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**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 25-11-09 10:36 PM

L'espion Du Roi, De Margaret Moore
 
L'espion du roi
de Margaret Moore



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L'espion du roi


Angleterre, 1200.

Le chevalier Blaidd Morgan est envoyé par le roi au chateau de lord Throckton. Il doit juger de la fidélité de ce dernier et, pour cela, prend le prétexte de courtiser sa fille aînée, Laelia, dont la beauté est célèbre dans tout le royaume. Très vite, il ressent un malaise. La feinte bonhomie de lord Throckton est suspecte, tout comme la grâce affectée de Laelia, et l'hostilité de la cadette, la mystérieuse Rebecca, qui, en dépit de la cicatrice qu'elle a sur le visage, lui paraît rapidement beaucoup plus intéressante que sa soeur

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 26-11-09 01:50 PM

Sir Blaidd Morgan, chevalier de Sa Majesté le roi d’Angleterre, Henry III, champion de tournois et bourreau des cœurs, tira sur les rênes de son cheval et s’essuya le visage du revers de sa main gantée.
L’eau ruisselait de la capuche de son manteau de laine et ses bottes étaient maculées de boue. Une odeur humide de feuilles mortes s’élevait du bois sur sa gauche. A sa droite, des vaches, regroupées autour d’un grand chêne au milieu d’un pré, ruminaient en regardant tristement dans sa direction.
A travers la pluie serrée qui tombait sans interruption depuis le début de l’après-midi, il pouvait enfin distinguer un village et, au-dessus, dressé dans les brumes, un château fort.
— Voilà enfin le château de Throckton ! dit-il en s’adressant à son écuyer tout aussi trempé que lui. Je commençais à craindre que nous n’ayons pris la mauvaise route lorsque nous avons rencontré une croisée il y a quelques lieues. Nous aurions été obligés de passer la nuit dans ce bois.
Son jeune écuyer rabattit le capuchon de son vêtement sur son visage.
— Je vous croyais habitués à la pluie, vous autres Gallois.
— Certes, reconnut Blaidd. J’y suis d’ailleurs autant accoutumé en raison de ma naissance qu’à cause du sévère entraînement que m’a donné ton père. Mais ces deux circonstances ne font pas de moi, pour autant, un amoureux de la pluie.
Les pères de Blaidd et de Trevelyan, le chevalier Hugh Morgan et le baron Urien Fitzroy, étaient de vieux amis. Le premier avait confié l’éducation de ses fils, Blaidd et Kynan, au second. Or, Urien Fitzroy, maître d’armes réputé à travers tout le royaume, exigeait des apprentis chevaliers qu’ils s’exercent par tous les temps, même les moins cléments.
Trevelyan hocha la tête d’un air admiratif en considérant la forteresse qui se dressait au loin.
— Je ne pensais pas que le comte de Throckton avait un château aussi imposant. Il n’a pas la réputation d’être un très puissant seigneur.
— Les remparts et le donjon sont plus hauts, en effet, que je ne l’avais imaginé, reconnut Blaidd.
Autant qu’ils pouvaient en juger à travers le rideau de pluie, il s’agissait d’une place forte solidement défendue par deux murs d’enceinte, flanquée de quatre tours, et présentant, en son milieu, un important donjon carré. Blaidd n’avait pas vu beaucoup de châteaux aussi bien fortifiés et il se demandait si le roi Henry n’était pas informé de l’achèvement de la seconde enceinte, ce qui aurait expliqué ses suspicions au sujet du comte de Throckton.
— Tous les puissants seigneurs ne participent pas à la vie de la cour, dit-il, exprimant à haute voix ce qui découlait de la réflexion qu’il menait en lui-même. Nos pères ne s’y rendent presque jamais, mais ils n’en sont pas moins très civilisés. Ils savent recevoir, en tout cas. Je parie qu’il en est de même ici. L’accueil dans ce château, j’en suis sûr, sera bon et nous y serons bien logés.
— Pensez-vous que la fille du comte, Laelia de Throckton, soit aussi belle qu’on le dit ? demanda Trevelyan.
— Certainement pas, mais il n’y a aucun mal à aller le vérifier par nous-mêmes, répondit Blaidd en invitant du talon son grand cheval noir, Aderyn Du, à se remettre en marche.
— Nous avons fait tout ce voyage simplement pour voir si la damoiselle est à la hauteur de sa réputation ? s’exclama Trevelyan, incrédule.
Blaidd n’avait aucune intention de partager avec lui la véritable raison pour laquelle il se rendait chez le comte de Throckton, aussi reprit-il avec un large sourire :
— Qu’attends-tu d’autre d’un chevalier que de contempler avec admiration une belle jeune fille ? J’ai entendu tant de récits sur la beauté légendaire de Laelia de Throckton qu’il est bien normal que j’accomplisse le voyage pour constater de mes propres yeux si elle est aussi merveilleuse qu’on le dit. Et, ce faisant, je rassurerai mes parents qui désespèrent de me voir prendre femme.
— Alors, si Laelia de Throckton est aussi belle que ceux qui l’ont vue le rapportent, vous l’épouserez ?
Le rire grave de Blaidd résonna, couvrant un instant le bruit de la pluie et des sabots des chevaux.
— La beauté n’est pas la seule qualité qu’un homme doive prendre en compte chez une femme lorsqu’il envisage de se marier.
— Sans doute, reconnut Trevelyan, dubitatif.
— Tu peux même dire que c’est certain, insista Blaidd.
— Vous avez déjà réfléchi à cette question, n’est-ce pas ?
Aderyn Du contourna une grande flaque d’eau au milieu de la route défoncée.
— Bien sûr, répondit Blaidd, mais je n’ai jamais trouvé la femme qui me convenait.
— Est-ce pour cela que vous en avez fréquenté autant ?
Blaidd regarda son jeune compagnon d’un air désabusé.
— Je n’en ai pas connu autant que tu le penses. Je ne nie pas que j’apprécie la compagnie des femmes, mais je ne suis pas le coureur de jupons qu’inventent les mauvaises langues.
— Mais Gervais dit que…
— Ton frère ne sait pas plus que toi comment je passe mes nuits.
Trevelyan n’osa pas insister et ce fut dans le silence qu’ils traversèrent le pont de pierre qui conduisait au village. Blaidd était plutôt satisfait que le jeune homme eût perdu de son audace car il n’aimait guère parler de ses frasques, en particulier avec un gamin de seize ans.
La rivière charriait des eaux tumultueuses qui écumaient et tourbillonnaient contre les piles du pont, ouvrage d’art dont la qualité surprit Blaidd. Il ne s’attendait pas à en trouver d’une telle conception dans une région aussi reculée, au nord-ouest de Londres.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 26-11-09 02:46 PM

Dieu merci, la pluie avait diminué et il lui était permis de mieux observer le village qui se composait de maisons à colombage et toits de chaume, regroupées autour de l’église et abritant, pour certaines, des boutiques au rez-de-chaussée.
Il avait vu des maisons dans un plus mauvais état mais aussi d’autres bien mieux entretenues. L’église était assez délabrée également ce qui le conduisit à soupçonner le seigneur du lieu de ne restituer sous forme de charité qu’une faible part de la dîme. Il y avait tout lieu de penser que le revenu des impôts avait servi d’abord à payer le mortier et les maçons pour édifier les remparts du château.
La place était déserte, mais Blaidd avait l’impression, néanmoins, d’être observé. Assurément les villageois les épiaient derrière les fenêtres de leurs maisons, se demandant qui ils étaient et pourquoi ils étaient là.
L’accoutrement de Blaidd, la taille et la robustesse de son cheval de bataille, son attitude, la grande épée qui lui battait la cuisse indiquaient clairement qu’il était rompu au combat. La compagnie d’un écuyer et le blason peint sur son bouclier confirmaient qu’il était chevalier.
La pluie cessa enfin alors qu’ils s’approchaient d’une maison plus importante qui ressemblait à une auberge. Blaidd se demandait s’il ne serait pas plus agréable de passer la nuit ici, s’ils étaient refoulés par les gardes du château, plutôt que de coucher à la belle étoile quand une jeune femme brune, débraillée, parut à l’une des fenêtres du second étage.
Elle se penchait tant dans la rue que sa poitrine généreuse, à peine couverte par sa chemise ouverte, menaçait, à tout instant, d’être complètement dévoilée. Elle sourit effrontément à Blaidd et siffla. Un instant après, plusieurs femmes aussi négligées qu’elle parurent aux autres fenêtres de la maison.
— N’est-ce pas un bel homme ce chevalier à l’air effronté ? lança la brune. Je parierais qu’il ne l’est pas moins au lit.
Les femmes se mirent à glousser et la réflexion d’une rousse, qui s’était mise à une fenêtre du premier étage, fit redoubler leur hilarité :
— Vous avez un bien bel instrument, messire, contre votre cuisse. Ça ne me déplairait pas de le voir de plus près.
— Le bel écuyer n’est pas pour me déplaire non plus, observa une troisième.
Blaidd jeta un regard vers son compagnon. Rouge comme une tomate, Trevelyan avait les yeux dirigés droit devant lui. Blaidd réprima un sourire et, comme ils étaient arrivés à la hauteur de l’auberge, il se tourna vers les femmes :
— Je suis désolé, mes belles, répondit-il avec déférence, mais mon écuyer et moi-même sommes obligés de renoncer à vos aimables propositions.
— Oh ! Ecoutez-moi cette voix ! dit la brune. N’est-ce pas l’intonation la plus douce et mélodieuse qu’on ait jamais entendue ? Tu es gallois, mon beau chevalier. J’ai entendu dire beaucoup de bien des hommes de ton pays.
Elle joignit un geste éloquent à la parole.
— Venez ici, mon seigneur, et murmurez-moi quelques galantes paroles à l’oreille. C’est la moindre des choses que vous puissiez m’accorder si vous ne passez pas la nuit chez nous.
Blaidd mit la main sur son cœur et inclina la tête :
— Hélas ! Je crains de ne pouvoir accéder à votre requête, ma belle. J’ai affaire au château et ne puis me permettre de m’attarder davantage.
Il pressa des genoux Aderyn Du pour qu’il se remît en marche, mais le cheval n’avait pas encore réagi qu’une toute jeune fille, sans doute à peine plus âgée que Trevelyan, parut sur le seuil de la porte. Ses cheveux blonds étaient tout emmêlés et sa robe, relativement propre, collait à son corps sculptural. Elle levait sur les cavaliers, de magnifiques yeux verts.
Mais alors qu’elle avait un visage d’ange, la façon provocatrice dont elle s’adossait au chambranle de la porte et le sourire qu’elle arborait en regardant les deux hommes montraient qu’elle était déjà rompue au jeu de la séduction. En poussant son cheval en avant, Blaidd laissa échapper un soupir. La malheureuse avait perdu toute innocence à un âge encore bien tendre ! Mais il savait que la pauvreté ne laissait souvent aucun autre choix aux femmes.
Il prit conscience, soudain, que Trevelyan n’était plus à son côté et qu’il n’entendait pas non plus le pas de son cheval derrière lui. Il tourna la tête pour regarder par-dessus son épaule et vit que le jeune homme était toujours à l’arrêt devant l’auberge et qu’il regardait la jeune courtisane d’un air subjugué.
Blaidd jura entre ses dents puis lança d’une voix tonitruante :
— Fitzroy !
Trevelyan sursauta et talonna les flancs de sa monture qui rejoignit en un instant Aderyn Du.
— C’est une prostituée comme les autres, dit Blaidd alors qu’ils reprenaient, côte à côte, le chemin du château.
— Je le sais, je ne suis pas un enfant, marmonna Trevelyan en évitant le regard de Blaidd. Et j’ai des oreilles. J’ai entendu ce qu’elles ont dit.
— Alors, tu sais qu’il faut oublier cette fille.
Le jeune homme rougit de nouveau.
— J’ai de l’argent, rétorqua-t il.
— Il ne s’agit pas de savoir si tu peux ou non te l’offrir. Cette auberge n’est simplement pas un endroit pour toi. Indépendamment des puces et des punaises, la plupart de ces femmes te voleront ton argent sans même que tu t’en aperçoives. Et il est à craindre qu’elles soient presque toutes malades. Un homme honnête se tient à l’écart de ces lieux dégradants.
— Je crois entendre mon père.
— Merci pour le compliment. N’oublie pas que je suis responsable de toi tant que tu es à mon service. Si ton père apprenait que je te laisse aller au bordel, il aurait une attaque, mais, avant de succomber, il aurait sans doute le temps de me fendre le crâne d’un coup d’épée. Je ne veux pas prendre ce risque.

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 26-11-09 02:47 PM

— N’êtes-vous jamais allé, vous, au bordel ?
Blaidd se réjouit de pouvoir répondre sincèrement :
— Je n’en ai jamais eu ni le désir ni le besoin.
Après avoir franchi la barbacane où les deux gardes les laissèrent passer sans leur poser de question, ils venaient, heureusement, d’atteindre le pont-levis du château et Blaidd n’eut pas à s’étendre sur le sujet ni à subir d’autres questions indiscrètes de la part de son écuyer. Il avait une mission grave à accomplir à Throckton et il ne pouvait pas se laisser distraire par les préoccupations d’un jeune puceau.
Il examinait l’énorme herse qui interdisait l’accès au château ; une grille de bois hérissée de pointes à sa base. Des gardes se tenaient sur le chemin de ronde au-dessus du porche dont le passage était fermé, à l’autre bout, par une porte en chêne, massive et garnie de clous de laiton.
Blaidd releva sa capuche pour observer l’ouverture aménagée dans la voûte et par laquelle des projectiles pouvaient être jetés sur les assaillants. Tout ennemi qui se laissait emprisonner entre la herse et la porte s’exposait à une pluie de pierres et d’huile bouillante.
Un frisson d’horreur courut dans le dos de Blaidd. Il avait vu, une fois, un enfant ébouillanté accidentellement par du suif de mouton et, à la pensée d’une grande cuve déversant une huile bouillonnante sur sa tête et ses épaules, il était pétrifié.
Chassant de son esprit ces visions épouvantables, il mit pied à terre et fut imité, aussitôt, par Trevelyan auquel il confia les rênes d’Aderyn Du. Avant même qu’il n’eût appelé pour manifester leur présence, un panneau s’ouvrit dans la porte cloutée. Sans aucun doute, les gardes sur le chemin de ronde avaient signalé leur arrivée.
Un petit visage caché sous un capuchon de laine brune parut. Deux yeux d’un bleu intense dévisagèrent Blaidd d’un air suspicieux.
— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? dit le garde d’une voix enrouée.
— C’est une femme ! s’exclama Trevelyan qui aurait voulu chuchoter cette remarque.
Une fois la surprise passée, Blaidd sourit comme il en avait l’habitude lorsqu’il rencontrait un représentant du sexe faible.
— J’ignorais que le comte de Throckton eût des amazones en guise d’hommes d’armes pour défendre son château.
Les yeux bleus le toisèrent de haut en bas avec une expression de colère non dissimulée, se portèrent sur son capuchon tout dégouttant d’eau, puis descendirent sur sa cape de laine, son pourpoint de cuir, son baudrier auquel pendait son épée, ses chausses et, enfin, ses bottes. Le regard de la jeune femme, soudain, devint approbateur alors qu’elle venait de le diriger vers Aderyn Du.
Blaidd fut irrité. Il n’était pas habitué à ce que son cheval, aussi beau fût-il, suscitât davantage l’intérêt féminin que sa propre personne.
— Qui êtes-vous et que voulez-vous ? demanda la jeune femme en portant de nouveau son attention sur Blaidd.
— C’est le chevalier Blaidd Morgan ! déclara Trevelyan comme si le monde entier devait connaître son maître.
Blaidd, cependant, savait que sa réputation n’excédait pas les limites du pays de Galles et des comtés situés autour de Londres.
— Mon écuyer m’a justement nommé, dit-il de sa voix calme et assurée. Je suis venu en ami pour rendre visite au comte de Throckton.
La jeune femme fit une moue incrédule.
— Vous êtes là pour courtiser Laelia de Throckton comme beaucoup d’autres avant vous. Eh bien, je vous souhaite bonne chance !
— J’espère que je n’en manquerai pas si la fille du comte de Throckton est à la hauteur de sa réputation.
— Je vois que la modestie n’est pas votre fort, messire. Je serais curieuse de voir comment s’y prend un Gallois — car vous venez du pays de Galles, n’est-ce pas, chevalier ?
Trevelyan trépignait d’indignation.
— Vous la laissez vous parler sur ce ton ? demanda-t il à son maître. Et combien de temps nous laissera-t on à la porte comme si nous étions de vulgaires colporteurs ?
Sans se départir de son sourire ni cesser de regarder avec insistance leur singulière compagne, Blaidd répondit avec ostentation à son écuyer de façon à être entendu par celle qui leur interdisait toujours l’entrée du château :
— Dans la mesure où c’est elle qui contrôle les entrées et les sorties de la forteresse, je ne peux que m’incliner devant sa volonté et la laisser me parler comme bon lui semble.
La jeune femme eut un petit rire de gorge quelque peu ironique.
— Votre sagesse et vos bonnes manières m’ont convaincue, messire le Gallois. Soyez le bienvenu ainsi que votre écuyer.
Elle claqua le judas et, un instant après, Blaidd et Trevelyan entendirent coulisser un lourd verrou.
— Il était temps, marmonna Trevelyan. Nom d’un chien, Blaidd ! C’est la plus cavalière réception que nous ayons jamais eue !
— Ne t’en fais pas, Trevelyan. Nous n’avons pas reçu d’invitation du comte. Nous ne devons pas nous offusquer si l’accueil est moins chaleureux que nous pourrions l’espérer.
— J’espère que le maître des lieux se montrera plus aimable.
— Je n’ai aucun doute à ce sujet. L’hospitalité à l’égard de ses pairs fait partie des devoirs d’un seigneur.
L’écuyer ne répondit rien, mais Blaidd sentait qu’il était profondément irrité. Lui-même, d’ailleurs, l’était aussi, même s’il ne le montrait pas. A la différence de son jeune compagnon, il s’était déjà vu rudoyer ; ce n’était pas la première fois qu’il était confronté au manque de respect. Son père était né roturier et n’avait été anobli qu’après avoir prouvé sa valeur au combat. Il avait fallu, également, à Blaidd prouver sa vaillance dans plus d’un tournoi et gagner la confiance du roi pour être vraiment accepté à la cour.


Aussi n’était-il pas aussi susceptible que Trevelyan et ne tirait-il pas ombrage du manque de courtoisie de cette femme. Il était même impatient de voir tout son visage. S’il était aussi beau que ses yeux, son séjour ici serait peut-être plus captivant qu’il ne l’avait pensé.
Il ne devait, cependant, jamais oublié la vraie raison de sa présence à Throckton…
La solide porte grinça enfin sur ses gonds et Trevelyan et lui-même pénétrèrent avec leurs montures, qu’ils tiraient par les rênes, dans un large fossé verdoyant situé entre la première et la deuxième enceinte qui se dressait devant eux avec ses hauts murs flanqués de tours.
Plusieurs gardes armés se tenaient à côté de la porte, mais la jeune femme, enveloppée dans une longue cape brune, en était la plus proche ce qui donnait l’impression que c’était elle qui avait tiré l’énorme verrou.
Ce qu’elle révélait de son visage laissait voir des traits fins, un teint pâle et des yeux immenses qui semblaient n’avoir pour rivaux que les lèvres, charnues et joliment ourlées, visiblement faites pour donner et recevoir des baisers.
— J’espère que vous me pardonnerez mes questions, beau sire, dit-elle en s’inclinant très bas, mais nous ne sommes guère habitués à recevoir la visite des charmants chevaliers de la cour de Sa Majesté. Vous comprendrez que j’ai pu être quelque peu surprise en vous voyant.
« Charmants chevaliers ! » répéta Blaidd en lui-même. Elle poussait l’insolence un peu trop loin. Qu’insinuait-elle ?
— Trevelyan, permets-moi de corriger cette effrontée, dit entre ses dents Blaidd en avançant vers la jeune femme.
Il s’en approcha et ne s’arrêta qu’à un pas d’elle pour la regarder de bas en haut en la toisant alors qu’elle redressait le menton d’un air de défi.
— Comment t’appelles-tu ? demanda-t il avec un calme trompeur alors qu’il arborait ce sourire suave que ses adversaires au tournoi avaient appris à redouter.
— Rebecca, répondit-elle avec assurance.
— Dis-moi, Rebecca. T’adresses-tu toujours à tes supérieurs avec cette impertinence ?
— Je ne parle jamais à quiconque se croit supérieur à moi.
C’était assurément la femme la plus impertinente qu’il n’eût jamais rencontrée. Il n’allait pas l’épargner…
— Si c’est là le genre d’accueil auquel doit s’attendre tout visiteur venant du palais, je ne m’étonne plus que votre seigneur ne soit guère estimé dans l’entourage du roi.
Le regard assuré de la jeune femme perdit un instant de son aplomb, mais ce ne fut que de très courte durée.
— S’il ne l’est pas, ça ne fait que confirmer ce que je pense de la cour du roi d’Angleterre.
— Que savez-vous d’elle ?
Elle écarquilla les yeux d’un air faussement innocent.
— Je n’ai jamais dit que je connaissais la cour, messire. J’ai seulement dit que cela confirmait ce que j’en pensais.
Elle fit de nouveau la révérence avec une grâce inattendue.
— Je le regrette infiniment, chevalier, si je vous ai offensé.
Il inclina légèrement la tête de côté en l’examinant, incrédule.
— Vraiment ?
— Si ma réflexion peut faire du tort au comte de Throckton, je le suis sincèrement.
Elle sourit avec un charme délicieux et ajouta :
— Cependant si vous pensez, en raison de ma sincérité, que je suis une misérable et une scélérate qui mérite d’être punie pour son insolence, alors je ne suis pas le moins du monde désolée de vous avoir déplu.
Devant ce sourire déconcertant, la colère de Blaidd s’évanouit.
— Peut-être me montrerai-je clément et ne dirai-je rien au comte au sujet de l’impertinence de son portier.
— Il n’en serait certainement pas surpris, répondit-elle sans montrer aucune inquiétude.
Puis, resserrant sa cape autour de sa silhouette fine et de son petit visage, elle ajouta :
— N’êtes-vous pas impatient de rencontrer la belle Laelia ?
Elle sourit de nouveau.
— Je pense que vous avez vos chances.
— Ah ! Bon ? Je peux me considérer dorénavant son fiancé si j’ai déjà votre accord.
Le regard de la jeune femme devint grave soudain.
— Vous n’avez peut-être jamais rencontré d’adversaire à votre hauteur jusqu’à présent, messire le chevalier du pays de Galles, mais, cette fois, vous trouverez à qui parler. Je vous souhaite de réussir si vous croyez que Laelia et sa dot vous rendront heureux.
Sans même avoir conscience de ce qu’il disait, Blaidd demanda :
— Vous reverrai-je dans le château ?
— J’espère que non, répondit-elle avec une fermeté qui ne laissait aucun doute.
Les gardes les plus proches réprimèrent un sourire qui n’échappa pas à Blaidd. Il aimait que l’on rît avec lui, les femmes, en particulier, mais il n’avait pas l’habitude que l’on s’amusât à ses dépens. Ce qui ne lui était pas arrivé, d’ailleurs, depuis bien des années. Aussi tourna-t il brusquement les talons et, mé*******, revint vers son cheval sur lequel il monta.
— Viens, Trevelyan ! dit-il entre ses dents.
L’écuyer ne se fit pas prier. Il sauta à son tour sur son cheval et rejoignit Blaidd.
— Crois-tu qu’elle soit vraiment chargée de surveiller l’entrée du château ? demanda-t il alors qu’ils traversaient la basse-cour.
— Je n’en sais rien, mais une chose est certaine, elle ne tourne pas rond. J’espère ne jamais la revoir.


— Le pauvre chevalier, dit-elle. Il ne s’attendait pas à un tel accueil.
Les soldats éclatèrent de rire.
— Assez, les gars, dit Dobbin, le capitaine de la garnison. Retournez à vos postes.
En échangeant quelques paroles et rires étouffés, les hommes regagnèrent chacun sa place tandis que Dobbin et Rebecca rentraient dans la salle des gardes.
C’était une vaste pièce aux murs dépouillés, blanchis à la chaux, dont le seul mobilier se composait d’une solide table en chêne sur des tréteaux et de quelques tabourets. Un feu dans la cheminée chassait l’humidité des énormes murs et apportait de la gaieté. Sur une étagère s’alignaient les objets nécessaires pour nettoyer le cuir et faire briller les armes. Une odeur d’encaustique régnait dans la salle, et, en se mêlant à celle du feu de bois, créait une atmosphère douce et chaleureuse.
Rebecca et Dobbin suspendirent leurs chapes dégoulinantes d’eau à une patère près de la porte et vinrent s’asseoir devant l’âtre.
— Je me fais, vieux, dit Dobbin en étendant les jambes, les pieds sur le bord du foyer de la cheminée. Je ne supporte plus de rester des journées entières sous la pluie.
Son accent trahissait ses origines du Yorkshire.
— Tu n’étais pas obligé de sortir d’ici.
— C’est trop risqué.
— Les deux cavaliers ne semblaient guère menaçants.
Dobbin lança un regard pénétrant à la jeune fille.
— Mais que n’auriez-vous dit si je n’avais pas été là ?
Elle sourit car le sergent avait raison. Elle aurait pu se montrer plus impertinente encore envers le chevalier, un de plus qui était venu à Throckton pour vérifier si Laelia était aussi belle qu’on le disait et lui faire la cour.
— Il est grand pour un Gallois, observa Dobbin. Il est très à l’aise sur son cheval. Avec cette largeur d’épaules et ces jambes puissantes, il doit être un adversaire redoutable.
— Je suis sûre que c’est un champion qui remporte tous les tournois, confirma Rebecca en étirant ses jupes pour leur permettre de mieux sécher.
Le mouvement fit cliqueter le trousseau de clés qu’elle portait à la ceinture.
— C’est un bel homme, reprit Dobbin, malgré ses cheveux qui sont trop longs. Je n’avais encore jamais vu de chevalier avec des cheveux sur les épaules comme un bandit de grand chemin.
— C’est peut-être courant au pays de Galles ?
— Je n’en ai rencontré aucun avec une telle allure et pourtant j’en ai affronté plus d’un en tournoi et dans d’autres circonstances.
Rebecca donna une tape sur l’épaule du sergent.
— Je vais lui demander pourquoi il les garde aussi longs !
— Vous feriez mieux de ne rien lui en dire. Il avait l’air si furieux après vous, tout à l’heure, qu’il vous aurait peut-être étranglée si nous n’avions pas été là. J’ai cru qu’il allait le faire lorsqu’il s’est approché tout près de vous.
Rebecca n’avait pas lu exactement les mêmes intentions dans le regard du magnifique chevalier qui avait marché sur elle avec ce mouvement désinvolte et assuré… Il lui avait semblé sur le point de… Elle n’osait exprimer sa pensée, même en son for intérieur, mais elle savait que son cœur s’était mis à battre à toute force.
— Soit, je ne lui demanderai rien, répondit-elle enfin avec un sourire. Je me demande comment il s’y prendra pour séduire Laelia. Il ne se *******era peut-être pas de lui parler avec courtoisie et de lui adresser des sourires charmeurs.
— J’espère, pour ma part, que le comte ne sera pas fâché contre vous lorsqu’il apprendra les propos que vous avez tenus à ce chevalier qui nous arrive droit de la cour.0
— Il le sera, sois en certain, dit Rebecca en arrondissant le dos.0
Puis, le menton sur la poitrine, elle reprit en changeant sa voix pour imiter le ton du comte :0
« Ignorez-la, chevalier ! Elle est légère et frivole… comme toutes les femmes. »0
Dobbin remua la tête d’un air préoccupé.
— Vous devriez vous montrer plus prudente, ma damoiselle, sinon, un jour, vous mettrez votre père dans un embarras grave et, alors, qu’adviendra-t il de vous et de votre sœur ?0

**ÃãíÑÉ ÇáÍÈ** 30-11-09 08:36 PM

chapitre 2


Alors que Trevelyan portait leurs effets dans la chambre qu’ils étaient invités à partager, Blaidd attendait le comte de Throckton dans la grande salle, le dos tourné vers l’imposante cheminée où se consumaient des bûches d’une taille impressionnante.
La salle, plus importante et mieux décorée encore qu’il ne s’y était attendu, attestait l’importance des revenus du maître des lieux. Dès qu’il était entré dans la cour pavée du château, Blaidd avait été surpris par la hauteur et la largeur du logis seigneurial qui comprenait une chapelle dont les hautes fenêtres se découpaient dans le mur sud.
Le long du rempart se dressaient les logis des domestiques ainsi que les écuries, tous des bâtiments à colombage. Les cuisines se trouvaient à côté de la grande salle, un peu en contrebas, et, à leur suite, visible de l’extérieur, était installé l’atelier du forgeron.
De l’autre côté de la cour se dressait un haut donjon circulaire, ultime défense et lieu de refuge du seigneur et de ses chevaliers. Ce donjon, massif, et la seconde enceinte étaient manifestement très anciens, mais le logis seigneurial et celui des domestiques étaient récents ainsi que la redoutable barbacane située à l’entrée de la forteresse.
Les tapisseries suspendues aux murs ou servant de paravent à l’intérieur de la vaste salle, les coffres, les ornements, candélabres, torchères étaient d’un luxe que Blaidd n’avait vu qu’à la cour même. Les tapisseries, aux laines délicatement nouées représentant des scènes de batailles ou de chasse, captaient la lumière du soleil avec leurs rouges, leurs verts et leurs ors éclatants. Les sièges de bois sculptés, vierges de toutes entailles de couteaux, étaient neufs. Sur les dalles du sol étaient étendues de grandes nattes de jonc.
Des poutres massives supportaient le plafond sous lequel étaient pendues les bannières des chevaliers et barons qui avaient prêté le serment d’allégeance au comte de Throckton. Les tissus de lin, brodés de fils d’or et d’argent représentant les écussons des nombreux vassaux, ondulaient dans le courant d’air chaud qui s’élevait de l’âtre.
Il y en avait beaucoup plus que Blaidd ne l’aurait imaginé pour un seigneur du rang du comte de Throckton et, ce qui ne manquait pas de piquer sa curiosité, plusieurs de ces armoiries lui étaient inconnues. Si les soupçons du roi au sujet du comte de Throckton étaient avérés, il lui faudrait identifier chacune d’entre elles.
L’un des grands chiens, qui dormaient près du feu, tressaillit et gémit, attirant l’attention de Blaidd. Les mastodontes s’étaient dressés sur les pattes en grognant lorsqu’il était entré dans la grande salle et il avait fallu l’intervention d’un valet pour les faire taire et se recoucher.
Cette fille mal lunée, à la porte du château, avait grondé pareillement contre lui. Serait-elle différente, endormie, ses grands yeux bleus fermés et sa poitrine soulevée par le rythme régulier de sa respiration ? Elle lui avait semblé présenter des formes généreuses sous la cape trempée qu’elle serrait autour d’elle…
S’abandonnant au bien-être de la douce chaleur du feu, il laissa son imagination s’enflammer et se représenta Rebecca dévêtue, étendue sur son lit… Elle ne serait pas passive, il en avait la certitude. Si elle choisissait, un jour, de se donner à un homme, elle le ferait avec audace et passion. Il aimerait être cet homme et lui apprendre les gestes de l’amour, lui suggérer des caresses, l’inciter à certaines fantaisies… Il ne doutait pas qu’elle réagirait avec naturel et aisance.
Son excitation était si forte qu’il dut sans délai essayer de recouvrer l’empire de ses sens, et il n’y parvint qu’en tournant son attention sur la raison de sa présence en ce lieu. Elle n’avait rien à voir avec les femmes et les plaisirs qu’elles pouvaient apporter aux hommes, même s’il était censé courtiser Laelia de Throckton. En tout cas, aussi attirante fût-elle, il ne devait certainement pas lutiner cette petite servante déguisée en garde, pas plus que Trevelyan ne devait aller trouver les filles de joie.
— Soyez le bienvenu à Throckton, chevalier ! dit une voix sonore.
Blaidd se tourna vers la porte, de l’autre côté de la grande salle, donnant accès à un escalier à vis dont venait de surgir un homme robuste et de grande taille. Il portait des vêtements seigneuriaux, une longue tunique bleu indigo serrée à la taille par une ceinture en cuir doré. Par son attitude, il n’était pas difficile de déduire qu’il était le maître des lieux.
Lorsqu’il eut atteint le milieu de la salle, il s’arrêta et sourit aimablement, révélant des dents blanches et saines.
Blaidd, cependant, avait vécu de nombreuses années à la cour et il remarqua tout de suite que le regard vert de l’homme ne s’éclairait pas. Il avait une expression aussi circonspecte et méfiante que celle de la jeune fille à la porte du château.
Les petits cheveux sur la nuque de Blaidd se dressèrent comme s’il s’engageait sur des sables mouvants, mais il ne laissa rien paraître de sa gêne. Après tout, qui n’éprouverait pas de la méfiance à l’égard d’un visiteur qui arrive sans prévenir ? Il se pouvait aussi, d’ailleurs, que sa propre horreur du mensonge le rendît plus soupçonneux qu’il n’était nécessaire.
— Vous m’honorez, messire, fit-il en s’inclinant.
— Bien mauvais temps pour voyager, remarqua le comte de Throckton.
— C’est pourquoi je vous suis doublement reconnaissant de votre hospitalité.
— C’est bien normal, mon ami. C’est un plaisir de vous accueillir.
Le sourire du comte de Throckton s’élargit mais son regard avait toujours la même expression circonspecte.
— Je doute, toutefois, que ce soit le hasard qui vous ait guidé jusqu’ici. Je suppose que vous avez quelque raison pour avoir parcouru un aussi long chemin ?
— En effet, répondit Blaidd avec son sourire le plus charmeur, mais j’aimerais m’entretenir de cette question avec vous, en privé si c’est possible.
— Bien sûr ! Allons dans ma chambre.
Le comte de Throckton précéda Blaidd à travers la salle puis dans l’escalier qu’il venait de descendre. A l’étage, il ouvrit une porte surmontée d’un linteau de pierre dans lequel était gravé l’écusson des Throckton, de gueules à trois dagues d’or.


Il fit signe à Blaidd d’entrer et referma la porte derrière eux. Il apparut au premier coup d’œil au chevalier que son hôte était opulent et soucieux de son confort.
Des tapisseries aux riches couleurs pendaient aux murs alors que des coussins de soie aux teintes éclatantes étaient disposés sur les sièges. Une table, posée sur des tréteaux, était encombrée de parchemins, d’encriers et de plumes d’oie. Deux candélabres en argent s’y dressaient.
Un coffre ouvert, peint en vert et rouge, contenait des rouleaux de parchemin, sans doute des titres de propriété, de noblesse et autres documents officiels. Des braises rougeoyantes dans une grande cheminée de pierre dégageaient une douce chaleur dans la chambre dont le sol, des terres cuites décorées de motifs vernissés, disparaissait sous des peaux de bêtes.
Le comte de Throckton s’assit en soupirant d’aise dans un fauteuil en chêne sculpté garni de coussins de soie et dont les motifs ornementaux représentaient des feuilles de vigne et des grappes de raisins. De la main, il fit signe à Blaidd de prendre place sur un autre siège, sculpté aussi mais moins richement.
— Etes-vous apparenté au chevalier Hugh Morgan ? demanda le comte de Throckton lorsque Blaidd fut assis.
— C’est mon père. Vous le connaissez ?
De petites rides se dessinèrent au coin des yeux du comte alors qu’il souriait de nouveau.
— Non, je n’ai pas cet honneur. Mais comme vous l’avez sans doute deviné, je ne fréquente pas la cour. Il y a trop de monde à Londres et à Westminster. Il n’est pas de mon goût de me trouver au milieu d’une foule anonyme, mais j’ai, néanmoins, entendu parler de votre père. Il est proche des plus grands du royaume.
— Il ne fréquente guère la cour pourtant, rétorqua Blaidd qui préférait ne pas parler des amis de son père. Il est comme vous. Il aime mieux vivre sur ses terres que dans la grande cité.
— Sans doute ne veut-il pas s’éloigner de dame Morgan qui a la réputation d’être l’une des plus belles femmes du royaume, dit le comte de Throckton avec un petit rire. C’est un homme heureux et plein de sagesse.
Blaidd acquiesça d’un petit mouvement de tête.
— J’ai le souvenir que beaucoup de seigneurs ont été choqués qu’une jeune fille du rang de votre mère épouse un homme qui était né simple berger, reprit le comte de Throckton sans méchanceté apparente ni irrespect.
Sa remarque, cependant, hérissa Blaidd, qui attendit d’avoir pleinement recouvré son calme avant de répondre :
— Mon père était chevalier lorsqu’il a pris ma mère pour épouse.
— Et un chevalier très remarquable par sa bravoure et sa prestance, comme son fils aujourd’hui, d’ailleurs, reprit avec courtoisie le comte de Throckton. Un fils qui n’est là, je suppose, que pour faire la cour à mon petit trésor adoré, ma fille chérie, ma Laelia ?
— En effet, messire. On ne peut rien vous cacher. La réputation de damoiselle Laelia est venue jusqu’à la cour. Or, je ne suis pas marié. J’espère que vous ne m’opposerez pas la basse extraction de mon père et que vous m’autoriserez, au moins, à voir votre fille.
— Certainement, et je ne vous tiendrai pas pour inférieur en raison des origines de votre père, répondit le comte d’un air de sincérité. J’ai une grande estime pour les hommes qui réussissent à s’élever au-dessus de leur condition. Ma fille aussi, d’ailleurs.
— Vous m’autorisez donc à la courtiser si elle n’y voit pas d’inconvénient, messire ?
Le comte de Throckton joua avec le gros bracelet d’or qu’il portait au poignet gauche et promena son regard de haut en bas sur les vêtements grossiers de Blaidd. L’atmosphère dans la chambre devint soudain pesante.
— Vous ne m’avez pas interrogé sur sa dot, chevalier.
— D’après tout ce que j’ai entendu dire au sujet de damoiselle Laelia, elle n’a pas besoin de dot pour être aimée.
— Ce n’est pas moi qui vous contredirez, dit le comte de Throckton qui semblait très satisfait de la remarque de Blaidd, mais je ne pense pas qu’il vous déplaise d’apprendre que sa dot ne sera pas petite. Elle ne sera pas non plus, néanmoins, la plus grosse dot d’Angleterre. Sachez seulement que, depuis qu’elle a douze ans, Laelia a été demandée en mariage par plus d’un chevalier et qu’aucun jamais ne s’est plaint de ce que je me proposais de lui donner.
Blaidd sourit d’un air indulgent.
— En dépit de mon accoutrement, je ne suis pas un miséreux en quête d’une fille bien dotée. Si je suis aussi pauvrement vêtu, messire, c’est pour éviter d’attirer la convoitise des brigands.
— Je devrais vous mettre en garde tout de suite, chevalier, au sujet de l’attitude qu’il vous convient d’avoir si vous voulez obtenir ma fille. Ce n’est pas son cœur qu’il faut chercher à conquérir, mais l’assentiment de son père. Que vous soyez simple chevalier ou baron, proche du roi ou très éloigné de lui, c’est moi et non Laelia qu’il vous revient d’impressionner. J’ai éconduit tous les prétendants qui m’ont demandé sa main. Etes-vous toujours disposé à la courtiser ?
— Oui, messire, si vous voulez bien m’accorder cet honneur.
— Certainement, répondit le comte en posant les mains sur les accoudoirs de son siège. Vous êtes le bienvenu ici aussi longtemps qu’il vous plaira. Et, maintenant, je vous invite à vous rendre avec moi dans la grande salle où les tables doivent être dressées pour le souper. J’ai grand faim et je suppose que vous êtes dans le même état après votre voyage.
Blaidd se leva et suivit son hôte qui redescendit dans la salle du rez-de-chaussée où, déjà, étaient rassemblés autour des tables les chevaliers et écuyers tandis que les serviteurs apportaient les victuailles. Trevelyan, qui attendait devant une table, fit un signe de tête à Blaidd en le voyant le regarder puis il dirigea de nouveau son attention sur la nombreuse assistance et le ballet des domestiques.


Les chiens allaient et venaient déjà entre les tables, la truffe relevée, humant les fumets qui flottaient dans l’air dans l’attente d’un morceau. Plus d’un homme ne se comportait pas autrement, mais Blaidd n’en était pas surpris car les odeurs qui venaient des cuisines lui mettaient, à lui aussi, l’eau à la bouche. Il avait déjeuné d’un simple pain, le matin, et bu l’eau d’un ruisseau. Aussi était-il impatient de se mettre à table.
— Ma belle Laelia est déjà là, dit le comte en désignant la table principale.
Blaidd tourna le regard dans la direction indiquée par son hôte et eut le souffle coupé en découvrant l’étonnante beauté de la jeune fille qui se tenait debout vers le milieu de la grande table.
Il avait vu beaucoup de jolies femmes au cours de sa vie ; certaines, même, avaient fait en sorte de croiser son chemin, mais jamais il n’en avait rencontrées d’une aussi grande beauté.
Vêtue d’une robe de velours bleu pâle, Laelia de Throckton semblait un ange descendu du ciel avec les boucles d’or de ses cheveux qui tombaient en cascade sur ses frêles épaules, son gracieux cou de cygne et ses traits ciselés. Et pour parfaire cette vision idyllique, elle avait une attitude pleine de modestie, la tête inclinée et les yeux baissés vers le sol.
— N’est-elle pas belle ? demanda son père.
— Il n’est pas de mots pour traduire sa beauté.
Le comte eut un petit rire de satisfaction et poursuivit son chemin à travers la foule des convives. Blaidd, qui marchait dans son sillage, eut le regard brutalement attiré par un visage qu’il lui semblait avoir déjà vu. Etait-ce possible ? La petite rouée, l’impertinente jeune fille aux clés dînait à la table du seigneur de Throckton ? Qui était-elle ? Elle ne faisait évidemment pas partie de la domesticité, mais alors que faisait-elle à la porte du château au milieu des gardes avec lesquels elle paraissait si familière ?
Peut-être était-elle une proche amie de Laelia, qui avait pris l’habitude d’interroger tous ceux qui se présentaient au château dans l’intention de courtiser la belle héritière. Elle pouvait ainsi lui donner son avis sur les prétendants avant même qu’ils n’eussent comparu devant elle…
Mais n’aurait-elle pas dû se tenir debout alors que le maître des lieux n’avait pas encore pris place à table ?
La jeune femme arrêta ses yeux bleus sur lui et il vit une lueur briller dans son regard. Assurément elle s’amusait de sa surprise ! La petite effrontée regretterait de s’être moquée de lui… Il lui montrerait qui il était.
En approchant de la table, et alors qu’il ne quittait pas des yeux la jeune femme qui l’intriguait tant, il constata qu’elle portait une marque sur le front. Une entaille profonde comme il en avait vue sur le visage de certains chevaliers blessés au cours des combats. Sans être totalement disgracieuse, elle empêchait qu’on pût dire de celle qui en était affligée qu’elle était d’une aussi grande beauté que Laelia de Throckton.
Le comte, qui venait d’arriver auprès de cette dernière, lui prit la main.
— Voici ma fille, Laelia, chevalier.
La jeune fille ne releva ni la tête ni le regard. Attitude radicalement différente d’une autre personne du même sexe qui, un peu plus tôt, l’avait considéré comme s’il avait été un ours apprivoisé envoyé au château pour en distraire les habitants.
— Le chevalier Blaidd Morgan nous arrive directement de Londres où il séjourne auprès de notre roi Henry, reprit le comte de Throckton en se tournant vers sa fille.
Blaidd s’inclina profondément et prit la main, glacée et sans vie, de la jeune beauté qu’il porta à ses lèvres.
— Aucune des louanges que j’ai entendues à votre sujet ne rend compte de votre beauté incomparable, ma damoiselle, dit-il en se redressant.
Le compliment était facile et un peu plat. Il tenait, d’habitude, des propos plus originaux aux jolies femmes, mais, sous le regard insolent de l’autre jeune personne qui ne le quittait pas des yeux, il se sentait incapable de plus d’éloquence.
— Vous êtes le bienvenu à Throckton, chevalier, répondit Laelia d’une voix de petite fille, haute et hésitante, en relevant ses grands yeux verts.
Blaidd, qui ne se souvenait pas qu’on lui eût jamais parlé de l’âge de la fille du comte, se demanda si elle n’adoptait pas ce ton pour se rajeunir.
La jeune femme brune eut alors un petit rire dont Blaidd ne comprit pas exactement le sens mais qui confirmait son impression d’avoir affaire à une proche parente des Throckton car il était fortement teinté d’ironie.
Le comte de Throckton la considéra en fronçant les sourcils d’un air mé******* tandis qu’il déclarait :
— C’est Rebecca, messire Blaidd. Ma seconde fille.
Personne n’avait jamais parlé à Blaidd d’une autre fille… Peut-être parce qu’elle n’était pas aussi belle que l’aînée et qu’elle était particulièrement insolente ?
Cette cicatrice qu’elle portait au front pouvait expliquer ce comportement un peu railleur et facétieux. Il n’y aurait rien eu d’étonnant à ce qu’elle fût quelque peu envieuse de cette sœur que leur père plaçait sur un piédestal.
— Eh bien, messire Blaidd ! dit-elle en redressant la tête, un sourire charmeur aux lèvres. N’ai-je pas droit, moi aussi, à un compliment de votre part ? Je sais que je n’arrive pas à la cheville de Laelia mais vous autres, hommes de cour, êtes rompus à la flatterie. Il ne devrait pas être trop difficile pour vous de trouver quelques paroles agréables à me dire.
Blaidd, qui aimait qu’on le mît au défi, s’inclina avec courtoisie et, alors qu’il se redressait, le cœur sur la main, répondit de la voix grave et caressante qu’il réservait aux rendez-vous libertins :
— Rien ne saurait me déplaire autant que de décevoir une damoiselle.


Sur ces mots, il avança vers elle et lui prit la main qu’il effleura des lèvres puis, la regardant dans les yeux :
— Vous êtes la plus étonnante de toutes les jeunes femmes qu’il m’a été donné de rencontrer.
Rebecca reprit sa main en rougissant.
— Ce n’est pas ce que l’on appelle un compliment, chevalier. Je ne suis pas du tout impressionnée.
Blaidd eut le sourire voluptueux et sensuel qu’il réservait aux femmes qu’il venait d’étreindre.
— Vous avez tort de ne pas considérer mon propos comme un compliment, ma belle. Croyez-moi. Les hommes aiment les femmes étonnantes, et soyez certaine qu’elles sont rares.
Rebecca ouvrit de grands yeux comme si elle avait été troublée par la remarque de Blaidd. Ce dernier eut envie de laisser éclater sa joie, mais il en fut rapidement dissuadé par le brutal changement d’expression de la jeune femme dont le regard venait de lancer un éclair de colère
— Vous tenez les femmes pour des êtres stupides qui n’ont rien à dire !
Blaidd, à son tour, eut un air courroucé lorsqu’il repartit :
— Il serait heureux que ce soit le cas d’une certaine personne dont le petit jeu consiste à se moquer de tout étranger se présentant à la porte de la maison de son père pour demander l’hospitalité.
— Nous avons assez entendu parler de toi pour la soirée, Rebecca, déclara le comte de Throckton en passant près de sa fille pour aller rejoindre son siège au haut dossier sculpté comme un trône. Le chevalier Morgan est mon hôte et je tiens à ce qu’il soit traité avec les égards qui lui sont dus.
La jeune femme se tourna vers son père :
— Je me comporte avec lui exactement comme avec tous ceux qui se présentent pour faire la cour à Laelia.
La façon dont cette dernière baissa les commissures des lèvres sembla confirmer le propos de Rebecca.
— C’est bien là le problème, Rebecca ! reprit le comte. Quand apprendras-tu à te tenir convenablement ? Pourquoi ne peux-tu pas ressembler à ta sœur ?
— Parce que je ne suis pas elle.
— Tu sais très bien ce que je veux dire ! répliqua le comte de Throckton en indiquant le siège près de lui. Asseyez-vous, chevalier. Ne prêtez pas attention à cette écervelée. Où est le prêtre ? S’il n’arrive pas, nous dirons le bénédicité sans lui.
Le clerc se présenta à cet instant et rendit grâce précipitamment, permettant ainsi que débutât le service du repas. Assis à la place d’honneur, à la droite du maître des lieux, Blaidd avait à côté de lui damoiselle Laelia et échappait ainsi plus aisément aux réflexions de damoiselle Rebecca, à la gauche de son père.
Elle restait coite d’ailleurs, mais son silence était peut-être lié à la longue énumération que le comte était en train de faire des prétendants qui avaient demandé la main de sa fille et qu’il avait éconduits. Chaque fois qu’il marquait une pause, Laelia n’en profitait pas pour intervenir dans la conversation et, si Blaidd lui adressait la parole même de la façon la plus aimable et courtoise, elle lui répondait aussi brièvement que possible.
On lui aurait dit que la maison était ensorcelée et que, quoi qu’il fît, il obtiendrait la réaction contraire à son attente, c’est-à-dire qu’il aurait un effet répulsif sur les femmes quand il désirait les attirer, il l’aurait cru sans peine.
Il ne trouvait pas, d’ailleurs, si inopportun de ne pas plaire d’emblée à la belle Laelia car, si son enquête sur les agissements du comte prenait plus de temps qu’il ne le prévoyait, il pourrait invoquer les difficultés qu’il rencontrait à conquérir la jeune damoiselle pour demeurer plus longtemps au château de Throckton.
Ne sachant où se trouvait Trevelyan, il jeta un regard autour de lui et s’avisa de sa présence dans la grande salle. Il conversait avec une servante qui semblait à peu près de son âge et tenait une cruche de vin sur la hanche. Elle roulait une mèche de cheveux brun-roux autour de son doigt tout en se balançant d’un pied sur l’autre.
L’éternel et irrésistible attrait des hommes pour le sexe opposé…, pensa Blaidd. Peut-être fallait-il voir dans cette scène un avertissement du Très-Haut destiné à leur rappeler leurs devoirs en qualité d’hôtes ? Sans doute aurait-il été préférable de venir ici sans le jeune homme ?
— Et j’ai renvoyé chez lui ce jeune prétentieux, conclut enfin le comte.
Il but une longue gorgée de vin avant d’ajouter :
— C’était le dernier avant vous.
Son récit touchait enfin à sa fin, pensa Blaidd en adressant un sourire de composition à son hôte.
Le comte de Throckton posa ses larges mains sur la table et poussa sur ses bras pour se redresser. Imité aussitôt par Blaidd, il fit signe à ce dernier de rester à table.
— Je reviens tout de suite. Ce vin de France me passe au travers le corps comme un trait d’arbalète, mais il est trop bon pour que je m’en prive.
Sur ces mots, il s’éloigna, laissant un siège vide entre Blaidd et Rebecca.
Le chevalier ne put résister à la tentation.
— Alors, ma damoiselle. Jouez-vous souvent au portier ?
Elle le regarda avec assurance, de toute évidence nullement impressionnée par lui.
— Non, chevalier.
— C’est donc un grand privilège que vous m’avez accordé en vous amusant à mes dépens.
— Je n’étais pas la seule à rire. Toute la garnison a profité du spectacle. Je regrette que vous ne partagiez pas notre sens de l’humour.
— Connaissez-vous beaucoup de personnes qui aiment qu’on rie à leurs dépens ?
— Non, et particulièrement pas les jeunes et beaux chevaliers qui ont l’habitude d’avoir toutes les femmes à leurs pieds, mais une petite leçon d’humilité n’aura pas fait de mal à votre âme, chevalier.


— Assurément. Il est regrettable, cependant, que celle qui me la donne ne pratique pas elle-même cette vertu.
Rebecca eut un léger mouvement de recul.
— Qu’en savez-vous ? Croyez-vous que je manque d’humilité alors que je dois me comparer chaque jour à ma sœur ?
— Mais alors, si ce n’est l’orgueil, quel travers de votre caractère vous inspire de faire passer un chevalier pour un imbécile ?
— Si je suis orgueilleuse, alors qu’êtes-vous donc, vous qui ne pouvez passer devant une femme sans la croire déjà conquise et prête à se soumettre ?
— Rebecca ! s’écria Laelia d’un air outré.
Blaidd, qui avait oublié sa présence, se retourna vers elle :
— Ne vous faites pas de souci, ma mie. Vous voyez que je ne suis nullement offensé.
Une expression courroucée s’afficha sur les traits de Laelia tandis que ses lèvres se crispaient. Elle avait cessé d’être une douce et gentille pucelle. Elle était désormais en guerre. Blaidd avait vu suffisamment de femmes livrant ce genre de bataille pour en reconnaître les symptômes.
— Puisque tu as tellement envie de parler, ma sœur, pourquoi ne racontes-tu pas à messire Blaidd la chute que tu as faite, autrefois, à cheval ?
Le visage de Rebecca s’enflamma alors que des éclairs fusaient de son regard, mais elle ne répondit rien. Blaidd eut l’impression qu’elle était prise entre deux ennemis contre lesquels elle était impuissante.
— Aimeriez-vous entendre ce récit, chevalier ? demanda-t elle avec une sérénité qui contredisait l’angoisse dans ses yeux. C’est vraiment très amusant.
Blaidd, convaincu du contraire, répondit :
— Je crois que j’ai entendu assez d’histoires pour le moment. Ne pourrions-nous écouter de la musique pour changer ?
Rebecca, qui ne cessait de le fixer de son air furibond, répondit :
— J’ai entendu dire que les Gallois chantaient très bien. Peut-être pourriez-vous nous en donner la démonstration, messire ?
— Le chevalier n’est pas troubadour, intervint Laelia. Il n’est pas ici pour faire de la musique.
Blaidd sourit afin de montrer qu’il n’était pas vexé.
— C’est vrai que les Gallois savent chanter pour la plupart, répondit-il. Et si vous le désirez, je vous interpréterai une ballade.
Le comte de Throckton, qui était de retour, se laissa tomber dans son siège et regarda successivement ses deux filles en plissant les yeux :
— Que s’est-il passé ?
— C’est Rebecca qui…, commença Laelia.
— J’ai été odieuse comme d’habitude, interrompit sa sœur. Mais messire Blaidd vient de nous proposer de nous interpréter une chanson galloise.
— La bonne idée ! s’exclama le comte de Throckton. J’ai toujours souhaité entendre chanter un Gallois. Mais ne pourrions-nous commencer par quelques danses ?
Il interpella la jeune servante avec laquelle Trevelyan conversait au début du repas :
— Meg ! Va chercher la harpe de Rebecca ! Bran, Tom, défaites les tables !
Les serviteurs exécutèrent les ordres de leur maître et le vacarme qui s’ensuivit interdit toutes conversations pendant quelques instants.
— Votre fille joue de la harpe ? interrogea Blaidd quand le bruit fut moins fort.
— En effet, et avec brio, répondit le comte en se penchant vers son aînée, obligeant Blaidd à s’adosser à son siège, mais pas aussi bien que ne danse ma Laelia !
Blaidd comprit pourquoi il s’était empressé de réclamer une danse. Il voulait que sa fille qu’il considérait comme la plus jolie se mît en valeur la première.
Meg reparut, un petit instrument à cordes à la main qu’elle apporta à Rebecca avec précaution comme s’il s’était agi d’un objet de grande valeur. Sans doute était-ce l’intérêt que lui vouait celle qui en jouait qui inclinait la servante à en prendre un tel soin.
Alors que lady Rebecca accordait la harpe, Blaidd se leva et tendit la main à Laelia qui lui donna maladroitement la sienne et se laissa conduire au milieu de la salle où s’ouvrait un vaste espace libre.
Damoiselle Rebecca se mit alors à jouer…
Des notes mélodieuses et parfaitement rythmées s’élevèrent vers les bannières pendues aux hautes poutres. Les longs doigts fins de la jeune fille couraient sur les cordes, leur arrachant des sons merveilleux qui invitaient au mouvement.
Penchée sur son instrument, elle semblait faire corps avec lui et ondulait harmonieusement au gré des inflexions de la danse qu’elle interprétait. Elle jouait de cet instrument à merveille et, de toute évidence, trouvait une joie sans pareille dans les sons mélodieux qu’elle en tirait.
Si elle avait vu le jour au pays de Galles, grâce à ce talent, elle y aurait été beaucoup plus appréciée que sa sœur. Quant à cette dernière, elle dansait bien, certes, mais sans charme et sans joie comme si elle avait été forcée d’accomplir méthodiquement ces pas.
Rebecca joua les dernières notes de la danse et laissa, un instant, sa blanche main en suspension dans l’air alors que le son se mourait lentement. Lorsqu’il se fut complètement évanoui, Blaidd, après s’être incliné devant Laelia, applaudit avec enthousiasme et alla rejoindre Rebecca.
— C’était merveilleux, ma damoiselle. Vous jouez avec beaucoup de sensibilité ! Si vous dansez aussi bien, ce dont je ne doute pas d’ailleurs, vous éblouirez la cour du roi Henry. Quelque autre personne peut-elle jouer de votre instrument pour que je puisse vous inviter à danser ?
Rebecca, au lieu de paraître heureuse des compliments qui venaient de lui être adressés, se leva lentement, serrant sa harpe sur son cœur.
— Si vous voulez bien m’excuser, messire Blaidd. J’aimerais me retirer.
Sur ces mots, elle sortit prestement de la salle.


ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 01:06 PM.

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