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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 24-02-10 04:20 PM

Maggie Cox - Un Dangereux Séducteur
 
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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 24-02-10 04:40 PM

chapitre 1


Une simple porte séparait Emma Robards de son objectif. Mais ce n’était pas une porte comme les autres. Faite du noyer le plus délicat, elle arborait en lettres d’or le nom tout aussi éclatant du maître des lieux : Pierce Redfield.0
« Inutile d’essayer d’obtenir un rendez-vous avec lui, avait prévenu Lawrence. Il est protégé par une armada de secrétaires et de conseillers qui le tiennent à distance de la foule. Il va falloir que tu ruses pour l’approcher ! »0
Pourquoi Emma essayait elle à tout prix d’atteindre cet homme ? Pourquoi s’était elle faufilée jusqu’ici comme une voleuse, longeant les murs et évitant habilement tous les collaborateurs de Pierce Redfield ? Tout simplement parce que Lawrence le lui avait demandé, et parce qu’elle avait accepté cette mission.0
Et, maintenant, elle courait le risque d’être arrêtée d’une seconde à l’autre par les agents de la sécurité, et d’être jetée à la rue comme une malpropre.0
Le cœur battant, elle frappa du bout des doigts à la porte de Pierce Redfield, et entendit presque aussitôt une voix masculine ferme lui répondre :0
— Entrez !0
Elle hésita un instant puis, prenant une profonde inspiration, tourna courageusement la poignée. « Me voici dans l’antre du lion », pensa-t elle, impressionnée.0
La pièce était immense, tapissée d’une épaisse moquette vert sombre. Aux murs, des toiles de maîtres, qui n’étaient manifestement pas des reproductions, donnaient à l’endroit un air imposant.0
Au fond de ce vaste espace se tenait un très grand bureau derrière lequel était assis le maître des lieux : Pierce Redfield en personne.0
— Qui diable êtes-vous donc ? demanda-t il sèchement en levant les yeux sur elle.0
Emma se mit à frissonner. Elle fut prise d’une soudaine envie de tourner les talons et de fuir le plus loin possible. Mais il eût été absurde de se sauver alors qu’elle avait fait le plus difficile.0
Redfield était un homme richissime, multimillionnaire, et elle, une simple serveuse de restaurant, mais ce n’était pas cette vertigineuse différence de fortune qui allait l’empêcher d’atteindre son objectif. Elle était parvenue jusqu’au sommet de la pyramide, ce n’était pas le moment de renoncer.0
— Allez-vous répondre, ou dois-je appeler la sécurité ? reprit l’homme d’affaires, visiblement agacé.0
Emma rassembla tout son courage et débita d’un trait, le souffle court :0
— Voilà : je m’appelle Emma Robards et je suis une amie de Lawrence.0
— De Lawrence ?0
— Oui, de votre fils.0
Les épais sourcils blonds se froncèrent. Un regard bleu azur, dénué de toute indulgence, la transperça.0
— Je sais bien que Lawrence est mon fils. Nous n’allons pas épiloguer là-dessus. Cela n’explique pas votre présence ici. Comment avez-vous fait pour entrer ? A l’accueil, mes assistants ne vous ont ils rien demandé ?0
— Ils sont en train de regarder le défilé. La mairie donne un spectacle de rue.0
— Ah ? C’est aujourd’hui ?0
Sans attendre la réponse, Redfield bondit sur ses pieds et marcha d’un pas vif jusqu’à la vaste baie qui s’ouvrait sur la ville. Emma fut frappée par la souplesse et la grâce de ce mouvement qui lui rappelèrent celles d’un athlète.0
— Vous êtes trop haut, ici. Vous ne pouvez rien voir, expliqua timidement Emma.0
Elle se rendit compte trop tard du double sens de ses paroles, qui sous-entendaient que le statut social particulièrement élevé de Pierce Redfield l’empêchait de percevoir les choses simples du quotidien. Savait il combien coûtait un ticket de métro ? Certainement pas.0
— C’est Lawrence qui vous envoie ? Qui êtes-vous ? Une de ses petites amies ?0
La question, humiliante, avait été posée sur un ton délibérément sec.0
— Non, rétorqua-t elle, piquée au vif. J’aime à croire que je suis autre chose pour Lawrence.0
Le regard de l’homme d’affaires se fit soudain plus attentif.0
— Lawrence ne m’a pas parlé d’une relation particulière, murmura-t il, songeur.0
— Comment aurait il pu le faire ? dit sèchement Emma. Vous ne répondez même pas à ses appels téléphoniques.0
Elle regretta immédiatement cette réaction impulsive.0
Redfield renversa la tête et partit aussitôt d’un éclat de rire, comme si elle venait de lui raconter la blague la plus drôle du siècle.0
— Ha, ha, ha, ce pauvre Lawrence ! Si je comprends bien, il vous envoie en mission pour me soutirer de l’argent ?0
— Mais non, absolument pas ! Enfin… Je veux dire… Je… Je voulais simplement vous parler de tous les sacrifices financiers qu’il vient de faire pour la chose qui le passionne le plus. Comprenez-vous ? Il m’a dit que vous ne l’avez jamais aidé, dans la vie. Tout le monde a besoin d’être aidé, monsieur Redfield. Vous, par exemple, n’avez-vous pas été aidé, au début de votre carrière ?0


Pierce Redfield souriait pensivement tandis qu’il se rappelait le commencement de sa carrière. Il se souvenait de ses débuts, pas si faciles que cela, tout en observant la charmante jeune femme qui se tenait devant lui. Un joli visage avec ce discret grain de beauté au-dessus de la joue gauche, une carnation fraîche et saine, des lèvres pleines, un peu boudeuses, absolument charmantes.0
Il se demanda quels étaient les rapports réels entre Lawrence et elle. Sans doute lui avait il donné l’image d’un fils incompris et rejeté — c’était tellement facile —, et il se dit qu’il pourrait expliquer à cette délicieuse apparition que Lawrence n’avait rien d’un martyr. Mais il n’avait aucune envie de se lancer dans un plaidoyer pro domo. Il devait se rendre à une réunion qui avait lieu dans quelques minutes.0
Il jeta un bref coup d’œil à sa montre, et reprit d’une voix calme et posée :0
— Vous évoquez les « sacrifices financiers » de mon fils ? A quoi faites-vous allusion ?0
Emma s’éclaircit la gorge, embarrassée. Elle eût aimé avoir un verre d’eau, car sa bouche était devenue sèche comme du sable au soleil.0
— Lawrence a dû vendre sa voiture et sa moto afin de pouvoir recommencer un nouveau travail en Cornouailles. L’argent lui fait cruellement défaut, au point qu’il n’arrive même pas à payer le loyer de son petit appartement… Vous savez, monsieur Redfield, votre fils est un jeune homme très doué, c’est un artiste…0
— Je connais mon fils, ses défauts et ses qualités, mademoiselle… excusez-moi, j’ai oublié votre nom.0
— Emma Robards.0
— Ah, oui, c’est cela. Je le connais suffisamment bien, croyez-moi, mademoiselle Robards. Mais je ne pense pas que nous ayons, vous et moi, la même perception de Lawrence.0
Le regard de l’homme d’affaires se fit soudain plus intense, plus glacial. Il la fixa de manière si directe qu’elle se mit à rougir.0
— J’ai bien l’impression que Lawrence se sert de vous afin de se la couler douce pendant quelque temps. Il vous envoie comme intermédiaire pour soutirer de l’argent à son cher papa, sous le prétexte, encore une fois, de projets mirifiques. Savez-vous, mademoiselle Robards, qu’il a dilapidé l’argent de sa mère en moins d’un an ? Et savez-vous que je l’ai déjà dépanné à maintes reprises ?0
Abasourdie, Emma fixait le père de son ami sans un mot.0
— Vous vous êtes déplacée pour rien, mademoiselle Robards, conclut l’homme d’affaires avec un ton froid et définitif.0
Comme il tendait le bras pour décrocher le téléphone, elle se précipita et posa brusquement sa main sur le bras de Redfield pour le retenir.0
— Monsieur Redfield, attendez !0
Etonné, il leva les yeux vers elle. Emma maintenait la pression de sa main sur la sienne, et Pierce, très surpris, pouvait sentir la chaleur irradier de cette main fine et gracieuse. La peau de la jeune femme était douce comme un pétale de rose. Il sentit que ce contact déclenchait en lui une sorte d’onde électrique qui le touchait au plus profond de lui. C’était délicieux, troublant, sensuel, et, même, presque érotique.0
Comme il l’interrogeait du regard, elle rougit et retira brusquement sa main, comme si elle venait de toucher un pestiféré.0
Pierce se dit que son fils avait vraiment bon goût. Cette jeune personne, qui avait su déjouer le service de sécurité pour parvenir jusqu’à lui, ne manquait pas de piquant. Elle savait manifestement ce qu’elle voulait. Oui, assurément, elle avait du cran. Et un sacré charme !0
— Y a-t il autre chose, mademoiselle Robards ? interrogea-t il d’une voix douce.0
— Ne laissez pas tomber votre fils, monsieur Redfield. Il a besoin de votre aide, de votre reconnaissance. Il ne faut pas le rejeter. Il m’a assuré d’une chose : c’est la dernière fois qu’il fait appel à vous, à votre aide. Alors, ne pourriez-vous accepter de le voir, une demi-heure, simplement…0
— Et cela vous rapportera quoi, mademoiselle Robards ? coupa-t il avec un ton étrange.0
— Pardon ? Je ne vous comprends pas.0
— Je veux dire : quel bénéfice allez-vous tirer de cette aide que je pourrais éventuellement apporter à Lawrence ? Souhaiteriez-vous, par hasard, prendre une retraite paisible dans la campagne anglaise, dans le Sud, par exemple ?0
Emma blêmit subitement. Elle eut envie de gifler le visage aristocratique qui lui souriait ironiquement. Mais elle se retint, se redressa de toute sa taille, et, les poings serrés, articula entre ses dents :0
— J’aurais dû m’attendre à une réaction mesquine de la part d’un être tel que vous ! gronda-t elle, tremblante d’indignation. Pour votre information, permettez-moi seulement de vous dire que je suis ici pour une seule et unique raison : Lawrence a sollicité mon aide pour faire cette démarche auprès de vous. Quant à moi, sachez-le, je préférerais mourir plutôt que de vous demander dix centimes.0
La repartie d’Emma, pour virulente qu’elle fût, sembla laisser de marbre son interlocuteur. Redfield la considéra un moment, les bras croisés, une lueur amusée dans les yeux. 0


— Vous couchez avec mon fils ? questionna-t il tout à trac.0
Elle sursauta, abasourdie par la question.0
— Quoi ? lança-t elle, les yeux exorbités.0
Imperturbable, l’homme d’affaires renouvela sa question.0
— Je vous demandais si Lawrence est votre amant ? répéta-t il flegmatiquement.0
— Vous ne manquez pas de culot pour me poser des questions pareilles, répondit elle, outrée. Cela ne vous regarde en aucune manière !0
Elle aurait pu lui expliquer que Lawrence avait essayé à plusieurs reprises de l’attirer dans son lit, et qu’elle n’avait jamais accepté, bien qu’il ne lui fût pas indifférent. Mais elle ne se sentait pas encore prête à franchir un pas aussi important. On ne fait pas l’amour à la légère. Et puis, surtout, l’amitié de Lawrence comptait beaucoup pour elle.0
Mais Emma pensa que ce n’était ni le lieu ni le moment de parler de sa vie privée. Et encore moins en présence de cet odieux personnage qui la considérait d’un œil à la fois ironique et glacial.0
Elle songea que le père de Lawrence avait une réputation de play-boy. Sur les photos de presse, il avait toujours à son bras une créature ravissante, et la semaine suivante une autre femme, tout aussi éblouissante.0
— Pourquoi ne pas être sincère avec moi, mademoiselle Robards ? murmura Pierce Redfield en la fixant d’un regard inquisiteur. Si Lawrence vous envoie vers moi, ce ne peut être que parce que vous êtes amants, tous les deux…0
— Mais absolument pas ! Lawrence est pour moi un ami, rien de plus, et…0
— En tous les cas, il se sert de vous, mâchonna-t il avec un hochement de tête entendu.0
Il se cala dans son fauteuil et la fixa, longuement, à tel point qu’Emma se troubla et eut l’impression de perdre pied. Son front, ses mains devinrent subitement moites. Elle avait la brusque impression de flotter dans un océan de vapeur. Une goutte de sueur perla sur son front. Elle l’essuya d’un geste nerveux.0
D’apparence très calme, Pierce continuait à la détailler sans vergogne, comme s’il voulait la déshabiller du regard.0
— Ne seriez-vous pas ma récompense pour cette démarche que vous impose mon fils ? interrogea-t il sans détourner son regard.0
— Quoi ? C’est insensé… Je…0
Elle suffoquait. Comment cet homme pouvait il suggérer une telle absurdité : que Lawrence accepte de jeter dans les bras de son père sa meilleure amie ? C’était tellement énorme qu’elle en avait le souffle coupé. D’abord, un personnage tel que Pierce Redfield, richissime homme d’affaires et play-boy comblé, ne pouvait se *******er d’une liaison — même passagère — avec une jeune femme ordinaire comme elle. Ensuite, l’idée même d’un tel troc était proprement scandaleuse, révoltante.0
Après un temps d’hésitation, elle se redressa, et, rassemblant son courage, s’exclama d’une voix sourde :0
— Comment pouvez-vous imaginer, même une seconde, que Lawrence puisse avoir une telle idée, monsieur Redfield ? C’est insensé, et ignoble. Lawrence m’a dit que vous aviez une piètre opinion de lui, mais, là, votre suggestion dépasse les bornes ! Pensez-vous réellement qu’il eût été capable d’envisager une telle infamie : m’envoyer chez vous pour… pour…0
Elle en bégayait d’indignation.0
— Vous connaissez mal mon fils, mademoiselle Robards. Il se sert de vous, je vous le répète. Il vous utilise. Vous n’en êtes peut-être pas consciente, mais le fait est là.0
— Mais non ! Pas du tout ! Lawrence et moi sommes bons amis. Je lui fais totalement confiance.0
Pierce Redfield, un sourire sceptique aux lèvres, la considérait avec une sorte de commisération indulgente. C’est avec une certaine douceur qu’il répondit :0
— Si je peux vous donner un conseil, ne vous faites pas trop d’illusions, mademoiselle Robards.
Emma poussa un soupir désabusé. Ses épaules s’affaissèrent sous le coup de la déception. Elle n’aurait jamais dû venir ici. Elle avait perdu son temps, tout simplement. L’homme qui se tenait derrière son immense bureau, au milieu de cette pièce grande comme un hall d’hôtel, cet homme n’était absolument pas prêt à aider son fils. La démarche qu’elle avait entreprise, pour périlleuse qu’elle fût, s’avérait totalement inutile.
Elle soupira encore, dépitée, secoua la tête de gauche à droite, avec une lenteur désabusée, puis tourna les talons, prête à s’en aller. Le pauvre Lawrence allait être bien déçu lorsqu’elle lui annoncerait l’échec de cette visite en laquelle il plaçait tant d’espoirs.
Mais elle se ravisa et, se tournant une dernière fois vers l’homme qui l’avait reçue avec tant de froideur, annonça d’une voix sèche :0
— Nous n’avons donc plus rien à nous dire, je n’insisterai pas davantage.0
Pour toute réponse, Pierce marcha vers la porte qu’il ouvrit et garda largement ouverte.0
Emma se sentait le cœur meurtri. Elle détestait laisser tomber quelqu’un, et tout particulièrement un ami.0


— N’en faites pas une affaire personnelle, mademoiselle Robards, assura Pierce Redfield d’une voix où perçait une note de compassion. Ce n’est pas vous qui êtes en cause, c’est mon fils. Ce n’est pas votre faute si Lawrence échoue dans ses tentatives, dans sa vie. Ce n’est pas la mienne non plus. C’est un adulte. Il a fait de mauvais choix, et je crains qu’il ne doive les réviser un jour ou l’autre.0
Tandis qu’il prononçait ces mots, son regard conservait la même impassibilité, comme au début de leur bref entretien. Il n’y avait pas la moindre trace d’hésitation ou de regret dans les prunelles d’un cristal bleu.0
En voyant ce regard glacial, Emma fut prise d’un frisson. Comment cet homme pouvait il faire preuve d’une telle froideur à l’égard de son propre fils ? Elle songea une nouvelle fois, brièvement, à l’espoir que Lawrence avait placé dans la démarche de sa fidèle amie. Elle hésita et fit une ultime tentative, comme une bouteille qu’on jette à la mer. Rassemblant tout son courage, elle demanda d’une voix étranglée :0
— J’imagine qu’il n’y a rien d’autre que je puisse dire pour vous faire fléchir, hasarda-t elle, les yeux baissés. Rien que je puisse faire…0
Lorsque Pierce entendit cette suprême requête, il se produisit en lui un phénomène étrange qui le surprit au plus haut point. Il fut brusquement envahi, des pieds à la tête, par une sorte de vague chaude et enivrante, comme s’il s’était trouvé tout à coup sur une plage brûlante des Caraïbes. Ce fut si soudain qu’il eut l’impression d’avoir bu un grand verre d’alcool fort. La tête se mit à lui tourner.0
Il vit que la jeune femme avait levé les yeux vers lui, avec une interrogation avide dans le regard. De forts beaux yeux, remarqua-t il, impressionné.0
— C’est dangereux de prononcer des mots pareils, mademoiselle Robards, murmura-t il doucement. Cela peut vous mener à des situations embarrassantes…0
Emma se figea soudainement. Elle était si désarçonnée par ce qu’elle venait d’entendre qu’elle ne put que balbutier des mots incohérents :0
— Je… Je ne… Vous ne…0
Un sourire fugitif et discret passa sur les lèvres de Pierce Redfield. Il enfonça une main dans une de ses poches et en sortit un petit carton blanc qu’il glissa dans la paume d’Emma, avec une insistance pleine de suavité.0
— Prenez, prenez. C’est ma carte. Appelez-moi un de ces jours, d’accord ? Nous pourrons nous revoir. N’hésitez pas à me téléphoner.0
Emma comprit que la situation était en train de prendre une tournure passablement dangereuse. Elle n’avait absolument pas prévu une telle tournure des événements.0
— C’est avec votre fils que j’ai une relation, précisa-t elle de la voix la plus ferme possible. Et c’est la raison pour laquelle je suis venue vous voir. Vous comprenez ?0
Elle s’interrompit et soutint le regard bleu perçant.0
— A moins que ce numéro de téléphone ne nous permette de fixer une rencontre avec votre fils ? poursuivit elle d’un ton sarcastique.0
Nullement déconcerté par l’ironie de la réplique, Pierce Redfield afficha un sourire conquérant tandis qu’il demandait avec une douceur charmeuse :0
— Pensez-vous vraiment que ce soit ce genre de rendez-vous que je souhaite, mademoiselle Robards ? Est-ce qu’il ne vous vient pas à l’esprit que je puisse envisager…0
Il s’interrompit et la contempla un instant d’un regard gourmand.0
— … Que je puisse avoir envie d’autre chose ? reprit il avec onctuosité.0
C’en était trop. Emma sortit de sa réserve et s’écria, hors d’elle :0
— C’est scandaleux ! Vous êtes un… vous ne méritez pas d’être père ! Et votre carte de visite, voilà ce que j’en fais !0
Elle cala son sac sous son bras et déchira ostensiblement le petit bristol, en deux, en quatre, en huit… puis elle lança d’un geste furieux les confettis dans sa direction.0
— Comme vous y allez ! s’exclama Redfield avec un sourire admiratif. Quel caractère !… En tous les cas, si vous ne me téléphonez pas, vous savez à présent où me trouver, n’est-ce pas ? Je serai tout à fait ravi de vous revoir, mademoiselle Robards.0
Bouillante d’indignation, Emma tourna brusquement les talons et partit d’un pas rapide. Elle avait perdu son temps. Elle avait échoué dans sa mission. Furieuse, elle passa en trombe devant le bureau où une secrétaire de Pierce Redfield la regarda avec des yeux ronds.0
Lorsque la visiteuse eut disparu, Pierce, tout pensif, marcha jusqu’à son bureau. Il se laissa choir dans son large fauteuil de cuir, soupira et croisa les bras, songeur. Sans nul doute, son fils avait envoyé cette charmante jeune femme pour la corvée qu’il n’avait pas le courage de faire lui-même : lui demander une nouvelle fois de l’argent. Cette façon d’agir le hérissait. Quelle lâcheté, de sa part, de ne pas oser se déplacer lui-même !0
Pierce serra les poings. Il fulminait. L’irresponsabilité, le manque de rigueur, le laisser-aller de son fils l’irritaient de plus en plus. Il dénoua nerveusement la cravate qui l’étranglait. Entre Lawrence et lui, les choses allaient de mal en pis. Pierce ne voyait pas comment sortir de cette impasse.0
Ainsi, Lawrence venait d’inventer un nouveau subterfuge pour l’amadouer : il lui avait envoyé sa propre amie dans l’espoir de le faire craquer. Ce n’était ni plus ni moins qu’une forme de corruption.0
Certes, la charmante personne qui avait été envoyée en émissaire était tout à fait craquante, et Pierce, en y songeant, sentit de délicieux picotements le long de ses doigts. Mais, ce qu’il n’admettait pas, c’était l’odieuse stratégie que son fils avait élaborée.0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 24-02-10 04:42 PM

à suivre.........................;0

cocubasha 24-02-10 07:56 PM

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princesse.samara 06-03-10 06:15 PM

très jolie merci

marianadine 11-04-10 02:06 PM

merci , mais la suite s'il vous plais

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 14-04-10 12:31 PM

chapitre 2

A peine rentrée chez elle, Emma entendit Lawrence qui dévalait l’escalier pour venir à sa rencontre. Il habitait l’appartement au-dessus du sien : c’est comme cela qu’ils s’étaient connus.
— Alors, ça s’est passé comment ? interrogea-t il en se laissant tomber paresseusement sur le canapé.
Avec ses cheveux blonds bouclés, ses yeux bleus, sa poitrine nue et lisse, Lawrence avait l’apparence d’un ange, mais le trouble et la dureté que l’on décelait dans son regard l’empêchaient, à vrai dire, d’être tout à fait angélique.
— Lawrence, je te signale que nous sommes au mois de novembre, et non en juillet. Pourquoi te balades-tu torse nu ?
— Je… Je viens de prendre une douche, et je t’ai entendue rentrer alors que j’étais à peine habillé.
Juste à ce moment, on entendit des bruits de pas à l’étage du dessus. Emma leva les yeux.
— Il y a quelqu’un là-haut ? demanda-t elle, intriguée.
Comme Lawrence ne répondait pas et paraissait passablement embarrassé, elle insista :
— Tu es avec une fille, là-haut ?
— Elle n’est rien pour moi, je t’assure, geignit il à mi-voix. Une rencontre, comme ça. J’avais juste besoin d’un peu de… de compagnie.
Il passa un bras autour des épaules d’Emma, tenta de l’enlacer, mais elle se dégagea vivement.
Elle savait bien que Lawrence couchait avec d’autres filles parce qu’elle refusait, elle, de le faire, mais elle n’acceptait pas pour autant cette situation malsaine.
Comme Lawrence la regardait d’un air de reproche — » Si tu acceptais de faire l’amour avec moi, je n’aurais pas besoin d’aller voir ailleurs… » —, Emma eut envie de lui confier ce qu’elle avait en travers de la gorge.
— Je t’ai déjà expliqué que j’ai besoin d’un peu de temps, Lawrence. Je ne peux pas te céder à la première occasion, comme d’autres. Tu comprends ? Il faut une certaine intimité entre deux personnes avant de faire l’amour.
En elle-même, elle se disait même qu’il fallait des sentiments sincères et profonds entre deux personnes pour faire l’amour.
Lawrence marmonna une phrase incompréhensible, puis l’interrogea d’un ton nettement plus incisif :
— Alors, ça s’est passé comment avec mon père ? Tu as pu le voir ?
— Oui, j’ai réussi à le voir.
— Et alors ?
— Eh bien, ça ne s’est pas très bien passé… Il refuse de t’aider.
Lawrence s’était levé brusquement et croisait les bras sur sa poitrine blanche et lisse en la dévisageant, le regard mauvais.
— J’ai fait ce que j’ai pu, murmura-t elle. Je suis désolée.
Elle se mordillait avec nervosité la lèvre inférieure, consciente de la déception qui accablait Lawrence.
— Tu lui as bien expliqué la situation ? demanda-t il d’une voix éraillée. Tu lui as bien dit que j’avais la possibilité de recommencer de zéro en Cornouailles, que c’était la dernière fois que je faisais appel à lui ?… Tu lui as bien dit tout ça ?
— Oui, Lawrence. J’ai défendu ta cause du mieux que j’ai pu. J’ai plaidé ton cas comme une avocate du barreau. Mais il n’a rien voulu savoir. Tous les arguments que j’ai avancés n’ont pas réussi à l’ébranler.
Il la fixait d’un œil sévère, et ses lèvres serrées témoignaient de sa colère.
— Je me demande si tu as vraiment tout essayé, siffla-t il entre ses dents.
Emma, stupéfaite par sa réaction, d’une injustice flagrante, avait l’impression qu’on venait de l’asperger d’eau glacée.
— Comment peux-tu dire une chose pareille, Lawrence ? Tu ne comprends donc pas que j’ai tenté tout ce qui était en mon pouvoir pour faire fléchir ton père ?
Lawrence, buté, mortifié, la considérait à présent d’un œil noir. C’est alors que quelque chose se brisa en Emma. Elle eut l’impression, pour la première fois, de le voir sous son vrai jour. Ce jeune et beau garçon, avec ses mèches blondes et ses yeux bleus, n’avait manifestement pas réussi à franchir la frontière qui sépare les enfants, capricieux et intransigeants, des adultes, responsables et indépendants. Il était manifestement immature. Elle le considérait à présent sous un autre angle.
Oui, Lawrence était un charmant garçon, certes, mais il était infantile.
C’était la première fois qu’elle comprenait son vrai caractère. Elle l’aimait bien, certes, et elle avait envie de l’aider, mais elle sentait qu’elle ne pouvait plus lui faire vraiment confiance.
— Je suis désolée de ce refus de la part de ton père, assura-t elle. Mais, si tu veux, nous pourrions essayer de trouver une solution ailleurs…
— Une solution ? quelle bouffonnerie ! s’écria-t il en donnant un grand coup de pied à la table qui se trouvait près du canapé.
Le verre de jus de fruits qui se trouvait sur la table se
fracassa bruyamment et inonda le sol


— J’imagine que mon père a pris le temps de t’expliquer à quel point je suis incapable, paresseux, égoïste, etc. Il t’a probablement dressé le tableau complet de mon caractère… Ah, je vois ça d’ici ! … Et j’imagine que tu l’as cru !
— Mais… Lawrence ! … Il ne m’a rien dit de tel, je t’assure que…
— Tu aurais pu faire un effort, Emma, enfin, quoi !
— Puisque je te dis que j’ai fait tout ce que j’ai pu…
— Tu pouvais faire plus, tu le sais bien. Tu étais tout à fait capable de… de le faire changer d’avis.
Il avait prononcé ces derniers mots d’une telle manière qu’elle le dévisagea, intriguée.
— Que veux-tu dire ? murmura-t elle, le cœur saisi.
— Tu es une très jolie fille, Emma. Tes seins sont merveilleux, tes jambes parfaites, ton visage est adorable, ta voix…
Elle sentit subitement une nausée monter en elle.
— … Ton corps est très bien fait… Tu es une femme très attirante, Emma.
Elle se souvint brusquement de ce que lui avait dit le père de Lawrence : « Ne seriez-vous pas ma récompense pour cette démarche que vous impose mon fils ? » Sans doute Pierce Redfield avait il vu juste.
Horrifiée par cette révélation, Emma resta un moment sans voix. Elle se prit le visage dans les mains, anéantie.
Elle se redressa soudain, pâle de colère, et lança sèchement :
— Va-t’en. Je ne veux plus te voir.
Lawrence passa une main dans ses cheveux, comme s’il se grattait machinalement la tête. Il souriait d’un air goguenard, presque méprisant.
— Tu sais, Emma, de temps à autre je me demande si tu n’es pas lesbienne. Tu n’as absolument pas l’air intéressée par les hommes. Ou alors peut-être que tu es frigide…
Elle marcha d’un pas vif jusqu’à la porte d’entrée qu’elle ouvrit d’un coup.
— Dehors ! lança-t elle à mi-voix, glaciale.
— Je vais m’acheter des gâteaux, répondit il d’un air absent.
Il passa devant elle sans un regard, d’un pas nonchalant, puis dévala les escaliers à toute vitesse, en faisant le plus de bruit possible.
Emma ferma doucement la porte et s’y adossa en fermant les yeux.
Ce soir-là, Pierce dîna à son club, après quoi il prit un verre avec un vieil ami et associé. Son chauffeur, Miles, le reconduisit chez lui peu après. Il habitait un vaste et magnifique appartement à Hampstead, l’un des quartiers les plus huppés de Londres.
Lorsqu’il fut chez lui, un sentiment de vide l’envahit. La rencontre de cette jolie jeune femme, qui avait fait intrusion dans son bureau d’une manière peu banale, le rendait songeur. Il traversa le grand salon, puis l’immense bibliothèque, toujours très pensif, et revint sur ses pas. « Vous ne méritez pas d’être père », lui avait dit Emma Robards. Cette petite phrase résonnait à présent dans son esprit et ne cessait de le tourmenter.
Sans le savoir, la jeune femme avait mis le doigt sur un point douloureux de son existence, une vieille blessure qui n’avait pas cicatrisé : son fils Lawrence.
Si Lawrence en était là aujourd’hui, traînant son échec social et professionnel, à qui fallait il s’en prendre ? Qui était responsable ? Pierce ne pouvait pas mettre cet insuccès uniquement sur le compte de Lawrence. Sa mère avait une bonne part de responsabilité dans ce fiasco. Ne l’avait elle pas gâté durant toute son enfance, d’une manière abusive et excessive ? Et lui, Pierce, n’avait pas toujours été à la maison pour s’occuper de son fils, car les affaires avaient accaparé l’essentiel de son temps. Au début de sa carrière, alors que Lawrence était encore tout petit, il était tellement pris par son travail qu’il lui arrivait de ne voir son fils que quelques heures dans la semaine, au passage, et chaque fois de manière brève. Il admettait donc sa part de responsabilité dans l’échec de Lawrence, mais il ne se sentait pas le seul responsable, loin de là. Il pensait que son fils, au cours des dernières années, avait abusé de sa bonté, et avait été incapable de voler de ses propres ailes.
D’où cette nouvelle tentative, de la part de Lawrence, de lui soutirer de l’argent. Et, cette fois-ci, il avait délégué un intermédiaire tout à fait bien choisi : une charmante jeune femme, assez troublante, et fort désirable.
Tandis qu’il repensait à Emma, Pierce éprouva dans ses reins cet étrange picotement, cette chaleur diffuse qu’il avait ressentie en présence de la jeune femme, dans son bureau. Subitement troublé, il se rappela les yeux noisette de la visiteuse, et il se souvint de cet instant magique où il avait posé, l’espace de deux ou trois secondes, sa main sur la sienne pour la forcer à accepter sa carte.
Quel culot elle avait eu de déjouer ainsi tout le personnel de la société pour parvenir jusqu’à son bureau ! Elle ne manquait pas de cran, cette jeune personne ! Malheureusement pour elle, la démarche qu’elle avait ainsi courageusement accepté de faire n’allait certainement pas être payée en retour. Lorsque Lawrence découvrirait qu’elle revenait bredouille, il prendrait certainement très mal la chose. Il était encore, à son âge, comme ces enfants qui sont comblés de cadeaux à Noël, mais qui restent malgré tout frustrés. On ne leur donne jamais assez. Il leur faut plus.


Pierce, qui s’était installé machinalement dans un des fauteuils de la bibliothèque, était songeur. Il n’arrivait pas à comprendre comment une femme aussi avisée que cette Emma Robards pouvait avoir pour compagnon un jeune homme tel que Lawrence. Que faisait elle donc avec lui ?
Il soupira amèrement. Quelle pourrait être la meilleure manière de réagir à l’égard de son fils ? Il se dit qu’il était prêt à l’aider financièrement encore une fois — pas de problème de ce côté-là —, mais qu’il allait se montrer bien moins généreux pour le côté sentimental. Il allait tout simplement doubler Lawrence et lui subtiliser sa petite amie. Voilà ce qu’il allait faire ! Lawrence comprendrait alors en quoi consiste une véritable stratégie. Ce projet le réjouissait tant qu’il se leva d’un coup, tout joyeux. Il sortit de la bibliothèque, traversa le grand hall carrelé de noir et de blanc, saisit l’imperméable qu’il avait accroché sur une patère, et ouvrit la porte d’entrée, le sourire aux lèvres.
Emma fit un faux pas et le plateau qu’elle tenait tomba sur le dallage du restaurant avec fracas. Liz Morrison, qui dirigeait le restaurant L’Avenue avec Adam, son mari, se précipita vers elle.
— Tu ne t’es pas fait mal, j’espère, ma pauvre Emma !
— Non. Je suis désolée, j’ai cassé deux verres.
— Ce n’est pas grave.
Comme les deux femmes s’étaient agenouillées pour ramasser les débris de verre, Liz remarqua que les mains d’Emma tremblaient.
— Qu’y a-t il, ma chérie ? Tu sembles terriblement nerveuse. Tu as des soucis ?
— Non, tout va bien, mentit Emma, très tourmentée.
Cela n’allait pas si bien que cela, Emma le savait. En premier lieu, il y avait eu cette tentative auprès du père de Lawrence, cette plaidoirie qui s’était soldée par un échec cuisant. Mais les choses avaient empiré : elle avait compris que Lawrence, en fait, s’était servi d’elle de manière odieuse. Elle n’avait été pour lui qu’un instrument pour parvenir à ses fins : obtenir de l’argent. Et, d’un coup, la vraie nature du jeune homme s’était révélée. Il n’était qu’un vaurien paresseux et opportuniste, sans respect pour autrui, sans dignité.
Elle tombait de haut.
Alors qu’elle rassemblait les morceaux de verre avec une pelle, Liz lui posa doucement la main sur l’épaule.
— Tu as besoin de repos, ma pauvre Emma. Tu es la seule, ici, à ne pas avoir pris de vacances.
Liz était depuis longtemps pour Emma une sorte de mère adoptive. D’ailleurs, la fille de Liz, Fleur, était depuis toujours une camarade d’école d’Emma, une fidèle amie. Mais Fleur se trouvait à présent à Paris où elle avait trouvé un travail très intéressant dans la mode.
— Je ne songe pas à prendre des vacances pour le moment, Liz. Je n’en ai pas besoin.
C’était un nouveau mensonge, pour ne pas inquiéter son amie. Jamais elle n’avait eu autant besoin de repos, de distractions, d’horizons nouveaux. Mais elle ne pouvait pas se permettre ce luxe à cause du manque d’argent qui la rongeait. Elle n’osait le dire à sa patronne, mais, si elle continuait à travailler autant d’heures dans son restaurant, c’était parce que les pourboires qu’on lui donnait lui permettaient, jour après jour, d’amasser un petit pécule qui lui permettrait bientôt de financer l’opération de sa grand-mère. Et sa grand-mère était pour elle ce qui comptait le plus au monde. Pas question de congés, donc, pour le moment.
Environ une heure plus tard, Emma était en train de ranger une série de verres au-dessus du bar lorsqu’elle vit entrer dans le restaurant Pierce Redfield.
De stupeur, elle faillit de nouveau laisser tomber le verre qu’elle tenait. Redfield, qui avait immédiatement repéré Emma, la fixait de son regard bleu perçant. L’intensité de ce regard était telle qu’Emma avait l’impression que le père de Lawrence se trouvait à deux pas d’elle.
Que venait donc faire l’homme d’affaires ici ? Etait-ce Lawrence qui l’avait envoyé ? Emma aurait donné n’importe quoi pour se trouver à mille lieues de là. Elle devinait que Pierce Redfield n’était pas là par hasard. Cette intrusion sur son lieu de travail, dans son domaine personnel, la perturbait au plus haut point.
Lorenzo, le collègue italien d’Emma, qui avait la charge du bar, outre la gestion du restaurant, se porta à la rencontre du personnage imposant qui venait d’entrer. Redfield impressionnait à la fois par la taille et par l’allure. Dans la rue, on se retournait sur son passage. Et, lorsque par hasard on croisait son regard, on n’était pas près d’oublier l’homme.
Lorenzo conduisit Redfield à une petite table relativement isolée, dans un angle du restaurant. Puis il revint vers le bar et murmura à l’oreille d’Emma :
— Tu veux bien t’occuper du client qui vient d’arriver ?
Prise de court, elle hésita, et répondit d’une voix mal assurée :
— Je suis en train de ranger les verres. Je préférerais que ce soit toi qui t’occupes de lui.
— Pas possible, j’ai à faire. Prends ce menu et va le lui porter. Allez…
A contrecœur, Emma rejoignit la table de Redfield. Elle lui tendit le menu sans un mot. Elle aurait voulu sourire, comme il serait naturel de le faire pour un nouveau client, mais ses lèvres restaient figées. Pierce Redfield, lui, arborait le sourire du chat qui s’apprête à dévorer une souris qu’il tient sous sa patte.


— On m’a dit grand bien de votre restaurant, dit il d’un ton enjoué. Que me conseillez-vous, ce soir ? ajouta-t il, l’air gourmand.
Il la fixait de ses yeux bleus comme du cristal, où l’on décelait un pétillement railleur.
— Que faites-vous ici ? demanda-t elle d’une voix étouffée, à la fois furieuse et inquiète.
Redfield saisit délicatement, mais fermement, le menu qu’elle tenait, puis fit mine de le lire avec le plus grand intérêt. Il parcourut les différentes spécialités de la maison, le sourire aux lèvres, l’œil arrondi par une gourmandise feinte… Comprenant qu’il se donnait en spectacle, Emma fronça les sourcils et bougonna :
— Allons, vous n’êtes pas là par hasard. Pourquoi avoir choisi cet endroit ? Est-ce Lawrence qui vous a donné cette adresse ?
— Pourquoi me posez-vous cette question ?
— Oh, cessez de répondre aux questions par des questions, c’est énervant à la fin ! fit elle, agacée.
Elle lançait de temps à autre un regard inquiet du côté de Lorenzo qui, à quelque distance de là, ne cessait de les observer du coin de l’œil. Très mal à l’aise, les joues en feu, elle se disait que, si Pierce Redfield était venu au restaurant, ce soir, ce ne pouvait être que sur les indications de Lawrence. Sinon, comment aurait il su où elle travaillait ?
— Ne vous énervez donc pas, Emma, murmura Redfield avec un sourire qui aurait pu faire fondre un glacier de l’Antarctique. Vous permettez que je vous appelle « Emma », n’est-ce pas ? Quel prénom délicieux ! Je…
— Ecoutez, monsieur. Je suis serveuse dans ce restaurant. Il ne m’est pas possible d’avoir une conversation suivie avec les clients. Je serai donc brève. Je sais que je n’aurais pas dû faire intrusion, tout à l’heure, dans votre bureau. Je vous promets de ne pas recommencer. Maintenant, je vous demande de vous en aller — car je sais que vous n’êtes pas venu ici pour dîner.
— C’est exact, Emma. Je ne suis pas venu pour manger. Il fallait que je vous voie.
Avant qu’Emma n’ait eu le temps de réagir, Redfield avait saisi fermement son poignet et maintenait celui-ci d’une main de fer, tandis que ses yeux si bleus, si brillants, la fixaient avec une intensité fulgurante.
Le contact de sa peau, douce et tiède, auquel s’ajoutait le parfum suave, léger, enivrant de son eau de toilette, cette présence magnétique, tout chez cet homme bouleversait Emma, au point qu’elle se sentit près de défaillir.
— Je suis allé voir Lawrence, expliqua doucement Redfield tandis qu’il tenait toujours fermement sa main. Il m’a dit que je pourrais vous trouver ici. Nous avons à parler, vous et moi.
Elle tenta de dégager sa main, mais il la retenait encore.
— Pourquoi Lawrence vous a-t il dit où je travaillais ? grommela-t elle, mé*******e. Et, enfin, que voulez-vous de moi, monsieur Redfield ? Soyez bref, je vous prie. Je ne peux pas me permettre d’avoir une vraie conversation avec vous. J’ai du travail.
Elle dégagea enfin sa main d’un mouvement sec, puis la frotta machinalement, comme pour apaiser une douleur.
Pierce fronça les sourcils. Il n’avait pas l’habitude que l’on réagisse de manière si hostile à son égard. Il se demanda si cette adorable jeune femme était vraiment attachée à son fils. Le fait était que, tout à l’heure, lorsqu’il était passé voir Lawrence, il avait été surpris de trouver celui-ci en charmante compagnie : une petite blonde au sourire espiègle et aguicheur, avec des seins à faire damner un saint.
En allant voir son fils, Pierce avait décidé qu’il lui remettrait un chèque pour couvrir ses besoins. Il avait même doublé la somme, afin que Lawrence n’ait aucune réticence à répondre à ses questions. Et, lorsqu’il avait demandé à son fils où il pourrait trouver la jeune femme qui avait fait irruption dans son bureau, Lawrence lui avait immédiatement donné l’adresse du restaurant en lui expliquant qu’Emma y travaillait.


Pierce savait qu’il avait maintenant toutes les cartes en main. Dans une éventuelle rivalité avec son fils, il serait gagnant à coup sûr, quelle que soit la relation qui existait entre Lawrence et Emma.
Cette jeune femme l’intéressait énormément. Cela faisait longtemps qu’il n’avait connu un tel émoi côté cœur, une telle attirance envers une inconnue. Il faut dire qu’il avait souvent l’impression d’être totalement blasé.
— A quelle heure finissez-vous votre travail ? lui demanda-t il avec un sourire engageant.
Avec un profond soupir d’agacement, Emma lui donna l’heure.
— Eh bien, j’attendrai la fin de votre service. Nous prendrons un taxi. Mon chauffeur a terminé sa journée. Il est rentré chez lui.
— Vous avez un chauffeur ? s’étonna Emma. Un chauffeur… personnel ?
— Mais oui, fit il avec un rire léger. Il me conduit au bureau, à mes rendez-vous, etc. C’est bien commode : je ne suis pas fana de la conduite en ville.
— Non, dit fermement Emma.
— Non quoi ? grommela Redfield en fronçant les sourcils.
— Je ne veux pas que vous m’attendiez pour m’emmener je ne sais où, monsieur Redfield. Je n’ai rien à vous dire. Je me suis excusée tout à l’heure pour avoir fait irruption dans votre bureau. Bien. L’incident est clos. Que voulez-vous d’autre ? Désolée, je n’ai rien à vous offrir.
Le regard de Redfield se fit si glacial qu’elle tressaillit. Elle fit un pas en arrière, les joues en feu. Elle se dit que tout le monde, dans la salle, devait avoir remarqué son trouble. De fait, Lorenzo, l’œil noir, les sourcils froncés, se dirigeait vers eux d’un pas décidé, manifestement prêt à défendre un client injustement traité.
— Tout va comme vous le souhaitez ? demanda Lorenzo à Redfield avec son accent italien.
Le regard du restaurateur allait de Redfield à Emma, qu’il considérait avec une réprobation manifeste. Lorenzo avait évidemment deviné qu’il y avait de l’animosité entre Emma et son client. Il venait à la rescousse — de ce dernier, naturellement.
— Tout va bien ? répéta Lorenzo avec un sourire commercial.
— Grazzie, tutto bene, répondit Redfield de manière naturelle, comme s’il s’était trouvé dans une auberge du fin fond de l’Italie.
Commença alors à se jouer une scène, entre Lorenzo et Redfield, qui laissa Emma pantoise. Le restaurateur et le visiteur se mirent à discuter, en italien, avec une chaleur et une ardeur toute méditerranéennes. En quelques minutes, ils parurent les meilleurs amis du monde. Emma n’avait naturellement rien compris à leurs palabres, mais elle constatait que l’atmosphère était redevenue respirable.
Lorenzo se tourna brusquement vers Emma, qui était restée discrètement à l’écart.
— Mais pourquoi ne m’as-tu pas prévenu, Emma ! s’exclama joyeusement Lorenzo.
— Prévenu de quoi ? fit Emma, hésitante.
— Même si vous avez eu quelques mots, une simple querelle d’amoureux, il fallait me dire que ce monsieur était ton fiancé ! Tu me connais suffisamment pour me faire confiance, non ?
— Mais il n’est pas mon…
Sous la table, la jambe de Pierce Redfield vint doucement frapper celle d’Emma. Il lui adressa un bref coup d’œil entendu.
Que signifiait tout cela ? Et pourquoi donc cette invention soudaine, ce mensonge grossier ?0
Qu’avait donc Pierce Redfield derrière la tête ?0
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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 14-04-10 12:36 PM

chapitre 3

— J’apporte tout de suite une bouteille de champagne ! s’exclama Lorenzo, tout réjoui. Scusi, signor Redfield, je reviens pronto subito. Emma, tu es libre, naturellement. Tu penses, un jour comme ça ! Reste avec ton fiancé, je vais te faire remplacer pour le service.
Lorsque Lorenzo se fut éloigné d’un pas guilleret, Emma resta silencieuse quelques secondes. Pierce Redfield s’était levé, lui avait présenté une chaise, et elle s’installa à la petite table, les mains sur les genoux, raide et crispée, face à Redfield qui paraissait parfaitement à l’aise.
Une sorte d’insurrection couvait en elle. Comment osait-on se moquer d’elle d’une telle manière ? D’abord le fils, qui s’était honteusement servi d’elle, et à présent le père, qui inventait on ne sait quel scénario de fiançailles ! C’en était trop ! Pour qui la prenait-on ?
— Comment avez-vous pu inventer une histoire pareille ? demanda-t elle avec humeur. Figurez-vous que Lorenzo est en fait mon patron, mon supérieur dans la hiérarchie du restaurant. Comment ferai-je, demain, pour lui expliquer que tout cela n’est qu’une plaisanterie, une farce ? Je ne sais pas à quoi vous jouez, monsieur Redfield, mais je trouve ce petit jeu de très mauvais goût.
— Je ne joue pas, mademoiselle Robards, rétorqua l’homme d’affaires d’une voix grave.
Il avait articulé « mademoiselle » en martelant chaque syllabe.
— Lorsque je décide quelque chose, je vais droit au but, sans hésiter, quelle que soit la difficulté de l’entreprise.
Il la scruta de son regard extraordinaire et reprit du même ton sûr et tranquille :
— Me suis-je fait bien comprendre ?
Emma secoua la tête, entêtée, résolue.
— Pas du tout !
L’esprit en émoi, le cœur agité, elle fixait les motifs de la nappe qui était sous ses yeux avec une obstination hardie. Il n’était pas question, pour elle, de se laisser mener en bateau.
— Je ne comprends absolument pas ce que vous attendez de moi, poursuivit elle avec arrogance.
Comme il ne répondait pas, elle leva les yeux et remarqua l’étrange sourire qui lui était venu aux lèvres. Il fallait bien l’avouer : tout, chez cet homme, suscitait l’admiration, qu’on le veuille ou non. Sa carrure, son visage finement ciselé, sa mâchoire volontaire, son comportement si sûr et à la fois si subtil. Un tel personnage ne pouvait laisser indifférent. Elle imaginait l’effet qu’il devait produire lorsqu’il entrait dans la salle d’un conseil d’administration ! Tous les participants étaient assurément médusés par l’assurance et la puissance qui se dégageaient de cet homme, qui possédait de surcroît une fortune colossale.
Et voici que cet homme hors du commun, piqué par on ne sait quelle mouche, se prenait l’envie de jouer les fiancés modèles. Ce n’était qu’une boutade, bien sûr, mais cela n’en demeurait pas moins stupéfiant pour autant.
— Vous voulez quoi, au juste ? insista-t elle avec aplomb.
— D’abord un peu d’attention de votre part.
— Et c’est pour obtenir cette attention que vous avez raconté cette histoire de fiançailles à Lorenzo ?
Il hocha la tête en souriant.
— Quel âge avez-vous, Emma ? reprit il d’un ton gai.
— Vingt-cinq ans. Pourquoi ?
— On dirait que vous avez dix-neuf ans… Mais, dites-moi : Lawrence compte-t il réellement pour vous ?
Pierce se trouvait devant une énigme, et cette situation piquait au plus haut degré sa curiosité. Comment se faisait il qu’une jeune femme si belle et délicate, au regard tendre et innocent, pût fréquenter son fourbe de fils ? Et comment pouvait elle s’abaisser à un travail aussi astreignant et aussi peu gratifiant ? Il observait d’un œil appréciateur la peau d’albâtre de la jeune femme, ses lèvres pleines et merveilleusement dessinées, ses yeux si charmants. Ce qui était surprenant, chez elle, c’était cette sorte de candeur, cette innocence non feinte : elle donnait l’impression de ne pas remarquer l’effet qu’elle produisait sur les hommes.
— Etes-vous amoureuse de Lawrence ? Quelle est au juste votre relation avec lui ? reprit il.
— Je… Je ne vois pas où vous voulez en venir, répondit Emma, le rose aux joues.
C’est à cet instant que revint Lorenzo, avec une bouteille de son meilleur champagne. Il servit Emma et Pierce avec toute la cérémonie d’un sommelier distingué, proférant de temps à autre des commentaires en italien à l’adresse de cet extraordinaire client, si bien habillé, et qui connaissait si bien sa langue.
— Buvez, c’est la fête ! s’exclama-t il avec un rire discret. Puis il fila rejoindre son bar, vif et léger.
Pierce Redfield leva son verre en dardant sur elle son regard si pénétrant. Ils trinquèrent en silence. Puis il posa délicatement le verre et reprit d’un ton posé :
— Auriez-vous le cœur brisé si vous deviez ne plus le voir ?
— Qui ? Lawrence ?
— Oui, Lawrence. Seriez-vous très triste s’il s’en allait ?
— Pourquoi ? Il doit s’en aller quelque part ?
— Oui, en Cornouailles.


— Alors, les plans qu’il avait dans cette région vont pouvoir se réaliser ? s’étonna Emma. Vous avez donc finalement accepté de l’aider ?
— Disons que, après votre visite à mon bureau, j’ai révisé ma position à l’égard de Lawrence. J’ai accepté de lui donner un coup de pouce.
— Il doit être fou de joie !
— Oh, oui. Et il s’apprêtait à fêter l’événement avec une charmante petite blonde.
— Ah.
Elle avait prononcé ce « ah » sans émotion particulière, sans tristesse, sans surprise, comme un constat.
— Vous n’avez pas l’air choquée ou déçue outre mesure, observa Pierce d’une voix étonnée.
— Nous avons une relation à part.
— » A part » ? Que voulez-vous dire ? Entendriez-vous par là que votre relation n’est pas sexuelle ?
Emma se mordilla machinalement la lèvre et répondit avec flegme :
— Lawrence a des tas de petites amies. Notre relation a toujours été platonique.
Redfield leva un sourcil.
— Vous n’avez jamais couché ensemble ?
Emma poussa un soupir qui ne témoignait nullement d’un sentiment de regret, mais seulement de l’agacement pour une conversation qui ne la menait nulle part. Pourquoi cette insistance de la part de Redfield concernant sa relation avec son fils ?
— Ecoutez, monsieur Redfield, je ne vois pas l’utilité de toutes ces questions que vous me posez concernant votre fils. J’ai ma vie privée, vous avez la vôtre. Je ne vous demande rien. Le fait que vous vous soyez finalement décidé à aider Lawrence me ravit. Pour lui. Quant à moi, je ne me soucie aucunement de son présent ou de son avenir. Et je ne pense pas le revoir de sitôt.
— J’imagine que, lorsque vous lui avez annoncé mon refus de l’aider, il a mal réagi…
— Il a très mal réagi, oui. Et j’ai compris alors qu’il se servait de moi.
— Cela faisait il longtemps que…
— Il faut que je retourne à mon travail, à présent, coupa Emma, crispée.
Comme elle se levait, il l’arrêta d’une voix autoritaire :
— Rasseyez-vous !
Son regard bleu acier la transperçait de part en part. Comment résister à un tel regard ?
— N’oubliez pas que nous sommes officiellement fiancés pour Lorenzo, rappela Redfield à mi-voix. Vous ne voulez tout de même pas qu’il s’inquiète d’une nouvelle dispute entre nous ?
— Je me moque de ce qu’il peut penser, bougonna Emma. De toute façon, tout ceci n’est qu’une mascarade.
Redfield la dévisagea avec une expression presque douloureuse.
— Il faut que je vous revoie, murmura-t il. Il faut absolument que nous nous revoyions.
— Mais… pourquoi ?
— Parce que.
— Dites-moi pourquoi, insista Emma, mal à l’aise.
— Vous m’intriguez, Emma. Cela constitue-t il pour vous une raison suffisante ?
On ne lui avait jamais dit jusqu’à ce jour qu’elle était capable d’intriguer quelqu’un. Le plus surprenant était que cela venait aujourd’hui d’un personnage que tout le monde considérait comme un phénomène. Il y avait de quoi être secouée. Emma, de fait, était chavirée par cette déclaration si inattendue de la part d’un homme tel que Pierce Redfield.
— Alors, vous êtes intrigué par une simple serveuse de restaurant ! ironisa-t elle. Il y en a d’autres qui ont un faible pour les danseuses ou les infirmières… Vous êtes plutôt original dans vos caprices.
— Emma !
Le ton qu’il venait de prendre pour la faire taire était à la fois doux et impératif.
— Quoi ? fit elle, désorientée.
— Il ne s’agit ni d’un caprice ni d’un quelconque fétichisme. Malgré votre tenue particulièrement sexy, ce n’est pas cela. C’est autre chose.
Pierce poussa un soupir songeur. Une petite voix en lui protestait : « Elle est trop jeune pour toi, mon vieux Pierce. Tu as quarante-deux ans… » Eh bien, ce n’est pas un âge canonique, que je sache, pensa-t il, en révolte contre cette petite voix mesquine venue d’une éducation trop stricte, sans doute. « Elle a vingt-cinq ans, j’en ai quarante-deux… Je n’ai que dix-sept ans de plus qu’elle… Ce n’est rien, dix-sept ans… » Il n’était pas particulièrement attiré par les jeunes filles, comme certains hommes. Et la plupart de ses compagnes avaient été, grosso modo, du même âge que lui — parfois même plus âgées. Ce qui l’attirait avant tout chez une femme n’était pas lié à l’âge, mais au charme. Et cette adorable Emma possédait un charme fou, et une grâce peu commune. Il avait été marié, mais le mariage ne lui avait pas réussi, excepté une période de quelques mois pendant laquelle Naomi et lui avaient su sortir de la routine. Lawrence était alors tout bébé. Cette période n’avait pas duré. Chacun était ensuite parti de son côté.
Perdu dans ses réflexions, Pierce sursauta lorsqu’il entendit la protestation d’Emma :


— Il faut que j’y aille, à présent. Désolée d’interrompre ce tête-à-tête.
Elle se leva et s’éloigna sans plus de cérémonie.
« Bon Dieu, gronda-t il intérieurement. La voilà qui s’en va… » Il n’avait pas l’habitude que les femmes s’enfuient ainsi. C’était toujours lui qui partait le premier. Mais, ce soir, les habitudes étaient inversées. Il avait lamentablement échoué dans sa tentative de séduction.
Il fit signe à un serveur, demanda la note, paya et se leva. Il sortit dans la nuit froide et hostile.
— Mais pourquoi ce monsieur a-t il annoncé à Lorenzo que vous étiez fiancés, si ce n’est pas le cas ?
Liz Morrison venait de prendre place à côté d’Emma, dans le restaurant à présent déserté.
— Bah, ce n’était qu’une plaisanterie stupide, répondit Emma en haussant les épaules.
Elle se souvenait pourtant que Pierce Redfield avait bien précisé : « Je ne joue pas, Emma. Je suis sérieux… » Mais il mentait, à coup sûr, il mentait.
— En tous les cas, c’est un sacré bel homme, soupira Liz. Je l’ai aperçu un instant seulement, mais j’ai été vraiment impressionnée. Où l’as-tu rencontré ?
— Où ? répéta Emma, embarrassée.
— Oui, où as-tu fait sa connaissance ?
— Euh… C’est l’ami d’un ami…
— Je prendrais bien un petit déjeuner avec lui, soupira Liz d’un ton langoureux.
— Voyons, Liz ! s’exclama Emma, horrifiée.
Elle avait réagi de manière étonnamment vive, comme si Liz venait de lui avouer quelque crime crapuleux.
— Ne fais pas cette tête-là, Emma ! fit Liz en riant. Tu sais que j’adore Adam… Mais cela n’empêche pas un petit fantasme de temps à autre, n’est-ce pas ? Tu vois, ma chère Emma, il y a des jours où je ne te comprends pas. Tu es ravissante, intelligente, pleine de charme, et tu ne t’intéresses absolument pas aux hommes. Tu ne sors jamais avec personne. Ce n’est pas très normal. Tu n’es pas homosexuelle, tout de même ?
Emma sursauta, piquée au vif. Elle prit cependant le parti d’en rire.
— Oh non ! s’exclama-t elle en s’esclaffant. Ce n’est pas ma tasse de thé.
Bizarrement, c’était la deuxième fois de la journée qu’on lui posait des questions sur sa vie sexuelle. D’abord, Redfield avait voulu savoir si sa relation avec Lawrence était platonique ou non, et, maintenant, Liz lui demandait si sa « sagesse » ne cachait pas, par hasard, un penchant homosexuel. Elle secoua la tête, amusée et agacée à la fois : elle avait bien le droit de ne pas avoir envie de fréquenter un homme, après tout ! Pourquoi fallait il absolument avoir un petit ami dans la vie ? Elle se sentait très bien comme elle était, dans son existence de célibataire. Et ce mode de vie était son choix.
Sa mère ne s’était jamais remise du départ soudain de son père, alors qu’elle avait à peine neuf ans. Du jour au lendemain, il avait abandonné sa famille pour partir à l’aventure en Australie. On n’avait jamais plus entendu parler de lui par la suite. Cette blessure familiale demeurait vivace. « Est il indispensable d’avoir un homme dans sa vie ? », se demandait elle. Certainement pas. Ni maintenant ni plus tard.
Mais, juste comme elle se faisait cette réflexion, le visage de Pierce Redfield lui vint à l’esprit. Elle revit, l’espace d’un instant, le regard troublant de cet homme si différent des autres. Une sorte de bien-être, de douce torpeur l’envahit.
Comme si Liz avait pu lire ses pensées, elle murmura d’un ton rêveur :
— Ton ami est vraiment quelqu’un de spécial, Emma. Parle-moi un peu de lui, tu veux bien ?
— D’abord, ce n’est pas mon ami. Ensuite… Ensuite, je n’ai rien à dire.
Elle se leva, estimant que la conversation avait assez duré. C’est à ce moment qu’apparut Lorenzo, qui avait enfilé son manteau et s’apprêtait à sortir.
— Alors, vous avez eu une nouvelle dispute ? demanda-t il, l’air désolé. Mais comment as-tu pu laisser partir ton fiancé, Emma ? Il n’a même pas pris le temps de manger !
— Ce n’est pas mon fiancé, rétorqua Emma d’un ton exaspéré. Qu’on se le dise une fois pour toutes : Pierce Redfield et moi ne sommes pas fiancés !
Elle avait articulé chaque syllabe de sa protestation avec une véhémence obstinée.
En entendant le nom de celui qui n’était pas le fiancé d’Emma, Liz Morrison parut stupéfaite.
— C’était Pierce Redfield ? s’étonna-t elle, abasourdie. Le célèbre homme d’affaires dont tout le monde parle ?
Liz avait eu des échos sur le personnage en jetant un œil sur la presse financière que lisait régulièrement son mari. Le nom du richissime homme d’affaires y revenait souvent. Epoustouflée, Liz fixait Emma d’un regard ahuri.
— Pierce Redfield, murmura-t elle d’une voix blanche. Mais c’est fou, ça, Emma ! Comment as-tu pu ?
— Nous ne sommes pas fiancés, conclut froidement Emma.
Emma ne pouvait dormir. Qui aurait pu dormir avec le vacarme que l’on entendait à l’étage au-dessus, chez Lawrence ? Qu’était il donc en train de faire ? Quelque temps auparavant, elle avait entendu le rire cristallin d’une fille, le rire d’une fille pincée ou chatouillée. Puis ce furent des meubles remués, des objets qui tombaient sur le plancher avec un bruit sourd… Lawrence n’avait décidément aucun respect pour ses voisins. Il vivait à son rythme, n’hésitant pas à mettre une assourdissante musique de rock à 2 heures du matin.


Emma se tournait et se retournait dans son lit, exaspérée de ne pouvoir trouver le sommeil. Elle se leva brusquement. Une tasse de thé lui ferait du bien. Elle enfila un peignoir et des mules, et passa dans sa toute petite cuisine.
Tandis que l’eau chauffait, elle jeta un coup d’œil désabusé sur les murs. Elle les avait repeints six mois seulement auparavant, et ils étaient déjà marqués par l’humidité, avec de larges plaques grises çà et là. Il aurait fallu refaire complètement la peinture, mais son propriétaire se révélait étonnamment lent lorsqu’elle lui faisait des demandes concernant ce genre de travaux.
Elle sortit d’un placard un sachet de thé orné d’une jolie jonquille. Elle plongea le sachet dans la tasse qu’elle avait remplie d’eau bouillante, tourna la cuiller, et attendit. Elle entendait encore la musique à l’étage du dessus. Lawrence devait jubiler à la perspective d’aller vivre en Cornouailles. Il avait finalement réussi à obtenir ce qu’il voulait. Son père avait cédé. Pourquoi ? C’était un mystère. Avait elle eu un rôle dans ce revirement ? Quoi qu’il en soit, elle considérait à présent que sa relation avec Lawrence était terminée. Ils s’étaient à peine dit deux mots après qu’il avait suggéré qu’elle était ou lesbienne, ou frigide. Finalement, elle ne pouvait que se réjouir de cette séparation. Leur amitié reposait sur des bases fausses. Le jeune homme s’était servi d’elle. Comme il s’était servi de son père. Opportuniste, intéressé, sans scrupule, Lawrence n’était en définitive qu’un personnage falot et immature que l’on pouvait quitter sans regret.
Pierce, lui, était quelqu’un d’infiniment plus intéressant. « Pierce » ! Elle songea qu’elle venait de penser à lui en l’appelant par son prénom. Comment était-ce possible, alors qu’elle l’avait rencontré en tout et pour tout deux fois ? Et l’on ne pouvait pas dire que ces deux rencontres avaient été des réussites !
Assise devant la petite table de la cuisine, elle avalait son thé par petites gorgées successives, perdue dans ses pensées.
« Pierce Redfield n’est pas un homme pour moi », songea-t elle, le front barré par une petite ride soucieuse. D’abord, il est riche, beaucoup trop riche. Ensuite, il est trop sûr de lui, trop directif, trop arrogant. Et, enfin, il est trop beau. Comment se faisait il qu’il se soit intéressé à une fille comme elle ? Cela la dépassait. Avait il voulu jouer avec ses sentiments ? Ou avait il cherché une distraction, un jour où les cours de la Bourse s’étaient révélés moroses ? Pourquoi s’était il déplacé jusqu’au restaurant où elle travaillait ? Certes, c’était son chauffeur qui l’y avait conduit, mais cela supposait tout de même, à la base, un intérêt, tout au moins une certaine curiosité…
Elle passa machinalement une main dans ses cheveux défaits, incapable de résoudre l’énigme Pierce Redfield. Comment un homme tel que lui pouvait il trouver un quelconque intérêt à une jeune femme aussi modeste, aussi banale qu’elle ?
La première relation qu’elle avait vécue, juste après ses dix-neuf ans, avait été un véritable fiasco. L’homme qu’elle fréquentait dirigeait un cours d’économie à l’université où elle s’était inscrite. Il lui avait assuré qu’il était divorcé et qu’il vivait seul. Mais, au bout de trois mois, Emma s’était rendu compte de la triste réalité : il était marié, père de deux enfants, et menait une vie familiale somme toute assez heureuse. Emma n’avait été pour lui qu’une distraction, une gourmandise dans son existence. Après cette amère expérience, Emma n’avait pas cherché à rencontrer d’autres hommes. Sa solitude ne lui pesait nullement. Elle avait quitté l’université et, suivant les conseils de son amie Fleur, elle avait commencé à travailler au restaurant L’Avenue.
Six ans après, elle était toujours là, et heureuse d’y être, sachant que, dans la vie, il n’est pas indispensable d’être millionnaire ou ingénieur en aéronautique pour être heureux. « Je suis utile, moi aussi, et j’ai des responsabilités dans le modeste univers qui est le mien », se disait elle parfois.
Elle entendit des coups sourds qui résonnaient au plafond, chez Lawrence. Mais à quoi s’amusait il donc à 3 heures du matin ?
Elle décida d’en avoir le cœur net et monta à l’étage du dessus. Elle sonna de manière appuyée à la porte de Lawrence. Lorsqu’il ouvrit la porte, son visage s’illumina.
— Ma chérie ! Quel bonheur de te revoir ! Entre donc…
— Mais qu’est-ce que tu fabriques ? Tu fais un bruit d’enfer ! Je ne sais pas si tu t’en rends compte, mais tu empêches tout le monde de dormir.
— Tu te rappelles Le Penseur, de Rodin ? Je suis en train de sculpter une variante du personnage.
Tout excité, il la mena devant son œuvre qui était en cours d’élaboration et avait la forme d’une vague boule où l’on décelait un bras avec un poing levé.
— J’ai intitulé mon œuvre : Le penseur pense à autre chose. C’est génial, non ?
Emma avait l’impression d’être en plein cauchemar. La masse de glaise qui se trouvait devant elle était inconsistante, molle, affreuse, avec ce bras et ce poing qui émergeaient stupidement.


— C’est pour ça que tu déranges tout le monde ? marmonna-t elle, irritée, en désignant l’agglutinement gélatineux. Il ne t’est pas venu à l’esprit que ta musique et tes projections brutales de glaise ou d’outils sur le plancher empêchent un certain nombre de gens de dormir ! Des gens qui doivent se lever tôt, le matin, pour aller travailler !
— Je suis désolé, ma chérie, mais je… Oh, pendant que j’y pense, est-ce que je peux te demander de parler moins fort ? Il y a dans la chambre une fille d’un naturel assez jaloux, qui n’aimerait pas que je reçoive une jeune et belle femme en robe de chambre vaporeuse et légère… Tu comprends, Vicky est tellement sensible… Peux-tu faire un peu moins de bruit ?
Emma hocha la tête en riant. Elle était rassurée. Elle comprenait que Lawrence l’ait remplacée si facilement. La séparation n’en serait que plus facile. Et il n’allait plus pouvoir lui faire le coup de l’inconsolable cœur brisé. Qu’il aille au plus vite en Cornouailles, et bon débarras ! Une fois Lawrence disparu, elle pourrait enfin retrouver de bonnes nuits de sommeil.
— Je voulais te dire, aussi, Emma…, reprit Lawrence d’un ton humble. Je suis tout à fait désolé pour ce que je t’ai dit l’autre jour. C’était très injuste, je le sais. Mais j’étais si déçu par l’échec de ta tentative auprès du vieux…
— Il n’est pas vieux ! s’écria Emma, indignée. Quelle vilaine expression !
— Je l’admets. Il faut avouer que, pour quarante-deux ans, il ne se débrouille pas mal…
« Je lui en aurais plutôt donné trente-cinq », se dit Emma, un sourire rêveur aux lèvres.
— En tous les cas, il a l’air très jeune, ajouta Emma. On ne dirait pas qu’il est ton père.
— Tu prends sa défense, maintenant ?
— Je ne prends la défense de personne. D’ailleurs, ton père n’a pas besoin qu’on le défende. Il est suffisamment solide.
Le regard de Lawrence se fit soudain différent. Il ressemblait à présent à un épagneul qui réclame une caresse. Il tourna brièvement la tête vers la chambre où se trouvait sa petite amie et chuchota à la manière d’un conspirateur :
— Pourquoi ne viendrais-tu pas avec moi en Cornouailles ? Il n’y a que toi qui me comprennes. L’autre, là-bas…
Il tourna de nouveau à demi la tête.
— … Elle est gentille, mais elle est assez stupide dans son genre. Viens avec moi, Emma. On sera tellement bien, là-bas, toi et moi…
Réprimant une grimace, Emma se força à sourire, par politesse.
— Tu sais bien que je ne le peux pas, Lawrence. Il faut que je m’occupe de ma grand-mère qui ne va pas bien. Elle va bientôt subir une grave opération à l’hôpital.
Le jeune homme prit l’air boudeur des enfants à qui l’on refuse un bonbon. Il insista d’une voix geignarde :
— Il faut que tu viennes me voir, quand je serai installé.
— Pourquoi pas, répondit elle d’un ton vague. On verra…
Comme elle s’apprêtait à tourner les talons, elle reprit d’une voix nette :
— Oh, Lawrence… J’oubliais…
— Oui, ma chérie ?
— Dans les jours qui viennent, et avant ton départ, pourras-tu baisser le niveau sonore, chez toi ?
— Tout ce que tu veux ! C’est promis, assura-t il avant de l’embrasser sur la joue.
Tandis qu’Emma descendait l’escalier, elle frotta sa joue, machinalement, comme on le fait pour ôter une salissure.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 14-04-10 12:55 PM

chapitre 4


— Emma ! Il est là…
En entendant l’exclamation de Liz, Emma comprit immédiatement de qui il s’agissait.
— Tu as dû lui faire forte impression, chuchota Liz, surexcitée. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’il soit venu avec une femme, cette fois-ci.
A quoi jouait il encore ? se demanda Emma, déstabilisée. S’il s’agissait d’un jeu, il n’était pas drôle. Emma ne souhaitait qu’une chose : que ce monsieur sorte de sa vie au plus tôt. Qu’il disparaisse, et qu’on n’entende plus parler de lui.
— Il a passé sa commande ? demanda machinalement Emma d’une voix sans entrain. Il veut déjeuner ?
— Non, il est venu pour admirer les murs… Allons, Emma, réveille-toi ! A ton avis, lorsque les gens entrent dans un restaurant, sont ils là pour autre chose que manger ?
— Avec Pierce Redfield, on peut s’attendre à tout, rétorqua Emma, sur la défensive.
— Il a insisté pour que ce soit toi qui t’occupes de lui, précisa Liz en clignant de l’œil de manière complice. Alors, va donc lui apporter le menu.
Liz saisit deux menus dans leur bel entourage de cuir et les mit d’autorité dans les mains d’Emma. Celle-ci protesta immédiatement d’une voix sourde et suppliante :
— Non, Liz. Je t’en prie. Dis-lui que je ne suis pas là… Que je suis occupée… Que je suis chez le dentiste… N’importe quoi. Mais envoie quelqu’un d’autre. Je n’ai pas envie de le voir… S’il te plaît !
Liz fixa Emma de manière si sévère que cette dernière, vaincue, se résigna à céder.
— D’accord, Liz. J’y vais.
Lorsqu’elle arriva au niveau de la table où s’étaient installés Redfield et la belle jeune femme qui l’accompagnait, Emma fit un effort surhumain pour esquisser un vague sourire. Elle eut l’impression que ses lèvres se craquelaient dans sa tentative désespérée de paraître affable.
— Oh, mais voici notre serveuse favorite ! lança Redfield en dardant sur elle son regard bleu azur.
Il examinait avec un intérêt manifeste chaque détail des vêtements de la jeune femme, chaque courbe de son corps, appréciant la perfection de l’ensemble. Emma se mit à rougir. Elle dut une nouvelle fois rassembler tout son courage avant de lancer d’un ton aussi dégagé que possible :
— Vous voici de retour, monsieur Redfield… Quel bon vent vous amène ?
— Ne connaissez-vous pas la réponse, chère mademoiselle ? Ne devinez-vous pas pourquoi je suis revenu ?
— Pierce m’a dit que L’Avenue était un restaurant réputé, intervint la ravissante blonde qui accompagnait l’homme d’affaires. La nourriture est elle vraiment bonne ?
« Quelle naïveté ! », pensa Emma. Lorsqu’on pose ce genre de question à des restaurateurs, que vont ils répondre ? Que les plats qu’ils préparent ne sont pas si bons que cela ? Qu’on risque de tomber malade après y avoir goûté ?
— Nos clients sont toujours satisfaits, répondit poliment Emma. C’est la raison pour laquelle ils nous sont fidèles.
— Fidèles ? reprit Pierce avec un sourire entendu.
Emma avait le sentiment d’être écarlate, à présent. Elle aurait donné n’importe quoi pour se trouver à mille lieues de là.
— Que nous recommandez-vous, aujourd’hui ? demanda Pierce d’un air gourmand en survolant le menu.
Emma frissonna, saisie d’effroi.
— Ce que je vous recommande ? répéta-t elle d’une voix hésitante.
— Oui, reprit Redfield, l’air guilleret. Conseillez-nous un peu !
— Préférez-vous une viande, ou êtes-vous plutôt portés sur les plats végétariens ? hasarda Emma.
— Vous n’avez pas de poisson ? interrogea la créature blonde en arrondissant ses jolies lèvres peintes d’un rouge vermillon.
— Si, bien sûr. Nous avons aujourd’hui une excellente bouillabaisse. Nous avons également de la lotte, préparée avec une sauce légère à la crème et au muscadet.
Emma avait l’impression d’être une jeune recrue de l’école hôtelière qui fait semblant de jouer son rôle devant des examinateurs sourcilleux. Elle était terriblement mal à l’aise, tandis que Redfield semblait prendre un malin plaisir à la tourmenter.
— Caroline, dit il à sa compagne. Cela vous dit, de la lotte ?
Cette femme serait prête à manger des yeux de mouton s’il le lui proposait, se dit Emma. Et crus, de surcroît !
Comme la visiteuse approuvait d’un signe de tête, Redfield ajouta d’une voix suave :
— Nous prendrons deux salades variées, avant la lotte. Et puis vous nous apporterez un château…
Il consulta la carte et désigna un grand cru de bordeaux, le meilleur de la maison. Il connaissait manifestement les vins. Emma, qui n’en pouvait plus, attendait avec une impatience grandissante qu’on en finisse avec la commande. Comme elle voyait que le regard de Redfield s’attardait nonchalamment sur la carte, elle finit par demander d’une voix nouée :


— Ce sera tout ?
— Oui, je vous remercie, répondit Redfield dont les yeux étaient maintenant fixés sur elle.
Emma reprit les menus. Elle s’apprêtait à tourner les talons lorsque Redfield saisit sa main d’un geste vif.
— Oui ? fit Emma, le cœur battant.
Caroline, qui était absorbée par la recherche de quelque chose au fond de son sac, ne semblait pas avoir remarqué la scène.
— J’aimerais vous parler cinq minutes, lorsque nous aurons terminé notre déjeuner, murmura Redfield.
Désarçonnée, Emma bredouilla une vague protestation.
— Je ne… C’est-à-dire… Nous avons beaucoup de travail, et je ne pense pas avoir le temps… On peut remettre ça à plus tard ?
— Non.
Il gardait sa main prisonnière dans la sienne, et Emma sentait la caresse subtile du pouce de Pierce contre sa peau, ce qui la troublait jusqu’au vertige. Le pouce effectuait avec lascivité des ronds sur un tout petit carré de peau, mais c’était comme s’il avait caressé son corps entier : le dos, la nuque, les jambes… C’était à la fois divin et diabolique. La tête d’Emma lui tournait, tandis que Pierce semblait prendre un malin plaisir à la déstabiliser.
Redfield la fixait de manière ensorcelante.
— Alors ? demanda-t il d’une voix douce. Nous sommes d’accord ? Cinq minutes. Cinq minutes seulement.
Elle fit « oui » d’un simple mouvement de tête et s’enfuit, les menus sous le bras.
— Vous aviez raison, Emma. On mange remarquablement bien dans votre restaurant.
Emma se dit que lorsqu’elle rapporterait cet éloge à Liz, celle-ci serait sûrement aux anges.
Redfield et Emma faisaient quelques pas dans le square qui était proche du restaurant. Des fragrances d’automne chatouillaient délicieusement leurs narines. Il y avait dans l’air une douceur rare pour cette époque de l’année. L’atmosphère donnait envie d’être heureux, insouciant.
Mais Emma n’était ni heureuse ni insouciante. Cette escapade ordonnée de manière quasi dictatoriale par Redfield la mettait mal à l’aise. Que voulait il d’elle ? Que cherchait il ? Une brève aventure ? Probablement. Mais elle ne voulait pas de cela. Elle n’accepterait en aucune manière de remplir le rôle de poupée avec qui l’on joue et que l’on jette après usage.
— Que voulez-vous au juste, monsieur Redfield ? Le service n’est pas terminé, au restaurant, et mes patrons vont voir cette échappée d’un mauvais œil…
— Certainement pas. Ils seront enchantés de vous savoir avec un client comme moi.
Que répondre à une déclaration aussi péremptoire ? Emma se dit que ce n’était pas la modestie qui étouffait cet homme. L’esprit monarchique dépassait bel et bien les grilles de Buckingham Palace.
— Très bien, soupira Emma. Vous allez pouvoir me dire ce que vous attendez de moi. Pourquoi teniez-vous tellement à cette entrevue ?
— Je pars pour Paris le week-end prochain, pour un rendez-vous d’affaires. J’aimerais beaucoup que vous veniez avec moi.
Emma se demanda si elle avait bien entendu. Son esprit ne parvenait pas à enregistrer l’information : comment un homme tel que Pierce Redfield pouvait il avoir envie de l’emmener, elle, en voyage ?
— Je ne suis pas sûre de vous avoir bien compris, monsieur Redfield, répondit elle d’un ton modeste.
Pierce, de plus en plus séduit par cette merveilleuse jeune femme, sentait qu’il allait être au désespoir s’il n’arrivait pas à la convaincre. Il fallait qu’elle accepte de venir à Paris avec lui ! Pour l’instant, elle était sur ses gardes, ce qui la rendait plus attrayante encore. Comment la faire fléchir ?
— Je vous demandais simplement si vous accepteriez de m’accompagner à Paris pour le week-end, expliqua Pierce avec un sourire engageant.
— A quel titre ? demanda-t elle avec une spontanéité ingénue.
Pierce éclata de rire. La formule l’amusait énormément. Cette Emma était décidément irrésistible.
— Qu’y a-t il de si amusant ? s’étonna Emma, déconcertée.
— Excusez-moi, Emma, mais vous avez une telle façon de réagir… C’est tellement charmant ! A quel titre ? me demandez-vous. A votre avis, à quel titre viendriez-vous avec moi ?
L’esprit en pleine confusion, Emma essayait d’y voir clair dans cette situation tout à fait insolite. L’un des plus célèbres séducteurs de Grande-Bretagne lui proposait — à elle — de l’emmener à Paris — pour la séduire, évidemment. C’était tellement inattendu, tellement surprenant qu’elle ne parvenait pas à trouver les mots pour répondre.
— Je pense que vous faites erreur sur la personne, monsieur Redfield, murmura Emma d’une voix mal assurée.
Les joues de la jeune femme étaient devenues toutes roses.
— Que faites-vous de cette dame qui est venue déjeuner avec vous ? reprit elle d’un air sourcilleux.
— Caroline ? Mais elle n’est pas ma petite amie. C’est la femme de mon meilleur ami. Je l’ai invitée à déjeuner, parce qu’elle n’avait rien à faire à cette heure.


« Et je l’ai amenée avec moi dans l’espoir un peu vague de vous rendre jalouse », pensa Pierce.
Emma réfléchissait en fronçant les sourcils.
— Ecoutez, dit elle enfin, c’est très gentil d’avoir pensé à moi pour ce voyage, mais je n’ai pas envie de venir. Bon voyage tout de même.
Comme elle s’apprêtait à faire demi-tour pour réintégrer le restaurant, Pierce, le cœur serré, tenta de la retenir. Il saisit son poignet pour l’empêcher de partir.
— Attendez, Emma. Une seconde !
Le souffle court, Emma tenta de dégager sa main. Mais Pierce l’avait attirée tout contre lui. Et c’est d’une voix anxieuse qu’il demanda :
— M’avez-vous menti à propos de Lawrence ?
— Que voulez-vous dire ? rétorqua-t elle en tentant désespérément de se dégager.
— Est-ce lui que vous avez en vue ?
— Mais non ! s’exclama-t elle avec véhémence. Vous n’y êtes pas du tout. Sachez, monsieur Redfield, que je ne suis aucunement à la recherche d’un compagnon. J’ai déjà bien assez de soucis comme ça dans ma vie personnelle, sans avoir besoin d’en rajouter.
Elle s’arracha à son étreinte et frotta son poignet douloureux.
Redfield demeura un moment silencieux, le visage marqué par la déception et la consternation. Puis il murmura d’une voix douce :
— Je suis désolé, Emma. Je ne voulais pas vous faire de mal.
Comme elle continuait à se frotter mécaniquement le poignet, il ajouta d’un ton humble :
— Je vous demande de me pardonner.
Bouleversée, Emma se sentait près de fondre en larmes. « Allons, ce n’est pas le moment de pleurer, se dit elle. Sois forte. »
— Ce n’est pas grave, assura-t elle d’une voix sans timbre. J’ai mon franc-parler. C’est à moi de m’excuser : j’ai réagi trop vivement.
— Non, non. Vous aviez raison…
Emma, très remuée par le changement qui venait de se produire dans l’expression de Pierce Redfield, posa sans réfléchir une main sur son bras dans un geste d’apaisement. Elle sentit aussitôt un muscle ferme jouer sous la douceur de l’étoffe. Se déclencha alors en elle une vague de chaleur inattendue.
Pierce attira Emma contre lui avec une fougue irrépressible, et elle se laissa enivrer par un baiser passionné. En un éclair, elle fut transportée dans un autre monde, dans un univers délicieux composé de désir, de plaisir et d’amour. Ce fut pour elle une plongée, un transport, une épopée, un voyage tellement enivrant qu’elle eut l’impression de rêver. Elle s’était donnée sans restriction à cet homme qu’elle connaissait à peine, guidée par son instinct.
Lorsqu’elle reprit conscience, elle constata une dichotomie en elle : son esprit lui commandait de s’arracher à cette folle étreinte, alors que son corps tout entier se plaquait voluptueusement contre l’homme qui manifestait son désir de façon tout à fait perceptible à travers l’étoffe de son vêtement. Et cette ardeur déclenchait en elle un torrent d’émotions nouvelles, inattendues et délicieuses.
Les lèvres de Pierce caressèrent encore un instant celles d’Emma, puis il s’écarta doucement d’elle. Il eut un sourire étrange. Ni victorieux, ni goguenard, ni railleur. Non : un simple sourire attendri.
— J’aime le goût sucré de votre bouche, Emma. C’est étonnant, parce que je ne suis pas un fanatique des desserts sucrés. Mais votre bouche…
Tout admiratif, il laissa la phrase en suspens.
— Ah !… J’oubliais, murmura-t il un instant plus tard.
Il sortit de sa poche une enveloppe assez épaisse, couleur rouge et or, portant le signe de la première classe d’une compagnie aérienne.
— Venez avec moi à Paris, murmura-t il d’un ton vibrant. Je vous en prie, Emma. Nous nous retrouverons dans le salon des premières classes samedi à 7 heures.
Et il disparut comme par enchantement.
Après le départ de Pierce Redfield, Emma était restée un bon moment sans réagir, incrédule, à fixer l’enveloppe qu’il lui avait donnée.
Elle avait fait et défait plusieurs fois sa valise, hésitant entre le oui et le non, l’acceptation et le refus. Incapable de se décider, elle appela Liz, qui était toujours de bon conseil.
— Liz, je crois que je ne vais pas y aller, finalement.
Emma avait expliqué auparavant la situation à Liz, et cette dernière s’était montrée tout à fait positive, emballée même, à l’égard de cette proposition de voyage faite par Pierce Redfield.
La réaction de Liz, au bout du fil, fut immédiate :
— Comment ça, tu crois que tu ne vas pas partir ? Sois positive, Emma, enfin ! Ne te referme pas sur toi-même !
Emma continuait à se demander comment un homme tel que Pierce Redfield, qui avait tout pour lui : la fortune, le charme, la réussite, pouvait s’intéresser à une fille comme elle. Les femmes qu’il avait l’habitude d’inviter étaient très différentes d’elle : de belles créatures sophistiquées, habituées au luxe, s’habillant chez les meilleurs couturiers, des femmes qui plaisaient aux hommes, qui savaient les flatter, les séduire, les accompagner en société… Emma se sentait à mille lieues de ce monde-là. Qu’aurait elle à lui raconter au cours de ce voyage, si elle se décidait à partir ?


— Je connais à peine cet homme, Liz, avoua-t elle d’une petite voix.
— Enfin, Emma, sois lucide : il a un faible pour toi, c’est évident. Sinon, il ne serait pas venu deux fois de suite au restaurant ! C’est un monsieur tout à fait respectable, un homme d’affaires brillant, avec une réputation excellente. On ne dit pas non à quelqu’un comme ça ! En tous les cas, tu n’as rien à craindre de lui.
Emma se rappela le baiser qu’ils avaient échangé dans le square près du restaurant, ce merveilleux baiser qui l’avait fait vibrer comme personne n’avait su le faire jusqu’à présent.
Pourtant, elle n’arrivait pas à se décider. Une sorte de gêne la retenait encore.
— Nous n’avons probablement rien en commun, plaida-t elle en soupirant.
— Ce n’est pas si sûr que cela.
— En te téléphonant, Liz, j’espérais que tu m’aiderais à abandonner cette perspective de voyage. Au lieu de cela, tu m’encourages ! Comment veux-tu que…
— Emma, gronda Liz, vas-tu enfin te décider à sortir de ta coquille ? Tu es une fille formidable. Tu ne vas pas faire éternellement le métier de serveuse, ni gâcher ta jeunesse. Profite de la vie. Une magnifique opportunité se présente à toi, ne la rate pas ! Il faut prendre des risques, dans la vie ! Il faut sortir de ses petites habitudes, de son train-train ! Autrement on se racornit, et, un jour, on se réveille, tout vieux, tout rabougri, avec tous ses rêves de bonheur derrière soi.
Liz, enflammée par son exhortation, fit une pause, puis demanda d’une voix douce :
— Tu comprends ?
Emma, les larmes aux yeux, renifla un peu et murmura :
— Oui, Liz. Je crois que je comprends.
— J’ai téléphoné à Fleur, à Paris. Elle est tout excitée à l’idée de te revoir. Elle veut absolument que tu l’appelles lorsque tu seras arrivée à ton hôtel.
L’hôtel. Encore un problème. Il fallait voir la réalité en face : si elle acceptait de faire ce voyage avec Pierce Redfield, elle acceptait tacitement d’aller à l’hôtel avec lui, c’est-à-dire de dormir avec lui. La seule idée du grand lit à partager lui donna des frissons. Le front moite, elle songea que son expérience avec les hommes se réduisait à presque rien. Elle repensa également une nouvelle fois à cet enlacement fougueux dans le petit square, et sut qu’elle était faite comme la plupart des femmes : de chair et de sang. Il lui faudrait simplement faire tomber les murs que tant d’années d’abstinence avaient érigés. Le reste devrait aller tout seul, se dit elle. Un coin de ciel bleu s’ouvrait pour elle dans le gris de son existence.
Elle demanda d’une voix émue :
— Alors, tu crois que je devrais accepter ?
— Evidemment. Tu verras : tu ne le regretteras pas. Et, s’il y avait le moindre problème, tu sais que tu peux toujours m’appeler, moi ou même Adam.
— Merci, Liz, murmura-t elle, les yeux humides. J’apprécie vraiment ce que tu fais pour moi.
— As-tu parlé de ce voyage à ta grand-mère ?
Les yeux d’Emma tombèrent machinalement sur le patchwork qui recouvrait son lit, un travail patiemment effectué par sa grand-mère, un joli cadeau…
— Oui. Elle a été enchantée pour moi. Elle m’a dit que, pour une fois, j’avais l’occasion de faire quelque chose de passionnant pendant le week-end, au lieu de venir m’occuper d’elle comme d’habitude. Elle m’a assuré que cela ne posait aucun problème, car sa voisine, Pam, lui a proposé de faire un tour, de temps à autre, pour voir si tout va bien.
— Donc, rien ne te retient de faire ce voyage ? En dehors de ta timidité, j’entends.
— Non, rien, avoua Emma.
— Alors, n’hésite plus, ma chérie. Tiens-moi au courant s’il y a un changement quelconque. Je te souhaite un merveilleux voyage.


Liz raccrocha et Emma resta un long moment avec le récepteur en main, toute pensive. Puis elle empila soigneusement les vêtements dans sa valise.
Sa décision était prise : elle accompagnerait Pierce Redfield à Paris.
Pierce vérifia l’heure à sa montre et fronça les sourcils. Il arpenta un moment le salon de la première classe de l’aéroport d’Heathrow, à la manière d’un jeune père qui fait les cent pas à la maternité. Puis il regarda une nouvelle fois l’heure.
Allait elle venir ? Il n’avait eu aucune nouvelle d’elle, après leur rencontre dans le square où il lui avait laissé le billet d’avion. Pas de nouvelle, bonne nouvelle, dit-on généralement. Certes, mais il aurait bien aimé, tout de même, recevoir un coup de fil, même bref, de la part d’Emma. Il avait laissé à Fiona, sa secrétaire, des instructions très précises. Si une personne nommée Emma Robards l’appelait, il fallait immédiatement lui passer la communication, même s’il était en plein conseil d’administration. Mais il n’avait reçu aucun signe de la jeune femme durant ces trois jours, ce qui le préoccupait quelque peu.
A mesure que l’heure de l’embarquement se rapprochait, il se sentait de plus en plus inquiet. Inquiet, lui ? Voilà qui était nouveau. Il n’avait pas l’habitude de ressentir la moindre nervosité à l’approche d’un rendez-vous. Mais, de manière étrange, Emma avait fait naître en lui un sentiment inconnu, auquel il n’était absolument pas habitué.
Il se dit que, si la jeune femme ne venait pas, il ferait ce voyage en solitaire. La perspective d’être seul à Paris, sans elle, le glaça. Comme il ruminait de sombres pensées, il aperçut son chauffeur à travers la vitre de séparation du salon d’attente. Miles venait à sa rencontre à pas vifs.
Le cœur battant, Pierce pensa que son chauffeur arrivait pour lui dire que Mlle Robards ne pouvait venir. Quelle ne fut pas sa surprise d’apprendre que la jeune femme venait de s’enregistrer au comptoir et qu’elle arrivait dans quelques instants.
Il poussa un soupir de soulagement et remercia Miles d’un sourire. Puis il se laissa tomber dans l’un des profonds fauteuils et entama la lecture d’un journal financier, l’esprit rassuré, le cœur paisible.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 14-04-10 12:58 PM

chapitre 6


Le cœur d’Emma, lui, battait à tout rompre tandis qu’elle courait vers le salon réservé aux premières classes, craignant de ne pas être à l’heure. Elle avait été retardée par les embouteillages à l’approche du principal aéroport de Londres, et c’est à bout de souffle qu’elle pénétra dans l’espace privilégié où l’attendait Redfield.
Lorsqu’elle le vit qui se levait pour aller à sa rencontre, elle éprouva un sentiment de panique, et fut près de faire demi-tour. C’était tout à fait étrange : cet homme faisait naître en elle des envies de fuite, et en même temps il déclenchait au plus profond de son être une émotion fulgurante, un feu incontrôlable. Il possédait une aura si puissante qu’elle avait le sentiment qu’en tendant la main elle pourrait palper cette onde qui semblait flotter autour de lui et vibrer intensément.
Elle remarqua immédiatement la qualité de son costume, sa tenue parfaite et son style inimitable. Elle avait choisi quant à elle ce qui lui semblait le plus approprié pour un voyage à Paris : un manteau beige, assez simple, mais de bon goût, et une robe assez chaude qui s’harmonisait très bien avec un chandail léger à l’échancrure très sage. Emma adorait les beaux vêtements, mais n’avait pas la possibilité de s’offrir une garde-robe complète en raison des restrictions financières qu’elle s’imposait. Avec son salaire modeste de serveuse, elle parvenait tout juste à payer son loyer, à se nourrir correctement et à mettre un tout petit peu d’argent de côté pour l’opération de sa grand-mère.
Lorsqu’elle passa la porte du salon, Redfield vint tout près d’elle, un sourire chaleureux aux lèvres. Ses yeux brillaient d’un éclat surprenant.
— Vous êtes venue ! commenta-t il sobrement, d’un ton presque bourru qui contrastait étrangement avec le rayonnement de son visage.
— Je ne sais pas pourquoi, répondit elle, tout essoufflée, tremblante d’émotion.
Pierce, qui avait du mal à contenir sa joie, la considérait avec délectation. Elle ressemblait à une jeune biche effrayée surgissant à l’orée d’une forêt et prête à bondir. Il le devinait : Emma semblait prête à courir vers la sortie de l’aéroport pour disparaître à jamais. La dernière chose qu’il souhaitait, c’était justement de l’effrayer. Il comprit qu’il ne fallait absolument pas la brusquer. Lorsqu’elle était venue dans son bureau, le premier jour, elle lui avait paru bien plus héroïque. Elle accomplissait alors, en quelque sorte, une mission délicate, à la manière des commandos en temps de guerre. Elle avait été très courageuse. Aujourd’hui, elle était manifestement dans un tout autre état d’esprit.
Il lui proposa un siège et s’assit à côté d’elle. L’embarquement n’allait pas tarder, mais ils avaient encore quelques minutes devant eux. Il lui demanda d’un ton léger :
— Vous connaissez Paris ?
— Oui. J’y suis allée une fois pour accompagner ma meilleure amie qui s’appelle Fleur. Elle s’installait à l’époque dans la capitale pour travailler chez un grand couturier.
— Elle y vit toujours ?
— Oui. Et j’espère la voir.
— Très bien. Vous pourrez profiter des moments où je serai pris par mes réunions de travail. Mon chauffeur, qui prend l’avion lui aussi, a réservé une voiture à Paris. Il sera à votre disposition pour tous vos déplacements.
— Il pourra me conduire chez Fleur ?
— Naturellement. Il vous conduira où vous voulez pendant que je serai occupé. Mais, rassurez-vous, nous aurons tout de même un peu de temps à nous.
Loin de rassurer Emma, cette petite phrase, au contraire, l’affola. Elle redoutait les moments où elle se retrouverait en tête à tête avec ce personnage qui l’intimidait et qu’elle connaissait si peu ! Et dire qu’elle allait, le temps d’un week-end, partager la vie de cet étranger !
— Je suis si heureux que vous soyez avec moi ! confia Pierce d’une voix chaude en posant sa longue main sur son bras.
Le contact de sa main déclencha une nouvelle vague d’émotions qui parcoururent tout son corps. Effrayée, Emma se demanda comment elle allait pouvoir passer deux jours avec un homme qui provoquait un tel trouble en elle. Comment allait elle pouvoir, après ce séjour, revenir à la banalité du quotidien ?
En entrant dans le hall du grand hôtel donnant sur la place de la Concorde, Emma fut immédiatement éblouie par la beauté et le luxe des lieux. Des meubles Louis XV, des appliques en cristal de Baccarat, des marbres de Venise, des tableaux du XVIIIe siècle, tout le mobilier et le décor offrait au visiteur une vision féerique.
Les clients de l’hôtel allaient et venaient, préoccupés avant tout par leurs affaires, et ne semblaient nullement impressionnés par le somptueux décor. Emma se serait attendue à croiser des princes et des princesses, mais ces clients ressemblaient exactement aux gens qui vont au supermarché ou qui prennent le métro. En fait, le seul client qui avait l’air princier était Pierce Redfield. Il dominait tout le monde d’au moins une demi-tête, et sa démarche stylée suscitait la curiosité des gens qui se retournaient sur son passage. Les femmes, en particulier, le fixaient d’une façon tout à fait particulière. « Et c’est cet homme qui m’a invitée ici ! », pensa Emma, le souffle coupé.


— Nous allons monter voir la suite que j’ai réservée, expliqua Pierce. Puis il faudra, malheureusement, que je vous abandonne pour mon travail. Pendant ce temps, vous pourrez visiter Paris. Nous nous retrouverons en fin d’après-midi, ici même, si vous le voulez bien.
Elle acquiesça d’un signe de tête, impressionnée par la tenue du groom qui portait leurs valises. Elle n’avait vu de tels costumes qu’au cinéma.
Lorsque le chasseur eut ouvert la porte de leur suite, Emma découvrit avec stupeur une série de trois grandes pièces en enfilade, chacune donnant sur la plus belle place du monde. Ce n’était pas à proprement parler ce qu’on aurait pu appeler une chambre d’hôtel… Quelle magnifique suite ! Quel luxe !
— Bien, commenta flegmatiquement Redfield en glissant un billet dans la main du garçon.
Il avait jeté un bref regard circulaire et ne paraissait nullement étonné de la magnificence des lieux. Il se trouvait manifestement en territoire connu, en domaine conquis.
Il dénoua sa cravate et ouvrit son col de chemise, tandis qu’Emma, fascinée, contemplait chaque objet, chaque lampe, chaque meuble avec émerveillement. Elle avait l’impression d’être redevenue une petite fille, qui visite un musée et à qui l’on dit : « Tu regardes, mais tu ne touches pas. »
— Vous devriez ôter vos chaussures, conseilla Pierce qui se mettait lui-même à l’aise. Profitez-en pendant que vous avez un moment de libre. Vos pieds vont être mis à l’épreuve lorsque vous vous baladerez dans Paris. D’ailleurs, je vous suggère d’abandonner les escarpins à talons, si vous voulez vous promener dans la ville.
— C’est une bonne idée, répondit Emma. Pendant que vous serez à vos rendez-vous, je partirai à la découverte de cette ville que j’ai à peine eu le temps de visiter lorsque j’ai accompagné Fleur.
— Miles vous conduira où vous voulez. Je lui ai donné des instructions pour qu’il vous accompagne n’importe où et qu’il vous paye n’importe quoi.
Pierce leva un doigt en signe d’avertissement.
— Mais à une condition seulement.
Emma haussa un sourcil interrogateur.
— Laquelle ?
— Il faut que vous vous amusiez. C’est un ordre.
Et, avant qu’Emma n’ait eu le temps de lui préciser qu’elle avait de l’argent et qu’elle ne voulait pas être entretenue, il avait pris deux ou trois dossiers dans sa valise, lui avait fait un petit signe de la main, puis s’était éclipsé comme un courant d’air.
Miles, qui connaissait Paris comme sa poche, conduisit Emma dans les quartiers les plus agréables, lui faisant découvrir des rues piétonnes très animées. Il lui suggéra de contempler la capitale de haut. Pour cela, rien de tel que la tour Eiffel. Lorsque Emma eut atteint le sommet, elle ne put s’empêcher de s’exclamer :
— C’est fantastique, Miles.
Le vieux chauffeur, ravi, souriait à celle qui aurait pu être sa fille, cette charmante jeune femme qui ne faisait pas de manières et mordait dans la vie avec allégresse. Miles paraissait très heureux de ne plus avoir affaire à une de ces femmes du monde intéressées uniquement par les boutiques de luxe et les bijouteries, ces femmes qui s’étaient agrippées, un temps, au bras de Pierce, et qui faisaient toujours des simagrées. En un mot, le fidèle chauffeur appréciait le naturel et la gentillesse de la nouvelle compagne de Pierce Redfield.
Emma avait téléphoné à Fleur, et les deux amies se donnèrent rendez-vous pour déjeuner dans un bistrot non loin de la place de la Concorde. Emma proposa à Miles de se joindre à elles, mais le chauffeur, par discrétion, prétexta une course à faire, et ils convinrent de se rejoindre plus tard.
Lorsque les deux jeunes femmes se retrouvèrent, elles tombèrent dans les bras l’une de l’autre en pleurant. Cela faisait si longtemps que les deux amies d’enfance ne s’étaient revues !
Elles s’installèrent à une des jolies tables en fer forgé du bistrot, et se lancèrent sans attendre dans le récit des événements de ces dernières années.
— Il faut absolument que tu me dises qui est cet homme avec lequel tu es venue, dit Fleur, les yeux brillants de curiosité. Maman m’a dit qu’il est divinement beau, extrêmement riche, et tout à fait célibataire, c’est vrai ?
— Hum, tu sais, Fleur, je le connais à peine et…
— Il paraît qu’il est venu deux fois au restaurant, rien que pour te voir. C’est quelque chose, tout de même !
— Je t’assure que je ne…
— Au fait, dans quel hôtel êtes-vous descendus ? coupa Fleur, fébrile et agitée comme une puce.
Lorsque Emma lui eut donné le nom de leur hôtel, son amie la dévisagea avec des yeux ronds, épatée par l’information.
— C’est l’hôtel le plus chic de Paris. Le plus cher aussi. Si tu veux prendre un café, là-bas, tu dois payer une petite fortune.


Ce qui rassurait Emma, c’était que son amie ne s’offusquait nullement qu’elle soit venue à Paris avec un homme qu’elle connaissait à peine. Fleur trouvait l’aventure tout à fait excitante.
— Tu as bien fait d’accepter cette proposition de voyage, Emma, pour une fois tu sors de ton train-train londonien. Mais, dis-moi, qu’est-ce qui t’a finalement décidée à venir ?
Emma ne trouva pas de réponse spontanément. Oui, pourquoi avait elle accepté la proposition de Pierce Redfield ? En songeant à cette question, elle frissonna et repensa au baiser brûlant qu’ils avaient échangé. C’était donc cela ? Le motif secret de sa venue était il, tout simplement, le désir ? Il fallait voir les choses en face, pensa-t elle, elle devait être honnête avec elle-même. Elle avait bel et bien entrepris ce voyage pour séduire Pierce Redfield.
— Tu sais, Fleur, Pierce est tellement gentil…
Ce n’était pas la vraie réponse. Le terme « gentil » n’était vraiment pas celui qui qualifiait le mieux le personnage. Redfield était tout sauf « gentil ». Il était brillant, dynamique, passionné, subtil, et doué du regard le plus extraordinaire qu’elle ait jamais vu.
— Mais tu es tellement secrète, Emma ! s’exclama Fleur, déçue par la réserve de son amie. Tu ne m’as même pas dit comment tu l’avais rencontré… Ah, c’est frustrant, à la fin ! Je me demande, en définitive, si je vais t’offrir la merveilleuse petite robe que j’ai réussi à détourner de ma maison de couture.
Fleur lui fit un clin d’œil et désigna le grand sac couleur crème et or qu’elle avait posé sous sa chaise.
— Oh, Fleur ! Tu n’aurais pas dû ! C’est tellement gentil d’avoir pensé à moi…
— Ce sera donnant, donnant, Emma. Maintenant, raconte-moi tout, du début à la fin !
Quelques heures passées dans Paris suffirent à Emma pour tomber amoureuse de la Ville lumière. La couleur patinée des immeubles lui rappela de nombreux tableaux qu’elle avait vus dans des livres sur la peinture. Après le départ de Fleur, qui avait dû se rendre à un rendez-vous, Emma décida d’aller au Louvre. Elle insista pour que Miles l’accompagne. Ils passèrent en revue des statues sublimes, des peintures magnifiques, et restèrent de longues minutes, parmi une foule silencieuse, devant La Joconde de Léonard de Vinci. Le plus célèbre tableau du monde au cœur du plus grand musée du monde.
Après avoir parcouru bien des galeries du musée, bien des rues de la capitale, Emma sentit que ses pieds la faisaient souffrir, malgré les chaussures légères et à talons plats qu’elle portait. Elle demanda à Miles de la reconduire à l’hôtel.
Quelle fut sa surprise, quand elle poussa la porte de la suite, d’apercevoir Pierce, allongé dans une chaise longue et plongé dans magazine. Il tourna la tête et elle fut une nouvelle fois frappée par l’intensité de son regard. Il sembla même à Emma que ce regard était animé par une flamme nouvelle, une lueur ardente qui la troubla et l’embrasa secrètement. Elle sut que l’étreinte tant désirée de part et d’autre, tant attendue, n’allait pas tarder.
Dès qu’il vit Emma, Pierce fut envahi par un désir intense. Le teint frais de la jeune femme, ses joues légèrement rosies par l’air du dehors, le regard à la fois direct et mutin, qui lui rappelait un regard d’enfant, tous ces éléments formaient un adorable tableau.
Sans la quitter des yeux, il déboutonna le col de sa chemise, dénoua sa cravate, soucieux de se défaire de tous ces attributs sociaux qui le gênaient. Il lui tardait d’être totalement nu avec Emma dans les bras.
— Comment s’est passée votre réunion ? demanda Emma sur un ton léger.
Elle enleva ses souliers et massa ses pieds avec une expression de soulagement intense.
— Bah, répondit il d’un ton désabusé, une réunion de plus, ennuyeuse à souhait. Mais il fallait absolument que je fasse acte de présence. Et vous, Emma ? Vous avez passé une bonne journée ? Vous avez aimé Paris ?
— Oh, oui. Miles m’a d’abord accompagnée jusqu’au sommet de la tour Eiffel, puis j’ai retrouvé mon amie Fleur pour le déjeuner. Enfin, j’ai visité le Louvre de long en large… C’était magnifique. J’ai les pieds en marmelade, mais ça va passer. Vous avez bien fait de me déconseiller les talons, autrement je revenais sur une civière !
Il eut un rire amusé. Il se leva et s’approcha d’elle.
— Donnez-moi votre manteau. Venez vous asseoir un moment. Où est passé Miles ?
— Je lui ai dit que, en ce qui me concerne, je n’ai plus besoin de lui. Il sera dans sa chambre d’hôtel, au cas où.
— Très bien, approuva Pierce en déposant le manteau d’Emma sur un fauteuil du salon d’entrée.
« Comme elle est belle », pensa-t il en la voyant ainsi, vêtue d’une simple jupe noire et d’un pull très simple dont le tissu soyeux mettait en valeur le galbe discret de ses seins.
Le désir qui l’avait envahi dès l’arrivée d’Emma montait à présent en lui comme une sève puissante. La manifestation physique de cette ardeur se concrétisait de manière si vive qu’il en ressentit une sorte de supplice. Aucune femme ne lui avait jamais produit un tel effet. Jamais il n’avait éprouvé à ce point la violence du désir. Mais il était homme bien élevé. Il n’était pas du genre à se jeter sauvagement sur l’objet de sa passion. « Le moment viendra, soyons patient », pensa-t il en la contemplant avec ravissement.


Emma, quelque peu intimidée, gardait les bras croisés sur sa poitrine. Elle évitait les yeux de Pierce, ce regard bleu acier qui savait la transpercer comme aucun autre. Dès qu’elle posait les yeux sur cet homme, chaque cellule semblait animée d’une énergie nouvelle, mystérieuse. Comme s’il émanait de Pierce une force magique et magnétique à laquelle il était vain de vouloir résister. Emma comprit qu’elle désirait intensément Pierce.
Et celui-ci se trouvait maintenant tout près d’elle. Grand, bronzé, superbement beau, il n’avait qu’un pas de plus à faire… C’était tellement incroyable qu’elle se demanda si elle n’était pas en train de faire le rêve le plus délicieux qui soit. « Est-ce bien moi, Emma Robards, qui me trouve dans une des suites du plus bel hôtel de la plus belle ville du monde, prête à faire l’amour avec l’homme le plus désirable qui soit ? C’est tellement merveilleux qu’il doit y avoir un hic quelque part. » C’est alors qu’une méchante petite voix intérieure lui souffla : « Cet homme va te briser le cœur, méfie-toi… » Mais Emma se connaissait suffisamment pour savoir que les voix intérieures ont parfois tort. « Je vais suivre mon instinct » répondit elle à la petite voix.
Satisfaite de sa propre réponse, elle eut un sourire léger, extatique. Elle savait que plus rien, à présent, ne l’empêcherait de faire l’amour avec Pierce Redfield.
Ce dernier demeurait silencieux, mais il semblait qu’il ne tenait pas en place. Il se déplaçait, dans les pièces de leur suite, pour un rien. Finalement, il s’assit sur la petite chaise Louis XVI qui se trouvait à côté du meuble où était posé un téléphone à l’ancienne, couleur beige et or. Il décrocha le téléphone, et Emma, dont la connaissance de la langue française était plus que rudimentaires, comprit pourtant que Pierce ordonnait qu’on ne le dérange pas pendant les quelques heures qui allaient suivre.
Lorsque Pierce posa doucement le téléphone sur son socle, une folle chamade saisit le cœur d’Emma. Elle savait que le moment le plus important de sa vie était arrivé. Le chapitre qui serait probablement le plus intense de son existence allait s’ouvrir. Elle allait connaître l’amour avec un grand A. Elle en tremblait à l’avance.
Le souffle court, elle fixa Pierce.
— Avez-vous besoin de quelque chose ? proposa-t il avec douceur.
Confuse, elle haussa les épaules.
— Si j’ai besoin de quelque chose ? répéta-t elle d’une voix étranglée qui n’arrivait pas à franchir le seuil de sa gorge. Je ne sais pas ce que vous voulez dire…
— Bon, c’est à vous de me poser la question, alors, murmura Pierce avec un sourire ensorceleur.
Emma comprit enfin. Elle passa nerveusement la main dans ses cheveux en désordre et débita d’un trait sa question :
— Avez-vous besoin de quelque chose, Pierce ?
Pierce poussa un soupir de satisfaction. Il hocha lentement la tête, et murmura d’un ton suave :
— Oui, ma chérie. Il y a quelque chose dont j’ai absolument besoin. Figurez-vous que je meurs d’envie de vous toucher.

leilaelhelwa 22-04-10 11:01 AM

alors ou est la fin du livre
est ce qu'il ya sous forme pdf

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 22-05-10 12:09 PM

chapitre 7


Emma, le cœur serré, pensait à sa grand-mère. Elle aurait aimé lui parler, lui confier le bouleversement soudain de sa vie, lui ouvrir son âme. « Ma pauvre grand-mère, si tu savais comme les choses sont difficiles pour moi, en ce moment. Tu ne peux pas savoir… »
— Et si vous me parliez un peu de vous, Emma ? dit calmement Pierce tandis qu’il posait sa tasse de café sur la table.
Autour d’eux, le ballet des garçons du célèbre café allait bon train. La salle était comble, mais ils se trouvaient heureusement un peu à l’écart, dans un coin relativement tranquille.
— Qu’aimeriez-vous savoir de moi ? répondit Emma en souriant modestement.
— Il y a combien de temps que vous travaillez dans ce restaurant ?
— Six ans.
— J’imagine que le travail doit vous plaire, si vous continuez à le faire depuis tant de temps ?
— Liz et Adam, les propriétaires de l’établissement, sont vraiment très sympathiques. Ils font régner une bonne ambiance. Je n’ai pas à me plaindre.
— Il ne vous vient jamais à l’esprit que vous pourriez faire autre chose pour gagner votre vie ?
— Si, bien sûr. J’ai souvent pensé à reprendre mes études, mais ce n’est pas si simple que cela.
— Pourquoi ?
— J’ai des engagements que je dois tenir.
— Quelle sorte d’engagements ?
— Ma grand-mère est malade du cœur. Dans huit jours, elle doit subir une opération. Il faut que je m’occupe d’elle jusqu’à ce qu’elle soit rétablie. Elle risque d’en avoir pour plusieurs mois avant de pouvoir reprendre une activité normale.
Malgré elle, des larmes montèrent aux yeux d’Emma. Pierce s’en aperçut aussitôt.
— Je suis désolé, murmura-t il, compatissant.
Comme elle cherchait vainement un mouchoir en papier dans son sac, Pierce lui en tendit un. Elle essuya ses yeux avec le mouchoir délicieusement parfumé à l’eau de Cologne.
— Je suis désolée, fit elle en reniflant.
— Vous n’avez pas à être désolée. J’imagine que vous devez être très attachée à votre grand-mère.
— Oh, oui ! avoua-t elle, tout en tamponnant délicatement ses yeux.
Pierce prit familièrement sa main et la serra dans la sienne avec douceur.
— Voulez-vous que nous restions encore ici, Emma, ou souhaitez-vous rentrer à notre hôtel ?
Elle rangea en boule dans le fond de son sac le mouchoir prêté par Pierce et ferma son sac avec un sourire.
— Je suis désolée de vous avoir ennuyé avec mes problèmes, confessa-t elle.
— Vous savez quoi ? reprit Pierce avec bonhomie. Dès que nous serons à l’hôtel, vous téléphonerez à votre grand-mère pour la rassurer, pour lui dire que tout va bien.
— C’est une bonne idée, merci.
Ils restèrent un moment silencieux. Pierce avait l’air sombre et songeur. Intriguée, Emma se dit qu’elle aurait donné n’importe quoi pour connaître ses pensées. Est-ce que, par hasard, il n’aurait pas décidé de mettre fin à leur brève « liaison », si l’on pouvait qualifier ainsi leur escapade à Paris ? Ou bien s’agissait il d’autre chose ?
— Tiens, remarqua Pierce, voilà qu’il pleut.
Sur le boulevard Saint-Germain, les gens se hâtaient sur les trottoirs. Certains s’étaient abrités dans des cafés ou sous des porches d’immeubles. Emma, quelque peu gênée par le silence qui se prolongeait entre Pierce et elle, et soucieuse de détendre l’atmosphère, demanda sur un ton détaché :
— Vous ne m’avez pas parlé de votre travail, Pierce. En quoi consiste-t il exactement ?
— Je dirige une société qui est au tout premier plan sur le marché mondial. En gros, il s’agit de marchés financiers, avec toute l’architecture organisationnelle que cela sous-entend. Je pourrais être un peu plus explicite, entrer dans les détails, mais je craindrais de vous ennuyer.
— Pourquoi cela m’ennuierait il ? Pensez-vous que je ne possède pas les capacités intellectuelles pour comprendre ?
Pierce parut momentanément abasourdi, puis il eut un petit rire amusé et reprit :
— Il ne s’agit pas de ça, Emma ! Je voulais simplement dire que je ne suis pas de ces hommes qui cherchent à se faire valoir en expliquant en long et en large à quel point leur travail est important. Je ne veux pas tomber dans ce travers-là. Habituellement, je reste très discret lorsqu’on me demande ce que je fais. Disons que ma vie est séparée par une frontière. D’un côté, je mène mes affaires du mieux que je le peux, de l’autre, je mène ma vie personnelle.
Il fit une pause et lui sourit de manière énigmatique. Emma se demandait qui était, dans le fond, le véritable Pierce Redfield. Elle avait une vision très personnelle du monde des affaires, de l’argent, de ceux qui en ont et ceux qui n’en ont pas. Et c’est d’une voix sûre et tranquille qu’elle donna à Pierce son point de vue.


— Nous vivons dans un monde dominé par le pouvoir et les apparences. Les gens vous jugent non pas en fonction de ce que vous êtes au plus profond de vous-même, mais en fonction de ce que vous possédez, de votre travail, de votre voiture, de votre fortune, de votre lieu de résidence, etc.
La spontanéité, la sévérité, la lucidité de ce commentaire fit se redresser Pierce sur sa chaise. Il ne comprenait pas comment une jeune femme aussi intelligente pouvait accepter un simple métier de serveuse. Il était aussi impressionné par la subtilité d’Emma que par son charme. Il avait hâte de la serrer dans ses bras, raison pour laquelle il lança subitement :
— Il serait temps de rentrer à notre hôtel, qu’en pensez-vous ?
— Mais il n’y a pas longtemps que nous sommes ici ! Je pensais que nous irions nous promener un peu…
— Il pleut. Nous irons nous balader après.
— Après quoi ?
— Vous allez voir.
Intriguée, Emma le vit se lever, s’approcher d’elle, la prendre dans ses bras de manière à la fois vigoureuse et passionnée. Eberluée, elle se laissa embrasser dans cette grande salle remplie de monde. Pierce semblait se moquer éperdument du monde extérieur. Les consommateurs eurent l’air amusé, sur le moment, puis reprirent leurs conversations, après cet épisode insolite. Le baiser échangé par Pierce et Emma, aussi bref que passionné, laissa celle-ci sans voix, à bout de souffle.
— Vous avez vu, commenta flegmatiquement Pierce lorsque leur étreinte prit fin.
Il appela le garçon pour régler la note, puis marmonna d’une voix grave et impérative :
— Rentrons à l’hôtel.
Quelques instants plus tard, ils marchaient dans les rues dont le sol était trempé par la pluie. Pierce tenait fermement la main d’Emma. Ils n’avaient pas de parapluie, et marchaient d’un pas rapide.
Le cœur battant, Emma devinait que plus rien ne les empêcherait d’aller jusqu’au bout, à présent. Elle était fermement décidée à faire l’amour avec Pierce, en dépit de toutes ses appréhensions. Car le baiser échangé au café l’avait enflammée : elle avait hâte de se retrouver seule avec Pierce !
Lorsqu’ils se retrouvèrent face à face dans l’ascenseur, ils ne se quittèrent pas des yeux une seule seconde. Et, quand Pierce poussa la porte de leur suite, Emma crut défaillir tant l’émotion qui la saisit était violente.
Dès qu’ils furent dans leur domaine, Pierce se débarrassa immédiatement de son imperméable et de sa veste.
— Je vais vous aider à enlever ça, murmura-t il en défaisant les boutons de son vêtement avec des gestes fébriles.
Lorsqu’il eut enlevé l’imperméable d’Emma, Pierce posa ses mains sur l’ourlet de son pull, ce qui augmenta son trouble. Puis, avant qu’elle n’ait eu le temps de protester, Pierce lui ôta son pull d’un mouvement vif, et Emma se retrouva vêtue, pour le haut, d’un simple soutien-gorge. C’est alors qu’il l’attira contre lui pour un nouveau baiser, plus passionné encore que celui qu’ils avaient échangé dans le café de Saint-Germain.
Tandis qu’il la serrait passionnément contre lui, Emma sentait le désir de Pierce qui s’imposait avec toute son ardeur et son exigence. Ses mains, chaudes et possessives, caressaient son dos, ses épaules, avec une volupté infinie.
Lorsqu’il posa ses lèvres sur ses épaules nues, elle ne put retenir un petit cri de plaisir. Ivre de désir, elle tirait fébrilement sur la chemise de Pierce afin de l’enlever. Il fut bientôt torse nu, et Emma prit conscience du physique exceptionnel de cet homme, de sa constitution d’athlète, avec sa merveilleuse peau bronzée sur des muscles saillants.
Toujours debout, enlacés, brûlants de passion partagée, ils partaient à la découverte l’un de l’autre. ............................................................ ............................................................ .............................
Ils restèrent un long moment silencieux, main dans la main.
Et, soudain, le sens des réalités revint à Emma. Emportés par la violence de leur désir, ils avaient fait l’amour sans aucune protection. « Quelle folie ! », pensa Emma. C’est à ce moment que Pierce, semblant émerger de son paradis, se tourna vers elle et murmura de sa voix la plus tendre :
— Vous êtes tellement belle, Emma…, chuchota-t il avec ardeur.
Elle lui sourit sans répondre. Il se leva et alla chercher un peignoir de bain qui était pendu dans la salle de bains. Il enveloppa délicatement Emma dans le peignoir qui était doux et large. Ses gestes étaient si tendres qu’on aurait dit qu’il langeait un bébé.
— Vous voulez aller dans le lit, ou préférez-vous prendre un bain ? demanda-t il avec un sourire câlin.
— Un bain ? répéta-t elle, rêveuse.
Elle avait aperçu la vaste baignoire avec sa robinetterie en or, les nombreuses essences de plantes, de différentes couleurs, dans leurs jolis bocaux de verre, les piles de serviettes moelleuses, tout ce luxe prometteur de voluptés.
— Un bain en ma compagnie, précisa Pierce. La baignoire est assez grande pour deux, n’est-ce pas ?
Comme elle le dévisageait de ses grands yeux étonnés, Pierce la souleva délicatement, comme une plume, et la transporta jusqu’à la salle de bains en riant joyeusement.
Pour aller dîner dans le charmant petit restaurant choisi par Pierce, Emma avait revêtu la très jolie robe noire offerte par son amie Fleur. Cette tenue lui allait parfaitement, et, ce soir, Emma rayonnait de beauté. L’amour, évidemment, était pour beaucoup dans cette irradiation toute particulière qui émanait d’elle.
Pierce, fasciné par sa jeune amante, la couvait des yeux.
Ils discutèrent d’abord de choses et d’autres, gaiement, puis, sans qu’elle sût bien pourquoi, une question vint aux lèvres d’Emma :
— Est-ce que vous envisagez d’aller rendre visite à Lawrence, en Cornouailles ?
Elle avait parlé sans réfléchir. Si elle avait pris le temps de la réflexion, sans doute se serait elle abstenue d’aborder ce sujet.
— Pourquoi me posez-vous cette question ? rétorqua froidement Pierce, le regard soudain sévère.
Elle sentit qu’elle avait bel et bien fait une gaffe. Elle tenta de la réparer et lança d’un ton évasif :
— Bah, je vous demandais ça comme ça…
— Je ne sais pas si j’irai voir Lawrence, poursuivit Pierce, les sourcils froncés. En fait, cela dépend principalement de lui. Je ne ferai le voyage que si j’ai l’assurance d’être bien accueilli.
Emma trouvait désolant qu’une telle hostilité envenime les rapports entre le père et le fils.
— Je suis certaine qu’il sera ravi de vous revoir, assura-t elle d’un ton optimiste.
— Je ne suis pas certain — quant à moi — que le mot « ravi » soit celui qui convienne, répondit il, l’air dur.
— J’admets que Lawrence est souvent capable d’être tête en l’air, mais il peut également se montrer tout à fait adorable.
Pierce ne put réprimer une sorte de grimace. Sa bouche se déforma un très bref instant, dans une expression à la fois douloureuse et inquiète. Comme une sorte de sourire amer. Mais son visage reprit très vite sa beauté naturelle.


— C’est étrange, Emma. On a l’impression que vous voyez les gens à travers des lunettes déformantes. Vous ne percevez en eux que le bien, ou le potentiel.
Il lui avait pris la main et caressait sa paume de son pouce en un mouvement doux et circulaire.
Emma le fixa un instant, étonnée.
— Et vous pensez que ma façon de voir est absurde ? questionna-t elle, piquée. Vous pensez que je suis à côté de la plaque ?
— Vous ne survivriez pas deux minutes dans la jungle que constitue notre société de production et de consommation, décréta-t il gravement. Les gens gentils y sont automatiquement éliminés. Seuls les loups parviennent à faire carrière.
— Alors, mieux vaut avoir un petit métier comme le mien, rétorqua-t elle, ironique. Une serveuse, ça peut survivre. Tout le monde a besoin de se nourrir.
— En tous les cas, je ne voudrais pas vous voir dans le monde sans pitié des affaires, dans cet univers de la vente où les gens tueraient père et mère pour arriver au sommet…
Pierce s’interrompit subitement. Il se rendait compte qu’il se mettait à penser à voix haute. Il hocha discrètement la tête tandis qu’un nouveau souci lui venait à l’esprit. Lorsqu’ils avaient fait l’amour, tout à l’heure, ils n’avaient pas utilisé de préservatif. Emportés par le feu de la passion, ils avaient tout oublié, tout jusqu’à la plus élémentaire des règles de protection.
— Emma, j’espère que… que vous ne risquez pas de tomber enceinte, chuchota-t il en se penchant vers elle. Je ne sais pas si vous prenez la pilule ou pas…
Les joues d’Emma rosirent légèrement.
— Non, je ne prends pas la pilule, murmura-t elle, les yeux baissés. Je ne la supporte pas très bien. Par ailleurs, je n’en avais pas besoin, car je ne…
Elle hésita, se mordilla nerveusement la lèvre et reprit dans un souffle :
— … je ne voyais personne. Je n’ai pas vu d’homme depuis des années…
Une étrange satisfaction parcourut Pierce. Un sentiment de soulagement l’envahit, aussi soudain qu’absurde, car, après tout, il n’était pas sûr qu’il la reverrait dans l’avenir. Ils allaient bientôt reprendre chacun le cours de sa vie. Emma s’occuperait de sa grand-mère, et lui avait un planning très chargé pour les mois qui suivaient : des voyages à l’étranger, des séminaires, etc. Ils allaient se dire adieu à l’aéroport, après cette escapade parisienne aussi merveilleuse que brève.
— En tous les cas, assura-t il à mi-voix d’un ton ferme, si la catastrophe arrivait, il ne faut pas que vous vous inquiétiez, Emma. Nous ne nous reverrons probablement plus, mais je tiens à assurer la responsabilité financière de ce qui pourrait arriver. Je suis un homme puissant, vous savez.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 22-05-10 12:13 PM

chapitre 8


La déclaration de Pierce épouvanta Emma. Elle sentit son cœur se figer, se glacer, comme si un fluide mortel venait de s’insinuer dans ses veines.
Pierce venait de lui rappeler — ni plus ni moins — que leur rencontre n’avait été motivée que par un seul but. Ce but ayant été atteint par Pierce, ce dernier pouvait à présent se passer d’Emma.
Oh, certes, « en cas de catastrophe », il était prêt à lui apporter une aide financière. C’était un homme immensément riche. Ce coup de pouce financier ne lui demandait évidemment aucun effort.
Il évoquait l’éventualité d’une « catastrophe ». C’est ainsi qu’il qualifiait le fait d’être enceinte. Ce terme hérissait Emma qui murmura d’une voix faible :
— Vous avez une curieuse manière de qualifier une éventuelle grossesse !
— Il faut être réaliste, Emma. Si jamais vous vous rendez compte que vous êtes enceinte, vous n’allez tout de même pas vous réjouir !
Emma sursauta, piquée au vif.
— Qu’est-ce qui vous permet d’affirmer cela ? Comment pouvez-vous porter un jugement aussi rapide sur ma personne ? Vous ne me connaissez même pas !
— Les enfants vous changent la vie une fois pour toutes, Emma. Il faut être lucide. Vous n’avez que vingt-cinq ans ! Votre vie commence à peine. N’avez-vous donc pas envie de voyager, de rencontrer des gens, d’élargir vos horizons ? Vous savez bien — ou vous devriez savoir — qu’avec un enfant — toutes ces libertés vous seraient enlevées !
Emma n’était absolument pas d’accord avec cette analyse qu’elle jugeait réductrice. Et c’est d’un ton courroucé qu’elle répliqua :
— Parlez pour vous, Pierce ! J’ai bien l’impression que la paternité n’était pas faite pour vous. Lawrence a de toute évidence été un poids pour vous.
Elle se mordit la lèvre, pensant qu’elle était allée un peu loin. De fait, Pierce parut sous le choc. Un muscle de sa mâchoire saillait nerveusement, par saccades, indiquant son intense irritation. Il était devenu livide.
— Je n’ai jamais prétendu vouloir refuser la paternité, asséna-t?il d’une voix glaciale.
Il la fixa d’un regard à faire frémir et poursuivit :
— Ce qui se passe entre Lawrence et moi ne regarde que moi. Je ne permets à personne de porter un jugement sur ce sujet. Laissez-moi simplement vous dire que tout le travail que j’ai réalisé, tout ce que j’ai accompli jusqu’ici, c’est d’abord pour mon fils que je l’ai fait. Je regrette une chose, c’est de n’avoir pas été assez présent durant son enfance. Mais, que voulez-vous, on ne réécrit pas l’histoire.
Emma sentait comme une boule au fond de sa gorge. Elle était très ébranlée par le récit de Pierce, et demeurait muette, les sourcils froncés, très pensive.
Pierce, se rendant compte de son état, parut subitement s’adoucir. Il lui demanda d’une voix douce :
— A quoi pensez-vous, Emma ?
— Je réfléchissais, répondit?elle, la gorge toujours serrée.
Le visage de Pierce était éclairé par la lumière discrète de la bougie qui était fixée dans un grand bougeoir au milieu de la table. Vêtu d’un costume italien de coupe impeccable, il avait une allure princière. Et Dieu que son visage était beau ! Chaque fois qu’elle levait les yeux vers lui, Emma était impressionnée par la distinction de cet homme. Elle avait beau faire, elle ne pouvait résister à son charme envoûtant.
Mais elle savait que leur relation — une relation toute provisoire — ne reposait que sur leur attirance sexuelle. Il l’avait désirée, donc il l’avait invitée. C’était aussi simple que cela.
— Et à quoi réfléchissiez-vous, Emma ? reprit?il posément.
Elle hésita un moment puis se lança courageusement. Il fallait qu’elle lui avoue ce qu’elle avait sur le cœur.
— En fait, ce qui vous intéressait dans cette escapade à Paris, c’était uniquement l’opportunité de coucher avec une jeune femme assez jolie et pas trop compliquée, n’est-ce pas ?
— Je vous en prie, Emma. Ne dites pas des choses pareilles !
— Je parle vrai, Pierce. Je dis les choses comme elles sont. Préféreriez-vous que je reste sur le plan de la politesse, avec des formules toutes faites ? Ce n’est pas mon genre. J’aime la franchise.
Il la dévisageait avec la plus grande attention, impressionné par le caractère de cette jeune femme qui n’avait pas peur de déplaire ou de bousculer les convenances.
— Eh bien, soyez franche jusqu’au bout, Emma, conseilla-t?il avec un sourire tendu. Je suis tout ouïe.
— Je sais parfaitement que je ne suis pas le genre de femme que vous avez l’habitude de fréquenter. Je ne sais pourquoi vous avez choisi de partir avec moi. Peut-être étiez-vous piqué de curiosité à l’égard d’une simple serveuse de restaurant. Peut-être pensiez-vous que je fondrais de bonheur pour avoir passé deux jours en compagnie d’un célèbre homme d’affaires. Mais ce n’est pas ce que je ressens, Pierce. Sachez que je suis une femme qui vibre, qui vit, qui a des sentiments. Je ne suis pas une sorte de poupée qu’on utilise et qu’on jette après usage.

Pierce sursauta, électrisé.
— Je ne vous ai pas « utilisée », Emma, protesta-t?il avec véhémence. Vous étiez d’accord pour que nous fassions l’amour, rappelez-vous. Je ne vous ai pas forcée. Nous étions consentants tous les deux. Et, pardonnez-moi de le dire crûment, mais vous avez pris plaisir autant que moi à nos… nos ébats.
Emma rougit brusquement, et, dans les secondes qui suivirent, se mit à pâlir à l’extrême. C’en était trop. Il poussait le bouchon trop loin.
— Vous êtes parfaitement odieux ! s’écria-t?elle avec exaspération. Si j’avais su comment allait se dérouler ce dîner, j’aurais immédiatement refusé votre invitation !
Sur ces mots, elle se leva d’un coup, lança sa serviette d’un geste rageur sur la table, et tourna les talons.
Pierce, stupéfait, n’avait pas eu le temps de réagir que déjà elle se précipitait dans les toilettes du restaurant. Lorsqu’elle s’aperçut dans le miroir, elle vit une Emma aux joues écarlates, à l’œil étincelant de colère. « Maintenant, on se calme », se dit?elle, déterminée.
Quelques minutes plus tard, elle sortait discrètement du restaurant par une porte dérobée. Lorsqu’elle se retrouva dans la rue, elle n’avait aucune idée de l’endroit où aller. Elle marcha devant elle d’un pas vif. L’air lui faisait du bien.
Pierce, très inquiet, arpenta les rues des alentours pendant près de deux heures. Il savait qu’il avait peu de chances de retrouver Emma, en pleine nuit, mais il s’obstinait. De temps à autre, il appelait l’hôtel avec son téléphone mobile. Chaque fois, la réception lui répondait que, non, Mlle Robards n’était pas de retour.
Il comprenait la réaction de la jeune femme. Qui eût pu la blâmer ? Il lui avait bien sûr donné l’assurance qu’il ne la laisserait pas tomber si elle était enceinte, il lui avait promis une aide financière, mais là n’était pas l’essentiel, il le savait. Elle était partie parce qu’elle était en colère contre lui. Et sans doute avait?elle des raisons de l’être, car, après tout, c’était lui qui avait insisté pour faire l’amour. Elle avait fini par être d’accord, certes, mais le pas n’avait pas été facile à franchir pour elle. C’était une jeune femme sans grande expérience amoureuse, contrairement à lui, et elle avait probablement été très bouleversée par leur aventure.
Mais pourquoi ne revenait?elle pas à l’hôtel ? Il marcha encore longtemps dans les rues. La pluie recommença. Il rentra finalement à l’hôtel et s’installa sur un tabouret de bar. Il commanda un cognac. Régulièrement, il jetait un coup d’œil à sa montre. Les nerfs à vif, il commanda un deuxième verre.
Il songeait à Emma. En y réfléchissant, il était touché par la générosité de cette jeune femme qui se dévouait sans restriction pour sa grand-mère. Elle avait un métier difficile, et ne gagnait probablement pas beaucoup d’argent. Et si jamais elle était enceinte ? Parviendrait?elle à s’occuper d’un enfant en plus de tout ce qu’elle avait à faire ? Oh, il n’était pas question qu’il la laisse dans le besoin. Il s’en voulait de ne pas avoir pris de précautions avant de faire l’amour avec elle. Il avait été dépassé par l’exigence de son désir. Il n’avait pas pris le temps de réfléchir…
Il sursauta soudain. On venait de lui taper discrètement sur l’épaule. Il se retourna et vit l’un des employés qui se tenait devant lui, l’air contrit. Lorsque Pierce, le cœur battant, lui demanda ce dont il s’agissait, l’employé lui expliqua qu’il venait de recevoir un message de Mlle Robards. Celle-ci allait passer la nuit chez une amie et ne serait de retour à l’hôtel que demain matin.
Après un premier sentiment de soulagement — il ne lui était rien arrivé de grave —, Pierce ressentit une profonde déception. Il ne verrait pas Emma avant le lendemain matin.
L’alcool augmentait son désarroi. Il se sentit d’un coup extrêmement triste. Il avait un impérieux besoin de la serrer dans ses bras, de la toucher, de lui parler, de lui expliquer que…
Il secoua la tête, désespéré. Il ne connaissait même pas l’adresse de son amie. Il n’avait aucune possibilité de joindre Emma.
Accablé de chagrin, il commanda un autre cognac.
Le lendemain matin, avant de rentrer à l’hôtel, Emma décida de visiter la cathédrale Notre-Dame. Dès qu’elle fut entrée dans l’immense édifice, elle fut submergée par un sentiment de paix absolu. Des milliers de cierges illuminaient les différentes chapelles latérales de la cathédrale. Emma s’installa un moment dans l’une des chapelles et pria pour sa grand-mère, pour sa santé, pour sa vie. Les larmes aux yeux, elle suppliait le Seigneur de lui accorder une rémission. Oh, qu’elle ne meure pas encore ! Faites que l’opération réussisse !
Elle se remit debout et se mit à méditer, à repenser à tout ce qu’il s’était passé depuis deux jours. Elle n’aurait jamais dû accepter cette invitation à Paris, pensa-t?elle. Ni de faire l’amour sans prendre les précautions qui s’imposaient. Voilà où le bât blessait : elle avait fait preuve de faiblesse.
Elle se leva, marcha discrètement sur une allée de pierre, troublée par l’odeur entêtante de l’encens. Puis elle passa le grand porche et se retrouva à l’air libre. Elle prit alors la direction de l’hôtel. Il se trouvait assez loin de la cathédrale, mais elle avait envie de marcher. Pierce devait l’attendre pour aller à l’aéroport. On allait probablement la conduire à Roissy. Elle se dit alors que c’était mieux ainsi : la fin d’une brève et étrange aventure.

— Vous avez pris votre petit déjeuner ? questionna Pierce d’un ton tranquille lorsqu’elle entra dans la suite.
Etait-ce tout ce qu’il avait à dire ? Manifestement, cette froideur apparente cachait un autre sentiment, mais lequel ? La colère d’avoir été abandonné brutalement au restaurant, hier soir ? La frustration d’avoir été obligé de passer la nuit seul ?
Elle répondit sur le ton le plus détaché qui fût :
— Oui, j’ai pris un café et des croissants avec Fleur avant qu’elle ne rejoigne son petit ami.
Elle déboutonna son imperméable et dénoua ses cheveux qui tombèrent souplement autour de son visage.
— J’ai été passablement surpris de votre départ si soudain, hier soir, grommela Pierce. Cela n’était pas raisonnable de vous envoler ainsi : il aurait pu vous arriver quelque chose…
Ainsi, il était « surpris », mais non « attristé », par cette fugue. Emma eut un rire très discret, un rire amer.
— Soyez honnête, Pierce, répliqua-t?elle avec froideur. Vous faites la tête parce que vous craignez que je sois enceinte. A ce propos, je tenais à vous dire qu’il ne faut pas vous inquiéter : vous n’entendrez plus parler de moi lorsque nous serons rentrés. Vous êtes la dernière personne que j’irai trouver en cas de besoin. Vous pourrez dormir sur vos deux oreilles : je n’irai pas pleurnicher pour une aide financière ou autre ! Nous ne nous reverrons plus.
Comme elle tournait brusquement les talons pour se rendre dans la chambre à coucher, afin de faire sa valise, Emma fut brutalement happée par le bras.
Le regard bleu de Pierce la transperçait avec une incroyable intensité.
— En êtes-vous si sûre, Emma ? Etes-vous certaine que nous ne nous reverrons plus ? Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?
Emma se dégagea d’un mouvement vif et lança :
— Oh, par pitié, n’essayez pas de me faire croire que vos sentiments ont changé à mon égard ! railla-t?elle avec amertume. Ou bien ne serait-ce pas autre chose, également : notre séjour ici n’est pas tout à fait terminé, et vous aimeriez bien en avoir pour votre argent…
Pierce bondit vers elle et l’attira soudainement contre lui avec une telle énergie qu’elle ne put faire un geste pour s’échapper.
Comme il la tenait tout contre lui, elle perçut, à travers les vêtements qui les séparaient, toute son énergie, sa chaleur, son désir, et elle en éprouva, elle aussi, un désir aussi subit qu’imprévu.
— Je ne suis pas seul à vous désirer, Emma, murmura-t?il d’une voix éraillée. Vous le savez bien.
Les jambes flageolantes, l’esprit en émoi, elle balbutia, éperdue :
— Je… Je n’ai jamais dit que je ne vous désirais pas… Mais, comprenez-moi : je suis sentimentale, contrairement à vous.
Elle se reprit, les larmes aux yeux, et ajouta d’une voix plus calme :
— Je ne suis certainement pas aussi brillante, aussi distinguée, aussi sophistiquée que les femmes avec lesquelles vous avez l’habitude de sortir, mais cela ne devrait pas vous empêcher d’avoir un minimum de respect pour moi !
— Mais, grands dieux, j’ai du respect pour vous ! protesta-t?il avec véhémence.
Il secoua la tête, préoccupé, et marcha jusqu’à la fenêtre qui s’ouvrait sur l’arrière de l’hôtel : une jolie cour jardin où les employés étaient installés devant des petites tables et discutaient paisiblement et gaiement. Des rires fusaient, de temps à autre. Pierce enviait cette possibilité d’être heureux en toute simplicité. Pourquoi les rapports avec Emma étaient?ils si difficiles ? Il constatait que leur relation se révélait bien moins simple qu’il l’eût aimé. Il la désirait toujours, mais il savait qu’il ne fallait pas jouer avec le feu — avec le sexe — dans cette situation de malentendu.
— Vous savez, Emma, murmura-t?il en se tournant vers elle, il ne faut pas me juger de manière trop hâtive. Mes relations avec les femmes se sont toujours terminées sur une amitié réciproque.
— Est-ce cela que vous attendez de moi ? répondit?elle avec vivacité. Vous souhaitez que nous devenions amis ?
« Oh, non, ce n’est pas cela que je désire, pensa-t?il. Je n’ai aucune envie d’une relation platonique avec Emma. Elle est trop désirable. »
— Dès que nous serons de retour à Londres, je dois repartir presque aussitôt pour un long voyage qui me conduira de l’Australie à la Nouvelle-Zélande, avant l’Indonésie, Bali et enfin l’Afrique du Sud. J’en aurai pour trois mois. Comprenez donc que je ne pourrai pas vous voir pendant tout ce temps. Mais je vous appellerai quand je serai de retour.
Emma eut l’impression que son cœur devenait aussi lourd qu’une pierre. Elle fit un effort pour rester sereine malgré l’émotion qui l’avait submergée.
— Je comprends, murmura-t?elle du ton le plus dégagé possible.
Pierce changea brusquement de comportement et parut étrangement enjoué.

— Bon, lança-t?il joyeusement. Si on allait faire une balade dans Paris tous les deux ? Qu’en dites-vous ?
— Une balade ? répéta-t?elle, hésitante.
— Nous pourrions monter sur la tour Eiffel, aller au Louvre, à Notre-Dame…
— Je vous rappelle que Miles m’a conduite hier à la tour Eiffel, que j’ai fait une longue visite du Louvre. Et j’ajoute que je suis allée ce matin brûler un cierge à Notre-Dame.
Il la fixa d’une étrange manière.
— Un cierge ?
— Pour ma grand-mère. J’ai prié pour elle.
Pierce devint confus. Il avait soudain mauvaise conscience. Cette jeune femme était décidément un ange, il le constatait à chaque instant.
— Il y a plein d’autres choses à voir, assura-t?il avec un sourire. J’aimerais beaucoup faire un peu de tourisme avec vous, dans Paris.
— D’accord, dit simplement Emma. Je vous demande juste quelques minutes, le temps que je me change.
Elle songea que bien des jours et des mois allaient passer avant qu’elle ne remette cette jolie robe noire que lui avait offerte Fleur.
Dans le grand hall de l’aéroport d’Heathrow, c’était la bousculade autour d’Emma et de Pierce.
— Miles va vous reconduire chez vous, annonça Pierce. De toute façon, j’ai un rendez-vous pas loin d’ici. Miles viendra me chercher plus tard.
Emma, qui savait que l’heure de la séparation était arrivée, avait le cœur terriblement lourd. Ils avaient passé un très agréable après-midi à visiter Paris, un bref sursis avant la désunion, puis ils avaient pris l’avion pour un très court voyage. Et voilà, c’était fini. Ils rentraient chacun de son côté.
Pierce caressa délicatement la joue d’Emma. Elle avait l’air si perdu, si malheureux, qu’il en fut terriblement ému, mais il se garda bien de le montrer. La voir s’en aller ainsi lui brisait le cœur. Et l’imaginer dans les bras d’un autre lui était un supplice.
Comme un papillon, un mot s’imposa à son esprit, le prenant totalement au dépourvu : « Mariage. » Il secoua la tête. « C’est stupide », pensa-t?il.
— Promettez-moi de m’appeler si besoin est, recommanda-t?il d’une voix de conspirateur. Vous voyez ce que je veux dire.
Emma comprit qu’il faisait allusion à une éventuelle grossesse. De toutes les façons, elle était décidée à ne rien lui dire. Même si…
— Appelez ma secrétaire, Fiona. Elle me transmettra le message où que je sois.
Emma acquiesça d’un vague signe de tête. Puis elle croisa son regard et dit avec détermination :
— Je voudrais vous demander quelque chose, Pierce.
— Je vous écoute, fit?il, intrigué.
— Réconciliez-vous avec Lawrence. Il a besoin de vous, Pierce, même si vous pensez le contraire.
Pris de court, Pierce hésita, jeta un coup d’œil à sa montre. Il était en retard. Ce n’était vraiment pas le moment d’aborder le sujet de son fils, en plein aéroport.
— J’y songerai, Emma, répondit?il avec un bref sourire. Je ferai un effort.
Il avait envie de prendre Emma dans ses bras pour un dernier baiser, mais il savait que plus il prolongerait les adieux, plus il leur serait difficile de se séparer.
— Allons, Emma, il faut y aller. J’ai déjà vingt minutes de retard pour mon rendez-vous.
— Merci de m’avoir emmenée à Paris, Pierce, assura-t?elle d’une voix enrouée par l’émotion. Je n’oublierai jamais ce voyage.
Comme elle s’éloignait, Pierce s’étonna de ce qu’il ressentait : au lieu d’éprouver un certain soulagement, son cœur était oppressé par une douleur étrange, nouvelle.
Il devinait que, dès cet instant, la vie n’allait pas être si facile que cela.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 22-05-10 12:19 PM

chapitre 9



A peine de retour, Emma reçut un appel téléphonique : sa grand-mère venait d’avoir une attaque cardiaque, et se trouvait à présent dans le service de soins intensifs de l’hôpital.
Affolée, Emma téléphona aussitôt à son amie Liz qui lui proposa immédiatement de la conduire à l’hôpital en voiture.
Et c’est là que les deux femmes attendaient, dans un couloir de la section des soins intensifs. Elles étaient assises sur un simple banc. Emma était pâle et défaite. L’attente lui paraissait interminable.
— Je vais chercher des cafés au distributeur, annonça Liz au bout d’un moment.
Elle se leva et revint avec un gobelet qu’elle tendit à Emma.
— J’ai mis plein de sucre. Tu en as besoin, ma pauvre.
— Merci, Liz.
Poussés par des infirmiers, des chariots blancs roulaient dans le couloir, faisant crisser leurs roues sur le linoléum.
Emma se tordait machinalement les doigts en les voyant passer. Elle sirotait son café, extrêmement anxieuse, attendant qu’on vienne lui donner des nouvelles de sa grand-mère qui se trouvait derrière les cloisons blanches, entre la vie et la mort.
Liz posa une main amicale sur le bras d’Emma.
— Ne t’inquiète pas, ma chérie, murmura-t elle avec douceur. Ta grand-mère va tenir le coup. Elle est forte. Je suis persuadée qu’elle va s’en sortir.
Emma essuya le coin de ses yeux.
— J’aurais dû la faire opérer avant, se lamenta-t elle, désespérée. Je n’aurais pas dû attendre. Je suis responsable…
— Allons, Emma, ne dis pas des choses pareilles. Tu t’es parfaitement occupée de ta grand-mère. Je ne connais pas beaucoup de jeunes femmes de ton âge capables des sacrifices que tu as faits. Tous tes week-ends étaient dévoués à ta grand-mère. Et, après tout cela, tu t’en veux !
Les lèvres tremblantes, Emma se retenait pour ne pas fondre en larmes.
— Je voudrais tellement que ma pauvre grand-mère soit heureuse, soupira-t elle. J’ai fait des projets pour améliorer la décoration de sa petite maison. J’ai même déjà acheté de la peinture…
Un sanglot l’interrompit. Liz serra son bras avec une compassion émue.
La porte à tambour s’ouvrit soudain, et le chirurgien qui s’était occupé de l’admission de la vieille dame apparut. Emma se leva brusquement
— Alors ? interrogea-t elle, le cœur plein d’espoir. Elle va mieux ?
Comme le chirurgien la considérait d’un air sombre, Emma, au comble de l’inquiétude, la gorge serrée par l’angoisse, insista :
— Comment va-t elle, docteur ? murmura-t elle, terriblement tourmentée.
— Je suis désolé, mademoiselle Robards, annonça le médecin d’une voix grave. Votre grand-mère est décédée il y a cinq minutes. Elle avait le cœur très faible. Nous n’avons rien pu faire.
Emma eut l’impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Ses oreilles bourdonnaient. Un voile avait obscurci ses yeux. Elle chancela, ivre de douleur. Elle sentit que Liz l’avait prise par le bras et murmurait des mots apaisants à son oreille. On la fit asseoir. Les larmes commencèrent à couler sur ses joues. C’était donc fini ? Déjà ? Oh, comme c’était triste ! Comme c’était injuste ! Sa pauvre grand-mère !
— Je vais rester avec elle, chuchota Liz à une infirmière qui avait remplacé le chirurgien, appelé ailleurs.
Liz serrait avec tendresse son amie si malheureuse.
— Pleure, Emma, si cela doit te soulager. Ma pauvre petite, ma pauvre enfant !…
Emma demeura un moment effondrée, sans forces. Puis, se ressaisissant, le visage livide, elle annonça à Liz :
— Je vais avoir plein de choses à faire : les formalités administratives, la préparation des obsèques… Tout ça…
Elle se leva et redressa courageusement la tête.
— Je rentre chez moi, Liz.
Après l’enterrement de sa grand-mère, Emma se sentait tellement triste qu’elle en avait perdu le goût de vivre, l’appétit et le sommeil. Au point que la direction de son restaurant avait décidé de la laisser en congé le temps qu’il fallait.
Ce jour-là, elle se trouvait dans son appartement. Morose, elle triait des affaires ayant appartenu à sa grand-mère. Lawrence, qui n’avait pas encore émigré pour les Cornouailles, était venu lui rendre visite. Il faisait les cent pas dans son salon, impatient et vindicatif. Emma, en le voyant aller et venir, pensa à Pierce : le père et le fils avaient la même façon d’arpenter les pièces lorsqu’ils étaient irrités, le même regard bleu et vif. Mais celui de Lawrence était tout de même beaucoup moins beau que celui de son père.
— Enfin, Emma, grommela Lawrence au bout d’un moment. Il serait temps de devenir raisonnable. Tu ne manges plus rien, tu te laisses aller. Monte chez moi un moment : je vais te préparer quelque chose de bon !
— Merci, Lawrence. Je n’ai pas faim. J’ai des papiers à ranger…


— Tu n’es pas raisonnable ! Tu n’es plus que l’ombre de toi-même !
« C’est vrai, pensa-t elle, amère. Je n’ai plus goût à rien. Je n’ai plus jamais faim… »
— Si tu continues, tu vas être malade, menaça Lawrence en secouant la tête. Et cela t’avancera à quoi ? Tu peux me le dire ?
Emma eut un rire faible et sans joie.
— Tu ne vas tout de même pas faire la cuisine pour moi, Lawrence. Tu es en plein déménagement.
— Qui te parle de faire la cuisine ? rétorqua le jeune homme avec un grand sourire. Il suffit de descendre dans la rue et de rapporter des plats tout préparés. Je ne suis pas du genre à me compliquer la vie.
C’est ainsi qu’Emma, quelques minutes plus tard, se retrouva dans l’appartement de Lawrence, assise en tailleur en face d’un plat chinois qu’il avait choisi pour elle. Du bout de ses baguettes, elle s’efforçait de saisir ce qui lui permettrait de remplir quelque peu son estomac, vide depuis trop longtemps.
— Alors, c’était bien, Paris ? questionna Lawrence tout à trac.
Elle sursauta, ahurie. Comment diable était il au courant de son voyage à Paris ? Elle s’essuya les lèvres avec la serviette en papier, et demanda de la manière la plus calme possible :
— Comment sais-tu que je suis allée à Paris ?
— Mon père m’a dit qu’il t’avait invitée. Une manière pour lui de retourner le couteau dans la plaie. Bah, je ne t’en veux pas, Emma. Tu as eu un séjour agréable ?
— Très agréable, oui. Mais pourquoi évoques-tu ce « couteau dans la plaie » ?
Le garçon prit un air renfrogné.
— Mon père a voulu s’amuser à mes dépens, bougonna-t il d’un ton méprisant. Il t’a emmenée parce qu’il sait que j’ai un faible pour toi.
Emma tressaillit. Elle eut l’impression que l’air lui manquait soudain.
— Tu veux dire que ton père m’a invitée uniquement pour te contrarier ?
— Réfléchis un peu. Pourquoi s’intéresserait il à toi, Emma ? Tu n’es pas de son monde. Tu es jolie, certes, tout à fait charmante, mais tu n’appartiens pas à la société qu’il fréquente. Les femmes avec lesquelles il sort sont des femmes brillantes, pétillantes, sophistiquées… Des dames de la haute société, tu comprends ce que je veux dire ?
Emma reçut le coup en plein cœur. Si le jeune homme avait essayé de lui faire mal, il avait réussi. Elle murmura d’une voix étouffée, mais ferme :
— Je ne savais pas, jusqu’à aujourd’hui, à quel point tu peux être méchant, odieux et malveillant, Lawrence. Mais je viens d’en avoir la preuve.
Elle se leva, tremblante de rage.
Lawrence se mordit la lèvre. Il avait l’air tourmenté et semblait regretter de s’être laissé emporter.
— Attends, Emma. Comprends-moi : ce n’est pas à cause de toi que je fulmine, mais à cause de lui.
— Mais te rends-tu compte de ce que tu viens de me dire ? C’est lamentable, Lawrence…
— Je ne… Je t’assure, je ne voulais pas te blesser…
— Ah bon ? En tous les cas, tu as choisi les termes les plus blessants. Oh, si tu savais comme j’en ai assez de la famille Redfield, le père comme le fils ! Vous me prenez tous les deux pour une perruche, une bécassine, une…
— Je t’en prie, Emma. Ne t’énerve pas…
— Vous êtes bien à mettre dans le même panier, tous les deux, toi et ton père. Et je ne suis pas près de vous revoir !
Lawrence, qui, curieusement, semblait moins inquiet, aspira une gorgée de sa boisson, puis jeta négligemment la boîte dans un coin de la pièce. Et c’est d’une voix qui exprimait plus le reproche que la peine qu’il marmonna :
— Vraiment, tu n’aurais pas dû coucher avec lui, Emma. Tu sais à quel point je suis attaché à toi.
Emma eut un rire amer.
— Dans ce cas, je ne comprends pas pourquoi tu reçois tellement de filles chez toi ! Ce n’est pas un appartement que tu as, c’est un harem !
— Il faut bien que je trouve quelque part le plaisir que tu n’as jamais voulu m’offrir…
— Tu es un enfant gâté, Lawrence. Quand tu as envie de quelque chose, tu fais tout pour l’obtenir, sans songer aux conséquences de tes actes.
Lawrence la fixa de son regard à la fois candide et libertin, puis commenta d’un ton désabusé avec un méchant petit sourire :
— Ton jugement s’applique tout à fait à mon père, pas à moi.
Il ricana de nouveau.
— Depuis que je suis tout petit, mon père collectionne les aventures féminines. Ma mère, au bout d’un certain temps, a naturellement eu des aventures, elle aussi. Tu vois, ce n’était pas la famille idéale ! Chacun à la chasse, chacun de son côté.
— Et moi, je suis donc le dernier gibier convoité par ton père, n’est-ce pas ? Un gibier pas très noble, évidemment. Je ne cours pas dans les domaines royaux. Un genre de palombe, vite croquée par l’auteur de tes jours, le temps d’un envol à Paris !


Elle battit l’air de la main dans un geste d’agacement, comme si elle effaçait d’un coup de chiffon le tableau.
— Oublions ça, murmura-t elle, dégoûtée.
Elle se dirigea vers la porte. Juste au moment où elle la franchissait, Lawrence la retint par le poignet. Il déclara d’une voix enrouée par l’émotion :
— Tu mérites mieux que lui, Emma. Viens avec moi en Cornouailles. Maintenant que ta grand-mère n’est plus là, tu es libre. Viens avec moi, tu seras ma muse, mon inspiration, ma…
— Mais tu n’y es pas du tout, mon pauvre Lawrence ! l’interrompit elle avec un rire amusé. D’abord, ça ne m’amuse pas d’être une muse. Ensuite, tu oublies ton amie Vicky, celle qui est si jalouse.
— Oh, celle-là, je ne la vois plus. C’est fini, terminé.
Il se reprit.
— Non, pas si bien fini que ça. En tout cas, il n’est plus question que je la voie.
— Mais sois logique avec toi-même, Lawrence. Il y a un instant, tu as eu des mots très durs pour moi, et…
— Je ne les pensais pas ! affirma-t il d’un trait.
Et soudain, avant qu’Emma ait pu réaliser ce qu’il lui arrivait, elle sentit la bouche de Lawrence qui écrasait la sienne, dans un élan passionné. Il tentait ardemment de glisser sa langue contre la sienne, mais elle s’y refusait, brusquement raidie.
Il s’ensuivit une sorte de lutte, dans laquelle Emma tentait de se dégager, tandis que Lawrence essayait fébrilement de la retenir dans ses bras.
Ils n’entendirent pas la porte d’entrée qui s’ouvrait. Lawrence, à son habitude, l’avait laissée entrouverte. Pierce se tenait sur le seuil de l’appartement. Il les considéra d’un regard impitoyable, puis déclara d’une voix aussi froide que son regard :
— La porte était ouverte. J’espère que je ne vous dérange pas.
— Pierce ! s’écria Emma, abasourdie.
Elle s’était arrachée d’un coup à l’étreinte de Lawrence, mais Pierce, qui était arrivé à l’instant crucial, avait eu tout loisir de contempler la fin de leur enlacement.
— Tiens, vous vous souvenez de mon prénom ! railla l’homme d’affaires. Je suis vraiment flatté, ajouta-t il, amer.
— Mais, mais, balbutia Emma, je croyais que vous deviez partir pour trois mois !
Pierce avala sa salive avec difficulté. Le coup était rude pour lui, terrible à vrai dire. Qu’Emma le trahisse avec un autre homme constituait pour lui une torture, mais que son nouvel amant soit son propre fils… C’était pire que tout. A cet instant, il ne savait pas lequel des deux le révoltait le plus.
Bien qu’il fût en proie à la plus grande agitation, il répondit calmement, avec une ironie bien marquée :
— Alors, comme j’étais en voyage, vous avez pensé que la voie était libre ! Et voilà pourquoi je vous retrouve chez Lawrence…
Horrifiée par le malentendu, Emma fixait Pierce, la bouche à demi ouverte. Mais les mots n’en sortaient pas. Elle voulait protester, expliquer la méprise… Tout juste arriva-t elle à bredouiller :
— Je ne… Ce n’est pas du tout ce que… ce que vous pensez, Pierce.
Puis, se tournant vers Lawrence, elle ajouta sur un ton plus net :
— Voyons, Lawrence, grands dieux, exprime-toi ! Dis quelque chose ! C’est trop injuste.
Mais Pierce, coupant l’herbe sous le pied de son fils, ne laissa pas la parole à ce dernier. Il déclara, toujours sarcastique :
— Je ne suis pas parti, comme vous pouvez le constater. J’ai changé mes plans. Mais j’aimerais bien avoir une explication de ta part, Lawrence. Oui, j’aimerais bien savoir ce qu’il se passe.
Lawrence, qui avait ouvert entre-temps une autre canette de soda, et qui avait suivi d’un œil moqueur l’échange entre Emma et son père, jeta sa canette dans un carton qui servait de poubelle et fit face à son père.
— On dirait que c’est le jeu de l’amour et de la guerre, papa. N’est-ce pas ton impression ? Tu n’étais pas là pour t’occuper d’Emma, elle est donc venue chez moi, et elle va venir avec moi en Cornouailles.
— Mais c’est complètement fou ! explosa Emma, furieuse.
Elle avait l’impression d’être l’enjeu d’une course au pouvoir qui opposait Lawrence à son père. Ne se sentant aucune disposition pour faire le pion qu’on pousse ou qu’on tire, elle ajouta avec véhémence :
— Je n’ai jamais eu ce projet ! C’est une idée de Lawrence, une idée parfaitement absurde, et…
— J’aimerais bien savoir exactement ce qu’il se trame entre vous deux, marmonna Pierce, sévère.
— Rien du tout, justement ! rétorqua immédiatement Emma, résolue à mettre les points sur les i, et à dissiper tout malentendu. Lawrence et moi sommes des amis, comme nous l’avons toujours été. Des amis, rien de plus, répéta-t elle, opiniâtre.


Pierce eut une moue, une sorte de grimace qui témoignait de son incrédulité. Il se tourna brusquement vers son fils et darda sur lui un regard qui semblait ordonner : « Maintenant, c’est à toi de m’expliquer ce qu’il en est. » Lawrence comprit cette interrogation muette et haussa les épaules de manière exagérément détachée, afin de bien montrer que ces petits affrontements ne l’affectaient guère. Il considéra un instant Emma et son père, puis conclut d’un ton pondéré :
— Je suis un homme libre, j’ai bien le droit de tenter ma chance, non ?
— Tu as embrassé Emma pour me défier ! gronda Pierce, le regard implacable.
Lawrence considéra son père de manière oblique, avec un sourire de défi.
— J’avoue que j’ai pris un certain plaisir à te dérober, même provisoirement, l’objet de ta convoitise, assura-t il avec un petit rire. Nous sommes en plein conflit freudien, n’est-ce pas ? Le fils en face du père.
Emma, paralysée, suivait sans mot dire l’explication qui se développait de manière de plus en plus dramatique entre Lawrence et Pierce.
— Si tu es réapparu dans ma vie, c’est à cause d’Emma, grommela Lawrence d’un ton amer. Avant, on ne te voyait pas. Tu ne donnais pas de nouvelles. C’était le silence radio. Je pouvais crever dans mon coin, être malade, avoir des ennuis : tu restais absent. Et puis, tout à coup, tu réapparais, comme par enchantement. Et j’apprends que tu as emmené à Paris une femme, pas n’importe quelle femme : celle qui m’importait le plus. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’un hasard, n’est-ce pas ? Tu l’as emmenée parce que cela te plaisait de me contrer, surtout dans le domaine sentimental. Et à un moment où j’avais besoin de quelque chose de plus qu’une aide financière.
Pierce fronça subitement les sourcils, manifestement touché par la dernière phrase de son fils. Il demanda d’une voix basse, émue :
— Depuis quand attends-tu de moi autre chose que de l’argent ?
Comme Lawrence ne répondait que par un geste évasif, Emma comprit que l’apparition soudaine de Pierce chez son fils n’était pas un hasard. Lawrence savait que son père allait lui rendre visite. C’était prévu. Et Lawrence s’était perfidement arrangé pour qu’elle fût là lorsque Pierce pousserait la porte. Elle comprenait la subtilité et la perversité d’une telle manœuvre.
— Dis-moi, Lawrence, interrogea-t elle, glaciale. Tu savais que ton père allait venir d’un instant à l’autre, n’est-ce pas ? Je te soupçonne même d’avoir laissé la porte entrouverte exprès. Et, lorsque tu m’as brusquement embrassée, c’était parce que tu avais entendu les pas de ton père dans l’escalier ! Quel stratège ! Bravo ! Dans le genre machiavélique, on fait difficilement mieux.
— Je t’assure que je n’ai pas cherché à te blesser, Emma, plaida Lawrence, l’air piteux. Tu es mon amie. Tu seras toujours mon amie. Je n’ai pas envie de te perdre…
— Non, tu n’es pas un ami, tu es un manipulateur, coupa Emma, furieuse. Tu t’es servi de moi pour tes petites affaires, d’abord en m’envoyant en mission chez ton père, dans son bureau, afin de lui soutirer une promesse d’argent. Puis tu te sers de moi, à présent, pour contrecarrer ton père sur le plan sentimental. Ce n’est pas très beau, tout ça !
Comme elle tournait brusquement les talons et se dirigeait d’un pas vif vers la porte, Lawrence couina d’une voix misérable :
— Attends, Emma !
Mais elle en avait par-dessus la tête. On lui avait assez empoisonné la vie comme ça. Elle n’avait qu’une envie : rester seule, tranquille, chez elle, sans personne pour la tourmenter.
Dans l’heure qui suivit, elle entendit des éclats de voix à l’étage du dessus. Le père et le fils étaient encore en train de se chamailler. Il y eut une pause, et l’immeuble redevint silencieux. Quelques minutes plus tard, elle entendit des pas dans l’escalier. On frappa à sa porte. Elle poussa un soupir excédé et alla ouvrir. C’était Pierce.
Il entra sans dire un mot, le visage sombre.
Elle se demandait ce qu’il voulait. Pourquoi était il de retour chez elle ? Qu’attendait il ?
Il la dévisageait d’un air préoccupé.
— Vous avez une mine terrible, déclara-t il sans préambule.
Ce n’était pas le genre de compliment qu’elle attendait.
— Merci, très aimable, répondit elle, vexée.
— Je n’ai pas dit cela pour vous critiquer ou pour vous taquiner, Emma. Je me fais du souci pour vous. Votre visage est vraiment creusé. Vous êtes à bout. Il faut faire quelque chose.
— Ah bon ? Que faut il faire ?
— Vos valises.
Interloquée, elle le dévisagea. Etait-ce une plaisanterie ? Non, certainement pas. Il avait l’air tout à fait sérieux.
— Vous ne pouvez pas rester dans cet état, Emma. Vous allez venir avec moi.
— A Paris, encore ? railla-t elle.
Pierce eut un sourire triste et pensif.
— Je vous emmène chez moi. Ne discutez pas. Ne protestez pas : de toutes les manières, ma décision est prise, et je n’en changerai pas.


chapitre 10


« Quel étrange ultimatum ! », pensa Emma, interloquée par ce qu’elle venait d’entendre.
Elle poussa un soupir, et alla ouvrir le réfrigérateur. Elle en sortit une bouteille de lait. Puis elle prit la boîte de chocolat en poudre qui se trouvait dans un placard.
— Qu’est-ce que vous faites ? questionna Pierce, intrigué.
— Je me prépare mon chocolat, pour la nuit, expliqua-t elle posément.
— Vous n’avez pas entendu ce que je viens de vous dire ?
— J’ai très bien entendu, je ne suis pas sourde.
— Mais…
— Ecoutez-moi bien, Pierce. Vous êtes un grand manitou dans les affaires. Vous commandez à des tas de gens qui vous obéissent au doigt et à l’œil. Mais vous êtes ici chez moi, et il n’est pas question que vous vous amusiez à jouer les chefs dans mon domaine.
— Mais je…
— J’en ai assez de ces petits jeux, de ces petites guerres avec votre fils. Ça ne m’amuse plus. Je vous demande donc de quitter mon appartement, et de disparaître de ma vie. S’il vous plaît, laissez-moi seule. J’ai besoin d’être seule.
Pierce Redfield devint blême.
— Alors, Lawrence a réussi à tout briser ! commenta-t il, amer.
Emma, après avoir avalé péniblement sa salive, répondit avec tristesse :
— Lawrence m’a confié que vous m’aviez emmenée à Paris dans le but de marquer un point contre lui. C’est le genre de choses qui n’est pas très agréable à entendre, vous savez !
Pierce tressaillit. Il avait appris par sa secrétaire que Lawrence, grâce à des indiscrétions, était au courant de leur escapade à Paris.
— Je n’ai jamais parlé à mon fils de ce voyage à Paris, grommela-t il. Mais il a réussi pourtant à l’apprendre. Il faut que vous sachiez qu’il n’a agi de cette sorte que dans le but de me nuire, de me discréditer à vos yeux. Comprenez-vous, Emma ?
Elle remarqua une lueur de détresse dans le bleu si vif de son regard. Elle en fut touchée.
— Et puis j’ai été attristé par la disparition de votre grand-mère, Emma. J’ai beaucoup pensé à vous…
— Merci, murmura-t elle, les yeux humides.
— Ce qui me désole, aussi, continua-t il d’une voix morne, c’est ce genre de spectacle auquel vous venez d’assister, cette mini-guerre entre mon fils et moi.
— Il est encore en colère contre vous ?
— Il reste pas mal de ressentiments, de malentendus et de non-dit entre nous, mais je suis sûr que, avec le temps, on finira par arranger ça…
— Vous avez donc pu conclure une sorte d’armistice ? Aboutir à une déclaration de non-belligérance ? demanda-t elle, le cœur plein d’espoir. Ce pourrait être la fin des hostilités ?
— Presque, acquiesça-t il en souriant. Nous avons décidé de lever les principaux obstacles qui nous séparaient. Vous voyez, Emma, je ne suis pas si buté que ça !
— Formidable, Pierce. Ce que vous me dites m’enchante. J’ai eu quelques frayeurs, tout à l’heure, en entendant vos éclats de voix…
— Mais nous nous sommes vite calmés.
— Comme je serais heureuse si vous pouviez vous réconcilier, tous les deux ! Si vous saviez comme mon père m’a manqué, dans ma vie, et comme il me manque ! On a tellement besoin d’un père !
— Vous n’avez aucune nouvelle de lui ?
— Aucune. Je pense qu’il doit être quelque part en Australie, au bout du monde… Je n’ai même pas pu le joindre pour lui dire que ma grand-mère, c’est-à-dire sa mère, était morte.
Pierce se passa machinalement la main dans les cheveux en soupirant. Il était très soucieux de l’état de fatigue de la jeune femme. Et c’est justement à cause d’elle qu’il avait annulé le voyage qu’il devait entreprendre. Lorsqu’il avait appris le décès de la vieille dame, il s’était souvenu des larmes d’Emma, à Paris, lorsqu’elle lui avait confié ses soucis relatifs à sa grand-mère. Dès lors, il avait décidé de la retrouver au plus vite. Voilà pourquoi il était là ce soir.
Il fallait absolument qu’elle quitte ce petit appartement humide et inconfortable. Et si jamais elle était enceinte de lui ? Jamais il ne pourrait tolérer qu’elle moisisse dans cet endroit !
— Préparez votre chocolat si cela vous chante, grommela-t il, mais il faudra que vous fassiez vos valises, que vous le vouliez ou non. Vous ne resterez pas un jour de plus dans cet appartement. Chez moi, vous aurez tout le confort dont vous avez besoin pour vous remettre. On s’occupera de la cuisine, des diverses tâches ménagères, et Miles vous conduira où vous voulez : ma voiture sera à votre disposition.
— Ecoutez, Pierce, nous nous sommes dit adieu à l’aéroport, et vous m’avez bien fait comprendre, alors, que nous ne nous reverrions plus. Alors, pourquoi revenir ici aujourd’hui ? Vous perdez votre temps.
L’expression de Pierce se durcit soudainement.
— Vous attendez peut-être un enfant de moi, et j’ai le droit de le protéger, lui, autant que sa mère.


Prise de court, Emma resta sans voix. Depuis la mort de sa grand-mère, elle n’avait pas songé au fait qu’elle pouvait être enceinte. Pierce et elle n’avaient pas pris de précautions, à Paris, et elle se trouvait à une période de son cycle où la fécondation est possible. Il n’était donc pas absurde de penser qu’elle attendait un enfant de lui. Cette éventualité ne lui déplaisait pas. On peut tout à fait élever un enfant seul, et c’était bien son intention, si jamais elle était enceinte.
— Si j’attends un enfant, c’est mon affaire, assura-t elle d’un ton décidé. Je suis assez grande pour m’en occuper. Bien, assez discuté, Pierce. Je vous prie de me laisser, à présent. J’ai des choses à faire, et le temps passe.
— Ce que vous pouvez être butée ! explosa-t il.
— Je ne pars pas avec vous, murmura-t elle sur un ton adouci. Ce ne serait pas… convenable. Ce ne serait pas bien.
— Pas convenable ? Pas bien ? Mais pourquoi donc, dieux du ciel ? Vous êtes très fatiguée, Emma. Vous avez besoin d’assistance.
— D’assistance ? Certainement pas !
— Mais vous êtes têtue, Emma, c’est incroyable ! Je vous assure que vous avez besoin d’être prise en charge. Au moins quelque temps. Soyez raisonnable.
Il la considérait de son regard hypnotique avec tant de sincérité, tant de bonté, qu’elle hésita. Comment résister à un regard pareil ?
— Bien, concéda-t elle à mi-voix. C’est d’accord, Pierce. Un jour ou deux…
— Allez vite prendre vos affaires, préparer votre valise ! lança-t il joyeusement. Moi, je m’occupe de la cuisine.
Il retroussa immédiatement ses manches et commença de faire la vaisselle. Emma était médusée : Pierce Redfield, l’un des hommes les plus importants du monde de la finance britannique, faisait la vaisselle ! « On aura tout vu », pensa-t elle en se dirigeant vers sa chambre.
Installée confortablement, en boule, au creux d’un gros fauteuil de cuir, devant la cheminée où crépitaient des bûches, Emma rêvassait, toute à sa béatitude.
Le vaste et luxueux appartement de Pierce donnait sur un grand parc. On se serait cru en pleine campagne anglaise. Pour la première fois depuis bien longtemps, Emma se sentait bien.
— J’espère que vous trouvez l’endroit à votre goût !
Il était là, tout près d’elle. Elle ne l’avait pas entendu approcher. Il lui apportait un petit plateau où était posée une grande tasse de chocolat fumant qui embaumait.
Elle tourna la tête et répondit avec un sourire radieux :
— Absolument, assura-t elle. Mais je ne devrais pas être là… En tous les cas, merci pour le chocolat.
— Et pourquoi donc, Emma ? Pourquoi ne devriez-vous pas être là ?
— Je reste jusqu’à demain, et puis je rentrerai chez moi. Je dois m’occuper de plein de paperasses, répondre aux gens qui m’ont fait part de leurs condoléances…
— Vous pouvez très bien faire ça ici.
— Non, il faut que…
— Ah, Emma, nous n’allons pas commencer à nous disputer ! De toutes les façons, vous n’aurez pas le dernier mot.
— Oh, avec vous, c’est bien probable, admit elle avec un rire léger.
— Dès que vous le souhaitez, je vous montre votre chambre…
— Ma chambre ? répéta-t elle, hésitante.
De nouveau, elle trouvait la situation absurde : pourquoi était elle là ? Pourquoi se laissait elle prendre en main par cet homme qui lui avait bien fait comprendre, à Paris, son désir d’indépendance ? Pourquoi Pierce agissait il de cette manière avec elle ? Etait-ce de la pitié ? Elle ne voulait pas de sa compassion. Elle se sentait suffisamment forte pour affronter les difficultés de la vie, et surmonter son chagrin.
— Vous savez, Pierce, murmura-t elle d’une voix incertaine. Je me demande ce que je fais chez vous.
Il darda sur elle un regard brûlant.
— Vous êtes ici chez moi, parce que, pour une fois, vous avez besoin qu’on s’occupe un peu de vous, Emma. Je sais que cela constitue un changement de vie pour vous, mais il faut que vous acceptiez qu’on vous aide. Laissez-vous aller. Oubliez votre orgueil.
— Je n’ai besoin de personne, Pierce, insista-t elle en posant sa tasse de chocolat.
— Terminez votre tasse, Emma. Ensuite, je vous montrerai votre chambre à l’étage.
— Vous allez à votre bureau, demain matin ?
— Non. J’ai décidé de prendre quelques jours de congé.
Emma saisit de nouveau la tasse qu’elle avait posée sur un guéridon en cerisier, la vida, puis annonça nonchalamment :
— Je mettrai mon réveil assez tôt. Je ne veux pas occuper les lieux trop longtemps. J’aurai passé une très bonne soir…
— Mais vous êtes impossible ! s’écria-t il, l’air ulcéré. Vous n’êtes pas ici pour en repartir aussitôt !
— Je ne vais tout de même pas rester des mois chez vous…
— Et pourquoi pas ?
La gentille Mme Mayes, la gouvernante de Pierce, qui s’occupait de sa résidence avec une remarquable efficacité, posa le plateau du thé près d’Emma. Celle-ci était confortablement installée dans la bibliothèque où des milliers de livres étaient méticuleusement rangés sur les étagères. Par la fenêtre, Emma aperçut un rouge-gorge qui sautillait sur la pelouse du parc.


Quelques instants plus tard, Pierce frappait doucement à la porte. Emma lui dit d’entrer.
— Vous n’avez pas besoin de frapper, Pierce, dit elle avec un ton de reproche. Vous êtes chez vous.
— En l’occurrence, c’est vous qui êtes chez vous. Comment va votre mal de tête ?
— Mme Mayes m’a donné un cachet de paracétamol. Ça va beaucoup mieux, merci.
— C’est bien, fit Pierce, tout réjoui. Votre mine s’améliore de jour en jour.
— J’ai rendez-vous demain après-midi chez le notaire pour la succession de ma grand-mère.
— Miles vous y conduira. Vous me donnerez simplement l’heure de votre rendez-vous, et on s’organisera.
— C’est gentil à vous. Merci.
— Mme Mayes est en train de préparer le déjeuner pour 13 heures. Ça vous va ?
— Parfait. Merci.
— Cessez de dire « merci » toutes les deux minutes, grommela-t il. Vous n’avez pas besoin de me remercier à tout bout de champ !
— Que voulez-vous que je dise, alors ? s’insurgea-t elle. Je suis chez vous, je n’ai pas à lever le petit doigt. On s’occupe de moi. On m’apporte du thé, ou du chocolat, on me fait mon lit, on lave mon linge, on me conduit en ville quand je le désire… N’est il pas normal que je dise « merci » de temps en temps ?
— Une fois suffit. Une fois pour toutes. Oubliez le « merci ».
Le regard de Pierce, en cette matinée, paraissait plus bleu, plus perçant que jamais. Il semblait également soucieux, mais pour quelle raison ?
Emma savait qu’elle ne devait pas s’éterniser chez lui. Elle avait mille choses à régler chez elle, ainsi que de nombreux rangements à faire dans la petite maison de sa grand-mère.
La perspective de se retrouver seule dans cette maison si longtemps habitée par sa grand-mère la glaça. C’était tellement désolant que les larmes lui vinrent aux yeux.
— Qu’avez-vous ? murmura Pierce, alerté par les larmes qui coulaient sur les joues d’Emma.
Il l’aida à se lever et la serra contre lui. Elle se mit à sangloter contre son épaule, tandis qu’elle répétait : « Ce n’est rien… Ce n’est rien… »
Du bout des lèvres, il baisa son front, ses joues mouillées par les pleurs, ses cheveux…
Et, subitement, Emma eut l’envie irrépressible qu’il la prenne dans ses bras, qu’il la cajole, la caresse, l’enflamme. Le désir était revenu, fulgurant, incontrôlable. Elle avait tout à coup terriblement envie de lui.





chapitre 11


Il pouvait lire sa requête dans les yeux d’Emma. Lorsqu’il scruta son regard, il comprit en effet qu’elle était animée d’une ardeur nouvelle. Elle se plaquait contre lui avec une sensualité surprenante, ce qui le troubla au plus haut point. Jamais il n’avait autant désiré une femme.
Comme Emma caressait sa nuque avec des mouvements réguliers et voluptueux, il murmura à son oreille :
— Si nous continuons ainsi, je ne suis pas sûr de pouvoir résister à l’envie de vous porter jusqu’au lit…
— C’est justement là où je veux que vous m’emmeniez, Pierce, chuchota-t elle, éperdue de désir.
Pierce hésitait encore. Il prit son beau visage dans ses mains et lui demanda d’une voix douce :
— Vous êtes sûre de ce que vous voulez, Emma ? Vous avez eu un tel chagrin, vous avez été si bouleversée que vous n’êtes plus tout à fait vous-même, et je ne veux pas abuser de la situation.
— Vous n’abusez pas, Pierce. C’est moi qui vous le demande : j’ai besoin de vous sentir près de moi. J’ai besoin que vous me touchiez, que vous me caressiez… Faites-moi oublier mes chagrins et mes misères. Venez, je vous en prie. Vous voulez bien ?
Une fois dans l’immense chambre de Pierce, Emma enleva ses vêtements à la hâte et se glissa dans les draps de lin soigneusement repassés, qui fleuraient bon la lavande. Pierce se faufila à ses côtés, mais il resta tout d’abord discret, presque à distance. Il ne voulait pas la brusquer, comme il l’avait fait la première fois qu’ils avaient fait l’amour, à Paris. Leur avidité avait été tellement intense, alors, qu’ils s’étaient jetés dans les bras l’un de l’autre avec une frénésie incoercible.
Aujourd’hui, c’était différent. Pierce, tout débordant de désir qu’il fût, attendait qu’Emma fasse les premiers gestes. C’était elle qui l’avait sollicité, aussi attendait il avec une certaine impatience qu’elle prenne les choses en main.
Emma caressa d’abord le visage de Pierce, avec une dévotion extraordinaire, puis, s’enhardissant, elle poursuivit sa caresse en s’attardant sur ses épaules robustes, sur ses bras musclés, sur son buste puissant, couvert d’un duvet blond et doux. Sa main s’enhardit encore, et c’est alors qu’elle se mit à trembler et à gémir. Pierce s’appuya sur un coude et entreprit, lui aussi, de la caresser. Les soupirs d’Emma devinrent plus marqués, ses plaintes plus tumultueuses. Elle délirait de désir et de bonheur.
Lorsque leurs bouches se rencontrèrent, Pierce éprouva une sensation que jamais, jusqu’alors, il n’avait éprouvée. Il eut l’impression d’avoir atteint le sommet de l’amour. Emma se pressait contre lui, seins fermes et tendus de désir, en une danse érotique qui le mettait au supplice. L’un et l’autre s’enivraient de l’arôme de leurs corps respectifs, en en goûtant chaque parcelle, chaque recoin inexploré. Leur conversation amoureuse n’était plus que gémissements, plaintes et petits cris de plaisir.
— Pierce… Oh, Pierce…, murmura-t elle, ivre de bonheur.
— Oh… Emma… Tu es tellement belle… J’ai tellement envie de toi…
— Viens, mon amour… Viens…
Elle l’invita en elle dans un mouvement sensuel et exigeant, et il la pénétra tendrement, progressivement, déclenchant aussitôt en elle un déferlement de jouissance.
C’était la première fois qu’elle connaissait une extase aussi totale, qu’elle atteignait une telle intensité voluptueuse.
Ils restèrent un long moment sans rien dire, après l’amour. Ils étaient comblés. Emma songeait que, quoi qu’il advienne par la suite, elle garderait de ce moment un souvenir inoubliable. L’avenir, elle ne pouvait le prédire. Il était bien possible que Pierce l’oublie, comme il avait oublié tant d’autres femmes qui avaient pourtant soupiré entre ses bras. Mais elle acceptait cette éventualité sans se révolter. Elle était consciente de la fragilité des relations humaines…
Elle remercia silencieusement le ciel de lui avoir accordé ces instants sublimes où l’âme et le corps atteignent une communion merveilleuse qui, à elle seule, donne un sens à la vie. En bref, elle était confiante en l’avenir, quelle que soit la nature de celui-ci.
Dès demain, elle irait acheter dans une pharmacie un test de grossesse. Elle ignorait complètement son état : enceinte ou non ? Elle avait deux jours de retard pour ses règles. Deux jours seulement. Le test allait permettre de savoir ce qu’il en était.
Le lendemain, Emma avait rendez-vous avec le notaire qui s’occupait de la succession de sa grand-mère. Une grosse surprise l’y attendait : non seulement sa grand-mère lui laissait sa maison, mais un chèque de trente mille euros avait été rédigé à son intention. Lorsqu’elle demanda d’où venait ce chèque, le notaire lui expliqua que la banque qui l’avait émis se trouvait en Australie. C’était son père qui lui laissait cet argent, par l’intermédiaire de sa grand-mère. Il lui faisait cadeau de cette somme, mais ne désirait pas revoir sa fille pour autant. Etrange comportement, qui attrista Emma. Elle aurait préféré ne pas recevoir un sou et retrouver son père…

Elle était déçue.
Lorsqu’elle revint chez Pierce, celui-ci se trouvait seul dans le luxueux appartement. Elle fut frappée par l’élégance et le charme qui se dégageaient de lui. Il avait choisi un simple chandail de cachemire noir qui lui allait à merveille.
— Ah, vous êtes de retour ! lança-t il gaiement.
— Il faut que nous parlions, Pierce. Vous avez quelques minutes ?
— Bien sûr ! Allons nous asseoir dans la bibliothèque. Mme Mayes a préparé un bon feu.
Lorsqu’ils furent confortablement installés dans les profonds fauteuils qui faisaient face à la cheminée, Emma se lança sans préambule :
— J’ai vu mon notaire. Ma grand-mère m’a légué sa maison, et, en plus, je dispose de trente mille euros qui viennent de mon père.
— De votre père ! s’exclama Pierce, stupéfait. Mais je croyais que…
— En fait, les choses se sont passées d’une étrange manière, enchaîna Emma rapidement. Lorsque ma grand-mère a su qu’elle allait subir une opération du cœur, elle a écrit à son fils pour lui demander de m’aider financièrement. Elle connaissait ma situation financière, qui n’était guère brillante. Mon père a envoyé une belle somme d’argent, manifestement pour avoir bonne conscience. Et il a précisé qu’il ne souhaitait pas me voir.
— C’est triste, c’est dommage, murmura Pierce, consterné.
Puis, sur un ton plus optimiste, il demanda brusquement :
— Alors, vous allez pouvoir quitter votre travail au restaurant ?
Piquée, elle rétorqua sèchement :
— Pourquoi devrais-je abandonner mon travail ? Est-ce une activité honteuse ?
— Nous n’allons pas retomber dans la polémique à propos de votre travail, fit il, agacé. Vous faites ce que vous voulez. Ce n’est pas à moi de vous diriger ni même de vous conseiller.
— J’espère bien ! Il y a autre chose que je voulais vous annoncer, Pierce. J’ai décidé de rentrer chez moi.
— Non.
— Comment : « Non » ?
— Il n’est pas question que vous partiez. D’ailleurs, vous ne pouvez pas retourner chez vous pour la bonne raison que votre appartement est en travaux. J’ai téléphoné à votre propriétaire pour lui faire savoir dans quel état se trouve ce logement. C’est une honte. Il m’a promis de faire toutes les transformations qui s’imposent, l’aération, la salle de bains et la cuisine… Cela prendra au moins trois semaines.
Interloquée, Emma ne savait que dire. D’un côté, elle admirait l’efficacité de Pierce, mais, de l’autre, elle se sentait un peu prise au piège dans une situation où elle avait l’impression de perdre son autonomie.
— Il y a chez moi pas mal de vêtements dont j’ai besoin, plaida-t elle. Je n’en ai emporté ici qu’une partie…
— Je vous achèterai tout ce que vous désirez, ce n’est pas un problème.
Elle secoua la tête, pensive. Pierce Redfield n’avait jamais de problèmes. Il avait le don de les faire disparaître d’un claquement de doigts.
— Je vais aller m’installer chez ma grand-mère, alors, décida-t elle sans enthousiasme.
Elle savait que quelques heures dans cette maison suffiraient à la déprimer : le souvenir de sa grand-mère était encore trop vivace.
— Ce serait absurde, grommela Pierce. Je veux que vous restiez avec moi, c’est la meilleure solution. Vous n’êtes pas bien, ici ?
— Si, je suis bien, assura-t elle en soupirant.
Elle croisa le regard de Pierce et baissa les yeux. Comme il était difficile de tenir tête à cet homme ! Quelle force, quel caractère, quel regard !
— Je dois partir, déclara-t elle, obstinée. Je suis désolée, Pierce. Je ne peux pas rester.
Pierce haussa les épaules dans un mouvement de résignation.
— Bon, alors, si vous tenez absolument à quitter les lieux, je vais vous réserver une chambre dans un hôtel près d’ici. De cette manière, je pourrai rester en contact avec vous.
— Non, vous n’avez pas besoin de…
— Emma !
Il darda sur elle un regard si bleu, si direct, si autoritaire qu’elle se sentit vaincue.
— Oui, Pierce ? répondit elle d’une petite voix.
— Vous avez deux possibilités. Ou bien vous restez sous mon toit, ou bien vous vous installez à l’hôtel, près d’ici. Nous devons nous décider rapidement, car demain j’accompagne Lawrence pour son déménagement en Cornouailles.
— Vous aidez Lawrence ! s’exclama-t elle, toute surprise.
— Il a besoin d’un coup de main. Vous le connaissez : il est incapable d’organiser convenablement un déménagement, il est trop tête en l’air. Et puis j’ai envie de voir l’endroit qu’il a loué.
Emma était très émue, très heureuse de constater l’amélioration des relations entre Pierce et Lawrence. C’est pourquoi elle n’eut pas envie de contrer Pierce outre mesure.


— D’accord pour l’hôtel, concéda-t elle. Mais je tiens à payer moi-même ma chambre.
— Non, pas question.
— Alors je reste chez vous, déclara-t elle en riant. Mais, si jamais je sens que je dérange, même légèrement, je reprends ma valise et je m’en vais.
Le sourire de Pierce attendrit Emma. Il était visiblement soulagé. Il avait eu peur qu’elle s’en aille. Ses yeux brillaient de plaisir. Il reprit d’un ton enjoué :
— Je ne vois pas pourquoi vous me dérangeriez ! L’appartement est vaste. Nous ne nous gênerons pas. Ah… Au fait, j’oubliais : j’ai invité des amis à dîner, ce soir. Cela ne vous ennuie pas ?
— Mais non, c’est une bonne idée.
Les yeux fixés sur la petite boîte transparente, Emma attendait, le cœur battant. Etait elle enceinte ? La couleur vira du rouge au vert, indiquant l’absence de grossesse. Emma poussa un soupir de soulagement. Puis, paradoxalement, dans les secondes qui suivirent, ressentit comme un serrement intérieur : elle était déçue. Car la vérité, comme souvent, était double. Elle était à la fois débarrassée d’un souci, et aussi désenchantée : elle n’aurait pas d’enfant — pour l’instant.
— Eh bien, je sais à présent où j’en suis, murmura-t elle pour elle-même.
Elle alla se faire belle pour le dîner. Elle ne voulait pas décevoir Pierce.
Les invités de ce dernier, Eve et Doug Webster, étaient ses plus vieux amis. Une réelle complicité unissait Pierce, Doug et Eve. Au point qu’Emma se sentit plusieurs fois de trop au cours de ce dîner, fort joyeux par ailleurs, mais au cours duquel Pierce se montra étonnamment peu bavard.
Entre poire et fromage, Doug se tourna vers son ami et lança familièrement :
— On ne t’entend pas beaucoup ce soir, Pierce.
— Ah bon ? répondit Pierce sur un ton grognon.
— Tu as peut-être quelque chose derrière la tête, un petit secret ? insista Doug en lui faisant un clin d’œil malicieux.
— Un petit secret ? répéta Pierce en fronçant les sourcils.
— Ecoute, mon vieux, poursuivit Doug avec un rire amusé. Tu n’as pas cessé durant tout le dîner de regarder Emma… Donc, je suppose que tu as quelque chose à nous confier concernant cette ravissante jeune femme.
— Je n’ai rien à dire de spécial, ronchonna Pierce, l’air contrarié.
Après un silence quelque peu embarrassant, il reprit sur le ton de l’évidence :
— Emma et moi sommes de bons amis, voilà tout.
Un nouveau silence se fit. On entendit une fourchette tinter contre une assiette. Une gêne réelle flottait dans l’atmosphère. Pierce, sentant sans doute qu’il était de son devoir de briser ce silence oppressant, se tourna vers Emma et dit posément :
— N’est-ce pas, ma chère ?
Subitement glacée, elle affirma d’une voix étranglée :
— Mais oui, nous sommes de bons amis, Pierce et moi. Voilà tout, confirma-t elle avec un sourire forcé.
Elle regardait fixement son assiette, chavirée. Puis, n’y tenant plus, elle lança un bref : « Excusez-moi un instant », et sortit précipitamment de table.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 22-05-10 12:22 PM

chapitre 12



Emma retourna dans sa chambre, le cœur brisé. Elle s’assit sur le lit, l’esprit vide. « De bons amis, voilà tout », avait déclaré Pierce. Le commentaire équivalait presque à une injure. Comment Pierce pouvait il avoir des mots aussi durs — ou plus exactement aussi vains — pour qualifier leur relation ?
Elle se leva brusquement, entra dans la salle de bains et coiffa ses cheveux, une manière pour elle de recouvrer son calme et ses esprits.
Et, subitement, elle murmura pour elle-même, à voix basse :
— Je sais ce que je dois faire : réserver le premier vol pour un pays tropical, et prendre deux ou trois semaines de vacances. Oui… Voilà la solution.
Demain, elle se rendrait dans une agence de voyages. Elle n’avait plus de soucis d’argent, à présent. Elle pouvait s’offrir une destination de rêve. Elle pourrait se reposer, sur le sable brûlant, à l’ombre des cocotiers, face au bleu de la mer. Et, là, elle déciderait paisiblement de la tournure de sa vie. Voilà l’idée !
Comme elle s’engageait dans l’escalier qui menait à la salle à manger, elle entendit Eve qui s’exclamait avec stupeur :
— Une serveuse ! C’est une serveuse… Ça alors !
Son cœur s’arrêta de battre. Elle chancela et s’appuya à la rampe de l’escalier pour ne pas s’effondrer. Elle avait envie de vomir. Elle les imaginait en train de gloser sur le métier de serveuse. Ah, ah, comme c’était amusant ! Pierce s’était donc amouraché d’une serveuse de restaurant… Oh, ce Pierce, il était vraiment incorrigible !
Emma se cramponnait à la rampe de l’escalier, blême de colère. Peut-être Pierce lui-même trouvait il la situation très drôle.
Tout le monde se moquait d’elle, c’était évident.
C’est à ce moment qu’apparut Mme Mayes. Elle portait un plateau avec quatre flûtes de champagne et se dirigeait vers la salle à manger.
— Attendez ! lança aussitôt Emma.
Elle descendit l’escalier et prit le plateau des mains de la gouvernante. Celle-ci protesta poliment :
— Mais… Je dois aller porter le champagne à…
— Je m’en occupe, coupa Emma, catégorique.
Mme Mayes paraissait déstabilisée. Elle hésitait.
— C’est gentil à vous, mademoiselle Emma, finit elle par dire. C’est très gentil…
Un instant plus tard, Emma entrait avec le plateau à la main. Pierce sursauta.
— Mais, Emma ? J’avais demandé à Mme Mayes de s’occuper du champagne. Pourquoi portez-vous ce plateau ?
— Les plateaux, j’en ai l’habitude, non ? Un de plus, un de moins…
— Mais enfin, Emma…
— C’est mon métier, après tout, n’est-ce pas ? Je suis une serveuse, non ? Une serveuse professionnelle. Oh, je n’ai pas honte de l’être. Vous trouvez sans doute ce métier dégradant ou ridicule, mais moi, je l’aime bien, ce métier de serveuse. En tous les cas, Pierce, ce n’est pas ma profession qui vous a empêché de m’emmener dans votre lit !
— Mais enfin, Emma, c’est ridicule…, protesta vivement Pierce.
Il avait pâli et son visage s’était assombri. Emma pensa qu’il ne voulait pas perdre la face devant ses amis et qu’il s’efforçait de faire bonne figure, mais il semblait profondément touché par la révolte de sa compagne.
— Je vous ai entendus, derrière la porte, tout à l’heure. Vous vous moquiez de moi ! fulmina-t elle.
— Mais pas du tout ! assura Eve, la main sur le cœur.
— Vous voulez bien nous excuser un moment ? grommela Pierce en marchant d’un pas vif vers Emma. Nous en avons pour deux minutes.
Il la saisit par le bras d’une poigne énergique et la fit sortir de la pièce.
Lorsqu’ils furent à bonne distance de la salle à manger, Pierce relâcha son étau et murmura d’un ton ferme :
— Qu’est-ce qu’il vous a pris, Emma ? Personne ne s’est moqué de vous ! Cette scène ridicule ne rime à rien !
Mais Emma, très remontée, ne voulait rien entendre. Elle n’admettait pas qu’on puisse rire des gens de petite condition.
— Evidemment, je ne fais pas partie de votre monde, marmonna-t elle avec humeur. Vous, vous appartenez à la catégorie haute, et moi, à la catégorie inférieure. Vous, vous brassez des millions, et moi, je fais des économies à la petite semaine, parce que les fins de mois sont difficiles ! Mais je n’ai pas honte de ma condition, pas plus que de mon métier ! Je suis même fière de mon rang dans la société !
Emma s’arrêta pour reprendre souffle. Elle vit que Pierce était consterné. Il finit par déclarer d’une voix marquée par la déception et la tristesse :
— Ce que vous venez de dire montre à quel point vous me connaissez peu, Emma. Pour votre information, laissez-moi vous dire que je viens moi-même d’une famille très modeste, très simple. Mon père était agriculteur et ma mère, cuisinière dans une cantine scolaire. Et savez-vous ce que font mes amis ? Eh bien, figurez-vous qu’ils travaillent durement dans la restauration. Eve, qui vous a paru être une femme du monde, a commencé sa carrière comme serveuse. Tout comme vous !0


Abasourdie, Emma ne trouvait plus rien à dire. Elle aurait souhaité que la terre s’ouvre sous ses pieds pour la faire disparaître. Elle avait honte du comportement qu’elle avait eu.
Pierce poussa un soupir de tristesse et poursuivit à mi-voix :
— Ai-je jamais eu le moindre regard de mépris à votre égard, Emma ? Avez-vous jamais senti un décalage entre nous, à cause d’une différence de classe ou de fortune ? Non. Je ne vous ai jamais prise de haut, malgré ma réussite professionnelle. Je ne vous ai jamais méprisée, ni pour votre métier ni pour votre compte en banque. Ce n’est pas la modestie de ce dernier qui pourrait être dégradante. Je juge les gens pour ce qu’ils sont et non pour ce qu’ils possèdent. Je ne m’estime nullement supérieur à vous. Et, dans l’absolu, je ne pèse pas plus lourd que vous.
Sidérée d’entendre une telle profession de foi, Emma saisissait que, jusqu’à présent, elle avait mal compris Pierce.
Ce dernier avait l’air encore très affecté. Il murmura doucement :
— Je retourne auprès de nos amis. Venez nous rejoindre dès que vous serez remise.
Il tourna les talons, la laissant totalement déboussolée.
Elle dormit très mal, cette nuit-là. Elle se leva de bon matin et descendit dans la cuisine pour se préparer un café. Naturellement, à cette heure matinale, Mme Mayes n’avait pas encore pris son service.
Comme elle ouvrait un placard pour y prendre le paquet de café, elle entendit la porte s’ouvrir. C’était Pierce. Elle eut un petit sourire nerveux.
— Vous êtes bien matinale, remarqua-t il.
— Vous aussi, Pierce.
— C’est parce que j’accompagne Lawrence en Cornouailles.
— Ah, oui, c’est vrai. J’avais oublié.
Pierce avait pris une douche froide pour se réveiller, après une nuit pénible durant laquelle il n’avait cessé de désirer Emma. Se tournant et se retournant dans son lit, il avait désespérément cherché le sommeil, mais l’image d’Emma, qui dormait dans l’autre chambre, à quelques pas de là, n’avait cessé de le hanter.
Et voici qu’elle se trouvait maintenant devant lui, si mince, si gracieuse, si désirable dans son peignoir de soie qui laissait deviner les courbes sensuelles de son merveilleux corps. Pierce mourait d’envie de la prendre dans ses bras, de l’embrasser passionnément, puis de la conduire jusqu’à son lit pour de folles étreintes.
S’il n’avait pas fait la promesse d’accompagner Lawrence, il serait resté auprès d’Emma, et il aurait tout fait pour se réconcilier avec elle, pour dissiper l’absurde malentendu de la veille.
— Lawrence doit être fou de joie, aujourd’hui, commenta Emma en souriant. Il va pouvoir enfin commencer la vie d’artiste dont il rêvait !
— Je ne sais pas s’il parviendra à vivre de son art, mais, en définitive, on ne peut pas lui reprocher de tenter sa chance.
Très étonnée par le changement d’attitude de Pierce à l’égard de Lawrence, Emma se sentait profondément émue.
— Je suis tellement heureuse de votre réconciliation avec Lawrence ! Les parents et les enfants ne devraient jamais s’enfermer dans des positions où le dialogue n’existe plus. Il faut toujours rester ouvert.
— C’est en effet mon avis, concéda Pierce avec un sourire. Et j’espère que votre père se manifestera un jour. Il ne faut jamais perdre espoir.
Elle eut une moue dubitative.
— Oh, je n’ai plus guère d’illusions de ce côté, soupira-t elle avec découragement.
Mais, balayant la tristesse qui l’avait submergée, elle se redressa et reprit d’un ton plus ferme :
— J’ai bien réfléchi, Pierce. Je vais vous quitter. Je vous suis très reconnaissante de m’avoir accueillie avec autant d’attention, de gentillesse, mais il faut que je m’en aille. Je… J’ai des projets.
On eut dit que Pierce venait de recevoir une décharge électrique. Il tressaillit, puis sembla chercher un argument pour la retenir encore. Il ne supportait pas l’idée de la voir disparaître.
— Et si vous étiez enceinte ? hasarda-t il avec une sorte d’espoir dans la voix.
— Je ne le suis pas. J’ai effectué le test de grossesse : il est négatif. Je voulais vous le dire hier soir, mais il y avait du monde, et, surtout, il y a eu cet incident qui a rendu toute discussion impossible.
La déception se lisait sur le visage de Pierce. C’était tout à fait paradoxal, pensa Emma, car il avait nettement affirmé, quelque temps auparavant, qu’il ne souhaitait pas avoir d’enfants. Pourquoi, alors, ce désappointement qui marquait son beau visage ?
— Vous avez des projets, disiez-vous ?
— Je vais prendre un peu de vacances et, lorsque je reviendrai, je m’inscrirai à l’université.
— A l’université ? répéta-t il, éberlué.
— J’ai besoin de diplômes qui me permettront de changer d’activité.


— Vous voulez commencer une autre… carrière ?
— Oui. Je ne vais pas rester serveuse indéfiniment. Le métier me plaît, plus exactement, m’a plu. Mais j’ai envie de changement. Il n’y a rien de pire que la routine dans la vie.
Pierce approuva d’un signe de tête. Il demeurait silencieux, pensif. Et, brusquement, il comprit qu’il était totalement amoureux d’Emma. Il ne pouvait nier cette évidence : il l’aimait comme il n’avait jamais aimé aucune femme jusqu’alors.
Dès le début, lorsqu’elle avait fait irruption dans son bureau, il avait été fasciné par le charme d’Emma, par son élégance naturelle, sa spontanéité, sa vision très personnelle des choses.
Et, depuis lors, son attachement pour elle n’avait fait que croître, jour après jour, même s’il n’en avait pas toujours été conscient, même s’il avait minimisé son importance.
A présent, il ne pouvait plus se passer d’elle. Il avait besoin d’elle de la même manière qu’il avait besoin d’oxygène pour respirer.
La perspective de vivre sans elle le mortifiait. Il fallait qu’elle reste avec lui : c’était vital.
— Et la maternité ne vous tente pas ? questionna-t il avec gravité au bout d’un moment. Vous n’avez pas envie d’avoir d’enfants ?
— Si, un jour, sans doute, quand j’aurai rencontré l’homme qui…
— Mais bon sang, Emma ! explosa-t il. A quel jeu jouez-vous ?
En deux enjambées, il fut près d’elle, et il l’enlaça d’un mouvement impérieux. Il la tenait fermement contre lui.
— Vous ne pouvez pas disparaître dans la nature en faisant abstraction de tout ce que nous avons déjà vécu, tous les deux ! Vous avez failli porter mon enfant ! Nous sommes liés, quoi qu’il advienne. Oh, si vous saviez comme je le souhaitais, cet enfant !
Avant qu’Emma ne puisse répondre, la bouche de Pierce avait pris possession de la sienne, et ils échangèrent un baiser d’une ardeur, d’une intensité, d’une tendresse extrêmes. Emma, totalement bouleversée, comprenait que cet homme était le centre de sa vie, sa raison d’être, son avenir.
Lorsqu’ils rompirent leur étreinte, Emma sentait que la tête lui tournait, tant elle était heureuse.
— Vous l’espériez vraiment, cet enfant ? demanda-t elle, émue.
— Je vous aime, Emma. Je souhaite avoir plein d’enfants avec vous.
— Oh, Pierce ! murmura-t elle, les larmes aux yeux. Si vous saviez !… Moi aussi, je l’ai espéré, cet enfant… Notre enfant. Oui, moi aussi, je veux des enfants de vous… Si vous saviez comme je vous aime !
Pierce exultait. C’est d’une voix vibrante qu’il enchaîna :
— Qui dit enfants, dit mariage, c’est logique, non ?
— C’est logique, admit Emma, les yeux embués de larmes.
— Alors, ne tardons pas à nous marier !
Ils se jetèrent une nouvelle fois dans les bras l’un de l’autre avec ivresse.
Au bout d’un moment, ayant repris ses esprits, Emma demanda d’une voix hésitante :
— Mais dites-moi, Pierce. Et Lawrence ?
— Quoi, Lawrence ? répéta-t il avec un sourire optimiste.
— Comment va-t il réagir lorsque nous lui annoncerons que nous nous marions ? Je n’ai pas envie qu’il fasse une crise, qu’il soit jaloux de vous…
— Nous avons bien progressé, Lawrence et moi, ma chérie. Nous avons dissipé les malentendus et les conflits qui nous opposaient. Je suis prêt à l’aider, non seulement financièrement, mais je voudrais aussi être un père pour lui.
Il s’interrompit. Il la dévisageait avec des yeux pleins d’amour.
— Dis-moi, Emma. Quelle impression cela va-t il te faire d’avoir Lawrence comme beau-fils ?
— Oh, mon chéri, je m’y ferai, tu sais. Même si cela paraît un peu bizarre au début.
— J’ai envie de toi, j’ai terriblement envie de toi, mon amour, murmura-t il d’une voix troublée. Allons dans ma chambre…
— Mais… ce déménagement que tu dois faire avec Lawrence ? dit elle d’une voix incertaine.
— Je suis sûr qu’il dort encore. Viens, accordons-nous ce moment d’intimité… Nous avons du temps à rattraper. Viens, viens, mon amour ! 0


**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 22-05-10 12:23 PM

fin fin fin

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rania1976 14-02-14 01:19 PM

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ÇáãÔÇÑßÉ ÇáÃÕáíÉ ßÊÈÊ ÈæÇÓØÉ marianadine (ÇáãÔÇÑßÉ 2259772)
merci , mais la suite s'il vous plais

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laili22 07-10-16 04:52 PM

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