ne pouvait être cruel au point de la laisser s’éprendre d’un individu tel que Richard Field. Quant à elle, elle avait plus de bon sens que cela, n’est-ce pas ?
Elle retarda son retour à la ferme le plus longtemps possible. Quand elle arriva, Richard était au téléphone. Elle ne traîna pas dans la cuisine, se *******ant de déposer ses paquets sur la table avant de se retirer avec tact.
Le dos tourné, Richard s’exprimait par monosyllabes, presque comme s’il voulait éviter qu’elle entendît ses propos. Cela l’irrita : il n’avait pas à la traiter en indiscrète…
Vu l’endroit où était placé l’appareil, elle dut repasser près de lui pour retourner dans le vestibule. Elle le fit en maintenant la plus grande distance possible entre eux ; pourtant, tandis qu’elle franchissait le seuil, elle ne put s’empêcher d’entendre la « Non, ce ne serait pas une bonne idée » phrase qu’il prononçait à voix basse et de percevoir aussi la voix de son interlocuteur.
Ce fut seulement après avoir gagné sa chambre qu’elle sut pourquoi les sonorités de cette voix masculine lui avaient paru familières. Cessant aussitôt de se brosser les cheveux, elle redescendit l’escalier quatre à quatre et, voyant que Richard avait raccroché, elle lui lança sans préambule :
C’était George, hein ? Là, à l’instant, au téléphone, vous parliez à George, non ? Pourquoi est-ce qu’il vous téléphonait ? Lui avez-vous dit que Gail était bouleversée, au moins ?
Vous ne croyez pas que Gail est parfaitement capable de le lui dire elle-même ?
Comment le pourrait-elle ? répliqua Livvy.
Elle se laissa tomber sur une chaise, songeant qu’elle avait donc vu juste et qu’il s’était bel et bien entretenu avec George.
Il est au Japon et il n’a même pas jugé bon de lui parler plus d’une minute. Pourtant, il prend le temps de discuter avec vous ! reprit-elle.
Amère, elle ajouta, comme pour elle-même :
Je suppose qu’il tenait à savoir si vous voulez acheter cette maison.
Elle était profondément choquée de découvrir que George, qui lui avait toujours paru si fiable, se comportait de cette façon ; même si sa conscience lui soufflait que Gail était parfois difficile à vivre et que Richard voyait juste en affirmant qu’elle infantilisait son mari.
Gail et les enfants ont besoin de George, reprit-elle. Vous ne voyez donc pas ce que vous faites, en l’encourageant dans son attitude ? Ce n’est tout de même pas parce que vous avez une dent contre les femmes que vous devez vous permettre de… de détruire ce couple. Vous n’êtes pas un homme… vous êtes un enfant gâté !
Elle n’alla pas plus loin. Il l’avait saisie et la hissait hors de son siège, sans lui laisser l’ombre d’un espace pour se débattre ou s’écarter de lui.
Alors comme ça, je ne suis pas un homme ?
Un mélange de peur et d’excitation envahit Livvy.
Lorsque Richard l’embrassa, ils savaient tous deux sans vouloir l’avouer que ce qui avait lieu en cet instant n’était nullement dû à l’éclat de car au fond Livvy. La dispute n’était qu’un prétexte, un alibi commode d’eux-mêmes, ils déniaient avec obstination les motivations infiniment plus obscures et primitives qui les animaient.
Cette fois, la jeune femme goûta pleinement la saveur et la douceur des lèvres de son partenaire, et les mains qu’elle avait levées contre lui pour le repousser abandonnèrent la lutte pour s’aventurer sur son torse, dans un geste qui allait bien au-delà de la simple caresse. De son côté, il l’embrassait, et ses doigts dessinaient les contours de son dos et de ses hanches.
Elle se laissa aller contre lui avec un gémissement, se livrant tout entière à ses sensations. Elle avait été, jusque-là, si étrangère à de telles manifestations ! Si étonnée par les récits de ses amies lorsqu’elles tentaient de lui expliquer l’intensité des élans sensuels et la façon dont ils oblitéraient la prudence, le bon sens, et même la réalité.
Elle frémit et Richard imprima plus de passion encore à son baiser, tandis qu’elle éprouvait un regain de sensations toutes plus vertigineuses les unes que les autres. Jamais auparavant, non jamais, elle n’avait eu ainsi envie d’un homme, jusqu’à l’obsession, à en avoir mal.
La main de Richard remonta vers sa nuque, cherchant la fermeture Eclair qui retenait sa robe d’été, et elle voulut se délivrer de ses vêtements, sentir les doigts de son partenaire sur sa peau nue.
Confusément, elle entendit un léger bruit et ouvrit les yeux. La chatte venait de s’introduire dans la cuisine, en sautant par la fenêtre.
Comme dans un état second, Livvy contempla Richard. Il avait des yeux sombres et dilatés. En le voyant, en percevant l’intensité de son désir, trahi par son regard presque hypnotique, elle éprouva un trouble si vif que son corps en refléta aussitôt la violence.
J’ai tellement envie  de toi…, murmura-t-il.
Et ces mots ne furent qu’un écho de ce qu’elle ressentait elle-même. Elle éleva une main, caressant avec des doigts tremblants les lèvres de son compagnon. Bientôt, il la soulèverait dans ses bras, l’emmènerait là-haut, dans la chambre, et la déshabillerait…
Elle se figea en entendant une camionnette s’engager dans la cour. Aussitôt, Richard la libéra.
C’est M. Dubois, lui dit-elle, étonnée par le son de sa propre voix, étrangement tendue et déformée.
Oh, Seigneur, mais que lui était-il arrivé ? Comment avait-elle pu réagir ainsi… l’encourager ainsi ?
Un sentiment de honte l’envahit, qui fut comme une douche froide sur ses sens embrasés.
Tandis que Richard sortait pour discuter avec le fermier, elle se retira dans sa chambre. Elle songea qu’elle aurait dû faire ses bagages sur-le-champ, au lieu de rester figée, le regard perdu dans le vide. Mais comment aurait-elle pu partir, après avoir juré à Gail de rester sur place ?
D’ailleurs, ne devait-elle pas essayer au moins de savoir ce que s’étaient dit Richard et George ?
Ou bien, était-il déjà trop tard pour s’inquiéter de tout cela ? Qu’était-il donc advenu du couple autrefois si uni que formaient Gail et son mari, si George pouvait trouver le temps de parler à un ami qui était loin d’être un intime et n’avait par ailleurs pas la moindre seconde à consacrer à sa femme ?
Depuis la fenêtre de sa chambre, Livvy pouvait voir la cour et l’endroit où Richard et M. Dubois discutaient. Le fermier s’exprimait avec volubilité, gesticulant en direction du ciel ; pour finir, cependant, il haussa les épaules et regagna sa camionnette.
Richard attendit qu’il fût parti pour revenir dans la maison. Tandis qu’elle le regardait, un profond sentiment d’abattement s’empara de la jeune femme. Elle se sentait anéantie.
Elle n’était pas seulement troublée par Richard. Elle était amoureuse de lui. Voilà pourquoi son hostilité envers les femmes la plongeait dans un profond désarroi ; voilà pourquoi elle éprouvait le besoin éperdu de lui entendre prononcer quelque parole sensible, qui lui permettrait d’entrevoir que, sous ses dehors cyniques, il était encore capable d’éprouver des sentiments.
Comment avait-elle pu s’éprendre de lui ? Elle s’était toujours considérée comme une personne sensée, qui plaçait sa dignité avant tout et qui n’aurait jamais pu se trouver piégée dans une situation aussi destructrice. Même s’il lui avait rendu son amour.
Rendu son amour ? Allons, il fallait aussi qu’elle sombre dans le ridicule. Comme si Richard avait pu éprouver les mêmes sentiments qu’elle ! Il ne l’aimait pas, ne pouvait pas l’aimer. Ce qu’il éprouvait à son égard, c’était de l’antipathie et du mépris… et du désir aussi.
Elle l’entendit monter à l’étage, ralentissant le pas avec hésitation devant sa porte, puis finissant par frapper contre le battant en l’appelant par son prénom. A contrecœur, elle alla ouvrir.
C’était M. Dubois, lui dit-il inutilement. Il voulait nous mettre en garde contre les intempéries. On a annoncé de gros orages et il pourrait y avoir une inondation.
Mais… nous sommes trop loin de la rivière pour que cela atteigne la ferme, non ?
Ce n’est pas la rivière qui le tracasse, c’est le chemin d’accès. C’était le lit d’un ancien ruisseau, semble-t-il. Et bien que le ruisseau ait disparu, par temps de pluie, le chemin fait office de canal naturel et se métamorphose, paraît-il, en une vraie fondrière. Il a parlé d’un tracteur…
Ce doit être la machine qu’il voulait revendre à Gail. Elle a cru qu’il essayait de lui forcer la main pour s’en débarrasser et elle a refusé.
Livvy s’exprimait d’un ton aussi distant que possible. Il ne lui était pas possible de regarder Richard sans songer à ce qu’elle avait ressenti dans ses bras.
Nous devons parler, dit-il soudain.
Ces mots énoncés avec calme la démontèrent. Elle le regarda, rougit et se détourna.
Je… je n’en vois pas la nécessité. 
Nous sommes des adultes, Olivia, pas des gamins. Nous savons très bien l’un et l’autre ce qui nous arrive.
La jeune femme en eut le souffle coupé. Il lui sembla que son cœur s’était arrêté de battre. Passé le premier choc, l’émotion, puis l’espoir l’envahirent tour à tour.
Etait-il possible qu’elle se fût trompée ? Pouvait-il réellement partager ses sentiments ? L’aimer autant qu’elle l’aimait ?
Elle sentit qu’elle se mettait à trembler, et son cœur s’emballa tandis qu’elle attendait que Richard reprenne la parole.
Nous ne pouvons nier qu’il existe une très forte attirance même si nous ne l’acceptons ni l’un ni l’autre. physique entre nous
Livvy eut l’impression qu’elle allait se trouver mal. Comment avait-elle pu ressentir un espoir aussi stupide, aussi naïf ? Il ne l’aimait pas, bien sûr, et à en croire ses propres paroles, il était même très éloigné d’éprouver des émotions d’ordre affectif ou sentimental.
Sa fierté eut raison de la souffrance qu’il venait de lui infliger, et elle énonça :
Si c’est un stratagème pour me persuader de coucher avec vous…
Elle n’eut pas le loisir de poursuivre, car il l’interrompit sans aménité.
Ne soyez pas grotesque. Ce que je veux, c’est que cela n’arrive pas, au contraire. Je ne nie pas notre attirance ; cependant, si nous y cédons, cela ne nous mènera qu’à des complications. Et ce n’est sûrement pas ce que nous souhaitons l’un et l’autre.
Livvy s’empourpra. Richard augmentait son malaise, au lieu de le soulager. Quel genre d’homme était-il donc, pour être capable d’avouer qu’il la désirait et s’empresser d’affirmer que ce désir n’aurait pas de suites ?
« Il est honnête et prend ses responsabilités », lui souffla sa conscience. Mais son amour et le sentiment de rejet qu’elle éprouvait étaient si forts qu’elle refusa de l’écouter.
Si vous craignez de ne pas savoir dominer vos pulsions, eh bien, ce n’est pas mon cas, dit-elle avec froideur.
Vraiment ? Si M. Dubois n’était pas arrivé, j’aurais pu vous prendre séance tenante, là, sur la table de la cuisine, sans qu’aucun de nous deux ne se soucie de l’endroit où nous nous trouvions.
La jeune femme rougit plus vivement encore. Ce n’était ni la scène qu’il venait de dépeindre ni la crudité de ses mots qui la choquaient. C’était l’élan de désir brutal qui l’avait saisie tandis qu’il parlait, et qui la confrontait à une part d’elle-même qu’elle aurait voulu fuir.
Comme je le disais, nous sommes trop intelligents l’un et l’autre pour ne pas comprendre ce qui nous arrive et trop mûrs pour ne pas en concevoir le danger. Je ne tiens pas du tout à donner dans la luxure.
Mais moi oui, peut-être ? rétorqua Livvy.
A présent, elle était vraiment furieuse, surtout contre elle-même. N’avait-elle pas assez de jugeote pour admettre qu’il serait destructeur et vain de se laisser entraîner dans une relation avec cet homme ? N’était-elle pas assez impliquée comme cela ? Puisqu’elle l’aimait…
Après tout, poursuivit-elle d’un ton mordant, nous savons quelle opinion vous avez de moi. Je suis même étonnée que vous soyez prêt à admettre votre désir. Je me serais plutôt attendue que vous m’accusiez de chercher à vous séduire.
J’aimerais pouvoir le faire. Au moins, comme ça…, lâcha-t-il, laissant cependant sa phrase en suspens. Si cela continue, reprit-il, nous finirons par coucher ensemble. La situation est explosive et périlleuse, mais indépendamment du plaisir que nous pourrions avoir, nous n’ignorons pas…
Elle ne put en entendre davantage.
Puisque vous êtes si tracassé par ce qui pourrait arriver, il y a une solution évidente, coupa-t-elle.
Vraiment ?
Oui. Il suffit que vous partiez. Comme cela, il n’y aura ni tentation, ni danger, ni problèmes.
Ainsi, c’est moi qui dois m’en aller ?
Moi, je ne partirai pas, dit-elle avec force. C’est vous qui pensez… qui ressentez…
Elle trébucha sur les mots, incapable de trouver ceux qui traduiraient sa pensée, et agacée par sa propre confusion.
Pourquoi les hommes sont-ils si vains, si obsédés par leur toute puissance sexuelle et la vulnérabilité des femmes à cet égard ? demanda-t-elle soudain. A votre arrivée, vous vous êtes empressé de me faire savoir que vous n’étiez pas dupe de moi, que j’étais une sorte de droguée du sexe n’ayant aucun respect pour elle-même et prête à se livrer à n’importe quel homme… Et tout à coup, vous décrétez que c’est vous qui avez éveillé mes désirs, lui lança-t-elle. En toute honnêteté, vous vous croyez vraiment si irrésistible que ça ? Eh bien, navrée de vous détromper, mais ce n’est pas le cas.
Le regard qu’il lui décocha amena des larmes dans les yeux de la jeune femme. Il la contemplait comme si elle l’avait déçu, laissé tomber. Ne comprenait-il donc pas qu’elle était réduite à cette extrémité pour se défendre… pour les protéger tous deux ?
D’une voix égale, il déclara :
Vous savez que je ne pense rien de tel. Je vous ai méjugée au départ, je le reconnais. Mais on dirait que j’ai également eu tort de croire que nous pouvions discuter entre adultes responsables et tolérants.
Là-dessus, il s’éloigna d’elle, quitta la pièce et referma la porte derrière lui.
« Je n’avais pas le choix », pensa Livvy. Mais alors, pourquoi restait-elle plantée là, malheureuse et en larmes, et pourquoi sa victoire ne lui procurait-elle que de l’amertume ?
« La pluie ne s’arrêtera donc jamais », songeait lugubrement Livvy, le regard perdu au-dehors.
L’orage annoncé par M. Dubois avait éclaté dès les premières heures de la matinée, au lendemain de sa confrontation avec Richard. La jeune femme avait prévu de sortir, mais la pluie l’en avait dissuadée ; elle tombait si dru qu’on ne pouvait même pas voir au-delà de la cour. Alors, à quoi bon s’en aller en excursion dans la région ?
Elle car elle évitait le plus s’était donc mise au travail dans sa chambre possible, maintenant, d’aller dans la cuisine. Désormais, Richard et elle s’évitaient avec soin.
Lorsqu’elle entendit démarrer la B.M.W., elle se leva d’un bond pour gagner la fenêtre. Richard sortait. Mais où diable allait-il, par cette tempête ? Cela avait-il un rapport avec le coup de fil qu’il venait de recevoir ? Car elle avait entendu la sonnerie du téléphone, quelques minutes plus tôt.
Pour une raison inconnue, son absence mit la jeune femme encore plus mal à l’aise et augmenta sa nervosité.
un vrai Dehors, il faisait très sombre et la pluie tombait sans discontinuer déluge. Lorsqu’elle descendit dans la cuisine, Livvy constata que la chatte s’était réfugiée près du fourneau. Elle vint se frotter contre ses jambes tandis qu’elle se faisait du thé bien chaud.
Ensuite, Livvy pensa profiter de l’absence de Richard pour appeler Gail et composa le numéro de sa cousine. Ce fut l’un de ses neveux, Roderick, qui lui répondit. Il était immobilisé à la maison par une grippe. Après lui avoir remonté le moral, sa tante patienta, attendant qu’il ait averti sa mère.
Alors, tu as pu parler à George ? demanda-t-elle dès que Gail fut en ligne.
Non, c’est impossible, répondit Gail en toute hâte. Il est toujours au Japon, dans une région plutôt reculée, semble-t-il. Tout ça devient vraiment grotesque, tu sais. Il a beau être mon mari, j’ignore pratiquement où il est et comment le joindre. Il y a trois semaines que nous ne nous sommes pas vus, maintenant. Ce matin, j’ai téléphoné à Robert Forrest. Enfin, j’ai essayé : à en croire sa secrétaire, il n’était pas au bureau. Mais elle a promis de lui demander de m’appeler.
Crois-tu qu’il soit bien prudent de t’adresser à lui ? Après tout, c’est le patron de George.
Justement. Et d’ailleurs, je ne vois pas d’autre moyen d’entrer en contact avec mon mari, figure-toi. J’ai bien essayé de parler à sa secrétaire, mais peine perdue. Elle est encore plus bornée que celle qu’il avait avant. Ah, celle-là ! Une vraie dévergondée. Et comme on parle toujours du démon de la quarantaine, j’ai même cru pendant un moment que George… Enfin, lorsque Robert Forrest a repris la boîte, elle est partie et celle-ci l’a remplacée. C’est une fille agréable, cela dit, très différente de la première. Bon, écoute, Livvy, je ne veux pas immobiliser la ligne trop longtemps, j’attends l’appel de Robert Forrest… Au fait, il est toujours là, ton Richard-je-ne-sais-plus-comment ?
Oui, soupira Livvy. Gail, tu me préviendras dès que tu auras pu parler à George, hein ? La situation est plutôt tendue, ici, et…
Surtout, ne pars pas, s’il te plaît ! Tu m’as promis. 
Oui, oui, je sais. Je resterai, ne t’inquiète pas. 

5 heures sonnèrent, puis 6. Il faisait presque nuit et Richard ne rentrait toujours pas. Livvy tira parti de l’occasion, se cuisinant rapidement quelque chose à manger afin de dîner avant le retour de son compagnon. « Il vaut mieux profiter de son absence, se disait-elle. Après tout, c’est à cause de lui que tu veux quitter cette maison ; parce que tu te sens trop vulnérable. »
Son seul espoir était de voir se modifier ses sentiments dès qu’elle aurait retrouvé son style de vie et sa routine habituels. Mais cesserait-elle vraiment d’aimer Richard ? Un tel miracle était-il possible ?
Elle frémit, angoissée par l’avenir, et se crispa légèrement en entendant du bruit dans la cour. Ce n’était pas le grondement de moteur qu’elle guettait depuis plusieurs heures, mais un bruit moins sonore et moins distinct, qui évoquait plutôt les allées et venues de quelqu’un.
Gagnant la porte, elle l’ouvrit avec hésitation et se figea en voyant la silhouette qui se dirigeait vers elle, telle une apparition. Il ne lui semblait pas possible qu’il s’agisse de Richard, et pourtant c’était lui. Ses vêtements et ses cheveux détrempés étaient plaqués contre son corps par la pluie battante ; son jean maculé de boue avait un accroc.
Oubliant d’emblée ce qui les opposait, elle se précipita au-devant de lui en demandant avec anxiété :
Qu’est-ce qu’il y a ? Que s’est-il passé ?
Il chancelait un peu et, à présent qu’elle se trouvait tout près de lui, elle pouvait distinguer une entaille ensanglantée sur sa joue.
Le chemin, dit-il d’un ton brusque. C’est devenu un vrai bourbier. J’ai donné un coup de volant pour éviter un oiseau et j’ai échoué dans le fossé. Impossible de plutôt stupide, comme réaction déplacer la voiture. Pas sans remorque, en tout cas. Heureusement, elle ne barre pas la route. Je téléphonerai à M. Dubois demain matin.
Il avait raison, alors, pour le tracteur, murmura Livvy. Vous êtes blessé… Est-ce que ça va ?
Oui. Une bonne douche et il n’y paraîtra plus, dit Richard en la suivant à l’intérieur. C’est une chance que votre cousine n’ait pas encore remeublé la maison, sinon, je n’aurais jamais pu me permettre de monter à l’étage dans cet état.
Livvy s’expliqua aisément ce commentaire : déjà, une flaque d’eau boueuse s’étalait sur le carrelage de la cuisine…
Bien que Richard eût assuré qu’il ne souffrait de rien, la jeune femme ne put réprimer une grimace à la vue de l’estafilade sanglante qui lui barrait la joue.
Mmm…, fit-elle. Si Gail était là, elle vous forcerait à vous déshabiller ici.
Il lui décocha un regard sombre, lançant d’une voix rude :
Etant donné les circonstances, ce ne serait pas une très bonne idée, non ?
Puis, tandis que Livvy le dévisageait d’un air interdit, il ouvrit la porte qui donnait dans le vestibule et grimpa à l’étage.
Livvy avait eu l’intention de lui préparer une boisson chaude, mais après cette sortie, il n’en était plus question… Refoulant les larmes qui lui montaient aux yeux, elle se hâta de débarrasser la table et de faire sa vaisselle, après quoi elle gravit à son tour l’escalier pour se réfugier dans sa chambre.
A l’instant où elle s’engageait sur le palier, la porte de la salle de bains s’ouvrit, et Richard apparut sur le seuil.
Comme dans une scène au ralenti, elle vit sa silhouette, son corps… entièrement nu.
J’ai oublié de prendre une serviette.
Il s’était exprimé d’une voix rauque et voilée, et il sembla à Livvy que cette voix venait de loin, de très loin. En proie à une sorte de paralysie, elle ne pouvait ni bouger, ni cesser de le regarder.
Confusément, elle se rendait compte que ce n’était pas la nudité de Richard qui la figeait ainsi, mais sa propre réaction : l’élan insensé de désir et de douleur qui l’avait envahie à la vue de ce corps dont elle serait sevrée pour le reste de sa vie.
Il ne s’agissait pas d’un simple désir sensuel, elle en était consciente. C’était, au contraire, quelque chose de beaucoup plus profond et destructeur.
Livvy… 
Richard venait de murmurer son prénom et elle perçut le trouble de son intonation, la fièvre de son regard. Elle lui tourna le dos, chancelant un peu dans sa hâte à le fuir.
Livvy… arrête… attends… 
Elle laissa échapper un petit gémissement angoissé, puis se figea, saisie par le choc, alors que Richard posait ses mains sur elle.
La panique la submergea. Alors qu’il la faisait pivoter sur elle-même de petits pour la placer face à lui, elle lui décocha une pluie de coups gestes précipités et inefficaces qui vinrent mourir sur son torse sans même l’ébranler.
Lâchez-moi… 
Livvy, arrête… Livvy… oh, pour l’amour du ciel.
Elle se tendit alors qu’il la soulevait dans ses bras et la tenait serrée contre lui dans un geste à la fois passionné et impatienté.
Il était tendu lui aussi, elle le sentait. Elle devinait son regard posé sur elle et, tout en sachant que c’était le geste à ne pas faire, elle renversa la tête en arrière pour le contempler.
Livvy…, répéta-t-il d’une voix rauque, rude, dont l’intonation était une prière ; et ses yeux étaient sombres, dilatés par le désir.
Lorsqu’elle éleva les mains, elle aurait juré que c’était pour tenter de le repousser. Alors, pourquoi presque une le mouvement de ses doigts s’acheva-t-il en effleurement hésitant tandis qu’elle entrouvrait involontairement les lèvres, laissant caresse échapper un soupir qui était un appel ?
Quand il l’embrassa, son baiser fut différent de ceux qu’il lui avait déjà donnés, ou volés plutôt. Cette fois, c’était le baiser d’un homme qui la désirait ouvertement et se savait désiré, d’un homme qui était déjà un amant. Et qui reprenait simplement le duo explosif qu’ils avaient entamé là où ils l’avaient laissé.
Elle ne sut ni quand ni comment ils étaient entrés dans la chambre de Richard, ne se souvenait même pas d’avoir marché jusque-là. Tout ce dont elle était consciente, c’était du contact des lèvres de son compagnon sur les siennes, et de la sensation vertigineuse qu’elles éveillaient, comme si elle sombrait dans un tourbillon sensuel insondable.
Il la déshabilla et elle l’aida dans cette tâche, mais sans vraiment se rendre compte de ce qu’elle faisait. Tout ce qui importait, c’était d’être avec lui, dans ses bras ; d’être embrassée et caressée par lui…
Il lui parlait, lui disant combien il la désirait, combien il avait envie de la toucher, de la faire vibrer de plaisir, et tandis qu’il la couvrait de baisers et de caresses, elle se cramponna à lui, gémissante et grisée.
Déjà, son corps répondait sans réserve à ses attouchements et elle ne put résister à la tentation de le caresser elle aussi, d’une façon aussi passionnée et intime qu’il le faisait pour elle.
Dans un élan presque douloureux, elle voulut se donner à lui, le sentir en elle ; elle aurait voulu s’enrouler autour de lui et ne jamais le laisser partir, s’abandonner totalement au point de ne plus faire qu’un avec lui, à jamais.
Et lorsque vint le plaisir ultime, elle cria sans le savoir, et des pleurs de bonheurs lui humectèrent les paupières.
Plus tard, il lui fit l’amour de nouveau et cette fois, elle eut le sentiment d’atteindre un accomplissement qui allait au-delà des sensations physiques. C’était l’union de deux êtres nés pour être ensemble et pour répondre ainsi aux lois premières de la nature créatrice, tournées vers l’enfantement.
Un enfant… l’enfant de Richard… Alors que les vagues du plaisir refluaient en elle, Livvy eut un frisson d’émerveillement presque sacré. Cette chaleur, cette douleur qu’elle ressentait au creux du ventre… Etaient-ce les échos d’un moment d’amour, ou les prémices d’une nouvelle vie ?
Lorsque la jeune femme s’éveilla, elle était seule et elle avait froid.
En frissonnant, elle se glissa à bas du lit. Mais qu’avait-elle donc fait, et où était Richard ? Elle ouvrit la porte de la chambre et s’avança sur le palier, s’immobilisant au son de sa voix, qui lui parvenait depuis le rez-de-chaussée.
Il était au téléphone, discutant avec quelqu’un. A l’instant où elle allait revenir sur ses pas, désireuse de ne pas être indiscrète, elle entendit :
Ecoute, George, tout va bien… Tout va s’arranger…
George… Richard s’entretenait avec George, pourtant si loin de l’Angleterre et si occupé qu’il ne trouvait même pas le temps de joindre sa femme ! A l’instant où Livvy s’apprêtait à descendre pour exiger de parler au mari de Gail, Richard reprit :
Je t’ai déjà dit que tu n’avais aucun souci à te faire pour cette fille. Je me charge de régler la question. Avec plaisir, même. En fait, je sais exactement ce qu’il faut faire pour me débarrasser d’elle.
Livvy se figea sur place. Elle eut l’étrange impression de se vider de tout son sang, demeurant exsangue et anéantie. Puis soudain, elle se mit à trembler en comprenant qu’elle était tombée dans un affreux traquenard sentimental.
Il était évident que Richard parlait d’elle… que c’était d’elle qu’il entendait se « débarrasser ». Et ce soir, elle s’était prêtée à son insu à ses manœuvres.
Au bord de la défaillance, elle comprit qu’elle devait quitter la ferme séance tenante. Malgré la promesse faite à Gail, il lui était impossible de rester, désormais. Impossible d’accepter l’humiliation qui la guettait. Dire que pendant tout ce temps, en la caressant et en l’embrassant, en lui faisant l’amour, en réalité, Richard…
« Oh, folle, idiote que tu es ! » pensa-t-elle en rassemblant en hâte ses vêtements et en se réfugiant dans sa chambre. Elle ne se donna pas la peine de faire ses bagages, une fois habillée. Elle saisit son sac à main et dévala l’escalier.
La porte de la cuisine était entrouverte. Toujours au téléphone, Richard lui tournait le dos, grâce au ciel. Ainsi, il savait comment se débarrasser d’elle ? Eh bien, elle lui épargnerait cette peine. Et elle le frustrerait du plaisir de l’humilier. Car elle ne doutait pas de la satisfaction qu’il tirait par avance de cette idée, savourant sans doute déjà le moment où il lui détaillerait chaque trahison, chaque caresse mensongère, chaque baiser trompeur.
Elle se rua au-dehors. Par chance, il avait cessé de pleuvoir et dans le ciel redevenu clair, la lune était pleine. Livvy monta dans sa voiture, garée sous l’appentis, et démarra aussitôt.
Comme elle atteignait l’allée, Richard surgit en courant au-dehors.
Dans son rétroviseur, elle put le voir clairement. Il était sous le choc. Eh bien, ce serait une bonne leçon pour lui. Elle n’était pas du genre à se laisser malmener, si éperdu que fût son amour pour lui.
Il lui sembla soudain que la pluie avait recommencé. Pourtant, lorsqu’elle mit en route les essuie-glaces, rien ne vint éclaircir les ténèbres où elle était plongée. Elle se rendit compte, alors, qu’elle était en larmes. Lentement, elle roula le long de l’allée. Richard ne pouvait pas s’élancer à sa poursuite, après tout, puisque sa B.M.W. était dans le fossé. Une fois ou deux, elle faillit s’embourber comme il l’avait fait, mais s’en tira bien. L’eau s’était déjà évaporée en partie, et sa voiture était bien plus légère que celle de Richard.
La jeune femme ne savait ni où aller, ni que faire. Pour l’instant, il lui fallait seulement être loin de Richard. Physiquement, du moins.
Sentimentalement, il lui faudrait toute une vie pour oublier… Oublier ? songea-t-elle avec un sourire amer. Impossible. Elle serait hantée à jamais. Par le plaisir vécu. Et surtout, par la souffrance.
Livvy téléphona à Gail à partir d’un petit village, juste à l’aube. Laissant un message sur son répondeur, elle précisa simplement qu’elle n’avait pu rester à la ferme et qu’elle le regrettait ; qu’elle allait bien et comptait consacrer le reste de ses vacances à sillonner l’Europe.
Après tout, que pouvait-elle faire d’autre ? Elle n’était pas encore prête à rentrer chez elle : il lui fallait du temps pour se remettre. Et il était hors de question qu’elle regagne la ferme.
Elle roula sans discontinuer, ne s’arrêtant qu’au moment où elle se sentit prête à tomber de sommeil et de fatigue. Elle se gara alors sur le bas-côté d’une route vicinale, sans même savoir où elle était, et dormit dans sa voiture.
Au réveil, elle avait la bouche sèche et se sentait épuisée et sale. Ayant repris la départementale, elle trouva un hôtel où elle retint une chambre. Dans la ville toute proche, elle acheta des vêtements de rechange et quelques affaires de première nécessité, fit le plein, puis s’efforça de manger un morceau un restaurant.
Que faisait Richard, en ce moment ? Attendait-il de la voir revenir vers lui en rampant ? Savait-il qu’elle était amoureuse de lui ?
« Je m’en charge », avait-il dit à George. Et elle avait perçu dans son intonation de l’antipathie et du mépris. Mais aussi, l’envie de punir.
Bien entendu, elle était en partie responsable de cet état de fait. Si elle n’avait pas soutenu Gail aussi résolument… et si elle n’était pas tombée amoureuse de Richard… La première fois qu’elle l’avait vu, elle avait pourtant senti que c’était un homme dur et impitoyable. Alors, pourquoi, au nom du ciel, aurait-il toléré qu’elle cherche à contrecarrer ses projets et ceux de George ? Ce qu’elle avait pu être stupide !
Il voulait acheter la ferme et George était d’accord. Comme la présence de Livvy rendait la chose impossible, il avait attendu et guetté, peaufinant un plan. Puis, dès qu’il avait découvert le moyen de la frapper, il lui avait porté l’estocade.
« Je te veux », lui avait-il dit. Et elle l’avait cru, persuadée que s’il n’éprouvait pas d’amour pour elle, il ressentait du moins de la passion et du désir. Mais le combustible de sa passion, ce n’était pas elle ; c’était la volonté de la chasser de la ferme…
Elle avait réussi à remporter une minuscule victoire, en partant, car au moins, elle n’aurait plus à le revoir. Quant à la douleur qu’elle ressentait… c’était une vraie torture. Comment avait-elle pu être si faible, et si aveugle ?
La jeune femme sillonna la France au hasard pendant une semaine, puis deux, fuyant instinctivement la compagnie de ses semblables et dormant à peine quelques car ses nuits étaient faites d’insomnie. « Combien de heures pendant le jour temps cela va-t-il durer ? » se demandait-elle avec angoisse mille fois par jour. Et une petite voix lui répondait invariablement : « Toujours. »
Trois semaines après son départ de la ferme, épuisée et vidée, elle se dirigea instinctivement vers la maison qui l’avait abritée dans son enfance. Sa famille ne vivait plus là, mais le souvenir en était encore vivace chez les nouveaux occupants, qui l’accueillirent à bras ouverts et insistèrent pour la garder chez eux, dans la chambre d’amis. Trop lasse pour résister, Livvy se laissa faire.
Dans l’état où elle était, elle aurait pu tout aussi bien aller se jeter dans la rivière qui coulait tout près de là. Mais c’était une tentation à laquelle, elle le savait, elle se devait de résister.
Livvy séjourna en France presque jusqu’à la fin des vacances scolaires. Elle n’avait pris contact avec personne, en Angleterre, car elle ne se sentait pas assez forte pour cela. Cependant, elle avait travaillé et s’était convaincue qu’elle devait aller de l’avant, continuer à vivre malgré tout.
Disant adieu aux Girande, qui l’avaient accueillie, elle repartit pour sa terre natale.
Le téléphone sonnait, lorsqu’elle entra chez elle. Elle ignora la sonnerie, parcourut d’un œil distrait le courrier qui s’était amoncelé sous sa porte. L’une des enveloppes se distinguait de toutes les autres par son aspect. La jeune femme se figea en voyant son nom rédigé en travers, d’une écriture hardie et vigoureuse. Sans trop savoir pourquoi, elle sut que c’était un mot de Richard.
Elle le déchira sans même l’ouvrir. A quoi bon ? Cela n’aurait servi qu’à la faire souffrir davantage.
Elle avait des choses à faire… acheter de quoi manger, payer les factures en retard, organiser son travail. La routine, en somme. Toutes les choses ennuyeuses et ternes auxquelles se résumait sa vie, désormais.
Le téléphone sonnait sans discontinuer. Livvy s’efforça de n’en tenir aucun compte, mais le bruit persista, avec obstination. D’un geste las, la jeune femme tendit le bras par-dessous son duvet et décrocha le récepteur.
Livvy, tu es rentrée. —
Elle se tendit en reconnaissant la voix de Gail.
Il y a des jours et des jours que j’essaie de te joindre, reprit cette dernière. Mais où étais-tu passée, au nom du ciel ? Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas téléphoné ? Ecoute, je viens te voir tout de suite.
Gail, non, je…, commença Livvy. 
Mais sa cousine avait raccroché et, telle qu’elle la connaissait, s’était probablement déjà mise en route. Gail était ainsi faite. Poussant un soupir, Livvy se glissa à bas du lit et alla faire un brin de toilette. Elle était juste en train de poser sur la table deux grandes tasses de café fraîchement passé lorsque la voiture de Gail s’arrêta devant sa porte.
Dès que Livvy la vit, elle lui trouva quelque chose de changé. Elle semblait plus douce, plus femme en un sens… Cependant, ses manières étaient restées les mêmes, elles !
Livvy, mais que t’est-il arrivé ? Tu es d’une maigreur ! Et où es-tu allée ?
Tandis qu’elle l’introduisait dans la cuisine, l’invitant à s’asseoir et lui tendant une des tasses de café, la jeune femme commença :
Je suis désolée de n’avoir pu tenir ma promesse, mais…
Oh, ne t’en fais pas pour ça. C’est arrangé, maintenant. Si tu savais, j’ai tellement de choses à te dire ! Tu te souviens de Robert Forrest, le patron de George ?
Le misogyne qui l’a transformé en esclave ? Comment aurais-je pu l’oublier ?
Eh bien, je m’étais entièrement trompée à son sujet. C’est vraiment un homme merveilleux… Tu ne peux pas imaginer à quel point. Quand je pense à tout ce que j’ai dit sur lui… Je me fourvoyais totalement, figure-toi. Il n’essayait pas de me séparer de George, c’était même tout le contraire. Il est contre le divorce.
Contre le divorce des autres, tu veux dire, observa sèchement Livvy.
Comment ça ? fit Gail, l’air perplexe. 
Tu m’as bien dit qu’il était divorcé, non ? 
Oh, oui… Eh bien, là aussi, je me trompais. Le pauvre, il a des raisons d’être amer ! A ce qu’il paraît, son ex-femme l’avait amené à l’épouser en prétextant qu’elle était enceinte… Une invention qu’elle avait forgée de toutes pièces pour se venger de son amant marié à la suite d’une querelle. Mais tu sais, Livvy, je ne peux pas te dire quel soulagement ça a été de voir que George m’aime toujours. Je reconnais que les choses n’ont pas été faciles… Quand j’ai découvert que j’avais failli le perdre, qu’il… qu’il s’intéressait à une autre femme…
Gail se mordit la lèvre inférieure, comme pour mieux contenir les larmes qui lui montaient aux yeux.
Dieu merci, c’en est resté là. Grâce à Robert. S’il n’avait pas réagi aussitôt… expédié George aux quatre coins du monde… Vraiment, j’ai été très injuste envers lui.
Livvy réprima un élan d’irritation. Elle était heureuse que les choses se soient arrangées pour Gail, bien entendu. Cependant, elle commençait à être un peu lasse de ses éloges répétés au sujet de Robert Forrest.
Tu aurais dû entrer en contact avec nous, reprit sa cousine. J’ai été si inquiète pour toi !
Ecoute, Gail, je suis rentrée seulement cette nuit et j’ai des tas de choses à faire. Je suis enchantée d’apprendre que vous avez réglé vos différends, George et toi, et que Robert Forrest est un patron merveilleux, mais pour l’instant…
Gail haussa les sourcils, parut se raviser.
Bon, si c’est comme ça que tu sens les choses, autant que je te laisse tranquille. En fait, j’étais juste venue te dire que nous donnons une petite fête samedi prochain, George et moi. C’est notre anniversaire de mariage et… enfin, tu viendras, n’est-ce pas ?
Assister à une soirée était bien la dernière chose dont Livvy eût envie. Cependant, n’ignorant pas que sa cousine insisterait jusqu’à ce qu’elle cède, elle accepta à contrecœur.
Entendu. Mais je ne pourrai pas rester longtemps. 
A l’instant où Gail se levait pour partir après avoir vidé sa tasse de café, elle reprit :
Au fait, si je comprends bien, vous avez réglé la question de la vente de la ferme, George et toi ?
En silence, elle s’en voulut d’avoir posé la question. Le soir où elle était partie de là-bas, elle s’était juré de chasser Richard de son existence à tout jamais. De le bannir de ses pensées et de son cœur. Et voilà qu’à la première occasion, elle violait sa promesse. Car, bien entendu, ce n’était pas de la ferme qu’elle voulait entendre parler… mais de l’homme qui y avait passé l’été.
Oh, oui, bien sûr, dit Gail. En fait, il y a eu malentendu. George ne voulait pas vendre. Au début, j’étais furieuse contre lui, mais après qu’il s’est expliqué et que Robert…
Robert, encore Robert, toujours Robert ! pensa Livvy, non sans agacement. A la place de George, elle se serait inquiétée de la place que son de Gail, et la conversation ! patron semblait avoir prise dans la cervelle et de l’admiration presque excessive que cette dernière lui portait.
D’ailleurs, Robert sera à la fête, bien sûr, disait à présent cette dernière.
Super. J’ai hâte de rencontrer la huitième merveille du monde. J’imagine que je le reconnaîtrai à son auréole. Il en porte une, non ? lança Livvy.
Gail parut fuir son regard et son agressivité.
Tu as changé, lui dit-elle, et pour la première fois, Livvy lui vit perdre de son assurance. Je… tu sais bien que je ne chercherais jamais à te faire du mal, hein, Livvy ? Que j’ai toujours pris tes intérêts à cœur ? Après tout, tu es de ma famille, et puis il n’y a pas que ça…
Livvy soupira, reconnaissant dans ce préambule familier l’annonce d’un sermon à venir.
Tu me diras tout ça samedi prochain, coupa-t-elle fermement en entraînant sa cousine vers la porte et en ouvrant le battant d’un geste qui n’admettait pas de réplique.
Tout en se séchant les cheveux, et en contemplant son propre reflet d’un air sombre, Livvy songeait qu’elle avait été folle d’accepter l’invitation de Gail. Les gens verraient-ils aussi nettement que sa cousine à quel point elle avait changé ? Remarqueraient-ils les cernes qui lui bleuissaient les paupières et son air de vulnérabilité, dus aux longues nuits sans sommeil que lui avaient valus son amour pour Richard et le chagrin qu’il lui avait infligé ?
L’automne s’annonçait précoce, cette année ; déjà, les arbres perdaient leurs feuilles. Ce matin, il y avait eu de la brume sur la campagne et le soleil, à présent levé, avait la pâleur caractéristique des débuts de la morte saison.
La jeune femme renonça à porter une tenue estivale, qui aurait révélé son extrême minceur. Elle n’avait aucune envie d’avoir droit aux remontrances de Gail ! Elle mit donc un ravissant ensemble de fin lainage rose pêche, composé d’une jupe droite et d’une tunique longue et ample : celle-ci dissimulerait le fait que la jupe ne lui enserrait pas la taille d’aussi près qu’il l’aurait fallu… Ainsi, on ne s’apercevrait de rien.
A moins de la toucher, bien entendu. Mais il n’y avait personne d’assez intime dans sa vie pour se permettre un tel geste, n’est-ce pas ? Pas de compagnon… pas d’amant… pas de Richard pour la prendre dans ses bras, pour l’enlacer par la taille et constater qu’elle avait maigri.
Richard… « Non, je ne vais pas pleurer, pensa-t-elle farouchement. Je ne veux pas, je ne dois pas. »
Ah, Livvy, te voilà enfin ! Je commençais à me poser des questions, dit Gail tandis que la jeune femme lui remettait le petit cadeau qu’elle avait apporté et se tournait vers George pour l’embrasser. Allez, entre. Tu connais la plupart des gens qui sont là…
Sauf Robert le Magnifique, bien entendu, marmonna Livvy.
Gail se tourna vers elle en tressaillant. Elle avait rougi et semblait soudain très mal à l’aise.
Cette fois, Livvy devint songeuse. Se pouvait-il qu’elle ait vu juste sans s’en douter et que Gail éprouve pour le patron de son mari un sentiment qui allait au-delà de l’admiration ? Décidant de placer les choses sur le terrain de la plaisanterie, elle lança :
Tu sais, George, si j’étais toi, je crois que j’aurais une petite dent contre Robert Forrest. Gail n’a plus que son nom à la bouche.
Hein ? Ne sois pas ridicule, protesta vivement sa cousine. Je suis reconnaissante à Robert et je me sens coupable de l’avoir mésestimé au départ, voilà tout. Tu sais que je me flattais de savoir bien juger les gens. Alors, je me sens tenue de…
De parler de lui à tout bout de champ pour que chacun puisse s’émerveiller de la métamorphose qui a changé le crapaud en prince ?
Ecoute, Livvy, je ne comprends vraiment pas ce qui te prend. Tu n’étais pas comme ça…
Gail s’était rembrunie et paraissait même si inquiète que sa cousine se sentit coupable.
Excuse-moi, commença-elle, c’est juste que… 
« Que j’aime éperdument un homme qui ne m’aime pas. » Ce n’était pas une chose à dire, n’est-ce pas ?
Que quoi ? insista Gail. 
Eh bien, j’ai des soucis. Je n’arrive pas à prendre une décision, pour ce changement de poste, au lycée.
Oh, je vois. Alors, il n’y a rien d’autre ? 
Et que veux-tu qu’il y ait ?
Gail eut une expression étrange, presque fausse.
Rien, rien du tout, s’empressa-t-elle d’assurer. 
Et, comme on sonnait à la porte, elle se hâta d’aller ouvrir. Livvy la suivit du regard, l’air songeur.

Gail, il faut que j’y aille, je t’assure. La fête est très agréable mais…
Allons voyons, tu ne vas pas t’en aller déjà…
Livvy se renfrogna en voyant que sa cousine l’avait saisie par le bras, comme pour la retenir contre son gré.
Je t’avais prévenue que je ne pourrais pas rester plus d’une heure, souligna-t-elle. Et…
La sonnerie de l’entrée, retentissant alors, l’empêcha d’aller plus loin. Gail ayant insisté pour qu’elle ne parte pas avant qu’elle fût allée répondre, Livvy céda. Il était plus facile de battre en retraite que de s’opposer à sa cousine, aussi revint-elle dans le salon, où elle se laissa tomber dans un fauteuil vide.
De là où elle se trouvait, elle put entendre s’ouvrir la porte. La voix de Gail s’éleva, plus haut perchée que d’habitude sous l’effet de l’excitation ou de la tension, semblait-il. A moins que ce ne fussent les deux ensemble.
Robert… Nous commencions à craindre que tu ne puisses venir. Ton vol a eu du retard ?
Evidemment, pensa Livvy, il n’était guère difficile de deviner qui venait d’entrer dans la maison. La huitième merveille du monde en personne. Déjà, Gail se ruait dans le living, flanquée d’un homme grand et brun, en costume sombre.
Richard ! La jeune femme s’était levée à demi sans même en avoir conscience, le visage livide sous l’effet du choc et de l’étonnement. Elle avait l’impression d’être une poupée de chiffon, tant elle se sentait faible et chancelante. Quant à son cœur… il s’était emballé, battant sur un rythme incohérent et précipité, au point qu’elle crut en défaillir.
Livvy, lui dit Gail, je voudrais te présenter le patron de George… Robert Forrest.
Livvy la dévisagea d’un air interdit. Elle s’expliquait à présent l’air coupable et gêné de Gail, son étrange nervosité, son insistance à la retenir le plus longtemps possible !
Richard Field… Robert Forrest. Mais pourquoi, au nom du ciel, n’avait-elle pas deviné… compris ? Elle se sentait trop bouleversée pour se risquer à bouger ou parler, ou plutôt Robert se rapprochait d’elle, et si elle ne tentait pas mais Richard quelque chose, elle serait prise au piège dans quelques secondes.
Elle se tourna vers Gail d’un air outré.
De quel droit as-tu osé me faire ça ? lui demanda-t-elle avec fureur. De quel droit ?
Puis, avant que sa cousine ait pu répliquer quoi que ce fût, elle s’élança hors de la pièce et de la maison, bousculant presque Robert et Gail au passage, ignorant les regards curieux des invités et les excuses embarrassées que George s’efforçait de lui donner en la suivant jusqu’au seuil.
Dès qu’elle fut revenue chez elle, elle s’enferma à double tour et débrancha le téléphone, qui sonnait déjà. Elle avait de violentes nausées et mal à la tête. Son corps ne semblait plus vouloir lui obéir. Lorsqu’elle ouvrit le robinet pour remplir un verre d’eau froide, ses doigts tremblaient si fort qu’elle dut s’y reprendre à plusieurs fois pour accomplir sa tâche. Ses dents s’entrechoquèrent sur le verre, tant elle frissonnait. Et pourtant, elle n’avait pas froid. En fait, elle était en nage.
Richard était Robert Forrest et Gail savait… Elle était au courant du mensonge délibéré qu’il lui avait fait sur son identité. Savait-elle aussi tout le reste ?
Mais pourquoi sa cousine ne lui avait-elle rien dit ? Pourquoi ne l’avait-elle pas avertie ?
Parce que Robert Forrest lui avait demandé de ne rien en faire. « Autant pour la loyauté familiale », songea amèrement Livvy.
Cependant, Gail n’était pas la seule à blâmer, dans cette affaire. Richard Field… Robert Forrest… Que leur avait-il dit exactement, à son sujet ? Qu’il était navré, mais qu’il avait dû la détruire, briser son existence ? Qu’elle était la victime qu’il avait été contraint de sacrifier ?
Sur quoi donc ? Sur l’autel de la revanche, par besoin d’assouvir sa vengeance sur les femmes ? Sûrement pas pour sauver le mariage de Gail et de George, en tout cas ; car s’il y avait quelqu’un qui n’avait pas caché son désir de les voir se rapprocher, c’était bien elle, Livvy !
Pourquoi cet homme n’avait-il pu lui dire qui il était ? Pourquoi avait-il trouvé nécessaire de lui mentir sur son identité ?
Parce qu’il avait pris un malin plaisir à l’abuser, peut-être. Livvy ne voyait pas d’autre raison possible. Quelle différence cela aurait-il pu faire, pour elle, de savoir que l’homme qui voulait acheter la ferme s’appelait Robert Forrest, et non Richard Field ?
La jeune femme plissa le front, intriguée et songeuse. Si Robert avait eu tellement à cœur de préserver l’union de Gail et de George, pourquoi alors avait-il cherché à créer des problèmes dans le couple en encourageant George à lui vendre la propriété à l’insu de Gail ?
Amèrement, Livvy se demanda ce que penserait sa cousine, si elle venait à apprendre toutes les critiques acerbes qu’il avait faites à son sujet… Elle ne le trouverait sûrement plus aussi merveilleux, c’était sûr !
Quant à lui, pourquoi leur avait-il parlé d’elle ? Et comment leur avait-il expliqué son départ précipité ? A la suite du message qu’elle avait laissé sur le répondeur de Gail, cette dernière avait-elle insisté pour connaître les raisons de sa fuite ? Si c’était le cas, il ne lui avait certainement pas révélé la vérité…
Livvy enregistra avec un regain de tension le bruit de moteur qui venait de retentir dans la rue, au-delà de sa porte d’entrée. Ayant gagné la fenêtre, elle frémit en apercevant la haute silhouette familière qui descendait du siège du conducteur. Elle s’écarta aussitôt de la croisée pour ne pas être repérée, vit Richard, ou plutôt Robert, s’immobiliser un instant et regarder en direction de sa maison.
Elle se demanda ce qu’il faisait là et ce qu’il lui voulait. Cherchait-il à s’assurer qu’il pouvait n’attacher aucune importance à ce qui s’était produit entre eux ? Tenait-il à l’avertir que cet épisode ne signifiait rien à ses yeux et qu’elle ne comptait pas pour lui ?
Un sourire amer naquit sur les lèvres de la jeune femme. La croyait-il stupide au point d’avoir besoin qu’on lui mette les points sur les i ?
Il se rapprocha et elle l’entendit frapper à la porte. Elle s’obstina à ne pas répondre. Des heures s’écoulèrent, sembla-t-il, et non des minutes, avant qu’il ne finisse par abdiquer et repartir en voiture.
Livvy mit très longtemps à s’endormir, ce soir-là. Allongée sur son lit, dans le noir, elle ne cessa de tourner et retourner dans sa tête tout ce qui lui était arrivé depuis son départ en France. Puis, lorsqu’elle sombra enfin dans le sommeil aux premières heures de l’aube, ce ne fut que pour rêver de Richard… Robert… et se réveiller avec un horrible sentiment d’angoisse et d’oppression.
Comme une somnambule, elle se leva et prépara son petit déjeuner sans enthousiasme. Puis, dans la solitude et le silence, elle s’assit en face de sa tasse de café et de ses toasts et, au lieu de manger, resta figée à sa place, le regard perdu dans le vague.
A un moment donné, elle se rappela qu’elle avait décroché le téléphone, la veille, et décida de ne pas le remettre en service. Puis, honteuse de cette lâcheté, elle se résolut à aller rebrancher la prise. Après tout, elle ne pouvait tout de même pas se retirer du monde.
Comme elle s’y attendait, il ne s’écoula pas plus de dix minutes avant que la sonnerie ne retentisse. C’était Gail.
Je ne veux pas te parler, lui dit-elle.
Ecoute, Livvy, je sais ce que tu penses…
Une inquiétude réelle perçait dans la voix de sa cousine, mais Livvy n’était pas d’humeur à pardonner.
Je ne voulais pas le revoir et tu t’en doutais, dit-elle. Pendant tout ce temps où tu me parlais du si merveilleux patron de George, tu savais ce qu’il avait fait. Tu savais aussi que si j’avais connu sa véritable identité, je ne serais jamais venue à cette fête.
Livvy, je t’en prie… 
Tu perds ton temps. J’ai quitté la ferme pour fuir Richard Field… ou plutôt Robert Forrest, et quel que soit son nom, je refuse de le voir, Gail. Tu penses peut-être que tu l’as méjugé, mais en ce qui me concerne, je considère au contraire que je me suis montrée beaucoup trop indulgente à son égard.
Livvy, essaie de comprendre…
Mais je comprends fort bien. Il s’est donné du mal pour sauver ton mariage et tu lui en es reconnaissante. Soit. Ce qui m’échappe, c’est la raison pour laquelle il a dû me mentir, me cacher qui il était afin de vous protéger, George et toi.
Il voulait aider George, plaida Gail, l’empêcher de tomber dans le piège où il était lui-même tombé. Dès qu’il a vu Sandra, la secrétaire de George, il a compris qu’elle était comme son ex-femme. Cette fille a même joué de ses charmes auprès de lui, mais il lui a fait rapidement comprendre qu’elle perdait son temps. Il a même mis George en garde. Seulement, George s’était entiché d’elle et n’a rien voulu entendre. C’est pour l’éloigner d’elle que Robert l’envoyait si souvent en mission à l’étranger.
Et c’est pour la même raison qu’il m’a menti sur son identité… et qu’il t’a menacée d’acheter la ferme ? s’enquit Livvy, sarcastique.
Gail marqua un temps de silence.
Je… je ne peux pas t’expliquer ça, dit-elle enfin. Il faudra que tu lui poses ces questions toi-même.
Je ne veux pas connaître les réponses, figure-toi. J’en sais déjà sur son compte bien plus que je n’en voudrais savoir, Gail. Il n’aime pas les femmes, tu sais. Il fait partie de ces hommes méprisables qui s’en prennent à elles pour restaurer leur ego…
C’est faux, protesta Gail. Il était si inquiet à ton sujet ! Il est rentré tout droit en Angleterre après ton départ ; et depuis, il ne s’est pas passé un jour qu’il ne m’ait téléphoné ou ne soit passé me voir pour me demander si j’avais eu de tes nouvelles. Un homme ne se comporte comme ça que s’il éprouve des sentiments très forts, Livvy…
Vraiment ? Et si tu remplaçais « sentiments » par « sentiment de culpabilité » ?
Ecoute, ça me navre de te savoir dans cet état. Tu es bien sûre que tu ne veux pas le rencontrer… le laisser s’expliquer ?
S’il croit que je vais me laisser manipuler pour qu’il puisse soulager sa conscience, il se trompe. Je ne veux pas le voir, Gail, point final. Si pour avoir la paix je dois aussi rompre avec toi, eh bien, qu’il en soit ainsi.
Au long silence qui lui répondit, Livvy comprit qu’elle avait profondément choqué sa cousine, mais elle commençait à s’endurcir. Gail ignorait la raison profonde de son refus, de toute évidence. Elle ne connaissait pas ses véritables sentiments pour Richard… Robert. Et bien entendu, elle souhaitait qu’ils s’expliquent et se réconcilient pour que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Seulement voilà, songeait douloureusement la jeune femme, je ne peux pas supporter l’idée de le revoir. »
Jamais elle ne se soumettrait de son plein gré à une aussi grande souffrance.
Un jour encore, et ce serait la rentrée. Dieu merci, le travail reprenait, pensa Livvy, qui revenait de faire ses courses. Elle aurait enfin de quoi occuper son temps et ses pensées.
Quant à son cœur… il ne fallait plus y songer.
Elle n’avait pas eu de nouvelles de Gail et, bien que sa cousine lui manquât, elle était résolue à ne pas revenir en arrière. Tant que Robert Forrest ferait partie de l’existence de Gail, elle ne pouvait se permettre de la fréquenter.
Elle gara sa voiture et en sortit avec lassitude. Il y avait eu beaucoup de monde, au supermarché, et elle se sentait fatiguée et courbatue. De plus, elle avait les nerfs à vif. Et à présent, tandis qu’elle déverrouillait sa porte d’entrée, elle jetait un coup d’œil inquiet alentour, s’attendant presque à voir Robert Forrest se matérialiser devant elle.
Robert… ce prénom lui allait bien, pensa-t-elle. Et, pour la énième fois, elle eut un frisson d’angoisse. Combien de temps encore allait-elle réagir ainsi ? Combien de temps lui faudrait-il pour oublier cet homme ?
Le fait de connaître son identité et sa traîtrise auraient dû lui rendre les choses plus faciles. Pourtant, cela avait accru sa souffrance et n’avait pas atténué son amour.
Elle poussa le battant d’un coup d’épaule, chancelant à demi sous le poids des lourds paquets qu’elle portait, et s’avança dans le vestibule. Il y avait quelqu’un dans son living-room. Un grand homme brun qui n’avait aucun droit d’être là.
Alors qu’il s’avançait vers elle, elle crut qu’elle allait bel et bien défaillir. Elle lut de la colère dans son regard et ne put retenir un petit gémissement angoissé.
Il lui prit ses paquets des mains et l’entraîna dans le living.
Mais qu’est-ce que tu cherches à te faire, bon sang ? demanda-t-il avec rudesse. Tu es maigre comme un coucou.
Elle aurait voulu répondre que ce n’était pas sa faute, si elle ne pouvait presque rien avaler ; pas sa faute si elle souffrait tant, accablée par le fardeau de son amour sans espoir. Mais, obstinément, elle retint les mots qui lui montaient aux lèvres, s’arrachant à lui pour demander avec amertume :
Que fais-tu ici ? Comment es-tu entré ?
Gail m’a donné sa clé. 
« Encore une trahison », pensa Livvy, profondément blessée.
Elle n’avait pas le droit de faire ça. Elle sait que je ne veux pas te voir. S’il te plaît, va-t’en. Sinon…
Sinon quoi ? Je vais m’effondrer et t’avouer que je t’aime ?
Je ne partirai pas tant que je ne t’aurai pas dit ce que j’ai à te dire, déclara Robert, l’air sombre. Et tu vas m’écouter, Livvy. Tu me dois bien ça. Partir… T’enfuir comme tu l’as fait… De quoi avais-tu si peur ? Tu craignais que je ne t’en demande plus que tu n’étais prête à donner ?
Qu’il demande plus ? Livvy sentit qu’il la plongeait en pleine confusion, cherchant sans doute à renverser la situation à son avantage. D’un air de défi, elle lui lança alors :
Pourquoi m’as-tu menti ? Pourquoi as-tu prétendu être quelqu’un d’autre ?
C’est toi qui m’a pris pour un éventuel acheteur, lui dit-il avec calme. Quand George m’a donné ses clés de la ferme pour que je puisse passer quelques jours au calme, la dernière chose à laquelle je m’attendais, la dernière chose dont j’avais besoin, c’était de me retrouver confronté à une femme très perturbante et très agressive. Il m’a paru plus sensé de rester ce que j’étais à tes yeux, un ennemi. Au lieu de…
Me mentir délibérément, c’est ce que tu appelles agir de façon sensée ?
Le regard que Robert décocha à sa compagne avait quelque chose de douloureux, presque hagard.
Oui, je sais bien, ça paraît absurde. Mais tu comprends, à ce moment-là, je ne savais pas… Tu prétends que je suis misogyne, Livvy, et en un sens tu as raison. Il est vrai que j’ai une certaine défiance envers les femmes… Mon mariage… En fait, il n’aurait jamais dû avoir lieu. J’avais vingt et un ans lorsque j’ai connu Claire, et elle en avait vingt-quatre. J’étais trop jeune et trop idéaliste, je suppose, pour savoir ce qu’était le véritable amour. Parce que je la désirais et qu’elle semblait me désirer aussi, j’en ai conclu que nous nous aimions. Et puis elle m’a annoncé qu’elle était enceinte de moi. Tout ça n’était qu’une invention, comme son soi-disant amour. Mais lorsque j’ai compris mon erreur, et lorsqu’elle m’a avoué qu’elle n’aurait pas d’enfant, il était trop tard. Nous étions mariés. J’ai cru qu’elle était aussi désespérée que moi par l’échec de notre union. Seulement, lorsque j’ai tenté de lui en parler, elle m’a ri au nez. Elle m’a déclaré qu’elle m’avait épousé pour se venger de son amant, qui refusait de quitter sa femme pour la suivre ; et pour avoir un train de vie confortable, parce que j’étais riche. Après cette discussion, je n’ai plus éprouvé le moindre désir pour elle, et je n’ai même plus supporté de partager sa chambre.
Robert marqua un temps d’arrêt, poussa un soupir. Puis il reprit :
Elle a recommencé à voir son amant. J’aurais pu demander le divorce, bien sûr,  mais par orgueil, je ne voulais pas qu’on sache que je m’étais conduit en imbécile. Quant à elle, ça ne l’arrangeait pas du tout qu’on se sépare… Elle a pourtant changé d’avis lorsque son amant a plaqué sa femme et à ce moment-là, toujours par orgueil, j’ai accepté la séparation aux conditions financières qu’elle exigeait. Elle est morte trois semaines après le divorce, en même temps que son compagnon… Je me suis senti coupable. La voiture qu’il conduisait avait été payée grâce à mon argent. Je n’aimais pas Claire, mais je ne la détestais pas non plus. Pourtant, je lui en ai voulu de m’avoir laissé ce fardeau de culpabilité à porter… Je me suis détesté moi-même, aussi. Je me reprochais d’avoir été naïf et d’avoir voulu confondre à tout prix le simple désir avec l’amour… J’étais trop fier pour admettre que j’avais pu me laisser prendre à un besoin aussi instinctif et aussi primitif, et je me suis juré de ne plus jamais retomber dans le piège de la sensualité. Et puis je t’ai vue… et j’ai su que, quoi que je dise ou fasse, je ne pourrais m’empêcher de te désirer comme un fou. J’ai été injuste envers toi, Livvy… mais je t’en prie, essaie de comprendre. C’était mon seul moyen de me défendre.
Mais de quoi ?
Longtemps, Robert regarda la jeune femme, sans répondre.
De t’aimer, lâcha-t-il enfin. 
De m’aimer, moi ? s’écria Livvy. 
Elle commençait à se demander si elle n’avait pas des hallucinations auditives. Un instant, elle fut en proie à une grande confusion. Puis, se reprenant, elle protesta :
Arrête de me mentir. Tu ne m’aimes pas. Tu m’as dit en France que…
Je t’ai dit des tas de choses, coupa-t-il avec calme, mais ce n’étaient que des mots. Je croyais t’avoir montré à quel point ils étaient creux et vides de sens. Je croyais t’avoir montré à quel point tu comptais pour moi…
En couchant avec moi ? dit Livvy.
Elle s’était efforcée de parler sur un ton railleur, mais sa voix avait tremblé d’une manière très révélatrice.
Non, en te faisant l’amour, corrigea Robert. Livvy, pourquoi es-tu partie comme ça ? Est-ce que tu as la moindre idée des tourments que tu m’as infligés ? Est-ce que…
J’ai entendu ta conversation avec George révéla la jeune femme en redressant le menton avec hauteur J’ai entendu ce que tu lui disais sur mon compte Que tu savais comment te débarrasser de moi Robert la dévisagea d’un air stupéfait Elle vit qu’elle l’avait atteint mais ce savoir ne lui procurait aucune sensation de triomphe Seulement une douleur sourde et lancinante qui lui révélait à quel point elle avait voulu croire qu’il avait dit vrai et qu’il tenait à elle Parfaitement répéta-t-elle, tu as dit à George que tu savais comment te débarrasser de moi.
Pas de toi ! Oh, Seigneur, comment as-tu pu croire… ? Oh, Livvy, Livvy… Je parlais de Sandra, voyons… Ma secrétaire m’avait téléphoné à la pour m’apprendre que elle était autorisée à le faire en cas d’urgence ferme Gail demandait à me parler. Je savais par ton intermédiaire que ta cousine était plutôt remontée contre moi. Et par ailleurs, Sandra cherchait aussi à me joindre. Il fallait donc que je parle à George. Comme tu étais sur place, je ne pouvais lui téléphoner. Alors, je suis allé en ville, où je lui ai adressé un télex. J’ai fini par entrer en contact avec lui et découvrir que ses yeux s’étaient désillés, au sujet de Sandra. Mais celle-ci avait gardé des lettres de lui et le menaçait de tout dire à Gail. Plus tard, lorsque tu m’as entendu, c’était à Sandra que je faisais allusion, pas à toi.
Livvy le regarda et comprit qu’il lui disait la stricte vérité.
Mais cela ne change rien au fait que tu m’as menti, lui dit-elle d’une voix tremblante. Tu dis que tu m’aimes… Mais comment pourrais-je te croire alors que tu…
Je t’ai menti parce que j’avais peur Livvy Tu comprends j’ai su au premier regard que tu me rendais vulnérable et c’était bien la dernière chose dont j’avais besoin dans ma vie Alors j’ai tenté de me convaincre que tu étais comme Claire… de nier ce qui m’arrivait Et comme ça n’a pas marché j’ai voulu croire que c’était une attirance purement sexuelle Pourtant je sentais que c’était faux… Tu dois bien t’en rendre compte Si ce n’avait été qu’une envie de coucher avec toi est ce que j’aurais cherché à t’éloigner de moi comme je l’ai fait De toute façon c’est arrivé quand même et je n’ai même plus essayé de lutter J’avais trop envie de toi…Tout en parlant Robert avait franchi l’espace qui le séparait de sa compagne et tendait les bras vers elle l’attirant contre lui Lovée contre l’homme qu’elle aimait Livvy se sentit fléchir Mais si je n’étais pas montée à l’étage… 
Cela n’aurait rien changé. Tôt ou tard, ça se serait terminé comme ça entre nous.
Tandis que la jeune femme levait les yeux vers lui, il se pencha pour lui murmurer quelque chose à l’oreille et elle rougit légèrement.
Tu vois, jamais je ne t’aurais laissé m’échapper, lui dit-il. Et après que nous soyons devenus amants…
Abruptement, il ajouta :
Tu m’aimes, hein ?
Livvy perçut son hésitation, son inquiétude. Ses doutes furent balayés d’un seul coup. Le serrant contre elle, elle murmura à son tour :
Oui, je t’aime. Comme toi, je ne voulais pas de cet amour…
… Mais tu as découvert comme moi qu’il y a des émotions et des sentiments qui sont plus forts que tout.
Livvy était encore blottie dans les bras de Robert, lorsque le téléphone retentit, une demi-heure plus tard. S’écartant à regret de son compagnon, elle énonça :
Je parie que c’est Gail.
Dis-lui que tu es trop occupée pour lui parler maintenant, murmura-t-il en posant ses lèvres au creux du cou de la jeune femme. Oh, et puis… préviens-là aussi qu’elle ferait bien de s’apprêter à un mariage. Un mariage imminent.

princesse.samara 12-12-08 02:45 PM

je souhaite une bonne lecture a tout le monde

al hikma 12-07-09 04:48 PM

merci bq,vraiment c est une tres belle histoire

engyb 03-03-12 03:45 PM

belle histoire
 
Merci beaucoup pour le grand effort :):55:


ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 04:05 PM.

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