— Tu vois, c'est archi-simple. On nettoie le pis, on branche la machine, et c'est parti ! -— Euh, Adam, c'est un peu plus compliqué en r é a l i t é . .. Elle s'interrompit en remarquant son visage rayonnant. La j e u n e gardienne expliquait qu'en raison d'une panne générale de courant, l'été précédent, les trayeuses ne fonctionnaient plus, et qu'ils avaient dû faire appel à toutes les bonnes volontés capables de traire les bêtes à la main. Bridget esquissa un sourire compatissant. Traire à la main, même un petit troupeau comme celui de la ménagerie, cela suffisait à vous frapper du syndrome du canal carpien, sans parler d'un lumbago carabiné à force de rester accroupi sous l'animal. Et si elle se portait volontaire pour traire les vaches du zoo en cas d'urgence? Un genre de secouriste laitier, par exemple ? Elle se voyait déjà vêtue d'un costume de superwoman en coton tacheté noir et blanc. Elle délirait complètement. Ce devait être la magie du lieu, conjuguée à la présence grisante d'Adam à son c ô t é . .. Entre-temps, la j e u n e gardienne avait terminé sa démonstration, au grand déplaisir de son compagnon. — J'aurais bien voulu en savoir plus. Je pourrais peut-être demander s'ils donnent des stages intensifs le week-end? E l l e eut t o u t e s les p e i n e s du monde à d i s s i m u l e r son sourire. Le pauvre ! Il avait l'air si enthousiaste. Il poursuivait son but avec sa détermination coutumière. Elle lui montra le fonctionnement des différentes pièces de la machine que l a j e u n e gardienne avait délibérément ignorées. Avec son esprit vif, Adam n'eut aucun mal à enregistrer l'usage respectif des faisceaux trayeurs, pompes et autres pulsateurs. — Pourquoi ne pas avoir attendu la fin de la panne d'électricité pour traire les bêtes ? questionna-t-il. Apparemment, un cours de rattrapage accéléré en physiologie animale s'imposait. Le premier bouseux venu connaissait la réponse. — Le pis d'une vache, ce n'est pas comme un robinet, expliqua-t-elle patiemment. Si on ne les trait pas dans les deux heures, leurs mamelles risquent de gonfler comme des ballons et de s'infecter. Et crois-moi, un troupeau entier souffrant de mastite, ce n'est pas beau à voir. — Oh! Elle lui tapota la main. — T'inquiète. Quand tu auras quitté ton j o b à la Bourse, tu n'auras qu'à faire un stage chez mon père ou chez Colin. Tu apprendras tout en moins de deux. — Merci. Elle se rembrunit, sa j o i e un peu ternie. Dans sa ferme au f in fond du Wisconsin, A d am serait aussi inaccessible que l'avait été le trader de la Bourse de Chicago. — Bridget, auriez-vous une minute? demanda Jennifer, le professeur de confection. Intriguée, Bridget leva le nez de la mallette où elle rangeait ses livres et son carnet de croquis avant de filer au Frisky's livrer la commande de Sugar. Aurait-elle quelque chose à se reprocher? Rendu un devoir en r e t a r d? — Certainement, c'est mon dernier cours. Jennifer portait un chemisier blanc sur un pantalon gris anthracite, qui mettaient en valeur sa silhouette menue, avec un collier en grosses perles de bakélite comme on en voyait au cou des grands-mères sur les photos anciennes. — Ça tombe bien, moi aussi, remarqua Jennifer en ébourif- fant ses courts cheveux. Je voulais vous dire que votre dernier projet est excellent, en particulier le soutien-gorge rembourré intégré au caraco à bretelles spaghettis |
Bridget ébaucha un sourire de soulagement en se félicitant de sa propre tenue, une j u p e étroite vert pâle et un cache-coeur rose qui amincissait sa poitrine. Depuis quelque temps, en effet, elle usait de son talent créatif à son profit. — Voyez-vous, expliqua-t-elle, je m'applique à créer des sous-vêtements pour des femmes dans mon genre qui ne peuvent pas se glisser dans un haut microscopique en se *******ant de croiser les doigts pour que ça tienne. — Chez moi, ça aurait tendance à trop bien tenir, plaisanta Jennifer. Vous n'ignorez pas que la majorité des Américaines font du 44 minimum. Du coup, il y aurait un marché à conquérir pour vos créations. Bridget pécha son carnet au fond de sa mallette pour montrer le croquis d'un soutien-gorge de dentelle noire avec le string assorti. — Regardez le modèle que j ' a i dessiné pour moi. J'ai réalisé l e même pour une de mes amies, précisa-t-elle. Jennifer examina le dessin, le visage indéchiffrable. — Et vous l'avez taillé vous-même? — Bien sûr, et c'est très confortable. Plus de douleur à la nuque ni aux épaules à la fin de la journée. J'en ai justement un dans mon sac, que j e dois porter à une amie, signala-t-elle en ouvrant le paquet destiné à Sugar. — Vous permettez? demanda Jennifer, qui écarquilla les yeux à la vue des imposants bonnets rose pâle. Combien votre cliente fait-elle de tour de p o i t r i n e? — D u 3 6 G. Bridget pria pour n'avoir pas oublié de couper un f i l ou de coudre un ourlet, pendant que le professeur soumettait le sousvêtement à un examen minutieux. — Bon travail, apprécia-t-elle. Votre amie est satisfaite? — C'est le quatrième qu'elle me commande. Elle affirme que c'est le seul modèle qui ne lui fasse pas mal aux épaules ou au dos. J'ai également réalisé des tenues pour ses collègues. Jennifer sourit. — Très bien. Ne serait-elle pas danseuse, par hasard ? — Mais... oui. Elle se produit dans un club, pas très loin d'ici. Comment l'avez-vous deviné? — La plupart des femmes qui font cette taille ont des implants, et, la dernière fois que vous m'avez remis un devoir, j ' a i aperçu dans votre sac le croquis d'un costume de danseuse exotique. Bridget se r e p r o c h a sa négligence. On ne la p r e n d r a it j a m a i s au sérieux, si l'on savait qu'elle travaillait pour des strip-teaseuses. — Ne vous en faites pas, la rassura le professeur. Moi, j ' a i commencé ma carrière en créant des costumes pour travestis. Cette expérience m'en a appris davantage que mes deux premières années à l'école de design. Si vous êtes capable de soutenir des seins gros comme des ballons de plage ou de camoufler l'attirail d'un homme dans un fourreau moulant, c'est déjà un bon début. — Merci, dit-elle, reconnaissante. — Maintenant que les choses sont claires, je pense que vous devriez participer au prochain concours de mode, option lingerie, annonça sérieusement Jennifer. Je n'ai pas l'habitude de présenter les étudiants de première année, mais vous semblez avoir déjà acquis une certaine expérience, d'autant que vous ne fidéliseriez pas votre clientèle, si elle n'était pas *******e de vous. Jennifer ramassa sur son bureau une enveloppe en papier kraft qu'elle lui tendit. — Voici le formulaire. La date limite d'inscription est dans deux semaines. — Le concours est parrainé par Richard's on Rodeo ? s'exclama Bridget en déchiffrant l'inscription sur l'enveloppe. — Comme vous voyez. Sa boutique de lingerie-phare se trouve sur Rodeo Drive, à Beverly Hills, et il possède une chaîne de magasins dans tout le sud de la Californie. Bridget rougit. — Beverly Hills ? Mais c'est beaucoup trop chic pour moi ! Pour l'instant, j e n'ai que des soutiens-gorge gigantesques et des costumes de strip-teaseuses dans mon portfolio, c'est plutôt léger, vous ne croyez pas ? Le professeur rit de bon coeur. — Bridget, êtes-vous déjà allée dans le sud de la Californie ? Non ? La plupart des Californiennes ont des implants et affectionnent les bandeaux minuscules et les bonnets profonds, expliqua-t-elle. En outre, ce que vous appelez des costumes de strip-teaseuse fait fureur dans la jet-set. Il vous suffira d'un brin d'imagination, de quelques astuces et fanfreluches, et le tour sera joué. Bridget n'était toujours pas convaincue. — Croyez-moi, depuis le temps que je suis dans le métier, insista son professeur en frappant sur son bureau du plat de la main, j ' a i l'oeil. Faites ce que j e vous dis, vous ne l e regretterez pas. L'assurance de Jennifer eut raison de ses réticences. Après tout, elle n'était pas venue à Chicago pour passer à côté de la vie ! — D'accord. — Parfait. Je dois signer votre formulaire d'inscription. Il me faudra votre dossier complet d'ici à une semaine, y compris les échantillons. |
Elle sursauta. Une semaine ? C'était beaucoup trop court. Elle n'aurait j a m a i s le temps de réaliser de nouvelles créations. Jennifer lui indiqua les petits caractères au bas de la fiche. — Le premier p r ix est doté de quinze mille dollars, en plus d'un contrat avec Richard, dit-elle en prononçant le n om à la française. Bridget la dévisagea, sidérée. Pour ce prix-là, elle confectionnerait un soutien-gorge et u ne petite culotte pour Richard lui-même. Adam sursauta violemment. Celle qui hantait ses cauchemars se tenait sur le seuil de son bureau. — Daria ? Qu'est-ce que tu fabriques ici ? Celle-ci prit son cri horrifié pour une invite à entrer. — Adam chéri ! C'est si bon de te revoir ! Elle fondit sur lui, ses lèvres écarlates tendues, et i l n'eut que le temps de détourner la tête, asphyxié par son lourd parfum. Il nota sa longue chevelure noire impeccablement coiffée et sa robe rouge au décolleté vertigineux sous son manteau de fourrure, différent de celui qu'elle portait lors de leur dernière rencontre. Heureusement pour elle, sinon i l l'aurait c h a s s é e sans ménagement. — Daria, te rends-tu compte que notre rupture a eu lieu en novembre et que nous sommes presque au mois d'avril ? Elle f i t la moue. — Tu as été si cruel de m'abandonner j u s t e avant l'époque la plus sacrée de l'année. Il lui lança un regard incrédule. En dépit d'une éducation religieuse stricte à la polonaise, elle n'avait rien d'une dévote. Elle regrettait sans doute d'avoir raté un cadeau de Noël. — Ne t ' i n q u i è t e pas, le bijoutier a repris la bague sans problème, plaisanta-t-il. Il avait manqué l'occasion de se taire, à en juger par son regard avide. — Tu m'avais acheté une bague ? Une b a g u e . . . de fiançailles? I l devait avoir le cerveau ramolli pour faire miroiter des diamants, même imaginaires, à cette aventurière. C'était la meilleure façon de s'en débarrasser, vraiment ! — Bien sûr que non ! Que vas-tu imaginer ? C'était un pull. Je l'ai donné à l'Armée du Salut. — Ne me dis pas que tu leur as aussi donné la bague ? Que voulais-tu qu'ils en fassent? — Non, Daria. Je te le répète, j e ne t'ai j a m a i s acheté de bague, et j e n'ai d'ailleurs j a m a i s eu l'intention de l e faire. Elle pivota sur elle-même. — Pourquoi ? Je ne suis pas assez belle pour toi ? Eh bien non, justement, elle ne l'était pas. Avide, irascible, elle n'avait rien d'excitant. Bridget, elle, dégageait une beauté intérieure qui irradiait littéralement de sa personne. Il avait longtemps méprisé cette histoire de beauté intérieure qui sentait l'arnaque à plein nez, histoire de vous refiler un laideron, par exemple. Mais Bridget était là pour contredire cette théorie. Les piaillements de Daria le ramenèrent brusquement à la réalité. — Adam ! Regarde-moi ! Je ne suis pas irrésistible, d i s? Il réprima in petto le sourire extatique qu'il affichait chaque fois qu'il pensait à Bridget. Malgré leur passé calamiteux, il n'avait aucune intention de froisser l'ego hypertrophié de Daria. |
— La plupart des hommes te trouvent sûrement très sexy, biaisa-t-il. C'était vrai. Dane, le frère de Bridget, était tombé sous le charme en la voyant, le j o u r où il l'avait raccompagné chez lui après le déménagement de sa soeur. Mais il avait vite déchanté quand Daria était montée sur ses grands chevaux à cause de leur quart d'heure de retard. — Si on renouait, A d a m ? roucoula Daria en se jetant à son cou. Il eut toutes les peines du monde à se dégager. C'en était assez. — Renouer ? Tu n'y penses pas ? Tu as oublié les vieux rupins que tu fréquentais dans ta carrière de top model ? Quelle bonne poire t'a payé cela? demanda-t-il en désignant son manteau, totalement déplacé en cette belle j o u r n é e printanière. Daria fit un effort pour se rappeler, puis y renonça. — Aucune importance. J'étais un peu à court, et toi, tu avais tout placé en Bourse, et, comme tu ne voulais pas vendre... Il était u n e pompe à fric, c'était donc cela ? Bridget, elle, avait refusé quand il avait insisté pour l'aider. Sa patience était à bout. — Tu étais ma petite amie, pas une call-girl, que je sache ! C'est vraiment dommage qu'il m'ait fallu si longtemps pour comprendre que tu ne fais pas la différence. Il la saisit par le coude pour la faire sortir, mais elle planta résolument ses hauts talons dans la moquette. — Adam ! éructa-t-elle en désignant sa table. C'est pour elle que tu ne veux plus de moi ? Cette grosse blonde ? Il tourna les yeux vers la vieille photo de Bridget et de lui prise au mariage de Colin, qu'il avait retrouvée au fond d'un tiroir et décidé d'apporter à son bureau. — Bridget n'a rien à voir dans cette histoire. Maintenant, fiche le camp. — Je ne savais pas que tu aimais les petites fermières potelées. — Pour une fois, tu as frappé en plein dans le mille, fit-il avec un rire ironique. — Appelle-moi quand tu t'en lasseras, dit-elle avec un souverain mépris, en chaloupant vers la porte sous le regard très intéressé de Tom, son collègue, qui rôdait comme par hasard dans les parages. Il retourna derrière son bureau en soupirant. — La tristement célèbre Daria, hein ? commenta Tom, adossé contre le chambranle, les bras croisés sur la poitrine. Elle est torride, cette gonzesse ! Ça t'ennuierait de me donner son téléphone? — Calme-toi, mon vieux, tu n'en as pas les moyens. D'ailleurs, personne ne les aurait jamais. Lui, pas davantage. Elle ne l'avait gardé que pour le sexe. I l f i t une grimace. Gigolo malgré lui ! Juste revanche pour la désinvolture avec laquelle i l avait traité les femmes, au temps de son insoucieuse jeunesse. — Bof ! C'est mon ex qui tient les cordons de la bourse, mais je pourrais faire l'essai pendant quelque temps, d'accord ? proposa-t-il, plein d'espoir. — *******e-toi des strip-teaseuses, Tom. Elles sont beaucoup plus honnêtes que Daria. — En parlant de strip-teaseuse, as-tu fini par retrouver cette poule que tu cherchais au Frisky's ? Comment un type comme toi a-t-il pu se faire vider comme un malpropre ? Allez, vieux, dis-moi comment tu t'es débrouillé pour en arriver là. |
Et zut ! Lui qui pensait que Tom était trop ivre pour se rappeler ce genre de détail ! Il gloussa nerveusement. — Oh, toutes ces filles ont dû me tourner la tête. Il faut bien se défouler de temps en temps. Tom ricana et se massa la poitrine avec une grimace. — Cette fichue angine ! fit-il en avalant un cachet. — Tu as des problèmes cardiaques, c'est ç a ? Tu devrais faire attention, tu as à peine quarante ans ! — Tout le monde ici est dans le même cas, Haie. La Bourse, c'est pour les jeunes. Tôt ou tard, ton médecin va te mettre en garde contre les dangers de l'hypertension, te filer des médicaments qui ne servent à rien et te recommander de réduire ton stress. — Pourquoi t'obstines-tu, puisque c'est si mauvais pour ta santé? Tom lui adressa un clin d'oeil. — J'ai des projets. Dans deux ans, j ' a u r a i amassé assez pour prendre ma retraite. En attendant, j e rentabilise mes vasodilatateurs. — C'est risqué, n o n? Tom haussa les épaules. — Le risque, c'est notre p a i n quotidien, Haie, n'est-ce p a s? — Oui, mais là, c'est différent. L'argent ne pèse pas lourd dans la balance, par rapport à la santé. — Peut-être, mais à quoi sert la santé, si tu n'as pas d'argent pour en profiter? Bon, à moins que tu ne te décides à me f i l e r l e numéro de Daria, j e repars m'occuper de mon plan de retraite. Adam secoua la tête. Tom se fichait des conséquences comme de l'an quarante, pas lui. — La réponse est non. C'est dans ton intérêt. Cette Daria est une vraie plaie. Il referma la porte, retourna à sa table et se renversa dans son fauteuil, les mains croisées derrière la nuque, se réjouissant de sa bonne fortune. En raison des multiples déplacements de Daria, qui partageait son temps entre son métier de top model et celui de call-girl, plusieurs semaines s'étaient écoulées sans qu'il couche avec elle j u s q u ' à leur rupture. A l'époque où Bridget lui avait fait son numéro de strip-tease, il était célibataire depuis près de cinq mois. Aujourd'hui, sa « petite fermière blonde » lui manquait au bout de quelques heures à peine. Il consulta l'horloge de son ordinateur. Elle avait une pause entre deux cours, il pouvait encore l'appeler sur son portable. — Salut, chéri, répondit Bridget de sa voix douce, un peu rauque. Tu as vendu combien de vaches, aujourd'hui ? C'était leur plaisanterie rituelle. Sa famille élevait des vaches, et lui les vendait. — Un troupeau entier. Que fais-tu, ce s o i r? — Tu as quelque chose à me proposer? Elle éclata d'un rire cristallin qui lui réchauffa le coeur. — Un steak saignant? — Ou toi? — Moi ? répéta Bridget, le souffle précipité. Il s'agita dans son fauteuil, le sexe durci, imaginant sa peau nacrée sous ses doigts. — Oui. En apéritif, je grignoterai tes douces lèvres. Tes seins délectables seront le plat de résistance, et, comme boisson, je me désaltérerai au divin nectar de ta délicate coupe rose, qui ne tarit jamais. — Adam ! J'ai un contrôle dans trois minutes. Ce sera ta faute si je le rate. |
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