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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:09 PM

une femme providentielle( ÑÇÆÚÉ)
 

une femme providentielle


de Myrna MACKENZIE

A quelques jours du banquet qu’il organisait en l’honneur d’Olivier Davis – l’homme à qui il devait sa fortune, Jackson a bien cru qu’il allait devoir tout annuler, son cuisinier s’étant cassé la jambe. Et voilà que la providence lui envoyait une cuisinière, compétent, charmante… et enceinte de huit mois ! Jackson n’avait pas le choix, il allait embaucher la belle Helena. Mais au-delà de ses craintes quant aux talents culinaires de la jeune femme, Jackson était assailli d’autres doutes, plus ambigus. Lui, le célibataire endurci, millionnaire de surcroît, n’avait pas l’intention de donner de faux espoirs à une femme fragile. Mais Helena était si pétillante, si pleine de vie, que Jackson se demandait s’il résisterait longtemps à la tentation…0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:12 PM

chapitre 1

— N’y va pas, Helena. Tu risques de tomber sur une femme nue dans sa salle de bains, si ce n’est sur plusieurs !
Le bruit de voix troublant la sérénité de ce coin paisible de la côte du Maine attira l’attention de Jackson Castle. Il posa sa tasse de mauvais café sur la table basse et se dirigea vers la fenêtre ouverte de la spacieuse villa louée la veille. Et le spectacle qu’il découvrit le stupéfia. Une beauté aux cheveux blond vénitien faisait face à quatre solides gaillards qui la dévisageaient bras croisés, sourcils froncés. Accotée à sa voiture, la jeune femme souriait avec aplomb, insoucieuse de sa position d’infériorité.
— Ecoutez, les garçons, vous savez que je vous aime beaucoup mais je vous répète pour la cent millionième fois que vous êtes mes frères, pas mes anges gardiens ! De plus, vous n’avez aucune raison de vous inquiéter, les femmes nues ne me font pas peur. Il m’arrive moi-même de me trouver dans cette situation.
— Tu sais très bien ce que nous voulons dire, Helena. Il est hors de question que tu travailles pour Jackson Castle, pas dans ces conditions d’intimité, en tout cas !
« Intéressant », pensa Jackson, les sourcils levés. Cette jeune personne devait être Helena Austin, la cuisinière engagée en remplacement de son maître d’hôtel qui s’était malencontreusement cassé un bras le jour de son arrivée. Et ses frères refusaient qu’elle travaille pour lui ?
— Je sais pourquoi l’idée vous déplaît, Bill, rétorqua la jeune femme. Vous avez prêté l’oreille aux bruits qui circulent en ville insinuant que M. Castle collectionne les femmes comme d’autres les timbres-poste !
Un des frères émit un reniflement de mépris.
— Je n’ai pas besoin de la rumeur pour juger. J’ai vu Castle hier en ville, je sais à quoi il ressemble. Et puis, pourquoi aurait-il loué une villa de huit chambres s’il comptait rester seul ? A quoi crois-tu que vont servir tous ces lits ?
— A dormir, Hank ? suggéra la beauté, un tranquille sourire aux lèvres.
— A dormir avec un tas de femmes, oui ! Avec toi, peut-être ! répliqua le voisin de Hank.
— Allons, Thomas, sois sérieux ! Regarde-moi avant de proférer des énormités pareilles !
A ce moment, un des hommes bougea, permettant à Jackson de découvrir la jeune femme dans son intégralité. Un bref cri de surprise lui échappa. Elle était enceinte ; et pas loin de son terme, à ce qu’il pouvait en juger.
— Si tu crois que ça change quelque chose, grommela Thomas.
« Désolé de te contredire, mon vieux, murmura Jackson, mais ça change tout, au contraire. » Si cette femme était bien celle qu’il pensait, il n’était pas du tout certain qu’il l’engage. Elle était charmante, ce qui représentait un atout à ses yeux, mais enceinte… Et ses relations avec les femmes enceintes avaient toujours été difficiles, à commencer par le jour où sa mère avait donné naissance à un enfant non désiré dans un quartier sordide et sombre, pour finir par celui où sa femme lui avait annoncé qu’elle portait l’enfant d’un autre. Il n’avait aucune intention de rajouter le moindre chapitre à ce lamentable roman.
En même temps, il éprouvait malgré lui une certaine tendresse pour ces femmes qui traversaient une délicate période de leur existence. Cette jeune personne, par exemple, aurait eu besoin d’une protection que ses frères, obnubilés par sa réputation, étaient bien incapables de lui offrir. Comment ne se rendaient-ils pas compte qu’elle ne devrait pas s’exposer si longtemps au soleil ?
Il sortit, traversa la terrasse de bois et descendit les marches qui menaient à la plage.
Après la mauvaise nuit qu’il venait de passer — le projet sur lequel il travaillait l’ayant tenu longuement éveillé — il ne devait pas se présenter sous son meilleur jour : cheveux noirs en bataille, chemise froissée, ouverte sur son torse, et barbe de trois jours. En clair, il ressemblait davantage au voyou qu’il avait été qu’au milliardaire qu’il était devenu. Mais ce n’était pas plus mal ; il avait justement besoin de se montrer impressionnant.
Il s’éclaircit la gorge.
— Que puis-je pour vous, messieurs ?
Celui qui se tenait le plus près de la jeune femme se redressa, la mine sombre.
— Rien du tout. Nous partions. Allons, viens, Helena.
Cependant, la jeune femme secoua la tête. Levant les yeux sur Jackson, elle lui sourit poliment tout en s’approchant. Jackson remarqua alors la couleur aigue-marine de ses yeux.
— Bonjour ! Monsieur Castle, je présume ? J’espère que nous ne vous avons pas réveillé. Vous avez probablement deviné que je suis Helena Austin, votre nouvelle cuisinière. Si cela convient, je suis prête à prendre mon service.
Jackson commençait à comprendre pourquoi ses frères se montraient tellement protecteurs avec elle. Ses yeux étaient comme des fenêtres ouvrant sur une âme pure et sa voix grave et douce donnait des frissons… Jackson dut faire un effort pour se remémorer qu’elle ne lui proposait que des services strictement professionnels.
Puis elle se retourna pour adresser à ses frères un sourire espiègle.
— Nous ne sommes pas venus ensemble, déclara-t elle ; mes frères ont simplement profité d’une pause pour venir me souhaiter bonne chance. C’est bien ça ? termina-t elle en se tournant vers eux.
— Helena…, s’écria le prénommé Thomas.
Elle le toisa d’un air mé*******.
— S’il te plaît, il s’agit de mon travail.
Elle avait prononcé le mot avec emphase, comme s’il s’agissait de sa vie.
— Enchanté, madame Austin, dit Jackson, ignorant délibérément les regards furibonds de ses frères.



Ils seraient sans doute heureux d’apprendre qu’il partageait entièrement leur point de vue. Helena possédait énormément de charme, sa voix aurait rendu fou de désir n’importe quel homme et, avec ses longs cheveux dorés, elle évoquait quelque lady Godiva à califourchon sur un cheval, uniquement vêtue de sa somptueuse chevelure. Bref, elle était beaucoup trop séduisante pour une employée qu’il était censé fréquenter quotidiennement. Il éprouvait déjà l’irrésistible envie de poser ses lèvres sur son épaule nue puis de les promener un peu plus bas… geste impossible à envisager. Il n’était pas homme à s’engager et une femme enceinte avait certainement d’autres besoins qu’une aventure passagère.
— Je désire travailler chez vous, déclara avec assurance la jeune femme.
Jackson retint un sourire. A sa place, aurait-il su adopter un ton léger face à quatre géants mé*******s ? Leur stature l’écrasait et cette impression de fragilité était encore renforcée par son état. Cependant, son regard brillait de détermination et elle arborait l’air d’un enfant de quatre ans qui feint de croire qu’il n’y a pas croque-mitaine sous son lit alors que même un bébé sait que les monstres existent.
Jackson avait affronté sa part de monstres. Il les avait combattus et réduit à l’impuissance et c’est pourquoi il éprouvait, à son corps défendant, de la sympathie pour la jeune femme.
Son sourire dut toucher un point sensible car elle confia :
— Habituellement, ils ne mordent pas. Ce matin, ils sont juste un peu énervés parce qu’ils ont joué au poker une partie de la nuit. Et puis, il me trouvent parfois un peu têtue.
— Un peu têtue ? s’exclama Hank. Ecoute, Helena, il faut que nous parlions. J’ai l’impression que tu as oublié que nous devions déjeuner ensemble aujourd’hui.
Elle écarquilla ses grands yeux aigue-marine.
— Tu ferais bien de faire mesurer ton nez par Annette pour voir s’il ne s’est pas allongé, Hank ! Par ailleurs, je déjeunerai volontiers avec vous. La semaine prochaine, si ça vous convient.
Le regard de Hank se chargea d’orage.
— Tu as tort de t’entêter, répliqua-t il avec brusquerie. Je veux simplement t’empêcher de foncer sans réfléchir au risque de commettre une regrettable erreur.
Tout en parlant, son regard tomba sur le ventre arrondi de sa sœur. Ce qu’elle ne manqua pas de remarquer et qui lui fit redresser la tête. Instantanément, son frère prit une expression contrite.
— Désolé, euh… je ne voulais pas…
— Je sais très bien que tu ne voulais pas.
Cette fois, ce fut une franche admiration qu’éveilla chez Jackson le frêle personnage en même temps que le comportement de ses frères déclenchait sa colère. Il s’avança d’un pas. S’il ignorait les circonstances de la grossesse de la jeune femme, une pareille attaque devant un étranger ne pouvait que l’humilier. Ce n’était vraiment pas le lieu pour une pareille conversation ! S’il changeait d’avis au sujet de l’embauche d’Helena, il ne la congédierait pas en public, même si ce public lui était intimement lié. Il agirait discrètement, en tête à tête.
Jackson tourna son attention vers les quatre mousquetaires.
— Dommage que nous ne puissions poursuivre cette discussion. Mme Austin et moi avons à parler affaires et, pour cela, nous serons mieux installés à l’intérieur.
Il entreprit de boutonner sa chemise de cet air princier qu’il avait adopté du jour où on l’avait tiré des rues de cette ville pour lui donner sa chance.
— Si vous voulez bien nous excuser…
Il offrit son bras à Helena.
— Madame Austin ?
Avec un regard d’excuse pour ses frères, elle posa sa main délicate sur l’avant-bras de Jackson. A travers le fin tissu de sa chemise, il en perçut la chaleur et ne comprit encore une fois que trop bien l’inquiétude de ses frères. Les hommes ne pouvaient qu’être attirés par elle et sous l’effet de cette attirance, agir inconsidérément.
Les hommes, mais pas lui.
— Nous en reparlerons plus tard, dit-elle à ses frères.
— Parfaitement, dit Bill.
Elle se tourna vers Jackson. Quand elle lui sourit, il eut l’impression que des milliers de fleurs s’épanouissaient brusquement. Elle possédait vraiment un sourire dévastateur.
Il la guida vers l’escalier puis ils traversèrent la terrasse. Il ouvrit la porte et s’effaça pour la laisser pénétrer dans la vaste cuisine bleue et blanche qui occupait l’arrière de la maison.
— Asseyez-vous, je vous en prie, dit-il en lui désignant un siège.
Tout en prenant place, elle examina la pièce.
— Je suis navrée de vous avoir imposé cette scène.
— Ce n’est pas grave.
— Mes frères se sont toujours montrés très protecteurs avec moi mais ces derniers temps, c’est devenu encore bien pire.
— Ils se préoccupent de votre sort.
— Certainement. Ils n’ont toutefois aucune raison de s’inquiéter. Comme vous le savez, je ne suis là que pour faire la cuisine.
Sous son regard intense, il comprit qu’elle craignait qu’il n’ait surpris leur conversation et tentait de se dédouaner.
Il considéra le pathétique pot de café vaseux confectionné par ses soins.
— J’ai vraiment besoin d’une cuisinière, murmura-t il comme pour lui-même.
Helena suivit son regard et éclata de rire.
— Vous avez pourtant tout l’équipement nécessaire pour préparer de somptueux repas, monsieur Castle !
Elle sauta sur ses pieds, réduisant à néant les efforts de Jackson pour qu’elle se repose, et fit le tour de la cuisine, examinant les moindres recoins avec un intérêt passionné, caressant du bout des doigts la surface polie du plan de travail central, se délectant voluptueusement de l’odeur de résine des placards de bois, passant la paume de sa main sur le réfrigérateur haut de gamme..00
Un léger soupir lui échappa.
— Ce lieu est un rêve pour un cuisinier, murmura-t elle. Je ne suis pas sûre que vous compreniez mais, pour moi, votre cuisine s’apparente au pays des merveilles. Tout ce bois blond, ces vitrages… Ce sont des installations superbes.
Le choix des mots faillit faire sourire Jackson mais, au bout du compte, évoquer le pays des merveilles n’était pas si déplacé puisque, en observant le mouvement des lèvres d’Helena, il apparut à Jackson qu’elles ressemblaient à du sucre rose et il éprouva le désir de les écraser sous les siennes pour en goûter le suc.
Il prit une profonde inspiration en se rappelant qu’il s’agissait d’un entretien d’embauche et que la bouche d’Helena Austin était l’égal du fruit défendu. Il n’employait pas les femmes qu’il désirait. C’était aller au-devant de trop de complications. De plus, désirer une femme enceinte ne ferait que lui rappeler une période de son existence qu’il préférait oublier. Cependant, il pressentait déjà que ce ne serait pas si simple d’expliquer à cette jeune femme qu’elle ne faisait pas l’affaire, d’autant qu’elle couvait déjà amoureusement des yeux l’équipement de sa cuisine.
— Je suis ******* que vous appréciiez, dit-il d’un ton prudent.
— J’apprécie beaucoup et je regrette que vous ayez eu à vous démener pour y mettre quelqu’un. Abe Howard, de l’agence pour l’emploi, m’a expliqué que vous vous étiez inopinément retrouvé sans cuisinier. C’est une situation terriblement embarrassante.
A l’entendre, on aurait dit qu’il n’existait pas de problème plus grave que le fait qu’il se retrouve temporairement privé de personnel. La sympathie qu’il lut dans son regard l’émut fugitivement et il regretta d’avoir à la renvoyer alors qu’elle désirait si manifestement travailler ici.
Et puis, son regard glissa le long de son corps. Elle avait beau être adorable, elle n’en restait pas moins aussi désirable, enceinte, que deux minutes auparavant.
— Madame Austin…, commença-t il.
— Helena, rectifia-t elle. Oh ! mais j’y pense, il est tôt et vous n’avez sans doute pas pris de petit déjeuner. Si vous voulez, je me glisse dans un tablier et je vous en prépare un !
Jackson, qui se glorifiait de garder la tête froide en toutes circonstances, se demanda par quel miracle les mots « se glisser dans un tablier » prenaient soudain des consonances érotiques. Parce qu’il n’était pas debout depuis une demi-heure et qu’une jolie jeune femme lui proposait d’une voix caressante de lui préparer son repas ? Ces pensées incongrues lui firent froncer les sourcils. Ni la voix d’Helena Austin ni ses vêtements ne le concernaient. D’autant qu’elle ne resterait pas à son service. Il n’avait pas dû se montrer assez précis auprès d’Abe à propos du profil du candidat.
— J’apprécie que vous vous soyez si rapidement présentée, Helena, dit-il, adoptant machinalement le ton de commandement qui lui avait si bien réussi, cependant, s’il est vrai que je me suis brusquement trouvé à court de cuisinier, j’aurais dû préciser certains points à Abe. Il me semble, pardonnez-moi, que vous attendez un enfant.
Elle haussa les sourcils et sourit.
— Vous êtes très perspicace, monsieur Castle.
Il ne put s’empêcher de lui rendre son sourire.
— Très bien, Helena, vous êtes vraiment enceinte.
— Est-ce un problème ?
C’était plus qu’un problème. Néanmoins, employant du personnel depuis un certain nombre d’années maintenant, il connaissait les lois. D’ailleurs, même s’il n’avait pas existé de loi, peut-on refuser une employée compétente par commodité personnelle, même si cette commodité personnelle est vitale ?
Jackson se promettait de se montrer plein de tact pour lui annoncer la mauvaise nouvelle quand elle se pencha vers lui dans l’attente de sa réponse, et une bouffée de son parfum citronné monta à ses narines. Il la vit brusquement effleurant de ses doigts chargés de parfum l’endroit de la gorge où bat le pouls, le creux de son genou, l’espace entre ses seins. Il eut aussi la vision de lui-même se précipitant dans le vide du haut d’un immeuble. Le saut était réussi ; c’était l’atterrissage sur sol dur qui posait problème…
A grand-peine, Jackson s’arracha au parfum d’Helena Austin. Sa libido semblait détraquée ce matin. Malgré sa virilité, il ne se livrait jamais à ce déshabillage imaginaire de ses employées. Vraiment, il réprouvait ce genre de comportement.
— Alors, monsieur Castle, insista Helena, est-ce un problème ?
« Réfléchis vite, Castle », se dit-il. Cependant, il remarqua qu’elle ne portait pas d’alliance à sa main gauche Pas d’obstacle social évident donc ; seulement ses propres interdictions, fruits d’une douloureuse expérience. Un homme incapable d’éprouver de profondes émotions ne devrait jamais approcher de trop près une femme vulnérable. Or Jackson n’imaginait pas plus vulnérable qu’une femme qui s’apprête à mettre au monde un enfant dépourvu de père.
Il s’éclaircit la gorge.
— Je vais beaucoup recevoir durant mon séjour à Sloane’s Cove, expliqua-t il. Henri, mon cuisinier habituel, est un homme costaud, capable de porter de lourds plateaux ou de pousser des meubles et de rester debout des heures durant en cas de nécessité. Malheureusement, hier, il s’est cassé le bras en tombant dans les rochers et a dû être rapatrié à Boston.
— Je sais. J’espère que sa blessure n’est pas trop grave et qu’il pourra de nouveau cuisiner.
— Bien sûr. Abe vous a donc parlé d’Henri ?0
Elle secoua la tête.
— Le bouche à oreille est efficace dans des villes comme la nôtre.
Comme il la considérait avec curiosité, haussant une épaule, elle ajouta :
— Pour être touristique, au fond, Sloane’s Cove a gardé une mentalité de petite ville. Les nouvelles s’y répandent comme traînée de poudre, aussi n’avons-nous pas de secret les uns pour les autres !
« Dommage », pensa Jackson. Car il avait un secret qu’il ne tenait pas à voir divulguer dans l’immédiat.
— Quoi qu’il en soit, ce que j’essaie de vous expliquer, Helena, c’est que je cherche quelqu’un de résistant à la fatigue.
C’était vrai, même si ce n’était pas la véritable raison de ses réticences. Comment cependant expliquer à une employée qu’on ne l’engage pas parce qu’on la trouve trop désirable ?
Elle le considéra, une nuance de sympathie dans ses grands yeux aigue-marine, puis secoua la tête.
— Ne me sous-estimez pas, monsieur Castle. Vous ne sauriez croire ce dont je suis capable. Plus important, je dois vous dire en toute honnêteté que vous n’avez pas le choix. Nous sommes sur la côte du Maine, fin juin. La saison touristique est déjà commencée ; trouver un bon cuisinier maintenant relèverait du miracle !
Machinalement, la main de la jeune femme s’était posée sur son ventre, comme si elle voulait protéger son enfant du rejet de Jackson. Devant ce geste, ce dernier éprouva une brusque culpabilité. Même s’il était tout jeune la dernière fois qu’il avait dû se préoccuper de savoir comment se procurer son prochain repas, il n’oublierait jamais l’angoisse qu’on ressent dans ces circonstances.
— Je vais insister auprès d’Abe pour qu’il vous trouve un emploi, dit-il gentiment.
— Je n’ai pas exactement besoin de travailler, rétorqua-t elle avec la même douceur.
— Dans ce cas…
— Dans ce cas, vous vous demandez ce que je fais ici ?
Devant ses grands yeux à la teinte si rare qui pétillaient de malice, Jackson se demanda à quoi ils ressemblaient dans une étreinte. Avec un léger sursaut, il se ressaisit.
— Oui, pourquoi êtes-vous ici ?
Elle inspira une bouffée d’air.
— Je… Bon, comment dire ? Abe est un vieil ami. Il cherchait quelqu’un pour vous. Venant de quitter un emploi, j’étais libre quand il a pris contact avec moi ce matin. De plus, il sait que je suis folle de votre cuisine.
Jackson ne put retenir un sourire.
— Oh ! bien sûr… ma cuisine.
Elle hocha la tête.
— Il y a trois ans, je travaillais ici quand M. et Mme Hamilton, qui en étaient alors propriétaires, faisaient effectuer des travaux de rénovation. Et ils m’ont demandé de les aider à concevoir la cuisine de leurs rêves. Malheureusement, Mme Hamilton est morte cet hiver-là et la maison est restée fermée depuis lors. C’est le premier été que M. Hamilton se décide à louer.
— Ainsi, vous voulez travailler chez moi à cause de mon compacteur de détritus et de mon réfrigérateur ?
— Sans oublier votre incroyable mixer ! Mais surtout, j’ai besoin d’acquérir de l’expérience. Je n’ai pas vraiment besoin d’argent. L’assurance vie de mon mari me permet de vivre confortablement. Seulement, j’invente des recettes et écrit des livres de cuisine depuis que j’ai accès aux fourneaux. C’est plus qu’un moyen d’existence : une passion qui demande à trouver un public sur qui tester mes recettes. Abe m’a dit que vous receviez beaucoup, ce qui est peu courant par ici, même chez les plus fortunés. La plupart des gens se réfugient justement à Sloane’s Cove pour fuir le stress, alors, oui, vous faites fabuleusement l’affaire, d’autant que je travaille plus particulièrement en ce moment sur les menus de réceptions !
Jackson dissimula un sourire.
— Je fais l’affaire, n’est-ce pas ?
— Fabuleusement ! répéta-t elle.
— Y a-t il une autre raison pour laquelle je devrais vous engager ? demanda-t il en soupirant.
Elle le dévisagea avec de grands yeux innocents.
— Oui, naturellement.
— Pourriez-vous préciser ?
Elle haussa ses délicates épaules.
— Je suis une excellente cuisinière, et je cède vingt pour cent de mes droits d’auteur au service de pédiatrie de l’hôpital de Sloane’s Cove. M’aider à terminer mon livre le plus vite possible serait œuvre charitable.
— Qui vous dit que j’ai l’âme charitable ?
Tout le monde ignorait les raisons de sa venue ici ; le secret avait été bien gardé, il en était certain.
Elle parut légèrement désappointée.
— Je sais que vous êtes un homme très occupé, monsieur Castle, mais pas au point de ne jamais regarder la télévision. Un portrait de vous est paru dans l’émission : « Les célibataires les plus fortunés du monde », il y a à peu près un mois. Le commentateur mentionnait votre participation à de nombreuses œuvres caritatives.
Le sang de Jackson se glaça dans ses veines.
— Les célibataires les plus fortunés du monde, répéta-t il faiblement.
Il lui semblait se rappeler vaguement avoir entendu son assistante mentionner que son visage avait paru sur les écrans de la télévision nationale mais, se trouvant en rendez-vous avec un de ses plus fidèles clients — son métier consistait depuis des années à localiser jouets, babioles et œuvres d’art pour les grands de ce monde —, il avait relégué cette histoire au second plan.
A présent, cette émission revêtait une importance inattendue, mais surtout parce que, en l’évoquant, la ravissante Mme Austin se paraît de tons de rose qui rehaussaient magnifiquement la peau laiteuse de ses joues, de son cou mince et de la gorge délicate qui apparaissait dans l’échancrure de sa robe bleu pâle. Elle était enceinte, et seule, à une période ou aucune femme ne souhaite vraisemblablement l’être. En pensant qu’elle portait l’enfant d’un autre, une vision déconcertante de son ex-femme et de son ex-associé s’imposa à lui. Il la repoussa avec fermeté.0
— Vous prononcez « célibataires les plus fortunés du monde » comme si je cherchais à m’en approprier un ! dit-elle brusquement. Rien n’est plus éloigné de la vérité, monsieur Castle. Sans vouloir vous blesser, je ne vous porte aucun intérêt, pas plus qu’à un autre, fût-il milliardaire. J’ai eu un mari et n’en désire pas d’autre. Tout ce que je veux, c’est cuisiner pour vous et tenir votre intérieur. Si vous m’engagez, je puis vous assurer que je ne vous offrirai que les meilleurs échantillons de ma cuisine et que je ne vous submergerai pas sous des regards implorants, à moins que vous ne mainteniez une recette précieuse hors de ma portée !
Ces simples paroles firent éprouver à Jackson un sentiment de honte. Non, elle n’était pas réduite à la mendicité, et oui, il avait craint, quand Henri s’était blessé, d’avoir du mal à lui trouver un remplaçant. Abe ayant précisé qu’elle possédait un curriculum vitæ à toute épreuve et qu’il pourrait fournir d’excellentes références, c’était bien lui, Jackson Castle, qui se trouvait en mauvaise posture, et non cette jeune femme qui lui tenait si courageusement tête. Il n’ignorait pas que sa stature et son allure un peu rude en avaient impressionné plus d’un. Et pourtant, il la toisait sans vergogne.
Il esquissa un sourire.
— Vous pensez que je suis dans une situation désespérée, c’est ça ?
— Seulement si vous tenez à vos repas.
— J’ai la déplorable habitude d’en prendre plusieurs par jour…
— Et si vous voulez nourrir vos invités…
— Ils ont tendance à s’énerver quand on ne leur sert que de l’eau à table.
— C’est compréhensible. Ma grossesse ne posera pas de problème, monsieur Castle. Je sais me faire aider quand le besoin s’en fait sentir. Je ne compromettrai pas la santé de mon enfant et vous ne vous retrouverez pas avec un procès sur les bras, si c’est ce que vous craignez.
— Je vous prie de m’excuser si j’ai pu vous donner cette impression. Je remercierai Abe de vous avoir envoyée à moi.
— Vous m’acceptez donc ?
— De tout cœur.
— Vous mentez bien, monsieur Castle, mais c’est égal…
Pourquoi Jackson eut-il l’impression d’entendre flotter la suite dans l’air : « Ce ne sera ni la première ni la dernière fois qu’on me ment » ? De nouveau, elle porta une main protectrice à son ventre et son regard s’emplit d’une tension qu’il aurait voulu effacer.
— Puisque nous sommes d’accord, bienvenue chez moi, dit-il en lui tendant la main. Je compte passer environ trois semaines ici ; cela vous convient-il ?
Restait-il seulement trois semaines avant l’arrivée du bébé ?
Elle prit la main tendue en souriant et il sentit sa douce paume glisser contre la sienne.
— Ce sera parfait. Je prendrai garde à ne pas mettre mon enfant au monde en pleine réception et ferai de mon mieux pour satisfaire vos invités. Vous allez avoir des surprises !
Il espérait bien que non ; la surprise que représentait par elle-même Helena lui suffisait amplement. Déjà il ne pensait plus qu’au contact de sa main dans la sienne et il mourait d’envie de recommencer. Quelle histoire ! Parviendrait-il seulement à dissimuler l’attirance qu’il ressentait pour elle ?
Elle avait clairement précisé qu’elle n’accepterait pas d’avances ; ce n’était pas dans le profil de son poste.
Mais c’était définitivement dans la tête de Jackson

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:15 PM

chapitre 2

— J’ai enfin rencontré ce Jackson Castle pour qui tu travailles. Larges épaules, poitrine bombée, allure avantageuse. Il va faire de ta vie un enfer, Helena.
Levant les yeux de son panier, Helena croisa le regard d’Alma Frost. Alma, amie d’enfance qui tenait un magasin de fruits et légumes, était sortie sur le pas de sa porte dès qu’elle avait aperçu Helena devant son étalage.
Cette dernière sourit.
— Tu te trompes complètement, Alma. Le torse de Jackson Castle ne m’intéresse pas le moins du monde !
— Voilà qui serait nouveau ! Ce n’est pas parce que tu es enceinte que tu as cessé d’être une femme, j’imagine ? C’est un homme taillé pour l’amour.
Helena haussa les épaules.
— D’accord, c’est un bel homme, je te l’accorde.
Inutile d’essayer d’abuser la fine mouche qu’était Alma. Son instinct lui permettait de percer à jour les sentiments des gens. Cependant, Helena, qui n’était pas certaine de vouloir analyser ceux qu’elle portait à Jackson Castle, tenait encore moins à ce qu’une autre les dissèque. Le spécimen était certes magnifique, et il possédait un regard magnétique. En plongeant son regard dans cet océan gris, ce matin, Helena avait eu la sensation de se perdre dans un rêve aux couleurs de brume. Sous ses longs cils noirs, Jackson l’avait étudiée comme s’il connaissait son corps par cœur. Mieux valait garder ses distances avec un homme pareil ; rester de marbre, même si sa seule image la faisait bouillir.
— C’est curieux de penser qu’un homme aussi plaisant crée tant de tracas dans notre ville…
La remarque attira l’attention d’Helena. Elle cessa de choisir ses fruits pour dévisager Alma.
— De quoi parles-tu ?
Ce fut au tour d’Alma de hausser les épaules.
— Tu as certainement entendu parler d’une cérémonie prévue dans le parc dans trois semaines. Un énorme battage publicitaire destiné à célébrer la mémoire d’un feu Oliver Davis qui passait de temps à autre ses étés à Sloane’s Cove, il y a de ça vingt ans. Apparemment, ce monsieur connaissait beaucoup de gens qui tiennent à assister à l’événement. C’est pourquoi Sloane’s Cove et toutes les villes avoisinantes de Mount Desert Island sont prises d’assaut par de riches touristes essayant d’obtenir des chambres.
— C’est courant par ici en été.
— Jamais à ce point ! C’est comme si une volée de milliardaires s’abattait sur la région ! Et certains ne sont pas très aimables à ce qu’on raconte. Mais ce n’est pas tout. Ton M. Castle ne projette pas seulement d’organiser le concours de la plus grosse saucisse grillée. Aujourd’hui, il a rôdé un peu partout, posant toutes sortes de questions. Et pas des questions anodines, non, des questions personnelles. Il cherche à connaître des détails de la vie de certains habitants de Sloane’s Cove. Tu avoueras tout de même que ce n’est pas ordinaire…
Helena ajouta une pomme à son panier à demi plein. Elle comprenait Alma. Trois autres personnes lui avaient déjà fait part de leur perplexité. La curiosité de Jackson n’était pas blâmable en soi, mais, en général, les gens aisés qui gravitaient dans les parages ne remarquaient même pas les habitants du cru. Et s’ils les remarquaient, c’était en tant qu’éléments du décor, au même titre que les mouettes, les rochers ou les vagues qui venaient lécher la jetée.
— Il s’agit peut-être d’un écrivain ; à moins qu’il n’ait l’intention d’attirer l’attention de la presse sur les habitants du pays…, suggéra Helena.
— Tu crois ? demanda Alma en faisant bouffer ses cheveux.
Helena retint un sourire.
— Tu voudrais que je le torture pour le faire avouer ?
— Pourquoi pas si tu le déshabilles et me laisses regarder…
— Alma…
— Oh ! bon, d’accord. Je me demande seulement… Pourquoi ces questions si inhabituelles ?
— Peut-être est-il simplement d’un naturel curieux ?
Helena n’en croyait pas un mot. Malgré sa gentillesse, il lui apparaissait comme un homme qui garde ses distances et apprécie que les autres en fassent autant. Mais elle n’était sûre de rien. En réalité, ses frères avaient raison en affirmant qu’elle ignorait tout de lui et que sa naïveté lui avait déjà causé pas mal de déboires. A commencer par son mariage.
Après avoir rencontré des hommes avec qui elle n’avait aucun point commun, renonçant à l’amour, Helena avait décidé d’épouser, contre le gré de sa famille, un ami. Peter et elle étant tous deux désabusés, l’idée d’associer leurs solitudes lui avait paru bonne. Le marché était intéressant pour chacun d’entre eux : elle acquerrait une certaine expérience en matière culinaire tout en favorisant les relations professionnelles de son époux. Et, en effet, les dîners d’Helena avaient attiré de nombreux clients à Peter. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où elle avait appris que Peter était tombé amoureux d’une autre. Elle aurait dû accepter de le laisser être enfin heureux, mais il avait fallu qu’elle s’accroche à lui. Elle avait fini par tomber enceinte. Deux mois plus tard, Peter mourait dans un accident en mer.
Alors, oui, elle ferait vraiment bien d’arrêter de foncer, tête baissée, dans les ennuis et de refréner la curiosité qu’elle éprouvait vis-à-vis de Jackson…
— Helena ?
Alma agita une main devant le visage de son amie. Brutalement tirée de ses pensées, cette dernière faillit renverser les pommes de son panier. Elle adressa un rapide sourire à son amie.
— A mon avis, Jackson pose toutes ces questions parce que son métier l’amène à s’intéresser aux artistes et artisans locaux, assura-t elle, se ressaisissant.0

D’un air incrédule, Alma leva la main pour arrêter Helena mais celle-ci s’entêta.
— Ne me crois pas, si tu veux ; moi, j’en ai la certitude. Après tout, il a bâti sa fortune sur la vente aux nantis de ce monde d’objets destinés à la décoration de leurs maisons, et la région regorge d’artisans. Il enquête probablement de la même façon partout où il se rend. Comment, sinon, dénicherait-il tous ces trésors cachés ? Oui, il profite de sa présence ici pour répertorier les talents locaux… Ecoute, si ça t’intéresse tellement, je peux poser la question à Jackson.
— Quelle question voulez-vous poser à Jackson ?
Le son de la grave voix virile fit tressaillit Helena. Elle se retourna brusquement et se heurta aux angles durs de la poitrine de Jackson.
Il la saisit par les bras afin de l’aider à reprendre son équilibre, et elle frémit au contact de ses doigts sur sa peau. Le temps parut s’arrêter. L’espace d’une seconde, elle éprouva la tentation de le supplier de la serrer dans ses bras protecteurs.
Mais Helena se ressaisit aussitôt. Après cette fameuse émission de télévision, Jackson devait crouler sous les avances de femmes prétendant au titre de future Mme Castle. Très peu pour elle ! Se réfugier dans l’ombre d’un protecteur ne l’intéressait pas ; tout au contraire, c’était toujours elle qui avait joué le rôle de meneuse dans le couple.
— Veuillez m’excuser ; je suis désolée, parvint-elle enfin à bredouiller.
— Ce n’est rien, voyons ! Je trouve seulement que vous ne devriez pas porter des charges aussi lourdes, dit-il d’un ton de reproche. Allons, donnez-moi ça !
Il chercha à s’emparer de son panier mais Helena résista.
— Pas question ! Je suis votre employée, c’est à moi de porter vos provisions ! De plus, ce panier est vraiment léger ; une fourmi le porterait !
— Ecoutez, vous êtes enceinte, ne l’oubliez pas. Permettez…
Et parce que sa voix sensuelle évoquait des chuchotements échangés dans l’intimité d’un lit, Helena permit.
— Que vouliez-vous me demander ?
Sa voix la faisait vibrer. Il ne l’avait pas lâchée et, à son contact, des frissons la parcouraient. Le trouble l’envahit et elle dut reprendre sa respiration.
Comme s’il prenait conscience de la retenir prisonnière, Jackson la lâcha. Puis il la regarda d’un air d’excuse.
— Alma voudrait connaître vos intentions au sujet de Sloane’s Cove.
Jackson plongea son regard dans celui d’Helena.
— Mes… intentions ?
Elle hocha lentement la tête, s’émerveillant de devoir ployer la nuque pour rester en contact avec son regard.
— Oui. Vous comprenez, riche comme vous l’êtes et fréquentant les grands de ce monde, il paraît peu probable que vous vous intéressiez à la population d’une petite ville… Et pourtant…
Il demeurait suspendu à ses lèvres, comme si ses propos revêtaient une importance extrême.
— Et pourtant ?
Helena toussota. En dépit de la chaleur qui irradiait en elle, elle ne capitula pas.
— Pourtant, vous semblez très avide de renseignements sur la vie locale…
— Des gens s’en sont plaints ?
— Bien sûr que non ! Ils sont flattés que vous parliez d’eux mais surpris qu’un homme de votre stature se préoccupe de leurs banales existences. Aux yeux d’un homme qui fréquente des endroits et des gens… exotiques, nous sommes tellement ordinaires.
— Il n’y a rien de mal à être ordinaire, Helena.
— Ce n’est pas très excitant, insista-t elle.
Il sourit.
— Vous regardez trop la télévision. M’imaginez-vous assez superficiel pour courir après le sensationnel ?
Elle le trouvait complexe, et dangereux. Et quand son regard tomba l’espace d’un instant sur ses lèvres, elle crut défaillir.
— Vous ne venez donc pas chercher de nouvelles expériences à Sloane’s Cove ? parvint-elle à demander.
Il secoua la tête.
— Je suis ici pour de multiples raisons dont aucune n’inclut le sensationnel. Il y a six mois maintenant, j’ai perdu un ami qui passait régulièrement des étés à Sloane’s Cove. Oliver Davis était un humaniste. C’est dans cette ville que, pour mon plus grand bien, nos chemins se sont croisés. Il m’a donc semblé judicieux d’y organiser une cérémonie commémorant sa mémoire.
Il s’échauffait en évoquant son ami ; et puis il se perdit dans le regard d’Helena comme s’il y cherchait des bribes de son passé.
— Ce devait être un homme extraordinaire, dit soudain Alma.
Helena, qui avait oublié sa présence, eut un sursaut. Et quand Jackson redressa les épaules et recula d’un pas, elle soupçonna que lui aussi avait oublié qu’ils n’étaient pas seuls.
— C’était un homme extraordinaire, dit-il, se tournant vers Alma.
Cette dernière lui tendit une main qu’il serra. En souriant, il examina le nom inscrit sur son badge.
— Madame Frost ? Seriez-vous la talentueuse et légendaire Mme Frost qui a gagné le concours de la meilleure confiture, trois étés consécutifs ?
Alma éclata de rire.
— Il ne faut pas écouter tout ce qu’on raconte, monsieur Castle ! En réalité, je dois mon succès à Helena. C’est elle qui m’a tout enseigné et elle m’a laissée gagner en ne participant pas aux concours. Helena est profondément bonne ; il n’est pas une cause qui ne lui tienne à cœur. J’ai eu le grand privilège de faire partie de ceux qui ont bénéficié de son aide.
Jackson se tourna vers Helena. Sous son intense regard gris, elle se sentit rougir.
— Abe ne m’a pas tout raconté, murmura-t il. Intéressant, vraiment intéressant.
— Pas aussi intéressant que ce qui vient, constata Alma. Les frères d’Helena ont dû avoir vent du fait que vous avez posé les mains sur elle, il y a moins d’une seconde
De la tête, elle désigna la rue d’où déboulait le groupe des frères Austin, la mine sévère.
Avec un gémissement, Helena saisit la main de Jackson.
— Venez !
Mais il ne bougea pas.
— Si vos frères veulent me parler, nous parlerons. Je ne m’y déroberai pas.
— Je ne me sens pas tranquille. Hier, ils se sont montrés polis, mais nous n’avions eu aucun contact physique, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Evidemment, ils ignorent que vous cherchiez juste à me rattraper. Seulement ils appartiennent à cette catégorie d’êtres humains qui cognent d’abord et s’expliquent ensuite. Je les ai désarçonnés en acceptant si abruptement votre proposition. De toute façon, depuis la mort de mon mari, ils passent leur temps à s’inquiéter sur mon sort.
— C’est leur devoir. Et je refuse de disparaître chaque fois qu’ils auront des comptes à me demander.
Derrière la massive silhouette de Jackson, Helena aperçut ses frères qui approchaient. Elle regarda Jackson d’un air implorant. Il paraissait tout aussi résolu qu’eux. Les deux camps semblaient décidés à faire parler leurs poings ; or, elle ne supportait pas l’idée qu’on se batte pour elle. Elle éprouvait déjà bien assez de remords de l’échec de son mariage.
— Jackson ? Emmenez-moi, je vous prie. Ce genre de conflit est néfaste pour le bébé.
Il poussa un juron étouffé.
— Où voulez-vous aller ?
Elle désigna une librairie située à trois portes de là.
— Là, c’est la boutique de ma sœur.
— Vos frères ne vous y suivront pas ? demanda Jackson en emboîtant le pas à Helena.
— Ils n’oseraient pas se battre devant Lilah.
— Il paraît qu’elle vous ressemble.
A cet instant, Lilah ouvrit la porte de sa boutique.
— Je dirais même que nous sommes exactement semblables, répondit Helena, jetant un coup d’œil par-dessus son épaule. C’est ma sœur jumelle.
Jackson hocha la tête.
— La ressemblance est frappante, je le reconnais. Cependant, certains détails vous distinguent. Par exemple, vos yeux possèdent des tons de bleu légèrement différents.
Helena écarquilla les yeux. Trop occupés à voir les ressemblances, la plupart des gens ignoraient des différences.
Cependant, Lilah leur faisait signe de se dépêcher d’entrer. Puis, refermant la porte derrière eux, elle s’y adossa.
— Bonjour, monsieur Castle, dit-elle en lui serrant la main. J’ai l’impression que vous avez déjà fait connaissance avec ma famille.
En voyant ses frères s’arrêter à sa porte, elle sourit.
— Je les ferai entrer d’ici à une minute, quand ils se seront calmés. Nous avons passé cet accord tacite entre nous, afin de protéger ma réputation au sein de la communauté. Ainsi, on sème la panique dans le clan Austin ?
— Il n’y est pour rien ! intervint Helena qui arpentait la pièce avec agitation.
Lilah examina Jackson de la tête aux pieds puis un lent sourire détendit ses lèvres. Elle s’approcha de sa sœur et chuchota à son oreille :
— Mais dis-moi, il a un charme fou !
Helena sentit ses joues devenir encore plus chaudes. Devant son expression, le sourire de Lilah s’élargit.
— Il fait chaud chez toi, dit Helena, s’emparant d’un magazine pour s’éventer.
C’était faux, mais par solidarité féminine, Lilah ne la contredit pas.
— Très heureux de vous rencontrer, mademoiselle Austin, dit brusquement Jackson. Puis-je vous confier Helena quelques instants ? Ne la laissez surtout pas s’épuiser à porter de lourdes charges.
— J’y veillerai, monsieur Castle.
— Où allez-vous ? s’enquit Helena.
— Parler à vos frères, évidemment.
— Ça peut être dangereux.
Devant le sourire de Jackson, la jeune femme comprit qu’il avait déjà affronté sa part de danger.
— Vous n’allez pas leur faire de mal ?
— Je n’ai pas pour habitude de frapper les membres de la famille de mes employées, répliqua-t il en ouvrant la porte.
L’instant d’après, il se retrouvait au milieu du groupe formé par les quatre frères.
— J’apprécie le soin que vous prenez de votre sœur, leur dit-il, mais vous devriez accepter qu’elle choisisse de travailler pour moi. En tant qu’employeur, je puis vous assurer que je veillerai à son bien-être. Ce qui signifie que je la rattraperai si elle manque de tomber, que je l’aiderai à s’asseoir si je juge qu’elle est restée trop longtemps debout, que je ne lui permettrai pas de porter de trop lourdes charges, et que je ne laisserai personne, pas même ses frères, être source de tension pour elle.
A la surprise d’Helena, ses frères le laissèrent poursuivre jusqu’au bout de son monologue. Alors, le silence s’établit. Leurs têtes se rapprochèrent ; il y eut des éclats de voix puis la discussion se calma. Finalement, ils se séparèrent.
— Nous acceptons vos explications, dit Frank. Surtout parce que nous savons à quel point Helena tient à sa carrière.
— Mais nous restons vigilants, ajouta Thomas.
— Il faut absolument que vous compreniez qu’elle est très différente des femmes que vous rencontrez à Paris.
En entendant Bill prononcer ces mots, Helena tendit l’oreille. Elle se demandait combien de liaisons parisiennes entretenait Jackson. En tout cas, il ne réfuta pas les propos de Bill.
— Et elle va se marier prochainement, conclut Hank.
Malgré ce qu’elle lui avait précédemment confié, sans ciller, Jackson se *******a de hocher la tête.
Helena se tourna vers sa sœur.
— Je voulais te dire, murmura Lilah, les garçons sont passés tout à l’heure. Ils estiment que, étant donné les circonstances, tu as porté assez longtemps le deuil de Peter. Thomas se mariant prochainement, nous demeurerons les deux dernières célibataires de la famille et l’idée les chiffonne. Ils aimeraient bien nous voir installées. Toi, d’abord, à cause du bébé, bien sûr.0
Helena se raidit.
— Il n’est pas question que je me remarie !
— Alors explique-leur vite ton point de vue ! Car ils passent déjà en revue les prétendants potentiels. Keith Garlan, Bob Mason… rien que des garçons charmants.
Avec un gémissement, Helena s’empara du bras de sa sœur.
— Je n’épouserai pas un de ces charmants messieurs choisis par nos frères ! J’imagine qu’ils ont dressé une liste de ce qu’ils appellent mes qualités et me présentent comme la panacée universelle. Malheureusement, j’ai connu assez d’hommes qui me considéraient comme la solution à leurs problèmes et qui ne savaient que faire de moi une fois ceux-ci résolus ! Vraiment, je crains de décevoir gravement nos frères.
— Je leur ai déjà expliqué, mais tu sais comment ils sont.
Elle savait.
— Merci, en tout cas, de me soutenir.
Helena adressa un sourire à sa sœur qui l’étreignit affectueusement.
— Tu es toujours là pour soutenir tout le monde, ce n’est que justice que tu reçoives à ton tour un peu de réconfort. Je suppose que, à ma façon, je ne suis pas meilleure qu’eux.
Toutes deux se retournèrent pour examiner les visages butés de leurs frères et Helena éclata de rire.
— J’en doute ! Enfin, s’ils se mettent en tête de te trouver un mari, je t’aiderai à échapper aux mailles du filet.
— Comme lorsque nous étions enfants, dit Lilah d’une voix attendrie. Tout le monde devrait avoir une sœur telle que toi. Ou même des frères comme eux. Au moins, nous savons qu’ils nous aiment.
« Exact », pensa Helena, observant le beau visage à l’expression déterminée de Jackson face à ses frères. On racontait dans l’émission télévisée qu’il n’avait aucune famille. Il était seul au monde.
Enfin, presque seul…
Sur une dernière étreinte et de nouveaux remerciements, Helena quitta sa sœur et gagna le trottoir. Jackson était sorti dans le but de l’aider mais elle tenait à lui prouver qu’elle n’était pas une fragile créature sans défense.
Si elle s’était réfugiée chez Lilah, c’était essentiellement pour se ressaisir, discipliner ses émotions face à Jackson. Ses frères n’avaient pas complètement tort : il représentait un danger.
Sauf que le problème n’était pas qu’il convoitât son corps comme ils l’imaginaient. Le problème était l’attirance qu’elle éprouvait pour lui. Jackson Castle était un séducteur. Il suffisait que son regard se pose sur son beau visage pour qu’elle éprouve le désir fou de se pencher et d’embrasser sa joue râpeuse. Ce qui, évidemment, ne lui apporterait que des ennuis. Une femme avec son passé devrait se montrer plus avisée…
Enfin, maintenant qu’elle admettait la réalité de son attirance, ce ne devrait pas être trop difficile de la contenir.
— Rentrons, dit-elle calmement. Vous devez mourir de faim.
Il posa sur elle un regard brûlant et, avec un frémissement de tout son être, elle pressentit qu’il ne se laisserait pas aisément oublier.
Il se tourna vers les quatre frères Austin.
— Je vous promets de veiller sur votre sœur, dit-il, mais n’oubliez pas que pendant les trois prochaines semaines elle m’appartient. Compris ?
Un fluide essentiellement masculin dut circuler entre eux car ils renoncèrent à leur attitude menaçante.
— Vous la protégerez ? demanda Thomas.
— Absolument.
— Et vous accepterez que nous ne renoncions pas à nos responsabilités ? ajouta Hank.
— Une femme dans la situation d’Helena a besoin d’une attention particulière, dit Jackson.
— Nous ne disparaîtrons pas ! prévint Frank.
— Elle a besoin des siens, concéda Jackson.
— Et n’oubliez pas ce que nous avons dit à propos de son mariage.
Jackson demeura quelques secondes silencieux.
— Je ne cherche pas une épouse, si c’est ce que vous insinuez, et je n’ai jamais exigé le célibat de mes employés, répliqua-t il paisiblement.
Helena ressentit un urgent besoin de piquer une colère, ce qui ne s’était pas produit depuis ses trois ans. Dominant toutefois son indignation, elle s’insinua dans le groupe des hommes.
— Veuillez m’excuser, mais en dépit de vos assertions, je suis parfaitement capable de prendre soin de moi-même !
Cependant, ni ses frères ni Jackson ne répondirent. Ils échangèrent simplement un regard entendu avant de se séparer.
— Je n’aime pas ça, dit-elle comme Jackson lui prenait la main.
Toutefois, la vérité était qu’elle aimait beaucoup la sensation de ses doigts sur sa paume. Beaucoup trop.
Deux préoccupations agitaient son esprit, pensait Jackson, un peu plus tard, tandis que, du fauteuil de la salle de séjour dans lequel il était installé, il regardait Helena virevolter autour de ses casseroles dans sa jolie robe jaune.
La première était qu’il avait appris en téléphonant à son bureau que Barrett Richards, son ancien associé, l’homme qui avait séduit sa femme, ayant eu vent de la cérémonie organisée à la mémoire d’Oliver, projetait d’y assister. A vrai dire, la nouvelle ne l’atteignait pas vraiment. La colère qui l’avait autrefois dévoré s’était muée en agacement.
Ce qui tourmentait beaucoup plus Jackson, c’était l’impression de ne pouvoir détacher ses pensées de sa nouvelle cuisinière ; comme le soleil qui pénétrait dans la cuisine ne se détachait pas de sa chevelure, la muant en une masse d’or en fusion…
Il ne voulait pas s’attacher à l’apparence d’Helena. Ni à la façon dont son long cou s’incurvait délicatement sur son épaule, ni à celle dont son tablier se nouant sous ses seins les soulignait d’une manière provocatrice, ni à celle dont elle posait la main sur l’endroit où se développait son enfant. Il voulait éviter autant que possible de se trouver en sa présence.0
Il se rappelait l’affection que lui prodiguaient son amie, sa sœur, ses frères, les sentiments de fidélité qu’elle leur inspirait, sa beauté, et il sentait qu’Helena Austin pénétrait en des zones intimes et depuis longtemps inexplorées de son être. Très jeune, il avait compris qu’il valait mieux éviter les émotions trop violentes et il s’était cramponné à cette théorie. A présent, après des années de pratique, il avait perdu la capacité d’éprouver des sentiments profonds ; sa femme le lui avait assez souvent répété.
Et pourtant, auprès d’Helena, il se sentait agité, impatient, troublé, ce qui était inacceptable. Il aurait probablement dû lui trouver une autre place. Si seulement il n’avait pas besoin de lui demander son aide, ce qui créait entre eux des liens encore plus complexes…
Cependant, son passage en ville aujourd’hui avait été instructif. Il avait appris que, alors qu’il souhaitait inspirer confiance, il avait au contraire attiré sur lui les soupçons. Cela, à cause de sa maladresse dans les relations humaines. Depuis longtemps, il avait pris l’habitude de consulter des experts dans les domaines où il pêchait. Et, dans le cas présent, il avait besoin d’un expert.
Il ne pouvait ignorer les raisons de sa venue à Sloane’s Cove. Il s’agissait bien sûr de saluer de façon grandiose la mémoire d’un homme qui s’était montré bon pour lui. Cette partie de ses projets avait été rendue publique, mais il restait une face cachée. Son idée était d’accorder, au nom posthume d’Oliver, une bourse à des gens dotés de talents divers que leurs modestes moyens ne permettaient pas d’exploiter. Bien que simple, la démarche réclamait une certaine discrétion. Comment déterminer qui avait le plus besoin d’aide, qui la méritait le plus ?
Et, tout brillant homme d’affaires qu’il fût, dans la circonstance présente, Jackson piétinait. En essayant de soutirer des informations aux gens, il avait troublé les eaux tranquilles de la petite ville, ce qui compliquait singulièrement sa tâche. Qu’il le veuille ou non, il avait besoin d’un allié dans la place, quelqu’un qui connaîtrait à fond les habitants de Sloane’s Cove.
Et la personne qui répondait à ses critères était là, juste sous ses yeux, resplendissante dans sa robe jaune et débordante de joie de vivre. Helena, qui était née à Sloane’s Cove. Helena qui, avec son grand cœur, défendait les causes perdues. Il avait une cause à défendre ; il lui fallait une femme comme elle, même si, en sa présence, ses paumes se mouillaient de sueur et ses sens vibraient de façon impardonnable.
Jackson réfléchissait. Tout en observant Helena par le passage qui séparait la salle de séjour de la cuisine, il eut la tentation de revenir sur sa décision. Se rapprocher d’Helena était trop risqué. Elle lui rappelait un monde de sensations auquel il n’appartenait plus. Un monde où étaient enfouis des souvenirs confus, violents, tendres et trop douloureux pour qu’il puisse envisager de les réveiller.
Et pourtant… il avait besoin d’Helena ; c’était la personne idéale pour le rôle.
Il se leva et se dirigea vers la cuisine.
A son entrée, Helena s’arrêta de chanter. Elle se retourna, un sourire flottant sur ses lèvres roses. Et devant ce sourire, il éprouva l’irrésistible envie de s’approcher. Ce qui aurait été une terrible erreur.
Etouffant un grognement de frustration, il parvint à sourire.
— Vous… désirez quelque chose ? demanda-t elle.
Oui, il désirait quelque chose. Mais il était parfaitement inutile qu’elle sache ce qu’il désirait d’elle puisqu’il ne s’autoriserait jamais à le lui demander.
— J’aimerais m’entretenir avec vous d’un sujet qui me tient à cœur. A propos, j’ai entendu dire que la marche était bénéfique à une femme dans votre situation…
— Ah ! oui, ma situation…, répliqua Helena en souriant.
— Marchez-vous ?
— Ça fait partie de mes multiples talents !
— Sortons, dans ce cas, dit-il en lui tendant la main. Et tout en nous promenant, je vous raconterai mon histoire

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:18 PM

chapitre 3

J’imagine que vous voulez m’entretenir de vos préférences culinaires ?
Bien qu’Helena s’efforçât d’adopter un ton professionnel, le regard intense de Jackson excitait dangereusement son imagination. Ses fantasmes ne se réaliseraient jamais, bien sûr. Elle était encore pire que ses frères en imaginant que Jackson avait posé sur elle un regard de loup affamé !
Afin de revenir à une plus juste vision des choses, elle posa une main sur son ventre. Dans son état, elle n’était pas près de susciter le désir d’un homme.
Jackson la guida vers l’escalier.
— Vous me posez la question, à moi qui ai dévoré trois de ces brownies confectionnés par vos soins ? demanda-t il en hochant la tête. Vous méconnaissez mes talents d’homme d’affaires, Helena. Quand je rencontre quelqu’un qui connaît son affaire, je n’interviens pas !
— Eh bien ?
S’immobilisant au bas des marches, Jackson se tourna vers la jeune femme. Le vent du large soulevait ses cheveux ; ses yeux se trouvaient au même niveau que les siens.
— Jusqu’à quel point connaissez-vous les habitants de Sloane’s Cove ? demanda-t il.
— J’ai vécu ici toute ma vie.
— Et vous ressentez de la sympathie pour vos concitoyens ?
Elle sourit.
— C’est plus que de la sympathie. A vivre au quotidien avec les gens, il se crée des liens spéciaux.
Comme il hochait la tête, Helena se demanda s’il avait connu ce genre d’intimité avec un lieu.
— Ainsi, si une bonne fortune échoit à certains habitants de cette ville, vous vous en réjouirez ?
— Naturellement. Mais je ne comprends pas…
— Eh bien, il y a des gens qui… enfin, qui méritent plus que d’autres le petit coup de pouce du destin. Vous en connaissez certainement quelques-uns.
— Je suppose, oui.
— Et si on vous disait que ces personnes peuvent être aidées ?
— Vous envisagez de jouer au Père Noël ?
— Je ne présenterais pas exactement les choses ainsi ! répliqua-t il en souriant.
Elle plongea son regard dans le sien et éprouva un vertige. Sa tête était lourde ; brusquement, ses membres refusaient de la porter.
— Comment présenteriez-vous donc les choses ?
— Je rembourse simplement une dette à l’homme qui m’a aidé au moment où j’en avais le plus besoin.
Elle le considéra quelques instants.
— Oliver était un homme bon.
— Il était plus que ça. Il m’a sorti du ruisseau et donné ma chance.
Helena fronça les sourcils.
— De quel ruisseau parlez-vous ? Vous n’avez pas vécu dans la misère à Sloane’s Cove, en tout cas.
— Non. Je n’y suis venu qu’une seule fois, avec ma mère et un… ami, quand j’avais douze ans. Elle et moi, mettons que… nous n’étions pas très proches. J’étais censé survivre par mes propres moyens, c’est ce que j’ai fait. En chemin, je suis tombé sur Oliver. C’est en lui volant ses clés que j’ai fait sa connaissance. Parce que, évidemment, il ne s’est pas laissé faire !
— Ne vous a-t il pas dénoncé à la police ?
Jackson sourit.
— C’était le cheminement normal, mais au lieu de ça, il m’a pris sous sa protection et m’a aidé à prendre un nouveau départ dans la vie en m’inscrivant dans un pensionnat anglais.
— Il vous a tenu lieu de père, dit-elle doucement.
— Oui. Et ça n’a pas été une tâche facile pour lui. J’étais indomptable.
— Mais vous ne l’êtes plus.
Comme il posait sur elle le regard de ses yeux gris, Helena comprit qu’elle s’était trompée. La violence était toujours là, elle couvait simplement sous la surface.
— J’étais à l’étranger quand Oliver est mort, reprit-il. Je n’ai même pas pu lui dire adieu. C’est pour réparer cette erreur que j’organise cette cérémonie. Et à cette occasion, j’offrirai à trois personnes la chance qu’il m’a offerte. Faire le bien en son nom, il est plus que temps, je crois.
Helena leva la tête pour l’observer. La gravité de son expression la frappa. Les mots ne lui venaient pas facilement. Bien que sa voix demeure égale, à des détails comme le cillement de ses paupières, elle devinait son malaise. Faire ses adieux à un ami n’est pas chose facile mais qu’il ait eu l’idée de transformer un événement profondément triste en une sorte de miracle pour certains de ses amis la touchait profondément.
Elle descendit la dernière marche et s’immobilisa à côté de Jackson. La chaleur du pavé gorgé de soleil traversait la semelle de ses chaussures.
— A quoi pensez-vous ? demanda Jackson tandis qu’ils se dirigeaient vers la plage parsemée de galets, où se mêlait l’odeur du pin et de l’iode.
— Je me demandais pourquoi vous me racontiez tout ça.
— Parce que vous connaissez les habitants de Sloane’s Cove. Je dois en apprendre le maximum sur eux, plus que je ne tirerais jamais de dossiers publics sans âme, plus que je n’obtiendrais en posant simplement des questions. Il faut que je sache comment ils fonctionnent, quelles sont leurs ambitions, leurs angoisses. J’ai besoin de quelqu’un qui m’aide à préciser tous ces détails sans révéler mes intentions.
— C’est une mission délicate.
En levant les yeux, elle découvrit le sourire de Jackson.
— Qu’y a-t il ?
— Alma dit que les missions délicates sont votre spécialité. Les justes causes vous intéressent, non ?
— Oui, bien sûr.
Jackson haussa les sourcils.
— Vous serez une mine de renseignements pour moi.
— Possible. Mais je ne saurai jamais choisir entre tous mes amis le plus méritant.
Il secoua la tête.
— Ce ne sera pas votre rôle. Je veux seulement que vous m’aidiez à voir les gens de Sloane’s Cove à travers votre regard. Ce sera une façon de les appréhender à laquelle je ne parviendrai jamais seul.0
— Vous envisagez réellement d’en aider certains ?
— Je pense faire tout un travail de réflexion à partir des talents, des ambitions et des besoins des gens afin d’être capable de révéler au cours de la cérémonie les noms des trois bénéficiaires du fonds Oliver Davis. Par ce biais, je continuerai ainsi son œuvre.
Se retournant, Helena se mit à marcher à reculons devant lui. Ses cheveux soulevés par le vent balayaient son visage.
— Et vous voudriez que je participe au projet ?
— J’espère de tout mon cœur que vous accepterez.
Comme il paraissait soudain hésitant, Helena se demanda pourquoi cet homme d’affaires brillant, fabuleusement riche et séduisant, pouvait imaginer un instant qu’on lui refuse quoi que ce soit. Pour une femme qui avait tendance à agir de manière irréfléchie, c’était cependant une voie dangereuse sur laquelle s’engager.
Elle lui sourit, puis, s’arrêtant, posa une main sur sa joue. Instantanément, son magnétisme la subjugua et elle se sentit perdre tous ses moyens.
— J’aimerais vous aider, Jackson, parvint-elle néanmoins à dire.
— Comprenez-vous que ça signifie passer plus de temps ensemble que nous ne l’envisagions ?
— Oui, je le suppose.
— Nous nous retrouverons forcément ensemble dans d’autres lieux. La cuisine ne nous séparera plus.
Elle déglutit.
— Je ne passe pas ma vie dans la cuisine.
Il sourit.
— Je veux seulement réitérer la promesse faite à vos frères. Quelles que soient les circonstances, votre bien-être passera avant tout. Je ne laisserai personne nuire ni à vous ni à votre bébé. Pas plus moi qu’un autre.
Sa voix avait baissé jusqu’au murmure.
— J’ai confiance en vous, murmura-t elle.
Avec un rire bas, il se remit à marcher.
— Parfait. Continuez ! Ainsi, j’aurai d’autant plus de scrupules à vous toucher.
Elle ouvrit grands les yeux.
— Voulez-vous répéter ?
— Vaut mieux pas. De toute façon, vous n’avez aucun souci à vous faire à ce sujet. Je pensais vraiment ce que j’ai dit à vos frères. Je voulais juste me montrer parfaitement honnête dans la mesure où je vous demande un service non compris dans le contrat.
Il la dévisagea.
— Vous êtes libre de revenir au projet initial ou même à aucun projet du tout.
— Et que deviendrez-vous sans complice et sans cuisinière ?
Il n’eut pas l’ombre d’une hésitation.
— Je survivrai. Je suis un homme riche et puissant, n’ayez aucune inquiétude à mon sujet.
Elle en avait pourtant. Ni l’argent ni la puissance ne permettent de tout acheter, et elle avait le sentiment que Jackson n’avait pas reçu grand-chose de la vie. C’était peut-être naïveté de sa part mais elle se demandait combien de gens resteraient à son côté quels que soient les risques encourus. Après tout, personne ne l’avait accompagné pour le soutenir dans son projet.
Elle se rapprocha.
— Je serai fière de vous seconder, Jackson.
L’espace d’un instant, elle sentit son regard sonder le sien comme s’il voulait s’assurer de sa sincérité. Un homme dans sa position devait souvent avoir affaire à des gens malhonnêtes, se dit-elle.
Finalement, Jackson se détendit.
— Nous serons donc associés dans cette aventure ?
Elle hocha la tête en souriant.
— Et ne vous faites aucun souci, je comprends que la discrétion soit de rigueur. Si les gens étaient au courant de vos intentions, ils ne seraient plus eux-mêmes. Comment allons-nous procéder ?
Il observa un moment les pêcheurs venus relever les casiers à homards.
— Je veux que vous me présentiez aux gens et me racontiez leur histoire. Pour cela, il faudra évidemment nous montrer davantage en public. Cela pose-t il problème ?
Elle hésita, ne sachant trop où il voulait en venir.
— A cause de vos frères, précisa-t il.
Helena eut envie de rire. Elle se rappelait les propos de Lilah, l’expression du visage de ses frères chaque fois que leur chemin croisait celui de Jackson. Serait-ce un problème d’être constamment vue en compagnie d’un homme fait pour les femmes comme le caviar pour le champagne ? Quel que soit le genre de pacte que ses frères semblaient avoir passé avec Jackson, ils accepteraient d’autant moins la situation qu’ils éprouvaient encore l’amertume de n’avoir pas su la préserver de sa malheureuse expérience avec Peter.
Mais Jackson n’était pas Peter.
— Tout ira bien, assura-t elle pourtant.
— En cas de problème, je prendrai tout sur moi, dit Jackson.
Sa voix profonde et chaude résonna délicieusement aux oreilles d’Helena. Elle aurait dû lui expliquer qu’il était trop tard, qu’il existait déjà des problèmes puisque le seul son de sa voix suffisait à la troubler.
D’un autre côté, « une femme avertie en vaut deux », se dit-elle. Il coulerait de l’eau sous les ponts avant qu’elle ne refasse la même erreur…
Elle ne devait pas perdre de vue le fait qu’elle était ici pour travailler, se disait Helena, le lendemain soir, en examinant la salle du Coveside Restaurant, lieu de sa première sortie publique avec Jackson. Elle avait suggéré ce restaurant parce que c’était un excellent poste d’observation doublé d’un endroit très agréable.
Se dressant en surplomb du rivage, le Coveside possédait une terrasse où l’on pouvait s’installer pour admirer la vue et respirer le bon air marin. On prenait ses repas sur des tables de bois usées par les intempéries et recouvertes de nappes à carreaux bleus et blancs. Des bouquets de narcisses les ornaient ainsi que de grosses bougies bleues.
Toutefois, si le restaurant était un lieu assez simple durant la journée, quand le coucher de soleil embrasait l’horizon de traînées de pourpre et d’écarlate, il devenait beaucoup plus romantique que dans son souvenir, constata Helena. Il ne restait plus qu’à espérer que Jackson ne partage pas cette impression et ne se demande pas dans quel but elle l’avait amené ici.0
— Ces fruits de mer étaient excellents, dit-elle en reposant son couvert d’argent sur son assiette vide.
Elle nota que Jackson n’avait rien laissé non plus dans son assiette.
Il sourit et haussa les sourcils.
— D’excellents fruits de mer dans le Maine ? Voyons, Helena, comment avez-vous déniché cet endroit ?
Son malaise dissipé comme par enchantement, elle éclata de rire.
— D’accord, d’accord ! C’était une remarque stupide. A mon crédit, il faut dire que vous n’êtes pas venu ici depuis vos douze ans et que vous regardez tout avec des yeux neufs. En ce qui concerne Sloane’s Cove, je suis comme une mère qui voudrait que tout le monde trouve son bébé merveilleux.
— Rassurez-vous, Helena. Votre bébé est merveilleux. Lors de mon dernier séjour, j’étais trop jeune pour remarquer le charme de la région mais à présent, je comprends pourquoi les gens choisissent de passer leur été dans le Maine.
— Et l’hiver ailleurs, précisa Helena.
Il la dévisagea.
— Comment est-ce en hiver ?
— Ma grand-mère disait que c’était un temps à faire pousser de la fourrure sur la poitrine des femmes !
— Il fait froid à ce point ?
— Pire encore ! Il souffle par bourrasques un vent glacial. La plupart des gens que j’ai connus enfant ont déménagé ; ils préfèrent passer l’hiver dans un lieu plus clément.
— Mais pas vous.
Elle fit saillir son menton.
— J’aime ma région.
Elle avait parlé un peu trop fort, comme sur la défensive. Jackson étudia son expression.
La culpabilité envahit Helena. Il n’était là que pour quelques semaines, pour accomplir une bonne action, et n’était certainement pas responsable de ceux qui l’avaient laissée derrière eux ni du mari qui l’avait abandonnée.
— Désolée, dit-elle d’un ton penaud.
— De quoi donc ? D’aimer votre ville ? Il ne faut pas. Même si je suis incapable de m’attacher à une personne ou à un lieu, je ne critiquerai jamais votre fidélité. Je la trouve rafraîchissante.
— Vous étiez pourtant attaché à Oliver.
— On est forcément reconnaissant à qui vous sauve la vie.
La remarque avait spontanément jailli, comme s’il n’éprouvait aucun sentiment pour celui qui lui avait tendu la main. Cette froideur surprit Helena qui songeait que sa présence en ce lieu démontrait au contraire qu’il possédait un cœur d’or. Il souffrait probablement encore de la mort d’Oliver, éprouvait peut-être même de la rancune. Elle se rappelait très bien sa propre rancœur à la mort de ses parents.
Tout en sachant qu’elle risquait gros en le touchant, Helena avança une main à travers la table et la posa sur celle de Jackson.
— Vous l’aimiez, dit-elle simplement.
Il la dévisagea.
— Je ne suis pas l’homme des sentiments profonds, Helena.
Ces paroles tenaient lieu d’avertissement, elle en était persuadée. Elle aurait été bien avisée de s’en tenir là mais demeurait persuadée qu’il avait aimé Oliver. Sinon, pourquoi se donnerait-il tant de peine pour honorer sa mémoire alors qu’il était tellement occupé par ailleurs ?
— Oliver vous a aidé, insista-t elle. Et quand les gens auront compris ce que vous faites pour eux, ils vous seront reconnaissants, ajouta-t elle, utilisant ses propres termes.
A son contact, Jackson tressaillit. Il plongea son regard dans le sien et secoua lentement la tête.
— Je ne quémande pas de reconnaissance. Tout le mérite de cette action revient à Oliver. Ne vous imaginez pas que je lui ressemble en aucune manière. Dès que cette affaire sera réglée, je retournerai à mes affaires.
Il lui suggérait explicitement de garder ses distances. Cependant, Helena se demandait comment un homme comme Jackson, qui voyageait constamment et rencontrait sans cesse de nouvelles têtes, pouvait se sentir aussi solitaire. Elle savait si peu de lui ; seulement qu’il avait été rejeté par une mère insensible. A cette pensée, elle ferma les yeux, comme si elle pouvait par ce simple geste protéger la vie qui grandissait en elle.
— Jackson ! Ça alors, je me demandais quand je tomberais sur toi !
Levant les yeux, Helena découvrit derrière l’épaule de Jackson un homme au visage angélique, auréolé de cheveux blonds et bouclés. Le sourire suffisant qui distendait ses lèvres démentait cependant cette image.
Jackson ne se retourna pas.
— Bonjour, Barrett, répondit-il froidement. Que fais-tu à Sloane’s Cove ?
Le nouveau venu éclata de rire, puis, s’approchant, sourit largement à Helena.
— Est-il besoin de le préciser ? C’est assommant. Enfin, si tu veux savoir, j’accompagne Emil Ramsey, à la fois client et meilleur ami. Il était aussi ton client autrefois, si je me souviens bien.
— Comme c’est intéressant.
Le dénommé Barrett eut un rire désagréable.
— Quelle froideur, mon pauvre Jackson ! J’ai toujours pensé que sous cette enveloppe dont les femmes raffolent, tu cachais un cœur de pierre. C’est à se demander ce qu’a été ton enfance…
Jackson se *******a de le dévisager. Finalement, Barrett haussa les épaules.
— D’accord, je suis là parce que j’ai entendu parler d’un afflux de gens aisés dans la région et que je ne peux m’empêcher de penser au magnifique terrain de prospection que cela offre pour les affaires. Tous ces membres de l’élite n’ayant d’autres soucis que de dépenser leur argent ! Une vraie mine d’or pour moi. D’autre part, Emil tient à assister à ta cérémonie. Il est persuadé que des gens importants seront présents. Et tu sais comment est Emil ; il aime qu’on le remarque. A ce que j’ai compris, ajouta-t il avec un sourire mauvais, il n’y a pas besoin de carton d’invitation pour y assister.00
— C’est ouvert au public, Barrett. Tu peux dire à Emil que je ne le jetterai pas dehors si c’est ce que tu veux savoir.
— Formidable. Ce serait désastreux pour mes affaires, tu sais.
Jackson ne cilla pas.
— Nous ne voudrions pas retarder ton dîner, dit-il sur un ton qui mettait fin à l’entretien.
— Ne me présenteras-tu donc pas à cette charmante jeune femme qui t’accompagne, à moins que tu ne désires la garder pour toi ?
— Et pourquoi voudrais-je la garder pour moi ?
— Parce que je suis ton rival, Jackson, que je t’irrite et que tu voudrais me voir disparaître de la surface de la terre !
Jackson leva une main.
— Je n’entrerai pas dans ce genre de discussion avec toi, Barrett.
— Et je ne me retirerai pas juste parce que tu le souhaites. C’est si amusant de te contrarier ; tu es toujours tellement maître de toi. Et cependant… tu étais le préféré d’Oliver.
Jackson s’agita sur son siège.
— Au revoir, Barrett.
Ce dernier lui tourna le dos mais pour reporter son attention sur Helena à qui il adressa un sourire qui dévoilait toutes ses dents.
— Permettez-moi de me présenter : Barrett Richards. Jackson se montre toujours possessif avec ses femmes, ajouta-t il sur un ton de confidence.
Il prit la main d’Helena, glissant avec une insistance un peu trop appuyée ses doigts sur sa paume.
Très embarrassée, la jeune femme eut un sourire crispé.
— Helena Austin. Je travaille pour M. Castle.
L’homme haussa les sourcils.
— Continue comme ça, et tu pourras dire adieu à ces dents qui t’ont coûté si cher, intervint sèchement Jackson. Mlle Austin est une excellente cuisinière.
Barrett adressa à la jeune femme un paresseux sourire.
— J’aurais dû me mettre sur les rangs, dit-il en portant la main d’Helena à ses lèvres. Il se trouve que je suis grand connaisseur en bonne chère et en jolies femmes. Malheureusement, ma cuisinière est passable et c’est un homme de surcroît. Peut-être pourrions-nous nous rencontrer prochainement pour discuter de tout cela…
Sous le regard moqueur de Barrett, Helena éprouva un enfantin besoin de lui arracher sa main. Toutefois, n’osant pas, elle se *******a de hocher la tête.
— Au revoir, Jackson, dit en ricanant Barrett. Je suis sûr que nous nous reverrons. Peut-être même nous retrouverons-nous sur le même terrain. J’aime les affrontements, surtout avec un adversaire à ma taille. Ton seul défaut, c’est d’être aussi peu partageur.
Sur ces mots, il se pencha vers Helena et déposa un baiser sur sa main, le plus naturellement du monde.
— Au revoir, mademoiselle Austin. J’ai été ravi de faire votre connaissance et j’attends avec impatience de vous revoir, sans chaperon, cette fois.
Et, sur un clin d’œil, il s’éloigna.
Après son départ, un lourd silence s’abattit sur les deux convives.
— Eh bien, ça ne s’est pas si mal passé, finit par dire Helena. Il n’y a pas eu d’épanchements de sang.
Les longs cils de Jackson battirent et il posa sur elle son beau regard gris.
— Vous êtes adorable, Helena.
— Désolée, ça ne me regarde pas, je sais, mais pourquoi cet homme vous déteste-t il autant ?
Un masque descendit sur le visage de Jackson.
— Ça remonte à l’époque de mes vingt-trois ans. Barrett était un jeune opportuniste qui voulait conquérir une place dans le monde des affaires. Ayant entendu mentionner la générosité d’Oliver, il fit de son mieux pour entrer dans ses bonnes grâces. Cependant, Oliver savait juger les individus et il a résisté aux tentatives de Barrett pour lui extorquer de l’argent. Cependant, comme il croyait à la nécessité de donner aux gens une seconde chance, il m’a envoyé Barrett pour que je lui donne du travail. Mais ça n’a pas marché comme il l’espérait.
Il lui prit la main.
— Ne vous inquiétez pas, Helena. Barrett ne nous causera aucun souci.
— Tout de même, dans une aussi petite ville, vous n’allez pas cesser de vous croiser…
Avec un haussement d’épaules, Jackson demanda l’addition. Après l’avoir réglée, il prit le bras d’Helena et la guida vers la plage toute proche.
— Nous ne sommes pas venus à Sloane’s Cove pour les mêmes raisons, reprit-il. Ça n’a donc aucune importance.
— Que va-t il se passer ?
— Je n’entrerai pas en compétition avec lui, si c’est ce que vous voulez savoir. Une fois ma tâche accomplie, je plierai bagages. Je ne m’attarde jamais dans un lieu où rien ne me retient.
Ces mots, il donnait l’impression de les avoir prononcés à maintes reprises, ce qui était certainement le cas… chaque fois qu’une femme s’attachait un peu trop à lui à son goût. Et Helena se demanda s’ils représentaient une mise en garde. Elle n’en avait pourtant nul besoin. A présent qu’elle était responsable d’une autre vie, elle n’avait pas le droit d’agir inconsidérément. D’ailleurs, elle était sur ses gardes depuis qu’une sonnette d’alarme avait résonné dans sa tête quand elle avait découvert, la veille au matin un Jackson, torse nu, les yeux embués de sommeil, debout dans une flaque de soleil.
Combien de femmes s’étaient éveillées près de lui, avaient repoussé ses cheveux de ses yeux et lui avaient donné un baiser plein d’amour pour recevoir en retour un regard qui signifiait : « Je ne veux pas te faire de mal, mais… » ? Beaucoup trop probablement. Par chance, elle ne ferait pas partie du lot.
Helena tenta de sourire d’un air détaché tandis que Jackson l’aidait à s’asseoir sur un rocher accueillant.
— Vous passez donc sans cesse d’une activité à l’autre ? Est-ce ce qui vous a valu votre succès ?00
Il écarta les mains en signe d’assentiment.
— C’est toujours un défi de trouver le bon objet pour le bon client. Presque un jeu, parfois. N’avez-vous pas cette impression quand vous trouvez l’ingrédient miracle pour confectionner une recette très spéciale qui satisfera les goûts d’un client ?
— C’est vrai, dit Helena, comprenant qu’il ressentait lui aussi le frisson du chasseur d’or découvrant un filon.
Puis, incapable de résister plus longtemps à la curiosité, elle renchérit :
— Mais que vient faire Barrett dans tout cela ? On dirait qu’il cherche à vous provoquer.
Jackson détourna son regard vers les vagues.
— Barrett est une vraie mouche du coche, dit-il finalement. Oui, il est mon concurrent et un concurrent plutôt heureux. Il livre ce qu’il a promis. Cependant, comme il ne prend pas le temps d’étudier la personnalité du client, en général, la satisfaction de ce dernier est de courte durée. Il prospecte également des terrains qui ne m’intéressent pas. Vous n’avez donc pas à vous soucier de lui.
Il sembla à Helena que ces derniers mots contenaient un sens caché allant au-delà d’une préoccupation purement professionnelle. Et quand il changea rapidement de sujet et la complimenta sur le choix du restaurant, elle fut presque certaine qu’il s’efforçait de la distraire.
— Parlez-moi de cet homme, demanda-t il en désignant de la tête un dîneur d’un certain âge qui occupait une table avec vue sur la mer et buvait tasse de café sur tasse de café.
— Est-ce ainsi que nous allons procéder ? s’enquit-elle en riant. Je vais vous présenter les uns après les autres les habitants de Sloane’s Cove ?
— Il faudra trouver un moyen plus rapide, concéda-t il, sinon j’aurai une barbe grise d’ici que nous ayons terminé ! Non, nous étudierons des listes mais ça ne peut pas nous faire de mal de nous exercer quand nous croisons des gens. Cette réponse vous convient-elle ?
— C’est vous le chef, répondit-elle d’un ton léger.
— Mais je dépends de vos gracieuses mains, Helena.
Le son velouté de sa voix arracha un frisson à la jeune femme.
— Dans ce cas, allons-y ! Il s’agit d’Elliott Woodford, un ancien pêcheur devenu enseignant. Depuis qu’il est à la retraite, il dirige un musée d’histoire. C’est un veuf. Toutes les femmes en raffolent mais il a décrété que son épouse avait emporté son cœur au paradis et qu’il ne se remarierait jamais.
— Quelle tristesse…
— En réalité, il s’occupe et est heureux de penser qu’elle l’attend.
— Je présume qu’il n’a pas besoin de mon aide.
— Pas vraiment. Ce qui n’empêche pas que vous vous rencontriez. Je suis sûre que vous vous apprécieriez. Vous avez beaucoup en commun.
— Une certaine solitude ?
— Oui. Et vous savez aussi tous les deux ce que vous attendez de la vie.
— Vous ne savez pas ce que vous voulez ?
Elle le dévisagea quelques instants en silence.
— Si, bien sûr. Je veux vivre à Sloane’s Cove, faire profiter mes concitoyens de mes talents culinaires, écrire des livres de cuisine et élever mon enfant. Et, à ce sujet, je suis une solitaire moi aussi.
— Plus pour longtemps, souligna-t il en regardant son abdomen.
— Vous avez raison.
— Vous pourriez vous apercevoir que vous n’avez pas envie d’élever seule votre enfant.
— Je… Ça m’étonnerait, répliqua-t elle un peu trop vite.
Comme Jackson posait sur elle un regard interrogateur, Helena espéra qu’elle ne changerait pas d’avis. Parce que le seul homme à qui elle portait de l’intérêt en ce moment, c’était justement lui.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:21 PM

chapitre 4

Dire qu’il avait été assez stupide pour suggérer à Helena qu’elle pourrait avoir besoin d’un homme ! s’insurgeait Jackson, allongé dans son lit, bras croisés derrière la tête. Il l’avait perturbée, et c’était bien normal. En s’immisçant dans sa vie privée, il avait outrepassé son rôle d’employeur.
Il n’en connaissait pas moins le pourquoi de cette maladresse. En la voyant assise devant lui, si belle, si pure, l’idée qu’elle tombe entre les pattes de Barrett Richards l’avait révolté. Car ce dernier tenterait de la séduire ; c’était aussi sûr que deux et deux font quatre. Et le fait qu’Helena n’apprécie pas le personnage ne rassurait pas du tout Jackson. Barrett connaissait l’art de faire changer les femmes d’avis. C’était un charmeur, un caméléon capable d’endosser de multiples personnalités, et il était si fort à ce petit jeu qu’il devait parfois s’y laisser prendre.
Oui, Barrett ne manquerait pas de la poursuivre de ses assiduités et Jackson ne pourrait faire autrement que s’efforcer de la protéger ; ce qui rendrait leurs relations d’autant plus complexes…
Déjà qu’il avait du mal à résister à la tentation de caresser ses beaux cheveux ou de lui prendre le bras pour la soutenir quand elle traversait une pièce. S’il devait passer davantage de temps avec elle, où puiserait-il la force de nier son attirance ?
Cette remarque avait été destinée à lui rappeler qu’il devait s’en tenir à l’écart ; une façon de se rafraîchir la mémoire, en quelque sorte. Ce qui ne faisait pas taire son désir de l’embrasser. En y réfléchissant, au fond, il n’était pas meilleur que Barrett.
Ce fut sa première pensée quand il s’éveilla le lendemain matin avec le bruit de la sonnerie de la porte d’entrée qui résonnait dans sa tête. Dans la cuisine, il découvrit Helena qui tentait désespérément de jongler avec ses casseroles pour aller ouvrir sans laisser brûler le petit déjeuner.
— J’y vais, Helena.
Un sourire radieux le récompensa. Le cœur joyeux, il se dirigea vers la porte pour découvrir un adonis aux yeux bleus, aux cheveux blond doré soulevés par la brise, vêtu d’un T-shirt dépourvu de manches qui révélait des épaules et des bras d’athlète.
Le nouveau venu adressa à Jackson un sourire plein d’assurance.
— Helena est-elle là ?
Jackson haussa les sourcils.
— Seriez-vous un nouveau frère Austin ?
— Pas du tout ! Mon nom est Keith. Je passais simplement la voir. Elle me connaît bien, ajouta-t il d’un ton qui sous-entendait qu’elle serait ravie de le voir.
Une sensation déplaisante noua la poitrine de Jackson, sensation sur laquelle il préféra ne pas s’appesantir. Avec un hochement de tête, il introduisit le jeune homme dans la salle de séjour puis se dirigea vers la cuisine.
— Un certain Keith désire vous voir, annonça-t il. Dois-je le faire entrer ?
— Keith ? Pas Keith Garlan, tout de même ?
— Cela, ma chère, je l’ignore, répondit Jackson d’une voix qu’il s’efforçait de contrôler. C’est un jeune homme blond aux yeux bleus qui possède une musculature d’athlète. Il semble penser que vous mourez d’envie de recevoir sa visite.
Brusquement contrariée, Helena s’essuya les mains à son tablier blanc brodé de bleuets et de coquelicots. C’était un grand tablier, qui dissimulait en partie sa silhouette, mais que, pour une mystérieuse raison, Jackson trouvait irrésistiblement affriolant. Couvrant la courbe haute des seins, ce tablier lui donnait l’envie de glisser ses bras autour de sa taille et de dénouer les cordons afin de révéler les tendres formes. Et soudain, l’idée que de semblables pensées pourraient traverser l’esprit de Keith le mit hors de lui.
— Je reviens, dit-elle, le front barré d’une petite ride.
Elle posa sur la table un plat de crêpes accompagnées de sirop d’érable ainsi qu’une cruche de jus d’orange et du café.
— Mangez, je vous en prie.
Elle s’essuya de nouveau les mains à son tablier, forçant une fois de plus l’attention de Jackson sur ses seins et il perdit instantanément l’appétit. Devant son expression, Helena se rembrunit.
— Désolée, je ne devrais pas recevoir de visites chez vous. Je vais lui demander de se retirer.
Instantanément, Jackson s’en voulut de lui causer une contrariété quand elle avait tant besoin de sérénité.
— Allons, Helena, cela ne me gêne pas du tout que vous receviez des visites.
— Dans ce cas, asseyez-vous.
Cependant, au lieu d’obéir, il glissa ses bras autour de sa taille. Un parfum enivrant de vanille, d’érable et de douce chair de femme monta à ses narines. Malgré son désir de le respirer plus à fond, il se *******a de dénouer les cordons de son tablier et de le lui retirer. Dans sa robe jaune paille, elle demeurait tout aussi séduisante mais, du moins, son tablier n’exciterait pas les fantasmes de l’arrogant mâle qui attendait dans la salle de séjour.
— Vous n’allez pas accueillir votre visiteur en tenue de travail, expliqua-t il d’une voix légèrement étranglée.
Elle poussa un bref soupir et rosit délicieusement. Délibérément, Jackson se força à s’asseoir.
— Vous voyez, je suis installé… Allez-y.
Elle jeta un coup d’œil à son tablier déposé sur le dossier d’une chaise comme si elle avait l’intention de s’en revêtir mais ne le ramassa pas.
Jackson ferma les yeux. Il se demandait quel épouvantable péché il avait commis dans une vie antérieure pour mériter pareil tourment. Mais en réalité, il savait que ce qui le hantait, c’était une jeune femme aux cheveux blond vénitien qui faisait partie de son présent
Comme il mordait dans la meilleure crêpe qu’il ait jamais goûtée, il souhaita qu’Helena soit plus âgée ou moins attirante ; car dans ce cas, il aurait beaucoup mieux apprécié sa nourriture. Au lieu de ça, il allait se torturer les méninges à se demander qui pouvait bien être ce Keith et ce qu’il voulait à Helena.
Helena quitta précipitamment la pièce. L’espace d’un instant, enveloppée de la chaleur des bras de Jackson, elle avait craint de commettre un acte inconsidéré, comme se jeter dans ses bras, lui demander de l’embrasser ou s’évanouir.
A présent toutefois, elle devait se reprendre. Elle ne connaissait qu’une raison possible à la présence de Keith Garlan dans cette maison, et cette raison la contrariait profondément.
— Bonjour ! dit-il comme elle pénétrait dans la salle de séjour. Bill m’a dit que je te trouverais ici.
« Ce bon vieux Bill », pensa Helena, vouant son frère aux gémonies.
Elle adressa un faible sourire à Keith.
— Tu voulais me voir ?
Il haussa les épaules.
— Je veux toujours te voir, Helena. Tu le sais. Mais en l’occurrence, je tenais à te dire que tes frères n’apprécient guère que tu passes autant de temps avec lui, expliqua-t il avec un signe de la tête en direction de la cuisine. Il a la réputation de consommer les femmes comme d’autres la bière. Ecoute, Helena, tu dois penser à ton enfant. Il te faut quelqu’un de confiance sur qui te reposer. Quelqu’un d’ici.
— Merci de te préoccuper de mon sort, Keith, répliqua froidement Helena, mais tu n’as aucun souci à te faire au sujet de M. Castle. Je suis son employée ; il ne s’intéresse pas le moins du monde à moi.
— C’est sans doute pour ça qu’il m’a regardé de si haut. Il ne semblait pas apprécier que nous puissions avoir des projets.
— Mais nous n’en avons pas !
— Pourquoi pas ? Je t’ai toujours beaucoup aimée, Helena.
Cette dernière soupira. Keith était un garçon charmant mais ce qu’il cherchait, c’était une gentille petite femme toute dévouée à lui. Et Helena n’avait plus envie de se dévouer à personne. De toute façon, elle aimait bien Keith, rien de plus. Cependant, pour l’heure, elle ne se sentait pas le courage de mettre les choses au clair.
— En ce moment, je n’ai aucune envie de sortir avec quiconque, Keith. Tu ferais aussi bien d’aller le dire à Bill.
— Et si je te faisais changer d’avis ?
Tandis qu’il avançait d’un pas, Helena recula. Comme s’il avait entendu sa prière muette, Jackson parut dans l’encadrement de la porte.
— Si vous me présentiez à votre ami, Helena ?
Une vague de gratitude submergea la jeune femme. Cependant, comme elle ouvrait la bouche, Keith leva une main.
— Nous nous sommes déjà rencontrés. D’ailleurs, je dois me rendre à mon travail. J’attendrai, Helena, ajouta-t il à l’intention de la jeune femme. Crois-moi, je suis l’homme de la situation. J’aimerai ton enfant comme le mien, et tu ne seras pas sans cesse comparée à d’autres.
Sur cette flèche, avec un regard lourd de sous-entendus à l’intention de Jackson, Keith se dirigea vers la porte. Quand sa voiture se fut éloignée, Jackson se tourna vers Helena.
— Sans doute devrais-je vous présenter des excuses ?
Elle secoua la tête en souriant.
— Mes frères veulent à tout prix me marier et j’ai l’intuition que Keith n’est que le premier d’une longue liste de prétendants ! Je leur dirai le fond de ma pensée mais sans grand espoir d’être entendue. Les Austin sont terriblement entêtés et mes frères semblent convaincus que vous nourrissez de sombres desseins à mon égard. C’est stupide. Je m’efforcerai de les convaincre du contraire.
Tout en parlant, elle s’était rapprochée de lui et l’intensité de son regard exprimait sa contrariété d’introduire une nouvelle complication dans sa vie.
— Je leur parlerai aujourd’hui, promit-elle.
Doucement, il glissa une main sur sa taille et l’attira à lui.
— N’en faites rien, murmura-t il. Il se pourrait qu’ils aient raison.
Quand il posa ses lèvres sur les siennes, elle perçut le goût sucré du sirop d’érable. Avec avidité, la bouche de Jackson réclama la sienne. Elle sentait sa grande main dans son dos qui la maintenait serrée contre lui tandis qu’il l’embrassait encore et encore.
Et puis, il recula d’un pas et elle se retrouva brutalement privée de son appui. Comme elle chancelait, il l’aida à reprendre son équilibre.
— Toutes mes excuses, dit-il d’une voix rauque. Vous voyez : je suis capable de vous traiter sans le respect dû à une employée. C’est terrible, avec vous, j’ai tendance à me montrer… imprévisible. A l’avenir, j’essaierai de me contrôler et de ne pas me mêler de vos affaires.
A cet instant, Helena éprouva une profonde compassion pour Jackson. On aurait dit que l’envie d’assommer quelqu’un le démangeait ; et elle avait la conviction que c’était lui-même qu’il aurait voulu punir. Si seulement elle avait pu abolir ces dernières minutes et revenir au temps où elle ignorait la saveur des baisers de Jackson Castle, elle ne languirait pas qu’il recommence, et lui cesserait de s’en vouloir.
— Vous êtes chez vous, vous n’avez aucun motif de vous excuser.
Sous le regard des yeux gris qui la sondaient jusqu’au fond de l’âme, elle se remémora la chaleur de son étreinte et le goût de ses lèvres. Puis elle baissa les yeux sur son ventre et secoua la tête.
— Je… je… ne suis pas sûre de comprendre.
— Il n’y a rien à comprendre. Vous êtes infiniment désirable et je ne suis qu’un homme.
Elle ne put retenir un sourire.0
— Vos préoccupations affectent votre jugement. Voyons, regardez-moi, Jackson ! Je suis enceinte, et pas loin du terme !
Un sourire répondit au sien.
— Regardez-vous vous-même ! Vous êtes la tentation personnifiée, Helena. Et je suis tenté au-delà de toute raison. Seulement, rien n’est possible entre nous ; vous êtes… enfin, vous êtes enceinte ; une aventure de passage est certainement la dernière chose que vous souhaitez.
Ces paroles causèrent à la jeune femme une souffrance sur laquelle elle refusa de s’attarder.
— Je ne souhaite rien dans ce domaine, affirma-t elle.
— Ça risque de devenir un problème.
Elle suivit la direction du regard de Jackson. Un nouveau véhicule s’engageait dans l’allée ; en reconnaissant son conducteur, elle étouffa un gémissement.
— Bob Mason, murmura-t elle. Cette fois, c’est un coup de Frank.
— Désirez-vous que je reste ?
Elle faillit accepter son offre ; elle avait tellement besoin de lui, de ses bras autour d’elle, de l’impression qu’il lui donnait d’être désirable, ce qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. Mais il avait raison. Rien n’était possible entre eux.
— Merci, c’est inutile.
Elle remarqua néanmoins qu’il ne s’éloignait pas complètement. Aux fourmillements qui traversaient tout son corps, elle devinait sa présence. La pensée que Jackson était tout proche lui procura une vive émotion et son cœur se mit à battre la chamade.00

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:25 PM

chapitre 5


Helena débordait d’une incroyable énergie pour quelqu’un qui s’apprêtait à mettre au monde un enfant, pensait Jackson deux jours plus tard en la voyant dresser des listes, élaborer des recettes et étudier ses fiches de renseignements sur les habitants de Sloane’s Cove.
— C’est une telle aventure ! dit-elle en entrant dans la salle de séjour, revêtue d’un tablier rose et blanc. Si tout va bien, nous aurons la famille Leggit et M. et Mme Brannigan à dîner demain soir ! Sharon Leggit est la benjamine de sept enfants et ses parents se sont déjà saignés aux quatre veines pour envoyer ses aînés à l’école. Je crains que Sharon ne se marie juste pour échapper à la pression familiale. Elle passe ses moments de loisirs au refuge pour animaux et rêve de devenir vétérinaire. Mais, dans l’état actuel des choses, la situation paraît sans issue. Quant à M. et Mme Brannigan, ce sont les premiers à offrir leur aide aux personnes en difficulté alors qu’eux-mêmes connaissent de gros problèmes de santé. Mais peut-être sont-ils trop âgés selon vos critères…
La voix d’Helena décrut comme elle disparaissait dans la cuisine. Puis elle revint, portant un lourd plateau.
Jackson se précipita vers elle et le lui arracha des mains.
— Ne recommencez jamais ça !
— Désolée. Je lançais juste une idée.
Jackson fronça les sourcils, interdit devant son expression contrite.
— C’est votre projet, bien sûr. Parfois, je me laisse emporter…
Jackson la prit par la main et la guida vers une chaise.
— Asseyez-vous, je vous prie.
Elle obéit. Il alla alors chercher un pouf qu’il plaça devant elle et sur lequel, doucement, il posa ses jambes. Ensuite, il rabattit sa jupe sur ses genoux en résistant au désir de glisser les mains dessous pour caresser ses cuisses.
S’éclaircissant la gorge, il enfouit ses mains dans ses poches arrière. Par bien des cotés, il agissait comme un gosse en ce moment, pensa-t il.
— Je ne parlais pas de M. et Mme Brannigan, Helena. Si vous les trouvez dignes d’aide, je me pencherai sur leur cas. J’ai toute confiance en votre jugement, vous savez.
— C’est vrai ? Tant mieux, Jackson !
Elle se pencha sur son siège, prête à se lever. Mais il plaqua ses mains sur ses bras, la clouant sur place.
— C’est vrai. Mais là où je ne suis plus d’accord, c’est quand vous vous tuez à la tâche. Je ne veux plus vous voir porter de lourds plateaux, c’est compris ?
Elle sourit.
— Il n’était pas si lourd. Une fourmi…
— … le porterait, je sais, termina-t il. Néanmoins quand vous aurez des charges à porter, j’exige que vous fassiez appel à moi.
— Je suis employée, c’est mon travail, répliqua-t elle vivement.
— Et moi qui suis votre employeur, je peux très bien décider que ça ne l’est pas. Je suis tout à fait capable de vous aider.
Elle ouvrit la bouche pour continuer d’argumenter mais, d’un doigt sur ses lèvres, il la fit taire.
— Inutile d’insister, Helena, c’est ainsi.
L’espace d’un instant, leurs regards s’attachèrent l’un à l’autre puis ils détournèrent les yeux.
— Alors, c’est d’accord ? insista Jackson.
— Vous savez très bien que je ne mettrai pas la santé de mon enfant en péril mais enfin, d’accord. Je vous appellerai quand j’aurai quelque chose à porter.
Jackson n’en demeurait pas moins persuadé qu’elle oublierait sa promesse dès qu’elle serait occupée dans la cuisine. Helena avait une fâcheuse tendance à se sacrifier pour les autres. Pas étonnant que ses frères n’éprouvent aucune difficulté à envoyer des prétendants sonner à sa porte. Un autre petit morveux s’était présenté le matin même. Jackson avait ouvert la porte, torse nu, le visage enduit de crème à raser. Après avoir jeté un regard curieux à sa semi-nudité, Helena avait introduit le jeune homme dans la salle de séjour.
Bien que ce ne soit pas exactement ainsi qu’il ait envisagé son séjour à Sloane’s Cove, Jackson n’était pas mé*******. Il n’aurait pas supporté l’idée de voir Helena épouser le premier venu. Quand l’homme de sa vie se présenterait, si Helena le souhaitait, il s’effacerait. Mais jusqu’alors, il jugeait de son devoir d’employeur de jauger tout homme qui oserait avoir des vues sur elle.
— Jackson ?
Il posa sur elle un regard interrogateur.
— A propos de demain soir…, commença-t elle.
— Leggit et Brannigan, je prends note. Ce sont eux que vous retenez ?
— Ce sont des possibilités. La décision finale vous appartient, bien sûr. Je vous fournis juste nourriture et matière à réflexion.
Elle lui fournissait bien plus, évidemment. Elle servirait tout le monde à la perfection et considérerait de sa responsabilité personnelle que la conversation ne chôme pas. Bref, elle s’épuiserait s’il ne la retenait pas.
Une demi-heure plus tard, il sortait. Quand il revint, il rapportait une acquisition destinée à lui faciliter la vie.
— Ce n’est qu’une desserte roulante, expliqua-t il comme elle s’extasiait.
— C’est la Cadillac des chariots, Jackson ! s’exclama-t elle en examinant les tiroirs et le plateau de chêne. Vous n’auriez pas dû faire cette dépense.
— Elle vous évitera de la fatigue.
— Vous doutiez que je vous appellerais à la rescousse en cas de besoin…
Il lui adressa un grand sourire puis, se penchant, lui murmura, les lèvres dans ses cheveux blond-roux :
— Je n’avais pas confiance en vous, c’est vrai.
— Dans ce cas, merci, répliqua-t elle dans un souffle.
Comme elle tournait la tête vers lui, ses lèvres se trouvèrent tout près des siennes et il sentit son haleine tiède caresser son visage. Sur une brusque impulsion, il effleura sa bouche
— Ne me remerciez pas. Tout ce que je veux, c’est que vous fassiez attention à vous et au bébé.
Elle hocha lentement la tête.
— Et, Helena…
— Oui ?
— Si je recommence, je voudrais que vous me gifliez.
Elle écarquilla les yeux puis un lent sourire étira ses lèvres.
— Je ne trouve pas très correct de gifler son employeur.
— Je ne trouve pas correct d’embrasser son employée.
— Il s’agissait juste de sceller un pacte !
Il haussa les sourcils.
— Merci de ne pas m’accabler.
— Jackson ?
— Oui ?
— J’ai apprécié votre baiser. Je ne vous giflerai pas si vous recommencez.
Il poussa un gémissement étouffé.
— Il vaut mieux que je me retire.
— C’est cela, répliqua-t elle en souriant. J’ai de quoi m’occuper avec cette invitation de demain. Allez donc vaquer à vos affaires. La région regorge d’artisans. Ne laissez pas vos concurrents vous rafler des trésors sous le nez.
Pour sa part, Jackson savait qu’il avait déjà découvert un trésor, ici même, dans sa cuisine. Un trésor malheureusement hors d’atteinte.
— Notre Helena est un amour, déclara Marie Brannigan tandis qu’Helena pénétrait dans la salle à manger en poussant la desserte roulante. Elle s’arrête pour prendre de nos nouvelles à Hugh et à moi au moins une fois par semaine et nous accompagne également à l’hôpital pour nos tournées de visites. C’est si important ; les gens puisent un énorme réconfort dans le simple fait de parler. Oh ! ça semble succulent, ma chère, s’exclama-t elle comme Helena posait devant elle une assiette garnie de brochettes de poulet mariné et de légumes braisés.
Marie Brannigan souriait en dépit des souffrances que lui infligeaient ses doigts déformés par les rhumatismes, de la canne qu’elle conservait en permanence à son côté et de l’aspect usagé de ses vêtements. Malgré l’apparente fragilité du couple et leurs revenus plus que modestes, ils se rendaient à l’hôpital au moins une fois par semaine, avait expliqué Helena à Jackson. Et la jeune femme qui travaillait à plein-temps, écrivait un livre et parvenait au terme de sa grossesse les y accompagnait… Jackson se demanda quelle autre surprise lui réservait sa cuisinière.
— Les malades surnomment Marie et Hugh leurs anges gardiens, expliqua Helena.
— Vous accomplissez une tâche essentielle, dit Jackson au couple.
— Oh ! nous nous *******ons de rendre de petites visites aux malades, dit Marie.
Il hocha la tête.
— Justement, c’est important. Si des gens comme vous étaient venus me voir lors de mon dernier séjour à l’hôpital, je ne serais peut-être pas devenu un ours.
Jackson se leva pour aider Helena à s’asseoir.
— Etait-ce grave ? demanda-t elle avec une expression soucieuse.
Il sourit.
— Non, ce n’était pas grave, mademoiselle l’infirmière. Une blessure bénigne à la tête due à un accident d’automobile.
— Une blessure bénigne à la tête ! répéta-t elle d’une voix horrifiée.
Sharon Leggit éclata de rire.
— Il te connaît bien ! Cependant, Helena est plus qu’une infirmière, monsieur Castle. Alors que j’étais terrorisée à l’idée de faire un exposé en classe, Helena m’a entraînée trois jours durant jusqu’à ce que je le lise sans même y penser.
— Allons, dit Helena, tu savais très bien ce que tu lisais. Sid Taylor m’a dit que lorsque le professeur t’a interrogée sur le contenu de ton exposé, tu as parfaitement répondu. Et tout ça tout en travaillant après l’école et en faisant du bénévolat à la clinique vétérinaire !
Jackson sourit. Helena savait si bien remonter le moral de ses amis. A la fin du repas, il fut heureux de voir que Sharon se levait pour aider Helena et insistait pour ranger la cuisine avec ses sœurs. Mais bien sûr, Helena protesta qu’il n’en était pas question, qu’elles étaient invitées et que…
Jackson décida d’intervenir.
— Merci, dit-il à Sharon, mais du personnel doit venir tout à l’heure remettre la cuisine en ordre. Si vous pouviez simplement demander à vos frères de m’aider à porter la vaisselle dans la cuisine.
Helena ouvrit la bouche pour protester.
— Ne vous occupez pas de ça, dit-il gentiment.
Hugh Brannigan éclata de rire.
— C’est comme de demander à Helena d’arrêter de respirer ! D’aussi loin que je me souvienne, elle s’est toujours préoccupée des problèmes des gens. Et on a profité d’elle, ajouta-t il avec irritation. Quand je pense à ce jeune fou de Larry Egan qui en a invité une autre au bal de la promotion alors quelle venait de passer six mois à le convaincre qu’il n’était pas le dernier des crétins, je ne sais pas ce que je lui ferais !
Sa femme lui toucha doucement le bras. Helena avait rosi et paraissait mal à l’aise.
— Ça remonte à si loin, Hugh, dit-elle. Il y a prescription.
— Bien sûr, bien sûr. Seulement, ces faits se sont reproduits. Rappelle-toi la fois où…
Sa femme s’éclaircit discrètement la gorge
— Une autre fois, chéri. Tu embarrasses Helena.
Effectivement, Jackson remarqua qu’Helena, de plus en plus rouge, s’efforçait de sourire sans grand succès.
Ainsi, certains avaient profité de sa bonne âme… Au fond, ça ne le surprenait pas. Il l’interrogerait à ce sujet, il exigerait les noms de ses tourmenteurs !
Il haussa les épaules. Helena n’apprécierait pas. Non, il ne se mêlerait pas de sa vie privée.
Du moins, pas maintenant.
— Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’aurais besoin de m’absenter un moment dans l’après-midi, déclara Helena à Jackson, trois jours plus tard.
— Encore des courses ? Je vais vous accompagner.0
Elle lui jeta le regard de défi qu’elle réservait ordinairement à ses frères.
— Il ne s’agit pas de courses. Et je n’aurai aucune charge à soulever, c’est promis !
— S’agit-il de quelque chose qui manquerait et que je pourrais vous procurer ?
Elle regarda son ventre et sourit.
— Non, à moins que vous n’ayez passé tout récemment vos diplômes de médecine. J’ai rendez-vous chez le gynécologue, Jackson.
— Un problème ? demanda-t il, les entrailles brusquement nouées.
— Pas du tout. Je vais très bien et, à la façon dont le bébé donne des coups de pied et fait des galipettes, tout semble normal de ce côté aussi ! Il s’agit d’une simple visite de routine.
Jackson hocha la tête. A ce moment, elle ne put s’empêcher de constater que, chaque fois que son regard tombait sur son ventre, il s’en détournait très vite. Apparemment, il ne supportait pas la vue d’une femme enceinte.
— Mais quand le bébé donne des coups de pied, ne risque-t il pas de vous blesser ? J’ignore tout de la question, vous comprenez. Je n’ai pas d’enfants.
Elle le savait. Et cependant, elle se souvenait avoir appris au cours de l’émission télévisée que Jackson avait été marié.
— Nous sommes en parfaite santé, assura-t elle. En assez bonne santé en tout cas pour vous accompagner ensuite chez le fleuriste.
— Attendons le verdict du médecin. Je peux y aller seul, vous savez.
— Et me priver d’un plaisir ? Je ne suis pas d’accord !
— Débordez-vous toujours autant d’énergie ?
Elle hocha la tête.
— Ces derniers temps, j’en ai même encore plus que d’habitude ! Les premiers mois de ma grossesse m’ont fatiguée mais, à présent que j’ai pris mon second souffle, j’effectuerais bien moi-même quelques galipettes !
Avec un froncement de sourcils, Jackson lui prit le bras.
— Je plaisantais voyons ! se dépêcha-t elle d’ajouter.
— Je sais, mais si vous vous sentez si pleine d’énergie vous risquez de faire des bêtises. Peut-être devrais-je m’entretenir avec votre médecin, lui parler des tâches supplémentaires que je vous confie.
Elle posa une main sur sa poitrine.
— Ne faites pas ça ! Je suis adulte et responsable ! Quand le bébé sera là, je devrai me montrer sage pour nous deux. Même si j’ai de la famille et des amis, la plupart du temps, nous serons livrés à nous-mêmes. Je dois m’habituer à prendre mes décisions toute seule.
Il la considéra durant quelques instants.
— Vous pourriez vous marier ainsi que le souhaitent vos frères.
— Pas question. Mon mari… Enfin, disons que je refuse de me remarier.
— Vous l’aimez toujours ?
Elle secoua la tête.
— Il n’était pas question d’amour entre nous. Et je ne me remarierai pas juste pour faire plaisir à mes frères.
— Mais, ainsi que vous le souligniez, être seule avec un bébé n’est pas une sinécure. On me l’a déjà dit.
— Quelqu’un d’important ?
— Ma femme.
— Elle vous demandait de rester près d’elle ?
— Elle me demandait d’accepter de divorcer afin qu’elle puisse épouser le père de son enfant. J’ai accédé à sa demande et je respecterai également votre choix. Allez consulter votre médecin, Helena ; j’éloignerai les prétendants au rôle de père qui se présenteront en votre absence.
Helena le dévisagea un long moment. Sous son regard, Jackson sourit tendrement tout en lui caressant doucement la joue du revers de ses doigts.
— Ne faites pas ça, Helena.
— Quoi ?
— Ne vous faites pas de souci pour moi. Je n’aurais pas dû vous parler de ma femme car vous voilà toute retournée. Il n’y a pourtant pas de problème. Je ne suis pas amoureux d’elle ; je ne souffre pas…
Mais s’il ne souffrait pas, songeait Helena en roulant vers le cabinet de son médecin, pourquoi se montrait-il incapable de regarder un ventre où grandissait un enfant ?
Même si Jackson en avait terminé avec sa femme, les cicatrices de la blessure demeuraient bien réelles. Il ne tiendrait jamais un enfant dans ses bras car il ne parviendrait jamais à accorder une confiance suffisante à une autre pour désirer s’engager à tout jamais.
Le cœur d’Helena se serra quand elle prit conscience que les problèmes de Jackson ne la concernait pas. Elle s’était juré de renoncer à sauver les hommes qui lui plaisaient et, de toute façon, elle n’avait pas le pouvoir de changer le passé de Jackson.
En revanche, il existait sûrement un moyen de le remercier de son dévouement à sa ville natale. Elle devait y réfléchir sérieusement.

chapitre 6

— Les rues sont bondées ! s’exclama Helena. On dirait que l’annonce de votre cérémonie a attiré des touristes.
Jackson lui prit le bras afin de lui éviter d’être bousculée par la foule.
— On m’a chargée de vous dire que, même si ce n’était pas votre intention première, les gens vous sont reconnaissants de faire marcher le commerce, reprit-elle.
— Je m’amuse bien. Jusqu’ici, je n’avais encore jamais participé à l’activité d’une ville.
— Vous vivez pourtant à Boston.
— Disons que c’est une escale entre mes voyages d’affaires.
— Quelle drôle de vie !
Il lui sourit.
— Elle me plaît ; je la trouve excitante.
Elle renversa légèrement la tête pour mieux l’examiner.
— Racontez-moi.
— Eh bien, un client m’explique qu’il est à la recherche d’un objet sans savoir exactement lequel. C’est mon travail de découvrir ce qui comblerait son attente et de le lui fournir.
— Pas facile.
— C’est vrai. Je suis pourtant toujours surpris de constater que l’objet convoité est souvent plus accessible qu’on ne l’imaginait. Un bibelot que quelqu’un s’apprête à vendre sans comprendre qu’il s’agit d’une œuvre d’art, un artiste inconnu créant à l’écart dans un appartement situé à trois pâtés de maisons de celle du client. On découvre parfois un trésor caché depuis des années juste sous ses yeux.
Helena scruta l’expression de Jackson.
— Y a-t il un message ?
— Exactement ! Vous êtes un trésor d’employée et il faut absolument que vous vous asseyiez.
Elle fronça les sourcils.
— Pas question ! Oublieriez-vous que je suis en service commandé ? Je dois aujourd’hui vous faire rencontrer la fine fleur de Sloane’s Cove.
Jackson consulta sa montre.
— Ecoutez, c’est presque l’heure du déjeuner et vous m’avez déjà présenté à pas mal de gens.
— Bonjour, monsieur Castle ! s’écria une dame de l’autre côté de la rue.
— Bonjour, Ellen, répondit Jackson. J’espère qu’aujourd’hui vous allez trouver des maîtres pour vos protégés !
La dame promenait quatre chiens dont les laisses s’enroulaient autour de ses jambes.
— N’est-elle pas admirable ? demanda Helena quand la brave femme eut tant bien que mal tourné le coin de la rue. Elle nourrit ces pauvres animaux de sa poche. Et que pensez-vous de John Nesbith ? Il vous a trouvé très gentil avec lui.
— C’est un brave garçon, très industrieux. Il est promis à un brillant avenir.
— Il a bien travaillé à astiquer votre Alfa Romeo, n’est-ce pas ? C’est probablement la grande aventure de ses seize ans. Il n’a pas l’existence facile.
Jackson rit.
— J’ai dû le supplier de prendre mon argent ; il prétendait qu’il considérait comme un honneur d’avoir pu toucher un véhicule de cette classe et qu’il ne voyait rien dont la beauté le surpasse !
— Accordons-lui encore un an ou deux ; pour le moment, John ne s’est pas encore beaucoup frotté au sexe opposé !
Mais elle, si. Même sans les réflexions de Hugh au dîner l’autre soir, même sans la méfiance de ses frères, il aurait deviné la vérité. Il y avait cette expression *******e mais inquiète chaque fois qu’il l’approchait de trop près. Elle avait souffert et ne voulait plus souffrir. Et il se promit de ne pas aggraver ses mauvaises expériences.
Le plus urgent pour le moment, c’était de la convaincre de ralentir un peu le rythme. Fugitivement, il songea aux moyens à employer pour avoir devant soi une Helena rêveuse et alanguie pour, l’instant d’après, se demander quand il apprendrait à ne pas cultiver de tels fantasmes…
— Venez, dit-il en la prenant par la main. J’ai une idée.
— Quel genre d’idée ?
— Ne soyez pas si méfiante !
— Je suis toujours méfiante quand quelqu’un a une idée qu’il garde pour lui !
Il lui sourit.
— Je pensais juste que nous avions besoin d’une pause. Ces derniers jours, nous avons rencontré beaucoup de monde. Nous avons parlé de leur famille, de leur milieu, de leurs ambitions. Et cependant, vous faites la cuisine pour moi depuis une semaine et demie maintenant sans que j’aie eu l’occasion de voir vos livres. J’aimerais bien faire leur connaissance.
— Vous pourriez le regretter. J’ai tendance à m’emballer quand je parle de ma marotte !
Il rit.
— Vous, vous emballer ? Allons donc ! Je vous en prie, conduisez-moi chez vous, ajouta-t il en lui présentant ses mains comme s’il voulait qu’elle lui passe les menottes.
Helena rit également.
— D’accord, d’accord ! Mais si vous mourez d’ennui, ne venez pas vous plaindre que je ne vous ai pas prévenu !
Elle fit demi-tour, ses longs cheveux voltigeant dans son dos. Jackson lui emboîta le pas, tout réjoui à l’idée que son plan marchait ; avec un peu de chance, il forcerait Helena à rester assise un peu plus de cinq minutes.
Enfin, il l’espérait.
— Déjeunons d’abord, proposa Helena en entraînant Jackson vers son cottage aux volets bleus, niché dans la verdure d’une rue bordée d’arbres.
— Si vous me prenez par les sentiments…
L’intérieur de la maison ressemblait à son occupante. La salle de séjour resplendissait de couleurs. Dans un vase de cristal s’épanouissaient coquelicots et marguerites jaunes, les vitres étincelaient au soleil, des tapis bleus et jaunes jetés sur le parquet de chêne blond apportaient leur note chaleureuse.
— Voici mon plan, chuchota Helena d’un air conspirateur. Je vous bourre de nourriture jusqu’à ce que vous ne puissiez plus bouger le petit doigt et puis je vous apporte mes livres et vous force à les admirer !
Son rire était une pure cascade d’eau fraîche.0
— Cette fois, je vous aide, décréta Jackson en la suivant dans la cuisine.
Elle s’apprêtait à répondre par la négative mais il fit taire ses protestations en effleurant ses lèvres d’un baiser.
« Montre-toi plus circonspect », pensa-t il. Cette caresse rendait Helena sensible à sa présence masculine et elle avait toutes les raisons de se méfier des hommes. Il devait s’interdire d’utiliser cette arme. C’était malhonnête ; sauf qu’il aimait tant le contact de sa peau que se priver de ces délicieux instants le mettait à la torture.
— Je déteste me sentir inutile ! Je vous en prie, prenez pitié de moi et confiez-moi une tâche !
— D’accord ! dit-elle en riant.
Elle lui tendit des légumes, un couteau et une planche à découper.
— Je sais que vous mourez d’envie de couper ces poivrons vous-même, dit-il tristement, mais je vous suis sincèrement reconnaissant de me permettre de vous aider.
Il se demanda si elle lui permettrait de l’aider d’une autre façon plus concrète. Après tout, c’était dans ce but qu’il était venu à Sloane’s Cove…
Pour le moment cependant, il observait la jeune femme. Cette fois, elle avait revêtu un austère tablier uniquement égayé par une minuscule guirlande de roses grimpant le long d’une bretelle. Et ça le rendait fou de voir la broderie rôder près de son sein. Que lui arrivait-il ? Jamais jusqu’à présent il n’avait éprouvé la moindre attirance pour un tablier et encore moins le désir de l’arracher avec les dents…
Helena attendit qu’il eût achevé de couper les poivrons et d’éplucher la laitue pour lui tendre une chemise en carton.
— Voici de nouvelles informations. Si vous voulez que je vous montre mes livres, il faudra vous occuper un peu de votre propre chasse aux trésors, monsieur Castle, dit-elle d’une voix enjôleuse.
— Vous cherchez à m’écarter des fourneaux ! plaisanta-t il.
— Je suis un chef caractériel ! admit-elle avec un hochement de tête qui fit glisser sa queue-de-cheval blond-roux sur la chair pâle de sa nuque.
— Vous êtes la personne la moins caractérielle que je connaisse.
— Vous dites ça maintenant mais essayez de mettre le nez dans ma cuisine et vous verrez quel tyran je suis ! Maintenant, asseyez-vous et lisez vos notes. Il ne reste qu’une semaine et demie avant la cérémonie ; il devient urgent de prendre des décisions. Pour ne pas vous déranger, je vais marcher sur la pointe des pieds ! Vous ne vous rendrez même pas compte de ma présence.
« Comme si c’était possible… », pensait Jackson, une demi-heure plus tard. Levant les yeux de son dossier, il vit son sourire sensuel pendant qu’elle tournait un mets sur le feu. Son expression était celle d’une amoureuse cherchant à plaire à son partenaire.
— Bon sang ! s’exclama-t il tandis que le stylo qu’il serrait dans son poing se brisait.
— Enervé ? demanda-t elle.
— On peut le dire.
— Attendez, j’ai ce qu’il vous faut, promit-elle.
Il étouffa une plainte.
Elle s’approcha, environnée d’un parfum de citron, et lui tendit une cuillère.
— Goûtez, c’est pour vous. Le paradis dans une cuillère.
Il se pencha et elle glissa la cuillère entre ses dents. Le gémissement de plaisir qui s’échappa des lèvres de Jackson lui valut un rire satisfait.
— Qu’est-ce que c’est ?
Elle haussa les épaules.
— Un mets que je viens de concocter. Je pense le préparer pour le dîner d’accueil des candidats.
— Ça sera une grosse réception, dit-il en désignant ses notes. Vous en savez long sur beaucoup de gens.
Helena se rembrunit.
— Je sais… Ça paraît déplacé de consigner sur le papier des renseignements si intimes. Si ce n’était pas pour la bonne cause, je m’y refuserais.
Jackson lui-même éprouvait des scrupules. Non à lire ces renseignements car il savait qu’il ne les utiliserait pas dans un but critiquable mais parce que sa requête jetait le trouble dans l’esprit d’Helena.
— Je n’avais pas réfléchi à la difficulté que ça représenterait pour vous, expliqua-t il, mais ne vous sentez pas tenue de continuer. Je dispose de suffisamment d’informations pour mener à bien mon projet.
Elle secoua la tête, ce qui eut pour effet de libérer ses cheveux de l’élastique qui les retenait.
— Pas question ! Je suis trop heureuse de penser que je pourrais contribuer à améliorer le sort de certains. Combien de personnes ont la chance de jouer les magiciens ? C’est seulement que… je n’ai jamais fouillé aussi intimement dans l’existence des gens. La plupart du temps, les choses arrivent sans qu’on y pense, non ?
« Certainement », pensa Jackson. Et il croisa les bras pour éviter de l’embrasser « sans y penser ». Il s’était marié sans réfléchir à sa capacité à être un bon époux ; pour rien au monde il ne revivrait cet enfer.
Il avait grandi en sachant qu’il était différent des autres ; incapable de donner, de recevoir, d’éprouver des sentiments profonds. La valve qui contrôlait ces émotions s’était bloquée ; il n’était donc pas question qu’il aille de l’avant sans réfléchir.
— Vous êtes une délicieuse amie, Helena, une voisine charmante et une cuisinière hors pair. Savourons donc ensemble le menu paradisiaque que vous nous avez préparé. Ensuite, vous me montrerez vos œuvres.
Une heure plus tard, alors qu’elle poussait la porte de son bureau, Helena songea que très peu d’élus avaient pénétré dans son sanctuaire.
— Si j’avais su que j’aurais de la visite, j’aurais fait un peu de ménage !
Elle commençait à pousser les piles de paperasses encombrant le bureau mais Jackson l’arrêta d’un geste.0
— Un jour, je vous emmènerai visiter mon bureau de Boston, promit-il. Vous verrez que vous n’avez rien à m’envier. Ma secrétaire prétend qu’il vaut mieux s’encorder avant d’y entrer.
— D’accord ! Je n’essaierai pas de vous battre sur ce terrain. Etes-vous certain de vouloir voir ces livres ?
— Naturellement ! Je ne suis pas masochiste, vous savez, répliqua-t il d’une voix pleine d’intérêt.
Bien sûr, Jackson était un homme qui allait jusqu’au bout de ce qu’il entreprenait. Pas le genre à faire de vaines promesses. D’ailleurs, il devait faire très peu de promesses.
— Voici donc mon œuvre ! dit-elle en ouvrant les portes d’une vitrine en chêne.
Jackson émit un long sifflement.
— Vous devez écrire depuis longtemps.
Elle rit nerveusement. Brusquement, elle avait l’impression de se trouver pour la première fois nue devant un homme, avec ses défauts, et ses faiblesses.
— Ils n’ont pas tous été vendus, vous comprenez. Certains ont été imprimés pour mon propre usage, ou au profit d’œuvres de bienfaisance. Mais c’est vrai que mon père disait que j’étais née avec une cuillère et une poêle à la main. Ma mère est morte quand j’avais dix ans ; j’ai alors pris en charge la confection des repas. Je n’ai pas cessé depuis.
Jackson caressa le dos luisant des ouvrages.
— Puis-je les consulter ?
— Bien sûr ! Ils sont faits pour être lus.
Cependant, elle s’agita nerveusement tandis qu’il feuilletait religieusement les pages de son dernier ouvrage. Durant de longs instants, le silence emplit la pièce, uniquement troublé par le doux bruissement du papier. Enfin, Jackson leva les yeux.
— Formidable ! dit-il d’une voix remplie d’admiration. Helena, c’est bien plus qu’un recueil de recettes, même si je suis certain que les recettes en elles-mêmes en valent la peine. Ce livre fourmille de renseignements sur l’histoire du plat, le folklore local. Et ces illustrations sont de Ward Sheridan non ? J’ai vu des échantillons de son talent en ville.
— C’est un vrai artiste, n’est-ce pas ?
Jackson posa sur elle son pénétrant regard gris.
— Il n’est pas le seul. Je tiens entre les mains une véritable œuvre d’art !
Il prit un autre volume qu’il feuilleta à son tour.
— Dans celui-ci, un poème accompagne chaque recette. Vraiment, ce sont des ouvrages avec lesquels s’installer dans un bon fauteuil et lire pour le plaisir de lire. En plus d’avoir consigné vos délicieuses recettes dans ces pages, vous apportez un peu de vous-même dans la cuisine du lecteur…
Helena détourna la tête afin de dérober à sa vue les larmes qui brillaient dans ses yeux. Pour la plupart des gens, ces livres n’étaient que des recueils de recettes alors qu’elle avait mis dedans beaucoup d’elle-même, ainsi qu’il le soulignait. C’était dans l’élaboration de ces ouvrages qu’elle s’absorbait quand elle était trop triste ou trop heureuse ; à travers eux qu’elle déplorait ses échecs et célébrait ses succès. Personne ne l’avait compris jusqu’à maintenant et c’était un vrai soulagement que de partager ce savoir avec un autre être humain.
— Merci, dit-elle doucement.
Il rit légèrement, comme pour apaiser la tension émotionnelle du moment.
— De quoi donc, Helena ? D’avoir des yeux pour voir ?
Elle le regardait maintenant sans répondre. Et, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, elle se pencha vers lui et reçut sans surprise son baiser. La surprise, ce fut la flambée de désir qui l’accompagna.
— Helena…, murmura-t il en s’écartant.
Cependant, n’y pouvant tenir, il reprit sa bouche. Elle se pressa contre lui et noua ses bras à son cou. Les baisers de Jackson étaient exigeants, impérieux, enivrants.
— Viens plus près, pria-t il comme elle reprenait haleine.
Et elle se sentit balayée par une vague de sensations étourdissantes. Elle avait l’impression que les limites de son corps se distendaient et qu’elle devenait partie de Jackson. Et il y avait ce désir, aigu, exigeant, douloureux. Elle s’arracha à son baiser et posa ses lèvres sur son cou. Il la souleva, mordilla tablier et chemisier pour les écarter avec sa bouche, et ses lèvres caressèrent la peau tendre de la gorge.
Le contact du corps de Jackson contre le sien devenait une torture qui donnait à Helena l’envie d’abolir toute barrière entre eux. Et puis, au plus intime de leur étreinte, le bébé donna un coup de pied. Helena sursauta tandis que Jackson se figeait, les yeux exorbités. Puis son expression devint presque douloureuse. Il regarda son ventre comme s’il avait oublié qu’elle portait un enfant et commis un crime impardonnable. Finalement il s’écarta.
— J’ai perdu la tête, dit-il d’un ton d’excuse. Mais tu as deviné, j’imagine, que j’ai envie de toi depuis des jours. Je suppose aussi que nous sommes d’accord : ça n’aurait jamais dû se passer.
« Certainement », se disait Helena. A présent, elle le désirait encore plus.
— C’est vrai. Nous serions fous de recommencer.
— Cela ne se reproduira pas, promit-il. Tu as suffisamment de sujets de réflexion en ce moment ; faire l’amour avec un homme qui part dans une semaine et demie n’en fait probablement pas partie.
Comment répondre à cette question. ? Elle n’osait même pas songer à ce que ce serait de faire l’amour avec Jackson — ou de le voir partir.
Elle secoua la tête.
— Tu as raison. Laisse-moi te montrer le reste de mon travail.
— Bonne idée.
Cependant, le premier livre sur lequel Jackson tomba fut un exemplaire qu’elle aurait soustrait à sa vue si elle avait eu toute sa tête.0
— De l’usage des aphrodisiaques pour l’homme ordinaire ? lut-il en écarquillant les yeux.
Tout empourprée, Helena tendit la main vers le livre mais il recula d’un pas.
— Je veux lire.
— Rendez-le-moi !
— D’autres personnes l’ont eu entre les mains. Il a été publié que je sache !
— Vous êtes plus têtu qu’une mule !
— Je veux le consulter. Ça promet d’être un ouvrage essentiel ; demandez à n’importe quel homme.
Exactement ce dont ils avaient besoin…
— Je suis fière de ce livre, dit-elle, les yeux baissés.
— Vous le pouvez, Helena. Cela vous ennuierait-il si je… l’empruntais ?
La question, inattendue, apaisa brusquement les tensions d’Helena.
— Que comptez-vous en faire ?
Il eut un sourire si adorable que le cœur d’Helena sombra dans sa poitrine.
— Je suis simplement curieux de découvrir les touches personnelles que vous avez mises dans cet ouvrage.
— Je vous préviens : c’est plutôt clinique dit-elle avec un petit sourire.
Il rit.
— Il n’y a absolument rien de clinique chez vous !
Il lui tint la porte ouverte pour sortir de la pièce puis ils se dirigèrent vers l’entrée, le livre sur les aphrodisiaques dont le titre étincelait en lettres d’or serré dans la main de Jackson.
Helena avait toujours été fière de ce livre qui lui avait demandé beaucoup de recherches. Elle ne pouvait toutefois s’empêcher de se demander ce que ses frères penseraient en apprenant qu’il se trouvait désormais entre les mains de Jackson…

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 10:29 PM

chapitre 7

Plus question de rapprochement avec Jackson ! pensait Helena en passant l’aspirateur le lendemain matin. Leur étreinte l’avait laissée tremblante et sans force pendant des heures. De plus, son expression quand il avait senti bouger son enfant, un mélange d’ébahissement et de défiance suivie de regret, resterait à jamais gravée dans sa mémoire. Il avait un instant oublié son état mais quand le bébé s’était chargé de le lui rappeler, il avait reculé.
Et pourquoi pas ? murmura-t elle tout haut. A aucun moment, il n’avait dissimulé son profond attachement à sa liberté. Il s’était montré honnête, ce qui n’avait pas été le cas de tous les hommes qui avaient croisé sa route.
Alors pourquoi ressentait-elle une telle tristesse ?
Parce qu’elle était enceinte, bien sûr. Ses états d’âme étaient la conséquence de son bouleversement hormonal. Et puis parce que, l’espace d’un instant, elle s’était sentie belle, et non déformée par la grossesse. Et aussi parce que Jackson Castle était le seul qui se soit intéressé à son œuvre et lui manifeste de la compréhension.
Ce qui ne signifiait pas qu’elle soit prête à renoncer à ses projets de vie simple et paisible. Elle n’avait besoin que de son enfant et de son travail pour être heureuse.
— Je refuse de vivre un nouveau chagrin d’amour ! dit-elle avec véhémence. Et Jackson Castle est synonyme de chagrin d’amour. Il a embrassé des milliers de femmes, brisé des centaines de cœurs, et aucune n’était enceinte, à part sa femme !
Sa femme.
A quoi ressemblait-elle ? Peut-être que Lilah possédait de vieux magazines où elle apparaissait ?
Helena s’immobilisa et s’appuya sur le manche de l’aspirateur le temps de se ressaisir. Incroyable ! Voilà qu’elle se torturait l’esprit à propos du physique de l’ex-épouse de Jackson ! Oublierait-elle qu’elle-même, d’ici quelques jours, se retrouverait dans le rôle de l’ex-cuisinière, juste une femme de plus que Jackson aurait embrassée dans un fugitif moment d’égarement et abandonnée ensuite ?
On l’avait si souvent abandonnée…
« Pars donc. »
— Je ne peux pas…, murmura-t elle.
Il y avait à cela de multiples raisons. Outre le fait qu’elle tenait à tester ses talents auprès des invités de Jackson et à aider ses amis, elle se rendait compte que, tout riche qu’il était, Jackson conservait dans sa chair les séquelles des abandons qu’il avait vécus de la part de sa mère et de sa femme. Et puis, en dépit de ses difficultés à s’impliquer avec les gens, il ne songeait qu’à apporter du bien-être à la population de Sloane’s Cove. Comment ignorer tout cela ?
« Dans ce cas, reste et assume. »
Comme pour ponctuer ses pensées, Helena imprima à l’aspirateur une vigoureuse poussée avant de couper le moteur. Un énorme soupir sortit de sa poitrine et elle se frictionna les bras.
— Helena ? fit une voix angoissée.
Elle se retourna pour découvrir Jackson qui, du seuil de la pièce, considérait l’aspirateur avec effroi.
— Vous n’êtes pas blessée ?
— Non, répondit-elle en secouant la tête. C’est juste… que je savoure ma victoire sur la poussière, ajouta-t elle en essayant de sourire.
Tant qu’elle demeurerait légère, tout irait bien.
— Cet engin doit peser une tonne, dit Jackson.
— Arrêtez, je vous en prie.
— Vous voulez que j’arrête quoi ?
Il croisa les bras, s’accota au chambranle de la porte et l’observa, un paresseux sourire aux lèvres.
— Il faut toujours que vous preniez les choses en main ! Est-ce ainsi que vous procédez quand vos clients vous réclament une décoration criarde pour les murs de leur salle de bains et que vous avez décidé de leur donner une leçon de bon goût ?
— Vous avez découvert mon secret, murmura-t il.
— Facile. Vous êtes transparent !
— Vraiment ?
Pour se donner une contenance, Helena reprit l’aspirateur en main.
— Puisque vous êtes si forte à deviner mes pensées, dites-moi donc ce que j’ai en tête, demanda-t il d’une voix sensuelle.
— Vous pensez que nous devrions nous rendre en ville pour nous assurer que les photos d’Oliver ont bien été encadrées et vérifier que M. Winters a obtenu le podium et le matériel de sonorisation.
Jackson pencha la tête.
— Pas si mal. Je pensais effectivement me rendre en ville, mais plutôt à Ellsworth ou peut-être même à Bangor.
— Pour affaires ?
— Si on veut. Que pense votre médecin du fait que vous effectuiez des travaux fatigants ?
Le regard de Jackson était de nouveau rivé sur l’aspirateur.
— Il dit qu’il ne serait pas très sage que je creuse des fossés, répondit-elle en riant, mais que je peux accomplir toutes les tâches qu’accomplit normalement une femme en bonne santé. Je ne suis pas malade, Jackson !
— Vous devez accoucher bientôt.
— Je ne vous l’ai pas caché. Je suis à quinze jours du terme.
— Ne ressentez-vous aucun malaise ?
En sa présence, si, mais c’était délicat à expliquer.
Elle secoua la tête.
— Je pourrais encore faire le ménage de trois maisons sans être fatiguée.
Un pli de contrariété barra le front de Jackson.
— Vous n’envisagez pas de bouger des meubles ou de grimper sur une échelle pour nettoyer des carreaux ?
Elle lui adressa un sourire suave.
— Souhaitez-vous que je demande au Dr Vargas de vous appeler pour vous confirmer que je suis saine de corps et d’esprit ? Je ne vous cache rien, Jackson ; je suis en excellente santé.
— Vous n’avez probablement jamais trompé personne sauf vous-même.
— Je n’ai pas une âme de martyre, vous savez !
Sur un hochement de tête, il se retira, apparemment satisfait
Quelques heures plus tard, Helena découvrit les raisons de son déplacement. En entendant s’ouvrir la porte d’entrée, elle sortit de la cuisine et se trouva nez à nez avec John Nesbith qui poussait un aspirateur flambant neuf devant lui.
— Regardez ce que Jackson a acheté ! lui cria-t il. N’est-il pas magnifique ?
— Il est… très surprenant, répondit-elle en portant une main à sa bouche.
Pourquoi cet achat ? se demanda-t elle avec effarement. Il lui restait une semaine et demie de travail à accomplir dans cette maison ; que ferait-il ensuite de cet engin ?
— Jackson m’a demandé de l’accompagner, expliqua John, tout excité. Regardez ! Il en a choisi un avec une poignée inclinée pour que vous ne vous cogniez pas… enfin, là où vous êtes fragile en ce moment. Et il s’est assuré aussi qu’il n’allait pas trop vite et qu’il était muni de toutes les sécurités possibles et imaginables. Je n’ai jamais vu quelqu’un poser autant de questions à un vendeur ! Pour ça, on peut dire que Jackson sait ce qu’il veut.
Cependant, comme l’intéressé paraissait sur le seuil de la porte et dardait sur elle un regard brûlant, Helena ne put s’empêcher de se demander ce qu’il voulait vraiment.
Plus tard, cette nuit-là, allongée dans son lit, elle essayait de ne pas trop s’appesantir sur la question. Ce qu’il veut vraiment, se disait-elle c’est un travail bien fait, me ménager pour que je puisse aller jusqu’au bout de notre mission et partir dès qu’elle sera remplie.
Et elle, que voulait-elle ?
Elle voulait que les choses s’arrêtent avant d’être allées trop loin. Un point cependant lui tenait à cœur : il fallait que Jackson comprenne que sa femme était dans l’erreur. Jackson n’était pas un être insensible et froid comme il voulait le faire croire ; il était au contraire très émotif mais dissimulait ses sentiments par une sorte de pudeur. Pourtant, si l’on se montrait attentif, ils affleuraient sous la carapace.
Elle n’en voulait pour preuve que le geste qu’il venait de faire pour elle. Oui, c’était un homme bon, généreux, pensa-t elle en fermant les yeux. Et un homme dont elle ferait mieux de ne pas rêver cette nuit…
Elle glissa dans le sommeil et rêva de Jackson mais du moins une partie de ce rêve se révéla-t elle constructive. Au matin, si elle n’avait pas découvert le moyen de lui démontrer que sa femme s’était trompée sur son compte, elle avait du moins trouvé une façon de lui rendre, dans une moindre proportion, sa gentillesse.
— Quelle est cette mission secrète qui vous occupe, Helena ? Est-elle en rapport avec la cérémonie organisée en l’honneur d’Oliver ?
Elle secoua la tête et sourit.
— Pas vraiment. Merci de m’avoir laissée conduire.
— Puisque votre médecin le permet…
Elle détourna son attention de la route pour le dévisager.
— Vous l’avez appelé ?
Il lui sembla voir une légère coloration envahir la joue de Jackson, mais ses sens devaient l’abuser.
— Disons plutôt que je suis tombé par hasard sur lui en ville…
Si, il avait bien rougi.
— J’admets que ce soit un peu déplacé… Je voulais juste m’assurer que je ne vous en demandais pas trop.
— Vous voilà donc rassuré.
— Oui. Ce bon docteur m’a expliqué que vous aviez de l’énergie à revendre et qu’il ne fallait surtout pas vous contrarier. Je suppose qu’il me mettait en garde de vous causer le moindre désagrément. Apparemment, vos frères ne sont pas les seuls à s’inquiéter à votre sujet.
Elle haussa les épaules.
— Dans les petites villes, on se préoccupe plus facilement les uns des autres.
— Je crois plutôt que vous suscitez des sentiments protecteurs chez les gens.
Sur ce point, il se trompait. Beaucoup de personnes n’avaient pas réagi ainsi vis-à-vis d’elle ; elle se garda néanmoins de le souligner.
— Nous y sommes, annonça-t elle soudain.
Jackson examina le modeste cottage devant lequel ils s’étaient arrêtés et qui s’élevait, tout blanc, au bord d’une plage tapissée de galets.
— Cette maison a un air vaguement familier, murmura-t il.
— J’espérais bien qu’elle vous rappellerait quelque chose. J’ai mené une petite enquête auprès d’un ami qui possède une collection de livres d’or provenant de maisons de location de la région. Il semblerait qu’un certain Oliver Davis ait séjourné dans ce cottage quelques étés successifs. C’est peut-être ici que vous l’avez rencontré.
Jackson éclata de rire.
— Pas vraiment ! J’ai rencontré Oliver au milieu d’une foule venue assister au feu d’artifice du 4 Juillet. C’est là que j’ai essayé de lui faire les poches. Cependant, je m’en souviens à présent, il m’a amené ici pour négocier avec ma mère mon départ pour une pension anglaise.
En entendant le terme négocier, Helena sentit son cœur se serrer. Quelle mère digne de ce nom négocierait le départ de son enfant ?
— Nous n’aurions pas dû venir…, murmura-t elle.
Jackson lui prit le menton et tourna son visage vers le sien.
— J’en ai fini avec mon passé, Helena. Ma mère s’est désintéressée de moi avant même ma naissance. Le seul sentiment que ce lieu fait naître en moi est la gratitude d’avoir pu croiser la route d’Oliver.
Elle aurait aimé le croire…
— Tout va bien, Helena, je vous assure, insista-t il comme s’il lisait dans ses pensées. Je suis heureux d’être venu. Après tout, c’est ici que mon destin s’est joué.
Il se rappelait les scrupules d’Oliver se demandant s’il avait le droit de proposer à la mère de Jackson de lui donner une éducation à l’étranger. Il avait tort de se faire du souci. Sa mère avait été ravie de se décharger sur lui de la responsabilité de Jackson.0
Il ne l’avait jamais revue. Jamais elle n’avait tenté de prendre contact avec lui. Cependant, les douze années passées avec elle l’avaient marqué au fer rouge. Et les femmes qui lui reprochaient d’être incapable de donner ou de recevoir de l’amour rouvraient chaque fois d’insupportables blessures.
Cependant, il n’aurait pas eu le cœur de se plaindre. Il avait eu la chance d’échapper à une condition misérable, de se réaliser dans un métier qu’il aimait, et tant pis s’il était incapable d’envisager des relations durables. Il faut accepter ses faiblesses, se disait-il. En tout cas, Oliver avait eu le grand mérite de lui faire découvrir qu’il possédait des qualités.
Jackson prit une profonde inspiration en se remémorant le visage de l’homme qui croyait au sauvetage des enfants perdus. Il avait modifié le cours de quelques vies, ce dont peu d’hommes peuvent se vanter.
Jackson ramassa un coquillage à ses pieds et le contempla.
— Oliver aimait les coquillages, murmura-t il, j’avais presque oublié ce détail. Une fois, je suis allé le rejoindre en Floride ; nous faisions de longues marches sur la plage en ramassant des coquillages. C’était un adulte qui avait gardé son âme d’enfant. J’espère que tous ceux qui ont bénéficié de sa bonté ont de temps à autre une pensée pour lui mais je crains que la plupart d’entre nous ne soient trop anxieux de voir revenir le passé pour avoir envie de le ressusciter. En tout cas, merci de m’avoir amené ici, Helena. J’avais besoin de ce souvenir.
S’approchant, elle le dévisagea.
— Vous ne semblez pas particulièrement heureux, constata-
t-elle doucement.
Il se força à sourire.
— Je serais effectivement plus heureux si je n’avais aussi faim ! dit-il sur le ton de la plaisanterie.
Il avait touché le point juste.
— Voilà un problème que je peux facilement résoudre ! répliqua-t elle en souriant. Si vous voulez, je vais vous préparer…
— … Un philtre d’amour ?
Elle plissa le nez.
— Les aphrodisiaques ne sont pas des philtres d’amour. Leur but est de stimuler…
Devant son hésitation, le sourire de Jackson s’épanouit.
— N’en parlons plus et allons nous procurer de quoi manger !
— Nous pourrions acheter des huîtres, suggéra-t il, faisant allusion à un ingrédient qu’il avait vu mentionné dans son livre.
— Soupe de légumes et salade de fruits, dit-elle fermement.
— J’aime vous entendre parler nourriture !
Le soleil descendait dans le ciel quand Jackson raccrocha après avoir appelé Boston. Il était temps que ces petites vacances s’achèvent ; certains détails se réglaient difficilement par téléphone.
Devant le silence qui régnait dans la maison, il se demanda pourquoi Helena n’était pas encore rentrée. Sur son instance, elle était sortie prendre l’air mais ça ne lui ressemblait pas de s’attarder dehors si longtemps.
Il se dirigea vers la terrasse et, comme il scrutait la plage en contrebas, il l’aperçut à une centaine de mètres de là, sur le chemin qui longeait l’océan, ses chaussures à la main, ses longs cheveux voltigeant autour d’elle. Elle n’était pas seule. Un homme marchait à son côté ; un homme à la silhouette familière.
Barrett.
De sa position élevée, il les distinguait nettement mais eux devaient lever la tête pour l’apercevoir.
Cette vision produisit sur Jackson une impression de malaise. Tout en descendant les marches, il se persuada que c’était son sens de la responsabilité qui le faisait réagir ainsi.
Les pins tortueux s’élevant en contrebas les masquèrent à sa vue mais il entendait distinctement leurs voix.
— Vous m’avez manqué, Helena, disait Barrett.
— Comment serait-ce possible ? Nous nous connaissons à peine.
— Pas besoin de connaître les gens pour apprécier leur beauté. Je me suis trop laissé absorber par mon travail ces derniers temps. Quand je vous ai aperçue sur le chemin, je me suis dit que c’était mon jour de chance ! Vous contempler est un tel plaisir.
— Merci.
— Vous êtes si belle. J’aimerais avoir un aperçu plus complet de votre beauté.
Une flambée de colère souleva Jackson.
— Je… je ne comprends pas, murmura Helena.
— C’est pourtant simple…
La voix de Barrett s’était faite basse et suggestive. Sous l’effet de la fureur, Jackson serra les poings.
— Serait-ce une proposition, monsieur Richards ? demanda-
t-elle.
Il eut un rire déplaisant.
— Enfin un progrès ! Oui, c’est une proposition, Helena.
— Mais…, bredouilla-t elle, comme je vous le disais, nous nous connaissons à peine.
— Rien de plus simple que de faire connaissance !
Le sentier tournant, à présent, Jackson les apercevait.
— J’ai beaucoup entendu parler de vous depuis mon arrivée. On évoque vos talents culinaires, votre grand cœur. C’est fascinant. Vraiment j’aimerais en apprendre davantage sur votre compte.
La rage au cœur, Jackson alla à leur rencontre. Le bruit des cailloux crissant sous ses pieds attira l’attention d’Helena qui tourna la tête vers lui. Il lui adressa un bref signe mais sa cible était son compagnon. Il dut faire un violent effort sur lui-même pour ne pas revenir à la bonne vieille méthode qui consistait à cogner d’abord et discuter ensuite.
— Bonjour. Quelle surprise ! Je pensais que Mme Austin jouissait d’un moment de liberté mais je vois que tu la tiens plus occupée que je ne le pensais, dit Barrett avec un sourire chargé de sous-entendus.
Ignorant la remarque, Jackson regarda Helena. Souhaitait-elle qu’il reste ou qu’il parte ? Cependant, il ne pouvait l’abandonner à son sort quand elle ignorait à quel redoutable manipulateur elle avait affaire.0
C’est un été chargé, se *******a-t il de répondre à Barrett. Etes-vous fatiguée, Helena ?
Elle lui sourit.
— Un peu, admit-elle. J’ai marché plus longtemps que prévu. Désirez-vous rentrer ?
En réalité, il mourait d’envie de l’arracher à ce personnage malsain. Il eut la tentation de lui tendre la main mais se contint pour ne pas donner à Barrett des motifs supplémentaires de malveillance.
— Rentrons, dit-il.
Cependant, Helena réduisit ses efforts à néant. S’approchant, elle posa une main sur son bras.
— Au revoir, monsieur Richards.
Barrett rit sournoisement.
— Il faut toujours que tu sois le premier partout, n’est-ce pas, Jackson ?
Ce dernier le toisa d’un air hautain.
— N’ajoute rien que tu pourrais regretter, dit-il en serrant les poings.
Les sourcils de Barrett se froncèrent mais, très vite, il masqua son irritation derrière un éclat de rire.
— Voilà un défi que je pourrais avoir envie de relever ! Quoi qu’il en soit, nous nous retrouverons, Jackson, c’est sûr. A très bientôt, Helena.
Durant le trajet, Jackson demeura silencieux. Une fois dans la cuisine, il présenta une chaise à Helena et lui fit signe de s’asseoir. Fait exceptionnel, elle obéit sans protester. Lui-même prit alors un siège tout en réfléchissant à la meilleure façon d’aborder le sujet épineux de Barrett.
— Quelque chose vous préoccupe ? demanda-t elle en posant une main sur son genou. J’ai l’impression que Barrett vous déplaît encore plus que je ne le supposais.
— Il sait se monter charmant, dit Jackson en détournant la tête pour ne pas croiser son regard.
— Je l’imagine.
— Vous pourriez être tentée de mieux le connaître. Les femmes le trouvent beau, on me l’a souvent répété.
— Ça ne m’étonne pas.
Jackson se retourna brusquement.
— Je vais sans doute vous paraître grossier mais il faut que je sache : envisagez-vous de le revoir ?
Elle se redressa et le considéra avec hauteur.
— Ecoutez, Jackson, mes frères ont échoué à réglementer ma vie et si j’ai commis des erreurs, du moins m’incombent-
elles entièrement. Je vous ai permis de vous mêler de mes affaires parce que je sais que mon état vous préoccupe mais… Enfin, il n’y a rien entre Barrett et moi, Jackson. Par ailleurs, je n’ai aucune raison d’entrer dans cette guerre que vous vous menez.
— Sur le principe, je suis d’accord avec vous. Je n’ai pas à m’immiscer dans vos affaires. Seulement, d’un autre côté, je n’ai pas le droit de me taire. Il est marié, Helena.
Les yeux de la jeune femme s’écarquillèrent.
— Je n’insinuais rien à votre sujet, Helena.
Elle secoua la tête.
— Je sais. Vous vous faites du souci pour moi mais il ne faut pas. Je vais sans doute vous paraître naïve mais jamais je n’aurais deviné qu’il n’était pas libre. Mon mari est tombé amoureux alors que nous étions mariés mais il n’a jamais courtisé son amie au vu et au su de tous.
Son mari. Le père de l’enfant qu’elle portait.
Elle dut deviner sa tristesse car elle ajouta :
— Je vous l’ai déjà dit, Jackson, nous ne nous aimions pas d’amour. Et Barrett ne peut me causer aucun tort. Ni maintenant ni avant que je sache la vérité. Je vous le répète, je ne suis pas en quête d’amour. Ne vous inquiétez pas. Barrett Richards ne parviendra pas à ses fins avec moi.
« Et peut-être qu’aucun autre non plus », pensa Jackson. Il n’empêchait que les yeux de la jeune femme, son doux corps et son cœur tendre pouvaient affoler un homme et le garder éveillé tout au long de longues nuits d’insomnie à combattre des fantasmes interdits…0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 06-10-08 11:03 PM

ÇáÑÏæÏ ÇáÑÏæÏ ÇáÑÏæÏ....

tita2007 17-10-08 12:23 PM

formidable
j'attend la fin
merci

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 23-10-08 01:38 PM

ÈÇáØÈÚ æÞÑíÈÇ

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:44 PM

chapitre 8

Deux jours plus tard, alors qu’il allait prendre son café, Jackson découvrit dans sa cuisine Helena en grande conversation avec un jeune homme au physique avenant.
A son entrée, celui-ci se leva et lui tendit la main.
— Bonjour, monsieur Castle. Je me présente : Eric Ryan, un ami d’enfance d’Helena et de ses frères.
Un nouveau prétendant, évidemment.
Jackson hasarda un regard en direction d’Helena mais elle n’affichait pas cette expression de lassitude agacée qu’elle prenait habituellement dans ces circonstances. Au contraire, elle arborait un lumineux sourire. La visite du dénommé Eric semblait lui causer le plus grand plaisir.
Grand bien lui fasse. Après l’épisode avec Barrett, il s’était juré de ne plus intervenir dans sa vie privée.
— C’est un plaisir de vous rencontrer, disait Eric. Vous apportez en ville une animation bienvenue. J’ai fait plus de sorties en mer cette semaine que pendant un mois de juin normal.
— Eric travaille pour une compagnie qui organise des expéditions d’observation des baleines, mais il construit également des maquettes de bateaux, expliqua fièrement Helena.
— Disons plutôt que j’essaie de construire des bateaux quand j’en ai le temps.
— Un jour, tu seras connu, promit-elle.
L’inflexion si tendre de sa voix arracha à Jackson un soubresaut de souffrance. Il se domina pourtant. Outre qu’il était toujours à la recherche de nouveaux talents, il tenait à s’assurer que cet Eric était aussi convenable qu’il y paraissait. Helena pouvait bien crier sur les toits qu’elle ne voulait pas d’homme, il y avait tout à parier qu’elle était amoureuse de celui-ci.
— J’aimerais voir votre travail, dit-il.
— Vous seriez impressionné, dit Helena. Eric est un artiste-
né, croyez-moi. Quand nous étions enfants, Eric, mes frères, Lilah et moi construisions des maisons avec tout ce qui nous tombait sous la main. Et Eric nous battait toujours à plates coutures.
— C’est nouveau ! s’exclama Eric en riant. Tu te déclarais toujours gagnante d’autorité !
— Je n’allais pas me laisser battre par un garçon ! Quoi qu’il en soit, il faut que tu soumettes ton travail à Jackson. Je reconnais avoir tendance à me montrer partiale.
Elle avait aussi tendance à laisser son regard exprimer ses sentiments, pensa Jackson, observant l’éclat de ses yeux.
— Je suis également de parti pris quand mes meilleurs amis sont concernés, dit Eric.
Il se leva.
— Si tu permets, je vais me retirer. Merci pour le café, ajouta-t il à l’intention d’Helena et de Jackson.
Ce dernier hocha la tête, sans cesser d’observer le personnage.
— Heureux d’avoir fait votre connaissance, Eric. Et n’oubliez pas que je tiens à voir vos œuvres.
Eric parut gêné.
— Il ne faut pas vous sentir obligé parce que je suis un ami d’Helena. Je ne suis pas venu pour ça.
« Ça, on s’en doute » ! pensa cyniquement Jackson.
— Je sais que vous n’êtes pas venu parler bateaux, Eric.
Les joues du jeune homme se couvrirent d’une légère rougeur. Il se tourna vers Helena.
— Au sujet de…
— Oublions ça.
— Amis toujours ?
— Toujours !
Le sourire qui naquit sur les lèvres d’Eric rivalisait avec l’éclat du soleil matinal.
Après son départ, le silence s’installa dans la cuisine, uniquement rompu par le tic-tac de l’horloge murale.
— Il est venu demander votre main, dit enfin Jackson.
— Nous sommes amis d’enfance.
— Vous allez épouser votre ami d’enfance ?
Elle secoua la tête avec véhémence.
— Bien sûr que non ! Je vous ai déjà expliqué que je ne désirais pas me marier.
Bien sûr, sauf qu’il y avait cette flamme dans son regard…
Et puis cet Eric semblait tout à fait correct. Le genre d’homme qu’elle méritait. Solide, équilibré ; quelqu’un sur qui elle pourrait compter.
— Il se peut que vous changiez d’avis avec le temps.
Helena repoussa la suggestion d’un geste agacé.
— Ce qui m’intéresse, c’est qu’Eric puisse réaliser ses rêves. Depuis des années, il consacre la majeure partie de ses revenus à l’entretien de ses vieux parents. Il n’a jamais pu aller jusqu’au bout de ses ambitions mais il est réellement bourré de talent, Jackson. Si vous appréciiez son travail, il pourrait faire partie des élus.
Pour la première fois, Jackson prit conscience qu’il pourrait bien lui aussi se montrer partial. Eric lui déplaisait mais il se rendait compte que c’était de la jalousie pure, parce qu’il plaisait à Helena. Cette dernière changerait d’avis quand le bébé serait né. Il désirait par-dessus tout l’aider mais elle n’avait besoin de rien de ce qu’il pouvait lui offrir. Cependant, il pouvait accomplir un geste pour elle : aider celui qui partagerait peut-être sa vie un jour.
— Je verrai son travail, promit-il. Et pourquoi ne pas ajouter un quatrième bénéficiaire à la liste ?
Helena le dévisagea.
— Vous faites ça pour moi.
— J’ai confiance en votre jugement.
— Vous aussi éprouvez ce besoin de protection vis-à-vis des femmes, dit-elle brusquement. Vous commencez à me rappeler mes frères.
— C’est plutôt flatteur.
— Vous ne diriez pas ça si vous aviez entendu Thomas au téléphone hier, hors de lui parce qu’on vous avait vu sortir de chez moi, mon livre sur les aphrodisiaques à la main !
— Il vous a donc également appelé. Qu’avez-vous répondu ?
— Que nous nous livrions à de monstrueuses orgies, mentit-elle. Et vous ?
— Que vous m’aviez attaché aux montants du lit pour me forcer à boire vos potions.
— On peut dire que vous savez parler à mes frères !
— Et vous, que vous savez faire dévier une conversation ! Cela signifie-t il que vous ne souhaitez pas que j’apporte mon soutien à votre ami ?
— Ce n’est pas ça…
A la vérité, elle ne voulait pas qu’il se sente tenu de le faire pour elle. Il était déjà bien assez enclin à endosser la responsabilité des maux de la terre entière ! Il éprouvait des remords de l’avoir laissée seule face à Barrett, il culpabilisait de ce que ses relations avec sa femme se soient dégradées et il se sentait aussi mystérieusement responsable du fait que son mari soit tombé amoureux d’une autre…
— Vous ne me devez rien, Jackson. J’assume les erreurs que j’ai pu commettre dans ma vie. Toutes vos gentillesses ne changeront rien au passé.
— Ce n’est pas mon intention, se défendit-il.
Une idée traversa l’esprit d’Helena.
— Votre femme…
— Ne vous engagez pas sur cette voie, répliqua-t il. Mon ex-femme n’a rien à voir avec tout cela. Je ne répète pas l’histoire, Helena ; je n’essaie pas de me laver près de vous des fautes commises avec une autre. Jeanne ne vous ressemblait en rien. Et l’histoire est très simple. Je l’ai remarquée parce que c’était une adorable petite chose, presque comme on s’entiche d’une œuvre d’art. Et, en l’épousant, je l’ai privée de la part de bonheur à laquelle elle avait droit.
— Elle a donc cherché ailleurs. Ce n’était pas bien, Jackson. Du moins pas tant qu’elle était mariée à vous.
Et puis soudain, elle eut une illumination.
— Barrett…
Il acquiesça d’un signe de tête.
— Barrett sait se montrer convaincant. Elle désirait un enfant ; Barrett le lui a donné. Au début, j’ignorais qu’il était le sien, ajouta-t il d’une voix assourdie. Voyez-vous, Helena, un autre a donné à ma femme ce que je ne voulais pas lui donner. Je ne suis pas impulsif. Quand on obtient quelque chose de moi, c’est parce que j’ai examiné toutes les possibilités et pris une décision rationnelle. Comprenez-vous ?
Elle fit signe que oui bien que ce soit faux. Elle comprenait juste que Jackson s’imaginait qu’il n’avait rien à offrir à une femme et qu’il vivait dans la culpabilité d’avoir privé son épouse d’un bien élémentaire. Au fond, il se comportait comme son mari. Peter lui avait donné un enfant parce qu’il se sentait coupable d’aimer une autre femme.
— Je comprends, dit-elle d’une voix légèrement tremblante.
Alors, avec un gémissement, Jackson l’attira à lui. Enfouissant ses doigts dans ses cheveux, il écrasa sa bouche sous la sienne. Helena s’offrit entièrement à son baiser. Il était peut-être le produit de la culpabilité de Jackson, mais c’était tout ce qu’elle aurait jamais de lui.
Elle referma ses bras sur son cou et se pressa contre lui et, tandis que le baiser se faisait plus intime, les mains de Jackson partirent à l’exploration de son dos, de ses hanches, de ses seins. Elle respirait avec délices sa bonne odeur d’homme sain, caressait sa joue fraîchement rasée…
Et soudain, on frappa au carreau.
Avec un juron étouffé, Jackson la lâcha. Se retournant, ils virent Alma qui les épiait par la fenêtre.
Avec un soupir, Helena ferma les yeux.
— Prépare-toi aux représailles.
— Alma est bavarde, c’est ça ?
— Bien vu. Que crois-tu que ça donnera ?
— Un fusil pointé dans mon dos ?
— Je te protégerai, murmura Helena en lui tapotant la joue.
— J’y compte bien.
En riant, ils firent entrer Alma. C’était la première fois qu’ils prenaient la situation à la légère et c’était la seule attitude possible. Ce baiser ne devait pas compter. Bientôt, ils se sépareraient et elle ne voulait ni regrets ni souvenirs superflus.
*
* *
Jackson considéra le bout de chiffon qu’il venait d’acheter avec le sentiment d’être un idiot. Il lui avait été bien égal qu’Alma le surprenne la veille embrassant Helena mais cet achat était différent. Ce n’était pas le genre de cadeau qu’un homme offre à une femme. Qu’est-ce qui lui était passé par la tête quand il était entré dans cette boutique de Bar Harbor ?
Mais la réponse, il la connaissait : Helena avait un faible pour les tabliers. Et celui-ci semblait fait pour elle. Coupé dans un tissu blanc, très fin, il était souligné de dentelle et un semis de roses brodées ornait la bavette. Bref, un tablier inutilisable à des fins pratiques.
Il le lui offrit la porte franchie.
— Il est adorable, Jackson ! s’exclama-t elle. Merci, merci beaucoup ! Aide-moi à le passer, veux-tu ? ajouta-t elle en dénouant les cordons de son raisonnable tablier de toile.
Jackson l’ajusta sur elle, tapotant les plis disgracieux pour les faire disparaître. C’était une grisante sensation que de transgresser par ce biais l’interdiction de la toucher. Il glissait les bras de chaque côté de sa taille pour attacher le tablier quand on frappa à la porte.
— Ça devient une habitude d’être surpris en méchante posture, murmura-t il en posant un rapide baiser dans ses cheveux.
Elle fronça les sourcils.
— Nous ne faisions rien de mal ! Tu nouais juste les cordons de mon tablier.
Jackson ne put retenir un sourire.
— Tu es sûre qu’il ne s’agissait que de ça ? Persuade-t’en bien pour l’expliquer à tes frères ! dit-il comme Hank pénétrait sans y être invité, Bill, Thomas et Frank dans son sillage suivis de Lilah.
— Aucun de vous ne travaille donc ? fit remarquer Helena.
— Nous ne nous mettons pas à l’ouvrage dès l’aube, comme toi, répliqua Bill. Ça nous laisse le temps de rendre des visites.
Helena haussa les sourcils.
— Te voilà donc devenu matinal, Bill ? Dire que quand nous étions enfants, je devais régulièrement te secouer pour te réveiller !
En riant, Lilah donna un coup de coude à son aîné.
— Bien fait, Bill ! Tu sais, Helena, je suis juste venue te soutenir moralement. Normal entre jumelles.
Frank adressa un regard d’avertissement à Lilah.
— Nous n’avons pas à justifier notre venue, Helena. Pas après avoir entendu raconter que Jackson t’embrassait dans cette même cuisine hier.
— Pas possible ! fit Helena, ouvrant de grands yeux.
— D’après Alma, la scène était plutôt torride, intervint Thomas.
— Elle ne voulait pas te causer d’ennuis, dit très vite Lilah. C’est juste que… enfin, tu la connais. Elle était tout excitée.
Helena sourit.
— Je connais Alma. Je vous attendais.
— Alors, qu’as-tu à dire pour ta défense ? Tu connais pourtant sa réputation, dit Thomas, désignant Jackson de la tête.
— J’en connais bien plus sur son compte ! déclara Helena avec flamme.
Et Jackson sut qu’elle allait le défendre. Elle ne pouvait pas plus s’en empêcher que de respirer.
Doucement, il vint se placer devant elle.
— Si vous avez à vous plaindre de la façon dont je traite votre sœur, adressez-vous à moi.
— Entièrement d’accord, rétorqua froidement Bill.
— Excusez-moi, dit Helena, tapant sur l’épaule de Jackson pour essayer de s’immiscer dans le cercle.
Cependant, son attention rivée sur ses frères, il ne bougea pas d’un pouce.
— J’ai embrassé votre sœur hier, concéda-t il. Et je ne le regrette pas du tout. Helena est une fille à tout point de vue adorable. Elle me plaît beaucoup.
Il sentit Helena s’agiter dans son dos.
— Notre sœur vous intéresserait-elle ? demanda Frank.
— Si vous voulez savoir si nous allons nous marier, je crains que la réponse soit négative. Ce que je veux dire, c’est que j’admire et respecte Helena plus qu’aucune autre, tant sur un plan personnel que professionnel. Je suis ravi d’avoir eu l’occasion de faire sa connaissance et reconnais l’avoir passionnément embrassée. Cependant, je l’estime assez grande pour n’avoir pas à se justifier de ses actes. Est-ce clair ?
Les quatre frères échangèrent des regards indécis. Impatiente d’intervenir dans la discussion, Helena poussa Jackson.
— Ecoutez, je vous aime beaucoup mais vraiment, cette fois, vous allez trop loin. Est-ce que je vous ai épiés pour savoir qui vous embrassiez ? Et pourtant, avant votre mariage, vous n’aviez pas la réputation d’être des enfants de chœur ! Qu’auriez-vous pensé si je vous avais mis sur le gril chaque fois que vous approchiez une femme ?
— C’est différent, déclara Hank, croisant les bras.
— Ah oui ? Et pourquoi ?
— Enfin, Helena, tu es notre petite sœur et tu es enceinte ; nous avons le devoir de te protéger, intervint Thomas.
— Il serait temps que tu admettes que je suis adulte, Thomas. Une adulte avec des sentiments et un besoin d’intimité. Il faut me laisser tranquille maintenant. Et ne m’envoyez plus de prétendants ! Avec vos manigances, vous avez failli détruire mon amitié avec Eric. Il faut que ça cesse !
Frank ouvrit la bouche mais Helena le fit taire d’un geste.
— Et Jackson n’a aucune raison de s’excuser non plus. Je… j’avais envie qu’il m’embrasse, voilà ! Et si je désirais qu’il recommence, là, en face de vous, je ne me gênerais pas pour le lui demander. J’espère alors que vous comprendriez que vous n’avez pas à intervenir dans mes affaires.
Debout au milieu de ce royaume dont elle était la reine, elle était superbe dans son indignation. Son menton levé dans un geste de défi, elle affrontait pour lui ses frères et, devant tant de hardiesse, Jackson ne put s’empêcher de se pencher vers elle et lui chuchoter à l’oreille :
— Veux-tu ?
Elle se retourna, amenant son visage tout près du sien.
— Quoi ?
— Veux-tu m’embrasser ? répéta-t il assez fort pour que tout le monde entende.
Elle réclamait son indépendance ; il ne pouvait faire autrement que de l’aider à la conquérir. Surtout quand elle l’affolait en agitant ses lèvres tout près des siennes.
— Est-ce que je veux t’embrasser ? répéta-t elle d’un ton pensif.
Il se rangeait à son côté dans sa guerre d’indépendance. Elle lui sourit.
— En fait, oui, j’ai très envie de t’embrasser.
Et, se soulevant sur la pointe des pieds, elle glissa un bras autour de son cou. Comme elle pressait ses lèvres sur les siennes, il savoura avec un infini bonheur ce qui serait un de ses derniers contacts avec Helena.
Elle s’arracha à son étreinte, trop tôt, plongea dans le sien son regard tout embrumé et lui sourit avant de se tourner vers ses frères qui regardaient le sol d’un air embarrassé, en se dandinant.
— Helena…, fit Thomas d’une voix incertaine.
— Laisse-la tranquille, Tom, dit Hank. Elle est effectivement adulte et plus têtue que jamais.
— Vous voyez, ce n’était pas si terrible, dit-elle d’un ton léger.
Et comme Jackson retenait un grognement de frustration, il aurait juré entendre les quatre frères rire sous cape

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:46 PM

chapitre 9
Heureusement qu’elle avait un repas à préparer pour la réception du soir, se disait Helena. Sinon, elle aurait passé tout son temps à se repasser le film du moment où Jackson lui avait demandé si elle voulait l’embrasser. Bien sûr qu’elle voulait l’embrasser ! Mais elle désirait aussi bien davantage. Elle désirait qu’il la prenne dans ses bras et lui fasse l’amour.
A cette pensée, elle tressaillit et faillit laisser échapper la coupe de cristal qu’elle s’apprêtait à poser sur la table.
— Ça suffit, Helena ! se morigéna-t elle. Intéresse-toi donc à ta cuisine. C’est tout ce qu’on te demande !
Oui, le travail était l’unique raison de sa présence dans cette maison. A ce sujet, il ne restait plus qu’à espérer que les projets de Jackson suivraient le schéma prévu car, à de petits détails comme des pincements dans le bas des reins, elle sentait l’heure de l’accouchement approcher.
Si elle attendait avec impatience le moment de tenir son enfant dans ses bras, elle souhaitait aussi mener à bien la tâche que Jackson et elle avaient entreprise. Et quand tout serait terminé, elle se retrouverait seule avec son enfant. C’était bien ce qu’elle voulait, non ?
La question la poursuivait encore quelques heures plus tard alors que la sonnette de la porte d’entrée carillonnait sans répit. Jackson, en costume sombre, accueillait avec le sourire ses invités. Tout en poussant la desserte roulante sur laquelle elle avait disposé les entrées vers la salle à manger, Helena espérait ne pas paraître trop empotée dans sa robe rose.
— Laisse ça, Helena, je m’en charge, dit Jackson, lui prenant des mains le plat qu’elle s’apprêtait à poser sur la table. Tes amis ont envie de te voir. Viens t’asseoir.
Il la guida vers le fauteuil le plus confortable de la pièce, étouffa ses protestations d’un doigt sur ses lèvres, arrangea le col de sa robe et enfin repoussa une mèche de cheveux blond ardent qui glissait le long de sa joue.
— Assieds-toi, je t’en prie, murmura-t il.
Regardant autour d’elle, Helena fut très surprise de découvrir un nombre de gens plus important que prévu. Il y avait Eric, bien sûr, et Sharon Leggit, Hugh et Marie Brannigan, John Nesbith, mais également des enfants dont elle avait mentionné les mérites à Jackson et qui étaient venus accompagnés de leurs parents. Il y avait également Ellen Hilson qui s’occupait des chiens perdus, June Sorenson qui, à la mort de son époux, avait, à l’âge de soixante ans, décidé de passer son baccalauréat, Betty Rice qui contribuait de son propre chef à la décoration florale de Main Street, et puis Elliott Woodford, et Abe et Alma. Jackson avait évidemment lancé des invitations derrière son dos.
— Ce sont tous tes amis, lui chuchota-t il à l’oreille. Et ta famille, ajouta-t il comme Eric introduisait ses frères et Lilah.
Elle lui jeta un regard consterné.
— Cette soirée devait te permettre de désigner les bénéficiaires de ta fondation, dit-elle d’un ton de reproche.
— A l’origine, oui. Mais après une petite discussion avec Lilah, j’ai décidé de changer mes plans.
— Et s’il n’y a pas assez de nourriture ?
— Allons, tu cuisines depuis ce matin ! Et puis Lilah et Alma ont apporté des gâteaux. Rassure-toi, tout ira bien.
Jackson paraissait très ******* de lui-même tandis qu’Helena éprouvait un certain embarras.
A ce moment-là, Alma sortit d’un sac un morceau de tissu qu’elle tendit à Jackson. Après être allé se munir d’un marteau et de clous, avec l’aide de Bill, il accrocha la banderole au-dessus du passage séparant la salle de séjour de la cuisine. « Tous nos vœux de bonheur à Helena et à son bébé », disait-
elle. Et puis des paquets jaillirent dans toutes les mains. Bouche bée, la jeune femme dévisageait Jackson.
— J’ai pensé que, occupée comme tu l’étais, tu n’avais peut-être pas eu le temps de rassembler ce dont tu avais besoin, confessa-t il. Et puis, c’était tout simplement l’occasion pour tous ceux qui t’aiment de te le prouver, ajouta-t il d’une voix grave et chaude.
Sur ces mots, il lui prit la main et en baisa doucement la paume. Profondément troublée, Helena referma sa main comme pour garder à tout jamais le souvenir de ce baiser.
— Merci…, balbutia-t elle.
Jackson recula afin de permettre à ses amis d’approcher. Une chaude reconnaissance emplissait le cœur d’Helena. Bien qu’il ait toutes les raisons de se sentir mal à l’aise quand il s’agissait de bébés, il avait organisé cette petite fête en son honneur.
Des paquets qu’on lui tendait, elle sortait d’adorables vêtements de poupées, de mignons petits jouets, lorsque la sonnerie de la porte d’entrée résonna. Quelques instants plus tard, Alma revenait avec Barrett.
— J’ai ouï-dire qu’on donnait une réception ici, dit-il.
Il paraissait incroyablement sophistiqué et déplacé au milieu des affaires de bébé. Une chose était sûre, Jackson ne l’avait pas convié à la fête. Encore une fois, Barrett se permettait d’envahir son territoire. Non seulement il n’éprouvait aucun remords de ses actions passées mais encore, il était prêt à recommencer.
— Il ne s’agit pas d’une réception, dit fermement Helena mais d’une réunion entre amis intimes.
Sans paraître le moins du monde dérouté, il s’approcha.
— Je vous ai apporté un cadeau. J’espère que vous apprécierez, ajouta-t il d’un ton confidentiel.
Helena fronça les sourcils.
— Ce ne sont pas des façons de faire ainsi irruption chez les gens ! Vous auriez dû téléphoner…
L’assistance, qui ignorait à quel personnage elle avait affaire, dévisagea Helena avec stupeur. Quant à Jackson, elle crut le voir sourire. Ce qui paraissait peu probable quand celui qui l’avait tant fait souffrir s’imposait chez lui.
Submergée par la colère, elle se leva brusquement.
— Des excuses à Jackson s’imposent, monsieur Richards !
Tout d’abord, Barrett parut surpris ; une légère rougeur couvrit ses joues puis il prit l’air buté d’un enfant qui refuse d’avouer sa faute alors qu’on vient de le prendre sur le fait.
Et soudain, la pitié s’empara d’Helena. Il avait été autrefois un petit enfant plein de promesses, comme tous les enfants du monde. Quel terrible enchaînement d’événements avait donc transformé l’être innocent en ce monstre d’égoïsme ?
A travers la pièce, elle chercha le regard de Jackson. Avec un sourire, il s’approcha.
— Si tu ouvrais le paquet de Barrett, suggéra-t il. Tes amis sont curieux d’en découvrir le contenu.
Helena hocha la tête. Inutile de gâcher la fête à cause de ce triste individu. Elle lui prit le paquet des mains et le déballa. Il contenait une assiette de bébé décorée de filets d’or.
— Un peu de beauté pour l’enfant d’une beauté ! commenta l’incorrigible Barrett.
Avec satisfaction, Helena constata que, malgré tout, il avait perdu un peu de sa superbe. Il voulut lui prendre la main mais elle esquiva en ramassant le papier d’emballage.
Encore une fois, elle crut surprendre une lueur de gaieté dans le regard de Jackson.
— J’espère que son utilisation me rappellera à votre souvenir.
A présent, Helena hésitait entre le rire et les larmes. Comment la femme de Jackson avait-elle pu lui préférer ce pantin prétentieux ?
La réponse était tristement limpide ; son mari ne l’aimait pas. Elle avait dû espérer puis désespérer en comprenant qu’elle n’obtiendrait jamais son amour. Alors, elle s’était tournée vers un autre. Qui pourrait lui jeter la pierre ?
« Moi ! » se révolta Helena. Une femme qui aimerait sincèrement Jackson ne pourrait s’en détourner au profit d’un individu aussi méprisable que Barrett.
— Vous plaît-elle, ma chère ? demandait Barrett d’un ton légèrement anxieux. Que vous a offert Jackson ?
Elle se rappela que si Oliver avait porté très haut Jackson dans son estime, il n’appréciait pas Barrett, et imagina le malaise qu’on pouvait ressentir à essayer de rivaliser avec quelqu’un qui vous est infiniment supérieur.
Ce qui n’excusait nullement le comportement de Barrett.
Elle regarda Jackson et lui sourit.
— Il m’a offert cette soirée, dit-elle d’un ton très doux. J’apprécie votre cadeau, Barrett, ajouta-t elle poliment.
Quelques heures plus tard, après que Jackson eut raccompagné le dernier invité, il se tourna vers Helena.
— Vous avez géré la situation avec beaucoup de tact, madame Austin, dit-il en posant les mains sur ses épaules.
— Pour être honnête, j’avoue regretter un peu ma sortie contre Barrett. Ce doit être humiliant pour lui de savoir qu’il ne t’arrivera jamais à la cheville…
— Merci pour le compliment, murmura-t il d’une voix légèrement assourdie.
Il glissa ses doigts dans la masse de ses cheveux et entreprit de lui caresser doucement la tête, lui arrachant un ronronnement de satisfaction.
— Tu sais, Jackson, j’ai l’impression que tu n’as aucune idée de la manière dont ton entourage te perçoit, murmura-t elle.
— Si tu me l’expliquais pendant que je m’occupe de ton cas ? demanda-t il en posant un baiser sur ses cheveux.
Helena avala la boule qui obstruait sa gorge.
— Eh bien, parvint-elle à dire, les gens te respectent. Ils savent que tu es un être responsable, intègre, humain et juste. Barrett n’est rien de tout cela. C’est une version imparfaite de toi-même et je suis sûre qu’il le sait. C’est triste, non ?
Sa voix chavira. Le corps de Jackson, tout proche, ses caresses, semblaient l’inviter à se nicher contre lui.
— Tu…tu n’en es pas convaincu ?
— Songe que tu me parles de mon ennemi juré, dit-il avec une indifférence teintée d’humour.
— Tu n’as rien à craindre de lui.
— Tout me porte à croire le contraire. Ma femme, vois-tu, ne partageait pas ton opinion sur le personnage.
Durant quelques instants, Helena chercha ses mots. Enfin, elle releva la tête et regarda Jackson droit dans les yeux.
— Ecoute, je ne voudrais pas te faire de peine mais je pense que ta femme s’est conduite comme une sotte. Moi, à sa place…
Les doigts de Jackson se figèrent puis il la prit par les épaules.
— Qu’aurais-tu fait à sa place, Helena ?
Ces mots atteignirent la jeune femme en plein cœur. A quoi bon ? Elle ne serait jamais sa femme.
Elle secoua lentement la tête.
— Oublions ça. Je ne suis pas ta femme et n’ai aucun droit pour juger. Il faut que je rentre, ajouta-t elle en se massant les reins.
— Helena ? murmura-t il d’une voix tendue.
Elle esquissa une grimace.
— Que se passe-t il ?
— J’ai mal au dos. Ça s’est produit à plusieurs reprises ces derniers jours. De fausses alertes, mais cette fois la douleur persiste.
Il prit son visage dans ses mains et la força à le regarder.
— Qu’est-ce que ça signifie ?
— Je pense que… que je devrais me rendre à l’hôpital.
— J’appelle Lilah et je t’y conduis.
Helena eut un geste de dénégation.
— Inutile. Elle est partie pour Portland et ne reviendra que demain après-midi.
Il la considéra avec une inquiétude qu’il s’efforçait de masquer.
— Nous nous débrouillerons sans elle, assura-t il.
Helena eut un timide sourire.
— Bien des femmes accouchent sans quelqu’un à leur côté pour leur tenir la main.
— Ce ne sera pas ton cas. Je ne connais rien à la question mais je resterai près de toi, promit-il. Concentre-toi sur ce qui t’arrive ; je m’occupe du reste.
Et, glissant un bras autour de sa taille, il la soutint jusqu’à la voiture.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:47 PM

chapitre 10

Les mains crispées sur le volant, Jackson roulait trop vite, mais pas encore assez vite à son gré. Helena allait avoir son bébé et il était la seule personne sur qui elle puisse compter.
— Comment te sens-tu ? demanda-t il en lui jetant un coup d’œil.
Elle tenta de sourire mais un cri de souffrance lui échappa.
— Tu as mal ! constata-t il en appuyant sur l’accélérateur.
— C’est normal, parvint-elle à articuler.
Cependant, quand il la regarda de nouveau, il vit qu’elle avait les yeux clos. Elle souffrait et il enrageait de se sentir inutile.
Comment soulager la douleur d’autrui ? Lui-même avait souffert, oh ! pas comme Helena. Mais dans sa jeunesse, il avait reçu des coups de couteau et sa mère l’avait corrigé à plusieurs reprises et puis Barrett et lui s’étaient sauvagement battus. Dans ces cas-là, qu’est-ce qui marche ? Penser à autre chose.
Helena exhala une nouvelle plainte. Si seulement il s’était renseigné auprès de Lilah sur ces fameux exercices de respiration. Mais, comme un idiot, il avait préféré ne pas penser à cet instant.
Il se creusa l’esprit pour trouver ce qui pourrait bien la distraire de sa souffrance.
— Helena…, commença-t il, connais-tu la recette de…
Il chercha le nom d’un plat mais s’aperçut qu’il n’arrivait pas à aligner deux idées l’une derrière l’autre.
— Une recette ? répéta Helena d’un ton chargé d’indignation. Tu veux parler cuisine maintenant ?
— J’essaie seulement de te faire penser à autre chose.
Elle voulut rire et lui tapota la main mais il la sentait lutter contre la douleur. Ils n’arriveraient donc jamais à ce maudit hôpital ?
— Helena, ça va ?
— Oui, oui…
— Helena ?
Comme il la regardait avec insistance, elle hocha la tête d’un air résigné.
— Très bien, je vais te donner la recette du tiramisu.
— N’oublie pas ta respiration. Alors, le premier ingrédient ?
— Non, non, je n’oublie pas. Il faut d’abord du chocolat amer…
— D’accord. Et ensuite ?
— Du sucre, répondit-elle faiblement.
Ils atteignaient l’hôpital. Jackson se gara puis se rua sur la portière du passager pour extraire Helena de la voiture.
— Et puis des jaunes d’œufs, dit-elle quand il la souleva dans ses bras.s
Et tandis qu’il se dirigeait vers le hall, Helena continua de réciter la liste des ingrédients nécessaires à la confection du dessert.
— Elle va avoir un bébé ! cria Jackson à la réceptionniste.
— Vous êtes son mari ?
Il hocha la tête sans vergogne. Qu’ils essaient de le séparer d’Helena s’ils l’osaient !
On installa la jeune femme dans un fauteuil roulant que l’infirmière poussa vers l’ascenseur. En entendant sa respiration se faire plus pénible, il se tourna vers la réceptionniste qui attendait qu’il remplisse les papiers administratifs.
— Oubliez l’assurance, lui dit-il. Je paie. Faites-moi juste signer.
— Vous ne comprenez pas bien, monsieur. Les soins coûtent très cher.
Il dévisagea la jeune femme.
— Ecoutez, j’ai de quoi payer. Je veux être près de ma femme ! Alors, si vous voulez me faire signer, c’est maintenant ou jamais !
Après quelques instants d’hésitation, la réceptionniste poussa à regret un document dans sa direction. Jackson le signa sans même le lire.
— Où est-elle ?
— Deuxième étage.
Un quart d’heure plus tard, il attendait avec Helena dans la salle de travail.
— Si tu veux, je fais appeler un de mes frères, suggéra-t elle.
Il secoua farouchement la tête.
— L’infirmière dit que tes contractions sont rapprochées. Je suis là, j’y reste !
— Je suis navrée de t’imposer ça.
— Mais je veux être là !
Sondant le doux regard aigue-marine, il lut l’annonce d’une contraction. Il lui prit les mains.
— Regarde-moi, Helena. Parle-moi.
Elle lui parla. Elle lui expliqua le principe de la respiration et il fit de son mieux pour l’aider. Quand la douleur devint trop forte, il lui massa le dos ; quand son front s’emperla de sueur, il l’essuya. Il se sentait malgré tout terriblement maladroit, et impuissant. Si seulement il pouvait prendre sa douleur… Pour la distraire de son mal, il tenta une nouvelle fois de détourner le cours de ses pensées.
— T’ai-je raconté l’histoire du jour où Oliver a reçu une lettre du directeur de mon école expliquant qu’on m’avait surpris en train de regarder sous les jupes d’une fille ? demanda-
t-il.
Un sifflement sortit des lèvres d’Helena.
— Tu crois vraiment… que ça m’intéresse… Tu le crois vraiment ?
— Je vais te la raconter quand même.
Et il se lança dans un récit enjolivé pour la circonstance.
— Bien sûr, termina-t il, Eleanor n’était pas une vraie femme mais le mannequin de la salle de sciences. Seulement, à nos yeux de garçons de quatorze ans, élèves d’un pensionnat, elle était ce qui se rapprochait le plus d’une femme. En tout cas, elle ne te ressemblait pas. La forme de ses jambes synthétiques ne pouvait se comparer aux douces courbes des tiennes. Prête pour une autre histoire ?
— Je te revaudrai ça, Jackson, dit-elle entre ses dents serrées.
Le médecin adressa à Jackson un sourire compatissant.
— Toutes les femmes disent ça à leur mari. Bien sûr, le cas est un peu différent. Vous n’êtes pas…
Le médecin, qui suivait Helena depuis le début de sa grossesse, savait pertinemment qu’il n’était pas le père. Comme Jackson le remerciait silencieusement de ne pas l’avoir jeté hors de la salle, Helena poussa une longue plainte et le processus s’accéléra. Peu après, le médecin annonçait à Helena qu’elle avait donné naissance à une fille.
Durant quelques secondes, la jeune femme demeura sans réaction puis elle regarda Jackson.
— Elle est là, Jackson. Ma fille est là !
Jackson lui sourit puis l’attira contre son épaule et caressa son front humide de sueur. Elle lui sourit puis regarda le petit être autour duquel s’affairait le médecin. Enfin, l’infirmière mit le bébé dans les bras de Jackson qui demeura stupéfait de la fragilité du petit paquet sans défense. Il le déposa dans les bras de sa mère et contempla, tout ému, le spectacle des petites lèvres roses qui cherchaient à prendre leur premier repas dans un silence religieux.
Pendant un long moment, il observa la scène avant de songer qu’il était temps pour lui de se retirer. Sa tâche était accomplie. Il n’avait plus aucune raison de s’attarder.
Lentement il se leva et considéra la mère et l’enfant.
— N’est-elle pas magnifique ? lui demanda Helena.
— Elle est parfaite.
Il caressa doucement la joue de la jeune femme puis l’embrassa sur le front.
— Je te laisse faire connaissance avec ta petite fille.
Il se dirigeait vers la porte quand Helena l’appela d’une voix incertaine.
— Jackson ?
Il se retourna.
— Reste, je t’en prie, dit-elle en désignant de la tête le fauteuil près de son lit. Tu dois être fatigué.
Il était tout sauf fatigué. Débordant d’énergie, agité, excité, frustré. Il s’assit pourtant et admira la plus belle scène qui soit au monde. Ces instants resteraient gravés dans sa mémoire longtemps après qu’Helena et lui se seraient quittés.
*
* *
Deux jours plus tard, Helena quittait l’hôpital, la petite Beth dans les bras de Bill. Durant ces deux jours où elle avait découvert avec délices son enfant, elle avait aussi mesuré à quel point sa vie allait changer. Jackson partirait bientôt, la laissant derrière lui. Et des sentiments contradictoires l’agitaient, mélange du bonheur de l’avoir connu et du frénétique besoin de le supplier de rester et… de l’aimer.
— Mais il n’est pas encore parti, ma douce, murmura-t elle à l’oreille de sa fille.
— Que dis-tu ? s’enquit Bill.
— Rien. Je me disais juste que ce serait bon de retrouver la maison et mes habitudes.
— Je crains que tes habitudes ne soient un peu bouleversées, dit Bill en riant.
— Oui, mais c’est bien. J’aime me sentir utile.
Et elle disposait d’encore un peu de temps pour se rendre utile à Jackson…
— Il n’est pas question que tu mettes les pieds ici ! s’exclama Jackson quand Helena se présenta chez lui un peu plus tard, la petite Beth dans son couffin. Tu sors juste de l’hôpital !
— L’accouchement s’est passé normalement ! Je suis un peu fatiguée, d’accord, mais ce n’est pas une raison pour rester inactive ! Pendant que Beth dort, je peux me rendre utile !
— Tout est prêt. Tu as bien assez travaillé à l’organisation de cette cérémonie !
— C’est justement pour ça que je peux m’occuper maintenant des derniers détails.
— C’est hors de question ! répliqua sévèrement Jackson.
— Tu ne veux pas de moi ici ?
— Ce n’est pas ce que j’ai dit.
C’était pourtant ce qu’il désirait. Sa présence lui rappelait celle qui l’avait trahi et le bébé qu’il avait perdu au profit de Barrett.
— Je… je suppose que je ne devrais pas être ici. J’ai déjà dressé le menu ; je peux préparer les plats chez moi. De toute façon, il faudra les transporter en ville.
Il toucha son bras, juste pour attirer son attention, ce qui la peina. Allons, le compte à rebours avait déjà commencé. Il s’efforçait de se montrer gentil pour couper les liens en douceur. C’était, après tout « un des célibataires les plus fortunés du monde ». Il avait l’habitude de ce genre de situation.
— Ecoute, Helena, il me semble que tu as d’autres préoccupations en ce moment que de faire la cuisine.
Elle secoua la tête.
— Cette cérémonie signifie tellement pour toi.
— Il n’est pas question que j’abuse de toi ! Que ça te plaise ou non, j’ai engagé deux extra de Boston. Tu n’auras qu’à leur donner tes instructions.
— Comment peux-tu prétendre abuser de moi alors que tu m’as soutenue tout le temps de mon accouchement ?
— Accepte davantage et laisse-moi t’offrir ce dont tu as besoin : du repos.
Malheureusement, se disait Helena, il ne saurait lui donner ce dont elle avait le plus besoin. Elle ne pouvait lui expliquer combien elle tenait à lui ; ce n’aurait pas été juste alors qu’il l’avait mise en garde. Sa désillusion n’était pas comparable aux précédentes : elle avait toujours su qu’il partirait. Il ne lui avait fait aucune promesse.
Elle essaya de se ressaisir.
— Tu veux m’offrir du temps avec mon bébé ?
— J’insiste.
Elle poussa un soupir.
— Très bien, tu es le patron, Jackson.
Il posa sur elle un regard sombre. Bientôt, il ne serait plus rien pour elle, qu’un ancien employeur. Tous deux le savaient. Sauf que dans le cœur d’Helena il continuerait d’occuper une place immense.
— Je ne veux pas te rendre malheureuse, dit-il doucement.
Se doutait-il qu’elle était tombée amoureuse de lui ? Craignait-il d’avoir un chagrin d’amour de plus sur la conscience ? Ne voulant pas accroître ses remords, elle sourit.
— Je ne suis pas malheureuse. Avoir l’occasion de travailler avec des chefs de Boston, quelle cuisinière n’apprécierait ?
Avec un sourire, il lui caressa la joue.
— Sûrement pas toi. Sois heureuse, Helena.
— Oui, finissons correctement avec cette aventure.
Le sourire de Jackson était triste quand il se pencha pour l’embrasser sur les lèvres.
— Oui, finissons-en correctement.
Ces mots prirent toutefois une nouvelle signification quand Helena rentra chez elle. La lumière de son répondeur clignotait ; elle écouta le message.
« Bonjour, douce Helena, disait la voix sirupeuse de Barrett. Je tenais à ce que vous sachiez que ma chère femme assistera à la cérémonie. Vous serez sûrement heureuse de faire sa connaissance. Vous avez tellement en commun toutes les deux. Jackson… et puis moi. Vous pourrez comparer vos notes. »
Helena compris alors qu’il n’y aurait pas moyen de terminer l’histoire correctement. Les choses allaient forcément se compliquer. Elle ne se *******erait pas de donner des instructions aux cuisiniers ; il n’était pas question qu’elle laisse Jackson être la cible de nouvelles humiliations de la part du couple. Elle en faisait une affaire personnelle. Et, pour le coup, l’aide de ses frères serait la bienvenue.
Avec un sourire vindicatif, Helena décrocha le téléphone. 0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 08-11-08 10:49 PM

chapitre 11
Le jour de la cérémonie organisée en l’honneur d’Oliver se leva sur une matinée radieuse. Le soleil brillait, une légère brise soufflait ; pourquoi donc se sentait-il rempli d’une telle appréhension ?
Peut-être parce que sa préoccupation profonde ne s’attachait pas à la réussite de cette journée mais au sort d’une femme et de son enfant ? Il détestait l’idée de laisser Helena livrée à elle-même. Avec son enfant, elle serait encore plus occupée, sans pour autant se ménager puisque, de toute façon, elle pensait aux autres avant de penser à elle-même.
Enfin, peut-être que, à la longue, elle déciderait d’épouser Eric. Il grimaça. L’idée lui déplaisait profondément mais il fallait bien l’envisager. Il se pouvait aussi qu’elle ne l’épouse pas. Ce qui était sûr, c’est que les choix d’Helena ne le regardaient pas.
Il fourragea en jurant dans ses cheveux. Il n’avait d’autre solution que de laisser l’histoire se faire sans lui. De toute façon, décida-t il, il retrouverait sa tranquillité d’esprit quand il aurait laissé derrière lui Sloane’s Cove et les anciens souvenirs qui s’y attachaient.
Et quand, quelques minutes plus tard, Helena se glissa dans sa chambre avec un plateau, il parvint même à sourire. Elle était si adorable avec son air embarrassé et ses joues roses.
Elle posa le plateau sur la table de nuit et repoussa ses cheveux d’une main.
— J’ai pensé que… tu allais être très occupé aujourd’hui…, bredouilla-t elle. Et je ne voulais pas que tu oublies de prendre un bon petit déjeuner. Tu auras besoin de toutes tes forces. D’ailleurs, tu… tu as dormi trop longtemps.
Il ne dormait pas, il se rongeait les sangs en pensant à elle. Il jugea toutefois inutile de le préciser.
— Où est Beth ?
— Elle dort dans son couffin. Enfin, elle dormait, rectifia Helena en entendant un petit cri en provenance d’une chambre située à deux portes de là.
— Elle te réclame.
— C’est l’heure de son petit déjeuner !
Jackson frissonna. L’idée d’Helena allaitant son enfant le bouleversait. C’était un geste si intime, si nécessaire. Une mère nourrissant son enfant à partir de sa propre chair…
Un désespoir amer s’abattit sur lui mais il refusa de s’y abandonner. Qu’importait ? D’ici peu, il retournerait à ses affaires, et son esprit n’aurait plus le loisir de divaguer. Il aimait son existence. Quand une femme lui plaisait, il savait que, tôt ou tard, elle entrerait en compétition avec son métier, et que son métier gagnerait. Ses aventures se terminaient toujours ainsi. Ces dernières semaines avaient représenté une petite incursion au cœur d’un autre univers mais c’était fini, et il ne pouvait que s’en féliciter.
— Va voir Beth, dit-il à Helena. Je me lève bientôt.
Quand elle fut partie, il but une gorgée de café et mordit dans un muffin. C’était certes une cuisinière hors pair, mais il n’avait pas le cœur à apprécier la nourriture. Son cœur était à ce qui se passait à deux pièces de là…
C’était étrange, se disait Jackson tout en roulant vers le parc en compagnie d’Helena, Beth dans son couffin installée à l’arrière de la voiture. Alors qu’il parvenait au but tant caressé, au lieu d’en ressentir une légitime satisfaction, il éprouvait un sentiment de perte.
Bien sûr, ce sentiment s’évanouirait dès qu’il aurait quitté Sloane’s Cove. N’empêche que pour le moment il était bien réel. Et il avait du mal à fixer son attention sur sa conduite au lieu de la tourner vers celle qu’il s’apprêtait à quitter pour toujours.
Soudain, elle effleura son bras. Il tressaillit si fort qu’il faillit les envoyer dans le bas-côté.
— Tu es sûr que ça va ? demanda-t elle.
Il fit mine de croire qu’elle parlait de la cérémonie.
— J’en suis sûr. J’ai engagé une armée d’étudiants. A l’heure qu’il est, ils ont dû installer les tables et suspendre les banderoles. Le fleuriste a disposé les fleurs, les musiciens accordent leurs instruments et le champagne s’apprête à couler à flots. De plus, Lilah devait me téléphoner en cas de problème et mon portable n’a pas sonné.
— Je tiens juste à ce que tout soit parfait.
Il jeta un regard de biais à Helena, si menue, si adorable dans sa robe jaune paille. Du coin de l’œil, il apercevait la minuscule forme de Beth qui bâillait tout en agitant ses petits poings.
— Tout est parfait, assura-t il.
Et ça l’était, techniquement parlant, du moins.
Quand ils arrivèrent au parc, ils furent accueillis par les échos d’un morceau joué par le quatuor à cordes installé dans le kiosque à musique. Les riches visiteurs qui s’étaient abattus sur la ville comme une volée de moineaux dévoraient les pâtés d’Helena tout en s’extasiant sur la beauté des parterres de roses et des vasques de pensées pourpres et or disséminées dans la verdure. Des voiliers se balançaient dans le port tout proche apportant la dernière touche à un tableau digne d’être fixé sur la toile.
Jackson glissa un regard vers sa compagne. C’était la journée des adieux. A Oliver et à Helena. Malgré l’étau qui lui serrait la poitrine, il lui sourit.
— Prête ? demanda-t il en lui tendant le bras pour l’entraîner vers le podium dressé pour l’occasion.
Cependant, Helena refusa d’un signe de tête. Elle mourait d’envie de le soutenir jusqu’au bout en restant à son côté mais depuis l’appel téléphonique de Barrett, deux jours plus tôt, elle se sentait investie d’une autre mission.
— Tu ne veux pas m’accompagner ?
— C’est ton jour, Jackson.
— C’est le jour d’Oliver. Et tu as passé tant de temps sur ce projet. Ce n’est que justice que tu apparaisses au grand jour.
— Je ne peux pas laisser Beth. Si elle avait faim ?
Les mots magiques produisirent leur effet.
— Tu as raison, dit-il en lui caressant la joue.
— Bonne chance !
A longues enjambées, Jackson gagna le podium. Jamais il n’avait été si beau, si élégant, si imposant et si… hors d’atteinte, pensait Helena en le dévorant des yeux.
Puis, sa fille dans les bras, elle alla se placer légèrement en retrait de la foule afin de pouvoir examiner les lieux. Ainsi, elle verrait Barrett arriver et pourrait immédiatement intervenir.
Quand elle reporta son attention sur le podium, elle s’aperçut que Jackson la regardait et lui adressait ce sourire tendre et mystérieux qui la faisait rêver des nuits entières. Elle le contempla avec avidité. Demain, il ne lui resterait que des souvenirs mais aujourd’hui elle pouvait encore jouir de sa présence bien réelle.
— Merci de m’avoir accueilli, commença-t il de cette voix qu’il savait rendre tour à tour douce, autoritaire… ou séductrice. Quand je suis arrivé à Sloane’s Cove voici trois semaines, je ne connaissais personne. Il ne me restait de cette ville que le souvenir d’un homme qui, voici bien des années, m’avait tendu la main à un moment extrêmement difficile de mon existence. Oliver Davis était un homme bon. Par-delà les défauts des gens, il savait voir leurs qualités potentielles. Nombre de personnes dans ce public ont bénéficié de son soutien. Comme moi, ils sont là parce qu’il a transformé leur vie.
A ce moment, alors qu’elle se forçait à détacher son regard de Jackson pour examiner les alentours, Helena remarqua une voiture garée près de l’entrée du parc. Une très jolie femme brune en descendait, un enfant d’environ trois ans dans les bras. Un homme les rejoignit mais il ne regardait ni la femme ni l’enfant. Son visage trop parfait tout rembruni, il scrutait la foule.
Helena reporta son attention sur Jackson qui la dévisageait d’un air perplexe.
— Je suppose qu’Oliver imaginait que son œuvre s’achèverait avec sa mort mais nous sommes réunis aujourd’hui pour prouver le contraire, continua Jackson. Je suis venu à Sloane’s Cove dans l’intention de rendre hommage à sa mémoire et, dans l’accomplissement de cette mission, j’ai reçu une aide particulièrement efficace. Ai-je besoin de nommer cette femme admirable qui m’a secondé ? Tout le monde ici connaît et apprécie… Helena.
Il lui sourit et tous les assistants tournèrent la tête dans sa direction.
— J’ai donc aujourd’hui le grand plaisir de révéler les noms des bénéficiaires de la fondation Oliver Davis.
Un murmure parcourut la foule suivi d’applaudissements nourris. A ce moment, Helena vit Barrett, poussant sa femme devant lui, s’approcher du podium. Elle savait qu’il était venu assister à la cérémonie dans le but d’humilier Jackson. Ce n’était pas difficile : il lui suffisait d’exhiber sa femme et son enfant pour lui rappeler publiquement ce qu’il lui avait dérobé et ternir ainsi le succès de la fête.
S’il ne parvenait pas à son but, il recommencerait, bien sûr. N’empêche qu’aujourd’hui, elle ne le laisserait pas nuire, Helena se l’était solennellement promis.
Portant ses doigts à sa bouche, elle émit un sifflement strident. Comme Jackson tournait vers elle un regard stupéfait, elle lui sourit d’un air innocent.
Ce sifflement lui avait rendu de grands services quand, garçon manqué au tempérament bagarreur, elle devait appeler ses frères à la rescousse. A présent, il servait de signal. En l’entendant, les quatre frères Austin se dirigèrent vers l’endroit où se tenait Barrett. Hank passant près d’elle, elle lui adressa un sourire timide.
— Ne t’inquiète pas, sœurette, lui glissa-t il. Après ce que tu nous as raconté sur Barrett, Jackson a toute notre sympathie. Nous ne laisserons personne gâcher la cérémonie. Bill s’est pris d’un intérêt soudain pour… le commerce de Barrett. Nous le garderons occupé le temps nécessaire.
— Tu es un chic grand frère, dit-elle en l’embrassant sur la joue.
Quand elle regarda de nouveau en direction de Jackson, il dévisageait Hank d’un air interrogateur. Pourvu qu’il ne suive pas du regard la direction prise par ses frères, se dit-elle. Dans ce cas, il découvrirait Barrett. Et, intérieurement, elle pria pour qu’il la regarde, elle. Et le miracle eut lieu.
Sans le quitter des yeux, elle s’approcha du podium.
— Tu as changé d’avis ? demanda-t il. Tu as finalement décidé de rester près de moi ?
Ces mots lui firent l’effet d’une écharde en plein cœur. Rester près de lui, elle ne rêvait que de ça… et pour toujours.
Enfin, à présent que la menace de Barrett s’était dissipée, elle pouvait du moins profiter de ces quelques instants. Beth blottie dans ses bras, elle grimpa les marches et se glissa près de Jackson. Il lui prit la main, et pendant quelques secondes elle crut que son cœur allait éclater.
— Je suis heureux que tu sois là, murmura-t il.
Elle aussi était heureuse. Se tenir près de Jackson semblait faire partie de l’ordre naturel des choses.
— Au départ, je devais désigner trois personnes, reprit-il. Cependant, lorsque j’ai rencontré tous les gens qu’Helena tenait à me présenter, je me suis rendu compte qu’il m’était impossible de choisir parmi des talents si divers. Ainsi, cette année, des bourses seront attribuées à…
Suivie une longue liste dans laquelle figuraient Sharon Leggit et John Nesbith.
— J’espère que tu sais à quel point tu es merveilleux, lui dit Helena dans un souffle.
Il s’éclaircit la gorge avant de préciser que ces bourses seraient versées annuellement, qu’il avait également constitué un fonds d’aide aux personnes qui, tels Hugh et Marie Brannigan, se dévouaient au bien commun et qu’un troisième fonds bénéficierait aux artisans locaux. Cette année, le récipiendaire était Eric Ryan.
Jackson posa sur Helena un regard farouche. Elle comprenait son intention : n’étant pas candidat au rôle de mari, il s’assurait qu’un autre serait capable de l’assumer. La jeune femme sentit sa gorge se serrer. Se soulevant sur la pointe des pieds, sous les applaudissements de la foule en délire, elle posa un baiser sur sa joue.
— Partons, dit-il d’une voix étranglée.
— Mais… la cérémonie…
— Le plus important est fait.
Il reprit le micro pour dire en désignant la photo qui trônait près du podium :
— Merci, Oliver. Nous ne t’oublierons jamais.
— Bravo, Jackson ! cria une voix.
— Merci monsieur Castle ! fit une autre. Nous n’oublierons ni Oliver ni vous !
— Nous n’oublierons pas, promit Helena dans un murmure.
Parlait-elle d’Oliver ou de lui ? se demanda Jackson. Connaissant Helena, il savait qu’elle ne laisserait pas s’éteindre le souvenir d’Oliver mais il caressait l’espoir fou qu’elle se rappellerait également d’un certain Jackson. En même temps, il se rendit compte que ce serait beaucoup mieux pour elle de l’oublier très vite.
Il prit une profonde inspiration avant de se tourner de nouveau vers la foule.
— Merci d’être venus si nombreux. Je dois reprendre l’avion pour Boston tout à l’heure mais j’espère que vous passerez une excellente journée grâce aux repas, jeux et animations prévus. S’il vous plaît, que la fête commence !
En bas des marches, Helena trouva Lilah. Après lui avoir demandé de garder Beth, elle s’éloigna en compagnie de Jackson. Quand ils se retrouvèrent à l’écart, ils s’arrêtèrent et se dévisagèrent. Jackson prit le visage d’Helena dans ses mains.
— J’ai aperçu Barrett et Jeanne, lui dit-il doucement. Merci…
Il effleura sa joue d’un baiser.
— … de chercher à me protéger.
Elle se mordit la lèvre.
— J’espérais que tu ne les aurais pas remarqués. J’aurais tant voulu t’éviter cette épreuve.
Il sourit.
— Je ne regrette rien car ça m’a donné l’occasion de t’entendre siffler ! Tu m’étonneras toujours, tu sais. Je désire par-dessus tout que tu sois heureuse, Helena.
Elle fixa sur lui le regard de ses beaux yeux couleur aigue— marine qui s’embuaient.
— Je me suis arrangé avec Lilah pour qu’elle vous raccompagne, ajouta-t il.
Il valait mieux qu’il ne s’en charge pas car il était certain de ne pas résister à l’envie de lui faire des adieux corrects. Ce n’était pas possible, bien sûr, d’abord parce que son corps n’y était certainement pas disposé mais, surtout, parce que ce serait se comporter comme le dernier des derniers que de coucher avec elle et de partir ensuite. Il refusait de s’inscrire sur la liste de ceux qui s’étaient servis d’elle et l’avaient abandonnée. Et il n’avait rien à lui offrir.
— Tes bagages sont prêts ? demanda-t elle d’une petite voix.
— Ils m’attendent dans la voiture, répondit-il en s’efforçant de garder un ton naturel.
Il craignait tellement de dire des choses qu’ils pourraient tous deux regretter. Elle avait pourtant l’air si perdu, si vulnérable, si avide de tendresse qu’il ne put se retenir de lui caresser les cheveux.
— Tu es une femme merveilleuse, lui dit-il.
Cependant, elle ne lui offrit pas le sourire qu’il espérait. Ces paroles, elle avait dû les entendre de la bouche d’autres hommes. Et elle les entendrait encore, se rappela-t il.
— Avant que tu partes, je voudrais te dire…, commença-t elle d’une voix mal assurée. Je n’oublierai jamais ce que tu as fait. Tu as changé des vies, Jackson.
Il sourit tristement.
— Tu as changé ma vie. Grâce à toi, j’ai repris confiance dans les femmes.
— J’en suis heureuse. Peut-être que la prochaine fois qu’une femme enceinte voudra travailler pour toi, tu discuteras un peu moins.
« Ou, plus probablement, je me rappellerai tout ce que j’ai perdu. »
— Adieu, trésor, dit-il. Ne laisse personne t’entraîner là où tu ne veux pas aller.
Il se pencha sur elle et prit ses lèvres.
— J’y veillerai, murmura-t elle en se pressant plus étroitement contre lui. Souviens-toi de cet été.
Comme s’il pourrait jamais l’oublier…
Il la serra avec une sorte de désespoir, comme pour imprimer à jamais en lui le souvenir de son corps. Et il l’embrassa jusqu’à ce que la tension devienne insupportable.
— Je m’en souviendrai, promit-il. Prends bien soin de toi et du bébé.
Et puis, il la lâcha, écarta ses cheveux de son visage et contempla une dernière fois la plus délicieuse femme de la terre. Et il s’éloigna avant de commettre l’erreur de la supplier de lui donner ce qu’elle affirmait ne pas vouloir donner, ou d’essayer de se convaincre qu’il n’était pas celui qu’il croyait être.
Jackson monta dans sa voiture, démarra et reprit le chemin de son univers. 0

ruba 10-11-08 03:57 PM

thanks riham....great job....mbrook il awseme....maybe someday i'll be able to read it

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 11-11-08 03:05 PM

ãæÝÞÉ ÈÅÐä Çááå ... áß ãäí ÃÌãá ÊÍíÉ .

񌄃1974 26-11-10 01:45 PM

merci infinnement

sanae 1 10-01-11 06:38 PM

la suite et merci


ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 02:00 AM.

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