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lailajilali8 30-04-07 11:42 PM

un véritable mariage d'amour DE KAYTHRN
 
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un véritable mariage d' amour de kathlyn ross:flowers2:
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Brant Harcourt fixa Kelly d’un regard scrutateur. Connaissez-vous le contenu du testament de votre grand-père, Kelly ? La jeune femme le toisa avec hauteur. Elle n’avait jamais aimé l’associé de Joe, son grand-père. Je suis la seule héritière de Joe. Il m’aura certainement légué ses parts dans le cabinet d’avocats ainsi que tout le reste. Préparez-vous à un choc, Kelly. Car c’est à moi que Joe a légué ses actions. Toutes ses actions. Il se tut pour ménager le suspense, puis ajouta : A une condition : que je vous épouse…
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lailajilali8 01-05-07 11:17 PM

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lailajilali8 02-05-07 03:19 AM

CHAPETRE 1 ET 2
Le fameux cabinet d’avocats Harcourt et McConell se trouvait au cœur du quartier des affaires de Toronto, dans un impressionnant gratte-ciel, symbole de la réussite exceptionnelle de Jœ McConell. Fusant droit vers le ciel, le bâtiment de verre abritait une importante société immobilière et les bureaux des meilleurs juristes de la ville, dont Kelly McConell faisait partie.
Comme à son habitude, elle alla garer sa Jaguar gris argent dans le parking du sous-sol. La main sur son attaché-case, elle se préparait à sortir de la voiture quand la vue de son reflet dans le rétroviseur la retint. Qu’y avait-il de changé ? Ses cheveux dorés étaient retenus par un élégant chignon, son chemisier de soie émeraude rehaussait l’éclat de ses yeux. Aujourd’hui, contrairement à d’habitude, le maquillage de ses yeux verts était plus soutenu. Pour dissimuler les marques laissées par les larmes et pour se donner plus d’assurance, elle avait noirci ses cils avec soin et ombré ses paupières. En vain.
Une profonde inspiration et, courageusement, Kelly prit son attaché-case, quitta sa voiture et gagna l’ascenseur. Prendre ces quelques jours de congé n’avait pas été une bonne idée. Le travail avait dû s’accumuler sur son bureau ! Et puis, rester inactive l’avait rendue plus vulnérable au chagrin. Il fallait maintenant que Kelly occupe son esprit, qu’elle cesse de penser à la mort de Jœ McConell.
Au cinquième étage, sa secrétaire, Maggie Thornton, entra dans le luxueux ascenseur. Elle eut l’air d’être très surprise de la voir.
— Mademoiselle McConell, je ne vous attendais pas avant une semaine ! M. Harcourt avait dit...
— Oui, je sais ce que M. Harcourt a dit, lança Kelly avec une pointe d’agacement. Mais il fallait que je revienne travailler au bureau. Avec tous ces dossiers à traiter !
Un silence gêné dura quelques secondes. Kelly jeta un coup d’œil vers sa secrétaire, qui portait sous son bras divers ********s.
— Nous sommes tous très peinés par la disparition de votre grand-père, mademoiselle, dit Maggie avec douceur.
Kelly s’appuya contre une des parois couvertes de moquette et soupira.
— Oui. Il me manquera beaucoup, répondit-elle simplement.
Par distraction, son regard vagabonda sur les plaques dorées qui surmontaient les boutons numérotés. Elles répétaient au visiteur qu’il se trouvait sur le territoire des deux avocats les plus illustres de la ville, Harcourt et McConell. En réfléchissant, Kelly se dit que, logiquement, le nom de son grand-père devrait apparaître en premier puisque c’était lui qui avait fondé le cabinet et lui avait donné ses lettres de noblesse. Et bien avant que Brant Harcourt entre en scène.
Au vingtième étage, l’ascenseur ouvrit ses portes et laissa sortir les deux jeunes femmes. Un long couloir, bordé de pièces vitrées, menait au bureau de Kelly. En le traversant, elle vit des têtes se lever et ses collaborateurs la regarder avec étonnement. Au moment où elle ouvrait sa porte, Daniel Marsden surgit derrière elle. Habillé avec goût et à grands frais, comme d’habitude. Son costume coupé sur mesure mettait en valeur sa carrure avantageuse. Un vrai mannequin tout droit sorti d’un magazine de mode !
— Kelly, je ne pensais pas te trouver là ! Brant avait annoncé ton absence. Il avait donné des instructions...
Irritée, elle n’écouta pas la fin de la phrase. C’était bien le genre de Brant Harcourt de donner des ordres ! Sa proposition de prendre du repos avait en effet eu l’air d’un ultimatum !
— Tu sais, je ne tenais pas à rester trop longtemps loin du cabinet, déclara-t-elle. J’ai des affaires qui m’attendent.
Sur le point de suivre sa secrétaire, Kelly fut encore retenue par Daniel.
— Dis-moi, Kelly, que va-t-il advenir des actions de ton grand-père dans la société ? Et ses immeubles, ses propriétés... Tout ça va te revenir, non ?
— Le testament de mon grand-père n’a pas été lu pour l’instant et, franchement, je ne sais pas ce qu’il contient, répondit-elle avec un sourire triste.
— Tout le monde ici s’attend à ce que tu hérites. Il n’y a aucun autre héritier dans ta famille ?
— Non, je suis la seule parente qui lui restait.
Le visage de Daniel s’illumina d’un large sourire. Il donna une petite tape amicale sur l’épaule de Kelly.
— Ah ! C’est donc toi qui prendras la direction, Kelly. Hé, hé ! N’oublie pas que je suis ton chevalier servant. A propos, tu penses toujours à notre dîner de la semaine prochaine ? Pense aussi à la réception donnée en l’honneur de la retraite de Georges.
— Comment pourrais-je oublier ces deux événements puisque tu me les rappelles dix fois par jour ?
— Parfait, comme cela je garde un avantage sur mes concurrents ! Prends garde à toi, Kelly. Dès que tu auras hérité, tu verras ton nombre d’admirateurs s’agrandir, ajouta-t-il avec un clin d’œil.
— Tu es incorrigible, Daniel !
En entrant dans son bureau, elle se sentait le cœur plus léger. La gaieté de Daniel était contagieuse. Et puis, l’espoir de posséder la société McConell lui donnait un peu plus confiance en l’avenir.
— Appelez Brant, et dites-lui que je suis là, s’il vous plaît, Maggie, lança-t-elle en passant devant sa secrétaire.
Oh ! Bien sûr, Brant Harcourt devait être au courant de son retour. En fait, il n’ignorait probablement rien de ses faits et gestes dès qu’elle franchissait le seuil de l’immeuble. Mais par provocation, elle voulait l’en avertir elle-même. Au lieu de s’asseoir tout de suite dans son fauteuil, elle resta debout devant la baie vitrée, et s’attarda à contempler Toronto sous un ciel sans nuage.
Depuis son entrée dans l’entreprise familiale, Kelly n’avait eu qu’un seul objectif : parvenir un jour au poste de directeur. L’année dernière, elle avait prié Jœ McConell de lui vendre des parts de la société. Son grand-père avait répondu par un non définitif. Très déçue, Kelly avait été désagréablement surprise d’apprendre, peu de temps après, qu’il avait accepté de céder un nombre considérable d’actions à Brant Harcourt, son nouvel associé. Cet homme semblait avoir une intuition et une chance incroyables, ce qui agaçait prodigieusement Kelly. Il possédait des actions dans les entreprises les plus prospères de la ville. Brant Harcourt était un avocat remarquable et brillant. En s’associant avec Jœ McConell, il avait redonné du dynamisme à la société. En pleine expansion, le cabinet avait eu besoin de deux jeunes associés. Aussi Kelly s’était-elle proposée avec enthousiasme. Qualifiée, expérimentée et habituée aux méthodes de la maison, à vingt-huit ans, elle était la candidate idéale. Pourtant, Brant avait repoussé sa candidature pour préférer celle de Daniel Marsden, malgré son peu d’expérience et ses vingt-six ans. Le second poste avait été pourvu par un autre jeune homme. Kelly avait accepté cette décision sans protester mais elle vouait toujours à Brant une certaine rancune.
La porte de son bureau s’ouvrit brusquement et Brant Harcourt entra. Sa présence avait le don de mettre Kelly sur les nerfs. Levant la tête, elle affronta calmement son regard.
— Je croyais vous avoir dit de prendre encore une semaine de congé, déclara-t-il de sa voix autoritaire.
— C’est vrai, mais j’ignorais que c’était un ordre. Est-ce que j’aurais dû monter à l’étage supérieur pour vous demander la permission de m’asseoir à mon bureau ?
Sa plaisanterie le laissa de marbre. Un court instant, ses yeux sombres se posèrent sur le visage blême de la jeune femme.
— Le testament de votre grand-père sera lu demain, vous le savez, je suppose ?
Kelly répondit d’un hochement de tête. En silence, elle l’observa subrepticement. Brant était bâti en athlète et son costume sombre mettait en valeur un corps puissant, harmonieusement musclé. A la lumière du soleil, ses cheveux noirs prenaient des reflets bleutés. Comme Daniel Marsden, Brant Harcourt était d’une grande élégance. Mais alors que Daniel faisait beaucoup d’efforts pour être séduisant, il suffisait à Brant d’être naturel pour séduire une femme. Un charme indéfinissable se dégageait de sa personne, fait de sensualité et de froideur, et qui faisait tourner bien des têtes.
— Savez-vous ce qu’il contient ? demanda-t-il.
— Eh bien, mon grand-père a dû me laisser ses parts dans la société ainsi que tout le reste, répondit-elle avec une assurance qu’elle était loin de ressentir.
— Comme Jœ McConell avait l’habitude de dire, on ne peut être sûr de rien en ce monde !
Tranquillement, Kelly passa la main sur ses cheveux. Dans son joli tailleur crème, elle se savait à son avantage.
— En ce qui me concerne, je ne suis pas inquiète pour l’avenir. Etant donné que vous possédez déjà des actions, nous deviendrons en quelque sorte des associés. Qu’en pensez-vous ?
Aussitôt elle regretta d’avoir posé cette question. Evidemment, Brant serait contrarié de devoir travailler avec elle, cela Kelly l’avait deviné ! Il n’avait pas voulu d’elle à un poste moins important. Pourtant, il lui faudrait se résoudre à partager les fonctions importantes et à prendre les décisions avec elle.
La question pleine de provocation laissa Brant Harcourt imperturbable. D’ailleurs, jamais son visage ne trahissait ses émotions. Voilà pourquoi il était un avocat si redouté aux audiences.
— Etrange question, lança-t-il avec un sourire narquois. Justement, Kelly, je comptais vous inviter à dîner ce soir pour que nous puissions discuter de ce sujet.
Comment ? Kelly n’était pas certaine d’avoir bien compris. Ah ! Il voulait en discuter ! Il était donc plus préoccupé par ce problème qu’il n’y paraissait. Quelquefois, Kelly avait eu l’occasion de déjeuner avec lui, lorsque des motifs professionnels l’avaient exigé. Et puis, au cours de rares dîners, ils s’étaient trouvés côte à côte, à la même table, heureusement chacun en bonne compagnie. Que cachait cette invitation ? Peut-être voulait-il essayer de l’amadouer grâce à son charme irrésistible afin de mieux la manipuler lors de leur collaboration future ? Si telle était son idée, il se trompait lourdement. Elle ne tomberait pas dans ce piège grossier ! Ou bien, peut-être allait-il lui proposer de vendre ? De toute façon, elle n’avait aucunement l’intention de se dessaisir de ses actions. Seule la curiosité la poussait à dîner avec Brant. Sans doute dut-il prendre son silence pour un oui.
— Je viendrai vous prendre à 8 heures, annonça-t-il.
Cette arrogance révolta Kelly. Brant, considérant la conversation terminée, se dirigeait vers la porte, quand elle lui répondit :
— En fait, j’ai un rendez-vous ce soir avec Daniel. Nous pourrons dîner ensemble une autre fois.
— Annulez votre rendez-vous, ce que j’ai à vous dire est plus important ! Riposta-t-il sur un ton sans réplique.
— Important pour vous ! Et puis, je ne suis pas encore propriétaire de la société, vous brusquez les choses. Nous en discuterons dans quelques jours, ajouta-t-elle froidement.
Il eut un air menaçant qui l’alarma.
— Ma chère Kelly, je ne me suis pas bien fait comprendre. Je connais la teneur exacte du testament de votre grand-père. Je peux vous assurer qu’il est de votre intérêt de vous préparer à l’entendre.
A ces paroles, le sourire de Kelly se figea sur ses lèvres.
— A 8 heures, soyez prête ! Lança-t-il, en quittant la pièce.
Stupéfaite, Kelly le regarda au travers des glaces se diriger d’un pas rapide vers l’ascenseur. Il s’arrêta une seconde pour dire un mot à Maggie. Kelly eut tout le mal du monde à se retenir de courir lui demander ce qu’il savait des dernières dispositions de Jœ. Comment pouvait-il avoir appris ce que contenait ce ******** confidentiel ? A coup sûr, ce n’était que du bluff ! Brant Harcourt était passé maître dans cet art. Arrivé devant l’ascenseur, Brant tourna la tête et jeta un regard sombre à la jeune femme, qui pensa avec angoisse au rendez-vous de ce soir.
A suivre

karam 02-05-07 02:31 PM

merci pour le reman
j'attends avec impatience

lailajilali8 02-05-07 03:25 PM


Durant toute la journée, cette appréhension ne la quitta pas un seul instant. Plus l’après-midi avançait, moins Kelly parvenait à se concentrer sur l’affaire compliquée dont elle était chargée. A 5 heures, elle referma le dossier et appela Maggie.
— Maggie, pouvez-vous me dire si Brant se trouve dans son bureau ?
La réponse ne se fit pas attendre. Une minute plus tard, la voix de Maggie résonnait dans l’Interphone.
— Oui, il est dans son bureau et il est disponible si vous désirez le voir.
— Merci, Maggie.
A dire vrai, Kelly ne tenait pas particulièrement à le voir mais elle brûlait d’apprendre ce qu’il avait à lui annoncer.
Impossible de patienter jusqu’à ce soir ! S’armant de courage, Kelly décida de monter au vingt et unième étage.
Une fois dans l’ascenseur, toute sa détermination s’envola. En fin de compte, mieux valait attendre l’entrevue de ce soir. Pleine d’incertitudes quant au contenu du testament, Kelly craignait de montrer son point faible à Brant Harcourt. Pour rien au monde elle ne voulait lui paraître vulnérable. Une fois devant sa porte, elle hésita et rebroussa chemin. Juste à côté se trouvait le bureau de son grand-père dans lequel elle entra.
Le domaine de Jœ McConell était resté intact. L’immense pièce impressionnait le visiteur. De riches tapis de Chine, des murs lambrissés, une imposante bibliothèque garnie d’ouvrages juridiques, et enfin, son large bureau de chêne derrière lequel il avait passé des jours et des nuits. Kelly s’y assit. La tête appuyée contre le fauteuil pivotant, elle resta là, pensive. Ses yeux se promenèrent dans la pièce et vinrent rencontrer la photographie d’elle que son grand-père avait placée fièrement derrière son bureau.
Normalement, tout ce que possédait Jœ McConell aurait dû revenir à son fils. C’était lui qui avait fait prospérer la société. Mais le destin en avait décidé autrement : quand elle avait dix ans, les parents de Kelly avaient péri dans un accident de voiture. Ce souvenir douloureux emplit soudain ses yeux de larmes.
— Que faites-vous ici, Kelly ? demanda une voix masculine.
Kelly sursauta. Brant était entré sans faire de bruit.
— Je suis venue chercher quelques objets personnels qui traînent dans le bureau de mon grand-père, rétorqua-t-elle en faisant semblant de fouiller dans un tiroir.
— Pourquoi avez-vous téléphoné et demandé une entrevue ?
Elle ne répondit pas, continuant ses prétendues recherches, la tête baissée et les mains tremblantes. Pendant ce temps, Brant Harcourt s’était rapproché.
— Alors, Kelly ?
Il était tout près d’elle, de l’autre côté du bureau. Avant même qu’elle ait pu faire un mouvement, Brant lui avait soulevé le menton et l’obligeait à lui faire face. D’un regard sans douceur, il fixa les yeux émeraude encore humides de larmes.
— Alors, comme ça, vous faisiez un peu de rangement ? murmura-t-il sur un ton plus caressant.
En proie à de vives émotions, Kelly repoussa brusquement la main de Brant.
— Que croyez-vous ? Je n’ai pas encore besoin de me justifier si j’ai envie de venir dans le bureau de mon grand-père ! s’écria-t-elle, furieuse. J’ai le droit d’emporter les effets personnels de Jœ ; ils ne vous appartiennent pas, que je sache !
— Non. Mais ils ne vous appartiennent pas non plus, reprit-il, amusé par sa fureur.
— Très bien ! Mais tout cela sera à moi demain !
— Oh ! Je comprends maintenant. Vous êtes venue consulter les dossiers de Jœ pour vous mettre au courant des affaires de la société, en digne héritière. Tout ce que je peux dire pour le moment, c’est que vos illusions seront de courte durée. Jouez au président-directeur général tant que vous le pouvez ! C’est-à-dire jusqu’à demain.
— Que voulez-vous dire ?
Brant ne répondit pas. Son visage reprit son expression distante et sévère, ce qui raviva l’angoisse de Kelly. Elle referma bruyamment le tiroir du bureau.
— Brant, arrêtez de jouer au chat et à la souris avec moi ! s’écria-t-elle d’une voix presque suppliante. Vous savez parfaitement pourquoi je suis montée à cet étage. J’ai besoin de savoir ce que vous vouliez m’annoncer ce soir !
Pendant quelques secondes, Brant hésita à répondre, puis dans un étrange sourire, il dit :
— Je m’attendais à votre visite. Je suis même étonné que vous ayez résisté si longtemps à la curiosité.
Kelly s’était levée et essayait de reprendre confiance en elle. Devant la grande baie vitrée, elle contempla la ville ensoleillée. Probablement que ces discussions ne menaient à rien, pensa-t-elle. Il y avait peu de chances que Brant lui révèle quelque chose, après tout. Pourquoi lui ferait-il cette faveur ?
— Mon grand-père ne m’a pas légué sa société, n’est-ce pas ?
Dans le silence qui suivit sa question, Kelly crut entendre les battements affolés de son cœur. Ses craintes devenaient insupportables.

— Non, en effet, convint-il d’une voix implacable.
Aussitôt Kelly ferma les yeux. Comme elle lui tournait le dos ; Brant ne put voir l’expression de souffrance qui s’inscrivit sur le beau visage de la jeune femme. Après avoir maîtrisé son émoi, elle lui fit face et quand elle parla, sa voix parfaitement calme ne tremblait pas.
— Je devais m’y attendre. Mon grand-père n’a jamais souhaité que je me mette à travailler. Disons qu’il l’a juste toléré. En homme de l’ancienne génération, il avait des idées archaïques sur le travail de la femme. C’est pourquoi il ne m’a jamais facilité les choses, dès qu’il s’agissait de ma carrière.
— Pourtant, il vous a offert ce poste dans le meilleur cabinet de la ville ! répliqua Brant dans un sourire ironique.
Une étincelle de colère brilla dans les yeux verts de Kelly. Brant faisait partie de ces gens convaincus que Jœ McConell avait offert un emploi à sa petite-fille sur un plateau. Rien n’était plus faux ! Kelly allait répondre à cette insinuation, mais à quoi bon ? Brant ne la croirait pas. Seuls ses efforts avaient permis à la jeune femme de mener à bien sa carrière. Pour obtenir son emploi, Kelly avait dû démontrer à son grand-père qu’elle était deux fois meilleure que les autres candidats. Et puis Brant ne comprendrait pas pourquoi elle avait voulu à tout prix entrer dans la société familiale et reprendre le flambeau à la place de son propre père, mort très jeune.
Brant la regardait d’un air moqueur. Combien il devait être satisfait de la voir ainsi aux abois ! Il devait la prendre pour une enfant gâtée, à laquelle on n’avait jamais rien refusé.
— Vous ne voulez pas savoir ce que Jœ a décidé de faire de ses parts ?
— Elles seront vendues au plus offrant, je suppose, dit-elle avec indifférence.
— Non, Kelly, ce n’est pas si simple.
— Alors, de quoi s’agit-il ?
— A une condition, votre grand-père a fait de moi son héritier.
Les yeux noirs de Brant brillèrent d’un éclat singulier. Il fit une pause dans son explication, comme pour ménager le suspense. Ce n’était pas nécessaire car ses derniers mots, à eux seuls, foudroyèrent Kelly.
— La condition étant que je vous épouse.


lailajilali8 02-05-07 03:53 PM

chapitre 2

— Eh bien, voilà, Kelly, dit Harold Bremmer en retirant ses lunettes. Ce n’est peut-être pas une consolation, mais le
testament de votre grand-père prévoit tout de même de vous léguer un certain nombre de propriétés.
La mine défaite après la nuit agitée qu’elle venait de passer, Kelly préféra ne rien répondre. Depuis son entrée dans le bureau du notaire, elle avait à peine prononcé deux mots. Les yeux fixés sur Harold Bremmer, elle n’avait pas non plus accordé un seul regard à Brant. Même si, la veille, il l’avait prévenue de ce que le testament contenait, Kelly avait eu le plus grand mal à le croire. Ce matin, la déception était de taille. Comment son grand-père avait-il pu lui jouer un aussi mauvais tour ?
— Mademoiselle McConell, vous allez vous retrouver à la tête d’une grande fortune. Mais, en ce qui concerne la société Harcourt et McConell...
— Alors que c’est justement ce qui me tenait le plus à cœur ! dit-elle avec dépit.
— Enfin, comme je vous l’ai dit, il vous reste une possibilité pour conserver la société dans votre famille.
A ses yeux, cette solution représentait au contraire une impossibilité majeure. Mais elle ne dit rien. Fouillant dans ses ********s, le notaire ajouta encore quelques précisions.
— Au sein de la société Harcourt et McConell, Jœ possédait cinquante et un pour cent...
— Comment ? s’exclama-t-elle, incrédule. Il possédait quatre-vingts pour cent !
— Non, mademoiselle McConell. M. Harcourt possède les quarante-neuf pour cent restants.
Brusquement, la jeune femme se tourna vers Brant.
— Jœ vous a donné quarante-neuf pour cent des actions ! s’écria-t-elle, scandalisée.
— Je peux vous assurer que je les ai payés très cher. Il ne me les a pas donnés, répondit Brant.
— Il ne m’a jamais dit qu’il en avait vendu autant ! Le silence pesant fut rompu par une intervention du notaire.
— Désirez-vous que je relise cette partie du testament ?
— Ce n’est pas nécessaire, Harold, déclara Brant. Kelly et moi avons bien compris ce que Jœ a proposé. Dans le cas d’un mariage, je recevrai les cinquante et un pour cent restants de la société. Combien de temps avons-nous pour nous décider ?
Pour évoquer ce mariage, Brant avait pris le ton de l’homme d’affaires qui traite un marché. Cette froideur bouleversait la jeune femme.
— Vous avez deux mois. Si, au terme de ce délai, vous n’êtes pas mariés, les parts seront vendues à l’unité en bourse, avec une clause interdisant l’achat de plus de dix parts. Kelly en recevra automatiquement dix. Mais de toute façon, monsieur Harcourt, vous resterez l’actionnaire principal.
— Oui, peut-être, mais je n’aurai pas le contrôle de la compagnie ! s’exclama-t-il avec irritation. Le seul moyen de l’obtenir est d’épouser Kelly.
En entendant ces mots, Kelly sentit son cœur se serrer. Quel sinistre marché ! pensa-t-elle. Accablée, elle resta silencieuse.
— Euh ! Oui, c’est cela, convint M. Bremmer, l’air embarrassé. Dans le cas d’un mariage, vous auriez les pleins pouvoirs. Kelly, de son côté, recevrait chaque année un pourcentage des bénéfices. Sur le plan financier, l’un et l’autre, vous avez tout à y gagner. Bien sûr, si vous divorciez, vous perdriez vos avantages...
La chaise de Kelly grinça contre le parquet quand elle se leva.
— Merci, monsieur Bremmer, j’en ai assez entendu.
— Je n’ai pas terminé, il reste encore quelques pages sur ce sujet.
— Certainement, mais je n’ai pas besoin d’en savoir plus.
En hâte, Kelly serra la main du notaire qui la regarda d’un air surpris. Puis, sans jeter un seul coup d’œil à Brant, elle quitta la pièce. Un tremblement nerveux l’agitait quand elle se retrouva sur le grand boulevard. Abritée sous le porche de l’immeuble, elle regarda un instant les passants qui avançaient sous la pluie.
Enfin, relevant le col de son trench-coat, elle s’engouffra dans la foule. Avant qu’elle ait eu le temps d’aller très loin, quelqu’un l’arrêta d’une main énergique.
— Venez, ma voiture se trouve au coin de la rue.
Brant ne lui laissa pas le temps de discuter. En dix secondes, il l’avait fait monter dans sa Rolls-Royce blanche. Kelly était furieuse.
— Je peux très bien rentrer toute seule !
— Vous êtes venue avec votre voiture ? demanda-t-il avec un calme exaspérant.
— Non, j’avais pris un taxi.
— Alors je vous raccompagne.
Aussitôt la luxueuse voiture démarra et s’engagea dans le trafic. Kelly jeta un regard sur les mains de Brant qui tenaient fermement le volant. Une montre Gucci, très chic et très sobre à la fois, jetait des éclats dorés. Déjà midi et Kelly n’était pas encore au bureau ! Depuis hier soir, abasourdie par les paroles de Brant, incapable de penser à autre chose, elle n’avait pas vu le temps passer. De son côté, Brant se taisait, le visage fermé. Dehors, il pleuvait à verse. Quelle lugubre journée ! Encore bouleversée, Kelly ne remarqua pas tout de suite que Brant ne prenait pas la direction des bureaux.
— Mais où m’emmenez-vous ? s’écria-t-elle, affolée.
— A vous entendre, on croirait que c’est un enlèvement ! Comme nous n’avons pas dîné ensemble hier soir, je pensais que nous pourrions déjeuner au restaurant aujourd’hui.
— Je ne souhaite pas déjeuner avec vous, Brant. Pour être claire, je préférerais que nous limitions nos rencontres au strict minimum.
Les nerfs à fleur de peau, Kelly tremblait mais elle essayait de contenir son émotion.
— Ça suffit maintenant ! Pour qui vous prenez-vous ? s’exclama-t-il en faisant une brusque embardée. D’accord, vous en voulez à votre grand-père, mais ne passez pas votre colère sur moi ! Je ne le supporterai pas, Kelly. Comme vous, je suis victime des décisions de Jœ. Il savait que je voulais prendre la direction de la compagnie. L’année dernière encore, je lui ai proposé de la racheter à un très bon prix. Il a refusé...


— Une victime ! Vous ! Faites-moi rire ! Vous seriez bien du genre à avoir convaincu mon grand-père de l’avantage de cet arrangement ! Tous les moyens vous seraient bons pour mettre la main sur la société !
— Kelly, croyez-moi, je ne suis pas si bête ! Si j’avais eu ce pouvoir de persuasion sur votre grand-père, la condition pour obtenir ses actions n’aurait pas été de vous épouser !
La gorge serrée, Kelly se tut. L’émotion de la jeune femme laissa Brant insensible, toutefois il changea de ton.
— Ecoutez, allons-nous enfin nous comporter en adultes raisonnables ? Nous discuterons de tout cela en déjeunant.
Kelly, incapable de parler, se *******a de hocher la tête. Dix minutes plus tard, ils entraient dans un des restaurants les plus réputés de la ville. Toutes les tables semblaient occupées et pourtant, le maître d’hôtel qui vint les accueillir les guida immédiatement jusqu’à sa meilleure table.
— Dois-je en conclure que vous aviez déjà réservé ? demanda-t-elle lorsque le maître d’hôtel les eut quittés.
— J’ai l’impression que si je réponds oui, vous allez encore vous mettre en colère.
— Je ne vais pas me mettre en colère, simplement je n’aime pas que l’on présume de mes actes.
— Très bien. Vous voyez, j’ai beaucoup à apprendre de vous, Kelly.
Sans savoir pourquoi, Kelly se sentit rougir et elle baissa les yeux sur le menu. Quelques secondes après, elle jeta sur lui un regard à la dérobée. Cet homme était d’une beauté irrésistible. La coupe élégante de son costume de cachemire laissait deviner un corps d’athlète et le blanc éclatant de sa chemise faisait ressortir son teint hâlé et le noir de ses cheveux. Elle remarqua que ses cils noirs et épais ombraient légèrement ses joues. Soudain, Brant leva les yeux et surprit ce regard.
— Je crois que je vais prendre du saumon, dit-elle à l’improviste.
— Moi aussi.
Il referma le menu et adressa à Kelly un sourire inattendu. Aussitôt, le cœur de la jeune femme se mit à battre la chamade. Heureusement, le serveur, qui venait prendre la commande, fit diversion. Quand il fut reparti, ils reprirent la conversation.
— Etes-vous déjà venue ici ?
— Oui, cela m’est arrivé, avec...
— Avec Daniel, ajouta-t-il, l’air indifférent.
— Oui.
— Vous sortez souvent ensemble depuis quelque temps ?
En posant cette question, Brant s’attarda sur le beau visage de Kelly, fixa sa bouche pulpeuse puis contempla le vert profond de ses yeux.
— C’est vrai, répondit-elle, laconique.
— Votre liaison est-elle sérieuse ?
— Votre question est indiscrète, Brant !
— Vous savez pourquoi je vous le demande, Kelly.
Le serveur apporta une bouteille de bordeaux. Brant le goûta et le servit lui-même.
— Alors ? demanda-t-il en versant le vin dans son verre.
— Vous me posez ces questions à cause du testament de mon grand-père ?
— Nous sommes ici pour en discuter, je vous le rappelle.
— Selon vous, on peut en discuter comme s’il s’agissait d’une chose envisageable ?
— Exactement. Ecoutez, Kelly, ce mariage pourrait être une bonne affaire pour tous les deux. Essayez d’y réfléchir et vous serez de mon avis.
— Mais vous parlez comme si vous alliez conclure un marché ! Dans un mariage, d’autres choses entrent en jeu, non ?
— Je fais simplement preuve de réalisme ! Je veux avoir la direction de la compagnie McConell et je sais que vous aimeriez y participer vous aussi. Le mariage peut nous permettre à tous deux de réaliser nos projets. Et cela me semble tout à fait raisonnable ! Bien sûr, je comprends très bien votre première réaction. Elle est normale. En général, les femmes voient la vie de façon sentimentale. Mais vous, vous êtes au-dessus de cela. Vous êtes une femme de tête et je suis certain qu’avec le temps, j’arriverai à vous convaincre.
Etourdie par ce qu’elle venait d’entendre, Kelly préféra ne pas répondre. Ses pensées se précipitaient dans sa tête et elle ne parvenait pas à réfléchir calmement. D’un air distrait, elle promena son regard dans le restaurant. Des couples d’amoureux discutaient à voix basse et leurs chuchotements se mêlaient à la musique romantique que jouait un pianiste. Peut-être parlaient-ils de leur futur après-midi ensemble, peut-être échangeaient-ils des serments d’amour ? En tout cas, personne n’aurait pu deviner le sujet de la conversation qui se tenait entre Kelly McConell et Brant Harcourt. Quel contraste entre cette sordide transaction et l’aspect enchanteur du restaurant ! Soudain, devant le ridicule de la situation, Kelly eut envie de rire, d’un rire nerveux. Mais bien vite, les larmes lui piquèrent les yeux. Prenant son verre, elle termina les quelques gorgées de bordeaux. Déjà sa tête tournait.
— Prenez votre temps avant de me donner une réponse.
A ce moment, l’entrée fut apportée par le serveur. Arrangé avec art, agrémenté de caviar, le saumon semblait excellent. Mais Kelly n’avait pas le cœur à manger. Une question la tourmentait depuis la veille.
— Depuis combien de temps connaissiez-vous les termes du testament, Brant ?
— Une semaine avant sa mort, répondit-il en emplissant les verres. Alors que je me trouvais auprès de lui pour le tenir au courant des affaires, votre grand-père m’a confié que son plus grand souhait était que j’épouse sa petite-fille.
Cela, elle le savait déjà ! Son grand-père lui en avait parlé à diverses reprises et cela avait provoqué des discussions houleuses entre eux.
— Je suis étonnée que vous n’ayez pas essayé de le raisonner !


— Avez-vous déjà réussi à faire changer d’avis Jœ McConell ?
Dans un éclair, Kelly revit le visage obstiné de son grand-père qu’elle aimait tant. Ce souvenir la fit sourire d’attendrissement.
— Vous voyez ! Et puis, plus j’y ai réfléchi, plus j’ai trouvé son projet sensé.
— Pour vous, peut-être. Il est dans votre intérêt que j’accepte ce marché ! La société McConell est à la clé !
— Kelly, vous savez que cet arrangement vous permettrait de ne plus avoir de soucis financiers jusqu’à la fin de vos jours...
— De toute façon, ce problème ne se posera pas !
— Ce que vous recevrez sera très inférieur à ce que je pourrais vous offrir. Et puis, si les actions sont vendues, pensez que la compagnie sortira de votre famille définitivement.
Cette perte serait difficile à accepter ! Comment Jœ McConell avait-il pu jouer un aussi mauvais tour à sa petite-fille ? pensa Kelly. Il n’ignorait pas combien elle tenait à cette entreprise qui évoquait pour elle le souvenir lointain de son père. De plus, y travailler lui avait permis de découvrir son grand-père et de se rapprocher de lui. Mais, si au prix de gros efforts, Kelly avait tenté de gagner son respect sur le plan professionnel et de trouver une place dans sa compagnie, force était de constater qu’elle n’y était pas parvenue.
Après avoir retiré les assiettes, le serveur apporta le plat suivant. La musique avait changé : le chanteur de l’orchestre racontait une belle histoire d’amour. Combien Kelly en était loin ! Le cœur serré, elle vida son verre de vin d’un trait.
— Avez-vous vraiment l’intention de gâcher votre vie par un mariage sans amour pour satisfaire votre ambition ?
— Il ne s’agit pas seulement d’ambition, Kelly. Diriger la société est l’objectif que je me suis fixé. Et puis, pour ce qui est du mariage, vous savez, j’ai trente-sept ans. J’ai passé l’âge des amourettes ! Je suis sûr que nous pouvons être heureux ensemble. Nous avons beaucoup d’intérêts communs sur le plan professionnel, et en plus vous êtes une très jolie femme. Que pourrais-je désirer d’autre ?
Malgré son agacement, Kelly ne put s’empêcher d’être flattée par le compliment que Brant venait de lui adresser. Peu habituée à boire de l’alcool, après deux verres de vin, Kelly avait l’impression que tout commençait à tourner autour d’elle. Elle avait perdu le sens des limites et ses questions se firent indiscrètes.
— Mais, si je ne me trompe, vous avez eu des histoires d’amour ? Vous avez été marié, non ? Je suppose que vous n’avez pas épousé votre femme pour des raisons purement professionnelles ?
A ces mots, le visage de Brant s’assombrit.
— Les raisons pour lesquelles j’ai épousé Francesca étaient en effet très différentes, répondit-il.
Depuis longtemps, Kelly avait été intriguée par la superbe Francesca Harcourt. Ce mariage avait fait la une des journaux, avec nombre de photos du top model italien.
— Vous étiez éperdu d’amour pour cette femme, n’est-ce pas ? continua Kelly sans savoir pourquoi.
— Ma femme est morte il y a quatre ans, Kelly, et tout cela ne vous regarde pas.
— C’est exact, Brant. Mais j’aimerais comprendre comment elle a pu faire pour vous séduire. Car vous semblez totalement indifférent, insensible même...
Elle divaguait ! Incapable de s’arrêter, elle devenait presque provocante. Un sourire amusé accueillit ses dernières paroles. Mais aussitôt, Brant reprit son sérieux.
— Voulez-vous que nous partions ? demanda-t-il.
— Oui.
Une fois dehors, l’air frais donna soudain le vertige à la jeune femme. Pour la retenir, Brant lui entoura la taille de son bras. Pendant quelques secondes, Kelly se laissa aller contre lui.
— Je suis désolée, Brant, j’ai à peine mangé et je n’ai pas l’habitude de boire de vin !
— C’est ma faute. J’aurais dû vous en empêcher.
— Je ne suis pas encore votre femme, Brant ! Et même si je l’étais, vous n’auriez pas à me dire ce que je dois ou ne dois pas faire !
Sans commentaire, il resserra son étreinte et entraîna Kelly vers la voiture. Une fois devant la Rolls-Royce, Brant la libéra, mais seulement pour l’obliger à lui faire face.
— Ma chère Kelly, tout à l’heure, j’ai remarqué que vous avez ajouté un « pas encore ». J’en suis heureux, car cela me laisse un peu d’espoir, murmura-t-il.
Sur son visage ne se lisait aucune expression ironique. Il parlait sérieusement. Pour éviter l’intensité de son regard, Kelly détourna la tête, mais aussitôt il lui saisit le menton d’une main. Brant était si proche que Kelly percevait l’odeur troublante de son parfum. Sa présence l’envoûtait. Les yeux de la jeune femme furent attirés par le dessin parfait de sa bouche, à la fois volontaire et sensuelle. Elle était si près de la sienne ! Levant les yeux, Kelly croisa le regard mystérieux de Brant. Le cœur battant, elle sentit sa main effleurer sa belle chevelure blonde.
Brusquement, il brisa le charme et se retourna pour ouvrir la porte de la Rolls.
— Entrons dans la voiture avant qu’il se remette à pleuvoir.
— Oui, dit-elle d’une voix troublée.
Encore tremblante, elle s’installa dans le confortable siège de cuir. Dans un moment d’égarement, elle avait cru qu’il allait l’embrasser. Honteuse, Kelly n’osait s’avouer sa déception.
— Dites-moi, Kelly, habitez-vous toujours chez votre grand-père ou êtes-vous retournée dans votre appartement ?
— Lorsque mon grand-père est parti à l’hôpital, je suis revenue chez moi.
Le souvenir pénible des dernières semaines passées auprès de son grand-père lui revint. Kelly avait emménagé chez Jœ McConell afin de pouvoir mieux s’occuper de lui. Le vieux monsieur s’était souvent montré impatient et irritable, mettant la résistance de sa petite-fille à dure épreuve. De plus, l’angoisse et le choc provoqués par sa mort l’avaient profondément déprimée.




— Vous avez oublié de tourner à droite pour aller au bureau, fit-elle remarquer d’une voix absente.
— Non, parce que nous n’allons pas au bureau. Je vous ramène chez vous.
— De quel droit ? J’ai du travail qui m’attend !
Brant ne daigna pas répondre. Il avait raison. Pour être honnête, Kelly ne se sentait pas de taille à affronter la pile de dossiers en retard qui s’entassait sur son bureau.
Ils n’échangèrent plus un mot, jusqu’à ce que Brant gare sa Rolls devant un bel immeuble. Dans une résidence de luxe, au milieu d’un parc situé en dehors de la ville, se trouvait l’appartement de Kelly. Brant avait déjà eu l’occasion d’y passer avec Jœ McConell.
— Je ne veux pas que vous retourniez au bureau avant la semaine prochaine ! ordonna-t-il d’une voix impérieuse.
Irritée au plus haut point par son attitude, Kelly réussit néanmoins à garder son calme.
— Par contre, pensez-vous pouvoir venir au cocktail offert par Georges pour son départ à la retraite ?
— Brant, je ne suis pas invalide ! Je peux très bien me rendre à une soirée !
Avait-il l’intention de lui demander d’être sa cavalière ? Le rythme de son cœur s’accéléra.
— Parfait ! Alors nous nous verrons là-bas. Entre temps, réfléchirez-vous à ma proposition ?
Devant ce comportement aussi désinvolte, Kelly devint furieuse. Ses yeux brillaient de colère.
— Quelle proposition ? Vous parlez de ce sinistre marché ?
— Vous savez très bien de quoi je parle.
— Navrée, Brant, je préfère réfléchir aux moyens d’annuler le testament de mon grand-père. Je pourrais le porter devant un tribunal et gagner ma cause.
Une telle éventualité n’eut pas l’air de le troubler.
— Oui, c’est vrai. Cela dit, vous prenez un risque. Une telle affaire provoquerait un scandale et le nom de votre grand-père serait sali. Et puis, vous ne seriez pas certaine de gagner.
— Rappelez-vous l’affaire Hadock contre Rollins. Le jury a donné raison au plaignant et le testament a été annulé.
— Et qu’allez-vous plaider ? Prétendrez-vous que votre grand-père était sénile ?
— Non ! En fait, je... je ne sais pas encore. Le problème demande réflexion. Je n’aurai sûrement pas le temps de m’occuper de votre proposition.
— Je sais déjà que vous ne vous lancerez pas dans un procès, Kelly. La meilleure solution est de respecter les dernières volontés de Jœ.
— Non, pas question ! s’écria-t-elle.
Elle sortit de la voiture et claqua violemment la porte. En deux secondes, elle ouvrait la porte de l’immeuble et entrait dans le hall dallé de marbre sans même regarder en arrière. La superbe voiture blanche démarra et s’éloigna à toute vitesse.
Une fois chez elle, toute son audace et sa confiance s’évanouirent. Kelly avait voulu défier Brant Harcourt ; à présent, cela lui semblait au-delà de ses forces. En théorie, il était très possible de faire annuler le testament ; hélas, Brant avait deviné juste : jamais elle ne pourrait salir la mémoire de son grand-père.
Oublier toute cette affaire, voilà la seule solution qui lui restait. Renoncer à la société familiale, ne plus penser à cet arrangement humiliant imaginé par Jœ : épouser Brant Harcourt pour conclure une bonne affaire ! Aux yeux de Kelly, de telles motivations étaient odieuses. Comment accepter un mariage sans amour ? La situation était cruelle. Car, malheureusement, Brant n’éprouvait pour elle qu’une froide condescendance. Cela était d’autant plus difficile à supporter que Kelly, depuis bien longtemps, s’était éprise de l’arrogant avocat.

lailajilali8 04-05-07 04:33 AM


Chapitre 3



— Kelly, tu nous as manqué cette semaine.
— Tu es gentil, Daniel. Le travail a dû être épuisant ces derniers jours, non ?
— Pas plus que d’habitude ! Je t’appelais pour prendre de tes nouvelles. Comment vas-tu ?
Confortablement assise dans un fauteuil de cuir, Kelly écoutait avec plaisir la voix chaleureuse de son ami.
— Je vais bien, merci. J’avais besoin d’un peu de repos supplémentaire...
— Oui, je comprends. Après la disparition de ton grand-père... Au fait, le notaire a lu le testament mardi dernier ?
— Oui.
Evidemment, Daniel n’avait pas oublié ce détail. Parmi ses collègues, les hypothèses les plus fantaisistes devaient circuler. Kelly s’attendait à des questions qui, à sa grande surprise, ne vinrent pas.
— Tiens, je voulais te demander une faveur. M’accepterais-tu comme cavalier pour la soirée de Georges ?
— Tu sais, Daniel, je ne suis pas vraiment d’humeur à me rendre à une soirée. Mais enfin, c’est en l’honneur de Georges. Il était le plus vieil ami de Jœ et je lui dois de venir.
— Il serait déçu si tu n’étais pas là. Moi aussi, d’ailleurs ! Et puis, à cette heure de la journée, je ne pourrai plus trouver d’autre cavalière.
Kelly éclata de rire.
— Quel menteur ! Ton carnet d’adresses est rempli de numéros de téléphone. Il te suffit d’en choisir un au hasard pour me trouver une remplaçante au pied levé. Puisque tu insistes, j’accepte ton invitation.
— Parfait, je passe te prendre à 8 heures.
En reposant le combiné, Kelly se dit qu’elle avait pris la bonne décision. Ce soir, elle n’avait pas envie de rester seule. Sortir, retrouver ses amis, se changer les idées... Au fait, Brant serait là ! Agacée, Kelly se demanda quelle pourrait être la beauté qui l’accompagnerait. La dernière fois, il avait à son bras une superbe rousse qui avait fait sensation. Oui, c’était bien le genre de Brant Harcourt de lui proposer le mariage et, quelques jours plus tard, de sortir avec sa nouvelle conquête ! Il n’abandonnerait pas ses habitudes de séducteur pour elle. Sans doute le mariage qu’il lui offrait n’était à ses yeux qu’un contrat signé entre deux associés. Alors pourquoi se gênerait-il ?
Le cœur serré, Kelly laissa vagabonder son regard dans la grande pièce du salon. Au-dessus de la cheminée se tenait le portrait de son grand-père.
« Comment as-tu osé me faire cela ? » murmura-t-elle.
Kelly fixa le sourire énigmatique de Jœ McConell. Depuis longtemps déjà, il ne lui avait pas dissimulé son vif désir de la voir épouser son associé. La jeune femme se rappelait la lueur de joie qui avait brillé dans ses yeux bleus le jour où il les avait présentés l’un à l’autre. Le lendemain, un samedi, Jœ avait envoyé Kelly chez Brant Harcourt, sous pré****e de lui apporter des ********s importants.
Kelly n’était pas dupe : ces papiers ne contenaient rien d’essentiel, Jœ aurait pu les lui transmettre le lundi suivant. Mais son grand-père avait été inflexible et Kelly avait dû se rendre chez le séduisant Brant Harcourt.
Ce jour-là, l’Aston Martin bleue de Brant était garée en bas de chez lui. Pourtant, quand Kelly sonna chez lui, il n’y eut aucune réponse. Dans l’espoir d’apercevoir le propriétaire ou bien un employé, elle passa par le jardin et découvrit une terrasse sur laquelle donnait une baie vitrée. Toujours personne ! Alors Kelly fit quelque chose qu’en temps normal elle n’aurait jamais fait : elle regarda par la fenêtre. Oh ! Elle ne voulait pas être indiscrète, seulement accomplir la mission confiée par son grand-père puis s’en aller. Mal lui en prit.
La scène resta gravée dans sa mémoire. Brant tenait enlacée une très jolie brune, vêtue d’une petite robe pailletée d’argent. Apparemment ils avaient passé la soirée précédente ensemble. Une main posée sur la taille fine, l’autre caressant les longs cheveux noirs, Brant la couvait d’un regard ardent. Soudain, attiré par la silhouette à la fenêtre, il détourna la tête et aperçut Kelly.
Mortifiée par son indiscrétion, Kelly n’avait eu qu’une envie : s’enfuir au plus vite. Mais Brant ne l’entendait pas ainsi. Rapidement il la rattrapa dans l’allée.
— Bonjour, mademoiselle McConell. Que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il, narquois.
— Rien, répliqua-t-elle sèchement. Je suis venue vous apporter ces dossiers, sur l’ordre de mon grand-père.
D’un geste brusque, elle lui mit les ********s dans les bras.
Il se rendrait compte que ces papiers n’avaient rien d’urgent, que tout cela n’était qu’un stratagème imaginé par son grand-père. A moins qu’il pense qu’elle l’avait elle-même inventé ? Extrêmement gênée, elle bredouilla des excuses.
— Je suis désolée de vous avoir dérangé...
— Ce n’est pas grave. Je ne vous retiens pas. A bientôt, mademoiselle !
Inutile de dire que sa voiture avait battu des records de vitesse. Kelly était rentrée chez elle, en rage de s’être fait humilier par cet arrogant personnage. Sa colère se tournait aussi contre elle-même. Elle s’en voulait de ne pas rester insensible au charme de Brant. Car elle était assez lucide pour s’apercevoir que la jalousie se mêlait à sa fureur. Ce jour-là, Kelly comprit que depuis l’entrée de Brant dans la société, elle s’était méprise sur ses sentiments pour le nouvel associé de son grand-père ; ce n’était pas de la rancœur qu’elle éprouvait à son égard, mais de l’amour.
Le lundi matin, Jœ McConell, impatient de connaître le fin mot de l’histoire, fit demander à sa petite-fille de monter le voir.



— Alors, comment t’a-t-il reçue, samedi, quand tu lui as apporté les ********s ?
— Tu veux vraiment le savoir ? Eh bien, je lui ai remis les dossiers, et il n’y a rien à raconter de plus.
— Il ne t’a pas invitée chez lui ?
— Non, il était occupé avec sa petite amie.
Kelly, à l’évidence, souhaitait mettre fin à l’interrogatoire. Mais il y avait trop d’émotion dans sa voix pour que la curiosité de son grand-père ne soit pas éveillée.
— Avec Brant, cela ne signifie pas grand-chose. Cela n’aurait pas dû t’impressionner, Kelly. Je te croyais plus tenace.
Jœ McConell avait raison : Kelly était tenace... seulement sur le plan professionnel. Dans le domaine affectif, elle manquait d’expérience et d’assurance pour oser poursuivre un homme de ses assiduités.
— Je ne tiens pas à me ridiculiser, grand-père. Il a déjà quelqu’un.
— Je suis sûr que ce n’est pas sérieux ! s’exclama-t-il.
La conviction avec laquelle il s’exprima surprit la jeune femme.
— Comment peux-tu le savoir ?
— Parce que je connais bien Brant Harcourt. L’autre jour, j’ai rencontré le père de sa femme défunte. C’est un vieil ami. Il est juge à Toronto. Nous avons discuté un peu et il m’a dit que son beau-fils ne s’est jamais remis de la mort de Francesca. Cela remonte à trois ans maintenant. Il l’adorait et depuis, il souffre beaucoup.
— Grand-père, je ne vois pas en quoi la vie privée de Brant nous concerne !
— Mais si, cela nous concerne. Brant vit seul dans sa grande propriété. J’ai l’intention d’organiser une soirée ce week-end et de l’inviter. Qu’en penses-tu ?

C’est ainsi que Kelly se retrouva dans le bureau de Brant Harcourt, chargée d’une invitation à dîner. Son grand-père avait repoussé ses protestations véhémentes et l’avait forcée à aller frapper à la porte voisine cinq minutes plus tard.
— Bonjour, mademoiselle McConell. Que désirez-vous ? demanda Brant d’une voix glaciale.
Il n’avait pas levé la tête. Visiblement concentré sur un ****e de loi difficile, il tenait un stylo à la main et notait un passage sur son bloc-notes.
Pendant un instant, Kelly ne sut que dire. Que faisait-elle ici ? Son grand-père se trompait complètement sur le compte de son associé. Lui, un homme solitaire un homme malheureux ?
— Kelly, je suis extrêmement occupé...
Enfin, il regardait la mince jeune femme, élégamment vêtue d’un tailleur de couturier. Rougissant sous son regard, Kelly fut touchée de l’entendre l’appeler par son prénom. Hélas, sa joie ne dura pas.
— Si vous venez à propos de votre candidature, je dois vous annoncer qu’elle a été refusée, enchaîna-t-il. Nous avons choisi Daniel Marsden, un nouveau venu dans l’entreprise.
Quel manque d’égards ! La déception et la colère lui firent serrer les poings.
— Je le sais déjà. Mon grand-père m’en a déjà informée.
C’était un mensonge délibéré. Mais il fallait sauver la face.
— Je suis venue pour vous inviter à dîner vendredi soir...
— Désolé, j’ai trop de travail, coupa-t-il en plongeant dans ses dossiers. Et puis, il est inutile de vous attendre à un traitement de faveur par ces délicates intentions. Comme je vous l’ai dit, le poste a déjà été attribué. Ce n’est pas parce que vous êtes la petite-fille de Jœ McConell que vous aurez la préférence. Tenez-vous-le pour dit ! C’était peut-être le cas par le passé mais, maintenant que je suis l’associé de votre grand-père, c’est terminé !
Kelly n’en croyait pas ses oreilles. Jamais elle n’avait entendu des paroles si humiliantes !
— Que croyez-vous donc ? Je n’ai jamais bénéficié de tels privilèges et je n’en attends pas de votre part !
— Ah ! Vraiment ? Très bien, dit-il avec un regard incrédule. Alors, je vous remercie pour votre invitation désintéressée et je regrette de ne pouvoir accepter.
*
* *
En songeant à cette lointaine conversation, Kelly sentait l’indignation resurgir en elle. Avec quelle facilité Brant Harcourt pouvait être insultant ! A plusieurs reprises, il l’avait fait sortir de ses gonds. Et pourtant, il lui suffisait de sourire, de parler avec douceur, pour que toute la rancune de Kelly disparaisse aussitôt.
Dans un soupir, Kelly se leva de son fauteuil et fixa le majestueux portrait.
« Grand-père, cette fois-ci, tu es quand même allé trop loin ! Brant ne veut pas de moi. Il ne m’aime pas ! »
Afin de chasser ses idées noires, elle décida d’aller s’apprêter pour la fête de ce soir. L’air soucieux, Kelly monta l’escalier et gagna sa chambre.
Cette pièce était décorée avec goût. C’est elle qui avait choisi la couleur bleutée du papier, les confortables fauteuils beiges, les lourds rideaux de velours. Son grand lit était recouvert d’un immense édredon confortable et de coussins assortis aux motifs cachemire des draps. Sur sa coiffeuse, Kelly avait déposé quelques flacons des parfums français qu’elle aimait ainsi que son précieux coffret à bijoux. Chaque jour, elle avait soin de garnir sa chambre d’un bouquet de roses blanches ou d’orchidées, ses fleurs préférées. Kelly était fière de posséder à vingt-sept ans un vaste appartement qui lui plaisait. Grâce à son travail, et à un petit coup de pouce de son grand-père, elle avait pu l’acheter et l’aménager à son aise. Il représentait à ses yeux une indépendance chèrement acquise et une certaine réussite personnelle.
Jetant un œil à sa montre, Kelly vit qu’il ne fallait plus tarder à se préparer. Une bonne douche lui remettrait les idées en place !
Enveloppée dans un peignoir de velours, assise à sa coiffeuse, Kelly avait remonté en chignon ses cheveux blonds qui bouclaient légèrement sur sa nuque. Etendant le bras vers sa chaîne laser, elle mit un disque de Chopin. La musique romantique était sa passion. Brant Harcourt se moquerait d’elle s’il savait qu’à ses moments perdus, Kelly s’enfermait dans sa chambre et écoutait des mélodies mélancoliques de Liszt, de Schubert. Oui, il serait incapable de comprendre. Et puis, qu’il aille au diable !
Comme pour le défier, elle monta le son.





Vêtue de sa combinaison de soie, Kelly passa en revue les robes qui emplissaient sa penderie. Son choix s’arrêta sur une somptueuse robe émeraude que jamais elle n’avait osé porter. Le décolleté très avantageux lui avait jusqu’à présent semblé trop audacieux. Ce soir, porter cette tenue ne lui ferait pas peur, elle se sentait toutes les audaces.

Dans la voiture de Daniel pourtant, Kelly eut quelques scrupules tardifs. Sa robe, très près du corps, soulignait sa mince silhouette de façon presque impudique. Si seulement elle avait pensé à mettre un collier pour détourner les regards de ce décolleté plongeant ! En tout cas, Daniel l’avait accueillie par un sourire d’admiration. A présent, il l’entretenait à propos des récentes victoires du cabinet Harcourt et McConell et faisait les louanges de Brant : son dernier procès avait été un coup de maître.
— Tu vois, à mon avis, il n’aura aucun mal à gagner ce procès. L’accusation a été prise de court. Apparemment, ils étaient persuadés que l’affaire était dans la poche. Au dernier moment, Brant a présenté une pièce qui a renversé la situation. Franchement, Kelly, c’était brillant ! Il vaut mieux avoir Brant de son côté, je t’assure. Cet homme est redoutable !
— Oui, je veux bien te croire.
— Après cela, je ne m’étonne plus que Jœ McConell ait tenu absolument à l’avoir comme associé, continua-t-il sans remarquer la nervosité de sa passagère.
— J’ai toujours pensé que Georges Wright aurait été meilleur à ce poste.
— Tu plaisantes ! Georges était trop âgé pour occuper un tel poste ! Dis donc, tu te souviens que nous allons fêter sa retraite ?
— En tout cas, si Jœ lui avait proposé de travailler avec lui, il ne serait peut-être pas parti.
— J’en doute. Et puis, jamais Georges n’aurait eu les capitaux nécessaires pour devenir l’associé de Jœ. C’est un excellent avocat, mais il n’a pas l’envergure de Brant.
Les réponses de Kelly avaient intrigué Daniel qui lui jeta un regard étonné.
— Essayes-tu de me dire que tu trouves Brant Harcourt incompétent ?
— Non, il est assez bon dans son domaine.
— Quoi ? Tu dois être la seule femme de Toronto qui ne soit pas folle de lui ! C’est le meilleur parti de toute la ville... à part moi, évidemment !
— Oh ! Toi, tu es hors concours, Daniel !
— J’espère que c’est un compliment, mademoiselle McConell !
Devant le prestigieux Majestic Hotel où la société McConell organisait ses festivités, Daniel gara sa voiture de sport.
— Mais bien sûr !
— Tu es adorable, répondit Daniel en déposant un baiser sur ses lèvres.
Kelly le savait : les baisers de Daniel ne prêtaient pas à conséquence. Entre eux, c’était une manifestation de tendresse et d’amitié plus que d’amour. Daniel Marsden était réputé pour être un don Juan et Kelly ne s’en formalisait pas. Il restait pour elle un excellent ami et rien de plus.
— Tiens, voilà Brant ! s’exclama-t-il en se redressant.
En effet, la Rolls blanche venait de se garer en face de leur voiture et Brant, d’une grande élégance dans son smoking noir, en sortait avec sa prestance habituelle. Pendant quelques secondes, Kelly resta fascinée par la séduction extraordinaire qui émanait de cet homme. Elle ne remarqua pas immédiatement qu’il était accompagné.
— Eh bien ! C’est Susanna Winters ! s’écria Daniel.
Aussitôt Kelly aperçut la pulpeuse femme blonde vêtue d’un fourreau blanc qui s’accrochait au bras de Brant Harcourt. Déçue, elle fit une grimace involontaire. Daniel, les yeux rivés sur Susanna, ne la vit pas.
— Première nouvelle ! s’exclama Daniel. J’ignorais que Brant avait une liaison avec Susanna.
— Moi aussi. En tout cas, elle aura deux raisons de se réjouir ce soir.
— Ah bon ? Pourquoi ?
— Elle a obtenu le divorce hier et elle tient dans ses bras l’homme de ses rêves. Que peut-elle demander de plus ?
— C’est vrai, elle est rayonnante.
Kelly n’avait jamais aimé Susanna Winters. Celle-ci travaillait également chez Harcourt et McConell. Toutes les deux avaient à peu près le même âge, mais elles n’avaient jamais sympathisé. Kelly lui reprochait son ambition froide et calculatrice. Susanna et Brant formaient bien le couple idéal, se dit Kelly tristement.
— Tu crois qu’ils nous ont vus ? demanda-t-elle en les regardant disparaître dans le hall illuminé.
— Sûrement ! Rien n’échappe à Brant.
Tant mieux ! Kelly ne se faisait malgré tout pas d’illusions : Brant ne lui ferait pas une scène de jalousie. Elle avait cependant très envie de lui faire regretter d’avoir invité Susanna Winters à sa place. En voyant en Daniel un rival, peut-être craindrait-il pour ses chères actions ?
— Allons retrouver les autres, Kelly.
Après avoir confié sa voiture au chasseur de l’hôtel, Daniel tendit le bras à Kelly. Ensemble, ils gravirent les marches du Majestic. Dans le hall, décoré avec faste, des visages familiers saluèrent le couple qui entrait. Les lustres de cristal, les tapis rouges, les miroirs encadrés de dorures, tout créait une atmosphère de fête et de luxe. Dans de grandes vasques, on avait mis des orangers et d’immenses guirlandes fleuries serpentaient sur les colonnes de marbre. Comme d’habitude, la société avait organisé la soirée sans compter : les salons du Majestic étaient les plus prisés de la ville. Dans le plus grand, un orchestre accueillait les invités.
A travers la foule, Kelly aperçut immédiatement Brant. Sûr de lui, plus séduisant que jamais, il tenait Susanna par la taille et riait avec sa compagne. Brant Harcourt était bien loin de se faire du souci à propos du testament de Jœ comme Kelly l’avait escompté ! Comment pouvait-il être aussi certain qu’elle lui donnerait son accord, alors qu’il s’affichait avec une autre, alors que Kelly elle-même avait un prétendant ? Apparemment, il ne doutait de rien ! Cette évidence agaça Kelly au plus haut point. Et à son irritation se mêlait du dépit : voir Brant enlacer la belle Susanna Winters était presque une torture. Si seulement elle avait le pouvoir de lui rendre tout le mal qu’il lui causait en ce moment ! Impossible... Cet homme était sans cœur, et Kelly le regardait, impuissante.


— Kelly, comme c’est gentil à toi d’être venue ! s’exclama Georges Wright en l’embrassant affectueusement. Tu es magnifique ! Si j’avais trente ans de moins, je tenterais de rivaliser avec Brant...
Coupant court, Kelly se hâta de l’interrompre.
— Bonsoir, Georges. Merci du compliment. En fait, je suis accompagnée par Daniel.
— Ah ! Très bien, dit-il, gêné.
Les paroles de Georges avaient embarrassé Kelly. Connaissait-il le contenu du testament ? S’il devenait public, Kelly en mourrait de honte. Pendant un instant, elle garda le silence, l’air contrarié. Par bonheur, Georges détruisit ses soupçons.
— Désolé d’avoir fait cette gaffe, Kelly. Jœ m’a tellement répété qu’il souhaitait un jour vous voir vous marier que j’ai tendance à croire que vous êtes ensemble. Que veux-tu, c’est l’âge !... Au fait, on a lu le testament il y a quelques jours, non ? Que penses-tu faire de tes actions ? Vas-tu diriger la société avec Brant ?
— J’hésite encore..., répondit-elle.
Il valait mieux rester dans le vague. Et puis, elle ne mentait pas en disant qu’elle n’avait pris aucune décision pour le moment. Georges ignorait tout du piège que lui avait tendu son grand-père. Et Kelly n’avait pas l’intention de le mettre au courant.
— Si tu as besoin de conseils sur ce sujet, tu peux me passer un coup de fil. Je suis à ta disposition. Mais si tu veux mon avis, tu devrais vendre. Tu es trop jeune pour être à la tête d’un tel empire. Brant te rachèterait tes actions au prix fort et la société serait admirablement gérée.
— Je n’en doute pas !
Kelly ne pouvait ajouter que le testament ne lui laissait pas le droit de revendre les actions de Jœ McConell. Une faible partie, tout au plus, lui reviendrait tandis que le reste serait partagé entre une multitude d’acheteurs. A moins que... Non, elle ne voulait pas penser à la dernière opportunité ! Au nom d’un marché sordide, s’offrir à un homme pour lequel on n’est que l’instrument de son ambition. Jamais de la vie !
Instinctivement, ses yeux cherchèrent Brant. Au milieu d’un groupe de jeunes femmes admiratives — de nouvelles secrétaires — il discutait avec une de ses collaboratrices. Comme on pouvait s’y attendre, toutes buvaient ses paroles. Kelly méprisait leur attitude qu’elle trouvait peu digne. En réalité, sans qu’elle s’en aperçoive, c’était la jalousie qui, de nouveau, pointait ses flèches vers elle.
— Pardonne-moi de t’avoir laissée aussi longtemps, lui dit Daniel qui rapportait des coupes de champagne. Alors, Georges, que penses-tu de la retraite ? As-tu des projets ? reprit-il à l’adresse de l’avocat.
— Oh ! oui. Je compte bien aller pêcher et puis, j’ai une dizaine de petits-enfants dont je vais m’occuper avec plaisir. J’aurai une retraite très active !
— J’espère que tout cela te laissera le temps de nous rendre visite.
La belle voix grave de Brant fit frémir Kelly. Délibérément, elle garda les yeux fixés sur Georges et ne se retourna pas pour saluer le cavalier de Susanna Winters.
— Non, Brant, je t’assure que je n’y manquerai pas. Vous allez tous me manquer, répondit le vieil homme avec nostalgie.
— Tu nous manqueras aussi, murmura Kelly.
— Lorsque vous aurez pris la tête de la société, Kelly, vous n’accorderez plus beaucoup de place aux sentiments, interrompit Susanna Winters, perfide.
— Qu’est-ce qui vous fait croire que je vais m’occuper de la société ? répliqua Kelly en tournant la tête.
La belle blonde était toujours au bras de Brant. Moulée dans un fourreau blanc terriblement sexy, elle s’appuyait contre lui avec abandon. Et n’en continua pas moins son attaque avec un sourire hypocrite.
— C’est évident ! Tout le monde sait que vous allez hériter des actions McConell. Ce doit être merveilleux de tout obtenir sur un plateau d’argent !
Par envie, par méchanceté, Susanna voulait à tout prix humilier Kelly devant ses amis et devant Brant. La jeune femme, consciente du piège, ne mordit pas à l’hameçon.
— Oui, en effet, ce doit être merveilleux. Malheureusement, je n’ai jamais eu l’occasion d’en bénéficier.
— Je n’en crois pas un mot ! s’exclama Susanna. Jœ n’a pas dû lésiner sur les moyens pour vous faire inscrire à Harvard et j’imagine que, pour vos vingt ans, il vous a offert une place dans la société !
— Ma pauvre Susanna, vous vous trompez complètement ! Pour entrer à Harvard, j’ai passé un concours et obtenu une bourse, voilà tout ! Et Jœ, puisque vous vous permettez de l’appeler par son prénom depuis quelques jours, ne souhaitait pas que je travaille avec lui. En réalité, il désirait que je m’en tienne à l’éducation d’une future mère de famille.
Brant semblait prendre plaisir à cet échange empoisonné. Furieuse, Kelly lui jeta un regard glacial. Bizarrement Brant l’affronta en souriant. Avec désinvolture, il promena ses yeux sur le décolleté avantageux de Kelly et sur les courbes à peine voilées de son corps.
— Voulez-vous danser, Kelly ?
Interdite, elle crut avoir mal entendu et le fixa sans mot dire. Brant prit son silence pour un acquiescement et l’entraîna vers la piste de danse. Comment refuser cette invitation ? Oui, comment refuser alors qu’au fond d’elle-même, elle mourait d’envie que Brant la prenne dans ses bras ? Avec joie, Kelly aperçut la mine déconfite de Susanna avant de prendre place parmi les danseurs. Un frisson délicieux la parcourut lorsque Brant lui enlaça la taille. Sur sa peau, Kelly sentait la pression de la main de Brant. A peine osait-elle lever les yeux vers lui. Non, Brant y lirait aisément tout son trouble. Alors, le visage abandonné contre la large poitrine, Kelly se laissait conduire au rythme d’une musique romantique. L’eau de toilette de Brant lui faisait tourner la tête et, sous le charme, elle se taisait.
Ah ! Si cet instant magique pouvait durer toujours !


— Vous avez très bien remis en place Susanna, fit-il remarquer.
— Brant, savez-vous que c’est la première fois que vous m’invitez à danser ? murmura-t-elle.
— C’est vrai ? J’ignorais que vous gardiez le souvenir de tels détails !
Cette remarque innocente la blessa. Kelly était ce soir d’une sensibilité à fleur de peau.
— Avez-vous réfléchi à ma proposition, Kelly ?
Elle secoua la tête, trop émue pour pouvoir parler.
— Alors, je vous demande d’y penser maintenant... Vous ai-je dit que je vous trouvais très désirable dans cette robe ?
Sa voix grave envoûtait Kelly pendant que, de la main, il lui caressait les hanches. Ce compliment inattendu déclencha en elle un flot d’émotions violentes et contradictoires. Il aurait été facile de se prêter à ce jeu de séduction. Mais, refusant de céder à l’attraction que Brant exerçait sur elle, Kelly se raidit. Elle se dégagea de son étreinte et fixa Brant avec colère. Ses beaux yeux verts lançaient des éclairs.
— Comment osez-vous me parler encore de ce mariage alors que votre petite amie se trouve à deux pas ? lança-t-elle d’une voix indignée. Etes-vous à ce point insensible ?
Sa véhémence n’avait pas chassé le sourire charmeur de Brant qui la regardait intensément.
— Susanna sait exactement à quoi s’en tenir avec moi. Je n’ai pas l’habitude de simuler des sentiments que je n’éprouve pas, ni de promettre ce que je ne compte pas tenir. Ça vous surprend peut-être, mais je joue toujours franc-jeu avec les femmes, et si cela leur donne l’impression que je suis froid ou insensible, comme vous dites, c’est leur problème.
— Très bien ! En ce qui me concerne, je préfère garder mes distances.
La gorge serrée, Kelly fit mine de détourner la tête. Brant l’en empêcha d’une main. Ses yeux ne purent échapper au regard captivant de Brant.
— Alors, c’est plutôt le genre de Daniel Marsden qui vous attire, reprit-il par provocation. Vous vous attendiez à ce que je vous fasse des serments, des déclarations d’amour passionné ? Vous rendez-vous compte qu’en ce qui concerne les femmes, Daniel manque totalement de sincérité ? Est-ce vraiment ce que vous désirez ? Est-ce ainsi que je devrais m’y prendre ?
— Je ne vous demande rien !
— Vous mentez ! dit-il dans un souffle en approchant les lèvres.
La surprise pétrifia Kelly : Brant allait l’embrasser devant tout le monde ! Sans s’occuper des spectateurs, il resserra son étreinte et s’empara avec fougue des lèvres de Kelly. Inutile de résister ! Elle n’en avait aucune envie d’ailleurs. Quelles sensations délicieuses l’envahirent alors... Sa colère contre lui s’était évanouie, elle avait oublié la présence de ses collègues. Plus rien ne comptait. Dans les bras puissants de Brant, elle s’abandonnait langoureusement. Brusquement Brant rompit le charme.
— Je ne m’étais pas trompé, Kelly, n’est-ce pas ? murmura-t-il. Dès le premier jour, j’ai su que je vous plaisais.
Kelly aurait tant voulu avoir la force de le contredire ! Hélas, les mots ne venaient pas. Kelly aurait voulu mentir, lui affirmer qu’il se trompait. Impossible ! Bouleversée, humiliée, elle préféra la fuite. Fendant la foule, elle quitta la salle de danse sans prêter attention aux regards étonnés de certains convives. Brant la suivit dans le grand couloir qui menait vers les ascenseurs.
— Kelly ! cria-t-il.
— Allez-vous-en, Brant ! Vous m’avez ridiculisée devant tout le monde. Etes-vous satisfait ?
— Depuis quand est-il ridicule d’être attiré par quelqu’un ?
— Depuis notre rencontre ! Je vous l’ai dit, je préfère garder mes distances. Je ne ferai pas partie de vos victimes, Brant !
— Non, certainement pas ma victime, Kelly, dit-il d’une voix caressante. Kelly, faisons une trêve...
— Oui, évidemment, vous avez tout à y gagner !
— Tous les deux, nous avons beaucoup à y gagner.
— Non, je n’ai pas l’intention de m’aliéner à un homme pour lequel l’argent compte plus que les sentiments. L’amour a pour moi une grande importance, Brant. Bien sûr, je ne m’attends pas à ce que vous le compreniez. Vous avez d’autres priorités !
— Bravo, quelle fougue ! Pardonnez-moi si j’ai du mal à vous croire. Jusqu’à présent, vous faisiez passer votre carrière avant les sentiments.
— C’est faux !
— Alors donnez-moi une chance de me rattraper. Que pensez-vous d’un dîner, demain soir ?
— Non, Brant ! Je vous ai dit que cela ne m’intéressait pas !
Avant qu’elle s’engouffre dans l’ascenseur, il la retint par le poignet.
— Pour l’amour du ciel, cessez vos simagrées, Kelly ! Je sais exactement ce que vous ressentez pour moi.
L’attirant brutalement à lui, Brant la fixa un instant de ses yeux sombres.
— Je vois clair dans votre jeu, Kelly : vous voulez faire la difficile ou jouer l’effarouchée. D’accord, si ça vous amuse. Mais mettez-vous bien en tête qu’à la fin, c’est moi qui gagnerai !
Cela dit, Brant la relâcha et tourna les talons. D’un pas déterminé, il retourna se joindre aux autres.
Le cœur battant, encore sous le choc de ses paroles, Kelly se sentit au bord du vertige. Qu’avait-il osé prétendre ? Quelle arrogance détestable ! Ah ! Oui, elle allait lui montrer combien elle se préoccupait de lui.
La tête haute, Kelly pénétra dans le salon noir de monde, prête à affronter Brant et ses incroyables prétentions. Pourtant, dès que ses yeux rencontrèrent ceux de Brant, la lueur de triomphe qu’elle y vit détruisit instantanément son courage. Kelly comprit à ce moment-là qu’elle avait réagi comme il l’avait prévu. Il l’avait provoquée à dessein pour qu’elle revienne à la réception. Avec consternation, Kelly dut reconnaître que Brant l’avait manipulée. Et elle eut le sombre pressentiment que cela ne faisait que commencer.



à suivre


lailajilali8 05-05-07 01:12 AM

chapitre 4


— Voici encore des fleurs pour vous, Kelly !
Maggie entra dans le bureau, les bras chargés d’un gigantesque bouquet de roses blanches. Où allait-elle donc les mettre ? La pièce en était déjà remplie. Elle avisa un fauteuil encore vide et déposa délicatement le bouquet.
— On se croirait dans une roseraie ! dit-elle en riant.
Kelly ne riait pas du tout. Lorsque les premières fleurs étaient arrivées, ce matin à 9 heures la surprise avait été agréable. Mais ensuite, quand toutes les heures un nouveau bouquet avait été envoyé, la surprise avait laissé place à l’agacement. Dans tout l’immeuble, on chuchotait à propos des roses reçues par Kelly. Maggie n’avait pas dû se priver de dire qu’elles venaient de Brant ! Les bavardages iraient bon train. Et Daniel ? Qu’allait-il en penser ? Par chance, il n’avait pas vu le baiser de la veille. Dans le cas présent, il faudrait qu’il soit aveugle pour ignorer ces roses. Même s’il n’était pas question de jalousie entre eux, Daniel ne pourrait s’empêcher d’être étonné, très étonné...
Pendant que Kelly réfléchissait, Maggie cherchait un vase.
— Nous n’avons plus rien où les mettre. Voulez-vous que je demande à une des employées d’aller acheter...
— Non, non. Laissez-les où elles sont, ça ira très bien, coupa Kelly, l’air renfrogné.
— Bon. De toute façon, comme vous n’avez plus aucun rendez-vous aujourd’hui, il n’est pas gênant qu’elles restent sur ce fauteuil.
— Brant est-il de retour du tribunal ?
— Non, mais il ne devrait pas tarder. Dès qu’il arrive, je vous préviens, ajouta-t-elle en se dirigeant vers la porte. Ah ! J’aimerais bien que quelqu’un m’envoie des fleurs comme celles-là, c’est tellement romantique ! Surtout de la part de Brant Harcourt !
Kelly jeta un regard noir à sa secrétaire qui s’esquiva. Brant lui avait fait porter ces roses par calcul, tout simplement ! Kelly ne s’y méprenait pas. Il n’y avait là rien de romantique. A la pensée que tout le monde croirait que Brant et elle filaient le parfait amour, Kelly fut prise d’une colère froide. Elle eut toutes les peines du monde à se replonger dans le ******** qu’elle étudiait.
A peine cinq minutes plus tard, la sonnerie de l’Interphone retentit. En levant la tête, Kelly reconnut Susanna Winters dans le bureau de sa secrétaire.
— Kelly, Susanna Winters aimerait avoir un entretien. Peut-elle venir ?
En cet instant, Susanna était bien la dernière personne que Kelly désirait voir. Mais que pouvait-elle faire ?
— Oui, qu’elle entre.
Comme d’habitude Susanna était superbe. Ses cheveux blonds auréolaient son beau visage, maquillé avec art, une robe de soie soulignait sa mince silhouette : pour bien des hommes, elle devait incarner la beauté idéale.
— Que puis-je pour vous, Susanna ? demanda Kelly avec un sourire forcé.
D’un geste de la main, elle lui indiqua le fauteuil situé devant son bureau qu’encombrait le dernier bouquet. Avec un certain plaisir, Kelly regarda la jeune femme poser les roses par terre d’un air pincé. Mais son sourire disparut quand elle vit Susanna extraire une carte et la lire sans gêne aucune. Que contenait-elle ?
— Allez-vous accepter ? demanda Susanna.
— Accepter quoi ?
— L’invitation de Brant à dîner, répondit-elle avec impatience.
Ouf ! Brant n’avait pas parlé de mariage dans son message.
— Je ne sais pas encore, répliqua Kelly, désinvolte.
Evidemment, Brant n’avait rien écrit de personnel ! pensa-t-elle. Sa frayeur avait été stupide. Sa secrétaire avait dû tout organiser. Kelly se représentait la scène : Brant, assis à son bureau, écoutant sa secrétaire lui lire la correspondance du jour. Une fois ce travail achevé, au détour de la conversation, il lui disait : « Oh, faites donc envoyer un bouquet de roses blanches à Mlle McConell, disons... toutes les heures. Vous mettrez une invitation à dîner dans le dernier. »
Susanna, qui s’impatientait sur son siège, fit revenir Kelly à la réalité.
— Vous vouliez me voir pour une chose en particulier, Susanna ?
— Oui. Je veux savoir ce qui se passe exactement entre vous et Brant.
L’attaque directe mit Kelly mal à l’aise. Elle n’en laissa rien voir cependant.
— Cela ne vous regarde pas, Susanna.
— Eh bien, si, figurez-vous. Depuis deux mois, Brant et moi nous voyons assez régulièrement et j’estime avoir le droit de vous demander quelles sont vos intentions à son égard.
La voix suave de Susanna était calme. Seuls ses yeux bleus, parfois animés de sombres lueurs, trahissaient sa fureur.
— C’est plutôt à Brant que vous devriez poser la question, vous ne pensez pas ?
Malgré son ressentiment pour Susanna, Kelly ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la pitié pour cette femme délaissée. Cela ne fit qu’accroître sa colère contre Brant. Il avait vraiment un cœur de pierre ! Il se comportait comme un mufle vis-à-vis de cette jeune femme. S’il prétendait réellement faire la cour à Kelly, la moindre des choses était de quitter Susanna Winters avec tact.
— C’est tout à fait inutile, reprit Susanna sur un ton méprisant. Je connais ses intentions : il veut les actions McConell, et, pour une raison que j’ignore, vous refusez de les lui vendre.
— Ah oui ? Merci de me l’apprendre, jeta Kelly.
Tout à coup, elle n’éprouvait plus aucune compassion pour sa rivale.
— Ne me prenez pas pour une idiote ! Il est évident que la seule chose qui attire Brant, ce sont vos actions ! Je comprends que vous essayiez de retenir son attention en lui refusant ce qu’il désire. Je trouve même cela pathétique. Enfin, Kelly, vous vous ridiculisez !

— Susanna, répondit Kelly, exaspérée. Auriez-vous l’amabilité de refermer la porte derrière vous en partant ?
Nonchalamment la jolie femme blonde se leva. Le parfum capiteux qu’elle portait dominait celui des roses et donnait mal à la tête. Au moment de sortir, Susanna se retourna pour donner le coup de grâce à Kelly.
— Rappelez-vous, Kelly : samedi soir, c’était moi la cavalière de Brant. Et surtout, c’est moi qu’il a choisie de ramener chez lui ensuite !
Et Susanna Winters disparut en claquant la porte, laissant Kelly en proie à la jalousie. Quelle vengeance ! Susanna devait en avoir gros sur le cœur mais pas question de lui pardonner cette scène ! Soudain l’Interphone sonna.
— Brant est rentré, Kelly, avertit Maggie.
Le moment des explications était venu. Prenant le bouquet que Susanna avait laissé par terre, Kelly se dirigea vers l’ascenseur, prête à dire à Brant Harcourt ce qu’elle pensait de lui.
— Kelly, quelle bonne surprise ! s’exclama Brant en la voyant entrer. Voulez-vous que nous allions ce soir chez Jack Daniels à moins que vous préfériez un autre restaurant ?
— Je n’ai pas l’intention de dîner avec vous ce soir ! Et excusez-moi si je ne vous remercie pas pour vos fleurs.
D’un geste théâtral, elle jeta le bouquet de roses sur son bureau, faisant voler quelques papiers. Un vague sourire sur les lèvres, Brant s’arrêta un instant à la contempler. Son tailleur crème lui allait à ravir et le rose à ses joues rehaussait l’éclat de son teint.
— Vous êtes encore plus belle quand vous êtes en colère, Kelly !
— Plus belle que qui ? Que Susanna Winters ?
— Ah ! Je vois.
— Non, vous ne voyez rien ! Je pensais avoir été claire samedi : ni vous ni le mariage ne m’intéressent. En m’envoyant ces fleurs, vous m’avez mise dans une situation très embarrassante.
— J’ignorais que faire porter des roses à une femme pouvait la mettre dans l’embarras. Dans mon esprit, c’était plutôt romantique.
De la fenêtre, où il se tenait debout, un verre de whisky à la main, Brant s’approcha de son bureau. La scène l’amusait beaucoup, cela se lisait dans son regard.
— J’avais cru deviner qu’une histoire d’amour ne vous déplairait pas et que vous aimeriez que je vous fasse la cour.
— Vous avez mal compris !
— Dommage, je m’étais fait à cette idée. Voilà longtemps que je n’avais pas eu à courtiser une femme pour la séduire et cela m’amusait. Et puis, j’étais prêt à réviser mon opinion sur vous, Kelly. J’avais cessé de ne voir en vous qu’une jeune femme d’affaires ambitieuse.
Comme l’autre jour, Brant essayait de la provoquer mais cette fois, sa tactique ne marcherait pas !
— Vous trouvez romantique d’envoyer des fleurs à une femme alors que votre petite amie travaille dans le même immeuble ?
— Et nous voilà revenus à Susanna Winters !
Levant son verre de cristal, il fit tourner le liquide ambré avant d’en boire une gorgée. Sa désinvolture irritait Kelly tout autant qu’elle la séduisait. L’élégance de ses gestes, le bon goût de ses vêtements, la beauté sculpturale de son visage hâlé, tout en lui charmait les femmes. Et Kelly ne faisait pas exception. Elle aurait voulu posséder la force de caractère suffisante pour y rester insensible. Mais à peine rencontrait-elle son regard qu’elle sentait sa détermination s’évanouir.
— Oui, je parle de Susanna Winters. A moins qu’il y en ait d’autres ?
— Non, non, répondit-il sans relever l’insolence. Kelly, ne vous tracassez pas à propos de Susanna. C’est vrai, il nous est arrivé de sortir quelquefois ensemble, mais nous en sommes restés là. Il n’y a rien de sérieux entre Susanna et moi. Elle le sait très bien, d’ailleurs !
— Et cela justifie tout ? Parce que vous jouez franc-jeu avec elle, cela vous autorise à vous conduire comme le dernier des mufles ? s’exclama-t-elle, furieuse. Vous avez prévenu Susanna que votre liaison n’irait pas bien loin, donc vous vous permettez de m’envoyer des roses après avoir passé la nuit avec elle ! Je prévois déjà ce que vous allez me répondre : que je suis bien naïve de me choquer pour si peu. Mais ça ne m’empêchera pas de vous dire que je trouve votre attitude scandaleuse ! Vous avertissez une femme que vous ne l’aimez pas et, dès lors, une fois que vous l’avez mise dans votre lit, cela vous laisse toute votre liberté !
Etonné par sa véhémence, Brant gardait tout son calme. Tranquillement, il but une dernière gorgée de whisky et reposa son verre.
— Selon vous, ma conduite serait plus acceptable si je mentais sur la nature de mes sentiments ? Bon, écoutez, oubliez Susanna Winters. Elle n’a rien à voir avec nous et vous n’avez aucune raison d’être jalouse.
— Je ne suis pas jalouse, s’écria Kelly, et il n’y a pas de « nous » ! Je vous l’ai déjà dit !
— Oui, oui, je sais... Venez, Kelly, approchez-vous ! Brant lui tendait la main et la couvait d’un regard indéfinissable. Médusée, Kelly resta immobile.
— Pourquoi ? demanda-t-elle d’une voix hésitante.
— Venez plus près, je vous le dirai. Que se passe-t-il, vous avez peur ?
Peur, non. Mais un étrange pressentiment l’avait envahie. La fascination que Brant exerçait sur elle en ce moment l’inquiétait. Kelly, d’un autre côté, ne voulait pas passer pour lâche. Elle fit un pas dans sa direction.
Aussitôt Brant lui saisit le poignet, sans essayer de la forcer à venir plus près. Dans un geste d’une infinie douceur, il effleura la peau satinée de sa main. Cette caresse inattendue mit Kelly au supplice
— Depuis notre première rencontre, j’ai su qu’il y avait entre nous une force inexplicable qui nous attirait l’un vers l’autre. Chaque fois que j’entends votre nom, chaque fois que je vous vois, cette force me rapproche de vous.
Délicatement, il porta la main de Kelly à ses lèvres.
— Je ne suis pas l’homme insensible que vous imaginez, Kelly. Vos reproches sur ma conduite envers les femmes étaient en partie fondés, je le reconnais. Quand je quitte une femme prévenue que notre liaison ne durera pas, je n’éprouve aucun remords. Mais, entre vous et moi, ce genre de choses ne se produira pas, je vous l’assure.
Un baiser furtif sur le poignet de Kelly mit le comble à l’émoi de la jeune femme. Enfin, Brant relâcha sa main. Silencieuse, Kelly tentait de recouvrer ses esprits. Les explications de Brant n’avaient pas calmé sa colère et ses manifestations de tendresse ne faisaient qu’ajouter à sa confusion. C’est seulement après quelques secondes qu’elle eut la force de parler.
— Vous me faites la cour uniquement pour obtenir vos précieuses actions ! Et dans ce but, vous accepteriez d’épouser une femme qui ne vous plaît même pas.
— Qui vous dit que vous ne me plaisez pas ?
Brant accompagna ses paroles d’un regard explicite qui s’attarda sur la jolie silhouette de Kelly. Un sentiment ambigu s’empara de la jeune femme : colère et joie se mêlaient. Si elle lui plaisait, pourquoi donc l’avait-il toujours traitée avec dédain ? Ah, que de malentendus auraient été évités ! Aussitôt des doutes l’assaillirent. Et si tout cela n’était qu’une ruse ? Oui, ce n’était rien d’autre qu’une ruse !
— Je ne vous comprends pas, murmura-t-elle. La compagnie McConell est une grosse affaire mais vous n’en avez pas vraiment besoin avec tout ce que vous possédez dans la ville. Pourquoi utiliser des moyens aussi retors pour récupérer la compagnie de mon grand-père ?
— Des moyens retors ? Non. Je veux cette société, Kelly. Et quand je désire quelque chose, je l’obtiens toujours. Je veux la compagnie McConell et je vous veux avec !
— Parce que je fais partie du marché ?
— D’une certaine façon, oui, répondit-il d’une voix amusée. Mais surtout parce que, comme je vous l’ai dit, vous me plaisez et...
— C’est incroyable ! Vous savez que nous ne sommes pas faits pour nous entendre. Et le peu que je connais de vous...
— Justement, afin de faire plus ample connaissance, que diriez-vous de venir dîner chez moi ce soir ?
— Non, pas question !
— Pourquoi ? Vous avez rendez-vous avec Daniel ?
— Non, je...
— Parfait, dit-il d’un ton sans réplique.
Sur son bureau, il prit l’Interphone et appela sa secrétaire.
— Betty, pouvez-vous passer prendre le manteau et le sac de Mlle McConell et les monter à mon bureau ?
— Brant, je vous ai dit que je ne voulais pas !
— S’il vous plaît, Kelly.
Ces mots, inespérés dans la bouche de Brant Harcourt, la réduisirent au silence. Un sourire charmeur la fit capituler.
— J’aimerais réellement passer la soirée avec vous. Je vous promets de me comporter comme un vrai gentleman.
Il suffisait à Brant de quelques mots bien choisis et d’un sourire pour vaincre sa résistance. Epouvantée par sa faiblesse, Kelly se demanda ce que l’avenir lui réservait. Il lui semblait que Brant serait toujours le maître du jeu.
*
* *
Alors que la Rolls blanche se garait devant la villa de Brant, Kelly s’étonnait encore de la facilité avec laquelle il avait su la persuader de passer la soirée chez lui. Il était trop tard pour reculer. En quittant les bureaux, le couple avait attiré bien des regards curieux ou jaloux. Evidemment, une soirée avec Brant Harcourt représentait le rêve de toutes les femmes de la compagnie ! Cependant, Kelly n’était pas très rassurée : elle devrait rester sur ses gardes.
— Je suppose que tout le monde au bureau est en train de jaser sur notre compte, fit-elle remarquer en descendant de la voiture. Ils vont s’imaginer que nous avons une liaison !
— Par ce « ils », vous entendez Daniel Marsden ? demanda-t-il froidement. Je ne crois pas que le sujet le préoccupera beaucoup. Il a lui-même de trop nombreuses liaisons pour se soucier de celles des autres.
Décidément Brant ne portait pas Daniel dans son cœur ! Cette remarque acerbe déplut à Kelly. Non pas que cela fût inexact — Brant avait parfaitement raison — mais parce qu’il lui semblait qu’au travers de Daniel, c’était elle que Brant visait. Voulait-il la désespérer pour qu’elle se jette dans ses bras consolateurs ?
— Brant, pour citer une expression que vous aimez, je sais exactement à quoi m’en tenir avec Daniel.
— Je l’espère pour vous.
— Pourquoi ? Vous êtes inquiet de voir un éventuel obstacle entre vous et les actions McConell ?
— Ce n’est tout à fait cela. Mais disons que si vous refusiez ma proposition à cause de Daniel, vous feriez une grave erreur. C’est le genre d’hommes à fuir les engagements, les responsabilités.
— Oui, vous en savez quelque chose ! Sur ce point vous vous ressemblez.
— Non, absolument pas. Les raisons pour lesquelles j’ai évité les liaisons sérieuses depuis la mort de ma femme n’ont rien à voir avec celles de Marsden.
Avant même que Kelly ait pu en savoir davantage, Brant s’était avancé pour lui montrer le chemin.
Quelle maison somptueuse ! A quelques occasions, Kelly était venue chez Brant, et chaque fois, elle avait admiré le goût avec lequel elle était décorée. Chaque pièce semblait avoir sa personnalité. Dans le salon, des tableaux de maître sur des murs tendus de soie, des meubles précieux achetés chez des antiquaires français, une vaste cheminée où brûlait un feu ardent, donnaient à cet endroit un caractère d’un autre temps. Kelly ne put s’y attarder : déjà Brant l’entraînait ailleurs. Ils entrèrent dans la cuisine. Une cuisine de rêve, grande et parfaitement équipée, où là encore un décorateur avait laissé sa griffe.

— Mme Wright est-elle là aujourd’hui ? demanda Kelly.
— Non, je lui laisse ses soirées de libre, sauf quand j’organise un dîner. Et puis je me passe très bien d’une cuisinière, vous savez ! J’aime beaucoup cuisiner moi-même, c’est très relaxant.
Ils étaient seuls, pensa Kelly avec appréhension. Elle rougit et son malaise n’échappa pas à Brant.
— Comme il est facile de vous faire rougir, Kelly ! J’adore voir votre teint prendre quelques couleurs... Quoi qu’il en soit, vous n’avez pas à vous inquiéter pour ce soir. Je n’ai pas l’intention de profiter de notre solitude.
Cela dit, il retira sa veste et tendit un tablier à Kelly.
— Vous voulez me tester, peut-être ? questionna-t-elle. Sur ce plan-là, vous ne me prendrez pas en défaut, Brant. La cuisine fait partie des choses que mon grand-père a exigé que j’apprenne très jeune. A ses yeux, les talents culinaires étaient la première qualité d’une femme accomplie. Vous savez, ses préjugés en matière d’éducation ne m’ont pas facilité l’existence !
— Je croyais que vous aviez été élevée dans du coton ?
— C’est ce que tout le monde s’imagine. Au contraire, mon grand-père a toujours été très dur... Dites-moi, Brant, vous ne semblez pas avoir très haute opinion de moi.
— Ne vous attendez pas à des compliments de ma part, mademoiselle McConell ! J’en suis très avare.
— Rassurez-vous, je ne recherche pas les compliments.
En nouant le tablier autour de sa taille, Kelly dissimula tant bien que mal sa déception. Pourquoi n’avait-il pas répondu franchement ? Kelly désirait tant savoir ce qu’il pensait d’elle !
— Que puis-je faire pour vous aider ? reprit-elle avec une bonne humeur feinte.
— Rien ! J’avais l’intention de vous impressionner en vous montrant que je suis capable de cuisiner sans aide. Mais si vous voulez participer, je vous propose de déboucher le vin.
A la grande surprise de Kelly, Brant se révéla un excellent cuisinier. Avec un art consommé, il prépara un délicieux dîner qu’il accompagna d’un bordeaux et de champagne. La soirée se passa comme dans un rêve. Détendu, Brant était un hôte charmant. La conversation roula sur des sujets divers, sans jamais aborder les problèmes qui les séparaient. Kelly ne sut dire si c’était Brant qui l’avait orientée ainsi. En tout cas, à la fin du dîner, elle commença à oublier qu’elle s’était juré de rester sur le qui-vive.
Un peu plus tard, dans le salon, savourant un cognac près de la cheminée, Kelly se mit à étudier Brant d’un autre œil. La lueur vacillante des flammes jouait sur son visage et soulignait sa beauté sculpturale. Ses cheveux prenaient des tons foncés. Une mèche rebelle descendait sur son front volontaire et lui donnait un air d’adolescent. Plus rien de l’homme insensible et glacial que Kelly croyait connaître ! Et ce soir, Brant lui plaisait infiniment.
— Alors, Kelly ? A quoi pensez-vous ?
Il avait surpris son regard. Kelly baissa les yeux et prit son verre de cognac qu’elle réchauffa dans sa main.
— Eh bien... je vous trouve très différent ce soir, avoua-t-elle.
— Différent ?
— D’habitude, vous êtes plus distant.
Ces mots le firent éclater de rire, d’un rire bon enfant. Jamais il ne lui avait paru aussi détendu en sa présence, et Kelly goûtait le bonheur de cet instant.
— Je suis distant, moi ? Je l’ignorais ! Avec votre aide, je vais pouvoir faire quelques progrès.
Ses yeux noirs s’attardèrent sur les siens. Ils semblaient briller d’un éclat singulier qui disparut bientôt.. Brant promena son regard sur le visage de Kelly, sur ses lèvres, puis il tourna la tête. Mal à l’aise, Kelly cherchait désespérément de quoi relancer la conversation.
— Je vous ai déjà dit que votre villa est admirablement décorée ?
— Oui, vous me l’avez déjà dit.
En regardant les bûches flamber dans la cheminée, Kelly recouvra son calme. Le silence était empli par les craquements et les sifflements du bois.
— Vous avez vraiment beaucoup de goût, Brant.
— En réalité, c’est Francesca qui a choisi la décoration.
A ces mots, sa voix s’était faite plus grave. Sans savoir pourquoi, Kelly sentit son cœur se serrer.
— Vous avez vécu ici avec votre femme ? Il me semblait que vous aviez acheté cette propriété après sa disparition.
— Non. Nous avons vécu trois ans ensemble et nous en avons passé deux ici. Francesca est morte peu de temps après notre troisième anniversaire de mariage, dans un accident de voiture.
A l’époque, tous les journaux en avaient parlé. Francesca Harcourt était célèbre, à Toronto. Non seulement parce qu’elle était un manequin international, mais aussi parce qu’elle venait d’une famille très connue au Canada.
— Je sais tout cela, Brant. Ce fut une terrible tragédie. Vous avez beaucoup souffert ?
La réponse ne vint pas immédiatement. La lumière intermittente des flammes révéla une expression de tristesse sur le visage de Brant. Emue, Kelly pensa à la douleur qu’il avait ressentie en perdant une femme si belle et si jeune. Elle aussi avait connu le drame de la mort d’êtres proches.
— Vous n’avez pas encore oublié cette disparition ?
— Dans la vie, il y a certaines choses qu’on n’oublie pas, Kelly, on apprend seulement à vivre avec.
En tendant la main, il alluma une lampe située à côté de lui. Aussitôt, la pièce inondée de lumière perdit son caractère intime. Le temps des confidences était terminé. Brant jeta un coup d’œil sur sa montre.
— Il est presque minuit. Il est temps que je vous ramène.


Dans la Rolls blanche, ils traversèrent la ville endormie. Chacun réfléchissait en silence. En regardant Brant, Kelly se dit que ses pensées étaient dirigées vers le passé, qu’il songeait encore à Francesca.
Enfin la voiture s’arrêta devant l’appartement de Kelly. Le moteur marchait encore quand Brant se tourna vers elle.
— Merci pour cette excellente soirée, lança-t-elle.
— Je suis heureux que cela vous ait fait plaisir. Peut-être accepterez-vous une autre invitation ?
Kelly fit semblant d’hésiter. Une autre soirée avec lui, oui, bien sûr !
— Il y a une bonne pièce de théâtre en ce moment au Centre O’Keefe. Mercredi, cela vous irait ?
— Oui, très bien.
Il sourit. Kelly essaya de se persuader qu’il était heureux de la revoir, qu’il appréciait sa compagnie, qu’il... Enfin que les actions McConell l’intéressaient bien moins que sa personne. Lorsqu’il se pencha vers elle, Kelly s’imagina qu’il allait l’embrasser. Non, il lui ouvrait simplement la portière.
— Bonsoir, dit-elle en lui renvoyant son sourire.
— Bonsoir, Kelly.
Un instant, leurs regards se croisèrent puis Kelly pivota sur son siège et sortit de la voiture. C’est seulement quand Kelly eut ouvert la porte de l’immeuble que la Rolls blanche s’éloigna dans la nuit. Derrière la porte vitrée, Kelly resta à la regarder disparaître. Et, pour la première fois, elle envisagea sérieusement la possibilité d’épouser Brant Harcourt.

lailajilali8 05-05-07 01:21 AM

Chapitre5

Incapable de se concentrer sur ses dossiers, le regard perdu dans le vague, Kelly pensait à ces dernières semaines. Depuis quinze jours, les invitations de Brant s’étaient succédé à un rythme effréné. Déjeuners, dîners, sorties au théâtre, réceptions... Kelly s’était laissé emporter dans cette valse enivrante avec un plaisir infini.
Hier soir encore... Ce souvenir hantait sa mémoire. Ils s’étaient retrouvés dans le restaurant où Brant lui avait pour la première fois proposé le mariage. L’idée venait lui. Kelly en avait conclu que, dans ce même cadre, il désirait renouveler sa demande. Cette fois, elle savait ce qu’elle répondrait. Cette fois, ce serait oui. Sans illusion pourtant ! Kelly n’était pas naïve au point de croire Brant changé en quelques jours. Non, il n’était pas subitement tombé amoureux d’elle. Par contre, de son côté, Kelly avait découvert en lui un autre homme, beaucoup plus attachant que l’homme public qu’elle côtoyait au bureau. Brant s’était révélé un compagnon idéal : drôle, prévenant, charmeur. En outre, le plaisir visible qu’il prenait à passer ses moments libres avec elle lui semblait de très bon augure. Dans ces conditions, que demander de plus ?
Peu à peu, le passé de Brant perdait de son secret pour elle. Il parlait peu de Francesca mais Kelly avait compris que sa mort l’avait profondément bouleversé. Ses réactions cyniques à l’égard des femmes s’expliquaient beaucoup par les sequelles laissées par ce drame. Malgré elle, Kelly ne pouvait s’empêcher d’espérer qu’un jour, elle réussirait à chasser ce tragique souvenir et ferait oublier à Brant la belle Francesca Harcourt. Jusqu’à ce moment, Kelly était persuadée d’avoir assez d’amour pour deux. Dans cet état d’esprit, elle s’était rendue au luxueux restaurant et avait trouvé son compagnon qui l’attendait.
Le dîner avait été enchanteur. Après un exquis repas, la soirée s’était prolongée à la lueur des bougies, autour de quelques liqueurs. A voix basse, détendu et enjoué, Brant l’avait amusée avec des anecdotes glanées au cours de sa carrière d’avocat. Plus la soirée avançait, plus leur conversation prenait un tour personnel quand soudain Brant lui annonça qu’il avait un cadeau pour elle.
De sa veste noire, Brant sortit une longue boîte de velours violet sur laquelle s’inscrivait le nom d’un bijoutier illustre. Compte tenu de la taille de la boîte, ce ne pouvait être une bague de fiançailles. Mais l’émotion et la joie étaient plus fortes que la déception et Kelly prit le présent en tremblant. Même si la lumière du restaurant était tamisée, le collier d’émeraudes et de diamants brillait de tous ses feux. Le souffle coupé, Kelly né put murmurer que quelques mots :
— Oh ! Brant ! C’est magnifique ! Je ne sais que dire...
Levant la tête vers lui, elle rencontra ses yeux noirs. Brant la couvait d’un regard ardent.
— Eh bien, ne dites rien. L’expression de vos yeux parle pour vous.
Comme il lisait clairement en elle ! Kelly rougit de se savoir si transparente. Devant la perspicacité de Brant, elle était incapable de dissimulation, en ce moment moins que jamais. D’ailleurs, pourquoi masquer sa joie ? Son amour pour Brant, son désir de l’épouser étaient désormais une certitude pour elle : il n’était plus temps de tricher avec ses sentiments. Et puis peut-être que, grâce à cet aveu, Brant lui-même en viendrait à l’aimer ? Kelly allait ôter le collier de son coffret quand Brant l’arrêta.
— Je préfère vous le mettre moi-même, plus tard.
Qu’entendait-il par là ? L’expression de son visage garda tout son secret. Seul l’éclat de ses yeux en disait plus long que ses paroles. « Plus tard »... Comme pour cacher son trouble, Kelly referma la boîte de velours d’un coup sec.
Lorsque la voiture se gara sous son appartement, Kelly voulut inviter Brant à boire un dernier verre chez elle.
— Non, Kelly. Je regrette. Demain, j’ai une audience que je dois encore préparer ce soir.
Ce refus la surprit désagréablement. Avait-elle mal interprété ses paroles ? Déjà elle s’imaginait entre ses bras, déjà elle sentait son baiser brûlant sur ses lèvres... Et voilà qu’il voulait partir aussi vite qu’il était venu.
— Avant de vous quitter, je veux vous voir avec ce collier.
Les doigts de Brant lui frôlèrent la nuque. Délicatement il souleva quelques boucles blondes. La jeune femme, troublée par ces furtives caresses, se laissait faire. Brant ajusta le collier puis se recula pour contempler le bijou. Sous la faible lumière du clair de lune, les pierres précieuses jetaient des éclats diffus et s’accordaient à merveille avec les yeux verts de Kelly, brillants d’émotion.
Pendant quelques instants, Brant fixa Kelly d’un regard insondable. Son visage était dans l’ombre, et la jeune femme percevait mal l’expression de ses traits. Il semblait fasciné par ce qu’il voyait. Puis soudain, il murmura des paroles à voix très basse, et se rapprocha d’elle. Le sentant tout proche, Kelly ferma les yeux, dans l’attente enivrante d’un baiser. Enfin, les lèvres brûlantes de Brant vinrent se poser sur son cou. Un frisson délicieux la parcourut et elle plongea la main dans la chevelure brune, comme pour s’accrocher à lui et le retenir près d’elle.
Brant l’enlaçait par la taille, lui couvrait le cou de baisers. Sa main remonta jusqu’à la poitrine de Kelly. Un soupir de plaisir échappa des lèvres de la jeune femme. Enfin, la bouche de Brant vint s’emparer de ces lèvres offertes. Alanguie dans ses bras, Kelly fut emportée par un langoureux vertige. Brant avait éveillé en elle des sensations inconnues qu’elle découvrait avec ivresse. Emerveillée, elle était prête à aller avec lui jusqu’au bout du plaisir.
Lorsque Brant quitta ses lèvres, elle lui dit d’une voix qu’elle ne reconnut pas :
— Non, ne t’arrête pas !
Les yeux enflammés de désir, Brant la fixa un instant, puis déposa un baiser léger sur ses paupières et sur ses lèvres.
— Brant, je t’en prie !
Ce soir, Kelly était prête à tout et, à son regard, Brant comprit son invitation.
— Kelly, j’aimerais moi aussi que... Mais c’est encore trop tôt, ma chérie.
Kelly vacilla. Elle s’offrait à lui, encore frémissante de son étreinte et lui la repoussait avec indifférence. Etait-il blasé à ce point ? Des larmes d’humiliation emplirent ses yeux.
— Kelly ! Ne me regarde pas de cette façon. Allez, ma chérie, il est tard. Rentre chez toi, nous discuterons de tout cela demain.
Sans répondre, Kelly s’apprêtait à lui obéir quand il la retint par le bras et la serra contre lui.
— Kelly, bientôt, très bientôt, nous passerons une vraie nuit ensemble. Je te demande juste un peu de patience...
*
* *
Le lendemain, au bureau, elle ressassait toujours ces paroles. Kelly était partagée entre la colère et la honte de s’être ainsi offerte à un homme qui n’avait pas voulu d’elle. Mais bien d’autres émotions se mêlaient dans son cœur, et, malgré son ressentiment, son amour pour Brant restait le plus fort.
Soudain quelques coups sur la porte de son bureau interrompirent ses réflexions. Daniel Marsden entra, fringant et de bonne humeur.
— Bonjour, Kelly ! s’exclama-t-il, le sourire aux lèvres. Alors, on ne te voit plus ? Tout va bien ?
— Oui, ça va, merci.
— Allez, Kelly, je sais tout ! Toi et Brant, vous filez le parfait amour... Ne fais pas cette tête ! dit-il en riant.
Tant mieux, se dit Kelly. Daniel ne semblait pas ennuyé outre mesure par cette nouvelle. Quel soulagement !
— Disons que Brant et moi, nous nous voyons régulièrement ces derniers temps, confia-t-elle en rougissant.
— A vrai dire, je l’ai su dès la fameuse soirée de Georges. Quand je vous ai vus danser tous les deux, j’ai compris que je devais renoncer à ma cavalière, au moins pour un certain temps...
Que voulait-il insinuer par là ? Etait-ce une plaisanterie gratuite ou bien un avertissement que sa liaison avec Brant serait de courte durée ?
— Enfin je suis venu te voir car je voudrais discuter avec toi de choses et d’autres, reprit-il en devenant plus sérieux. Es-tu libre ce midi ?
— Oh, oh ! De quoi s’agit-il ?
— Si tu veux le savoir, tu devras déjeuner avec moi.
— Oui, mais...
Ces temps-ci, Kelly prenait tous ses déjeuners avec Brant. Impossible de se décommander !
— Kelly, je te rappelle que Brant est au tribunal aujourd’hui. C’est le procès Daubaussey...
— Dans ce cas, d’accord, j’accepte.
— 1 heure, ça te va ?
— Oui, je suis libre à 1 heure, mais vérifie quand même auprès de Maggie, tu veux bien ?
— Oui, à tout à l’heure !

Quelle bonne idée de sortir avec Daniel ! Le cœur léger, Kelly quitta le bureau en sa compagnie. Depuis plusieurs jours, la tension était trop forte. Sa vie privée influait de façon négative sur son travail et Kelly ne pouvait s’empêcher d’avoir des cas de conscience.
— Nous serons au coin de la rue, au Mint, expliqua Kelly à sa secrétaire.
Maggie répondit d’un regard désapprobateur.
— Qu’a donc Maggie aujourd’hui ? demanda Kelly devant l’ascenseur. Tu as vu le regard qu’elle m’a lancé ?
— Elle s’imagine peut-être que je suis le rival de notre beau patron. Nous aurions dû sortir séparément. Je n’aimerais pas provoquer la jalousie de Brant.
Brant, jaloux ? Non, jamais. « Surtout pas à cause de moi ! » pensa douloureusement Kelly.
Le Mint, café à la mode dans le quartier des affaires, était bondé, comme toujours pour le déjeuner. Il leur fallut attendre pour obtenir une table. Celle qu’on leur proposa enfin se trouvait en plein milieu de la salle, et ne permettait pas les discussions privées.
— Nous aurions dû aller ailleurs, fit remarquer Daniel en faisant la grimace.
— Non, ça ira. Et puis, nous n’avons pas le temps de changer d’endroit.
Prenant place, ils commandèrent un repas léger et commencèrent à discuter. Une fois les plats servis et le garçon parti, Daniel regarda attentivement son amie.
— L’amour te réussit, Kelly, tu es radieuse.
— Qui a parlé d’amour ?
— Inutile d’en parler ! Cela saute aux yeux. J’espère seulement que Brant se rend compte de la chance qu’il a ! Tu sais, Kelly, je regrette nos tête-à-tête ; je me suis toujours senti bien avec toi, dit-il en posant la main sur celle de Kelly. J’espère que nous resterons bons amis. Tu tiens beaucoup à Brant, je le vois, et j’en conclus que nous nous verrons plus rarement. Mais je veux que tu saches qu’en cas de problème, je serai toujours là pour t’aider.
Ce témoignage d’amitié toucha Kelly.
— Merci, Daniel, je sais que je peux compter sur toi en toutes circonstances.
Elle retira la main de celle de son ami, et eut la subite sensation d’être observée. En effet, Susanna Winters, assise un peu plus loin, ne la quittait pas du regard. La haine déformait son beau visage. D’un air méprisant, elle détourna les yeux vers l’homme avec lequel elle déjeunait.
— Bien, assez parlé sentiments ! s’exclama Daniel. En fait, je voulais te voir à propos d’un autre sujet. Voilà, j’ai entendu dire que tu vendais la maison de ton grand-père.
— Oui, c’est exact, répondit Kelly.
— Bien. Je suis très intéressé.
— Par cette grande et vieille demeure ? Tu m’étonnes ! Et ta garçonnière en ville ? Je te vois mal habiter cette grande maison. En plus, elle est assez loin du centre.
— Oui, je sais. Mais, tu comprends, à mon âge, il est temps que je m’installe vraiment... Et puis, j’ai l’intention de garder mon pied-à-terre près du bureau..
Bien sûr ! pensa Kelly tout bas. Il lui avait semblé étrange que Daniel envisage d’abandonner ses habitudes de célibataire noceur. En fouillant dans ses souvenirs, Kelly se rappela avoir une fois visité sa garçonnière. Quelle surprise ! Cet endroit était aménagé, meublé, décoré pour recevoir des femmes. A vrai dire, Kelly ne s’y était pas sentie très à l’aise. Elle n’y était restée qu’un instant, mais avait eu le temps d’apercevoir l’immense lit circulaire aux draps de satin qui occupait le milieu de la chambre. Pourquoi donc voulait-il acheter la villa de son grand-père, qui ne correspondait pas du tout à son genre de vie ? La maison était belle, spacieuse, avec une piscine et un immense jardin, mais Daniel, habitué à la vie citadine, y serait perdu, éloigné de ses amis.
— Je suis prêt à te faire dès maintenant une proposition pour cette propriété, Kelly.
— Ecoute, Daniel, le mieux serait que tu la visites encore une fois, et que tu prennes ta décision après avoir bien réfléchi.
— Oui, tu as raison. Quand es-tu disponible ? Ce soir ?
— Eh bien, je ne sais pas...
Brant avait probablement déjà prévu leur soirée. Embarrassée, Kelly ne savait que dire. Daniel avait bien compris la situation.
— Attends de voir Brant et tu me diras quand tu peux te libérer. D’accord ?
— Oui, très bien... Comment as-tu deviné pour ce soir ?
— Ce n’est pas très difficile. Tes émotions te trahissent, Kelly. Tu as l’air très amoureuse. Tout ce que je te souhaite, c’est d’être heureuse avec lui.
Le ton de sa voix n’était pas aussi rassurant que Kelly l’aurait espéré. Involontairement, Daniel avait ravivé les doutes et les angoisses de la jeune femme.

C’est avec un peu de retard que les deux amis regagnèrent le bureau. A son arrivée, Kelly aperçut Maggie qui levait la tête de son ordinateur. Son air contrarié inquiéta la jeune femme.
— M. Harcourt vous a demandée. Il désire que vous passiez le voir tout de suite.
— Très bien, murmura Kelly en reprenant la direction des ascenseurs.
Depuis quelque temps, elle avait pris l’habitude de monter retrouver Brant dans son somptueux bureau, à la fin de la journée. Ils discutaient ensemble des différentes affaires du jour autour d’un whisky. Kelly appréciait ces moments. Aujourd’hui, curieusement, une certaine appréhension s’était emparée d’elle et lorsque l’ascenseur s’arrêta à l’étage supérieur, elle ne put calmer sa nervosité.
Dans le couloir, elle croisa Susanna Winters qui sortait du bureau de Brant. Celle-ci lui lança un regard froid et méprisant en la saluant d’un signe de tête. Kelly se *******a de la saluer et redressa la tête. Autant l’ignorer !
— Vous pouvez entrer, mademoiselle McConell, lui annonça la secrétaire de Brant.
— Merci.
Assis à son bureau, plongé dans l’étude de ********s volumineux, Brant était en plein travail. Les fois précédentes, dès que Kelly entrait, il quittait son occupation, se levait et venait l’embrasser. Aujourd’hui, c’est à peine s’il lui jeta un coup d’œil.
— Prenez place. Je suis à vous dans un instant, murmura-t-il d’une voix absente.
De son fauteuil, Kelly observa l’homme qui se trouvait en face d’elle. Etait-ce bien celui qui, hier soir encore, la prenait dans ses bras et lui donnait un baiser passionné ? Etait-ce celui à qui elle avait eu l’audace de proposer... ? Cette pensée accrut son malaise. Les joues en feu, elle baissa les yeux.
Soudain Brant leva la tête. L’air indifférent, il promena son regard sur la mince silhouette vêtue d’un élégant tailleur, puis sur le visage de Kelly. Ses yeux froids ne trahissaient aucune émotion. Kelly, au contraire, se sentait gagnée par la panique.
— Avez-vous remporté le procès Daubaussey ? questionna-t-elle pour dissimuler son embarras.
— Oui, je l’ai gagné. J’ai fait en sorte qu’il s’achève plus tôt que prévu pour que nous puissions déjeuner ensemble.
— Oh ! Je suis désolée. J’étais sortie avec Daniel...
— Je le sais, répliqua-t-il sèchement.
Brant était-il jaloux ? Le ton de sa voix lui donna cette impression. Aussi, malgré la colère de Brant, Kelly retrouva un peu d’espoir.
— Il voulait juste discuter de...
— Je ne veux pas connaître le sujet de vos discussions. Cela ne me regarde pas, Kelly. Par contre, ce qui me regarde, c’est que vous soyez en retard de... de trois quarts d’heures.
Kelly n’en croyait pas ses oreilles : il l’avait convoquée pour lui reprocher son retard ! Elle était prête à s’excuser quand il poursuivit :
— Ce n’est pas tout, Kelly. Vous n’avez pas beaucoup avancé dans l’étude du cas Fitzroy. Vous savez que ce dossier doit être bouclé pour la fin de la semaine. Alors, comment se fait-il que vous perdiez votre temps ? Que se passe-t-il ?
Un court instant, Kelly affronta son regard. Ce visage dur, aux traits volontaires, cette bouche hautaine et passionnée... « Tu occupes mon esprit sans cesse. Ton image me hante sans répit et tu bouleverses mon existence. C’est toi la cause de tout cela. » Ces mots lui brûlaient les lèvres mais elle préféra le silence. Seuls ses yeux verts brillaient d’un éclat éloquent.
— Je suis désolée, Brant, répondit-elle avec dignité. Ces derniers temps, vous n’étiez pas si strict sur les horaires. Quoi qu’il en soit, je peux vous assurer que cela ne se reproduira pas.
En faisant allusion aux quelques déjeuners pris avec lui et qui avaient duré un peu trop longtemps, Kelly espérait le faire réagir. En vain.
— En ce qui concerne le cas Fitzroy, il sera terminé à temps, ne vous inquiétez pas.
— Heureux de l’entendre. J’ai déjà eu l’occasion de vous dire que vous ne deviez pas attendre de moi des privilèges d’aucune sorte. Cela n’a pas changé. Et si votre travail cesse d’être efficace, vous aurez à en subir les conséquences.
— Je n’ai jamais demandé aucun privilège, ni par le passé ni aujourd’hui, répondit-elle avec dédain. Désiriez-vous me parler d’autre chose ?
Kelly allait partir, car son courage était sur le point de lui manquer.
— Oui.
Ouvrant un tiroir de son bureau, Brant sortit un écrin de velours gris.
— C’est pour vous, Kelly.
A la vue de cet écrin, Kelly sentit son cœur battre à se rompre. Brant souleva le couvercle et une bague magnifique étincela de tous ses feux. Diamants et émeraudes, comme pour le collier de la veille. Cette fois, c’était bien une bague de fiançailles.
— Elle est superbe, Brant ! s’exclama-t-elle d’une voix tremblante.
Imperturbable, Brant quitta sa chaise et s’approcha d’elle. Que cet homme était séduisant ! Son costume sombre tombait parfaitement et mettait en valeur sa carrure d’athlète. Sans douceur, il lui prit la main gauche et fit glisser la bague à son doigt. Elle allait parfaitement. C’était la plus impressionnante bague de fiançailles que Kelly ait jamais vue. Ses yeux s’embrumèrent à la pensée que Brant lui offrait ce présent à un moment où il semblait la haïr. Pourquoi maintenant, en pleine dispute ? Hier, tout allait si bien. Il aurait pu profiter de ces merveilleux instants pour la lui donner. Et ils auraient scellé leur promesse de mariage par de tendres baisers...
— Je veux votre réponse, Kelly. Je veux votre réponse maintenant !
Cet ultimatum la fit frémir. Elle hésitait. Une partie d’elle-même aurait voulu refuser avec éclat devant tant de mépris et tant de froideur. Mais elle aimait Brant et voulait être sa femme. Si elle refusait cette dernière proposition, il n’y aurait plus d’espoir. Brant Harcourt ne risquerait pas un troisième échec.
Fixant le visage impassible de Brant, Kelly s’entendit répondre quelque chose qui la surprit elle-même :
— Si vous faites de moi votre partenaire dans la société McConell, c’est oui.
Les yeux froids de Brant se troublèrent un court instant. Surprise ? Regret ? Impossible à dire.
— Derrière la femme sensible se cache une redoutable adversaire ! fit-il remarquer avec une certaine amertume.
Mieux valait ne pas répondre à cela. Oui, il était préférable que Brant ignore le pouvoir qu’il détenait sur elle. Qu’il voie en elle une ambitieuse, tant pis ! Du moment qu’il ne la prenait pas pour une midinette. A présent, Kelly avait appris à jouer à ce jeu de dissimulation, comme pour se protéger du charme dévastateur de Brant.
— Et puis, je voudrais intervenir dans des procès, aller plaider quelquefois, poursuivit-elle. J’en ai assez de constituer des dossiers. J’aimerais faire quelque chose de plus stimulant.
— Vous avez changé, Kelly ! Oui, vraiment... Quand je vous ai proposé le mariage, il y a quelques semaines, vous vous êtes scandalisée des termes du contrat. Et voilà qu’aujourd’hui, vous les dictez vous-même !
— Je ne fais que suivre, vos conseils ! Vous aviez dit qu’il ne fallait pas envisager le mariage avec sentimentalisme. Selon vous, j’étais une femme de tête qui devait avoir un regard réaliste sur le mariage.
— Vous ne cesserez jamais de me surprendre, Kelly...
— Tant mieux. Mais pour en revenir à mes demandes, il n’y a rien qui doive vous étonner. Il n’y a pas que les hommes qui sachent diriger les affaires d’une entreprise. En ce qui me concerne, ne croyez pas que, si je vous épouse, je renoncerai à ma carrière. Pour moi aussi le mariage doit représenter une bonne affaire.
Que venait-elle de dire ? Kelly n’en pensait pas un mot. Une bonne affaire ? Non, vraiment cela lui était égal ! Vivre avec Brant, voilà l’important. Emportée par son élan, elle avait été trop loin.
— Vous n’êtes pas encore prête pour plaider au tribunal, vous manquez d’expérience, Kelly. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous ne vous avons pas accordé l’emploi de Daniel Marsden. L’avis de Jœ était que...
— Je sais quel était l’avis de mon grand-père sur ma carrière ! D’après lui, je devais me marier, avoir des enfants, de préférence des garçons. Ma place se trouvait dans une maison et surtout pas dans un tribunal. Alors si vous avez l’intention de reprendre ce refrain...
— Non, je n’en ai absolument pas l’intention. Vous devez poursuivre votre carrière, là-dessus, nous sommes d’accord. D’ailleurs je ne crois pas que l’idéal domestique de Jœ conviendrait à notre mariage.
Qu’entendait-il par là ? Avec anxiété, Kelly se demanda si Brant essayait de lui dire à mots couverts qu’il ne voulait pas d’enfants.
— Quel type de mariage imaginez-vous pour nous ?
— Un mariage heureux, j’espère ! Ne vous inquiétez pas, Kelly, vos projets professionnels ne seront pas contrariés par un mari tyrannique. Notre mariage sera moderne. Chacun fera ce qu’il a envie de faire, en toute liberté. Cela vous convient ?
Non, cela ne lui convenait pas du tout ! Si Brant ne voulait pas d’enfants, elle pourrait à la limite le supporter. Mais accepter qu’il ait des liaisons avec d’autres femmes, jamais ! Cette seule pensée était douloureuse. Dans ce cas, Kelly préférait renoncer au mariage.
— Par mariage moderne, vous voulez dire le droit à l’infidélité ?
Le regard franc et direct de Brant vint chasser ses doutes.
— Non, pour autant que nous vivions comme mari et femme, je peux vous assurer qu’il n’y aura pas d’infidélités de ma part. Vous envisagez bien de faire chambre commune, n’est-ce pas ?
— Eh bien, je... oui.
— Bien.
Soulagée, Kelly en oublia presque la froideur de Brant. Le mariage avec lui était possible, c’était tout ce qui importait.
— Pour ce qui est de votre demande de participer à la direction du cabinet, je regrette, Kelly. Après tout, la raison pour laquelle je vous épouse est d’avoir le contrôle total de la société Harcourt et McConell !
Le répit avait été de courte durée. Comment pouvait-il manquer de sensibilité à ce point ? Oh ! Elle connaissait bien ses raisons pour vouloir ce mariage ! Il n’avait pas besoin de les lui rappeler. Au contraire, Kelly aurait voulu les oublier, imaginer un mariage d’amour. Et Brant détruisait tous ses espoirs. Comment croire désormais qu’un jour il l’aimerait, qu’un jour il oublierait la belle Francesca ?
— C’est moi qui m’occuperai de la direction du cabinet, Kelly. Ce sont les termes du contrat. De votre côté, vous obtiendrez de solides avantages financiers.
Kelly baissa les yeux. Il était trop difficile d’affronter l’insensibilité glacée de Brant. Surtout en ce moment où l’émotion la bouleversait. Pour Brant, la carrière professionnelle passait avant tout. Kelly n’avait pas encore de place dans sa vie. Peut-être plus tard apprendrait-il à l’apprécier et à l’aimer. Mais ce moment était loin !
— Très bien, mais je veux obtenir de nouvelles responsabilités. Admettez-moi au rang d’associée, reprit-elle avec détermination.
Un silence accueillit sa requête et, pendant un instant, la panique s’empara d’elle. Et si Brant refusait ?
— Brant, vous savez que j’aime mon travail et que je suis compétente. J’ai besoin qu’on me donne l’occasion de faire mes preuves à un autre niveau.
— D’accord.
— D’accord pour quoi ?
— Vous ferez partie des associés. C’est vrai que vous faites un bon travail et, d’ailleurs, il était question d’une promotion prochaine à votre sujet.
Un sourire radieux illumina le visage de Kelly. Cette victoire signifiait beaucoup pour elle. Et puis les compliments de Brant sur son efficacité étaient très précieux car jamais il ne les accordait à la légère.
— Est-ce que le vingt et un vous irait ? demanda-t-il.
— Pardon ?
— Pour notre mariage. Je pense que d’ici là, les formalités seront réglées et nous serons dans les temps, avant la date fixée par Jœ.
— Ah ! Le 21, oui, ça me convient. Mais il faut que je vérifie sur mon emploi du temps.
Comme ses paroles contrastaient avec son état d’esprit ! Brant avait raison : en quelques semaines elle avait bien changé.
— Parfait ! reprit-elle, feignant l’indifférence. A présent, si vous voulez bien m’excuser... je dois retourner à mon travail.
Brant se *******a d’acquiescer. Aucun baiser ne vint sceller leur promesse de mariage. Dissimulant sa tristesse, Kelly quitta le bureau sans se retourner. Après avoir fermé la porte, Kelly se mit à contempler son impressionnante bague de diamants et d’émeraudes. Quelle merveille ! Soudain il lui vint à l’esprit qu’elle n’avait même pas remercié Brant pour ce prodigieux cadeau. Trop tard ! Et puis, pour lui, cela faisait partie du contrat. A ses yeux, des remerciements auraient été superflus.
Tristement, Kelly s’engouffra dans l’ascenseur. Son espoir de conquérir un jour l’amour de Brant n’était malgré tout pas mort. Pour l’instant, elle devait gagner son respect et elle se trouvait sur la bonne voie.

lailajilali8 05-05-07 02:32 AM

chapitre 6


Face à son miroir, Kelly se regardait d’un œil critique. Sa robe de taffetas couleur champagne touchait le sol. Un grand couturier l’avait conçue d’après ses propres indications. Lorsque, dans la boutique, Kelly l’avait essayée pour la première fois, elle avait été éblouie. A présent, ce qui la préoccupait, c’était l’avis de Brant. A coup sûr, la robe ne lui plairait pas. Taffetas et dentelles... Une robe romantique... Exactement ce que Brant détestait ! De toute façon, ces réflexions venaient trop tard. Dans un peu plus d’une demi-heure, elle serait Mme Brant Harcourt.
En s’approchant du miroir, Kelly vérifia son maquillage. Une maquilleuse professionnelle s’en était chargée, car, trop nerveuse, Kelly ne pouvait tenir un pinceau d’eyeliner sans trembler. Le résultat était superbe. Sans être trop insistant, le maquillage lui donnait une mine éclatante, soulignait son regard et surtout, dissimulait sa fatigue après une nuit blanche. Ses cheveux bouclés entouraient son visage d’une auréole de blondeur, lui donnant un air angélique.
Agacée, Kelly se détourna de son image dans la glace. Voilà ce qui n’allait pas ! Ce genre de beauté laissait Brant absolument insensible, lui qui aimait les femmes du genre de Susanna Winters. Kelly avait l’air trop innocente, trop romantique pour lui plaire. Dès qu’il la verrait, il la trouverait ridicule.
Au-dehors, le ciel était bleu. Pas un nuage pour cette belle journée d’automne. Les feuilles des arbres prenaient les teintes rousses et dorées qui précèdent leur chute. La beauté de cette scène ne parvint pas à chasser les angoisses de Kelly. Une chose surtout la tourmentait : qu’allait-il se passer, ce soir, quand Brant découvrirait qu’elle était aussi innocente qu’elle en avait l’air ? Kelly était incapable de calmer son appréhension. Peut-être parviendrait-elle à dissimuler son inexpérience ? Non, Brant ne tomberait pas dans le piège. Comment allait-il réagir ? Cette pensée lui donnait envie de pleurer.
La sonnerie de la porte brisa le silence de l’appartement. Sans doute s’agissait-il du chauffeur. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il avait un quart d’heure d’avance. Elle n’était pas prête. Que faire ? Kelly descendit précipitamment l’escalier et alla ouvrir la porte.
Un chauffeur en uniforme gris se tenait sur le seuil. Derrière lui, on apercevait une luxueuse Rolls Royce de couleur crème.
— Je ne suis pas prête, déclara Kelly. J’ai encore besoin de dix minutes.
— Ne vous inquiétez pas, mademoiselle McConell, prenez votre temps. Je voulais simplement vous prévenir que j’étais là.
Sur ces mots, il retourna prendre place dans sa voiture.
En réalité, Kelly était prête depuis une heure. Mais son émotion était si forte qu’elle ne pouvait se résoudre à partir dès maintenant. Désœuvrée, elle erra dans les pièces vides. Comme il était logique, Kelly s’apprêtait à emménager chez Brant et l’appartement avait été entièrement vidé. « Vous pouvez mettre votre appartement en vente », lui avait suggéré son futur mari. Trop occupée, Kelly ne l’avait pas encore fait.
Montée dans son ancienne chambre, elle jeta un dernier coup d’œil par la fenêtre, sur le parc qu’elle aimait tant, puis s’assit sur son lit, le seul mobilier resté sur place. Son réveil indiquait 12 h 50. Dans une demi-heure, elle serait mariée.
Par terre traînait un magazine féminin, acheté une semaine auparavant. Un article avait été consacré au mariage de Brant Harcourt. Kelly le ramassa et il s’ouvrit immédiatement sur ces quelques pages, lues et relues.
A plusieurs reprises, un journaliste avait téléphoné pour l’interviewer. Elle avait refusé. Les journalistes racontaient toujours les mêmes histoires et cela ne l’intéressait pas. Remplir des lignes pour raconter comment l’avocat le plus brillant de la ville était tombé amoureux de Kelly McConell, petite-fille du célèbre homme d’affaires Jœ McConell, c’était absurde. De plus, ce scénario sonnait faux et l’agaçait prodigieusement. Aussi son refus avait-il été un peu brutal.
En guise de vengeance, le journaliste avait choisi d’orienter son article d’une tout autre façon. Il insistait surtout sur le précédent mariage de Brant. Evidemment dans le but de mettre Kelly à son désavantage. Une photo, prise sans son accord alors qu’elle quittait les bureaux de la société, figurait dans l’article. Pâle, l’air fatigué, avec un triste tailleur gris, elle contrastait avec la resplendissante Francesca, photographiée dans les bras de Brant, sur une plage des Bahamas. Tous deux avaient l’air tellement heureux ! Cette photographie rappela cruellement à Kelly la froideur de Brant à son égard. Depuis le jour où, après leur dispute, ils avaient fixé la date du mariage, Brant s’en était tenu à la plus stricte politesse avec elle, rien de plus. Comme s’il était parvenu à son but et qu’il n’avait plus à jouer la comédie de la passion...
Francesca était d’une beauté à couper le souffle. Son sourire la rendait radieuse. Sous la photo, le journaliste avait écrit : « Le grand amour de sa vie », alors que l’article consacré à Kelly s’intitulait froidement : « La nouvelle Mme Harcourt ». Et pour couronner le tout, le journaliste rapportait les propos d’une personne restée anonyme qui révélait : « Ce mariage est une excellente affaire pour la société Harcourt et McConell. »
Qui pouvait avoir dit cela ? Un ou une des employés, sans doute. Quelle perfidie ! Chaque fois qu’elle lisait cette phrase, Kelly avait l’impression de recevoir un coup de poignard.
Kelly ferma le magazine avec impatience. Ce n’était pas le moment de penser à cet article démoralisant. En fait, si elle avait été sûre de l’amour de Brant, ces pages insignifiantes l’auraient laissée indifférente, mais là était le problème...
De nouveau, la sonnerie de la porte retentit. Il était temps de partir. En épousant Brant, faisait-elle le bon choix ? La question avait hanté son esprit toute la nuit durant, ajoutant à son désarroi. Trop tard pour reculer... Kelly prit sa veste de fourrure blanche et descendit l’escalier.
Dans l’entrée, elle s’arrêta. Il y aurait foule à l’église, ses amis, les amis de Brant, des curieux, des journalistes. Jamais elle ne pourrait affronter tout ce monde. La cérémonie lui semblait soudain une mascarade. Sans l’amour de Brant, plus rien n’avait de sens ! Mieux valait ne pas y aller.
Une troisième fois, la sonnerie se fit entendre. Elle alla ouvrir, dans l’intention d’annoncer au chauffeur sa décision de ne pas se rendre à l’église.
A sa grande surprise, ce n’était pas le chauffeur qui se tenait sur le seuil, mais un jeune livreur en uniforme qui tenait à la main une rose du plus beau rouge.
— Mademoiselle McConell ?
Sur son signe de tête, il lui tendit la fleur et partit.
Un grand bonheur envahit Kelly. Même si le livreur ne lui avait remis aucune carte, le message était clair : la rose rouge était le symbole de la passion. Avec une délicatesse inattendue, Brant lui déclarait son amour avant de la conduire devant l’autel.
— Mademoiselle McConell, si nous ne partons pas tout de suite, vous serez en retard, déclara le chauffeur qui était revenu la chercher.
— Oui, très bien, répondit-elle, les yeux fixés sur les pétales à peine ouverts. Allons-y.
Sur le parterre de l’église, une foule l’attendait. Lorsque l’on aperçut la voiture de la future mariée, toutes les têtes se retournèrent. Un murmure d’admiration l’accueillit quand Kelly descendit de la Rolls Royce, vêtue de sa somptueuse robe. Les photographes s’en donnèrent à cœur joie. Indifférente à la cohue, Kelly n’avait d’yeux que pour Brant.
Vêtu d’un costume gris perle, un œillet à la boutonnière, des gants blancs à la main, Brant était superbe. Quittant ses amis, il s’avança vers elle en souriant.
— J’ai cru que vous aviez changé d’avis, lança-t-il.
Prenant un peu de recul, il contempla la jeune femme dont les yeux pétillaient de bonheur. Brant s’émerveillait de la splendeur de la robe de taffetas et de la beauté de sa future femme.
— Vous m’avez fait attendre, Kelly, mais je dois avouer que le spectacle en valait la peine !
La douceur de sa voix la surprit agréablement. Rayonnante, elle lui tendit la main et ensemble ils entrèrent dans l’église où leurs deux vies allaient être liées à jamais.
Ensuite, tout se passa comme dans un rêve. En quelques instants Kelly McConell était devenue Mme Brant Harcourt. A la sortie de l’église, éblouie par l’étincelant soleil automnal et par les éclairs des appareils photo, Kelly serra le bras de Brant. Le couple fut entouré par leurs amis qui voulaient les féliciter. Parmi la foule, la mère de Brant se dirigea vers eux pour les embrasser affectueusement. Elle avait les larmes aux yeux. D’instinct, Kelly se sentit attirée vers cette femme qu’elle ne connaissait pas encore.
Entourant Kelly de son bras, Brant s’adressa à tous les invités.
— Nous vous donnons rendez-vous à l’hôtel Chequers Hall pour la réception.
— Brant, vous n’avez pas encore embrassé la mariée ! s’exclama quelqu’un.
Aussitôt, prenant Kelly par surprise, Brant répara cet oubli. Il se pencha vers elle et Kelly crut lire dans ses yeux une indéfinissable expression de tristesse. Mais le baiser langoureux qu’ils échangèrent chassa ce qui n’avait peut-être été qu’une illusion. Des applaudissements accueillirent ce baiser. Brant, souriant, entraîna Kelly vers la voiture qui devait prendre la route de l’hôtel.
— Il est temps de partir au Chequers Hall, mes amis ! Sinon vous allez nous faire rater l’avion de ce soir...
— Nous prenons l’avion ce soir ? Où allons-nous ?
— Tu le sauras plus tard. Le lieu de notre lune de miel est précieusement gardé secret pour éviter que l’on soit dérangés. D’ailleurs, ce matin, j’ai réglé tous les détails de l’affaire Shaunessey pour la semaine prochaine. Comme ça, au bureau, ils pourront se débrouiller seuls et nous laisser savourer ces quelques moments ensemble...

Le Chequers Hall était un vieil hôtel, au charme suranné, situé sur les bords du lac Ontario. Son calme et son luxe de bon aloi en faisaient le lieu idéal pour une telle réception. Dans le plus grand salon du premier étage, un somptueux buffet avait été dressé.
Lorsque Brant et Kelly entrèrent, de nombreux invités étaient déjà arrivés. Un majordome vint leur apporter des coupes de champagne et ils se mêlèrent à la foule. Puis Brant fut réclamé par certains de ses associés qui discutaient d’un scandale financier récent et souhaitaient l’avis de Brant.
Kelly s’éloigna. Helen Harcourt, profitant de ce que sa belle-fille était seule, vint lui tenir compagnie.
— Ah ! Kelly, je suis heureuse de pouvoir enfin discuter avec vous. Quelle ravissante belle-fille Brant vient de me donner !
— Merci, répondit Kelly, intimidée.
Helen Harcourt était d’une élégance parfaite. Vêtue d’un tailleur Chanel blanc et noir, elle parlait avec un accent anglais d’une grande distinction.
— Mon fils est très discret en matière de sentiment ! Savez-vous qu’il ne m’avait même pas dit qu’il souhaitait se remarier ? Vous imaginez ma surprise quand il m’a téléphoné, il y a quelques jours, pour m’annoncer votre mariage ! D’ailleurs, c’était la même chose la première fois, un véritable coup de foudre
Cette découverte chagrina Kelly. Helen, perspicace, s’en aperçut et voulut réparer sa maladresse.
— Pardonnez-moi, Kelly. J’ai manqué de tact en évoquant ce passé...
— Non, non, ce n’est rien, reprit Kelly, un peu émue.
— Vous êtes quelqu’un de très sensible, je le vois bien. Je ne pouvais souhaiter plus charmante belle-fille. Et Brant vous adore. Je l’ai observé lorsqu’il vous a vue arriver en voiture. Votre retard l’avait inquiété et, dès qu’il vous a aperçue, son visage s’est illuminé de bonheur. Cela faisait plaisir à voir.
Ce qu’Helen lui apprenait mit les larmes aux yeux de Kelly. Brant, heureux de leur mariage ? Elle n’avait jamais osé l’espérer.
— Vous êtes vraiment la personne dont Brant avait besoin, Kelly, continua Helen d’une voix douce.
« Il a besoin de moi ? » se demanda Kelly avec incrédulité. Elle maîtrisait à peine son émotion et ses larmes menaçaient de couler sur ses joues.
— Vous avez fait connaissance, à ce que je vois, s’exclama Brant, qui venait rejoindre les deux femmes.
S’il remarqua les yeux brillants de Kelly, il ne fit aucune réflexion à ce sujet. Brant les prit toutes les deux par les épaules.
— Oui, et ce n’est pas grâce à toi, Brant, rétorqua Helen d’un air faussement contrarié. Tu ne nous avais même pas présentées convenablement !
— Ah oui ? Eh bien, madame Harcourt, je vous présente Mme Harcourt.
— Kelly, j’espère que vous savez à quoi vous vous exposez avec Brant, car il est absolument impossible.
— Oui, je le sais déjà, répondit la jeune femme en souriant à son mari.
En plein milieu de leur conversation, Daniel fit son apparition. Dans son costume trois-pièces, il gagnait le premier prix d’élégance. Tendant la main à Brant, il lui adressa ses félicitations. Etait-ce son imagination qui donna à Kelly l’impression que les remerciements de Brant étaient un peu secs ?
— Brant, savez-vous que vous avez beaucoup de chance ? Puis-je embrasser votre femme ?
— Oui, si vous n’en prenez pas l’habitude, répondit Brant après une hésitation.
C’était dit sur le ton de la plaisanterie, mais une certaine agressivité perçait dans la voix.
— Kelly, tu es magnifique ! s’écria Daniel.
Puis, avant même qu’elle ait le temps de réagir, il déposa un baiser sur ses lèvres. Rougissant sous le coup de la surprise, Kelly fut soulagée de voir que Brant et Helen avaient été distraits par l’arrivée de quelques invités avec lesquels ils discutaient.
— Je te souhaite tout le bonheur possible, Kelly.
— Merci, Daniel. Et pour toi, à quand le mariage ?
— Pas de sitôt ! Surtout depuis que j’ai perdu l’unique amour de ma vie...
Kelly répondit d’un éclat de rire.
— A propos, as-tu aperçu ta grande amie Susanna ? reprit Daniel en baissant la voix ; Je peux t’assurer que, pendant la cérémonie, elle te jetait des regards meurtriers !
— Vraiment ? murmura Kelly en cherchant des yeux sa rivale.
Susanna se trouvait dans le salon, entourée d’une foule d’admirateurs qui buvaient ses paroles. Voilà qui n’était pas très étonnant : dans un fourreau de satin blanc, les cheveux relevés sur la nuque, Susanna était époustouflante. Jusqu’ici, Kelly n’avait jamais remarqué combien elle ressemblait à Francesca. Comme elle, Susanna avait de longs cheveux blonds, la silhouette d’un mannequin et s’habillait avec beaucoup de sophistication.
— A mon avis, en lui prenant Brant, tu t’es fait une ennemie.
— Oh ? Je ne crois pas. Regarde, elle est en bonne compagnie en ce moment. Elle ne pense probablement plus à Brant. En tout cas, merci de te faire du souci pour moi.
— C’est normal. A partir de maintenant, tu dois me considérer comme ton grand frère. Au fait, as-tu reçu mon petit cadeau ?
— Quel cadeau ?
A cet instant, Brant se tourna vers eux et interrompit leur discussion.
— Kelly, il sera bientôt l’heure de partir. Veux-tu monter te changer ?
Ce rappel fit battre le cœur de Kelly : leur départ était imminent. Pour quelle destination ? Pour quelle lune de miel ? Brant lui tendit les clés de leur chambre.
— Je viendrai te rejoindre dans un moment.

Leur chambre était d’un luxe raffiné. Tapissée de bleu, meublée avec goût, elle faisait regretter à Kelly ce départ précipité. La vue sur le lac et sur les forêts environnantes était enchanteresse. Enfin, Brant avait déjà tout prévu et lui réservait peut-être une agréable surprise.
Avec hâte, Kelly ôta sa robe et enfila un tailleur de cachemire beige. Brant pouvait entrer à tout instant et Kelly ne tenait pas à ce qu’il la surprenne en tenue légère. « Tu es ridicule ! » se dit-elle. Cette nuit, de toute façon, Brant saurait tout d’elle, alors peu importait qu’il l’aperçoive dès maintenant en lingerie de soie.
Au souvenir de cet après-midi, Kelly laissa échapper un soupir de bonheur. Le futur au côté de Brant s’annonçait radieux depuis sa discrète déclaration d’amour : cette rose qu’il lui avait envoyée, son émotion lorsqu’elle était descendue de la voiture, et son baiser sur le parvis de l’église...
Prenant son sac, ses gants et son foulard, Kelly se regarda une dernière fois dans le miroir. Elle rayonnait. D’un geste de la main, elle retira de ses cheveux quelques confettis qui avaient été lancés à la sortie de l’église. Les éclats de sa bague attirèrent son regard. Mariée, elle était mariée avec Brant Harcourt ! Kelly était comblée.
Puisque Brant ne venait pas la rejoindre, pourquoi ne pas aller le retrouver ? Peut-être que, par délicatesse, il l’avait laissée seule pour se changer. Sans doute était-il resté dans le salon à discuter avec les invités.
Une fois dans le couloir, Kelly reconnut la voix de Brant avant de l’apercevoir. Elle venait des ascenseurs, à l’extrémité du couloir. Une femme lui parlait.
— Je sais que tu ne l’aimes pas. J’ai bien vu qu’à peine la cérémonie terminée, tu regrettais déjà de l’avoir épousée.
Susanna Winters ! Un froid glacial paralysa Kelly. Elle aurait voulu s’enfuir, ne pas écouter cet échange qui lui faisait si mal, mais elle était incapable de faire le moindre mouvement.
— Kelly est ma femme, Susanna, et je...
— Oui, c’est ta femme. Et alors ? Bien sûr, tu es le genre d’homme à tenir ta parole et à être fidèle seulement par principe, même si cela doit te rendre malheureux.
— Ecoute, Susanna, mes rapports avec ma femme ne te concernent pas. Ça suffit maintenant ! répliqua-t-il, en colère.
— Oh ! Brant, ne sois si dur avec moi, s’exclama Susanna, des sanglots dans la voix. Je voulais seulement te parler de ce qui s’est passé hier soir. Après t’avoir quitté, j’étais bouleversée. Tu avais été si...
— Je t’ai dit de ne plus penser à hier ! Je ne veux pas que cela se reproduise !
— Oui, Brant. Si tu as besoin de moi, tu sais où me trouver.
Kelly n’entendit pas la réponse de Brant. Ses pas se rapprochaient. Pour rien au monde il ne devait s’apercevoir qu’elle avait écouté leur conversation. Brusquement Kelly se mit à courir. Devant la porte de la chambre, ses mains tremblaient tellement qu’elle eut du mal à mettre la clé dans la serrure. Enfin, la porte s’ouvrit. Au bord de la crise de nerfs, Kelly se précipita dans la salle de bains qu’elle ferma à clé. S’écroulant dans un fauteuil, Kelly éclata en sanglots. Des bribes de mots revenaient la tourmenter : « Tu ne l’aimes pas », « tu regrettais déjà de l’avoir épousée »... « Tu étais si... » Si quoi ? Amoureux ? Passionné ? Brant avait passé la veille de son mariage dans les bras de cette femme ! Prête à s’évanouir, Kelly eut la force de s’approcher du lavabo et d’asperger son visage d’eau fraîche.
Quelques coups se firent entendre à la porte.
— Chérie, tout va bien ? Il faudrait que nous partions bientôt.
— Oui, je sors dans un instant.
Le miroir lui renvoyait son reflet : excessivement pâle, les yeux brillants, Kelly essaya de dissimuler les marques laissées par cette violente émotion. Après qu’elle eut respiré profondément, ses traits recouvrèrent quelque sérénité. Il ne fallait pas que Brant sache qu’elle avait surpris cette scène. Lui en parler ne ferait qu’envenimer les choses. Jamais Brant n’avait promis à Kelly de l’aimer. Et elle l’avait épousé en connaissance de cause... « Tu es le genre d’homme à tenir ta parole et à être fidèle seulement par principe, même si cela doit te rendre malheureux », avait dit Susanna. Kelly ne parvenait pas à chasser ces mots de sa mémoire : s’était-elle trompée en croyant pouvoir rendre Brant heureux ?
— Kelly, tu prends un bain ? demanda encore Brant.
— Non, non. Je sors.
Enfin, elle ouvrit la porte. Dans un costume gris, Brant se tenait près de la fenêtre et regardait la surface miroitante du lac. Il se retourna et apprécia du regard la jolie silhouette de sa femme.
— Daniel avait raison, j’ai beaucoup de chance de t’avoir épousée. Tu es très belle, Kelly.
La gorge nouée, Kelly ne pouvait prononcer une seule parole. L’envie de pleurer lui piquait les yeux. Brant savait lui dire les mots qu’elle voulait entendre, il était passé maître dans ce domaine. En fait, ce que Susanna avait affirmé était exact. Brant saurait la respecter et se comporter comme un mari doit le faire. Dans leur mariage, l’amour ne serait qu’accessoire.
— Ça ne va pas, Kelly ? questionna-t-il en faisant un pas vers elle.
— Si, tout va bien. Nous devons prendre notre avion bientôt, non ? Je suis prête à partir.
— Oui, mais auparavant, je voudrais embrasser ma femme.
Avec tendresse, Brant la prit dans ses bras. Malgré sa tristesse, Kelly s’abandonna contre lui, comme pour se raccrocher à un dernier espoir. Leurs lèvres se rencontrèrent en un baiser fervent qui chassa aussitôt doutes et angoisses. Ce baiser semblait démentir tout ce que, par perfidie peut-être, Susanna avait prétendu. Enivrée par le charme de Brant, Kelly se laissait envahir par des sensations délicieuses.
— Et si nous retardions notre départ ? Si nous restions ici, tous les deux ? murmura Brant d’une voix rauque.
Cette question jeta Kelly en plein désarroi. Rester ici avec Brant ? Oui, c’était son plus cher désir. Pourtant, Kelly envisageait avec appréhension le moment où son mari lui ferait découvrir l’amour physique. Elle cherchait, par tous les moyens, à le retarder.
— Je préférerais que nous partions, Brant. De toute façon nos invités nous attendent en bas.
— Comme tu voudras.
Aussitôt, il décrocha le téléphone placé sur le secrétaire, et appela la réception.
— Allô, c’est la chambre 206. Pouvez-vous m’envoyer un porteur pour les bagages ?
Apparemment, le refus de Kelly l’avait contrarié, car Brant se tourna vers elle et lui demanda un peu sèchement :
— Satisfaite ?
Le cœur serré, Kelly préféra dissimuler son chagrin et sauver les apparences.
— Oui, merci, Brant.
Tous leurs invités les attendaient pour leur souhaiter un bon voyage de noces. Brant joua parfaitement son rôle de mari prévenant et amoureux et Kelly réussit à simuler le bonheur d’une jeune mariée. Une fois dans la voiture que conduisait un chauffeur en livrée, Kelly se tourna pour regarder la foule qui les saluait amicalement. Seule Susanna, restée à l’écart, ne souriait pas. Elle fixait Kelly avec une assurance insupportable, qui semblait dire : « Brant finira par revenir vers moi. C’est seulement une question de jours. »



Jusqu’à l’aéroport, Brant et Kelly gardèrent le silence. A quoi Brant pouvait-il bien penser ? Peut-être à Susanna ? Ou à Francesca ? Les traits de son visage étaient durs et il semblait ignorer la présence de Kelly.
Dans le hall de l’aéroport, Kelly examina les tableaux des départs, pour essayer de deviner quelle était leur destination.
— Où allons-nous, Brant ? demanda-t-elle avec une certaine excitation.
— Où voudrais-tu aller ?
La question méritait réflexion. Pendant quelques instants, elle chercha la destination idéale.
— J’aimerais bien aller quelque part où il fasse chaud, où l’on puisse se dorer au soleil sur une plage immense...
— Parfait, c’est ce que j’avais prévu. Que penses-tu de la Floride ?
— La Floride ? C’est là que nous allons ?
— Oui, si tu es d’accord. Mais si tu préfères un autre endroit...
— Oh ! non.
Dans sa joie, Kelly aurait voulu lui dire que n’importe quel endroit lui conviendrait du moment qu’ils étaient ensemble. Elle aurait voulu tomber dans ses bras et lui dire combien elle l’aimait... Ces mots, hélas, ne pouvaient franchir le seuil de ses lèvres. Par peur d’être rejetée, d’être humiliée, Kelly gardait le silence.
— Viens, murmura Brant. Allons profiter du soleil de Floride.

Il était bien tard quand ils arrivèrent à leur destination. Une fois à Miami, ils avaient pris un avion privé jusqu’à Sarasota. Là, une voiture les attendait. Encore une heure de route et la voiture s’était arrêtée dans le parc d’une vaste maison de bois blanc, dont toutes les lumières étaient allumées.
En pleine forme malgré la longueur du trajet, Kelly était sortie de la voiture la première. Seul le bruit des vagues brisait le silence. Dans l’air de la nuit, les fleurs du parc exhalaient leur parfum. La maison rayonnait de lumière et sa blancheur contrastait avec le noir pourpré du ciel. Il s’agissait d’une demeure de style colonial espagnol. Des arcades menaient à un charmant patio.
— J’ai demandé à ce qu’on allume toutes les lampes de la maison avant notre arrivée, expliqua Brant en prenant les valises.
— Cette maison t’appartient ? Je pensais que nous allions loger dans un hôtel.
— Non, je voulais te faire découvrir ma propriété de Floride. Je devrais dire plutôt notre propriété.
Ils seraient donc seuls pendant une semaine dans cette superbe demeure ? La tête de Kelly commençait à tourner.
Brant ouvrit la porte d’entrée. Des lustres étincelants illuminaient les murs blancs et les tapis d’un rose profond. De l’entrée, on apercevait sur la droite un immense salon dans lequel l’ameublement gardait sa couleur locale : des panneaux d’ébène étaient plaqués sur les murs tandis que des tapis d’une couleur cuivrée revêtaient les sols. Le choc de ces couleurs produisait une impression forte sur le visiteur. Kelly était ravie.
Brant traversa la pièce et conduisit sa femme à l’étage supérieur. Au centre de la chambre se trouvait un grand lit à baldaquin dont les rideaux de soie bleue s’accordaient avec les tapisseries turquoise de la pièce.
Après avoir déposé les valises, Brant se tourna vers Kelly et la regarda attentivement.
— As-tu faim, Kelly ? Tu n’as presque rien mangé dans l’avion.
— Non, je n’ai pas faim. Par contre je veux bien boire quelque chose, dit-elle d’une voix tremblante.
— Du thé, du café ou de l’alcool ?
— Plutôt de l’alcool.
Peut-être retrouverait-elle ainsi un peu de courage ? Brant lui répondit dans un sourire :
— Très bien. J’avais demandé à Maria de mettre du champagne au frais. Je vais le chercher. Pendant ce temps, mets-toi à l’aise. Si tu veux, prends un bain ou une douche.
— Merci, Brant.
Son mari lui apparaissait soudain comme un étranger, auquel elle ne savait que dire. Peu à peu, la panique prenait possession de la jeune femme sans qu’elle puisse se contrôler. Les mains tremblantes, elle alla chercher sa chemise de nuit et ses affaires de toilette. Puis elle s’enferma dans la salle de bains, espérant un peu de répit.
La douce chaleur et le parfum agréable du bain ne parvinrent pas à la détendre. En sortant de l’eau, Kelly s’enveloppa dans une grande serviette. Avec soin, elle appliqua sur tout son corps un lait parfumé. Enfin, Kelly enfila sa chemise de nuit de soie, puis un élégant déshabillé. Ses cheveux, détachés pour la nuit, ondoyaient souplement sur ses épaules. Sur son visage, nulle trace de maquillage. Elle était jolie ainsi, elle le savait. Mais ce soir, elle ne cherchait plus à séduire Brant. Au contraire, elle aurait voulu s’enfuir, éviter l’épreuve qui l’attendait. Souhait irréalisable... n’était trop tard. Kelly ouvrit la porte et entra dans la chambre.
Brant était étendu sur le lit. Il ne s’était pas encore dévêtu. Dès qu’elle entra, il leva les yeux vers elle et, sans mot dire, la contempla. Sur la table de nuit, une bouteille de champagne attira le regard de Kelly. Brant se redressa et, d’un geste, fit sauter le bouchon, et deux grandes flûtes de cristal furent emplies du vin pétillant et doré.
— Viens, Kelly, murmura-t-il avec tendresse.
Masquant sa gêne, Kelly s’avança vers lui et s’assit au bord du lit. Elle prit le verre qu’il lui tendait.
— A notre vie ensemble ! s’exclama Brant.
Parlait-il sérieusement ? Mieux valait ne pas chercher à le savoir. Anxieuse, Kelly vida son verre de champagne d’un trait et en demanda un autre. Brant se *******a de lui reprendre son verre et de le reposer sur la tablette.
— Je voudrais une autre coupe, Brant.
— Je sais. Mais je ne tiens pas à t’enivrer... en tout cas pas de cette façon-là, dit-il avec un sourire ambigu.
Ces paroles mirent Kelly au supplice. Comment expliquer à Brant ses craintes, comment lui faire comprendre que la simple idée de partager son lit la terrifiait ? N’y tenant plus, Kelly se leva et s’approcha de la baie vitrée. On apercevait la plage illuminée par la clarté de la lune. Au loin, quelques voiliers étaient amarrés et attendaient leurs riches propriétaires. Les portes coulissèrent et elle sortit sur la terrasse. L’air de la mer ranimait son courage.
— Que se passe-t-il, Kelly ? demanda Brant.
— Rien, rien.
— Allez, entre, ordonna-t-il impatiemment.
Brant s’était levé. Agacé par le comportement de sa femme, il vint la chercher.
— Kelly, cesse tes enfantillages.
Il essaya de la prendre par le bras. Affolée, elle recula.
— Non, Brant ! Ne me touche pas ! Je ne veux pas !
— Très bien, ma chérie. Calme-toi. Entre, s’il te plaît. Tu as besoin de sommeil.
C’était vrai. Kelly était épuisée. Le mariage, la réception, le voyage... Après ces bouleversements, elle ne souhaitait plus qu’une chose : le repos et le calme.
— Oui, tu as raison, Brant. Mais jure-moi que...
— Je te le jure.
— Où vas-tu dormir ?
— Dans le même lit que toi, Kelly. Nous nous étions mis d’accord là-dessus, rappelle-toi.
— Oui... mais...
— Je t’ai dit que je ne te toucherai pas. Alors va te coucher.
Brant disparut dans la salle de bains.
Pendant quelques secondes, Kelly resta figée sur place. Par ses craintes absurdes, elle avait tout gâché ! Retenant ses larmes, elle obéit à son mari et se glissa entre les draps soyeux. Son corps se détendait peu à peu, mais pas son esprit. Les événements de ces dernières heures défilaient dans sa tête. Kelly revoyait la rose rouge envoyée par Brant. Ce souvenir agréable fut chassé immédiatement par celui des paroles de Susanna : « A peine la cérémonie terminée, tu regrettais déjà de l’avoir épousée. » Elle se rappela ensuite le regard triste de Brant quand il l’avait embrassée sur le parvis de l’église. Ces scènes traversaient sa mémoire et meurtrissaient son cœur. Soudain, un détail lui revint à l’esprit. Daniel lui avait parlé d’un cadeau qu’il lui avait fait parvenir. Or, elle n’avait rien reçu de lui. Rien ? Mais si ! La rose rouge ! Ce présent, qui lui avait fait croire à l’amour de Brant, ne venait donc pas de son mari, mais de Daniel !
La douche s’était arrêtée. Brant allait venir se coucher auprès d’elle. La porte s’ouvrit et se referma discrètement. Immobile, Kelly retenait son souffle. Brant se glissa dans le lit et éteignit sa lampe.
Finalement, le sommeil vint emporter Kelly, un sommeil hanté par les mauvais rêves. Elle se trouvait de nouveau à l’église, mais la foule qui l’entourait, au lieu de la féliciter, se moquait d’elle. Tout le monde savait que Brant ne l’épousait que pour obtenir le contrôle de la société. Susanna s’avançait vers elle et lui disait : « Jamais vous ne pourrez vous faire aimer de Brant. » Puis, elle entendait la voix de Brant : « Désolé, Kelly, nous ne pouvons pas vivre ensemble. Je te quitte. »
Brusquement, elle ouvrit les yeux. Son cœur battait la chamade, des frissons parcouraient son corps. Progressivement, le calme revenait. A sa grande surprise, Kelly se rendit compte qu’elle partageait l’oreiller de Brant. Dans un geste de tendresse, il l’avait enlacée. Doucement elle se redressa. La lumière de l’aurore éclairait la chambre. Brant dormait paisiblement. Ses traits avaient perdu de leur dureté. Il se dégageait de ce visage une impression de vulnérabilité qui avait jusqu’alors échappé à Kelly. Emue, elle aurait voulu le réveiller et lui dire tout son amour, se confier enfin et lever tous les malentendus. Mais elle n’en eut pas le courage. Avec précaution, Kelly se dégagea de son étreinte et quitta le lit. Après s’être enveloppée dans un grand châle de soie, elle ouvrit les fenêtres et sortit.
Le soleil, qui venait de se lever, embrasait l’horizon. Le ciel était serein. Une légère brise faisait trembler les palmes des arbres. Cet endroit était un vrai paradis, le lieu idéal pour une lune de miel. Combien elle regrettait la scène d’hier soir ! Elle s’était comportée comme une idiote. Brant devait déjà se repentir de l’avoir épousée. Quelle erreur d’avoir imaginé que Brant était amoureux d’elle ! Non, il ne l’avait jamais été et ne risquait pas de le devenir.
— Pourquoi es-tu sortie ?
Kelly sursauta. Brant, à demi dévêtu, se tenait sur le seuil de la porte. Kelly détourna les yeux. La beauté athlétique de ce torse nu la troublait et la mettait mal à l’aise.
— Je regarde le lever du soleil.
Ne sachant que dire, Kelly se mit face à l’océan et fit mine de le contempler. La lumière jouait sur les vagues et leur donnait des reflets diaprés. Sans bruit, Brant s’appuya contre le parapet, près d’elle.
— C’est magnifique, n’est-ce pas ? Ce spectacle ne manque jamais de m’émouvoir. Cela nous remet à notre vraie place, minuscule et insignifiante, dans l’ordre de l’univers. On adopte un autre regard sur le monde. Face à cela, nos problèmes perdent de leur gravité...
De telles paroles étaient inattendues dans la bouche de Brant. Etonnée, elle lui jeta un regard de biais.
— Il m’est arrivé de traverser des moments d’incertitude, Kelly.
La compréhension et la gentillesse de Brant la déconcertaient. Il essayait de l’aider à parler. Paradoxalement, son attitude ne lui était d’aucun secours. La gorge serrée, Kelly se taisait. Aussi Brant reprit-il la parole :
— J’ai acheté cette propriété après la mort de Francesca. C’est ici que j’ai réussi à surmonter la douleur de sa disparition.
Après avoir tant souffert, Brant méritait d’être heureux, pensa Kelly. Désespérée, elle se sentait incapable de lui donner ce bonheur qu’elle croyait, la veille encore, possible.
— Brant, je suis désolée pour hier soir. Tu as été très patient avec moi. Beaucoup d’hommes auraient...
— Beaucoup d’hommes auraient passé outre ton refus, continua-t-il. Mais crois-tu vraiment que j’appartiens à ce type d’hommes ?
— Je ne sais pas, Brant. Il m’arrive de le croire. Tu peux être très violent parfois. Tout ce que je sais, c’est qu’entre nous... entre nous il n’y a pas d’amour. Nous avons commis une énorme erreur en nous mariant.
— Une énorme erreur ? reprit-il, en changeant de ton. Je te rappelle tes propres paroles, il y a un mois : « Ce mariage peut être une bonne affaire pour moi aussi. »
Le souvenir de cette pénible conversation lui revint. Comment lui dire ce qu’elle éprouvait réellement ? Les mots lui jouaient de mauvais tours. Ce jour-là, elle avait menti. Tout ce qu’elle voulait, c’était l’épouser sans perdre la face. Elle avait défié Brant et s’était prise à son propre jeu.
— Il n’est pas trop tard, Brant. Il y a encore une solution.
— Ah oui ? Laquelle ?
— Nous pouvons faire annuler le mariage. Je suis sûre que...
— Tu n’es sûre de rien, Kelly. Moi je le suis, et je peux te dire que notre mariage ne sera pas annulé. Hier, tu m’as fait un serment. Je ne te permets pas de le briser par caprice, simplement parce que tu as changé d’avis. Il y a bien trop de choses en jeu !
— Oui, les actions McConell, par exemple. C’est tout ce qui compte, pour toi !
— Tu connaissais les termes du contrat. Il n’y a pas à revenir là-dessus.
— Oui, d’accord. Mais qu’est-ce qui m’oblige à partager ton lit ?
— C’est cela qui te gêne ? Où est donc la femme qui, il y a quelques semaines, me suppliait presque de lui faire l’amour ?
A ce rappel, Kelly rougit de honte. Comment osait-il ? Humiliée, elle ne trouva quoi répondre.
— Ce soir-là, je t’avais offert un précieux collier. Et hier, j’ai oublié de le faire..., reprit Brant.
Kelly ne put se retenir. La gifle laissa des marques rouges sur la joue de Brant. Aussitôt, elle regretta son geste. Jamais elle n’avait giflé quelqu’un.
— Brant, pardonne-moi, mais tu es allé trop loin.
— Au contraire, Kelly, au contraire, dit-il d’une voix menaçante.
Son regard furieux inquiéta Kelly. Elle recula d’un pas. La main de Brant s’abattit sur son épaule et l’immobilisa.
— Que fais-tu, Brant ? Laisse-moi !
— Ce que j’aurais dû faire cette nuit !
Sans ménagement, Brant la souleva et la prit dans ses bras. La résistance était inutile. Pourtant, Kelly se débattait de toutes ses forces.
— Tu es fou, Brant. Laisse-moi !
Une fois parvenu dans leur chambre, Brant la jeta sur le lit. Stupéfaite, la jeune femme le regardait sans comprendre. L’effroi la fit réagir. Elle tenta d’échapper à la colère de son mari. En vain. Il la rattrapa et la plaqua sur le lit.
— Arrête, Brant, arrête ! cria-t-elle.
Ses cheveux blonds épars sur la couverture, Kelly le repoussait. D’une seule main, Brant avait emprisonné les siennes. Il couvait la jeune femme d’un regard ardent. Il l’hypnotisait comme un serpent fascine sa proie. Peu à peu, la volonté de Kelly fléchissait, l’effroi laissait place au désir. Enfin Brant posa ses lèvres brûlantes sur celles de Kelly, déclenchant une tempête d’émotions chez la jeune femme. Des frissons délicieux l’envahirent. Elle n’avait plus aucune envie de se défendre. Non, s’abandonner contre lui, céder à ses caresses de plus en plus pressantes... Brant relâcha son emprise. Kelly était libre maintenant mais ne songeait pas à s’enfuir. Brant écarta son châle de soie et doucement fit glisser sa chemise de nuit autour d’elle.
Complètement nue, alanguie sur les draps de satin, Kelly se laissa contempler par Brant.
— Tu es très belle, Kelly, murmura-t-il dans un souffle.
Déjà le désir montait en elle, impérieux. Elle enlaça Brant tendrement et se laissa emporter par les plaisirs enivrants de l’amour.

lailajilali8 05-05-07 11:13 AM

Chapitre 7



Sur la plage déserte, la douce chaleur du soleil envahissait le corps alangui de Kelly. Depuis la terrasse, Brant était en train de la contempler et elle avait l’impression de sentir la caresse de son regard.
Son mari vint la rejoindre et s’assit près d’elle.
— Kelly, je voudrais savoir... cette nuit, je t’ai fait mal ?
Sa question ne reçut aucune réponse. Kelly faisait semblant de dormir. Devant son silence, Brant se mit à jouer avec quelques boucles blondes qui s’étaient échappées de son chignon serré.
— Chérie, ne reste pas en plein soleil.
Prenant le tube de crème solaire qui traînait sur la serviette, Brant commença à en étaler généreusement sur le dos de la jeune femme. Quelles sensations agréables ! Kelly laissait échapper des soupirs de plaisir. Enfin elle ouvrit les yeux. Brant était tout près. Au sortir de la douche, enveloppé d’un peignoir clair, il fleurait bon l’eau de toilette. Ses cheveux, encore mouillés, prenaient des reflets bleutés. Kelly était fascinée par sa beauté.
— Comment te sens-tu, chérie ? demanda-t-il en l’embrassant.
— Merveilleusement bien !
Dans un éclat de rire, Kelly se redressa et entoura Brant de ses bras. Leurs lèvres se joignirent en un long baiser. Enfin, redressant la tête, Brant la fixa quelques instants et renouvela sa question.
— Kelly, tu ne m’as pas répondu.
— De quoi parles-tu ?
— Je veux savoir si, cette nuit, je n’ai pas été trop brutal avec toi.
Elle sourit. A quoi bon éluder cette question ? Brant avait dû se rendre compte que sa femme manquait d’expérience. Mais peut-être ne s’était-il pas aperçu que c’était pour Kelly la première nuit d’amour ? En tout cas, elle avait fait tout son possible pour le lui dissimuler. Par pudeur, par timidité, elle n’osait le lui avouer. Kelly était persuadée qu’une telle confidence la ridiculiserait aux yeux de Brant.
— Non, Brant, tout s’est très bien passé.
Pour cacher son embarras, elle se mit à enduire ses jambes de crème. Du reste, elle ne mentait pas en disant que tout s’était bien passé. Dans l’ivresse de leurs ébats, à peine avait-elle ressenti une petite douleur, bien vite évanouie. Puis, entre les bras de Brant, elle avait découvert le plaisir.
— Tu avais déjà connu un homme ?
— Brant ! Ma vie avant notre mariage ne regarde que moi et tu ne dois pas poser de telles...
Le sourire de Brant l’arrêta net. Sa voix avait pris un ton si puritain qu’elle aussi se mit à rire.
— Pardonne-moi mon indiscrétion, chérie. Je sais que toi et Daniel étiez amants, mais cette nuit j’aurais juré que... Oui, excuse-moi.
Une grimace de Kelly le fit taire, il abandonna le sujet.
— As-tu faim, Kelly ?
— Une faim de loup !
— Alors va enfiler une robe et je t’emmène dans un petit restaurant du village voisin, où nous goûterons de succulents poissons...
Une fois sur la terrasse, Kelly se retourna vers son mari.
— Brant, j’ai dit tout à l’heure que chacun de nous devait garder son passé pour lui, mais je voudrais quand même te poser une question...
— Oui ?
— As-tu déjà amené des femmes ici ?
— Non, je suis toujours venu ici seul.
En parlant, il s’était approché d’elle. Avec douceur, il lui souleva le menton.
— Pourquoi me poses-tu cette question ?
— Par curiosité.
Et aussitôt, échappant à son emprise, Kelly disparut dans la chambre. Dans la garde-robe, quelques tenues s’offraient à son choix. Kelly en prit une au hasard. A vrai dire, son esprit était ailleurs. Le cœur gonflé de joie, Kelly chantonnait en pensant à la réponse de Brant. Personne n’était venu ici avant elle ! Aucun souvenir de femme aimée ne hanterait ces lieux. Seuls, Brant et elle y connaîtraient un bonheur sans nuages.
Pendant une semaine, Kelly et Brant passèrent des moments inoubliables. Bains de soleil sur la plage privée, déjeuners exquis dans les restaurants avoisinants, visites des sites les plus merveilleux de la région... Un jour, Brant l’emmena au Parc des Everglades, dans les marécages, royaume des oiseaux exotiques et des alligators. Kelly en revint fascinée par la beauté de ce lieu à la fois dangereux et paisible.
A leur retour, Brant alla dans son bureau, pendant que Kelly préparait des cocktails qu’elle servit dans le salon. Installée confortablement dans le sofa, ses longues jambes bronzées appuyées sur l’accoudoir, Kelly se laissait aller au bien-être en sirotant un jus de fruits. Sans bruit, Brant entra dans la pièce. Son regard s’arrêta longuement sur Kelly. Sa peau hâlée, ses cheveux blonds éclaircis par le soleil lui donnaient une mine superbe. Elle était ravissante dans sa robe jaune et rayonnait de joie de vivre. Inconsciente d’être examinée, Kelly leva soudain les yeux vers son mari.
— Brant, tu étais là... Veux-tu boire quelque chose ? Merci pour cette journée. C’était vraiment merveilleux. Si nous allions jusqu’à Disney World demain ?
— Hélas, ce n’est pas possible, ma chérie. J’ai reçu une télécopie, tout à l’heure. Nous devons rentrer dès demain. La date du procès Sharman a été avancée. Susanna devait s’occuper de la préparation du dossier. Elle l’a fait, mais ne se sent pas capable de plaider à ma place. Ce cas est trop complexe pour une débutante. Nous prendrons le premier avion pour Toronto dès demain.
— Oui, je vois..., répondit Kelly d’une voix contrariée. Je suppose qu’il n’y a aucune autre solution.
Sa déception était vive. Brant vint s’asseoir à côté d’elle. D’une caresse sur sa chevelure blonde, il essaya de chasser son expression de tristesse.
— Nous reviendrons ici très bientôt, et je t’emmènerai où tu voudras. Je te le promets, Kelly.
Pourquoi fallait-il que leur lune de miel prenne fin ? Les yeux fermés, Kelly pensait à leur retour au Canada. De nouveau, elle n’occuperait qu’une place insignifiante dans la vie de Brant. Bien après ses affaires, et puis, bien sûr après... Susanna Winters. Le nom de cette femme avait fait frémir Kelly. Susanna avait donc gagné, elle avait réussi à gâcher ces moments de bonheur parfait qui retenaient Brant loin d’elle. Par dépit, Kelly feignit l’indifférence.
— Aucune importance, Brant. En réalité, je suis *******e de rentrer. Le bureau commençait à me manquer.
— Quel zèle !
Le ton amer de cette remarque échappa à Kelly. Brant se dirigeait vers son bureau.
— Je dois passer un coup de téléphone.
— A qui ? demanda Kelly avec inquiétude.
— A Susanna Winters. Il faut que je la prévienne de notre retour.
— Je suis sûre que cela va beaucoup la soulager. Ton absence a dû la rendre malade.
Kelly n’avait pu éviter le sarcasme. Brant avait-il compris que Kelly était folle de jalousie dès qu’elle entendait parler de Susanna ?
— Il n’y aura personne au bureau, fit-elle remarquer en regardant sa montre.
— Oui, je l’appelle chez elle.
Sans aucune hésitation, Brant composa le numéro de téléphone personnel de Susanna. Il devait l’appeler souvent pour le connaître si bien.
— Allô, Susanna. Brant à l’appareil, dit-il d’une voix enjouée. Non, vous avez bien fait de m’envoyer un message... Ici ? Tout va bien. Kelly et moi visitons la Floride.
Décidément, on aurait dit de vieux amis ! En tout cas, cette conversation faisait visiblement plaisir à Brant, qui souriait à chaque phrase de son interlocutrice.
— Je n’ai pas encore eu le temps d’étudier les ********s. Apparemment vous avez fait du très bon travail. Nous verrons cela demain ensemble...
Excédée, Kelly quitta la pièce. Les portes vitrées coulissèrent sans bruit et elle sortit sur la terrasse. L’air de la nuit était chaud. Ce qu’elle venait d’entendre lui donnait le vertige. Retirant ses chaussures d’un coup de pied, elle décida de descendre jusqu’à la plage obscure.
Par intermittence, la lune émergeait des nuages, éclairant d’une lueur irréelle l’immense étendue de sable. Kelly longeait le rivage et se laissait bercer par le bruit de vagues. Elle s’arrêta et fixa l’horizon. Sa haine pour Susanna venait d’être ravivée par cette conversation téléphonique. Sa jalousie, Kelly ne parvenait pas à la vaincre ni à se raisonner. Car après tout, ce que Brant avait dit était parfaitement vrai : si le procès Sharman était avancé, leur séjour devait être écourté ; de plus, que Susanna et Brant travaillent ensemble sur ce procès était absolument normal ; et puis, il n’y avait rien de surprenant à ce que Brant connaisse son numéro par cœur puisqu’ils s’étaient fréquentés quelque temps. Et pourtant, Kelly ne se dominait plus. De quoi parlaient-ils en ce moment ? Le souvenir de la conversation surprise à l’hôtel revint à son esprit. A coup sûr, ce message sur la télécopie n’était qu’un pré****e. Tout simplement Brant voulait retrouver son ancienne maîtresse. La lumière de la lune se mit à vaciller dans ses yeux embués de larmes.
— Kelly ?
La voix grave de Brant venait de rompre le silence. Elle se retourna. Il se tenait à deux pas derrière elle. L’obscurité le faisait paraître plus grand, sa silhouette athlétique le rendait impressionnant.
— Je suis désolé que nos vacances soient interrompues...
— Ce n’est grave. Finalement ça tombe bien. Je commençais à m’ennuyer un peu.
— Je ne m’étais pas rendu compte que je t’ennuyais, reprit Brant, blessé.
— Ce n’est pas toi, mais tu sais, à force de rester tous les deux, on se lasse. C’est inévitable. Alors, retourner à Toronto, retrouver nos amis...
Kelly ne pensait pas un mot de ce qu’elle disait. Consciente qu’elle allait tout gâcher, elle ne pouvait s’empêcher de prononcer ces paroles amères.
— Tu penses à quelqu’un en particulier parmi tes amis ? demanda-t-il froidement.
— Non... Si tu permets, Brant, je vais aller me coucher.
Déjà elle allait partir quand Brant la retint par le bras.
— Non, je ne permets pas ! Moi, je regrette que nous devions partir. J’aurais aimé prolonger notre séjour pour essayer de te guérir de ta lassitude. De quoi as-tu besoin ? D’une existence plus palpitante, de sensations fortes ?
De sa main libre, il avait commencé à défaire les boutons de sa robe.
— Brant, que fais-tu ? s’écria-t-elle en se débattant.
— Tu ne le devines pas ?
— Pas ici ! Tu ne peux pas !
— Et pourquoi pas ? C’est une plage privée. J’ai le droit de faire ce que je veux.
— Non, je t’interdis...
En vain le repoussait-elle. Brant était le plus fort. La robe de Kelly était à demi déboutonnée. De toutes ses forces, elle fit une dernière tentative pour se libérer. A sa grande surprise, Brant la lâcha. Dans son élan, Kelly perdit l’équilibre et tomba sur le sable. Aussitôt Brant se mit à genoux et l’empêcha de se lever.
— Tu me fais mal !
— Excuse-moi.
— Tu es complètement fou, Brant.
Soudain Kelly n’avait plus aucune envie de se débattre. Entre ses mains, elle n’était qu’un jouet qu’il savait manipuler à sa guise. Comment avait-il réussi à faire d’elle une poupée docile ? Les lèvres de Brant vinrent se poser sur les siennes et elle cessa tout à fait de se questionner. Les derniers boutons de sa robe avaient cédé. Les mains de Brant se promenèrent sur son ventre, sur sa poitrine nue. Le désir la livrait tremblante de bonheur à ses moindres caprices.
— Alors, Kelly ? murmura-t-il. Te sens-tu toujours aussi fatiguée de moi ?
Incapable de répondre, Kelly se laissait enivrer par l’ardeur de ses baisers. Bientôt, on n’entendit plus que le murmure des vagues sur le rivage auquel se mêlait le soupir des amants enlacés.

Un mois s’était écoulé depuis leur retour de Floride. A l’autre bout de la table du petit déjeuner, Kelly jetait un coup d’œil anxieux vers Brant. Occupé à ouvrir son courrier, il l’ignorait totalement. Le jour, il incarnait parfaitement l’avocat rigoureux et célèbre dont parlaient les journaux. Il n’avait plus rien du mari tendre qui tenait sa femme dans ses bras pendant leurs nuits d’amour. D’ailleurs, ces derniers temps, l’amour semblait avoir déserté leur couple.
Depuis un mois, Brant avait été très soucieux. Le procès Sharman se révélait une affaire difficile et réclamait toute son attention. Brant avait réussi à retarder le procès car il avait découvert un nouvel élément déterminant. Tous les soirs, il veillait tard pour revoir les dossiers. Son humeur se ressentait de ce surcroît de travail.
— Brant ? Pourquoi ne prendrais-tu pas quelques jours de repos ? suggéra-t-elle soudain. Et si nous partions, ce week-end ?
— Impossible, répliqua-t-il sans même lever les yeux.
— Tu ne peux pas continuer à ce rythme, Brant. Si je pouvais t’aider...
— Je dispose de toute l’aide nécessaire. Merci quand même !
— Ce n’est rien, murmura Kelly tristement. Au cas où...
Brant ne l’écoutait plus. La lecture de sa lettre absorbait toute son attention. Bien sûr qu’il n’avait pas besoin de Kelly puisque Susanna Winters l’assistait en permanence. C’était probablement cette idée qui mettait son moral au plus bas. Depuis quelques jours, Kelly ressentait un indéfinissable malaise, à la fois physique et affectif. Sans doute ses angoisses provenaient-elles de cette situation intenable.
Toutefois, Kelly avait besoin de l’avis de son médecin.
Comment s’absenter du bureau sans que Brant le sache ?
Voilà la question qu’elle se posait. A cet instant, Helen Harcourt fit son apparition.
— Bonjour ! lança-t-elle.
Comme toujours, elle avait le sourire aux lèvres. La bonne humeur perpétuelle d’Helen Harcourt faisait chaud au cœur de Kelly.
— Bonjour, Helen, répondit Kelly en se levant pour servir sa belle-mère.
— Restez où vous êtes, Kelly. Je vais me servir moi-même. Ne vous dérangez pas pour moi.
— Ça ne me dérange pas du tout...
— Je sais bien, mais vous me donnez de mauvaises habitudes et si vous me gâtez trop, je n’aurai jamais le courage de regagner l’Angleterre. Vous risqueriez de ne jamais vous débarrasser de votre belle-mère.
Les deux femmes se sourirent amicalement. En fait, la présence d’Helen était un véritable bienfait pour Kelly. Tous les soirs où Brant restait cloîtré dans son bureau, Helen lui tenait compagnie et l’empêchait de souffrir de la solitude. De plus, par sa gentillesse, elle apaisait les tensions qui régnaient dans le jeune couple.
— Je n’ai absolument pas envie de me débarrasser de ma belle-mère ! Au contraire, j’aimerais que vous restiez encore un peu...
— Oui, maman. Pourquoi pas ? renchérit Brant.
— Ecoute, Brant, depuis la mort de ton père, j’ai pris l’habitude de vivre seule. C’est en Angleterre que se trouvent mes sœurs et mes amis. Le jour où j’aurai des petits-enfants, Kelly, vous pouvez être sûre que je reviendrai...
— Dans ce cas, il te faudra attendre longtemps.
Les paroles cruelles de Brant touchèrent Kelly en plein cœur. Brant était devenu très dur avec elle, sans qu’elle comprenne pourquoi.
— Ne dis pas de bêtises, Brant, répliqua Helen. Kelly, vous ne mangez rien. Vous savez, le petit déjeuner doit être copieux.
— Je n’ai pas très faim, Helen. D’ailleurs, je ne peux pas avaler grand-chose le matin.
Avant qu’elle ait pu l’en empêcher, Helen lui versait une tasse de café frais. L’odeur lui souleva le cœur. Ces derniers temps, la nausée ne la quittait pas.
— Vous allez bien, Kelly ? demanda Helen, effrayée par sa pâleur.
— Oui, oui. C’est juste que le café m’écœure en ce moment, je ne sais pas pourquoi.
— Voulez-vous un jus de fruits ?
— Volontiers. Merci, Helen.
A bout de forces, Kelly se laissa servir.
— Kelly, tu devrais prendre une journée de repos, suggéra Brant brusquement. Tu n’as pas l’air en forme.
— Excellente idée, s’exclama Helen. Ça vous fera du bien de rester à la maison.
— Parfait ! Je vois que tout est réglé. Je vous laisse, annonça Brant en se levant.
— Non, rien n’est réglé. J’ai bien trop de travail pour pouvoir m’offrir une journée de congé ! riposta Kelly en se rebellant.
Brant lui jeta un regard froid. Il semblait sur le point de protester mais se *******a de répondre :
— Comme tu voudras.

Plus tard, assise devant son bureau, Kelly se mordait les doigts d’avoir été si stupide. Brant lui avait fourni une occasion de consulter son médecin en toute tranquillité et elle l’avait refusée ! Plus la matinée avançait, plus elle se sentait mal. En appuyant sur son Interphone, Kelly appela sa secrétaire.
— Maggie, j’ai combien de rendez-vous prévus pour cet après-midi ?
— Cinq. M. Woods, M. Kemp...
— Très bien, Maggie. Pourriez-vous me passer une ligne extérieure ?
Sur son carnet, Kelly chercha le numéro de son médecin. Peut-être pourrait-il la prendre à l’heure du déjeuner ? Heureusement, l’emploi du temps du médecin n’était pas complet. Il pouvait le recevoir à 1 h 30.
— Kelly ? Est-ce que je te dérange ?
C’était Daniel qui venait d’entrer.
— Non, Daniel, bien sûr que non. Assieds-toi, je t’en prie.
Daniel avait l’air en pleine forme. Elégant, comme à son habitude, il portait un costume gris à rayures dessiné par un couturier à la mode. Il s’assit nonchalamment dans un fauteuil de cuir.
— Alors, Kelly, tu vas bien ? Je viens te voir pour te demander si tu as réfléchi à mon offre pour la maison de ton grand-père ?
— Excuse-moi, ça m’est complètement sorti de l’esprit !
— Je ne suis pas pressé. Mais est-ce que je pourrais emprunter tes clés et jeter un coup d’œil sur la maison ?
— Bonne idée !
Dans son sac, Kelly prit le trousseau qui contenait les clés de son ancien appartement et celles de la vieille demeure. Elle le tendit à Daniel.
— Elle t’intéresse toujours autant ?
— Oui. J’en ai assez de ma garçonnière.
— Cela signifie que tu te lasses de ta vie de célibataire ?
— Quelle question !
Le téléphone se mit à sonner. Kelly le décrocha et se présenta d’une voix enjouée..
— Tu as l’air de bonne humeur, Kelly, remarqua Brant. Je t’appelais pour t’inviter à déjeuner.
Surprise, elle resta un instant sans voix. Depuis leur mariage, les invitations de Brant s’étaient faites rares. Pourquoi fallait-il que cela tombe aujourd’hui ? Il était impossible pour elle d’annuler son rendez-vous. Prise de court, elle inventa une excuse.
— Je suis désolée, Brant. Daniel vient de m’inviter. Nous devons discuter de différentes choses...
— Très bien. Ce sera pour une autre fois, interrompit-il sèchement. A ce soir.
Et il raccrocha. Soucieuse, Kelly reposa le combiné.
— Alors, Kelly ? Où allons-nous déjeuner ?
— Navrée d’avoir inventé cette histoire idiote ! J’ai un rendez-vous en début d’après-midi et je ne voulais pas en parler à Brant.
— Oh, oh ! De quoi s’agit-il ?
Kelly hésita. Ce qu’elle ne voulait pas dévoiler à son mari, elle ne voulait pas non plus que Daniel le sache. Mais si elle ne lui expliquait pas ce mystère, il imaginerait n’importe quoi.
— Eh bien, voilà : je dois faire un cadeau à Brant et je comptais l’acheter cet après-midi.
— Ne t’inquiète pas, je garderai le secret.
— Merci, Daniel, tu es gentil.
— Je vais profiter de l’heure du repas pour aller voir la maison de Jœ. Et rassure-toi, je serai discret.
Après sa visite chez le médecin, Kelly ne retourna pas au bureau. Elle appela Maggie pour l’avertir qu’elle rentrait chez elle.
Heureusement, à la maison, Helen était absente. Kelly ne voulait parler à personne. Elle monta directement dans sa chambre et se glissa entre les draps. Alors elle s’abandonna au chagrin qu’elle avait réussi à contenir jusque-là. Sanglotante, tremblante d’angoisse, Kelly resta prostrée dans sa chambre obscure pendant de longues heures.

lailajilali8 05-05-07 02:12 PM

Chapitre8


Kelly se réveilla en sursaut. Dans la chambre, le jour avait baissé. C’était la fin de l’après-midi. En se redressant, Kelly alluma sa lampe de chevet et se prit la tête entre les mains. Elle se rappelait la visite chez le Dr Michaels.
Que faire ? D’abord se calmer et ensuite réfléchir à la situation. Le médecin n’était sûr de rien. Il avait besoin, pour se prononcer, des résultats des tests de grossesse. Alors, inutile de s’affoler !
Kelly se leva et enfila un kimono de soie blanche. Devant sa coiffeuse, elle s’examina avec attention. Ces quelques heures de sommeil lui avaient fait beaucoup de bien. Ses traits étaient reposés. Elle avait l’air en pleine forme. Alors, au diable les hypothèses du Dr Michaels ! Pour émettre son diagnostic, il ne s’était fondé que sur l’état de fatigue de la jeune femme. Oui, il s’était probablement trompé. Pourtant Kelly n’était pas complètement rassurée. Lundi seulement elle saurait la vérité. Dans un soupir d’anxiété, Kelly quitta sa chambre.
Ravissante dans une robe de cachemire bleu, Kelly descendit dans le salon. Un coup d’œil dans la glace du couloir lui renvoya le reflet d’une jolie jeune femme à la taille fine. Soudain, les paroles du médecin lui revinrent à la mémoire. Et s’il avait raison ? Sa silhouette trahirait bientôt son secret et Kelly ne pourrait plus rien cacher à Brant. Sans aucun doute, sa réaction serait violente. Ne lui avait-il pas fait comprendre qu’il ne souhaitait pas d’enfants ? Alors, qu’allait-il se passer ?
Silencieuse et obscure, la maison était déserte. Helen n’était toujours pas rentrée. Kelly attendait son retour avec impatience. Elle avait besoin de sa sollicitude et de sa gentillesse. Bien sûr, il ne s’agissait pas de lui confier ses problèmes, mais de trouver réconfort et affection auprès de la vieille dame.
Depuis le salon, Kelly regardait dans le parc. En plein cœur de l’hiver, les arbres s’étaient dépouillés de leurs feuilles. Ces formes décharnées, lugubres sous le ciel plombé, inspiraient plutôt la mélancolie. D’un coup sec, Kelly tira les rideaux. Après avoir allumé le lampadaire, elle s’agenouilla devant le foyer. Une étincelle mit le feu aux fagots qui commencèrent à brûler sous les bûches. Puis, installée dans le sofa, Kelly resta les yeux fixés sur les flammes orangées et bleues qui dansaient dans la cheminée.
En ces moments de désarroi, un être lui manquait plus particulièrement : sa mère. Elle aurait su rassurer Kelly, la consoler aussi. Car Kelly n’avait personne à qui se confier et il était dur de garder pour soi toutes ses peines. Dans un éclair, elle se rappela la soirée délicieuse passée en compagnie de Brant dans ce même salon, à la lueur d’un feu de cheminée. Ce soir-là, Brant lui avait fait entrevoir un aspect de sa personnalité qui l’avait séduite. Ce soir-là, Kelly était tombée éperdument amoureuse de lui. Comme ce temps lui paraissait loin ! Depuis, sa vie avait été bouleversée. Elle avait changé de nom, de maison, et même de travail, puisqu’elle était considérée désormais comme une associée et non plus comme une débutante. Une seule chose n’avait pas changé : son amour désespéré pour Brant.
Lui, de son côté, s’était éloigné d’elle. Après la fin de leur lune de miel, Brant avait adopté une attitude distante, polie mais sans tendresse, ils se comportaient comme deux étrangers. Oui, leur couple était un échec...
Soudain, le bruit d’un moteur parvint à son oreille. Kelly regarda l’horloge : 5 heures. Ce ne pouvait être qu’Helen. Jamais Brant ne rentrait si tôt. La porte de l’entrée s’ouvrit et se referma hâtivement.
— Je suis dans le salon, Helen, s’écria Kelly.
Mais ce fut Brant qui apparut sur le seuil, l’air furieux.
— Brant ! Quelle surprise !
— Où étais-tu cet après-midi ? demanda-t-il, l’air furibond.
Que répondre ? Son entrevue avec le Dr Michaels devait rester secrète. Quant à son arrangement avec Daniel, il n’expliquait pas son absence de plusieurs heures.
— Pardonne-moi mon absence. J’ai annulé tous mes rendez-vous parce que je ne me sentais pas bien et j’ai préféré rentrer à la maison.
— Tu mens très mal, Kelly !
Un bref instant, elle se demanda s’il avait appris qu’elle s’était rendue chez son médecin. Maggie aurait pu le lui dire... Non, c’était impossible.
— Je ne mens pas, Brant.
— Alors peux-tu m’expliquer ce qui se passe ?
Brant semblait sur le point de se mettre réellement en colère. Jamais Kelly ne l’avait vu perdre son sang-froid. Elle frémissait à l’idée qu’il puisse s’emporter contre elle.
— De quoi parles-tu ? J’ai juste attrapé la grippe ou un mauvais rhume.
— Cela ne t’a pas empêchée de déjeuner avec Marsden.
Brant la prenait à son propre piège.
— Eh bien, en fait, j’ai annulé le déjeuner et je suis rentrée directement ici...
— C’est étrange. Quand Daniel est revenu au bureau, à 4 heures, il m’a dit qu’il avait fait un très bon déjeuner en ta compagnie.
Cette fois, elle était perdue. Jamais elle n’aurait dû lui cacher la vérité.
— Très bien, j’avoue, dit-elle se se levant. J’ai pris mon après-midi. Enfin, ce n’est pas un crime ! De toute façon, je t’assure que cela ne se reproduira pas.
Dans les yeux noirs de Brant, Kelly lut comme une expression de mépris et de suspicion. Pendant une minute, il l’observa en silence.
— Cela dure depuis combien de temps ?
— Quoi donc ? demanda-t-elle, perplexe.
— Kelly, cesse de jouer l’innocente ! Je suis au courant de ta liaison avec Daniel Marsden.




— Ma liaison avec... Mais qui t’a mis cette idée absurde dans la tête ? Il n’y a rien entre...
— Inutile de le nier, Kelly. Le problème n’est pas là et, de toute façon, je m’en moque. Par contre, j’aimerais que tu sois plus discrète. Je ne tiens pas à entendre des rumeurs désagréables au bureau.
— Je vois...
Une fois de plus, les paroles de Brant ruinaient toutes ses espérances et la livraient au désespoir.
— Excuse-moi si je te laisse, Kelly. Je vais à un dîner d’affaires, ce soir, et je dois aller me préparer.
Sans se retourner, Brant quitta la pièce, en laissant Kelly accablée. Retenant ses larmes, elle s’affaissa dans le canapé. L’indifférence de Brant la mettait au supplice. Pourquoi l’avait-il épousée s’il la méprisait à ce point ? Les actions McConell valaient-elles ce sacrifice ?
— Ah ! vous voilà, Kelly !
En entendant la voix d’Helen, Kelly se retourna et esquissa un sourire.
— Bonsoir, Helen !
— Vous êtes rentrée plus tôt que d’habitude ?
— Oui, en fait j’ai passé tout l’après-midi ici. Je n’étais pas très bien.
Helen vint s’asseoir auprès de sa belle-fille, l’air soucieux.
— C’est vrai que vous êtes pâle, Kelly. Vous devriez vous ménager un peu plus.
Gênée et émue par autant de gentillesse, Kelly détourna la conversation.
— Vous êtes allée en ville faire quelques courses ? questionna-t-elle.
— Oui, je me suis acheté une jolie veste. Et quand j’ai aperçu cette charmante robe de soie, j’ai pensé à vous, Kelly.
En parlant, elle avait sorti d’un paquet une élégante robe rouge et noire. Ravie, Kelly se leva et vint embrasser sa belle-mère.
— Helen, vous n’auriez pas dû ! Elle est magnifique !
Devant une psyché qui ornait le salon, Kelly tenait la robe à sa hauteur pour voir l’effet qu’elle produisait sur elle. A ce moment, Brant entra dire bonsoir à sa mère. La nouvelle robe attira son regard, mais il ne fit aucun commentaire.
— Bonsoir, maman, as-tu passé une bonne journée ?
— Oui, très bonne. Dis-moi, que penses-tu de la robe de Kelly ? Elle sera ravissante dans cette tenue, non ?
Le regard attentif de Brant se posa sur Kelly. Rien ne lui échappa : la pâleur inhabituelle, les yeux rougis... Une furtive lueur d’inquiétude traversa son regard.
— Quelle que soit la robe, Kelly est toujours ravissante, finit-il par dire.
Bizarrement, ce compliment ne fit aucun plaisir à Kelly. Sans oser le lui demander, elle brûlait de savoir où Brant se rendait... et avec qui.
— Penses-tu rentrer tard ? demanda Kelly.
— Probablement. Ne m’attendez pas. Bonne soirée.
Et il partit. Quand la porte se referma derrière lui, Kelly eut besoin de tout son courage pour dissimuler sa souffrance à sa belle-mère.
Grâce à Helen, à ses anecdotes, à sa gaieté, la soirée fut agréable. Cependant, Kelly ne pouvait s’empêcher de consulter sans cesse sa montre. Que faisait Brant en ce moment ?
A 10 heures, Kelly alla se coucher. Allongée sur son lit, elle ne trouvait pas le sommeil. Des images, des scènes torturaient son esprit : Brant était dans les bras de Susanna, il l’embrassait ; tous deux riaient aux éclats et se moquaient d’elle. Evidemment, l’idée que Kelly puisse avoir une liaison avec Daniel arrangeait Brant : cela lui permettait de voir Susanna sans mauvaise conscience.
A 11 h 30, Kelly entendit Helen monter dans sa chambre. La maison devint silencieuse. Kelly attendait toujours. Enfin, à minuit, la voiture de Brant entra dans le parc. Mais il ne vint pas rejoindre sa femme. Jusqu’au petit matin, Kelly resta éveillée dans l’espoir qu’il vienne la retrouver. En vain. Epuisée, elle finit par sombrer dans un sommeil agité.
Le bruit de la porte la réveilla, Kelly se redressa sur son lit.
— Brant ?
— Non, Kelly, c’est Helen. Excusez-moi de vous avoir éveillée. Je voulais voir si vous alliez bien.
— Oui, oui. Tout va bien.
Elle mentait. Une migraine épouvantable la faisait souffrir.
— Quelle heure est-il ?
— Près de 11 heures, répondit Helen en déposant un verre de jus d’orange à côté d’elle.
— C’est vrai ? Mais je ne me lève jamais si tard !
— Nous sommes samedi alors vous avez bien le droit de faire la grasse matinée ! Vous en aviez besoin. D’ailleurs, vous semblez en meilleure forme qu’hier.
D’un coup d’œil, Helen vit que Brant n’avait pas dormi ici, car, de son côté du lit, les draps n’étaient pas froissés. Par discrétion, elle ne fit aucune remarque.
— Kelly, je crois que vous et Brant travaillez trop. Quand je me suis levée, à 8 heures, il était déjà dans son bureau.
— Il y a passé la nuit, Helen. Le procès Sharman a lieu la semaine prochaine. Brant revoit tous ses dossiers pour être fin prêt.
Ce n’était pas tout à fait la vérité. Kelly avait la certitude que Brant n’était pas venu se coucher parce qu’il ne souhaitait pas dormir auprès d’elle.
— Lorsque ce procès sera terminé, je vous suggère de prendre tous les deux quelques jours de repos. Vous savez, continua Helen en lui prenant la main, contrairement à ce qu’on imagine souvent, les premières années du mariage ne sont pas les plus faciles. Il y a une période d’adaptation que l’on vit plus ou moins bien. Chacun doit s’habituer à l’autre et ce n’est pas toujours facile.
— Oui, Brant et moi avons quelques difficultés...
— C’est normal, Kelly, ne vous inquiétez pas pour cela. Vous vous aimez, et c’est cela le plus important. Ces problèmes seront passagers.
— Vous croyez ? demanda Kelly, sceptique.
— J’en suis certaine. Mais pour cela, il faut que vous vous retrouviez seuls, en tête à tête. C’est pour cette raison que je prends l’avion demain. — Oh ! non, Helen. Restez encore un peu.
— Pas question, Kelly. Et en plus, l’hiver s’installe. D’ici peu, la région sera couverte de neige. Je préfère retrouver le climat plus doux de ma chère Angleterre.
Le sourire aux lèvres, Helen se leva et laissa Kelly se reposer.

Le lendemain, Brant et Kelly accompagnèrent Helen jusqu’à l’aéroport. Restés seuls, ils se dirigèrent vers le parking.
— Je déteste les adieux, avoua Kelly.
Brant gardait le silence. Le départ de sa mère devait le peiner, lui aussi, certainement encore plus qu’elle-même. Dans un élan de tendresse, la jeune femme le prit par le bras.
— Et si nous allions déjeuner ensemble quelque part ?
— Je dois me rendre au bureau, désolé...
Kelly quitta son bras. La froideur de Brant la blessait. A l’exception de sa mère, il semblait n’aimer personne, surtout pas elle.
— Brant, même le premier ministre prend le temps de déjeuner et de dormir !
— Tu ne m’as pas compris, Kelly. Je ne souhaite pas déjeuner avec toi.
L’émotion lui noua la gorge et elle ne prononça pas un mot jusqu’à la voiture. Elle attendit qu’il ait démarré.
— Très bien, Brant. Peux-tu me dire quels sont tes projets ?
— Je vais te déposer à la maison et...
— Je ne parle pas de ça, Brant.
La coupe était pleine. Furieuse, Kelly avait décidé d’affronter enfin son mari.
— Tu refuses de me consacrer un peu de ton temps. Depuis plusieurs nuits, tu ne dors plus avec moi. Je suppose que tu as choisi de faire chambre à part ? Cela a-t-il un rapport avec ma prétendue liaison avec Daniel Marsden ou bien en as-tu simplement assez de moi ?
Le visage de Brant restait de marbre.
— Tu m’avais dit toi-même que tu t’ennuyais en ma compagnie, tu t’en souviens ? C’était pendant notre lune de miel.
Kelly se détourna. Elle n’avait rien à ajouter. Jusqu’à la maison, ils n’échangèrent plus une parole. Kelly avait réussi à retenir ses larmes. Avant de sortir de la voiture, elle trouva la force de préciser :
— Brant, il n’y a rien entre Daniel et moi.
Brant se *******a de répondre par un regard empli de défi.
— Tu t’es empressé de croire à cette histoire simplement parce que cela te permettait de reprendre ta liberté, de faire ce que tu veux avec qui tu veux !
— Tu te trompes, Kelly... Enfin, excuse-moi ; je dois partir, j’ai un rendez-vous.
Brant tendit le bras et ouvrit la portière à la jeune femme. Sur le seuil de sa maison, le cœur brisé, Kelly regarda la Rolls s’éloigner à vive allure.

Le lundi matin, dès son arrivée au bureau, Kelly se précipita sur le téléphone pour appeler le Dr Michaels.
— Ah ! Kelly, j’ai une bonne nouvelle pour vous. Les résultats des tests sont arrivés aujourd’hui. Je suis heureux de vous annoncer que vous êtes enceinte.
— Je suis...
— Oui, félicitations ! Je vais vous passer ma secrétaire et vous pourrez prendre un autre rendez-vous. A très bientôt.
— Oui, bien sûr. Merci, docteur.
Quand elle reposa le téléphone, Kelly resta un instant le regard perdu dans le vide, au bord du vertige. Le médecin était formel, elle était enceinte. Kelly avait l’impression que le monde allait s’écrouler autour d’elle.
La nuit précédente, une insomnie l’avait tenue éveillée. Elle avait réfléchi à ce qui se passerait si elle attendait un enfant. Il était clair que Brant la rejetterait plus durement encore. Doucement Kelly plaça les mains sur son ventre. Elle désirait cet enfant, quoi qu’il puisse advenir. S’il le fallait, elle braverait son mari. Tout cet amour qu’il dédaignait, elle le reporterait sur leur enfant. Mieux valait attendre encore quelque temps. Une ou deux semaines de sursis lui semblaient nécessaires.
— Kelly, c’est l’heure de votre premier rendez-vous. Mme Woods est là. Puis-je la faire entrer ? annonça Maggie dans l’Interphone.
— Oui, merci.
Recouvrant sa sérénité, Kelly sortit le dossier Woods et accueillit sa cliente avec le sourire.

lailajilali8 05-05-07 02:15 PM

Chapitre 9


par l’Interphone. Il est 6 h 30.
— Oui, bien sûr, Maggie ! Excusez-moi de vous avoir retenue si tard. Je ne m’étais pas rendu compte que l’heure avait tourné.
— Ce n’est rien, mais il faut que je rentre. Je dois me préparer pour la réception de ce soir. A ce soir !
— Oui, à ce soir.
Se replongeant dans son travail, la jeune femme essaya de retrouver un peu de concentration. On était déjà en décembre. Noël approchait et l’humeur générale était à la fête. Brant avait choisi ce soir-là pour organiser le réveillon de la société, car un prochain voyage à Vancouver l’empêchait d’être présent à la fin du mois. Et cette date n’arrangeait pas exactement Kelly. Le rythme affolant du travail, la tension professionnelle et l’animosité de Brant l’avaient épuisée physiquement et moralement.
Aïe ! Kelly venait de faire une erreur dans la lettre qu’elle rédigeait. Il fallait la recommencer. Décidément, aujourd’hui, tout allait de travers ! Dès ce matin, la journée avait débuté par un réveil difficile, avec vertiges et nausée. Depuis trois semaines qu’elle était enceinte, sa forme physique n’était pas des plus brillantes. C’était normal, avait dit le médecin. Heureusement, la perspective d’avoir un enfant lui apportait une certaine sérénité et la force dont elle avait besoin pour endurer ces difficultés.
Dans le couloir, deux employées se disaient bonsoir et se donnaient rendez-vous pour la soirée. Bientôt l’immeuble serait vide. Elle se remit à écrire. Plus tôt elle aurait fini, plus tôt elle pourrait rentrer chez elle. « Chez elle »... Ces mots ne lui paraissaient plus si étranges. Car, maintenant, Kelly se sentait parfaitement chez elle dans la grande maison de Brant. Oui, même si lui-même semblait éviter sa présence et se comportait toujours avec distance et froideur. Ces derniers jours, elle l’avait à peine aperçu. Le procès Sharman poursuivait son cœurs. Brant était accablé de travail. Tous les matins, il partait avant qu’elle se lève et le soir, il restait enfermé dans son bureau. A quelques occasions, il était venu dormir avec elle, mais sans lui parler ni la toucher. Ces nuits-là étaient pour Kelly un véritable supplice. Elle mourait d’envie de se blottir dans les bras de son mari, tout en sachant que la moindre tentative d’approche serait repoussée.
D’une certaine façon, la situation avait un bon côté : si Brant avait été plus présent et plus attentif, il aurait remarqué combien Kelly était malade à chaque réveil. Nausées, étourdissements étaient son lot quotidien. Dans ces conditions, il aurait été impossible de lui cacher son état.
D’un coup d’œil, Kelly parcourut ce qu’elle venait d’écrire.
— Oh ! Zut !
— Tu as des problèmes ?
Brant venait d’entrer dans son bureau. Son irruption la fit sursauter.
— Brant ! Je pensais que tu étais déjà rentré.
— J’allais te dire la même chose. Que penserais-tu d’une hôtesse qui serait en retard à une soirée qu’elle a elle-même organisée ?
La montre de Kelly indiquait 7 heures. Brant avait raison. Les invités allaient arriver vers 8 heures. Il était temps de quitter les bureaux.
— Je ne serai pas en retard, Brant. Et puis, comme tu me l’as fait remarquer la semaine dernière, mon rôle se résume à jouer à la maîtresse de maison, à enfiler une jolie robe et à accueillir les invités avec le sourire.
L’amertume dictait ses paroles. Lorsqu’il lui avait fait cette remarque, Brant l’avait blessée. Il ne s’agissait pas pour Kelly de jouer un rôle, de jouer à être sa femme. Elle était sa femme et ne tenait pas faire de leur couple une vaine mascarade.
— Kelly, si j’ai dit cela, c’était pour que tu comprennes que cette réception ne représenterait pas un surcroît de travail pour toi. Je ne voulais pas t’humilier. Allez, viens, je t’emmène. Tu as trop travaillé ces temps-ci, et tu as l’air fatiguée.
La douceur inattendue de sa voix la bouleversa. Pourquoi une telle sollicitude ? Brant l’aida à mettre son manteau, lui donna son sac et ses gants. Kelly se laissa faire quand il la prit par les épaules et l’entraîna jusqu’au parking. Il était rare que Brant la raccompagne en voiture. D’habitude, ils rentraient séparément, Kelly dans son coupé, Brant avec sa Rolls. Ce soir, la fatigue de Kelly était telle qu’elle n’aurait pas eu la force de conduire. Surtout qu’il avait neigé et que la route était dangereuse. Dans le siège de cuir, Kelly s’installa confortablement.
— Comment vont les affaires de notre société immobilière ? demanda-t-elle.
— Elles vont plutôt bien.
— Et le directeur que tu as engagé, fait-il du bon travail ?
— Oui.
Pour une fois, Brant ne souhaitait pas parler travail. Tous deux restèrent silencieux. Mais ce n’était plus le silence pénible et lourd de malentendus qui avait pesé sur eux ces dernières semaines. Non, ce soir, c’était différent. Fermant les yeux, Kelly s’abandonna à un bien-être qu’elle n’avait pas goûté depuis longtemps.
— Kelly ?
Elle ouvrit les yeux, sans bien savoir où elle se trouvait. Sa tête s’appuyait sur l’épaule de Brant.
— Kelly, réveille-toi, nous sommes arrivés.
Encore endormie, Kelly passa lentement la main dans ses cheveux.
— Tu vas bien, Kelly ?
Un éclair d’inquiétude traversa le regard de Brant.
— Oh ! Oui, c’est juste un peu de fatigue.
Les yeux de Brant ne la quittaient. L’impression de fragilité, de vulnérabilité qui se dégageait de la jeune femme le troublait.
— Si tu veux qu’on annule la soirée..., proposa-t-il.
— Non, Brant. Après une bonne douche, je serai en pleine forme.
— D’accord. Espérons que nos invités ne s’attarderont pas trop longtemps.
Quand ils arrivèrent, la maison bourdonnait d’activité. Dans la salle à manger, un somptueux buffet avait été dressé. Le meilleur traiteur de toute la ville s’en était chargé. Les mets, disposés avec art, semblaient succulents. D’immenses corbeilles de fruits exotiques égayaient les tables blanches. Rien n’avait été laissé au hasard. La décoration, guirlandes, sapins, bougies, donnait à la maison un joyeux air de fête qui émerveilla les deux arrivants.
— Ils ont réalisé un travail fabuleux ! s’exclama Kelly. Je reconnais à peine la maison que j’ai quittée ce matin. Il faut que j’aille féliciter Mme Wright.
— Plus tard. Va te préparer sinon tu ne seras jamais prête pour accueillir nos invités. Ne t’inquiète pas, je parlerai à Mme Wright pour toi.
Sous la douche, Kelly reprenait quelques forces. Dans son esprit, les événements de la journée défilèrent. En ce moment, elle s’occupait du cas de deux parents en instance de divorce qui cherchaient à obtenir la garde de leur fille de cinq ans. Le procès devait avoir lieu le lendemain matin. Dans le passé, Kelly avait toujours réussi à garder une certaine distance vis-à-vis des drames que vivaient ses clients. La pression aurait été impossible à supporter sans cela. Mais cette fois-ci, l’affaire la touchait plus particulièrement. Malgré ses efforts, Kelly avait été incapable de garder suffisamment de recul. Elle se sentait personnellement engagée dans cette affaire.
Prenant une serviette, Kelly commença à se sécher vigoureusement. La réception de ce soir lui pesait. Une bonne nuit de sommeil avant le procès aurait été bien utile. Enfin, au moins, cette soirée aurait le mérite de lui permettre de voir ses amis et de se détendre en leur compagnie...
Enveloppée dans un peignoir de velours, Kelly s’assit à sa coiffeuse. Une fois son bandeau ôté, ses cheveux se déployèrent sur ses épaules en vagues souples. Ils étaient superbes. Mais sur son visage, on lisait aisément les marques de fatigue laissées par toutes ces semaines de travail. Le Dr Michaels avait raison : il était temps pour Kelly de ralentir un peu son rythme et de s’occuper d’elle. Après l’affaire Wood, elle suivrait ces bonnes résolutions, mais après seulement. Pour l’instant, Kelly devait retrouver une bonne mine. Un léger fond de teint, un voile de blush. Voilà, le tour était joué !
Après avoir enfilé une combinaison de soie, elle ouvrit sa garde-robe. Sans hésiter, Kelly choisit la robe que lui avait offerte Helen avant son départ. Le rouge et le noir lui donneraient confiance en elle.
A peine avait-elle boutonné sa robe que Brant entra dans la chambre. Cela faisait longtemps qu’ils ne s’étaient pas retrouvés seuls, en tête à tête, dans leur chambre à coucher.
Le regard insistant de Brant se posa sur la jeune femme, sur son visage d’abord, puis sur les courbes douces de sa silhouette. Sous l’intensité de ces yeux, Kelly se sentait nue.
— Cette robe te va à ravir, Kelly.
Dans un sourire, un de ceux qui bouleversaient Kelly, Brant continua à la contempler.
— Je suis heureuse qu’elle te plaise.
Sa voix trahissait son émotion. Les mains tremblantes, elle ajustait les derniers boutons. Brant remarqua sa maladresse.
— Laisse-moi faire, jeta-t-il.
Sans difficulté, Brant boutonna sa robe. Puis, posant les mains sur les épaules de sa femme, Brant la garda près de lui. Dans le miroir, on apercevait l’image du couple idéal : une jolie jeune femme élégante et un bel homme à l’allure athlétique. On aurait pu croire qu’ils étaient heureux, pensa Kelly.
— Kelly, murmura Brant dans un souffle.
Ses lèvres vinrent déposer un baiser sur la nuque de Kelly. Ce baiser, attendu depuis des jours, déclencha en elle un torrent d’émotions. Elle se retourna. Un second baiser effleura le cou, l’oreille, puis enfin la bouche. Un frisson délicieux s’empara d’elle. Alanguie contre sa poitrine, Kelly se laissait enivrer par le plaisir de ces retrouvailles.
Les mains de Brant se promenaient le long de son corps. Ses caresses se faisaient plus pressantes. Brusquement, la main de Brant s’arrêta sur le ventre de la jeune femme. Une sensation violente, comme une joie trop forte, traversa Kelly. Dans un geste irraisonné, elle repoussa son mari de toutes ses forces.
— Kelly ! s’écria-t-il en la secouant par les épaules. Que se passe-t-il ?
— Rien, Brant. Excuse-moi, je...
— Ne t’excuse pas, reprit-il d’un air sombre. C’est ma faute. Plus j’y pense, plus je me rends compte que j’ai commis une grossière erreur en acceptant les termes du testament de Jœ.
Ces mots lui firent mal. Kelly leva des yeux tristes vers Brant. Ebranlé par cette scène, il passa une main nerveuse dans ses cheveux et se dirigea vers la salle de bains où il devait aller se préparer.
— Il faut que tu descendes maintenant. Nos invités sont sur le point d’arriver. Je viendrai te rejoindre dès que je serai prêt. Quant à... nous discuterons de tout cela plus tard.
La porte se ferma derrière lui.
Kelly était anéantie. Qu’il regrette leur mariage ne la surprenait pas, mais qu’il le lui avoue après l’avoir tendrement tenue dans ses bras, voilà ce qui la bouleversait.
En fermant les yeux, elle se rappela l’impression de bonheur intense qu’elle avait ressentie quand Brant avait posé les mains sur son ventre. Sans qu’il le sache, il avait posé les mains sur leur futur enfant. Mais, l’aveu de cette grossesse étant impossible, la joie de Kelly s’était vite changée en un désespoir insupportable. De son côté, Brant avait dû se méprendre sur sa réaction et l’expliquer par son prétendu amour pour Daniel.
Des voitures commençaient à entrer dans la parc. Il fallait descendre et réserver un bon accueil aux convives. Kelly dut faire appel à tout son courage pour trouver la force d’ouvrir la porte et de sortir affronter les premiers arrivants.
Kelly dut accueillir seule le premier couple d’amis, puis Brant la rejoignit dans le grand hall. Dans son smoking noir, il était d’un charme à couper le souffle. Il se plaça à son côté et la prit par la taille. Kelly, simulant la gaieté, observait combien les femmes semblaient admiratives en le voyant. Certaines lui lançaient des œillades séductrices, d’autres regardaient Kelly jalousement. Toutes ignoraient que ce couple en apparence si parfait se déchirait depuis leur mariage.
Le moment le plus pénible fut l’arrivée de la pulpeuse Susanna Winters. Cette fois elle portait une robe de crêpe ivoire qui découvrait une de ses épaules et retombait en drapé. Un chignon haut révélait une nuque délicate. Sur son décolleté resplendissait une magnifique rivière de diamants, offerte probablement par un de ses admirateurs.
— Bonsoir, Kelly, lança-t-elle avec une amabilité qui sonnait faux.
Elle tourna des yeux ardents vers Brant et lui adressa un sourire ravageur.
— Bonsoir, Brant.
Ignorant sa rivale, Kelly sourit à l’homme qui l’accompagnait, un homme blond aux yeux pénétrants.
— Ah ! oui, Kelly, je vous présente Michael Isaacs, le rédacteur en chef du magazine Modern Woman.
Comment ? Cet homme osait se présenter chez elle ! Modem Woman était le magazine qui avait publié cet article déplaisant sur leur mariage. Tout devenait clair désormais : la traîtresse était bel et bien Susanna. Etait-ce pure malveillance de sa part ou bien avait-elle divulgué une confidence de Brant ? Avec une incroyable assurance, Susanna lui souriait d’un air triomphant, comme si elle avait vu le doute planer dans l’esprit de Kelly. Puis, prenant son cavalier par le bras, elle l’entraîna vers le salon.
— Kelly ? Kelly, veux-tu une coupe de champagne ?
Rappelée à la réalité par Brant, elle aperçut un serveur en uniforme qui tenait un plateau empli de verres de cristal.
— Oui, merci.
En fait, depuis qu’elle avait appris qu’elle était enceinte, Kelly ne buvait plus une goutte d’alcool. Mais ce soir, pour ne pas provoquer de questions indiscrètes, elle décida de garder un verre à la main.
— Tout va bien ? demanda Brant.
Surprise par sa question, Kelly le regarda avec étonnement.
— Tu as eu l’air un peu contrariée par la présence de Michael Isaacs.
— Ah ! C’était si évident ?
— Tu sais bien que rien ne m’échappe, Kelly. Tu le connais ?
— Non, mais son magazine a publié un article sur nous, une semaine avant notre mariage.
— Et il était bon ?
— Ça dépend de ce que tu appelles bon.
A cet instant, des invités arrivèrent et les obligèrent à changer de sujet. Par la suite, comme Brant et elle faisaient le tour de tous leurs amis, Kelly n’y accorda plus une pensée.
La soirée commençait à être plus animée, l’ambiance se réchauffait. Sur le rythme endiablé d’une musique à la mode, les danseurs se déhanchaient sur la piste. Un couple se distinguait des autres : Susanna et Michael, dont les corps enlacés dansaient langoureusement, comme s’ils étaient seuls au monde, sans se préoccuper du rythme..
En revenant à la conversation qui se tenait à côté d’elle, Kelly vit que Brant regardait fixement le couple isolé. Etait-il jaloux de Michael Isaacs ? Impossible à savoir...
Bientôt la musique changea. Une série de slows remplaça le rock’n roll. Du coin de l’œil, Kelly vit Brant descendre sur la piste et inviter une des secrétaires de son bureau. A plusieurs reprises, il choisit d’autres cavalières, mais jamais il ne vint inviter sa femme. Exaspérée, Kelly tourna le dos à la piste de danse. C’est alors qu’elle aperçut Daniel qui venait d’arriver. Le sourire aux lèvres, elle alla à sa rencontre.
— Bonsoir, Daniel ! s’exclama-t-elle gaiement. Tu arrives bien tard.
— Oui, pardonne-moi mon retard. Si tu savais ! Ma soirée a mal commencé.
— Allez, viens, raconte-moi tout. Que dirais-tu d’un bon whisky ?
— Bonne idée !
Malheureusement, le whisky préféré de Daniel était épuisé dans le bar du salon. Les deux amis durent se rendre dans la cuisine. Assis sur un tabouret, Daniel savourait son scotch favori.
— Ah ! Enfin un peu de calme. Ça te dérange si nous restons là à discuter ? demanda Daniel.
— Non, pas du tout.
Après s’être servi un verre d’eau pétillante, Kelly prit place juste en face de son ami.
— Où est ta cavalière de ce soir, Daniel ? Je suis étonnée de te voir seul.
— Nous nous sommes disputés.
— Oh ! Je vois.
Daniel, ce séducteur invétéré, avait donc des déboires amoureux. Kelly ne pouvait s’empêcher de le regarder d’un air amusé.
— Alors, tu as enfin été touché par les flèches de Cupidon ?
— Qu’est-ce qui te fait croire cela ?
— Parce que tu n’as pas cherché une remplaçante pour ce soir, tout simplement !
— C’est vrai, mais tu étais la seule qui aurait pu remplacer Lois, et toi, malheureusement, j’ai dû te rayer de mon carnet d’adresses.
— Tu m’as l’air sérieusement épris, dis-moi ! A vrai dire, le jour où tu as acheté la maison de Jœ, j’ai su qu’il y avait anguille sous roche.
— Je préfère considérer cela comme une folie passagère. Mais si tu savais comme cette fille est belle !
— Alors, que s’est-il passé ?
— Elle veut qu’on s’installe dans une maison en pleine campagne et qu’on y élève des enfants. Voilà ce qui se passe
— C’est pour cette raison que tu as acheté la maison de Jœ ?
— Oui. Je l’avais achetée pour lui faire une surprise. J’étais prêt à engager des décorateurs pour la modifier à son goût, et je pensais vraiment lui faire plaisir.
— Elle ne lui a pas plu ?
— Si, si. Elle aime beaucoup la maison, mais elle ne veut pas vivre avec moi.
— Oh ! Je vois... Remarque, même si c’est douloureux, il vaut mieux que tu saches dès maintenant qu’elle ne t’aime pas. Une fois qu’on s’est engagé, il est trop tard.
— Non, Kelly. Elle m’aime, mais elle n’est pas encore prête à vivre avec moi. Auparavant, elle veut qu’on se marie. Te rends-tu compte ? Elle a même le toupet d’exiger que je vende ma garçonnière !
A peine si Kelly réussit à étouffer un éclat de rire.
— Oui, vraiment, quel toupet ! reprit-elle ironiquement.
— Ce n’est pas drôle, Kelly.
— Allez, Daniel, ne te laisse pas abattre. Je suis certaine que vous finirez par vous mettre d’accord. J’espère que tu m’enverras un faire-part de mariage...
Daniel lui lança un regard horrifié.
— Le mariage ! Moi ?
— Mon pauvre Daniel, regarde-toi ! Tu as l’air tellement malheureux sans elle ! Ce soir, tu n’as pas eu envie de chercher une autre cavalière. A mon humble avis, ta garçonnière n’a plus aucune raison d’être.
— On ne peut pas dire que tu me remontes le moral ! J’ai l’impression que je suis condamné à la vie confortable d’un père de famille. A moins, bien sûr, que tu décides de quitter Brant et de t’enfuir avec moi ?
— Ah ! Ton offre est tentante... Mais tu sais, je suis obligée de rester auprès de mon mari pour le meilleur et pour le pire. Je l’ai juré !
— Kelly...
Dans un élan d’amitié, Daniel lui avait pris la main. Il s’apprêtait à lui faire une confidence, mais ne termina pas sa phrase. Une voix grave les fit tous les deux tressaillir.
— Excusez-moi d’interrompre une scène aussi touchante.
Brant se tenait sur le seuil, furieux. Pourtant, rien dans ses gestes ne trahissait la moindre émotion.
— Brant ! s’écria Daniel. Je suis désolé d’avoir monopolisé votre femme. Elle me donnait quelques conseils amicaux sur...
— Vous n’avez jamais essayé le courrier du cœur dans les magazines ?
— Non, mais pourquoi pas ? répondit Daniel avec un rire forcé. Venez donc vous asseoir avec nous, Brant, et aidez-moi à terminer cette bouteille de whisky.
— Non, merci, reprit Brant en se tournant vers Kelly. J’étais venu demander à ma femme de danser avec moi. Je suppose que nos invités s’attendent tout de même à nous voir danser ensemble.
— Je viens te rejoindre dans un instant, répondit Kelly froidement.
D’un air pincé, Brant quitta la pièce sans un mot et regagna le salon.
— Eh bien ! murmura Daniel. Je me demande s’il a pu saisir notre conversation...
— Je ne sais pas, je ne l’ai pas entendu arriver.
— En tout cas, je n’aimerais pas qu’il s’imagine que j’essaye de te séduire. Il se trouve que j’aime mon travail chez Harcourt et McConell !
— Ne dis pas de bêtises, Daniel. Brant n’est pas comme ça.
Mieux valait lui cacher que Brant avait déjà une petite idée sur la nature de leurs relations... et que cela ne le gênait pas le moins du monde.
— Il est un peu contrarié parce que j’ai négligé mes invités. Ce n’est rien. Viens, allons rejoindre les autres.
La réception se déroulait à merveille. Tout le monde semblait s’amuser.
— J’ai bien envie d’aller goûter le saumon et le caviar de ce buffet. Veux-tu que je te rapporte quelque chose ?
— Non, merci, Daniel. Je vais plutôt aller à la rencontre de Brant.
— D’accord. A tout à l’heure.
Kelly n’eut pas besoin de chercher longtemps pour trouver son mari. Enlacé avec Susanna Winters, il dansait un slow langoureux. Pétrifiée par la surprise, Kelly ne les quittait pas des yeux. Brant tenait sa cavalière étroitement serrée. Leurs visages se touchaient presque. Ils semblaient discuter. Soudain, Brant leva la tête et croisa le regard de Kelly. Une expression indéfinissable traversa ses yeux noirs. C’était comme s’il cherchait à lire en Kelly, comme s’il attendait un signe, une émotion. En rage, elle se détourna et s’éclipsa en hâte.
Au cours de la soirée, elle ne dansa pas une seule fois avec Brant. Malgré ce qu’il lui avait annoncé, il ne vint jamais l’inviter. Par contre, une pléiade de jolies femmes se succédèrent dans ses bras. Kelly évitait de les regarder et se consacrait à ses invités, s’attardant au milieu des groupes, plaisantant et riant avec chacun.
Après le départ d’une bonne partie des invités, épuisée, Kelly se rendit dans la cuisine afin d’aider le personnel à remettre de l’ordre dans la maison. Un quart d’heure plus tard, Mme Wright entrait dans la pièce.
— Madame Harcourt, que faites-vous ? Il y a ici tout le personnel nécessaire pour s’occuper de cela.
— Oui, je le sais, mais je voulais tout de même participer au rangement.
— Ce n’est pas nécessaire, dit Mme Wright, remarquant la pâleur de la jeune femme. Pourquoi n’allez-vous pas vous coucher ? Vous semblez fatiguée.
— Il reste encore quelques invités, et ce serait incorrect de ma part si...
— Mais non, je vous assure. M. Harcourt est avec eux, alors vous avez le droit de vous retirer.
— Vous avez raison, je suis épuisée. Je monte me coucher. Merci, madame Wright.
Quel soulagement d’être enfin au calme, dans sa chambre ! Le grand lit lui tendait les bras. Quelle journée !
Morte de fatigue, Kelly dégrafa sa robe et la laissa glisser jusqu’au sol. D’un coup de pied elle ôta ses chaussures. Encore en combinaison de soie, elle s’allongea sur le lit. Elle espérait trouver la force d’aller jusqu’à la salle de bains chercher sa chemise de nuit. Cinq minutes plus tard, le sommeil venait l’emporter sans qu’elle s’en soit rendu compte.
— Kelly, murmura Brant à son oreille. Kelly, réveille-toi. Je veux me coucher.
Dans un soupir, elle s’étira en de lents mouvements d’une incroyable sensualité.
— Quelle heure est-il ? demanda-t-elle d’une voix assoupie.
— Tard.
Brant avait retiré sa veste de smoking. Tout en se déshabillant, il caressait du regard le corps endormi de sa femme : ses longues jambes nues, sa poitrine menue qui se dessinait au travers de la soie, ses cheveux blonds en désordre sur l’oreiller bleu.
— Kelly, fais-moi un peu de place.
— Comment ?
Kelly s’aperçut qu’elle occupait presque toute la place. En regagnant son côté habituel, une bretelle de sa combinaison tomba sur son épaule, découvrant un sein. Machinalement, elle rajusta sa bretelle et replongea dans un sommeil léger.
— Kelly, essaies-tu de me provoquer ? demanda Brant d’une voix rauque.
Le ton fit réagir Kelly qui ouvrit grand les yeux.
Il était à demi dévêtu. Son torse athlétique était nu. Ce furent surtout ses yeux qui troublèrent Kelly. Ils brillaient d’un éclat singulier, d’un éclat qu’elle avait déjà vu quelquefois lorsqu’il la désirait.
— Non, bien sûr que non.
Depuis des semaines, Kelly avait attendu impatiemment que son mari daigne la regarder ainsi. Mais ce soir, le désir de Brant semblait se mêler à la colère la plus terrifiante.
— Non, vraiment ? Pourtant, c’est bien ce que tu faisais avec Daniel !
— Je ne comprends rien à ce que tu dis. Daniel et moi ne faisions que discuter.
— Arrête de mentir, Kelly. Je l’ai entendu te proposer de partir avec lui !
— Il plaisantait, riposta-t-elle en se tournant de son côté. Brant, s’il te plaît, ne nous disputons pas, je ne me sens pas très bien.
Il y eut un silence de quelques secondes, puis Brant s’approcha d’elle. Posant sa main sur l’épaule de Kelly, il l’obligea à lui faire face. Captivée par son regard, Kelly n’osait faire un mouvement. Elle était prisonnière d’une force qui l’effrayait et la fascinait en même temps. Lentement Brant approcha ses lèvres. A leur contact, la jeune femme ferma les yeux de plaisir. Ce baiser éveilla en elle des sensations oubliées. De la main, Brant froissait la soie de sa combinaison. Il parcourait son corps alangui de caresses sensuelles.
Dans un soupir d’abandon, Kelly à son tour enlaça Brant et plongea la main dans ses cheveux bruns. Elle avait désiré leur étreinte, toutes ces nuits de supplice où il s’était allongé près d’elle sans la toucher. Ce soir, enfin, ils se retrouvaient pour une nuit d’amour.

lailajilali8 05-05-07 02:18 PM

chapitre 10

Les premiers rayons de l’aurore éclairaient déjà la chambre quand Kelly ouvrit les yeux. Au travers des volets, une douce lumière filtrait et faisait briller les draps de satin sous lesquels Brant reposait encore.
La tête sur l’oreiller, tourné vers elle, il dormait profondément. D’une main, il enlaçait la taille de Kelly. Instinctivement, au mouvement de Kelly, sa main resserra son emprise. D’un doigt léger, Kelly effleura la peau de son bras. Ses muscles tressaillirent un instant à son contact. Mais Brant ne s’éveilla pas, il dormait à poings fermés.
Les souvenirs de la nuit revinrent à la mémoire de la jeune femme. Sans manifester une grande tendresse, Brant s’était rassasié d’elle. Kelly n’avait pas cherché à résister à son désir, car elle le partageait avec lui. Pourtant, elle éprouvait un sentiment de regret et d’amertume devant cet homme qui jamais ne lui parlait d’amour et qu’elle ne pouvait satisfaire que physiquement.
Une boucle de cheveux noirs était tombée sur la joue de Brant. Kelly la repoussa doucement. Pour une fois, elle pouvait contempler ce beau visage à sa guise, sans craindre d’être surprise par un regard moqueur. D’une caresse, elle suivit la courbe de ses sourcils puis, descendant sur sa joue, dessina les traits de sa bouche, ferme et sensuelle. Comme elle aurait voulu pouvoir se dire que Brant l’aimait ! Quel rêve merveilleux ! Mais ce n’était qu’un rêve. Combien de fois Brant devrait le lui faire comprendre pour qu’elle cesse d’y croire ?
Avec précaution, Kelly souleva le bras de Brant et sortit du lit. A son grand soulagement, il ne se réveilla pas. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il était 7 heures. Bientôt le réveil sonnerait. Kelly ramassa sa robe qui traînait sur le sol. En se redressant, elle sentit que la nausée la prenait. Inutile de lutter contre cela, elle l’avait appris depuis toutes ces semaines. Kelly se précipita dans la salle de bains.
Jamais sa crise de nausée n’avait été si éprouvante. Tremblant d’épuisement, Kelly se rinça le visage, puis, s’enveloppant d’une immense serviette, elle resta assise sur le sol de la salle de bains, attendant la prochaine crise, qui, selon son expérience, n’allait pas tarder.
C’est ainsi que Brant la trouva, prostrée dans sa grande serviette blanche, assise en tailleur, la tête sur les genoux.
— Kelly ?
La voix de Brant lui fit lever les yeux. Il restait à la porte, vêtu de son peignoir beige, et la regardait d’un air effrayé. Kelly reposa la tête sur ses genoux. Rien d’étonnant à ce qu’il soit effrayé, pensa-t-elle. Son visage blême était marqué par les larmes, ses cheveux blonds complètement en désordre.
— Kelly, que se passe-t-il ?
Sa voix tremblait d’inquiétude. Il s’agenouilla près d’elle et, d’une main, se mit à lui caresser les cheveux.
— Ce n’est rien... S’il te plaît, Brant, laisse-moi.
La nausée montait en elle et elle ne voulait pas que Brant soit là quand elle serait malade.
— Laisse-moi.
D’un geste, Kelly essaya de le repousser. Mais malgré elle, Brant l’entoura de ses bras et la retint contre lui. La résistance de Kelly ne rimait à rien. Contre toute attente, la présence inattendue de Brant la rassurait. La sensation de malaise s’éloignait pendant qu’il lui murmurait des paroles apaisantes et que, d’une main, il lui massait les épaules.
Au bout de quelques instants, sa respiration redevint régulière. Avec soulagement, Kelly se sentit mieux. Délicatement Brant la souleva dans ses bras, l’emmena dans la chambre et la déposa sur le lit. Les yeux fermés, Kelly pouvait enfin se détendre. Brant, allongé à son côté, veillait sur elle.
— Tu vas mieux ?
Kelly se *******a de faire un signe de tête. Adossé sur l’oreiller voisin, Brant remettait en place les boucles blondes égarées sur le front pâle de la jeune femme. Soudain, il lui prit le poignet. Une douleur assez vive la fit tressaillir. Elle ouvrit les yeux.
— Oh ! Kelly, pardonne-moi. Je me suis conduit comme une brute, s’exclama-t-il, les yeux brillants d’émotion.
— Non, Brant, je...
— Kelly, je me suis vraiment conduit comme une brute cette nuit, répéta-t-il. Ma seule excuse était la colère que je ressentais et... Mais non, rien ne peut excuser une telle conduite.
Subitement, Kelly comprit qu’il pensait être responsable de son malaise. Elle faillit lui dire qu’il se trompait, mais que pourrait-elle lui expliquer ? Etait-ce le bon moment pour lui annoncer qu’elle attendait un enfant ?
A cet instant, le réveil se mit à sonner. Aussitôt Brant le fit taire.
— Nous ne pouvons pas continuer ainsi, Kelly. Quand je rentrerai ce soir, il faudra que nous discutions de nous deux.
— Oui, si tu veux.
Depuis des semaines, Kelly espérait qu’ils prennent ensemble le temps de discuter de leurs problèmes. A voir l’expression de Brant, il lui semblait que désormais tout était perdu et que la discussion de ce soir arriverait trop tard.
Brant s’était levé. Il était l’heure de se préparer pour aller au bureau. A son tour, Kelly se mit debout.
— Que fais-tu ?
— C’est le procès Wood, aujourd’hui. Je dois me dépêcher.
— Non, tu restes ici. Tu es trop fatiguée pour travailler aujourd’hui.
— Mais, Brant...
— Pas question. Le procès sera reporté, voilà tout.
Après avoir sorti un costume gris de la penderie, Brant disparut dans la salle de bains. Quelques secondes plus tard, Kelly entendait le jet de la douche. Pour Brant, la question était réglée. Pas pour Kelly. Jamais elle n’accepterait de reporter le procès Wood. A ses yeux, et surtout aux yeux d’Anita Wood qui espérait de toutes ses forces la garde de son enfant, le retarder ne serait-ce que de quelques jours serait cruel. Cela faisait des mois qu’Anita Wood se préparait à l’audience d’aujourd’hui et Kelly ne se sentait pas le droit de la faire attendre plus longtemps.
Dans sa garde-robe, Kelly choisit une robe noire, d’une élégante sobriété et, empruntant le couloir, se dirigea vers une des salles de bains réservées aux invités.

Dans la cuisine, Kelly avait préparé le petit déjeuner quand Brant descendit la retrouver.
— Je me suis dit que si tu trouvais ton petit déjeuner tout prêt, tu accepterais peut-être de me conduire jusqu’au bureau ?
Pas un sourire, Brant restait de marbre. D’un coup d’œil, il dévisagea la jeune femme, puis aperçut la mallette qu’elle emportait quand elle allait à l’audience.
— Quand je t’ai dit de ne pas te rendre au bureau, je parlais en tant que patron, pas en tant que mari !
— Dans ce cas, si mon patron a quelque chose à me dire, qu’il m’envoie une note de service !
Un demi-sourire se dessina sur les lèvres de Brant. En silence, Kelly lui servit du café et lui proposa des toasts.
— Je le sais, le cas dont je m’occupe n’a pas l’importance de ceux dont tu te charges, mais pour moi, c’est important. Et c’est important pour Anita Wood ! De toute façon, si tu refuses de me déposer au bureau, je prends un taxi.
Peu de gens osaient résister à Brant Harcourt. En lui tenant tête, Kelly se demandait si elle n’allait pas trop loin. Elle fut surprise par sa réaction.
— Eh bien ! J’avais oublié combien tu pouvais être obstinée ! s’exclama-t-il en souriant.
— Alors nous sommes deux, reprit-elle, par plaisanterie.
D’un coup d’œil, Brant regarda sa montre.
— Il est temps que nous partions, Kelly.
Jusqu’au bureau, ils n’échangèrent pas un mot. Brant semblait soucieux. Le procès Sharman le préoccupait, sans doute. Chaque fois, Kelly s’étonnait de la capacité qu’il avait de faire abstraction de ses problèmes personnels. Ah ! Si elle avait pu avoir cette maîtrise ! Au moment où ils arrivèrent au parking de la société, Daniel Marsden venait de garer se voiture. Il les attendit devant les ascenseurs.
— Je voulais vous remercier tous les deux pour la réception d’hier soir. J’ai passé une excellente soirée, lança-t-il. Dis donc, Kelly, tu n’as pas l’air très en forme.
— Si, ça va bien. Nous avons veillé un peu tard hier, voilà tout.
Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent à cet instant, dispensant Kelly d’ajouter un mensonge de plus.
— Alors, Brant, comment se présente l’affaire Sharman ? Je suis certain que vous allez très bien vous en tirer. En tout cas, vous faites les premières pages des journaux.
— Ce n’est pas ce qui m’intéresse, répliqua Brant.
Ignorant Daniel, il pressa les boutons du vingtième et du vingt-deuxième étages.
— J’ai demandé aux décorateurs de venir faire un devis chez moi, Kelly. J’aimerais avoir ton avis sur ce qu’ils vont me proposer, continua Daniel.
— Bon sang, Marsden ! s’exclama Brant. Je ne comprends pas pourquoi vous avez besoin de ma femme quand vous refaites votre intérieur.
— Mais il s’agit de la maison de Jœ, que j’ai achetée à Kelly ! Son aide serait précieuse. Au fait, Kelly, tu avais raison à propos de ma garçonnière. Je n’en ai plus besoin. Je l’ai mise en vente.
Elle répondit d’un sourire amusé. Brant, lui, arborait un air de mauvais augure.
— Accepterais-tu de déjeuner avec moi ? continua Daniel. J’ai plusieurs projets et...
— Navrée, c’est impossible aujourd’hui. Je suis à l’audience.
L’ascenseur s’arrêta. Ils étaient au vingtième étage. Les deux amis descendirent, laissant Brant qui, lui, allait jusqu’au vingt-deuxième.
— Peut-être pourrions-nous prévoir un rendez-vous pour demain ou après-demain ?
— Je ne sais pas, Daniel. A mon avis, tu devrais demander ces conseils à ton amie.
— Evidemment, mais elle refuse encore de me parler. Je l’ai appelée, ce matin, très tôt. Elle était forcément chez elle, mais tout ce que j’ai obtenu, c’est son répondeur. Enfin j’ai bien l’intention, ce soir, de renverser la situation.
L’assurance de Daniel, qui jubilait à l’avance, la fit rire.
— Je te souhaite bonne chance, Daniel. Tu devrais demander à tes décorateurs de venir plus tard, une fois que tout se sera arrangé avec Lois.
— Sage conseil, Kelly... Au fait, tu n’avais pas dit à Brant que j’avais acheté la maison de ton grand-père ?
— Non, j’ai oublié de lui en parler. Ces temps-ci nous avons été très occupés tous les deux.
Au travers de la vitre, Kelly aperçut Maggie qui l’appelait.
— Je dois y aller. Nous nous verrons plus tard.
— Calvin Davis, l’avocat de M. Wood, en ligne, expliqua Maggie.
— Merci, je le prends tout de suite. Allô, Kelly Harcourt à l’appareil.
A partir de ce moment-là, seule l’affaire Wood compta pour Kelly.

Peu de gens se trouvaient dans le prétoire. Seule la cliente de Kelly et, en face d’eux, l’ex-mari d’Anita Wood accompagné de son avocat ainsi qu’une poignée de témoins.
Comparée au dossier Sharman, l’affaire Wood était insignifiante. Le procès au cours duquel Brant plaidait aujourd’hui se déroulait dans le même bâtiment. A son arrivée, Kelly avait vu la foule qui s’amassait devant la porte du tribunal pour assister au procès Sharman. Sa première pensée avait été pour Brant. La tension qui pesait sur lui en ce moment devait être terrible.
Lorsque le juge entra dans la salle, tout le monde se leva. Ces derniers instants permirent à Kelly de remettre ses idées en ordre. Le magistrat qui venait d’entrer était le juge Robinson. Kelly aurait préféré que ce soit une femme, d’autant que le juge Robinson était réputé pour son manque de compassion. Sachant qu’il ne serait pas touché par des éléments affectifs, Kelly avait revu ses interventions.

Sa cliente était angoissée, on le lisait sur son visage défait. Avant de commencer à parler, Kelly lui adressa un sourire rassurant. Puis elle se mit à exposer les faits, d’une voix calme et posée, avec sa rigueur habituelle. Au fond de la salle, la porte s’ouvrit un court instant. Un homme entra et prit place mais Kelly, penchée sur ses notes, ne remarqua rien.
— Les accusations de M. Wood, contestant les aptitudes de ma cliente à se comporter comme une mère normale sont non fondées. Avant de demander à Mme Wood d’intervenir, j’aimerais appeler à la barre un certain nombre de témoins.
Les dépositions successives étaient chacune très émouvantes. Il fallut à Kelly beaucoup de sang-froid pour garder tout son calme et sa force d’analyse. L’ex-mari d’Anita Wood, avec l’aide de son avocat, semblait prêt à tout pour obtenir la garde de sa petite fille. Une bonne partie de la vie privée de ce couple fut exhibée en public, ce qui bouleversa profondément Anita Wood.
A l’issue de ces préliminaires, qui avaient duré déjà quatre heures, le juge demanda à voir la fillette de cinq ans. Le procès était remis à la semaine suivante.
— Pourquoi veut-il voir Eléonor ? demanda Anita Wood avec anxiété. Elle est si petite !
— Ce n’est qu’une formalité, madame Wood. Ne vous inquiétez pas. Le juge veut probablement voir si l’enfant se porte bien, si elle semble équilibrée... Ne vous faites pas de souci, c’est la routine.
Pendant qu’elle parlait, une main se posa sur l’épaule de Kelly. Stupéfaite, elle sursauta et se retourna brusquement.
— Brant ! Quelle surprise !
Son cœur battait à se rompre. Pourquoi Brant était-il venu ? Anita Wood regardait son avocate sans comprendre, aussi Kelly lui présenta-t-elle Brant.
— Madame Wood, voici mon mari, Brant Harcourt.
— Enchantée, monsieur Harcourt, dit-elle en lui serrant la main.
Puis, à l’adresse de Kelly :
— La séance d’aujourd’hui s’est plutôt mal passée, non ?
— Je vous avais prévenue que ce ne serait pas facile, Anita mais, selon moi, l’affaire se présente plutôt favorablement.
— Et vous avez une excellente avocate, madame Wood, ajouta Brant, d’un air convaincant. Vous êtes en de bonnes mains.
— Oui, reprit Anita en souriant. Je vous vois lundi matin ?
Kelly acquiesça et regarda sa cliente s’éloigner. Brant et elle restaient seuls dans la salle du tribunal.
— Merci pour ce que tu lui as dit, reprit Kelly.
— Je le pensais sincèrement. Je t’ai écoutée pendant une heure et demie. Tu m’as impressionné.
— Vraiment ?
La voix de Kelly tremblait légèrement. Le compliment de Brant la ravissait.
— Comment se fait-il que tu ne sois pas en train de plaider ?
— Parce que le procès Sharman a été vite bouclé. Alors j’ai décidé de venir voir comment tu te débrouillais.
— Tu l’as emporté ?
— Bien sûr que je l’ai emporté ! s’exclama Brant en riant.
— Oh ! Brant, c’est merveilleux !
Elle faillit se jeter dans ses bras pour le féliciter et partager sa joie, mais se retint par crainte d’être ridicule.
— Je suis très heureuse pour toi.
— Merci, murmura-t-il.
Un silence pesant suivit ces paroles. Nerveusement, Brant passa la main dans ses cheveux.
— Ecoute, j’attendais que le procès Sharman soit terminé pour discuter avec toi de certaines choses. J’ai réservé un vol pour Vancouver. Il part dès cet après-midi. La conférence à laquelle je prends part ne débute que dans deux jours, mais je préfère partir en avance. Cela me permettra de me reposer à l’hôtel.
— Oui, je comprends, chuchota Kelly.
En effet, elle avait compris. Brant partait dès maintenant pour s’éloigner d’elle. Leur vie de couple l’exaspérait et il était las d’elle.
— Mon Dieu, ce que j’ai à te dire est si difficile ! lança-t-il.
A ces mots, Kelly détourna les yeux par peur d’entendre la vérité.
— Il n’est pas compliqué de voir que notre mariage est un échec, poursuivit-il. Je n’avais pas l’intention de te rendre malheureuse, Kelly. Je pensais réellement que nous réussirions quelque chose. Il est un peu tard, mais je dois reconnaître que je me suis trompé.
Les yeux baissés, Kelly écoutait, accablée.
— Ce que j’essaie de te dire, c’est que si tu souhaites le divorce, je ne m’y opposerai pas.
— Et les actions McConell ?
— Elles n’ont plus aucune importance à mes yeux. Eh oui, cela te surprend, ajouta-t-il en la voyant lever des yeux étonnés. Je me suis rendu compte qu’on ne peut s’engager dans le mariage comme on s’engage dans un contrat commercial. Sans amour, c’est invivable.
— Tu es tombé amoureux de quelqu’un ? s’enquit-elle, la gorge serrée.
— Oui. Tu as du mal à le croire, n’est-ce pas ?
Au contraire, Kelly l’avait deviné depuis longtemps. Le regard de Brant quand il avait vu Susanna danser amoureusement avec Michael Isaacs avait été éloquent. C’est à cet instant qu’il avait dû comprendre combien il aimait Susanna. Et la nuit dernière... il s’était vengé de Susanna dans les bras de Kelly. Toutes ces découvertes brutales déchiraient le cœur de la jeune femme, qui pourtant n’en fit rien voir.
— Quand souhaites-tu que je déménage ?
— Je veux te laisser le temps de réfléchir à ce que tu juges le mieux pour toi, continua-t-il avec douceur. Ce que je souhaite, c’est que tu puisses être heureuse.
— C’est très noble de ta part, Brant.
— En ce qui concerne ta situation dans la société, n’aie aucune inquiétude. De plus, je veillerai à ce que, sur le plan financier, tu n’aies pas de souci.
A cela, Kelly ne répondit rien. Les questions financières et professionnelles étaient pour le moment le dernier de ses soucis.
— Voilà, Kelly, je te laisse réfléchir. Nous parlerons de tout cela quand je reviendrai.
Et il quitta la salle du tribunal. Quelle ironie du sort, se dit amèrement Kelly : après ce qu’elle venait d’entendre, il était clair que ce serait là où leur mariage se terminerait, inévitablement.

A la fin du week-end, Kelly pensa devenir folle. Elle venait de passer deux nuits blanches à ressasser dans son esprit les dernières paroles de Brant. L’idée qu’il puisse se trouver auprès de Susanna Winters l’obsédait. Etait-elle partie à Vancouver avec lui ? Kelly imaginait Brant en train de dire à Susanna les mots qu’elle avait attendus en vain : « Je t’aime. »
Le dimanche soir, n’y tenant plus, Kelly fit sa valise et regagna son ancien appartement. Au moins, elle ne garderait plus les yeux rivés anxieusement sur le téléphone.
Son appartement était glacial. Le chauffage devait s’être déréglé, car il était prévu qu’il se mette en marche tous les deux jours, pour le cas où elle le ferait visiter.
A 9 heures, dans l’espoir de trouver le sommeil, Kelly alla dans sa chambre. Sur le sol, à côté de son lit, traînait encore le magazine Modem Woman qui avait été publié juste avant leur mariage. Assaillie par ces souvenirs, Kelly s’affaissa sur son lit et éclata en sanglots.
Le lendemain, il neigeait à gros flocons dehors. La température avait encore baissé. Avec beaucoup de courage, Kelly réussit à sortir de son lit. Décidément, le chauffage était en panne. En frissonnant, elle enfila ses vêtements et alla vérifier l’installation de la chaudière. Oui, l’appareil s’était arrêté. Impossible de le remettre en marche.
Il était grand temps qu’elle parte au tribunal. Auparavant, elle dut appeler les chauffagistes et confier ses clés à un voisin pour les faire entrer pendant son absence.
Dans sa voiture, Kelly se dit qu’elle aurait pu appeler le bureau de Susanna pour vérifier si elle y était, afin de confirmer ou de chasser ses doutes. Mais elle était si pressée qu’elle n’y avait pas pensé au bon moment.
Enfin, quand elle arriva au tribunal, il était 10 h 15. Anita Wood l’attendait dans le couloir. Le juge les fit attendre encore une demi-heure. Auprès de sa cliente, Kelly observait d’un œil attendri la petite Eléonor Wood qui s’amusait avec une poupée. L’enfant était adorable dans sa petite jupe à carreaux, son pull noir et ses collants rouges. Elle avait de longs cheveux blonds bouclés. Quelle tragédie quand un couple se déchirait pour un enfant ! Peu importait qui obtenait la garde, tous étaient perdants. Le drame qui se jouait sous ses yeux la ramena à ses propres problèmes. Au moins, dans son cas, il ne serait pas question de garde parentale puisque, avant la naissance de l’enfant, ses parents auraient déjà divorcé...
Au bout du couloir, les portes à battant s’ouvrirent et l’ex-mari d’Anita Wood fit son apparition. Dès qu’elle aperçut son père, la fillette lâcha son jouet et courut se jeter dans ses bras. Il s’avança vers les deux femmes en souriant à l’enfant. Après avoir salué Kelly, il s’adressa à Anita Wood.
— Anita, est-ce que je peux te parler un moment ? D’un signe de tête, celle-ci accepta. Il mit l’enfant à terre.
— Je voulais seulement te dire que je suis désolé pour ce qui a été dit vendredi. J’ignorais que les déclarations de mon avocat prendraient cette tournure...
Peu à l’aise, Kelly ignorait si elle devait interrompre ou non cette conversation. En examinant le mari de sa cliente, elle vit qu’il avait des larmes dans les yeux.
— Anita, souhaitez-vous que je vous laisse ?
Après un silence, la jeune femme acquiesça. Kelly se leva et se dirigea vers la machine à café. Soudain elle entendit une voix masculine l’appeler par son prénom.
— Ah ! Bonjour, Daniel, s’écria-t-elle. Alors, as-tu réussi à t’arranger avec Lois ?
— Oui, c’est merveilleux. Nous avons fixé la date du mariage, expliqua-t-il, radieux.
— Félicitations ! lança Kelly en l’embrassant. Et n’oublie pas de m’inviter.
— Bien sûr, Kelly ! Tiens, pendant que j’y pense, reprit-il en devenant plus sérieux. J’ai reçu un étrange coup de fil de la part de Brant, cette nuit.
— Pourquoi t’appelait-il ?
— A vrai dire, je n’ai toujours pas compris pourquoi. Il m’a dit qu’il avait essayé de te joindre toute la nuit et qu’il pensait que tu pouvais être avec moi. Il voulait que je te passe le téléphone. Je lui ai répété que tu n’étais pas là, mais il ne voulait pas me croire. Pendant un moment, j’ai eu l’impression très désagréable qu’il s’imaginait qu’il y avait quelque chose entre toi et moi. Finalement, je lui ai annoncé mon mariage avec Lois, et je peux t’assurer qu’il a eu l’air de tomber des nues.
— C’est normal. Personne ne pouvait envisager que tu te maries si vite, remarqua Kelly en guise d’explications.
A coup sûr, Brant avait été bien ennuyé d’apprendre qu’il n’y avait rien entre Daniel et elle, puisque cette prétendue aventure rendait son infidélité légitime.
— J’ai essayé de t’appeler après ce coup de fil, mais il n’y avait personne.
— Je suis allée dormir dans mon appartement, cette nuit.
Dans la salle voisine, le public entrait de nouveau. L’audience reprenait.
— Kelly, il faut que j’y aille. Je t’appellerai. A très bientôt.
A son retour, Kelly trouva Anita Wood en pleurs dans les bras de son mari. La fillette sautillait de joie autour d’eux.
— Papa revient à la maison, expliqua-t-elle à Kelly. En s’abaissant, Kelly se mit à caresser les boucles blondes de la petite-fille

— En voilà une bonne nouvelle, Eléonor.
Puisque le procès Wood s’achevait plus tôt que prévu et d’aussi heureuse manière, Kelly en profita pour avancer son rendez-vous chez le Dr Michaels. Elle ne fut pas surprise quand, après l’examen, il lui annonça que sa tension était trop faible.
— Kelly, vous devez absolument prendre un peu de repos, déclara-t-il gravement. Sinon, vous serez forcée d’en prendre malgré vous et les conséquences pourraient être fâcheuses.
Le ton du médecin l’avait convaincue. En partant, Kelly ne prit pas la direction du bureau, mais celle de son appartement. Avant de monter chez elle, elle s’arrêta chez l’épicier voisin pour faire quelques courses.
Devant la porte d’entrée de l’immeuble, des paquets dans les bras, elle cherchait difficilement ses clés dans son sac à main.
— Allez, laisse-moi t’aider.
La voix chaude et grave de Brant la fit se retourner. Dans son trench foncé, il semblait encore plus grand que d’habitude. Kelly le fixait intensément. Brant lui avait tellement manqué pendant ces deux jours d’absence qu’elle ne parvenait pas à détacher de lui son regard. Lui aussi semblait troublé. Une étrange lueur brillait dans ses yeux noirs.
— Que fais-tu ici, Brant ? finit-elle par dire.
— J’allais te poser la même question. Bon, veux-tu vraiment que nous restions dehors, par ce froid ?
Il la débarrassa de ses paquets. D’une main tremblante, Kelly mit la clé dans la serrure et ouvrit la porte. Heureusement l’appartement était chaud. Le chauffage avait été réparé. Suivie par Brant, Kelly alla droit dans la cuisine et commença à ranger les provisions.
— Ta conférence est déjà terminée ?
— Non, elle n’a pas encore commencé.
Kelly avait enlevé son manteau. Elle portait une superbe robe de cachemire rouge, qui mettait en valeur sa jolie silhouette.
— Je suis revenu car je me faisais du souci pour toi.
Une lueur de colère traversa les yeux de la jeune femme. Il était trop tard pour se faire du souci pour elle.
— Tu n’as pas à t’inquiéter, je vais très bien. Tu sais, je suis capable de me débrouiller seule.
— Oui, j’en suis sûr... J’ai essayé de te joindre la nuit dernière, annonça-t-il en s’assombrissant.
— J’étais ici. C’est chez moi, maintenant.
Un lourd silence s’installa entre eux. Pour masquer sa gêne, Kelly continua à ranger ses courses.
— J’ai appelé Daniel. Il m’a déclaré qu’il épousait une certaine Lois.
— Oui, il me l’a dit.
— Cela t’a fait de la peine ?
— Pourquoi ? s’exclama Kelly. Au contraire, je suis très heureuse qu’il ait enfin trouvé la femme de sa vie. Brant, Daniel et moi sommes des amis, et c’est tout.
Cette précision laissa Brant perplexe. De son côté, Kelly continuait à faire semblant de mettre en ordre ses placards.
— Si tu es venu uniquement parce que tu éprouvais du remords après la scène de vendredi, tu as eu tort, Brant. J’ai vécu seule ici pendant des années et je peux très bien reprendre mes anciennes habitudes.
— C’est là qu’est le problème, Kelly. Je sais que tu peux vivre seule sans moi, mais moi j’en suis incapable. Je n’ai pas la force de rentrer chez nous sans toi.
La tasse de porcelaine échappa des doigts de Kelly pour se briser en mille morceaux sur le sol.
— J’ignore à quel jeu tu joues, Brant, mais il est cruel.
En se baissant pour ramasser les débris, Kelly fut prise d’un vertige. Elle se retint à la table et mit instinctivement la main sur son ventre.
— Kelly, qu’est-ce que tu as ? s’écria Brant en l’entourant de ses bras.
Quel bonheur de retrouver la chaleur de ses bras ! Immédiatement Brant l’emmena dans le salon et l’obligea à s’allonger sur un sofa qui avait été laissé de côté. Assis près d’elle, il la couvait d’un regard plein d’inquiétude.
— Depuis combien de temps as-tu ces étourdissements ?
— Ce n’est rien, Brant. Un peu de surmenage...
— Non, je me rappelle parfaitement ta crise de vendredi matin. Tu as failli t’évanouir, il y a un instant. Je téléphone à mon médecin.
— Mais je n’ai pas besoin d’un médecin ! protesta-t-elle.
— Je préfère avoir un avis quand même.
— Non, Brant, supplia-t-elle, en vain. Tout va bien. Je... je suis enceinte depuis dix semaines.
Pétrifié, Brant resta bouche bée. Le combiné du téléphone retomba dans un bruit sec.
— Dix semaines ! s’écria-t-il d’une voix émue. Et tu ne m’en as rien dit !
— Tu m’avais fait comprendre que tu ne souhaitais pas d’enfants... Mais ne t’inquiète pas, je peux m’en sortir seule. Je ne te demande rien. Après notre divorce, je changerai de nom et j’élèverai mon enfant moi-même.
— Non, pas question ! Il ne te vient pas à l’esprit que j’ai mon mot à dire ? C’est mon enfant à moi aussi.
— Brant, écoute-moi, je t’en prie. Je sais que c’est ton sens du devoir qui te fait parler ainsi. Si tu n’as plus envie de vivre avec moi, je ne vois pas pourquoi cet enfant te ferait changer d’avis. Cela n’arrangerait rien.
— Ce n’est pas mon sens du devoir qui me pousse à revenir, reprit Brant d’une voix altérée. Je veux revenir auprès de toi parce que je t’aime.
Ces mots si simples, si inattendus, la bouleversèrent. Avait-elle bien entendu ? En quelques secondes, Kelly passa de l’incrédulité à la surprise puis à la joie la plus intense.
— Je t’aime, Kelly, et je veux que tu restes ma femme. Ces derniers jours, sans toi, c’était l’enfer !
— Pour moi aussi...
— Oh ! Chérie...
Dans un élan passionné, Brant la prit dans ses bras. Etait-ce un rêve ? Kelly avait encore du mal à croire à son bonheur.
— Je pensais que tu aimais Susanna, dit-elle en pleurant.
— Quelle idée ! Susanna n’a jamais fait que m’agacer.
— Mais la veille de notre mariage, il ne s’est rien passé entre toi et elle ?
— Comment ! Que vas-tu imaginer ? J’ai quand même plus de goût que cela ! La veille de notre mariage, elle est venue me voir et s’est littéralement offerte à moi. Je l’ai immédiatement mise à la porte. Elle ne me l’a pas pardonné. Chérie, tu peux me croire, il n’y a qu’une seule femme que j’aime et c’est toi.
— Alors il faudra que nous revoyions les termes de notre contrat de mariage, lança-t-elle en riant à travers ses larmes. La première condition sera que tu me dises au moins une fois par jour que tu m’aimes et...
Brant ne lui laissa pas le temps de continuer. Un tendre baiser la fit taire, scellant le début d’une nouvelle vie.

fin



ÇáäåÇíÉ

lailajilali8 05-05-07 02:33 PM

ÇÔ ÑÇíßã Ýí ÇáÑæÇíÉ . ÇÊãäì Çä ÊÚÌÈßã.ÃäÇ Ýí ÇäÊÙÇÑ ÑÏæÏßã

soufi 01-11-07 03:36 PM

RIEN A DIRE C TRES JOLIE MERCI BEAUCOUP

GKarima 10-11-07 12:18 AM

ÃåáÇ æ ÓåáÇ ÍÈíÈÊí ãÑÓí ßËíÑ Úáì ÇáÑæÇíÉ


æ Çä ÔÇÁ Çááå ÊÚÌÈ ÇáÌãíÚ


äíÇÑÇÇÇ 14-11-07 11:50 AM

although i dont know french but thanxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx sis

ÌæÇåÑ18 08-05-08 06:33 AM

C'est une tres jolie histoire
Merciiii

Bon courages

naaada 25-12-08 03:53 PM

merci ma chérie,c'est une histoire magnifique

Aynur 25-08-09 09:07 PM

merci infiniment^^

rafierafie 18-01-11 12:07 AM

merci pour le beau roman


ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 01:17 PM.

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