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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:55 PM

Enquête à hauts risques
 
Enquête à hauts risques
de Linda Winstead Jones


Elle a des obligations
Fille d’un sénateur haut placé, Jayne Harrington est habituée à réagir « comme il faut » en toutes circonstances. Mais il n’a pas été prévu qu’elle rencontre une bande de truands sur une route déserte, le soir où elle se rend à une soirée pour jouer les relations publiques.
Il a une mission
Boone Sinclair est un détective privé spécialisé dans la recherche d’enfants disparus. Il aurait préféré que son chemin ne croise jamais celui de Jayne Harrington. Infiltré chez les truands, il est en mission secrète pour retrouver Andrew Patterson, un petit garçon de 4 ans, retenu par son père, un magnat de la drogue qui n’a pas hésité à assassiner la mère de l’enfant.
Ils doivent simuler la passion
Pour que Jayne ne soit pas tuée sur-le-champ, Boone prétend qu’il veut la garder pour « ses besoins personnels ». Encore faut-il que la jeune femme très collet monté veuille bien jouer le jeu…0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:57 PM

chapitre 1

Installée sur le siège passager de la Mercedes lancée à vive allure, Jayne Barrington laissa son regard se perdre à l’extérieur, tout en se demandant à quel moment sa vie était partie de travers. Le paysage de l’Arizona, si différent de celui de son Mississippi natal, ne lui apportait aucune ré-ponse. Cédant à l’unique manifestation de nervosité qu’elle se fût jamais autorisée, elle tripota du bout des doigts le rang de perles qui ornait son cou.
Sans doute nourrissait-elle des espoirs excessifs. Le genre d’homme auquel elle rêvait n’existait plus. La race des gentlemen, des chevaliers servants en armure étince-lante était depuis longtemps éteinte.
— J’ai dû bifurquer au mauvais endroit, déclara Jim d’un ton nerveux. Il doit forcément exister une route coupant vers le sud.
La note faussement enjouée que contenait sa voix man-quait de conviction.
Ils n’avaient vu ni habitation ni éclairage public depuis des kilomètres, et la dernière station-service se trouvait à vingt minutes. Lorsque Jayne avait suggéré qu’ils s’y arrê-tent pour demander leur chemin, Jim avait opposé un refus offensé. Ah, les hommes !
Une secousse ébranla le véhicule au moment où l’étroite route d’asphalte prit fin, se transformant abruptement en une piste poussiéreuse et creusée d’ornières.
— Faites demi-tour, commanda Jayne d’une voix sèche. Ne voyez-vous pas que ce chemin ne nous mènera nulle part ?
Jim se pencha en avant et tendit son cou décharné pour scruter la route par-dessus le volant.
— Il y a un fossé de ce côté. Nous risquons de nous enli-ser si je tente la manœuvre ici.
Jayne avait plutôt l’impression que c’était elle qui, de-puis plus d’une demi-heure, s’enlisait à ses côtés, assise près de ce chevalier servant qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam, qui la conduisait à une soirée.
Elle prit une profonde inspiration et expira lentement l’air de ses poumons. Pamela paierait le prix fort pour lui avoir organisé ce lamentable rendez-vous. Oh, Jim était certes beau garçon — n’eût été ce cou ! — et appartenait à la meilleure société. Mais il ne brillait pas par son intelli-gence. Derrière son joli minois et sa dentition à trois mille dollars, il possédait autant de cellules grises qu’un enfant de huit ans. Et encore. Jayne pouvait pardonner de nom-breux défauts chez un homme, mais la stupidité ne faisait pas partie du lot.
Deux heures déjà qu’ils avaient quitté Flagstaff. La forêt de pins avait à présent laissé place à une étendue désolée, dont la monotonie était ici et là brisée par de grandioses formations rocheuses ocre rouge, ponctuée d’arbustes qui luttaient pour survivre dans un aride décor lunaire.
Alors qu’ils auraient dû être parvenus à destination de-puis une bonne demi-heure, Jayne n’avait encore aperçu aucun des repères qui lui avait été indiqué avant le départ.
Seigneur, ils étaient bel et bien perdus !
— Il me semble apercevoir de la lumière, annonça Jim, d’une voix où pointait une lueur d’espoir.
Jayne plissa les yeux. A quelque distance, en effet, un vague scintillement trouait l’obscurité de la nuit. Trop fai-ble pour provenir des feux d’une voiture ou d’une hypothé-tique maison plantée au milieu de nulle part, mais plus lumineux que celui d’une simple lampe de poche. Une intuition désagréable lui crispa estomac. Sur quoi allaient-ils tomber ?
— Pourquoi ne pas faire marche arrière jusqu’à la route asphaltée ? proposa-t-elle. Pour tout vous dire, je suis prise d’une affreuse migraine. Oublions cette soirée, voulez-vous ? Je préfère rentrer à mon hôtel.
Son père serait déçu. De son côté, Jim s’était fait une joie d’assister à cette réception donnée par le producteur Corbin Marsh dans sa demeure pittoresque de l’Arizona. Avec l’idée que ce dernier ne manquerait pas, conquis par son charme naturel, de le propulser au firmament des stars.
— Remonter toute cette route en marche arrière ? s’étonna-t-il en lui jetant un regard atterré. Attendons d’être parvenus à hauteur de cette lumière, quelle qu’elle soit. Si nous n’en rencontrons pas d’ici là, je tenterai alors de re-brousser chemin.
Il la gratifia d’un sourire qui se voulait rassurant.
— J’étais si impatient de rencontrer Marsh, reprit-il. Mais si vous y tenez vraiment, nous pouvons laisser tomber cette soirée et regagner votre hôtel. Je suis persuadé qu’il cherchera à vous voir un autre jour. Il me suffira alors de vous accompagner.
Quel goujat !
Pas question d’inviter cet attardé mental à son hôtel ni d’accepter tout autre rendez-vous avec lui ! Et s’il espérait l’accompagner où que ce soit, il se berçait d’illusions. Mais pour le moment, elle était à sa merci aux confins du désert, et le moment était mal choisi pour lui exprimer son aver-sion.
La lumière devant eux gagna en netteté. Jayne discerna bientôt des formes en clair-obscur évoluant auprès de deux véhicules arrêtés sur le côté de la route. Trois ou quatre puissantes torches électriques brillaient dans la nuit, proje-tant une lumière mouvante. Une vive inquiétude la saisit. Que faisaient donc ces hommes aussi loin de tout ? Là où, à proprement parler, il n’y avait rien ? Elle n’aimait pas cela du tout. Un frisson d’appréhension la traversa, qui lui don-na la chair de poule.
— Rebroussons chemin, Jim.
Les hommes obéissaient généralement à ses ordres. Ce n’était pas le cas de son actuel cavalier.
— Cette fois je vais me renseigner, dit-il. Sans doute au-rais-je dû le faire à la dernière station-service.
— Sans doute…, marmonna Jayne, exaspérée, tout en tripotant une fois de plus son collier.
Jim leva le pied de l’accélérateur et arrêta doucement le véhicule au milieu de la route. Otant les clés de contact, il alluma la petite torche accrochée au trousseau, puis adressa à sa passagère un sourire éclatant.
— Je ne serai pas long.
Quelques mètres plus loin, les six hommes réunis autour du coffre d’une des voitures se tournèrent vers lui tandis qu’il descendait de la Mercedes.
Tous étaient vêtus de jeans et de T-shirt. L’un des incon-nus portait les cheveux longs à l’aspect négligé et grais-seux. A côté de lui s’agitait un gosse qui ne devait pas avoir dépassé les dix-huit ans, au crâne rasé ou presque. Quant au géant qui se tenait le plus près du coffre, son énorme ven-tre, comprimé dans un T-shirt orné d’un logo Harley-Davidson, débordait de manière disgracieuse de la ceinture de son large pantalon. Les deux suivants présentaient une allure plus conventionnelle et semblaient presque déplacés au sein du groupe. Le jean repassé, le T-shirt impeccable, l’un et l’autre arboraient une coupe de cheveux nette et soignée d’hommes d’affaires. Ils se tenaient côte à côte. Le sixième homme était placé légèrement en retrait, le visage dans l’ombre, la tenue tout aussi ordinaire que celle des cinq autres : jean serré, boots et blouson de cuir.
Grand-mère n’aurait pas hésité à les qualifier de hooli-gans.
Prudent, Jim éclaira son chemin de sa torche afin d’éviter les nids-de-poule.
— Salut les gars ! lança-t-il avec cordialité. Je crois bien m’être égaré…
Jayne n’entendit rien d’autre qu’un puissant éclat qui la fit sursauter. Jim s’effondra sur le sol devant ses yeux, avant de disparaître de son champ de vision. Elle reporta aussitôt son regard sur le sinistre gang. Les deux individus « propres sur eux » s’étaient écartés des autres, la mine décomposée, tandis que l’homme aux longs cheveux gras allumait calmement une nouvelle cigarette, avant de tendre son paquet à son jeune comparse.
Du canon de son revolver, l’auteur du coup de feu pointa le voyou à la veste de cuir, apparemment en vif désaccord avec lui.
L’information mit quelques secondes à pénétrer dans le cerveau de Jayne, puis son cœur cessa de battre si brutale-ment qu’elle se vit incapable de réfléchir. Ils avaient tué Jim. Ils l’avaient froidement assassiné.
Paniquée, Jayne se dit qu’elle devait fuir. Elle se glissa derrière le volant et une sueur froide l’envahit. Avant de descendre, Jim avait enlevé les clés de contact. Elle jeta un coup d’œil à travers le pare-brise et vit le truand aux che-veux gras indiquer la Mercedes d’un signe du menton. Le petit chauve s’y dirigea aussitôt. Jayne ne voyait nulle part où fuir. Elle n’irait pas loin en chaussures de soirée. Elle se devait quand même d’essayer.
Juste avant que le chauve n’atteigne la voiture, elle ou-vrit grand la portière et se précipita hors du véhicule. Elle se mit à courir ensuite sans se retourner, ses hauts talons rendant sa démarche incertaine sur le sol inégal.
Les hommes derrière elle lui crièrent de s’arrêter, tandis qu’elle redoublait d’efforts pour leur échapper. Elle ignorait où ses pas la menaient, mais elle espérait mettre assez de distance entre elle et les tueurs pour trouver une cachette où se réfugier. Un coup de feu retentit. Le sifflement de la balle passa à quelques centimètres seulement de son oreille. Une voix hurla quelque chose dans son dos, une autre brail-la un chapelet d’injures, une troisième émit un glapissement animal, mais elle poursuivit sa course sans tenter le moin-dre coup d’œil par-dessus son épaule.
Un bruit de moteur se fit soudain entendre dans l’obscurité. Dieu soit loué ! Ils allaient s’en aller. La laisser disparaître dans la nuit, l’oublier…
Elle n’eut pas cette chance. Une voix dure, toute proche, lui ordonna de s’arrêter.
Son cœur cognait si fort dans sa poitrine qu’il lui sembla sur le point d’exploser. Respirer lui demandait des efforts surhumains, des élancements douloureux lui traversaient les jambes, et chacun de ses pas mettait ses chevilles à l’agonie. Non, elle ne s’arrêterait pas.
Sans qu’elle s’y attende, des bras la saisirent par la taille. Déséquilibrée, Jayne tomba lourdement sur le sol en pous-sant un gémissement désespéré. L’homme qui l’avait rat-trapée la suivit dans sa chute, l’écrasant presque sous son poids.
Elle ferma les yeux, étourdie et suffocant à moitié sous la lourde masse de l’inconnu. Ils allaient la tuer. Exacte-ment comme ils avaient tué ce pauvre Jim.
— Debout, chérie ! l’enjoignit son agresseur.
Il l’aida à se relever, lui maintenant le poignet d’une main ferme. Ils se trouvèrent bientôt face à face. Celui qui l’avait stoppée était l’homme au blouson de cuir. A peine entendait-elle le souffle léger et régulier de sa respiration.
Le colosse qui avait tué Jim s’approchait et leva vers elle le canon de son arme. Elle ferma les yeux.
— Baisse ça, ordonna l’homme qui la tenait d’une poi-gne ferme.
Il se déplaça d’un pas, s’interposant ainsi entre elle et le revolver.
— Est-ce qu’elle ressemble à un agent du F.B.I. ? reprit-il. A un dealer venu te piquer ta came ? Merde, ce ne sont que deux petits bourgeois qui ont eu la mauvaise idée de se pointer au mauvais endroit et au mauvais moment.
Il tourna de nouveau son visage vers elle, la mâchoire déterminée et les lèvres cruelles. Malgré l’obscurité, il lui sembla apercevoir une lueur d’accusation dans son regard, comme si cette catastrophe était entièrement de sa faute.
— Je m’en fiche, répondit le gros truand au revolver. Elle nous a vus. Il faut la supprimer.
Le ton sur lequel il avait prononcé ces mots était si déta-ché, si froidement monstrueux… Jayne sentit ses jambes flageoler et crut qu’elle allait s’évanouir.
L’homme qui la tenait prisonnière secoua la tête, la mine consternée, tandis que ses cheveux ondulaient dans la brise. Il grommela d’immondes grossièretés, sans desserrer l’étau d’acier qui immobilisait le poignet de Jayne. Celle-ci ne songea même pas à s’en libérer lorsqu’il la fit passer der-rière lui d’un geste nonchalant.
— Je la veux, grogna-t-il.
Tout son corps était tendu, nota-t-elle, et un nerf battait sur son maxillaire.
Le colosse baissa son arme.
— Tu, quoi ?
— J’ai dit que je la voulais, répéta-t-il d’une voix mau-vaise. Nous sommes cloîtrés dans cette maudite baraque depuis plus d’un mois, et laisse-moi te dire que les femmes de ce trou à rat que tu appelles une ville ne correspondent pas exactement à mes standards !
— Plutôt mourir ! s’écria Jayne, saisie d’une brusque panique.
Elle gesticula pour se dégager, tenta de porter un coup de pied dans la partie la plus sensible de l’anatomie de l’homme, mais se retrouva presque aussitôt le dos dans la poussière, le poignet toujours emprisonné.
L’inconnu se pencha vers elle, le visage noyé dans l’ombre, avant de chuchoter :
— Ne dis rien que tu puisses ensuite regretter, chérie.
Boone veillait à maintenir entre le revolver et la femme l’écran de son corps. En guise de remerciement, celle-ci venait de lui expédier la pointe de sa chaussure sur la ro-tule. Elle voulait viser plus haut, soupçonna-t-il. La jupe de son luxueux tailleur était à présent retroussée sur l’adorable modelé de ses cuisses. Les genoux collés et les pieds tour-nés vers l’intérieur, elle offrait un spectacle qui eût été comique en tout autre circonstance.
Le faisceau de la torche de Marty balaya lentement le corps étendu. D’un étonnant blond vénitien, presque doré, ses fins cheveux descendaient en boucles disciplinées jus-qu’à hauteur du menton, encadrant deux joues pâles. Quant au collier de perles qui lui ceignait le cou, nul doute qu’il était authentique. Hors de prix, comme tout ce qu’elle por-tait : ensemble tailleur d’une teinte délicate à mi-chemin entre l’orange pastel et le rose corail, chemisier d’un blanc immaculé, l’ensemble formant de la tête aux pieds une harmonie crémeuse et dorée.
La pauvre fille était littéralement terrorisée.
Concentrer sur elle son attention lui octroya quelques instants de répit, qu’il mit à profit pour rassembler ses es-prits et calmer les battements de son cœur. Personne n’était censé mourir ici. Le business de cette nuit ne devait être que de pure routine, une petite opération commerciale ar-rangée par Darryl avant la rencontre décisive avec le caïd du réseau.
Il n’avait eu d’autre choix que d’assister à la transaction, tout en enregistrant mentalement chaque détail. Dans moins d’une semaine, tout serait terminé. Quelques jours encore, et il se trouverait enfin en présence du tristement célèbre Joaquin Gurza.
— Attention où tu mets les pieds, chérie, dit-il en l’aidant à se relever.
— Cessez de m’appeler chérie, espèce de… de débile ! s’indigna-t-elle.
Son délicieux accent sudiste rappela à Boone son propre foyer.
Il jeta un coup d’œil à Darryl, le gros dealer si prompt à dégainer, tout en se morigénant pour n’avoir pas su prévoir le coup. S’il ne pouvait sans doute plus rien pour le pauvre gars étendu au milieu de la route, du moins mettrait-il tout en œuvre pour sauver la fille — si toutefois elle le lui per-mettait.
— Très bien. Alors comment t’appelles-tu, chérie ?
Elle le frappa du poing, en un crochet pathétique qui rencontra mollement le haut de son bras.
— Mon nom ne vous regarde pas, répliqua-t-elle d’un ton autoritaire.
Darryl éclata de rire.
— C’est bon, Tex, railla-t-il. Amuse-toi avec elle et je la tue ensuite. Cette poupée est du genre à nous attirer des ennuis. Elle parle trop.
Boone pencha la tête, tout près de l’oreille de la fille.
— A toi de choisir, chérie, murmura-t-il. Ou tu la fermes et tu ne me quittes pas d’un millimètre, ou tu finis comme le type, là-bas, sur la route.
Malgré l’obscurité, il vit une vague de panique crisper son ravissant visage.
— C’était ton mari ?
Elle nia de la tête.
— Ton petit ami ?
Elle secoua de nouveau la tête.
Il ne pouvait prendre le risque de trop lui parler. Quant à la laisser entre les mains de Darryl, c’était hors de question. Marty et Doug, qui suivaient la scène avec un plaisir non dissimulé, ne valaient guère mieux. Non. La fille était sous sa responsabilité. Jusqu’à ce qu’il trouve le moyen de se débarrasser d’elle.
— Non, dit-il à l’intention de Darryl, sans quitter son otage des yeux. Je n’ai pas l’intention de « m’amuser » avec elle, et tu ne la tueras pas.
Les lèvres tremblantes, la fille avait à présent les yeux baissés. Sans doute ne voulait-elle pas lui laisser deviner sa terreur. Seigneur ! songea-t-il. Pourvu qu’elle ne se mette pas à pleurer.
— Je la garde avec moi, déclara-t-il.
Tournant alors les talons, il se dirigea d’un pas décidé vers la Mercedes.
Darryl, il le savait, n’aimait pas s’encombrer d’un poids inutile. Mais l’homme se *******a de grommeler un juron, avant de replacer son revolver sous sa ceinture.
Les acheteurs avaient depuis longtemps disparu. Après avoir accusé réception de leur marchandise, ils avaient pris la route tandis que lui-même et les autres truands se lan-çaient aux trousses de leur témoin imprévu. Emballé avec soin et rangé dans un attaché-case, l’argent de la transaction avait été sagement déposé dans le coffre de Darryl.
Boone pressa le pas pour s’approcher de l’homme gisant au sol. Il marcha vite, obligeant la fille à courir derrière lui.
Boone s’arrêta et baissa les yeux sur l’homme étendu près du véhicule. En une fraction de seconde, son esprit enregistra la riche étoffe du costume, la montre en or, la coupe de cheveux impeccable. Le parfait cavalier pour la jeune personne qui se tenait à ses côtés. Il détestait ces gens-là. Pétris de bons sentiments, trop riches pour être honnêtes, toujours condescendants à l’égard du reste du monde. Pourtant, ils ne méritaient pas d’être ainsi tués en pleine jeunesse.
Il disposait de très peu de temps. Sans lâcher le poignet de la fille, il s’accroupit sur ses talons et fouilla rapidement les poches de l’homme.
— Qu’est-ce que tu fais ? cria Marty.
Boone regarda par-dessus son épaule. Le gosse marchait dans sa direction.
— Les poches, répondit-il. Notre ami doit être plein aux as.
Joignant le geste à la parole, il s’empara de la montre et la glissa dans une poche de son blouson.
La fille émit un curieux son, exprimant ainsi probable-ment son plus profond dégoût.
— Je peux prendre la bagnole ? demanda Marty en affi-chant un sourire niais.
— Non, répondit Boone d’un ton laconique. Elle condui-rait les flics jusqu’à nous.
Doug apparut derrière son jeune acolyte. Tandis que le regard apeuré de la fille se posait sur lui, il secoua ses che-veux d’un mouvement coquet.
— Parce que tu crois que celle-là ne va pas les conduire jusqu’à nous ? ironisa-t-il d’un ton aigre, montrant du doigt Jayne, terrorisée.
— Celle-là, je m’en charge, répliqua Boone d’un ton sec.
Doug et Marty n’avaient ni l’un ni l’autre guère plus de vingt ans. Leur Q.I. était limité comme leur courage. Ce qui avait rendu le travail de Boone beaucoup plus aisé qu’il ne l’avait imaginé a priori.
Il ne pouvait cependant terminer devant eux ce qu’il avait commencé.
— Mets-la dans la voiture de Darryl, ordonna-t-il en ten-dant le poignet de son otage.
Juste avant que la main de Marty ne se refermât sur ce-lui-ci, il sentit la fille frissonner.
— Touche-la n’importe où ailleurs, reprit-il d’un ton menaçant, et tu es mort. Elle est à moi, c’est compris ?
Devant le sourire figé de Marty, il ajouta :
— J’arrive tout de suite.
Les deux hommes s’éloignèrent. Marty traînant la fille derrière lui, Doug jeta au passage un bref coup d’œil aux sièges avant de la Mercedes. De son côté, Darryl était oc-cupé à vérifier le compte de l’argent de la transaction, ce qui laissa à Boone le loisir de placer deux doigts sur le cou de la victime étendue.
Il ferma les yeux, soulagé. L’homme n’était pas mort. Son rythme cardiaque était marqué et régulier. Ce qui se passa ensuite fut très rapide. Boone trouva la blessure sur le flanc. Vilaine, mais pas fatale. Fasse le ciel qu’il ne se ré-veille pas, pria-t-il. S’il se mettait à faire du raffut, Darryl rappliquerait pour achever la besogne.
Sans perdre de temps, il ôta la veste de l’homme. Il sub-tilisa le portefeuille dans l’opération — au cas où les truands l’observaient — et s’empara également du télé-phone portable.
La veste constituait un bandage inadéquat mais rapide et facile à poser. Dissimulant ses mains aux regards, il alluma le portable et composa le 911, numéro d’urgence de la po-lice. Il le positionna ensuite sur le torse de la victime, caché sous l’un des pans de l’élégant vêtement.
— On part ! cria Darryl, avant de refermer dans un cla-quement sec le coffre de sa voiture.
Marty et Doug étaient déjà installés sur la banquette ar-rière, encadrant la fille terrifiée.
Il n’avait plus une minute à perdre. S’il prenait à Darryl l’idée de venir voir ce qu’il faisait, toute l’opération tom-bait à l’eau. Fichue. Terminée. Trois mois de travail gâché, et un — ou plusieurs — cadavre au choix : Darryl ou lui-même et la fille.
Il se pencha vers le corps et, répondant au standardiste qui avait décroché, chuchota le nom de la route où ils se trouvaient. Rien de plus. Localiser l’endroit prendrait cer-tainement du temps, mais il n’existait pas de meilleure solution. Au moins, le type semblait avoir un cœur solide et ne perdait pas trop de sang.
— Tiens bon, mon pote, murmura-t-il.
Etre démasqué maintenant était un risque qu’il ne pou-vait courir. Il n’avait pas encore retrouvé l’enfant kidnappé par l’insaisissable trafiquant de drogue qu’était Gurza. Et jusqu’à ce qu’il y parvînt, rien d’autre n’importait. Ni l’homme allongé au sol ni la fille qu’il gardait en otage. Pour la garder en vie.
Il secoua la tête, tout en s’éloignant de la Mercedes. Très ténue, la voix du standardiste lui parvint aux oreilles depuis le portable, sollicitant plus d’informations.
Mauvaise soirée. Un blessé, plus une fille dont il était désormais responsable… Bon sang ! Il s’était engagé trop loin. Et par expérience, il savait que dès l’instant où les choses commençaient à tourner mal, elles ne faisaient en-suite qu’empirer.
Quel que soit le prix à payer, il devait avant tout retrouver l’enfant pour le rendre à ses grands-parents. 0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:59 PM

chapitre 2
Montrer aux meurtriers de Jim l’étendue de sa peur était un cadeau que Jayne ne voulait pas leur faire. Mais elle avait beau tenter d’arrêter ses dents de claquer et ses jam-bes de trembler, son corps ne lui obéissait pas.
Le regard fixé sur la route devant eux, ses deux gardes du corps semblaient avoir totalement oublié sa présence, même s’ils étaient serrés les uns contre les autres sur la banquette arrière dans l’obscurité du véhicule. De toute évidence, ils craignaient le dénommé Tex. Celui-ci lançait de temps à autre un sombre regard d’avertissement aux deux voyous par-dessus son épaule.
Malgré l’angoisse qui la rongeait, Jayne ne perdait rien de ce qui se passait. Jim et elle avaient fait irruption au beau milieu d’une transaction de trafiquants de drogue. C’était bien leur chance ! De toutes les routes menant nulle part, il avait justement choisi celle-là. Elle renifla et porta la main à son collier de perles. Jim était mort, et le même sort l’attendait. Sauf si elle trouvait le moyen de s’échapper.
Tex jeta un nouveau coup d’œil derrière lui. Son regard s’arrêta brièvement sur elle tandis qu’ils passaient sous la lumière d’un lampadaire. Son cœur bondit dans sa poitrine, et ses lèvres devinrent toutes sèches. Nul besoin d’être sorcier pour deviner quelles étaient ses intentions à son égard. Il s’était montré suffisamment explicite. A cette simple pensée, ses tremblements s’accentuèrent.
L’espace d’une fraction de seconde, elle vit le regard froid s’adoucir, juste avant qu’ils ne quittent la zone de lumière et que le visage de l’homme ne se fonde de nou-veau dans l’obscurité. Elle secoua la tête. Elle avait dû rêver…
La voiture s’arrêta enfin devant un bungalow isolé et dé-labré. Une ampoule nue de faible intensité brillait près de la porte d’entrée, projetant une lumière glauque sur le reste de la construction. La peinture grise des murs s’écaillait, et les rideaux qui obturaient les fenêtres étaient constitués de vieux draps jaunis. Aucune habitation n’était visible dans le voisinage, exception faite d’une bâtisse d’aspect similaire, apparemment déserte, devant laquelle ils étaient passés quelques minutes plus tôt.
Oui, elle se trouvait loin, très loin de l’extravagante rési-dence de Corbin Marsh, du champagne et des petits-fours…
Au moment où le petit chauve sortait de la voiture, Tex l’attendait déjà près de la portière. Le visage dépourvu d’aménité, il lui offrit sa main. Jayne l’ignora et descendit du véhicule, pour constater qu’il n’existait aucun endroit où fuir. De toute manière, jamais elle ne courrait assez vite. Elle scruta néanmoins la route, les sourcils froncés.
— N’y songe même pas, susurra Tex en lui saisissant le bras. Tu n’irais pas loin.
Parce qu’il la tuerait ? Parce que l’un des autres malfrats le ferait ?
Rassemblant ce qui lui restait de courage, elle riva son regard dans le sien.
— Butor ! proféra-t-elle d’une voix dure.
Les trois autres s’esclaffèrent, mais pas Tex. Le géant qui avait tiré sur son cavalier d’un soir asséna une grande claque dans le dos du blouson de cuir.
— Je descends son petit ami, ricana-t-il. Toi, tu la ramè-nes ici pour te payer un peu de bon temps, et voilà t’y pas que la demoiselle te traite de « butor » !
Jayne fut tentée de regarder le gros homme dans les yeux et de lui exprimer sa façon de penser… Mais elle se retint. Tex l’effrayait, mais celui qui avait tué Jim, et menacé d’en faire autant avec elle, la terrorisait au-delà de toute raison. Son instinct lui dit que si elle gardait son attention et son regard fixés sur Tex, il lui restait une toute petite chance de s’en sortir.
Tous n’étaient que des gangsters, mais celui qui avait décidé qu’elle lui appartenait semblait être le plus intelli-gent des quatre. Peut-être, lorsqu’ils seraient seuls, par-viendrait-elle à le raisonner. Lui proposer de l’argent pour qu’il la laisse partir saine et sauve. Son père accepterait de payer pour la libérer, quel qu’en fût le montant. Tex se laisserait-il acheter ? Et si oui, combien demanderait-il ?
Elle fut conduite vers une entrée latérale qu’aucune lampe n’éclairait. Le morveux au crâne rasé ouvrit la porte, Tex la fit entrer et la guida jusqu’à la cuisine. Elle se rendit compte que l’intérieur du bungalow était pire que l’extérieur. Le plancher était jonché d’emballages de bar-quettes en aluminium, restes de plats tout prêts et de canet-tes de bière vides, tandis qu’une accumulation de vaisselle sale encombrait l’évier. Il lui fallut enjamber une large boîte de pizza maculée de taches d’huile lorsque Tex la poussa devant lui.
— Hé, Tex ! lança derrière eux le voyou aux cheveux gras, le visage hilare. Je ne voudrais pas marcher sur tes plates-bandes, mais quand tu en auras fini avec cette pute, peut-être pourrais-tu nous la prêter pour qu’elle nous fasse un peu de ménage.
Jayne darda sur lui un regard incendiaire.
— Fais-le toi-même, Doug, dit Tex sans se retourner.
Le sourire du gamin disparut, aussitôt remplacé par un rictus haineux.
La pièce faisant office de séjour ne valait guère mieux que la cuisine. Au milieu d’autres emballages vides, de canettes et de vieux journaux, émergeaient un canapé dé-foncé et une paire de chaises qui semblaient provenir d’une décharge. Un petit poste de télévision trônait sur une table basse du même style, adossée à l’un des murs relié à une antenne d’intérieur rudimentaire.
Une nouvelle onde de panique l’envahit. S’ils décou-vraient qui était son père, décideraient-ils de la séquestrer pour obtenir une rançon ? Ou bien pris de panique, cherche-raient-ils à s’en débarrasser au plus vite ?
Tex lui fit emprunter un étroit couloir moquetté de gris vert taché et décoloré. Elle tenta de rassembler ses forces pour se calmer, mais rien n’y fit : les violents battements de son cœur lui donnaient l’impression d’étouffer, et ses ge-noux tremblaient à chaque pas. Elle tenta une ultime et vaine rebuffade lorsque, la tenant par le poignet, Tex ouvrit une porte et la força à pénétrer dans une chambre. Derrière elle, les deux jeunes dealers se remirent à rire.
Imperturbable, Tex la poussa sans ménagement dans la pièce avant de claquer la porte derrière eux d’un geste sec. La première pensée de Jayne fut qu’au moins la chambre était plus propre que le reste de la maison. Le lit double avait été fait à la hâte, aucun détritus ne souillait le plan-cher, et l’étroite fenêtre était pourvue de vrais rideaux.
— Assieds-toi, ordonna-t-il d’une voix calme.
Le seul endroit où s’asseoir était le lit. Jayne secoua la tête en un refus silencieux.
Tex se pencha vers elle. Juste un peu. Les détails de son visage, jusque-là noyés dans l’obscurité de la nuit, se révé-laient maintenant avec précision sous la lumière crue de l’ampoule du plafond. Des yeux marron qui ne souriaient pas. Une mâchoire agressive qu’assombrissait une barbe d’au moins trois jours, mais dont la dureté était adoucie par une longue chevelure brune qui lui retombait sur les épau-les. Le nez était droit et régulier, la ligne de la bouche par-faite.
— Assieds-toi, répéta-t-il à mi-voix.
Une arme de gros calibre était glissée dans la ceinture de son jean.
Jayne obéit. Elle se percha sur l’extrême bord du lit, les mains sur les cuisses, le dos droit et les genoux réunis.
— Mon père paiera une forte somme pour me récupérer en bonne santé, et, euh…
Elle déglutit avec difficulté.
Intacte. Elle ne parvint pas à prononcer le mot, mais il devinait certainement le fond de sa pensée.
Tex se mit à marcher de long en large dans l’espace qui séparait le lit de la porte. Ecartant de temps à autre ses longs cheveux de son visage, il ne quitta le plancher des yeux que pour jeter occasionnellement un regard vers la porte. Une fois, seulement, son attention se porta sur elle. Il secoua alors la tête en grognant des mots indistincts, puis se replongea dans la contemplation du sol.
Cessant enfin ses allées et venues, il se tint debout de-vant elle. Près. Trop près. Et toute fuite était impossible.
Boone observait la fille sur le lit. Bon sang. Qu’allait-il en faire ?
— Comment t’appelles-tu ?
Un frisson la traversa.
— Je ne vous dirai rien, répliqua-t-elle d’un ton glacial.
Il esquissa un sourire. Elle aurait dû crier, se montrer hystérique, terrorisée, mais au lieu de cela, elle avait le cran de soutenir froidement son regard. Sans toutefois être en mesure de cacher les tremblements de ses mains et de ses genoux.
— Très bien. Je continuerai donc de t’appeler chérie.
— Jayne, dit-elle, les lèvres pincées.
— Et ton nom de famille ?
— En quoi cela vous concerne-t-il ?
Il se pencha presque à la toucher.
— N’essaie pas de jouer les dures avec moi, petite. Je suis ta seule chance de sortir d’ici vivante.
La fille déglutit, imprimant à sa gorge tendre et pâle un mouvement des plus attrayants.
Une sorte de hennissement se fit entendre depuis le cou-loir. Doug ou Marty… Probablement les deux. Boone laissa échapper un soupir.
— Donne-moi ta veste, commanda-t-il.
— Non.
Il ôta alors son blouson et le déposa sur le montant du lit. Se débarrassant ensuite de son T-shirt, il l’envoya rejoindre le blouson avant d’empoigner le revolver glissé dans sa ceinture. Il le soupesa un instant, leva les yeux vers la fille, puis s’avança rapidement vers le placard où il rangea l’arme sur l’étagère la plus haute.
Ce détail réglé, il désigna du doigt la veste de son élé-gant tailleur. Elle leva le menton d’un air têtu et fit non de la tête.
— Je ne te toucherai pas, déclara-t-il, la mâchoire cris-pée. Mais j’ai besoin de cette putain de veste.
Elle renifla, puis croisa les bras sur sa poitrine.
— D’accord, soupira-t-il. J’emploierai donc la manière forte.
S’asseyant à côté d’elle, il l’agrippa par le poignet. Elle se débattit.
— Ne me touchez pas ! s’écria-t-elle d’une voix aiguë, tout en lui frappant le bras de sa main libre.
Un nouveau gloussement dans le couloir.
Après une lutte brève et inégale, la veste se retrouva en-fin entre ses mains. Il pointa vers la fille un index autori-taire.
— Maintenant allonge-toi et tiens-toi tranquille.
— N’y comptez pas.
Boone ferma les yeux et secoua la tête.
— Nous n’y arriverons pas de cette manière, soupira-t-il.
Quittant soudain le lit, il se dirigea vers la porte, qu’il ouvrit sur deux faces ricanantes.
— Qu’est-ce que vous faites là, nom de Dieu ? gronda-t-il, tout en agitant d’un geste délibéré la veste sous leur nez.
Les deux garçons observaient la scène derrière lui : une Jayne rougissante, assise sur le bord du lit, les cheveux en broussaille et le chemisier à moitié sorti de la jupe.
— Cette maison manque de distractions, répondit Doug. T’as déjà terminé ?
— Certains d’entre nous aiment prendre plus de trois minutes avec une femme, petit. Dégagez, à présent. Si ja-mais je surprends l’un de vous deux à proximité de cette porte ou de cette fenêtre — il indiqua du pouce l’intérieur de la chambre — je le descends.
— C’est à elle que tu devrais t’adresser, répliqua Marty en pointant le menton.
Boone se retourna aussitôt : debout devant la fenêtre à guillotine, Jayne luttait de toutes ses forces pour en soule-ver le panneau inférieur. Il referma la porte, s’y adossa, puis observa sa prisonnière avec un hochement de tête.
— Elle est scellée par la peinture, expliqua-t-il.
Après une dernière tentative, Jayne pivota pour lui faire face, les yeux rougis par l’effort et les joues enflammées.
Pour la première fois, il fut frappé par sa petite taille. Elle n’était pas maigre. Juste menue — guère plus d’1,60 m — et de formes délicates. Sous l’ourlet de sa jupe droite apparaissaient deux jambes fines et galbées, tandis que les courbes cachées du reste du corps suggéraient une féminité tout à fait affirmée.
— Il faut que nous parlions, dit-il d’une voix douce. As-sieds-toi.
Elle secoua la tête.
— Allons, insista-t-il, s’efforçant de maîtriser son impa-tience. Assieds-toi. Je ne te ferai aucun mal.
— Quel privilège ! persifla-t-elle avec une assurance qu’elle ne ressentait pas. Peut-être attendez-vous que je vous dise merci ?
— Si je n’avais pas été là, à cette heure-ci tu serais morte. Tu pourrais au moins me témoigner un peu de grati-tude.
Si cette réponse était censée l’apaiser, c’était raté. Jayne porta une main nerveuse à son collier de perles, et son souf-fle se fit plus court, plus rapide. Oh non ! Elle n’allait pas s’évanouir sous ses yeux ! Luttant pour conserver son calme, il leva les deux mains, paumes ouvertes.
— Je te promets que je ne te toucherai pas, assura-t-il. Tu es en sécurité avec moi. Maintenant assieds-toi sur le lit, s’il te plaît.
Le visage inquiet, elle s’éloigna de la fenêtre. Il s’y diri-gea à son tour afin de s’assurer que les rideaux obturaient bien la fenêtre. Personne n’avait besoin de voir ce qui se passait dans la chambre, et avertissement ou pas, il n’avait nulle confiance en Marty ni en Doug. Lorsqu’il se retourna, ce fut pour constater, soulagé, que Jayne avait cédé à sa demande, et se tenait assise avec grâce au bord du lit.
— Il faut que nous parlions, répéta-t-il. Mais avant ce-la…
Le regard fixe, il la contourna pour s’approcher de la tête du lit, dont il saisit l’angle d’une main ferme. Un soupir lui échappa. Comment lui expliquer ? Le mieux était simple-ment de faire ce qu’il avait à faire.
Tandis que Jayne, le regard anxieux, demeurait immobile sur le matelas, Boone cogna le montant de bois contre le mur. Un coup. Deux coups. Un troisième… Il laissa s’écouler quelques secondes, puis recommença, adoptant cette fois un rythme régulier. Les yeux fixés sur la fille, il heurtait le mur avec une constance de percussionniste.
— Tu pourrais m’aider, murmura-t-il.
— Vous aider à quoi ? s’enquit-elle, l’air de ne pas com-prendre.
— Fais un peu de bruit. Comme si tu prenais du plaisir.
— Certainement pas ! s’insurgea-t-elle, indignée.
De sa main libre, Boone lui attrapa sèchement le poignet. Et comme il l’avait prévu, elle lâcha un cri aigu.
— Ça ira, dit-il en souriant.
Jayne se tut aussitôt et pinça les lèvres. Comme elle était jolie lorsqu’elle était en colère ! Evidemment, elle l’était depuis l’instant où ils s’étaient rencontrés. En colère… et surtout effrayée.
Il accéléra le tempo, la tête de lit heurtant le mur tel un métronome.
— Recommence, ordonna-t-il dans un chuchotement.
— Non, je…
Bien malgré elle, Jayne se sentit brutalement tirée de cô-té. Un nouveau cri jaillit de sa poitrine.
Seigneur ! Il la tenait de telle sorte que ses seins poin-taient sous l’étoffe soyeuse du chemisier, et elle haletait comme s’il ne s’agissait pas d’un simulacre. Quant aux chocs du lit contre le mur, ils lui rappelaient avec un ré-alisme troublant l’activité à laquelle il feignait de se livrer. Le rythme, les secousses imprimées au matelas…
— Encore une fois, chérie.
— Ne m’appelez pas…
Sans prévenir, il la souleva du lit, la remit debout sur le sol et la plaqua sèchement contre son torse nu. Cette fois elle hurla. Boone donna encore du montant du lit contre le mur, trois fois pour faire bonne mesure. Puis il s’arrêta.
Toujours morte de frayeur, Jayne leva vers lui un regard angoissé.
— C’était bon ? murmura-t-il.
La réponse ne se fit pas attendre. Une gifle cinglante et sonore imprima sa marque sur sa joue gauche.
Alors que l’écho de la gifle résonnait encore dans la pièce, Jayne comprit qu’elle n’aurait pas dû le frapper. Mais elle ne regrettait rien.
— Assieds-toi, dit-il, couvrant sa joue meurtrie de sa large main.
Elle obtempéra, tandis que son geôlier reprenait ses al-lées et venues devant le lit. Elle avait moins peur, à présent. Il s’était *******é de feindre qu’ils… Enfin, il avait fait semblant, et désirait lui parler. Mais de quoi ? Oh ! Proba-blement de l’offre financière qu’elle lui avait soumise.
— Mon père vous donnera tout ce que…
— Laissons ton père en dehors de cela, veux-tu ? J’essaie de réfléchir.
— Réfléchir à quoi ?
— A ce que je vais faire de toi, chérie.
Jayne se mordit la lèvre. Il existait certainement pire trai-tement que de se faire appeler « chérie ».
Tex s’arrêta devant elle, toujours torse nu, le jean mou-lant ses hanches minces. Il était plus grand que la plupart des hommes, tout en muscles, et doté d’un regard intense sous sa longue crinière. Intimidant était le mot qui conve-nait le mieux pour le définir.
— Puis-je te faire confiance ? demanda-t-il, plus pour lui-même que pour elle…
— Bon sang, quelle pagaille !
Il proféra ensuite une bordée d’insanités qui fit monter le rouge au front de Jayne.
— S’il vous plaît…
— S’il vous plaît quoi ?
— Ne jurez pas.
Un large sourire s’épanouit sur le visage de Boone.
— Ton copain s’est fait flinguer, tu te retrouves au mi-lieu de truands tout ce qu’il y a de plus dangereux, tu me fourres dans un pétrin dont je me passerai bien et tout ce que tu trouves à faire c’est de te préoccuper de mon lan-gage ? Tu ne manques pas de culot ou alors tu es vraiment inconsciente !
— Rien ne vous oblige à vous montrer aussi grossier avec moi, rétorqua-t-elle.
— Chérie, apprends que Grossier est mon deuxième pré-nom.
— Cela ne me surprend guère, rétorqua-t-elle, la moue dégoûtée.
Voyant Tex s’asseoir à côté d’elle, elle s’écarta aussitôt. Mais elle ne bondit pas à l’autre bout de la chambre, comme lui dictait son instinct. S’il avait projeté de la mo-lester, il l’aurait fait depuis longtemps. Simplement, elle se sentait minuscule à ses côtés et elle préférait établir un peu de distance entre eux.
Se penchant vers elle, il lui chuchota à l’oreille :
— Je suis ici en mission secrète.
Une vague de soulagement l’envahit.
— Oh, Dieu soit loué ! Vous appartenez à la brigade des stupéfiants ? Au F.B.I. ? Vous disposez de contacts télé-phoniques pour qu’une équipe puisse intervenir à tout mo-ment au moindre signe de votre part, n’est-ce pas ?
Le regard de l’homme s’assombrit.
— Non. Je suis détective privé, et je travaille ici pour mon propre compte.
Le sourire de Jayne se figea instantanément.
— Aucun appui ?
Il secoua la tête.
— Mais vous n’êtes pas l’un d’eux, n’est-ce pas ? Vous n’êtes pas un gangster. Vous me sortirez d’ici ?
— Plus tard, oui.
— Que voulez-vous dire, plus tard ? Ces hommes ont tué Jim, ils ont failli me tuer…
— Ton ami n’est pas mort, coupa Tex. Il s’en sortira. Tu t’en sortiras aussi. Mais il me faut encore quelques jours.
— Mais…
— Je n’ai pas l’intention de réduire à néant trois mois de travail juste pour mettre ton joli petit cul à l’abri.
— Mais…
— Je ne peux pas mettre en péril tout ce que j’ai fait jus-qu’à présent, simplement parce que toi et ton petit copain avez été assez stupides pour surgir au beau milieu d’une opération de Darryl.
— Ne pourriez-vous pas me laisser filer et prétendre que je me suis évadée ?
— Non, dit-il en secouant la tête. Darryl se lancerait immédiatement à ta recherche. Si je te garde avec moi, si nous…, si nous leur laissons croire qu’il ne te déplaît pas d’être avec moi, je pense pouvoir te garder en vie jusqu’à ce que j’en aie terminé ici.
— Vous « pensez » ? demanda-t-elle faiblement.
— Je n’ai rien de mieux à te proposer pour le moment.
Pendant quelques secondes, elle étudia les traits de son visage, la ligne sévère de son menton. Devait-elle lui dire qui était son père ? Sans doute pas. Cette révélation ne changerait rien.
— Vous vous appelez réellement Tex ?
— Non.
— Quel est votre véritable nom ? Vous ne voulez pas me le dire ?
Il hésita quelques instants.
— Boone, répondit-il. Mais garde-toi bien de le pronon-cer en dehors de cette chambre. Jusqu’à nouvel ordre, je suis Richard Tex.
— Boone, est-ce votre nom ou votre prénom ?
— Quelle importance ?
Jayne soupira. Son corps, elle en avait conscience, com-mençait à se détendre, à se dénouer, à retrouver sa normali-té. Elle était toujours en vie. Avec l’aide de cet homme, elle continuerait à survivre.
— J’aimerais juste savoir.
— Boone Sinclair, détective privé. A votre service, ma-dame.
Il lui tendit la main. Après une courte hésitation, elle lui offrit la sienne.
— Jayne Barrington.
Tout danger provisoirement écarté, elle le considéra d’un œil nouveau. Sa puissance, qu’elle avait perçue comme menaçante, devenait à présent protectrice, et la sombre rudesse de son visage, attirante plus qu’intimidante. Ils échangèrent une brève poignée de main. Le contact de la paume massive de Boone lui procura une surprenante sen-sation de bien-être et de sécurité.
— Jim n’est pas mort, vous en êtes sûre ?
Boone secoua la tête.
— Darryl l’a touché au flanc. Il a perdu un peu de sang…
Un sourire ironique se dessina sur ses lèvres :
— Je crois que ton ami s’est simplement évanoui.
— Je le croyais mort, déclara-t-elle, réprimant un fris-son.
— Ne t’inquiète pas. Tu seras sortie d’ici bien assez tôt pour aller le réconforter.
— Oh cela… A la vérité, je le connais à peine. Ce n’était qu’un rendez-vous arrangé, de convenance, si vous voyez ce que je veux dire.
Elle avait dit cela d’un air indéchiffrable, son regard vert plongé dans celui du détective.
— Comment vous êtes-vous retrouvés sur Springer Road ?
— Nous nous rendions à une réception, et nous nous sommes égarés.
Elle se rendit compte rétrospectivement que si Boone Sinclair n’avait pas été là, elle ne serait plus de ce monde. Grand-mère verrait sans doute en lui un ange envoyé du ciel. Et prétendrait que ce n’était pas par accident s’il s’était trouvé sur son chemin. Un faible sourire se dessina sur ses lèvres.
— Je ne vois pas ce qui peut prêter à sourire dans la si-tuation où nous nous trouvons, s’étonna-t-il en scrutant son visage. Tu n’es pas en train de devenir folle, au moins ?
Elle secoua la tête.
— Non. C’est juste que… Vous n’avez pas du tout l’air d’un ange.
— Crois-moi, répondit-il gravement, je n’en suis pas un.
Jayne s’efforça de ne pas laisser ses yeux dériver vers son torse. Il ne semblait pas le moins du monde gêné d’être assis auprès d’elle à moitié nu, exhibant ses larges épaules et son impressionnante musculature.
— Pourquoi êtes-vous ici ? J’ignorais que les détectives privés pouvaient opérer sous une fausse identité.
— Je n’ai jamais prétendu agir dans la légalité, répondit-il avec un demi-sourire.
Jayne haussa les sourcils. En tant que fille de sénateur, ses moindres faits et gestes étaient étudiés au microscope, numérisés, analysés. Chacun de ses déplacements, chacune de ses décisions se voyaient soumis à examen, jusqu’au choix de vêtements, de coiffure, de maquillage. Alors contrevenir à la loi, c’était inimaginable.
Le front de Boone se plissa.
— Des objections ?
— Je… Non. Vous… vous avez certainement vos rai-sons.
En fait, peu lui importait de les connaître. Il était là, elle n’en demandait pas plus.
— J’ai mes raisons, en effet.
Jayne soupira. Boone s’était montré honnête avec elle. Le moins qu’elle pût faire était de lui rendre la pareille.
— Mon père…
— Ne pouvons-nous pas laisser ton père tranquille pour le moment ? répéta-t-il.
— Je crains que non, répondit-elle, rivant son regard dans le sien.
Il se tut, attendant qu’elle poursuive. Les longues mèches de ses cheveux bruns retombaient négligemment sur ses épaules, formant un contraste troublant avec sa peau nue.
— Mon père est sénateur, reprit-elle. Elu du Mississippi. Son nom est Augustus Barrington.
Il demeura silencieux.
— Jim et moi nous rendions à une réception donnée par un appui potentiel, susceptible d’offrir à mon père une importante contribution financière pour le cas où il se déci-derait à briguer… de plus hautes fonctions.
Boone ne remua pas un cil.
— Ma disparition risque de provoquer de sérieux re-mous, poursuivit-elle. Un véritable branle-bas de combat, pour être plus précise. Mon père remuera ciel et terre pour que tous les services officiels disponibles se saisissent de l’affaire. Nous avons donc jusqu’à demain matin. Et je suis optimiste.
Glissant une main dans ses cheveux, Boone laissa échapper un flot d’obscénités pires encore que celles qu’elle avait entendues depuis qu’elle était en sa compa-gnie. Il ne la regarda pas, adressant apparemment ses invec-tives au plancher, aux murs et à la fenêtre.
— M. Sinclair, l’interrompit-elle d’une voix douce. Au-riez-vous l’obligeance…
Reportant son regard sur elle, il répliqua par le mot le plus court et le plus répugnant du vocabulaire de caniveau.
Jayne serra les dents et leva les yeux au ciel.
— Vous savez, il existe d’autres mots tout aussi effica-ces pour exprimer sa colère.
— Oh, vraiment ? Allez au diable par exemple ? dit-il, l’ironie le disputant à l’agacement.
— « Zut ! » ou « fichtre ! » font aussi très bien l’affaire.
Boone lui adressa un sourire mi-insolent, mi-amusé. Avant de répéter le vocable qu’il semblait affectionner.
— Ou « crotte ! », suggéra-t-elle prudemment. Il m’arrive moi-même de l’utiliser lorsque je suis exaspérée. Et qu’il ne se trouve bien sûr aucune oreille à proximité.
— Oh, crotte ! répéta-t-il, imitant son accent de jeune fille sudiste bien élevée.
— Vous voyez ? dit-elle, arborant un sourire d’institutrice satisfaite de son élève.
Boone était médusé de voir qu’elle prenait tout cela au sérieux alors que sa vie, et accessoirement la sienne, était en danger. Il se leva du lit, avant de lui tourner le dos pour remettre la main sur son T-shirt.
Bien. Enfin il se rhabillait. Il avait beau être un splendide spécimen de mâle américain, la vue de ce torse dénudé n’aidait pas à la concentration.
— Tiens, enfile-moi ça, grogna-t-il.
Jayne se saisit du T-shirt entre le pouce et l’index, un sourcil levé.
— Je me sens très bien dans mes propres vêtements, je vous remercie. Du reste — elle renifla le tissu — vous l’avez porté, et il n’a pas été lavé.
Boone se massa l’arête du nez, comme s’il était pris d’une soudaine migraine.
— Dans moins d’une semaine, déclara-t-il, je devrais en avoir terminé ici. Trois mois de travail, dont l’aboutissement n’est plus qu’une question de jours. Et maintenant ça ! Si tu tiens à rester en vie, je te conseille de m’écouter. Et de me laisser faire ce que je fais le mieux.
— C’est-à-dire ? soupira Jayne.
— Mentir.
Il laissa retomber sa main et la regarda.
— Dans notre intérêt commun, et pour donner le change à Darryl et aux deux autres imbéciles, toi et moi sommes devenus comme deux animaux en rut.
— Je vous demande pardon ?
Le souffle coupé, elle tenta péniblement de reprendre sa respiration et sentit ses joues s’empourprer.
— Vous m’avez traînée ici de force, reprit-elle. Vous m’avez kidnappée ! Croyez-vous qu’une femme puisse accepter de son plein gré de… d’avoir des relations intimes avec un homme qui la séquestre dans cette chambre nau-séabonde ? Comme si elle n’était rien d’autre qu’une…
Boone l’interrompit d’une main levée.
— Je sais, dit-il. Mais nous visons ici deux objectifs. Un : les empêcher de s’approcher de toi.
Jayne frissonna.
— Tu portes mes vêtements, tu ne me quittes pas d’une semelle, nous passons le plus clair de notre temps au lit… Tu es à moi. Tu m’appartiens. C’est ce que nous voulons leur faire croire. Ces types-là savent que s’ils tentent le moindre geste déplacé, ils me trouveront sur leur chemin.
A l’expression de son regard, elle comprit qu’il pesait chacun de ses mots.
— Deux : nous voulons te garder en vie. S’ils pensent que tu caresses le projet de t’échapper à un moment ou à un autre, l’un d’eux pourrait fort bien devenir nerveux et commettre un acte… irréparable.
Te tuer. Boone ne prononça pas les mots. Il n’en avait pas besoin.
— Donc tu restes collée à moi, poursuivit-il, visiblement peu enthousiaste. Tu te fais discrète, tu n’ouvres pas la bouche, et dans quelques jours je te ramène chez toi… Et pour commencer, habitue-toi à me tutoyer.
— Il n’en est pas question ! répondit-elle, horrifiée. Nous ne nous connaissons pas, alors je m’en tiendrai au vouvoiement.
Boone fronça les sourcils d’un air peu engageant. Jayne sentit qu’il fallait qu’elle soit plus conciliante. Après tout, sa vie était entre les mains de ce malotru. Elle ajouta préci-pitamment :
— Sauf, bien sûr, en présence des autres truands…
Elle releva le menton d’un air de défi.
— Comme tu veux, répondit Boone, mais tu n’as pas in-térêt à te tromper, sinon notre comédie de jeunes tourte-reaux ne vaudra pas un clou et je n’ose imaginer la réaction de Darryl s’il apprend la vérité.
— Vous ne m’avez jamais dit ce que vous faisiez ici, reprit-elle d’une voix douce.
— C’est vrai, répondit Boone qui n’avait pas l’intention d’en dire plus.
— Si je dois me comporter comme si vous me plaisiez et tout le reste, ne vaudrait-il pas mieux que je sache ?
Il riva de nouveau son regard dans le sien, et ce qu’elle lut dans ses yeux lui donna la chair de poule. D’un geste inconscient, elle serra les bras sur sa taille pour réprimer ce frisson glacé et inattendu.
— Non, dit-il finalement.
Puis il quitta la pièce, claquant la porte derrière lui.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 11:01 PM

chapitre 3

Dormir sur le plancher n’améliora en rien les disposi-tions de Boone envers Jayne. La veille, il avait pensé lui demander l’autorisation de partager le lit avec elle, mais il l’avait trouvée profondément endormie en regagnant la chambre. Endormie ! Soit elle lui accordait une confiance aveugle soit elle était complètement inconsciente. Dans les deux cas, Boone ne trouvait pas cela rassurant.
Si elle s’était réveillée au milieu de la nuit pour le dé-couvrir allongé à côté d’elle, elle aurait probablement bondi hors du lit en hurlant. Ce qui, tout bien considéré, n’aurait pas nécessairement été une mauvaise chose. Des cris noc-turnes inopinés étaient probablement attendus de l’autre côté de la porte !
Il se redressa et jeta un œil par-dessus le rebord du mate-las. Jayne dormait toujours. Elle n’avait pas enfilé le T-shirt ainsi qu’il lui avait demandé, préférant rester vêtue de sa combinaison, qui devait être de soie, s’il en jugeait par les reflets du tissu. Il ne savait pas que les femmes portaient encore des combinaisons ! Il voyait seulement émerger des draps les fines bretelles, dont l’une avait glissé de son épaule. Quelques heures plus tôt, il avait aperçu la blan-cheur nacrée d’une cuisse échappée des draps. Il l’avait recouverte, vaguement coupable d’avoir ressenti du plaisir à ce spectacle. Jayne n’avait ensuite plus bougé de la nuit. Elle était à présent recroquevillée sous les draps, que re-couvrait l’édredon vert élimé.
Tandis qu’il la contemplait en silence, les paupières de la jeune femme battirent plusieurs fois, puis ses yeux s’ouvrirent. Avant de s’écarquiller de terreur.
Son otage, Jayne Barrington, sage beauté sudiste, se re-dressa d’un bond, le drap tiré sur sa poitrine.
— Oh, non ! geignit-elle, le souffle court. Ce n’était donc pas un cauchemar. Vous êtes… bien réel.
— Ce ne sont pas les paroles que j’entends généralement de la bouche d’une femme avec qui je viens de passer la nuit, ironisa-t-il.
Elle aperçut alors, sur le sol, la couverture sur laquelle il avait dormi. Son expression se radoucit.
— Vous auriez dû dormir sur le canapé dans l’autre pièce.
— Tu aurais dû me ménager un peu de place sur le lit, de sorte que je n’aurais pas eu à passer la nuit sur ce maudit plancher. Et puis souviens-toi que nous devons jouer les amants passionnés qui ne pensent qu’au sexe.
— Et quoi d’autre ? dit-elle, la moue dédaigneuse.
— Une femme aimante prépare le petit déjeuner de son homme…
Elle lui offrit un visage presque aussi horrifié qu’à la perspective de dormir avec lui.
— Je ne sais pas cuisiner !
— Ça, j’en suis persuadé, répondit-il en se relevant.
Elle se couvrit alors vivement les yeux.
— Mais vous êtes nu !
— Non, je ne suis pas nu !
Boone baissa les yeux sur le caleçon informe qu’il por-tait en guise de sous-vêtement. Tout à fait décent.
Elle n’ôta pas la main de ses yeux, s’épargnant ainsi la vue de ce corps à peine vêtu.
— Presque nu, rectifia-t-elle, quelque peu rassérénée. Vous n’avez pas de pyjama ?
Boone la dévisagea un instant, l’œil ironique, puis se-coua la tête.
— Non.
— Peut-être devriez-vous en acheter un.
L’absurdité de cette suggestion le fit éclater de rire.
— Certainement pas !
Jayne lâcha un soupir et baissa la main, sans toutefois encore oser le regarder. Elle détourna les yeux vers la fenê-tre, et la clarté matinale qui s’infiltrait par un interstice des rideaux.
Des bruits de pas se firent entendre dans le couloir. Boone posa son index sur sa bouche. Jayne acquiesça d’un mouvement de la tête et pinça les lèvres. Elle n’était peut-être qu’une enfant riche et gâtée, songea-t-il, et ce qui se passait dans cette maison ne la concernait pas, mais au moins elle réagissait vite.
Sa main se referma sur le montant du lit.
— Oh non, pas encore ! chuchota-t-elle.
Boone haussa les épaules d’un air fataliste et commença à secouer le lit. Jayne se laissa retomber sur l’oreiller et enfouit sa tête sous les draps, avant de pousser des petits cris aigus. Doucement, d’abord, puis avec conviction lors-qu’il pinça la douce rotondité de son épaule à travers le fin coton.
Jayne avait rejeté avec agacement la suggestion de Boone de porter l’un de ses T-shirts et un vieux jean coupé, préférant garder ses propres vêtements. Jupe, chemisier et escarpins. Ni veste, ni collants, mais son rang de perles était en place, et elle s’était brossé les cheveux. Dieu soit loué, l’un des gangsters avait eu la présence « d’esprit » de récu-pérer son sac dans la Mercedes. Son portable avait bien sûr disparu, mais elle disposait de sa brosse à cheveux, ainsi que d’un peu de maquillage. Fort heureusement, le malfrat qui avait mis la main sur son sac n’avait pas regardé son permis de conduire où était inscrit son nom, rendu célèbre par son sénateur de père.
Elle posa sans délicatesse un large plat d’œufs au bacon sur la table de la cuisine. Les quatre hommes assis avisèrent la préparation d’un œil soupçonneux.
— Le bacon n’est pas cuit, grommela Marty.
Doug souleva avec une grimace un morceau calciné tombé du plat.
— Celui-ci l’est, c’est sûr.
— De toute façon, le bacon est mauvais pour votre santé, intervint Boone.
Se saisissant de la cuillère plantée au milieu de l’omelette, il s’en servit une énorme portion, qu’il laissa tomber dans son assiette.
Après un vague grognement, Darryl emplit également la sienne, et les quatre hommes commencèrent à manger. Trois d’entre eux firent grise mine en avalant leur première bouchée pendant que Boone mâchonnait stoïquement la sienne.
— Passe-moi le sel, chérie.
— Le sel ! s’écria Jayne, se retournant vers le comptoir. Où ai-je la tête ?
— S’il n’y avait que cela, grommela Doug entre ses dents.
— Pas de quoi fouetter un chat, soupira-t-elle en plaçant la salière devant Boone. Je ne suis pas cuisinière. Si vous n’aimez pas mon petit déjeuner, rien ne vous oblige à l’avaler. La prochaine fois, préparez-le vous-même !
Darryl plissa les yeux. Sa vue procurait toujours à Jayne un frémissement d’angoisse. Et elle savait que ce n’était pas uniquement dû à sa carrure gigantesque. Il avait tiré sur Jim de sang-froid, et aurait agi de même avec elle sans le moin-dre scrupule. Elle pouvait se débrouiller avec Boone. Et avec les deux adolescents attardés qui gloussaient comme des filles dès qu’il était question de sexe. Mais Darryl la paralysait simplement de terreur.
— Si elle doit demeurer ici, dit-il, il vaudrait mieux qu’elle mette la main à la pâte sans discuter.
— Elle le fera, répondit Boone.
Sans prévenir, il la saisit par la taille et l’assit de force sur ses genoux.
— Elle a d’ailleurs commencé, ajouta-t-il, le regard chargé de sous-entendus. N’est-ce pas, chérie ?
Jayne tenta de se relever, mais il la retint de force.
— Pas maintenant, le gourmanda-t-elle, jouant le jeu des « animaux en rut ». Il me reste la vaisselle à laver. Cette cuisine est une véritable porcherie !
Elle réitéra sa tentative, pour se retrouver presque aussi-tôt plaquée sur les muscles d’acier de ses cuisses.
— Je ne t’ai pas amenée ici pour briquer les casseroles, murmura-t-il d’une voix assez basse pour n’être destinée qu’à elle, assez forte pour être entendue des autres.
Ceux-ci s’étaient remis à manger leur omelette, tout en sélectionnant avec soin les tranches de bacon à peu près comestibles.
— Doug et Marty peuvent très bien se charger de cette foutue vaisselle.
— Ne sois pas grossier, s’offusqua-t-elle d’un air pincé.
Boone resserra le bras qui lui ceignait la taille et la cala contre son torse.
— Ne me dis pas ce que j’ai à faire.
Ecartant alors ses cheveux, il pressa ses lèvres sur le cou de la jeune femme. Jayne laissa échapper un cri involon-taire.
Doug ricana.
— Du genre bruyant, hein, Tex ? Ça ne te tape pas sur les nerfs, tous ces couinements ?
— Non, dit-il, les lèvres toujours sur le cou de Jayne.
— Il faut vraiment que j’aille faire la…
Quelque chose de mouillé parcourait à présent sa nuque. Sa langue !
— …vaisselle.
En cet instant précis, elle éprouvait la désagréable im-pression de perdre tout contrôle d’elle-même. Absolument tout contrôle. Elle avait le vertige, Dieu seul savait ce qui allait se passer ensuite… et il lui était impossible de faire marche arrière. Elle détestait cette situation. Etre ainsi prise au piège sans avoir droit à la parole, tandis que les mains de l’homme posées sur son corps, ses lèvres, son cou, lui pro-curaient des frissons inopinés, et surtout non désirés. Un autre homme l’observait, prêt à la tuer au moindre geste de travers. Quant aux deux autres larrons, ils suivaient le spec-tacle d’un œil stupide et narquois.
D’accord, il s’agissait d’un jeu. Un jeu mortel, mais un jeu quand même. Si elle devait y participer, peut-être valait-il mieux qu’elle rassemblât ses esprits et se lançât dans la partie.
Empoignant le bras de Boone, elle l’écarta de force puis se releva, éloignant sa nuque de ses attentions lubriques. Lorsqu’il tendit la main pour la rattraper, elle se trouvait déjà hors de portée.
— Grands dieux, tu es incorrigible ! lança-t-elle.
Ils étaient censés partager une certaine intimité, et quand bien même elle ignorait presque tout de ce que la réalité de ce mot recouvrait, elle savait qu’une femme possédait un réel pouvoir dans ce domaine. N’importe quelle femme.
— Toute la nuit ! reprit-elle en reculant vers l’évier. Et encore ce matin ! Mais pour qui me prends-tu ? Pour une… une…
Le reniflement sonore qu’elle émit ne devait rien, de toute évidence, à ses talents de comédienne.
— Ne peux-tu pas garder tes mains tranquilles cinq mi-nutes ? Cinq minutes ! Est-ce trop te demander ?
Boone haussa les sourcils :
— Tu avais pourtant l’air d’aimer ça, cette nuit.
— C’est faux ! s’indigna-t-elle.
La mise en garde de Boone lui revint aussitôt à la mé-moire. Si elle tenait à rester en vie…
— Au début peut-être, se corrigea-t-elle en rougissant.
— Va donc faire ta vaisselle, gronda finalement Boone.
— Fais-la toi-même !
— Je pensais que tu voulais la faire !
— Bon Dieu ! soupira Marty en repoussant sa chaise pour quitter la table. Je crois entendre mes parents !
Darryl se dressa lentement et secoua la tête. Doug se le-va à son tour, tandis que Marty se dirigeait droit vers le séjour.
— Hé ! Il y a peut-être des nouvelles à la télé sur le gars que Darryl a descendu.
Un changement subtil s’opéra dans l’expression de Boone, et son regard s’obscurcit.
— Le journal du matin est fini, observa-t-il.
— Je sais, répondit Marty en jetant un coup d’œil à sa montre. Mais la seule station que nous parvenons à capter clairement donne un flash à 10 heures. C’est dans deux minutes.
Se plaçant de sorte à dissimuler ses mains, Boone tenta d’alerter Jayne par signes. Elle n’avait aucune idée de ce qu’il cherchait à lui dire, mais elle savait au moins une chose : ni l’un ni l’autre ne souhaitaient que les autres ap-prennent que Jim était vivant ni qu’elle était la fille d’un respectable sénateur.
— Ne me regarde pas comme ça, lança-t-il d’un ton agressif. Tu crois peut-être que ce qui s’est passé cette nuit te gardera en vie ? Casse-moi encore les pieds et t’es morte. Aussi morte que ton petit ami.
Comme il l’avait prévu, Marty pointa son nez à la porte de la cuisine, immédiatement suivi de Doug. Darryl resta planté devant le vieux téléviseur, attendant le bulletin d’information.
— Tu ne ferais pas cela, répliqua-t-elle, le regard glacial. Pas après… Tu sais bien…
— Après t’avoir baisée ? ironisa-t-il. Ose au moins appe-ler les choses par leur nom !
Il se lança ensuite dans une virulente tirade, proférant toutes les insanités qu’elle avait déjà entendues, auxquelles il en ajouta certaines autres, inédites.
— Espèce de… de grossier personnage ! Butor !
Comme la veille, l’invective dérisoire déclencha l’hilarité de Darryl. Qui demeura immobile devant la télévi-sion.
— Grossier, je peux l’être davantage, menaça Boone. Et méchant. Très méchant.
Le générique du flash d’informations se fit entendre, dé-clenchant un frisson d’angoisse le long de la moelle épi-nière de Jayne. Ils disposaient d’une minute. Peut-être moins.
Boone marcha sur elle et la souleva du sol.
— Débats-toi, lui souffla-t-il, avant de la hisser sans mé-nagement sur son épaule.
Ce qu’elle fit. Des pieds et des poings, elle le cogna tant et plus, mais sans grand effet, tandis qu’il s’engageait dans le couloir menant au séjour.
— Plus fort, chuchota-t-il.
Jayne s’évertua de son mieux, mais elle n’était pas d’une nature virulente. Elle se débattit néanmoins de toutes ses forces, lui martelant le dos à grands coups, jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés au milieu de la pièce où se tenait Darryl, assis devant l’écran.
— Brute ! Goujat ! Primate !
— C’était précisément ce que tu aimais chez moi cette nuit, chérie.
— Ne m’appelle pas chérie !
Redressant la tête, elle vit les deux jeunes truands affi-cher un sourire niais, tandis que Darryl secouait la tête d’un air ébahi. Ou consterné. Ou les deux à la fois.
— Je t’appelle comme je veux !
D’une brusque secousse, il la reposa au sol entre Darryl et le téléviseur.
— N’oublie pas ce que tu es, reprit-il en haussant le ton, ni comment tu es arrivée ici. Je pourrais fort bien me lasser de toi, et je te laisse deviner la suite.
Jayne plaqua les mains sur ses hanches.
— Tu n’oserais pas ! Pas après, après…
Darryl se penchait de côté pour ne pas manquer le début du journal, lâchant un cri outragé, Jayne pivota sur elle-même et d’un geste rageur, bouscula le téléviseur. Celui-ci oscilla un instant sur la table branlante, avant de basculer sur le plancher. Des étincelles jaillirent, suivies d’un léger nuage de fumée, une odeur de brûlé, puis l’écran devint noir.
— Je ne peux pas croire que tu me dises cela, pas après cette nuit. Tu m’as dit, tu m’as dit…
Les trois malfrats se rassemblèrent autour de ce qui res-tait du téléviseur, tandis que Boone saisissait Jayne par les deux bras et la serrait contre son torse.
— Ça va, chérie, dit-il d’un ton conciliant. Inutile de te mettre dans un état pareil.
Jayne cacha son visage au creux de l’épaule du détective. Darryl allait être furieux, mais qu’aurait-elle pu faire d’autre ? Faire tomber le téléviseur lui avait sur le moment semblé une bonne idée. Elle en était moins sûre à présent.
— Tex, dit lentement Darryl, ta femme vient de casser ma télé.
— Je t’en achèterai une neuve, répondit-il, glissant un bras protecteur autour des épaules de Jayne. Celle-ci était une antiquité, de toute façon.
— Comment que je vais faire pour suivre mes feuille-tons ? demanda Marty, tout aussi contrarié.
— Les séries, c’est bon pour les vieilles femmes, grogna Boone. Deux jours sans télé, tu n’en mourras pas.
Jayne risqua un regard vers les trois hommes. Chacun d’eux lui en voulait personnellement : elle leur avait prépa-ré un petit déjeuner exécrable et détruit leur seule source de distraction.
— Je suis navrée, s’excusa-t-elle d’une voix innocente. J’étais si énervée…
Les tremblements de sa voix n’étaient pas feints.
— Tu es parfois si dur, reprit-elle en reportant son regard sur Boone.
Celui-ci la souleva de nouveau du sol, et la fit tournoyer en souriant.
— Je sais ce qu’il te faut pour te sentir mieux.
— Maintenant ?
— Maintenant.
— Mais, Boo…
Il l’interrompit brutalement en couvrant sa bouche de la sienne. Elle en comprit immédiatement la raison. Elle re-gretta une fraction de seconde qu’il lui eût révélé son véri-table nom. Oublier d’appeler Boone de son nom d’emprunt devant les autres, cela signifierait la mort pour tous les deux.
Il ne s’agissait pas d’un vrai baiser mais d’un geste de protection. Sa bouche, cependant, était chaude et ferme, suave et douce. Quand Boone Sinclair embrassait une femme, il le faisait… bien.
Il écarta enfin ses lèvres des siennes, une lueur d’avertissement dans le regard.
— Mais, Booboo, minauda-t-elle lorsqu’elle put de nou-veau parler, rattrapant avec bonheur son erreur. Je n’ai pas encore fait la vaisselle.
— Marty ! lança-t-il. Occupe-toi de cette putain de vais-selle ! Je dois avoir une petite conversation avec la dame dans la chambre.
— Booboo ? demanda-t-il, debout au milieu de la cham-bre, les mains sur les hanches.
Assise sur le rebord du lit, Jayne semblait avoir retrouvé calme et assurance. Elle balançait négligemment un pied, le visage hautain.
— Ce n’est pas pire que chérie.
— Si, maugréa-t-il. C’est pire.
Il ne lui avoua pas que son cœur cognait encore avec violence dans sa poitrine. L’idée l’avait traversé de renver-ser la télé d’un coup de pied dans un moment de rage simu-lé, mais le geste apparemment impulsif de Jayne avait été d’une parfaite efficacité. Mais pour combien de temps ? La rencontre avec Gurza était prévue dans quatre jours. Quatre jours, après trois mois de travail dans l’ombre ! Et un mot de travers pouvait tout anéantir en un instant.
— Je n’aurais pas dû te dire mon nom, déclara-t-il avec regret.
L’expression de Jayne se radoucit.
— Je sais, mais… Je suis heureuse que vous l’ayez fait. Je me sens beaucoup plus en sécurité.
Elle n’était pas en sécurité, loin s’en fallait ! Mais il pré-féra garder cette réflexion pour lui. Il se rapprocha de la tête du lit, qu’il empoigna de nouveau.
Jayne soupira.
— Oh non ! C’est tellement embarrassant.
Boone l’ignora et commença à agiter le lit. Les ressorts se mirent bientôt à gémir. Jayne se couvrit le visage des mains.
— Fais un effort, chérie, l’enjoignit-il d’une voix douce. Aide-moi.
Elle resta quelques instants immobile. Puis, laissant tomber ses deux mains, le regarda dans les yeux et imprima au lit une légère secousse qui le fit grincer.
— Pourquoi Tex ? s’enquit-elle, tout en répétant le mou-vement. Est-ce un nom de famille ?
Boone se pencha en avant et, approchant son visage du sien, lui chuchota :
— Il rime avec la partie de mon corps que je préfère.
Jayne fronça le nez.
— Tex ? Tex rime avec…
Elle réfléchissait, avec concentration, nota-t-il. Puis il vit soudainement ses joues s’empourprer.
— C’est dégoûtant ! s’écria-t-elle à mi-voix. La rougeur avait atteint maintenant son cou.
Le visage de Boone s’éclaira d’un sourire.
— Un peu plus fort, je t’en prie.
— Non !
Il heurta le montant de bois contre le mur, accélérant progressivement la cadence.
— Gémis, à présent.
— Il n’en est pas question.
— J’ai bien peur d’être obligé de te pincer une nouvelle fois pour t’inciter à crier.
— Ce ne sera pas nécessaire.
Détournant son regard, elle écarta les épaules et prit une profonde inspiration. Un son étrange fusa de sa gorge, entre sifflement et glapissement étouffé, qu’il fut bien en mal d’identifier.
— Je n’entends rien, dit-il. Et si moi je n’entends rien, eux non plus.
Jayne secoua la tête d’un air abattu et se tourna vers lui.
— Voyez-vous, je suis persuadée qu’il existe de nom-breuses femmes qui font l’amour silencieusement.
— Je n’en ai jamais rencontré.
— Dépravé !
— Sainte-nitouche !
C’était la pire — ou peut-être la meilleure — chose à lui dire. Sainte-nitouche était une insulte qui la blessait au plus profond d’elle-même. Elle lui donnerait une réponse qui lui prouverait qu’il avait tort ! Elle renversa la tête en arrière, ferma les yeux et produisit un long gémissement grave, quasi animal. Si réaliste que Boone sentit son bas-ventre se crisper. Le timbre acidulé de sa voix était de ceux qui s’insinuent sous la peau d’un homme, du moins d’un homme que ce type de femme séduisait. Ce qui n’était pas son cas.
Prenant une profonde inspiration, elle donna de nouveau de la voix, avec plus d’intensité cette fois. Boone tenta de se convaincre que la jeune femme n’était vraiment pas son type. Celles qu’il aimait avaient de longs cheveux bruns, de longues jambes et un buste généreux. Non pas des courbes subtiles et délicates. Il imprima au lit des secousses plus marquées, plus rapprochées, sans quitter la jeune femme des yeux.
La tête rejetée en arrière, la gorge dénudée, les lèvres en-trouvertes, le spectacle qu’elle offrait était des plus fasci-nants. Il contempla l’or de ses cheveux, la blancheur cré-meuse de sa peau, le modelé délicat de sa bouche… Il éma-nait de tout son être une émouvante et subtile sensualité, devant laquelle il se rendit compte que son propre corps commençait à réagir. C’en était assez !
— Maintenant crie, lui souffla-t-il.
Elle posa sur lui ses yeux verts et le dévisagea avec in-tensité.
— Je… je ne suis pas sûre d’être prête.
Le sourire aux lèvres, il avança une main menaçante.
— D’accord, soupira-t-elle en s’écartant de lui.
Elle referma les yeux, bomba le torse et cria. Fort, lon-guement. Boone cogna le mur deux ou trois fois encore, avant de s’arrêter et de relâcher la tête de lit. Dieu merci. Il ne pouvait en supporter davantage.
— Pas mal, dit-il en s’asseyant auprès d’elle sur le mate-las. A qui pensais-tu en criant de la sorte ?
— « A quoi » serait plus juste, répondit-elle, le regard rivé dans le sien. Je pensais aux serpents.
Il haussa les sourcils, surpris.
— Aux serpents ?
— J’ai la phobie des serpents, expliqua-t-elle en répri-mant un frisson. Venimeux ou pas, ils me répugnent.
— Pourquoi ?
— Je ne sais pas, mais en tout cas cela me permet de hurler sur commande !
Boone laissa s’écouler deux ou trois minutes avant de se décider à la laisser seule. Il se leva en hochant la tête. Bon sang, ce hurlement était sacrément réussi !
Il ne fut pas excessivement surpris en tombant sur Dar-ryl, le regard mauvais, lorsqu’il déboucha dans le couloir. Marty et Doug n’étaient nulle part en vue, mais des bruits d’eau mêlés d’éclats de rire lui parvinrent aux oreilles de-puis la cuisine. Les deux gosses lavaient la vaisselle.
— Je ne pige pas, grommela Darryl, les bras croisés sur son énorme torse. Tout cela me dépasse. Hier, tu amènes cette fille ici pour t’envoyer en l’air avec elle, et si ma mé-moire est bonne, l’idée ne plaisait pas trop à la demoiselle. Et voilà que ce matin elle se met à t’appeler Booboo et à pousser des hurlements de sauvage. Quelque chose ne colle pas.
— Que veux-tu que je te dise ? ironisa Boone. Je suis un bon coup.
Son sourire disparut devant le visage de marbre de Dar-ryl.
— Cette fille est une petite poupée de la haute, reprit-il, que l’on n’a jamais traitée autrement qu’avec des gants. Personne ne l’a jamais touchée où il fallait. Elle se croit amoureuse parce qu’elle a enfin découvert ce qu’était un orgasme. Trois ou quatre ont suffi pour que je devienne l’homme de sa vie. Ne t’inquiète pas à son sujet. Je la tiens bien en… mains, ricana-t-il d’un air salace, espérant qu’il avait convaincu Darryl.
— Que comptes-tu en faire lorsque nous en aurons fini ici ? Je n’aimerais pas la voir retrouver ses esprits et se mettre à bavarder, rapport à ce qu’elle a vu hier soir.
— Elle ne le fera pas.
— On ne peut jamais être certain…
Aux yeux de Darryl, Richard Tex était un petit dealer d’Atlanta prétentieux, qui ambitionnait de se faire une place au soleil des trafiquants. Une association avec Joaquin Gurza devait permettre de concrétiser ce projet.
— Quand j’en aurai fini avec Jayne, grogna-t-il, je lui réglerai son compte. Elle se berce d’illusions, mais moi je garde la tête sur les épaules. Tu n’as aucune raison de te faire du mouron.
Darryl hocha la tête, à demi convaincu.
— Fais gaffe, c’est tout, marmonna-t-il en le laissant passer.
Boone se dirigea vers le pot de café posé sur le comptoir de la cuisine, le visage tendu. Il lui fallait empêcher Darryl et les deux gamins d’accéder aux informations pendant les quatre prochains jours. Etait-ce possible ? Si Darryl appre-nait que l’homme sur lequel il avait tiré était en vie et que Jayne était la fille d’un homme politique, il exigerait de se débarrasser d’elle sur-le-champ. Et comme lui-même avait affirmé que Jim était mort, il serait le second sur la liste.
Si les choses devaient en arriver là, comment parvien-drait-il à sortir Jayne, l’enfant et lui-même sains et saufs ?
Sa mission et sa vie venaient singulièrement de se compliquer

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 11:03 PM

chapitre 4


Allongée sur le lit, Jayne contemplait le plafond de la chambre d’un air pensif. Une longue douche l’avait un peu réconfortée, mais plus que tout elle aurait aimé pouvoir changer de vêtements. De préférence pour ceux de sa pro-pre garde-robe. Ainsi que disposer de sous-vêtements, d’une chemise de nuit, de son sèche-cheveux et d’un paquet complet de ******s aux pétales de chocolat. Ceux qui sont moelleux à cœur.
D’être enfermée seule dans cette chambre lui déplaisait au plus haut point, mais tout valait mieux que de se trouver confrontée à Darryl et aux deux idiots qui lui servaient d’acolytes. Même avec Boone à ses côtés — et il demeurait constamment à ses côtés, montant même la garde devant la porte de la salle de bains — le sinistre trio lui inspirait une peur panique.
Un bruit de conversation à voix basse lui parvint depuis le séjour où les quatre hommes s’étaient réunis pour parler affaires. Elle en saisit suffisamment pour comprendre qu’il était question de drogue, d’argent, et d’une certaine ren-contre.
Elle ne put s’empêcher de s’interroger, une fois de plus, sur la raison de la présence de Boone dans cette maison. Il n’appartenait ni à la brigade des stupéfiants ni à aucune autre autorité légale. Que faisait-il alors ici incognito, et quel était l’événement attendu dans moins d’une semaine ?
Jayne remonta l’édredon jusqu’au menton et s’abandonna à ses pensées.
La nouvelle de sa disparition était probablement parve-nue aux oreilles de ses parents depuis plusieurs heures. Sa mère devait être dans tous ses états. La vaillance n’était pas la qualité première de Lucille Barrington, et elle avait tou-jours protégé à l’excès son unique enfant. Son médecin lui avait sans doute prescrit un sédatif, ainsi qu’il l’avait fait lors du décès de grand-père. Elle devait souffrir dans l’intimité de sa luxueuse chambre à coucher. Jayne éprou-vait un amour indéfectible envers sa mère, mais elle trou-vait que celle-ci avait trop souvent tendance à se complaire dans le mélodrame.
Le sénateur, quant à lui, n’était pas homme à rester assis à se morfondre. Nul doute qu’il avait déjà alerté ses rela-tions, rassemblé ses troupes et passé l’après-midi au télé-phone, s’emportant, cajolant, faisant tout ce qui est humai-nement possible pour retrouver sa fille saine et sauve.
Grand-mère priait. Et cuisinait. Dès qu’une crise d’angoisse la saisissait, Myra Jayne Barrington s’occupait les mains dans la cuisine. Lors de la dernière campagne sénatoriale, elle avait nourri non seulement la totalité de l’équipe personnelle de son fils, mais encore un nombre conséquent de journalistes et de reporters. Aujourd’hui, elle alimentait à coup sûr la ville entière.
Lorsque Boone regagna la chambre, verrouillant la porte derrière lui, Jayne lâcha un soupir de soulagement. Sa seule présence suffisait à la rassurer.
Affichant un calme inhabituel, il s’assit sur le lit pour ôter ses boots et ses chaussettes. Sa mâchoire crispée n’augurait rien de bon.
— Avez-vous un téléphone portable ? murmura-t-elle.
— Oui, répondit-il d’un air absent.
— Mes parents et ma grand-mère doivent se ronger d’inquiétude, et…
— Bouge-toi, grogna-t-il en se laissant tomber sur le ma-telas.
Avait-il dans l’idée de partager le lit avec elle ?
— Croyez-vous que ce soit une bonne idée ? demanda-t-elle, les sourcils froncés.
— Je n’ai pas l’intention de passer une autre nuit par terre, dit-il en s’allongeant à ses côtés. Je dormirai sur l’édredon, et toi en dessous.
Un sourire ironique s’esquissa sur son visage.
— Ainsi, reprit-il, j’aurai l’assurance que tu ne cherche-ras pas à profiter de la situation.
Jayne se déplaça jusqu’à l’extrême bord du lit.
— Vous ne risquez pas de prendre froid ?
Elle avait été surprise de constater à quel point la nuit pouvait être fraîche dans cette partie du pays. Chez elle, mai pouvait être aussi chaud qu’un mois d’été. Ici, en re-vanche, les journées étaient agréables, mais dès que le so-leil baissait à l’horizon, il était clair que l’hiver avait à peine tourné les talons.
Boone tourna la tête et plongea son regard dans le sien.
— Serait-ce une invitation à te rejoindre sous les draps ?
Jayne écarquilla les yeux, et son cœur bondit dans sa poitrine.
— Non ! Bien sûr que non.
— C’est bien ce que je croyais.
Sur ce, il entreprit de remuer doucement le lit, qui émit un léger grincement.
Seigneur…
— Il faut que j’appelle ma mère, chuchota-t-elle.
— Désolé, dit-il en accentuant son mouvement.
— Mais…
— Nous ne pouvons pas prendre ce risque, coupa-t-il. La communication pourrait être interceptée, et l’appel localisé. Les portables n’offrent aucune sécurité.
— Boone… murmura-t-elle d’un ton suppliant.
Il se tourna de nouveau vers elle.
— N’es-tu pas censée nous produire quelques gémisse-ments ?
— Non ! Je suis sûre que non !
— Un bon « Ya-houou ! » bien sonore, dans ce cas, sug-géra-t-il, le regard pétillant.
— Je ne pousse jamais de « Ya-houou ! ».
— C’est bien dommage, soupira-t-il, se recomposant un visage sérieux.
Il secoua alors si brutalement le lit que le montant heurta le mur dans un bruit sourd, puis il recommença, encore et encore, de plus en plus vite. Mortifiée et incapable de sup-porter davantage une telle indécence, Jayne se retourna vivement et bascula sur le plancher, lâchant, dans sa chute, un cri bref mais perçant.
Le lit s’immobilisa. Après quelques secondes, le visage souriant de Boone apparut, dépassant du matelas.
— Eh bien ! C’était différent, mais très convenable ! Les gars penseront simplement qu’il s’agissait d’un « coup rapide ».
— Ce n’était pas…
Jayne s’interrompit aussitôt et se mordit la lèvre. L’idée l’effleura de passer elle-même la nuit sur le plancher, mais le courant d’air qui y circulait l’en dissuada. Il faisait froid en bas ! Boone lui tendit une main secourable, qu’elle refu-sa. Tout à coup, elle vit son sourire se figer, et son regard prendre un air intense.
Surprise, Jayne se rendit alors compte que sa combinai-son était remontée jusqu’en haut de ses cuisses.
— S’il vous plaît ! protesta-t-elle en rougissant, l’enjoignant de se retourner d’un geste de la main.
— S’cusez-moi, m’dame, dit-il, forçant son accent su-diste.
Jayne rassembla ce qui lui restait de dignité et se faufila de nouveau sous les draps. Dès qu’elle se fut réinstallée, Boone se redressa pour ôter son T-shirt noir, qu’il jeta de côté.
Au moins avait-il conservé son jean, pensa-t-elle. Dès qu’il eut éteint la lampe de chevet, elle laissa échapper un soupir de soulagement. Si elle n’était pas forcée de le re-garder, peut-être ne se sentirait-elle pas aussi… nerveuse.
— Vouloir appeler mes parents n’est pas une idée stu-pide, reprit-elle.
— Je sais. Ils doivent se faire un sang d’encre à ton su-jet.
— C’est vrai. Mais je crains surtout que mon père remue ciel et terre et agisse sans aucune discrétion. Il est capable d’envoyer ici des agents fédéraux, l’armée, la marine, les commandos. Et si le bungalow est pris d’assaut…
— Nous nous en sortirons, lui assura-t-il d’une voix douce.
Comment pouvait-elle lui dire que, s’il était tué ou bles-sé par sa faute, parce ce qu’elle s’était trouvée au mauvais endroit et au mauvais moment, elle ne pourrait jamais se le pardonner ? En outre, si Boone réussissait à leur faire quit-ter la maison, ne risquait-il pas d’être pris pour un kidnap-peur et être tué sans sommation ?
Elle entendait son souffle calme et régulier. Apparem-ment, il ne souhaitait plus continuer la conversation. Tant mieux. Il la perturbait. Il avait des allures de criminel, jurait comme un charretier, manquait d’éducation… Mais c’était aussi quelqu’un de bien. Une sorte de chevalier des temps modernes.
Pour couronner le tout, il était sexy en diable. Son sou-rire, ses yeux, son corps… Elle bénit l’obscurité qui cachait son émoi. Et elle se sentit rougir en repensant au « coup rapide » qu’il avait mentionné lorsqu’elle était tombée du lit. Elle savait ce que c’était, merci. Son unique expérience sexuelle avait duré moins de deux minutes, et elle s’était avérée douloureuse et déplaisante. Son « partenaire » lui avait demandé sa main, et elle en avait conclu qu’il était très épris d’elle. Malheureusement, elle s’était vite rendu compte que l’envie de Dustin Talbot de l’épouser n’avait pour but que celui de servir ses ambitions politiques. Une union avec la fille de Gus Barrington constituait pour sa carrière le meilleur des tremplins.
Depuis, elle avait mis son cœur en jachère et attendu la rencontre avec l’homme parfait, le chevalier en armure de lumière, le Lancelot des temps modernes.
Peut-être avait-elle attendu trop longtemps. A 27 ans, aucun homme ne l’avait jamais fait gémir, ni frémir ni crier « Ya-houou ! »
Elle sentait le sommeil la gagner et s’étonna de se préoc-cuper de sa vie sexuelle alors qu’elle risquait de ne pas sortir vivante de cet endroit.
Comme elle aimerait, cependant, une fois, une seule fois, pouvoir crier « Ya-houou ! ».
Boone ouvrit les yeux à contrecœur, se rendant compte qu’il avait chaud. Une chaleur agréable et inhabituelle. Se réveillant tout à fait, il se rendit compte que Jayne se servait de son torse en guise d’oreiller. Sa tête reposait à l’emplacement de son cœur, l’un de ses bras lui enlaçait la taille, et sa respiration était profonde et régulière. Elle avait repoussé le drap dans son sommeil, et celui-ci les entortil-lait à présent partiellement tous les deux, tandis que l’édredon gisait à moitié sur le plancher.
Jayne Barrington représentait tout ce qu’il n’aimait pas chez une femme. Petite. Distinguée. Gâtée. Pudibonde. Riche. Délicate. Elle avait mis les pieds dans un nid de vipères, compliquant par là même sa mission déjà bien difficile.
Il caressa du bout des doigts les boucles blondes de ses cheveux, puis entreprit de lui déplacer doucement la tête.
— Réveille-toi, chérie, murmura-t-il.
Blottie contre sa poitrine, Jayne marmonna quelques mots indistincts, remua un peu, mais ne s’éveilla pas.
Après des mois d’abstinence sexuelle, la réaction de son corps en découvrant une jolie femme à moitié nue accro-chée à lui, au petit matin, était on ne peut plus naturelle.
Il lui fallait néanmoins l’écarter de lui. Tout de suite.
— Jayne, tenta-t-il un peu plus fort, tout en lui tapotant le dos.
Elle s’étira enfin, entrouvrit les yeux, murmura un « hmouii… » ensommeillé, puis releva la tête.
Se rendant soudain compte de l’endroit où elle se trou-vait, elle roula vivement de côté.
— Comment osez-vous ? s’offusqua-t-elle, de cette voix sèche qui trahissait chez elle une vraie contrariété.
— Pardonne-moi, princesse, ironisa-t-il, mais tu remar-queras que j’occupe mon côté du lit. Je n’en ai du reste pas bougé de toute la nuit.
Jayne ne sut que répondre.
— Ne te tracasse pas pour si peu, dit-il en s’asseyant sur le bord du lit. Tu devais avoir froid.
— Excusez-moi, soupira-t-elle.
Darryl était probablement déjà debout, songea-t-il, ainsi que les deux inséparables. Devait-il vraiment empoigner la tête du lit, secouer celui-ci et inciter Jayne à crier ? Il n’en avait pas le courage. Pas aujourd’hui. Pas maintenant. Se saisissant de son revolver posé sur la table de chevet, il se leva.
— Je vais prendre une douche, annonça-t-il. Verrouille la porte derrière moi. Ne laisse entrer personne.
— N’ayez crainte, murmura-t-elle.
Une fois dans le couloir, il attendit de percevoir le cli-quetis du bouton de porte, avant de gagner la salle de bains d’un pas rapide. Le meilleur moyen d’ôter de son esprit certains fantasmes inopportuns était de reporter toute sa concentration sur son travail.
Quatre personnes vivaient confinées dans le bungalow, cinq en comptant Jayne, avec un seul téléphone utilisable : celui de Darryl. Une seule voiture : celle de Darryl. L’endroit était isolé, loin des routes fréquentées, et lorsque l’un ou l’autre avait besoin de se rendre dans ce qui portait abusivement le nom de ville — pour y faire provision de bière ou de nourriture — il n’était pas autorisé à sortir seul. Ils se déplaçaient par deux. Toujours.
Etablir sa couverture avait demandé du temps, mais il disposait de contacts sûrs. Un mouchard trié sur le volet avait introduit « Richard Tex », dans le réseau dirigé et organisé par Darryl, ce dernier constituant l’unique sésame permettant de remonter jusqu’à Gurza.
Gurza détenait l’enfant, il le savait. Il le ressentait dans ses tripes. Il ne pouvait se permettre de se laisser distraire de sa mission.
Après avoir quitté la douche, il se dirigea vers la cuisine. De là, il aperçut Darryl assis dans le canapé du séjour, le regard fixé sur la petite table où se trouvait précédemment le téléviseur.
— Tu me dois une télé, Tex, grogna le gros homme.
— Quand tout sera terminé, je t’en achèterai une à écran géant, lança-t-il d’une voix forte depuis la cuisine.
— Il est vrai que tu en auras les moyens, dès que tu auras commencé à travailler avec Gurza.
Darryl et le mystérieux Gurza imaginaient que Richard Tex cherchait à étendre son petit territoire de la zone d’Atlanta à toute la Géorgie, voire jusqu’en Alabama. Opé-rant principalement dans le Sud-Ouest, Gurza ne pouvait qu’être intéressé par ce projet d’association.
— Je compte envoyer les gosses en chercher une cet après-midi, annonça-t-il, tandis que Boone pénétrait dans le séjour. Je n’aime pas ça : la radio ne capte rien ici, à part une station qui ne diffuse qu’une musique d’ambiance so-porifique.
Une boule se forma dans la gorge de Boone.
— Tu as peur de rater le dernier défilé de mode ou la remise des Oscars ? demanda-t-il d’un ton sarcastique. Tu veux connaître les prévisions météorologiques pour de-main ? En outre, dois-je te rappeler que tu nous as demandé de ne pas nous séparer pendant les derniers jours ? Tu veux vraiment envoyer ces deux idiots acheter une télé ?
Darryl leva les yeux et le cloua du regard.
— L’un de ces idiots est mon neveu.
— Je sais, dit Boone. Cela ne l’empêche pas d’être un idiot.
Darryl se *******a de hausser les épaules avant d’ajouter :
— Ils ne vont pas l’acheter. Ils vont en voler une dans une maison vide.
Les paumes de Boone devinrent toutes moites. Et s’il s’avérait que la maison était occupée ? Si, une fois encore, les choses tournaient mal ?
— Félicitations ! Voilà une belle manière de rester dis-cret ! Voler un téléviseur chez des particuliers. Risquer de mettre en effervescence la police.
Darryl détestait voir son autorité contestée.
— J’ai une maison bien précise en tête, précisa-t-il. Une résidence secondaire appartenant à un couple, qui ne l’occupe que trois mois par an. Ils sont absents en ce mo-ment. Personne n’en saura rien. Rien ni personne à crain-dre.
— Je vois que tu as sérieusement réfléchi à la question, observa Boone en sirotant son café.
— Je n’aime pas être coupé du monde.
— Quand doivent-ils opérer ? demanda-t-il, affichant un calme qu’il était loin d’éprouver.
— Cet après-midi, dit Darryl en souriant. Tu veux les accompagner ?
Et laisser Jayne seule avec lui ? Hors de question.
— Non, merci.
Revêtir l’un des T-shirts de Boone était, du moins pour le moment, le seul choix possible. Si son tailleur ne tolérait qu’un nettoyage à sec, sa combinaison, son chemisier, son soutien-gorge et sa culotte avaient grand besoin d’une les-sive. Quant aux collants, elle les avait simplement jetés à la poubelle.
Alors qu’elle s’apprêtait à effectuer un dernier rinçage de sa petite lessive, Boone frappa à la porte de la salle de bains.
— Un instant, répondit-elle.
— Non. Maintenant.
— J’en ai presque…
— Tout de suite !
Elle tendit le bras pour tourner le verrou, puis, laissant Boone entrer et claquer la porte derrière lui, elle acheva de rincer et d’essorer son petit linge.
— Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna-t-il.
— A votre avis ?
Sans lever les yeux, elle pressa avec délicatesse sa petite culotte, qu’elle suspendit ensuite à la barre du rideau de douche. Elle aurait dû être embarrassée, et de fait elle l’était. Un peu. Mais compte tenu de la situation, elle jugea inopportun de se scandaliser devant le regard de Boone sur sa lingerie intime.
Il secoua la tête, l’air incrédule, et se tourna vers elle.
— Je t’avais dit de rester dans la chambre.
— Non, vous ne me l’aviez pas dit. Vous m’avez juste demandé de ne laisser entrer personne. J’ai jeté un coup d’œil dans le couloir, il était vide. J’ai donc couru jusqu’à la salle de bains où je me suis enfermée. Ce linge ne pou-vait pas attendre.
Jayne n’eut pas un frisson lorsqu’il la détailla des pieds à la tête. Elle se savait parfaitement décente dans l’un de ses nombreux T-shirts noirs. Trop large d’au moins trois tailles, il lui descendait jusqu’aux genoux.
Boone s’approcha d’elle et se pencha près de son oreille.
— Nous partons aujourd’hui même, chuchota-t-il.
Son cœur fit un bond dans sa poitrine. Si elle désirait quitter cet endroit plus que tout au monde, l’urgence d’une évasion signifiait que tout ne se déroulait pas comme prévu.
— Pourquoi ?
— Darryl envoie les deux gamins voler un téléviseur cet après-midi. Dès qu’ils auront suivi le journal et appris qui tu es, nous serons cuits.
— Oh, crotte ! grogna-t-elle.
— Ça, tu peux le dire !
Jayne sentit son sang se figer lorsque quelqu’un tenta de tourner le bouton de la porte. Des coups secs se firent en-tendre presque aussitôt.
— Un peu de patience ! grogna Boone… à la seconde même où Jayne répondait :
— Une minute !
— C’est… c’est urgent ! geignit Doug derrière la porte.
— Alors soulage-toi dehors ! lança Boone. Nous n’en avons pas terminé ici.
— C’est à peine croyable, maugréa Doug en s’éloignant. Nous cohabitons avec un couple de lapins !
Lorsque plus aucun bruit ne se fit entendre dans le cou-loir, Jayne scruta le regard de Boone. Celui-ci était em-preint d’une froide colère, ainsi que d’une intense frustra-tion. D’avoir dû veiller sur elle anéantissait des mois de travail. Et à en juger par la dureté de son expression, il regrettait sans doute de ne pas avoir laissé Darryl la tuer.
— Je suis désolée, murmura-t-elle.
— Moi aussi.
— Peut-être serait-il plus avisé de me laisser partir et… de terminer ce que vous avez commencé ?
Boone secoua lentement la tête.
— Si je te laisse partir, Darryl me descendra sur-le-champ.
— Mon Dieu, soupira-t-elle, le cœur déchiré.
D’autres pas résonnèrent dans le couloir, suivis de nou-veaux coups portés à la porte.
— Une minute ! dit Boone d’un ton sec.
— Pardon, répondit la voix de Marty.
— Que faisons-nous ? chuchota Jayne, penchée vers son compagnon.
— Hé, Tex ! Tu n’es pas seul là-dedans, dirait-on !
L’ironie sous-tendait sa voix.
Jayne leva les yeux vers Boone. Ses longs cheveux lui balayaient les joues, et les nerfs apparents de son cou té-moignaient de son extrême état de tension.
— Prends tes affaires, dit-il, désignant du menton le linge mis à sécher sur la barre de douche.
— Mais… elles sont encore humides.
Il serra les dents.
— Si tu tiens à conserver tout ce que je vois accroché ici, répliqua-t-il, fais ce que je te dis. Maintenant.
Malgré la gravité des circonstances, elle ne fuirait pas sans ses sous-vêtements. Elle obtempéra, tout en se deman-dant quels étaient les plans de Boone. Ferait-il croire à Marty qu’ils batifolaient sans vergogne dans la salle de bains ? L’emporterait-il dans ses bras pour tenter une échappée par le couloir ?
Il se *******a d’ouvrir la porte, puis la prit par la main pour la reconduire jusqu’à la chambre.
Juste derrière eux, Marty poussa son petit hennissement familier.
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ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 01:51 AM.

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