13 les deux hommes sont assis devant la cheminée. Le vieux Doc songeur, mâchonne le bout de sa pipe, oubliant le tabac qui s’éteint Je vous avais donné mon impression sur cette petite, pourquoi n’y croire que maintenant Je ne sais pas... Doc... je ne sais plus où j’en suis... Sa mère, sa stupéfaction à l’imaginer poser des questions, et curieuse de la vie d’autrui. C’est tellement conforme à ce qu’elle avoue être, et l’envie, en moi... plus que cela... l’espérance... de la voir ainsi C’est une adorable jeune femme Et bien davantage... Elle est... elle est tellement différente des autres.... Femme, totalement, mais espiègle comme une enfant quelquefois... et surprenante, et attachante. Et puis... le même plaisir ! Nous ressentons le même devant la musique.... Nul ne peut tricher à ce point. Hier soir, je l’ai bien vu et je n’ai pas voulu l’accepter... elle revenait d’un rêve, elle n’avait plus de colère après moi... elle était apaisée... et amicale... J’ai fait souffrir quelqu’un qui ne le méritait pas Il ne vous reste qu’à lui présenter des excuses Oui... c’est bien le moins que je puisse faire... Il est tard, Doc, et je suis désolé de vous avoir ennuyé avec... Quelle heure est-il Tard, mais pas trop pour vous faire pardonner. Bientôt dix-huit heures L’épicier a dû passer Et alors ? Il a l’habitude de vos absences, et puis elle est parfaitement capable de s’en occuper sans vous Tout comme de partir avec lui Sans vous en prévenir ? Oui, peut-être, mais... ce serait dommage Elle aurait toutes les raisons de le faire Sans doute, cependant il serait regrettable qu’elle conserve une si mauvaise image de vous. Brice, vous méritez bien mieux que cela Pas vraiment, Doc... pas dans cette histoire. C’est mieux ainsi, elle n’aurait pas pardonné Je ne crois pas, il y a trop de volonté en elle pour que vous ayez pu la blesser vraiment. Je l’imagine mal abattue, ou brisée Là aussi, vous avez raison. Savez-vous qu’elle m’a tenu tête jusqu’au bout ! D’ailleurs, je crois que, si je suis parvenu à l’inquiéter, je ne l’ai jamais réellement intimidée pour autant. Bon, Doc, je dois y retourner. Finalement, elle ne va pas tarder à rejoindre les siens... et elle fêtera son anniversaire avec eux... Demain... demain, elle sera... chez elle Et vous la regrettez déjà Non... J’ai au moins la satisfaction de ne pas lui avoir enlevé cela. J’avais même un cadeau pour elle Vous ? Brice, ce n’est plus une défaite, mais une reddition totale Je lui devais bien ça. Et mettez un frein à votre imagination, n’y voyez pas davantage qu’un geste de paix. Je ne suis plus accessible à autre chose. A demain. Même heure Bien sûr. Brice, combien de temps comptez-vous encore vous punir pour une faute que vous n’avez pas commise A demain, Doc C’est ça, continuez dans cette voie ! Attention, il fait sombre dehors, ne vous perdez pas dans la nuit. Quoique là, nous pouvons garder l’espoir de vous voir revenir parmi nous Pas la peine, j’ai compris le message. Votre solitude est plus douce que la mienne. Il ne tient qu’à vous d’échapper à la vôtre. Ce n’est pas facile parfois... Non, plus rien, Doc... plus rien pour ce soir. Bonne nuit - Bonne nuit, mon garçon Brice sent sur lui le regard du vieux Docteur Bonnel. Ils se connaissent depuis si longtemps, bien avant que Il ne veut plus penser à tout cela, il voudrait se fermer aux souvenirs d’hier, tout autant qu’il regrette les pas qui le ramènent vers une maison soudain trop froide, pour trop de vide et trop de silence Devant lui, Flamme court, se précipite vers lui, aboie secouant la tête, le priant ainsi de le défaire du carré de papier qui pend à son cou. Elle a pris la peine de nous dire adieu ! Je ne suis qu’une vieille bête, Flamme. Rien de plus que cela Peu de lettres, deux mots. « J’ai faim » Il hésite, pas certain de comprendre, et se surprend à hâter le pas... à courir presque... alors que Flamme est déjà à la porte entrouverte, l’attend, s’assure de sa présence derrière lui avant de pénétrer à l’intérieur Brice s’arrête sur le seuil, déçu de ne pas l’y trouver à l’attendre. Il ne veut pas savoir le pourquoi d’un début d’anxiété, et étouffe le doute en lui pour appréhender une dernière farce Emmanuelle Un appel, un cri qui porte son espérance de l’entendre lui répondre, de la voir venir à lui eDans la cuisine ! Dépêchez-vous, j’ai besoin d’aid Bien plus que soulagé, presque... non... infiniment heureux Et elle ! Cruelle sans le savoir, pour ne pas lui offrir un accueil plus chaleureux... alors qu’il peine à maîtriser l’élan qui le pousse... qui le presse... et il ne peut que se tenir, immobile, dans l’encadrement de la porte, à la regarder, défaisant les paquets que l’épicier leur a livrés, cherchant comment ranger au mieux leur contenu dans les placards Tout cela pouvait attendre... Vous êtes encore là Vous espériez le contraire L’espérer ? Non... mais Merci pour les chaussures. Le blouson est très joli... et le reste... très bien aussi Pourquoi n’êtes vous pas partie avec le livreur Pour qui me prenez-vous ? Je ne pars pas avec n’importe qui comme ça. Vous ne me l’aviez pas présenté, et maman m’a appris à ne pas suivre les inconnus Ne plaisantez pas, Emmanuelle... c’est très sérieux... Pourquoi Brice, je... Si j’étais partie ainsi, j’aurais vraiment eu l’impression de fuir et de laisser... d’un quelque chose... d’inachevé. J’en aurais gardé... comme un regret... quelque part... ou un soupçon sur votre sincérité. Et maintenant Pouvez-vous me conduire à la gare la plus proche Dès ce soir Ce soir ? Demain suffira, à moins que vous ne préfériez... Non ! Pas du tout. Il fait froid, il est tard, et... et vous êtes affamée. Une soirée encore, pour faire la paix. D’accord ? Bien sûr ! Et puis avec le mal que je me suis donnée pour le repas, je n’allais pas vous laisser l’apprécier tout seul ! Pas trop de poivre Juste ce qu’il faut, et je peux tout goûter devant vous. Rassuré Seulement ******* que vous restiez cette nuit. Déguerpissez, je me charge d’en finir ici. Pour la suite, choisissez-nous un disque que vous aimez particulièrement, quelque chose qui me... qui... allez... Filez Il allait trop loin, trop en dire. « Quelque chose qui me parle de vous » Alors une nuit n’y suffira pas. Travaillez bien, et appelez-moi dès que vous serez prêt... Si la musique nourrit l’âme, elle ne suffit pas à calmer un estomac affamé... à cause de vous je n’ai rien pris à midi Moi non plus et nous ne sommes pas quittes pour autant. Hier, je suis resté léger, vous avez oublié Elle a du mal à quitter la pièce, encore un peu inquiète. Du mal aussi à accepter un changement aussi rapide dans son attitude Brice ? Vous êtes encore fâché pour cela Non, je vous assure que non. Convaincue J’essaie... A tout de suite |
14 Il l’a accompagnée jusqu'à la gare. Il a insisté pour attendre avec elle... Une demi-heure avant le prochain train Ils ont aussi mal dormi l’un que l’autre. En partie à cause de la tempête qui a fait rage toute la nuit, torturant les arbres, agressant les murs, bousculant les volets, et qui s’acharne encore à l’extérieur noyant l’espace de tourbillons de violence froide et blanche Assis, seuls dans la petite salle d’attente de la station de Chapeauroux Vous devriez prévenir vos parents de votre arrivée Oui, je vais le faire mais... partez, maintenant, il n’y a aucune raison de perdre votre temps ici J’y tiens, Emmanuelle... à moins que cela ne vous ennuie vraiment Oh non ! Non... pas du tout... c’est pour vous, il neige de plus en plus et la route est tellement mauvaise J’en ai l’habitude et... ce n’est pas important... Appelez-les La cabine est à deux pas. Ils se lèvent tous deux. Elle, hésitante, libre mais pas satisfaite pour autant, sans comprendre pourquoi. Lui, pour la sentir proche encore un moment, jusqu’au bout. Et il maudit l’employé qui lui fait signe, qui l’oblige à s’en séparer Il la rejoint très vite, ne sachant que faire... surtout comment lui dire... et il se tait à l’écouter rire avec son correspondant - Papa ! Tu exagères, je serai bientôt là, tu pourras t’en assurer par toi-même. Un rhume, c’est tout. On s’est bien occupé de moi. Qui ?... Un ami. Oui, chez lui... Mais non, je ne risquais rien ! Br... Brian. Il s’appelle Brian et il est très gentil, c’est lui qui... Non, ne commencez pas sans moi ou je ne vous parle plus de six mois. Je serai là à temps. Je t’aime. Embrasse tout le monde Elle raccroche, se tourne vers lui et rougit devant la lueur malicieuse du regard posé sur elle Brian ? Pourquoi Je n’ai rien trouvé d’autre Je vois... J’ai une mauvaise nouvelle, le train est bloqué. Une heure de retard... peut-être deux Oh. Non ! Tout ce temps de perdu... Brice ! Que faites-vous ? Il a déjà ramassé les sacs, ne l’attend pas pour se diriger vers la porte, pour sortir de la gare Il referme le coffre de la voiture quand elle arrive près de lui Montez ! Dépêchez-vous Mais... ce sera la même chose plus loin ! Je peux attendre ici Je vous conduis chez vous, ce n’est pas au bout du monde. Mais il vous faudra me supporter encore quelques heures... c’est trop pénible à envisager Vous n’êtes pas obligé de faire cela... Et les chiens ! La maison... rien n’est fermé Vous m’accordez le temps d’un aller retour ? Pour eux, la maison ne risque rien Oui, bien sûr. Vous tenez absolument à aller jusqu'à Clermont Moi ? En toute sincérité... pas du tout... Mais votre nez coule et si vous restez un moment de plus, dans ce froid, je serai obligé de vous ramener chez moi... et cette idée me terrorise Je me disais bien aussi ! Je n’ai pas le droit de vous infliger cela Merci, de tout cœur, tout à coup, mon avenir redevient serein. Le temps de fermer portes et fenêtres, d’un saut chez Doc pour le prévenir de son absence, de faire monter Gus et Flamme à l’arrière du 4x4, ils sont repartis, direction Clermont Emmanuelle est tendue, ne sait plus vraiment comment se comporter, elle ne retrouve pas le ton, ni l’aisance avec laquelle elle s’adressait à lui, soudain timide devant une intimité nouvelle par l’absence de tout conflit entre eux Les chiens sont sages, à l’arrière, sans doute habitués à de longues heures sur les routes Vous avez avalé votre langue Je ne sais plus que dire. C’est gentil de faire cela pour moi. Je ne pouvais permettre qu’un méchant tour du ciel vous prive de votre fête d’anniversaire. Vous savez ? Qui vous l’a dit Votre mère Une éternelle bavarde ! Avec papa, deux mots auraient suffi, vous n’avez pas eu de chance Elle est très sympathique... et très chaleureuse... votre père aussi Pas de la même manière, mais ils se complètent à la perfection Vous ressemblez à qui A moi ! C’est bien suffisant, non La vanité vous perdra... Vous n’avez pas froid Non, je suis très bien. Bien mieux que sur un quai de gare Votre mère a parlé de frères et sœurs. Ils seront tous là J’y compte bien ! Nous sommes cinq, deux garçons et trois filles. Trois sont mariés, et j’ai déjà quatre neveux et nièces. Je suis la dernière, la plus gâtée, la plus cajolée, la plus enquiquineuse. C’est leur avis, pas forcément le mien Une belle famille, et pour vos parents, beaucoup de responsabilités, de travail, et autant de mérite Ils sont merveilleux... ils ont su demeurer à l’écoute de chacun. Et ils nous ont donné de l’amour, une infinité d’amour... sans cesse et sans mesure. Une totale liberté également, mais pas seulement dans le comportement, surtout dans notre manière de penser, ou simplement d’être et nous avons, tous, veillé à ne jamais trahir leur confiance. Aucune exigence particulière non plus, sinon celle de nous voir agir essentiellement dans le respect des autres, d’abord entre nous et envers eux, ensuite vis-à-vis des personnes extérieures au clan familial Vous en parlez avec beaucoup d’affection Plus que cela, Brice. Ils sont mes repères, mon refuge, ma sécurité. Pas sur un plan physique, ou matériel, mais... comment exprimer Je sais, je comprends ce que vous voulez dire. Vous avez beaucoup de chance Oui, j’en suis consciente. Pour cela surtout, je ne les en aime que davantage. Et vous A force de vivre comme un loup solitaire, vous vous souvenez, j’ai perdu le contact avec ce qui me reste de famille. Une sœur aînée, qui vit loin d’ici, et peu de points communs entre nous... Deux neveux, que je n’ai plus vu depuis... depuis longtemps... très longtemps C’est dommage, et triste aussi, pour tous. Vous avez tout entendu ce jour-là Tout ! Jusqu’au dernier mot... mais n’en parlons plus, je n’aime pas me souvenir de ces moments. Vous arriverez à me pardonner Pardonner quoi ? Il n’y a rien à regretter. Et puis... vous roulez trop vite, il neige encore Vous éludez les réponses Moi ? Concentrez-vous sur votre conduite, il nous reste encore un long chemin à faire Brice sourit, le premier vrai sourire qu’Emmanuelle lui voit. Plus ouvert, plus naturel. La veille, déjà... une ébauche, encore retenue Ils ont dîné, en silence, un peu sur la défensive, étonnés de ne plus sentir entre eux la tension des jours passés. Il l’a entraînée vers le séjour, refusant de lui laisser faire la vaisselle... Pressé... Sans qu’elle puisse définir pourquoi. Ils ont écouté plusieurs disques, plusieurs morceaux différents. A un moment ils se sont presque chamaillés pour un choix. Lui, cédant finalement, souriant presque devant un air buté. Ils ont parlé, beaucoup. Essentiellement sur ce que chacun ressentait. Pas toujours d’accord Les sifflements du vent malmenant les géants de la forêt, la force hostile des bourrasques contre la façade de la maison, et la chaleur réconfortante des flammes dans la cheminée, les chiens couchés près d’elle, assise en tailleur, à son habitude, à même le sol et Brice, confortablement installé sur le canapé, parfois penché vers elle Une impression d’irréalité... qui l’a amenée à se lever, à se secouer... qui l’a poussée à fuir, prétextant une nuit écourtée, un départ tout proche, et le besoin de se reposer. Mettre fin à trop de quiétude... de crainte de s’y trouver trop bien... de s’y laisser enfermer, et de ne plus avoir envie d’en sortir. De longues heures, ensuite, dans une chambre inconnue, vers laquelle il l’a guidée, sans avoir l’air d’y être contraint, où il ne l’a laissée qu’après s’être assuré que le chauffage fonctionnait normalement, que rien ne pouvait lui faire défaut. Et elle... déçue de l’en voir sortir, sans le courage de le retenir encore un moment Pour lui aussi, la même impression, le bonheur en plus de la découvrir réelle, vraie, sans artifice. Séduit par sa gestuelle, le mouvement de ses mains, leur manière d’accompagner un mot, de souligner l’essentiel... sa façon de défendre ses positions Il a retrouvé en elle son goût pour la musique... la même faculté d’évasion. Pour lui... souvent un réconfort... mais pour elle, surtout un moyen de rêver plus loin, plus fort Tout autant déçu par une volonté manifeste de se soustraire uniquement à l’harmonie de l’instant, qu’heureux de lui voir accepter sa main pour l’accompagner... troublé devant elle, debout à quelques centimètres de lui. Il a dû se faire violence pour l’abandonner derrière la porte close d’une chambre où, pour la première fois, il est entré sans malaise, et en est ressorti l’âme remplie d’une image souriante Dans sa chambre à lui, seul, à la rechercher, à la recréer... portant encore son rire... captif du geste de ses doigts rejetant les cheveux en arrière. Longtemps. Pour se retrouver à l’aube, étourdi, au milieu d’un atelier oublié et fermé depuis des années, devant son regard, l’expression exacte qu’il a lue sur son visage montant vers le sien, quand il l’a aidée à se relever... un visage tendu vers lui, avec comme une attente... ou une interrogation au fond des yeux Qu’il n’a pas voulu déchiffrer à ce moment-là, qui lui est apparu évidente, nettement traduite au travers d’une ébauche C’est avec étonnement qu’il a regardé ses doigts noircis par le fusain, inconscient d’être venu jusque-là, stupéfait de s’y trouver, d’être encore accessible à une pulsion brutale à laquelle il n’a jamais su résister, mais qu’il n’avait plus éprouvée depuis... depuis Toutes ces toiles, retournées contre les murs... rien pour lui restituer l’autre, celle de son monde de souffrances Sans aucun désir de la laisser pénétrer dans sa nouvelle réalité. Sans crainte également ? Pas la force de le vérifier. Heureux simplement de l’instant présent Pas fatigué des heures passées, et absent, comme avant. Mieux qu’avant et satisfait au-delà du possible A cause d’une femme qui dormait, bien réelle, bien vivante à deux pas de lui Surpris par l’impulsion qui l’a poussé à prendre la route, à la reconduire chez elle... se voulant sourd à la satisfaction de la sentir si proche. Même silencieuse, comme maintenant, absorbée par ses propres pensées Bien plus étonné s’il savait combien elles sont proches des siennes |
15 Ils sont à deux cents mètres de la maison des parents d’Emmanuelle. Brice roule au pas et remplit son regard de la joie qu’elle exhibe Plus vite, sinon je finis à pieds Où est-ce Là, à droite, le petit chemin. Voilà, tournez maintenant Non, je vous laisse là Pas question. Je... Pourquoi C’est votre fête... votre famille Vous ne voulez pas restez un moment Je n’y serais pas à ma place. Emmanuelle, je Même si moi j’ai envie de vous garder encore un peu Tenez, c’est pour vous, je voulais vous le donner à la gare Brice, j’ai vraiment envie de vous avoir près de moi, pas du tout de vous voir disparaître si vite. Pas de cela Ils sont nombreux à vous attendre, et vous m’oublierez vite. Je me suis donné beaucoup de peine pour vous offrir ça Merci. Mais... C’est à cause de... de cette marque Non, pas vraiment... Pas complètement. Sinon... l’impression de forcer votre porte, avec ce que j’ai de triste en moi, de gâter ainsi l’esprit de la fête Vous ne me ferez pas confiance jusqu’au bout En vous ? Oui, totalement C’est le plus précieux de mes cadeaux aujourd’hui, bien plus que ce paquet, que tous ceux qui se cachent là-bas. Alors, vous venez ? Dites oui, je vous en prie Attendez ! Un moment encore... Un soir, la première fois que je vous ai vue, vous m’avez donné quelque chose Quelque chose J’aimerais vous le rendre maintenant Me rendre Après, je n’aurai plus l’opportunité de le faire Brice C’est elle qui s’avance, qui s’offre, qui tremble contre lui, elle qui prend ses lèvres, doigts perdus dans les cheveux sombres, tenant le visage blessé contre le sien, le retenant encore. Le quitte seulement pour poser le front contre son épaule. Heureuse du plaisir qu’elle décèle dans sa voix -Deux... je vous en dois deux Je peux accorder des délais de remboursement Elle hésite sur les mots, de peur d’aller trop loin, trop vite, de se tromper sur ce qu’il attend d’elle Il est temps d’honorer la première échéance Il faudra aussi penser aux intérêts de retard Cher Un tarif d’usurier Je crois que je vais payer très lentement Attention, Brice, je deviens avide, mes taux vont monter en flèche. Je commence déjà à compter, le premier versement se fait attendre Elle ne peut en dire davantage, s’abandonne entre ses mains, pas du tout effrayée par le désir qu’elle devine en lui, bien moins par l’avidité, la force de son étreinte qu’il maîtrise à grand peine. Elle est grise d’espérance, ivre de bonheur, du sien et de celui de Brice aussi Emmanuelle, vous tenez absolument à vous rendre... là-bas Plus autant que... qu’avant... mais je... je ne peux pas leur faire ça Et en d’autres circonstances Je ne sais pas... à moins que toute question ne devienne inutile Peut-être... eh bien... en route ! Mon visage, ma joue ? Ils vont Il n’y a rien à voir, rien à redire Ils ne vous ressemblent pas tous Ceux-là, oui. Vous allez les surprendre, pas les effrayer. Les surprendre A cause de moi. Venez, vous ne pouvez pas comprendre... donnez un coup de Klaxon... Ça y est ! Regardez-les... il n’en manque pas un Une cavalcade qui leur amène des visages souriants, des mains qui ouvrent une portière... qui tirent Emmanuelle à l’extérieur du véhicule, une euphorie chaleureuse Et les parents Devine ! Nous étions treize, sans toi... sans vous... et maman ne voulait pas rester dans la même pièce. Ils sont derrière la maison Où étais-tu passée Pitié, Richard... ne me bousculez plus ! Brian... où est Des baisers et des rires... des corps qui forment un cercle autour d’elle, dont Brice est exclu... quelques secondes seulement... relié à eux par des yeux qui le cherchent, une voix qui l’appelle, des doigts qui se tendent, s’accrochent aux siens, le ramènent près d’elle... sous un échange de regards étonnés et de sourires entendus Une semaine entière sans donner de tes nouvelles Je suis désolée, Patrick... j’ai été très occupée Ce n’était pas un reproche, seulement un record à souligner... Tu grandis, fillette, et c’est tant mieux J’étais avec Brian... et il reste avec moi Avec toi ? Dans ce cas, Brian... vous êtes le bienvenu à la maison Merci Attendez, je dois vous présenter tout le monde... Voici Richard, qui est marié avec Joanna, la petite brune. Les jumeaux sont à eux. Il est le second de la lignée. Patrick est l’aîné. Avec sa femme, Bénédicte, ils ont réussi à mettre au monde le petit monstre qui arrache les fleurs derrière vous. Sam, tu arrêtes immédiatement sinon j’en fais autant à tes cheveux. Ensuite, nos jumelles à nous, Marie et Martine, que nous appelons pile et face mais ça les rend furieuses. Aïe ! Vous voyez ! Marie est mariée avec Bernard, le pauvre a bien du mérite et ils sont les parents du bébé qui dort dans le berceau. Je ne cite plus de nom, vous allez les oublier dans deux minutes. Vous tous, voici Brian. Vous lui tenez compagnie pendant que je vais chercher papa et maman. Rentrez vos griffes et gare à celui qui lui raconte n’importe quoi derrière mon dos Un baiser sur la joue de Brice interloqué, comme pour montrer, à chacun, l’importance qu’il a pour elle, et la voilà partie, le laissant seul face à tous Ne restez pas debout, et n’ayez aucune inquiétude, elle va vous revenir. Un vrai tourbillon, non En effet... et j’ai du mal, en ce moment, à la suivre. Ici, avec vous... elle est totalement différente Depuis quand vous connaissez-vous Quelques jours Seulement ! Et elle vous invite ici ? Chez nous ? Pardon... vous ne pouvez pas comprendre C’est ce qu’elle a dit ! N’agit-elle pas ainsi avec chacun de ses amis Non, ceux-là viennent la chercher, la ramènent... Ils ne restent que quelques secondes, à peine le temps d’échanger deux mots. Mais pas au point de partager notre intimité, jamais lors d’une réunion familiale. Elle est ainsi faite, c’est peut-être, pour elle, le moyen de nous permettre de mesurer la place qu’elle leur accorde dans sa vie. Pour vous, nous l’avons crue importante... Surtout à cette occasion, un jour particulier pour elle Je sais... Vous êtes Patrick, c’est cela ? L’aîné de tous Oui, et je suis très heureux de vous accueillir chez nous, Brian Appelez-moi Brice. Brian, c’est encore une idée à elle ! Je vous expliquerai plus tard. J’avais peur de vous choquer, tous, à cause de... de ça... et c’est là qu’elle a précisé que la surprise viendrait d’elle. Je comprends mieux maintenant ! Alors, il n’y a eu personne... jamais, avant moi Non... mais apparemment, nous avons mal interprété votre présence Peut-être pas. Et si c’était le cas Il suffit qu’elle vous ait amené jusqu'à nous Je vois... Mon nom est Brice D’Orval, et Le peintre ? B.D.O. ! C’est vous ! C’est amusant... je viens de m’offrir l’une de vos toiles Vraiment ? Pour en revenir à Emmanuelle... elle est toujours comme ça ? Avec tous Essentiellement quand elle se sent dans son élément. Elle est spontanée, très gaie aussi, mais ne vous y trompez pas, elle n’a aucune faiblesse, et elle sait se défendre Je vous crois aisément, j’en ai fait l’expérience Oh ! Je vous plains. Alors Alors ? Je suis là, et incapable de dire s’il y a un vainqueur ou un vaincu Pourquoi pas deux vainqueurs ? La voilà qui revient Brian, voici maman et papa, Yvette et Charles Davrey. Voilà, avec eux, vous avez vu tout le monde. Mon Dieu ! Gus et Flamme ! Je vais les chercher Attendez... Emmanuelle, ils peuvent patienter un petit moment. Brian, si vous voulez, nous pouvons aller voir qui sont ces deux nouveaux venus Certainement Monsieur Davrey. Il s’agit de mes chiens, je vous préviens, ils sont encombrants. Ils peuvent rester dans le véhicule Allons les en sortir, et pas de Monsieur, Charles suffira largement Merci. Emmanuelle, vous venez Allez-y tout seul, mon père ne vous mordra pas. Alors, vous autres, que me racontez-vous Aucune pitié ! Elle l’a laissé se débattre au milieu de visages qu’il confond, avec des prénoms qu’il mélange, le surveillant de loin, ou bien le taquinant à l’occasion d’un rapprochement quelconque Il s’est retrouvé gamin devant son père, comme un adolescent soucieux de réussir un examen de passage. Sa mère l’a séduit, sans réserve... par toute l’affection qu’elle distribue à chacun, tout l’amour qui émane d’elle, dans les regards qu’elle laisse glisser sur eux, par la main toujours caressante... Le même geste en Emmanuelle, une pression affectueuse du bout des doigts, comme un message transmis à travers eux Tous sont charmants, ouverts... heureux Sans le vouloir, petit à petit, Brice a repris ses distances, il s’est éloigné d’eux, pour mieux les apprécier, ou mieux les deviner. De trop près, souvent, rien n’est évident... Et il les observe, de loin, réunis dans une même toile Au point d’envier leur affection partagée et la complicité qui règne entre eux Et il suit Emmanuelle, il la regarde aller de l’un à l’autre, et il aime sa manière de se pencher un peu vers celui qui lui parle, et la douceur du regard qu’elle pose sur le petit Sam, et son geste pour le soulever de terre, l’élever très haut, à bout de bras, pour le ramener contre elle, et l’y serrer très fort, et il ressent son émotion à la lire ainsi, sur son visage, et il sourit au rire qui monte jusqu'à lui Et aussi la façon d’entourer de ses bras le cou de son frère aîné, et d’obéir en riant à la main qui la tire vers lui, jusqu'à s’installer carrément sur ses genoux, et il aimerait être celui qui la porte ainsi, et recevoir son souffle dans l’oreille, entendre sa voix d’au plus près, et respirer la chaleur de sa peau A la découvrir, soudain, plus attentive, l’air grave, presque recueilli, il devine qui est au centre de leurs propos, et il attend son regard qui le cherche, et la question qu’il renferme et qu’il pressentait, et le sourire, hésitant, à lui seul adressé Il a besoin de se retrouver seul, de se ressaisir... Il y a trop de monde... de rires... de bruit... Malgré la joie qui règne autour de lui, il se sent oppressé... Il n’a jamais eu l’habitude de telles réunions... et tout va trop vite... bien trop pour lui Le temps passe, il va devoir partir... et la quitter... Elle Sans le désirer vraiment Ses chiens sont dans la véranda, il a tenu à les y enfermer à cause des enfants. N’étant pas habitués à les côtoyer il a craint que l’un d’eux se montre agressif et les effraie. Il s’attarde un instant près de Gus et Flamme, pour tenter de se reprendre, alors que dans son crâne se bousculent les mots échangés avec le frère d’Emmanuelle Personne... il n’y a jamais eu personne avant lui ! Heureux, bien trop, par ce que cela représente, et, en lui, brutalement, l’urgence de la rejoindre, de donner toute réalité à une espérance, de revenir à la vie... avec elle... par elle... pour elle seulement... arrêté dans son élan par les voix qui lui parviennent de la cuisine, qui se glissent jusqu'à lui par la porte entrouverte... Ses parents sont là, et le font hésiter... et reculer. Je te dis que la petite est amoureuse, Charles Et alors ? Voilà qui est nouveau ! Depuis quand te fais-tu du souci pour une histoire d’amour ? D’habitude, tu frétilles de curiosité Ce n’est pas pareil ! Pour elle, je suis certaine que c’est la première fois et tu sais bien comment elle est ! Absolue au-delà du possible ! Avec ta fille, je l’ai toujours su, c’est tout ou rien. Elle va souffrir Ma fille ! Comme si j’étais responsable de cet aspect de son caractère ! Souffrir ? Peut-être, mais c’est aussi quelque chose qu’elle devra apprendre... comme tout le monde. Et ce n’est pas prouvé... mais toi, tu es trop pessimiste Je me demande seulement s’il va savoir comment s’y prendre avec elle Yvette, tu me désespères ! Notre fille est bien assez grande pour lui faire comprendre ce qu’elle attend de lui. Et ce ne sont pas nos affaires, toi et moi, nous devons être là, pour essuyer ses yeux, ou pour rire avec elle si tout se passe bien dans sa vie Je t’accorde que c’est un homme très bien, mais tu reconnaîtras que c’est aussi quelqu’un de singulier A quel point de vue Dans sa façon d’être, pas le même style que ces jeunes gens qui ont traversé la maison, autrefois. Avec tous les amis de ses frères, je pensais qu’elle en choisirait un parmi eux. Notre Emmanuelle ? Elle aussi est un être à part. Pas le même esprit dans notre petite que dans ceux que tu évoques. En revanche, Brian c’est différent... Tu sais, je crois qu’ils se ressemblent tous les deux. Toi aussi, tu t’en es rendu compte Oui, il devait être heureux... avant Avant quoi Là, je ne sais pas, ce n’est qu’une impression... Et puis... il n’y a pas beaucoup de gaieté en lui, et c’est cela surtout qui m’inquiète pour Emmanuelle. Tu vois ce que je veux dire maintenant Brice est mal à l’aise, pour ne pouvoir nier s’être laissé aller à écouter aux portes, et inquiet d’être surpris, mais heureux de les voir tels qu’elle les lui a décrits. A leurs yeux, il n’est que l’individu qui plaît peut-être à leur fille, et leur seul souci, le bonheur qu’elle devrait trouver auprès de lui ou la peine qu’il pourrait lui apporter Il ne peut rester là, à entendre des mots qui ne lui sont pas destinés, et il se résigne à taper à la vitre, à leur adresser un signe de la main, et reçoit en retour une invitation à les rejoindre Vous avez fui la mêlée ? Nous aussi ! Ils sont épuisants. Une ambiance très sympathique et que j’ai beaucoup appréciée, mais... il se fait tard, et je dois partir. Merci pour votre accueil... à tous Vous êtes un ami de notre fille Monsieur... Charles, j’ai quelque chose à vous dire. A vous aussi, Madame Nous vous écoutons Je ne m’appelle pas Brian mais Brice D’Orval, et je suis peintre... Assez connu pour que la presse me poursuive. Brian c’est... votre fille n’a rien trouvé de mieux pour préserver mon anonymat ! Ici, je ne crois pas que cela soit nécessaire, pas avec des êtres tels que vous Nous sommes très touchés de votre confiance Si je vous empruntais Emmanuelle quelques jours de plus, cela vous ennuierait-il Si elle en a décidé ainsi Je ne lui ai pas encore posé la question Alors tout dépend d’elle Merci, Charles... à vous deux Dites, Brian... ou... Brice, je sais que cela ne me regarde pas, mais Elle ne risque rien avec moi, je vous le promets... Et puis... je ne sais même pas si elle va vouloir me suivre Alors là, je ne parierais pas ma chemise sur le contraire ! Prenez soin de ma fille et nous serons les meilleurs amis du monde Promis ! Tans pis pour le gâteau ? Pour la fin de la réunion ? Vous ne m’en voudrez pas Non, nous nous ferons une raison Dans ce cas... dites-lui que je l’attends... à bientôt Ils restent tous deux à le regarder courir dans l’allée, les chiens à ses côtés Charles, pourquoi ne pas aller la trouver tout simplement et lui demander de l’accompagner ? Je n’y comprends plus rien N’essaie pas, va prévenir ta fille et ne t’inquiète pas si tu ne la vois pas revenir Tu crois Pour une fois, fais ce que je te dis. File Emmanuelle cherche Brice, ne le trouve pas. Ses parents non plus, il doit être avec eux. Elle se raccroche à cette idée, et s’en veut de l’avoir laissé seul si longtemps... trop longtemps... livré aux pensées sombres qui l’empoisonnent Sa mère lui fait signe... Il se passe quelque chose d’anormal, elle le sent, à cause de son sourire, pas celui qu’elle affiche d’ordinaire... un sourire un peu crispé et son cœur se serre.... Brice s’en est allé, elle en est certaine, et sans même lui dire adieu Maman... Il... il est parti Oui, à l’instant, mais Sans me prévenir Je n’y comprends rien, mais Il n’y a rien à comprendre...ça ira, maman, ça... ça passera Mais non... il veut te parler avant... il a dit que... Hé ! doucement ! Pas la peine de prendre le risque de te casser une jambe. Nous voilà bien maintenant ! Regardez-la ! Et si elle ne revient pas, je n’ai pas fini de les entendre Plus bas, au bout de l’allée, devant le portillon du jardin... Emmanuelle voit la voiture, portière ouverte du côté passager, comme en attente Elle savait bien qu’il ne pouvait pas disparaître ainsi A quelques pas de la vitre baissée devant le visage impassible de Brice, elle ralentit sa course, effrayée par ce qu’elle découvre en elle A portée de la main qui se tend lentement vers elle, elle prend conscience de l’importance qu’il a prise dans sa vie Et les doigts unis aux siens, elle sait qu’elle ne veut pas le voir en sortir Brice, pourquoi maintenant Votre famille est merveilleuse Je le sais... et c’est pour cela que vous nous quittez Non Vous rentrez chez vous Il est temps de le faire, et je voulais vous dire adieu Adieu ? Pas à bientôt Vous avez envie de me revoir ? Vraiment Oui, je... Et puis, vous semblez oublier ce que vous me devez. Si je vous laisse partir, je ne rentrerai jamais dans mes fonds Sans compter les intérêts ! C’est compliqué ! Quand voulez-vous que je m’en acquitte Pourquoi pas, ici Maintenant ? Vu l’importance de la dette, j’ai trop peu de temps devant moi pour cela... et sur la route... ce serait trop risqué... A moins que vous n’acceptiez de me faire crédit jusque chez moi Chez vous Pas comme hier, Emmanuelle... Jamais plus La portière Quoi que vous décidiez, c’est à vous de la claquer... de l’extérieur ou de... l’intérieur Devant la maison, Yvette Davrey hâte le pas. Emmanuelle n’est pas revenue. Il va falloir affronter les autres Patrick aussi est tout près, à quelques mètres de la route, regard fixé sur le véhicule qui emporte sa sœur, regrettant de ne pouvoir la suivre, espérant de tout cœur que tout aille bien pour elle Et que l’homme qui la leur prend, et qu’il a senti torturé, ne réalise pas trop tard ce qui se passe en lui |
16 Ils sont arrivés de nuit et ils ont eu du mal à garer le véhicule dans la remise, au bord du chemin, il leur a fallu déblayer la porte et retenir les chiens... Il a dû neiger toute la journée Ils ont ri surtout devant les bagages oubliés à l’arrière Et ils ont avancé sur la pente raide et glissante qui mène à la maison, lentement... à cause de l’obscurité, et pour être aussi tendus l’un que l’autre, et autant maladroits Il l’a gardée contre lui, tout au long du retour, recroquevillée sur le siège, négligeant la ceinture, appuyée à son bras, tête reposant sur son épaule Elle, profitant d’un arrêt, ou d’un ralentissement pour se hisser vers lui et effleurer ses lèvres d’un baiser léger, osant glisser une main sous sa chemise, recherchant la chaleur de sa peau, et le brûlant, lui, par cette seule caresse Lui, s’arrêtant une fois, une autre, souvent, pour l’attirer à lui, s’accrocher à elle et boire à sa bouche... jamais désaltéré, jamais rassasié Peu de mots, aucune question, et la même évidence en eux sur le pas de la porte. Et la même crainte, le seuil à peine franchi Pour elle, d’aller trop vite. Pour lui, de l’effrayer ou de la blesser Elle a besoin de certitude. Trop absolue pour se *******er de demi-mesure, elle ne pourra se donner que totalement, sans rien garder pour elle, jusqu'à accepter sacrifier ses rêves pour le préserver, lui. Elle sent, d’instinct, qu’il n’est pas prêt, qu’elle ne lui est pas encore indispensable, pas autant qu’il ne l’est désormais pour elle... et elle souffre déjà de seulement supposer ne jamais pouvoir remplir sa vie, ni satisfaire tous ses désirs Il porte trop de violence en lui, trop de colère encore et la conviction de ne pas mériter ce qu’Emmanuelle lui apporte, de ne pas avoir acquis enfin le droit de renaître aux joies et à l’amour. Qu’à cause de son passé, du crime dont il est assuré d’être coupable, tout espoir lui est interdit, et, que, ainsi fait à rejeter la vie, il la maintiendra à distance et, par cela, la blessera profondément, et rien ne l’y autorise. Il ne veut pas... il ne peut l’accepter... pas pour elle. Et lui aussi en souffrirait, tout autant qu’elle... ou davantage De se regarder et de se deviner, de lire en eux et d’y trouver les mêmes doutes, et par cela se comprendre et s’accorder un sursis... Et en sourire aussi, jusqu'à oublier toute impatience et reprendre la vie au matin, avant leur échappée dans l’autre monde, faire chacun un pas en arrière pour se donner le temps de refaire connaissance... et de s’apprendre C’est elle qui prend la direction de la chambre occupée la veille, sans qu’il fasse un geste pour la retenir, sans qu’il tente de l’en dissuader, et soulagés, tous deux, au fond, qu’il en soit ainsi Il appelle les chiens, les entraîne après lui, s’occupe d’eux, satisfait du répit que la nuit leur apporte. Un répit ? Oui, il le faut bien, pour ne rien abîmer de ce qui pourrait, un jour, leur être offert Et c’est dans cette espérance qu’il puise sa force Heureux, comme jamais auparavant, quand elle lui revient enfin, seulement de l’observer fureter dans la cuisine, préparer deux en-cas, et de l’entendre fredonner... faux ! Elle chante faux Et il sent monter le rire en lui, et s’étonne d’en retrouver l’envie, et il le réprime de son mieux, surpris par la profonde intimité que quelques notes discordantes semblent instaurer entre eux Il se tient dans l’expectative d’un sourire, d’une ébauche de geste dans sa direction, qu’elle se tourne vers lui et capter son regard, y déchiffrer ce qu’elle attend de lui, ce qu’elle espère pour eux, et veiller, surtout, à ne pas commettre d’erreur Et il est soulagé, et bien plus que cela, de la deviner sereine, détendue, et confiante Et maintenant, Emmanuelle Il la décharge du plateau qu’elle lui tend... guette les premiers mots Maintenant ? Nous allons dîner, et je vous laisse le choix du premier disque... Et après... eh bien, nous verrons |
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Lundi ! De tous les jours qui composent une semaine, pourquoi est-il le moins aimé Une injustice à réparer et Emmanuelle se promet de garder une affection particulière pour ceux à venir Sept heures du matin ! Il est tôt... Mais pas trop, juste assez pour attendre... un peu Elle aime l’attente ! Mais pas n’importe laquelle, celle dont elle sait recevoir ce qu’elle désire, celle qu’elle s’impose librement, pour sentir grandir une impatience, la contrôler, la doser... Pour faire plus grand et plus exaltante, le plaisir et la joie, qu’elle lui amène... devant l’ouverture d’une lettre, d’un paquet, d’un cadeau D’un cadeau ? Elle n’a pas défait celui de Brice, pas un seul de ceux qu’elle a reçus, d’ailleurs. Ils sont partis trop vite. Et il doit être déçu... et elle s’en veut pour cela, se promettant déjà de se rattraper, de s’appliquer de son mieux, pour se faire pardonner Rien ne saurait ternir sa gaieté... A l’extérieur, il fait beau, la tempête de la nuit dernière est oubliée. Elle le savait... le ciel, lui-même, se veut le complice de leur bonheur à naître, et elle le remercie de sa clémence, d’éclore dans une aube au diapason de ce qu’elle ressent, jusqu'à considérer que les éléments déchaînés de la veille n’étaient que le reflet des derniers soubresauts de tout ce que Brice porte en lui de sombre ou d’amer. Et que, désormais, il en est libéré... Ou qu’il le sera bientôt... très vite Encore un peu de patience, tendue, à épier les premiers bruits, et déconcertée de n’en percevoir aucun. Il n’est plus si tôt que cela, et... les chiens ! Ils courent, dehors... Brice a dû se lever pour leur ouvrir la porte, et ça fait déjà un moment qu’elle suit leurs cabrioles derrière la vitre embuée C’est le plus silencieusement possible qu’elle se glisse dans le vestibule et qu’elle avance vers la cuisine, déçue devant une tasse vide et le café à peine tiède, comme volée d’un moment trop désiré Plus encore devant la porte entrouverte de la chambre et la lumière qui l’inonde, dénonçant une fenêtre ouverte, livrant passage au froid de l’extérieur et à l’odeur particulière de la neige, et elle frissonne pour un lit défait et abandonné, bien plus que par la température qui y règne Brice est sorti, l’oubliant derrière lui, pour ne pas porter, en lui, la même urgence qu’elle, de se retrouver, de poser les yeux l’un sur l’autre, de se toucher... de s’aimer Toute une nuit à envoyer au diable ses hésitations et ses peurs, se surprendre à languir, à dessiner le même cheminement dans ses pensées, à lui, des heures entières à disséquer le silence, à frémir au moindre craquement, à se raisonner, à contrôler l’envie de traverser la maison, de se fondre dans l’obscurité, pour renaître à ses côtés... et enrager, un peu, et souffrir, surtout, d’une première presque trahison Dans la grande pièce, sous le bois sombre des poutres, dans l’ombre sage des volets clos, elle cache sa déception. Elle caresse le dos d’un livre, redresse le coussin d’un fauteuil, avance encore, traîne sa solitude devant les flammes, cherchant un réconfort dans leur chaleur, et ne peut retenir un cri de frayeur à se sentir happée par le poignet, tirée en arrière avec assez de force pour la faire trébucher, et s’écrouler presque, mais aussitôt soutenue, aussi vite enlacée Pour se tenir, à genoux, près d’un homme qu’elle croyait déjà parti, et qu’elle n’a pas vu, distraite par son chagrin, étendu sur le canapé. Elle ne peut étouffer le sanglot de soulagement qui gonfle sa gorge, et elle s’abandonne, et se laisse porter, jusqu'à se trouver tous deux, côte à côte, lui la retenant et elle blottie au plus près de lui Emmanuelle... je n’en pouvais plus Il fallait m’appeler, ou venir me chercher. La porte n’était pas fermée à clé Et te réveiller Je ne dormais pas, et depuis longtemps... c’est tant pis pour toi J’ai raté quelque chose Si tu savais ! Et toi, ta nuit Longue, vide, froide. Mais, si tu restes avec moi, je vais, peut-être, réussir à dormir un peu Une prière pour une éternité, pour que rien ne vienne les distraire En Brice, tout est confus. Il a besoin de la toucher, de la sentir contre lui, avec une main perdue dans sa chevelure pour amener son visage au plus près du sien, et l’autre glissant sur elle, jusqu'à sa taille, la maintenant, très fort... troublé de la sentir trembler, et ému de si bien deviner ce qui se passe en elle Combien de temps à l’étreindre ainsi, à l’écouter respirer, à se convaincre de sa réalité ? Jusqu'à trouver la paix Et s’autoriser, enfin, à prendre sur la bouche offerte, sans peur de se laisser entraîner trop loin, la récompense d’une nuit de tourment, et égarer ses mains sur un corps trop désiré, trop espéré, sans crainte de ne pas parvenir à les maîtriser, et aborder, en elle, un désir aussi fort que celui qu’il porte en lui sans redouter de ne pouvoir le guider, le contrôler, et le soumettre Il est tard, et bientôt, trop vite, la fin de leur solitude. Il doit s’éloigner d’elle, la séparer de lui avant que cela ne devienne pour chacun un déchirement, mais demeure seulement une promesse Alors qu’elle n’est que bonheur retrouvé, pressée de l’assouvir... impatiente de s’offrir et regrettant de ne pas oser, espérant l’amener à se laisser aller et redoutant une maladresse due à une inexpérience qui pourrait, peut-être, lui déplaire Emmanuelle, le feu s’éteint Aucune importance... je n’ai pas froid... pas comme ça... Tu as une tache de peinture sur le front, là Elle y pose les lèvres, se coule encore plus près de lui Je t’ai guetté, tu sais... toute la nuit Moi aussi Toi A en devenir fou Mais alors... Brice, en fait... nous sommes deux idiots Là, tu as raison ! Et encore... c’est peu dire Heureuse de te savoir du même avis. Alors Je meurs de faim Ho ! là ! là ! C’est vrai Pour la première fois, le rire, son rire à lui, devant le son de sa voix, sa façon de le regarder, de le tenter par la lueur malicieuse au fond des yeux, et la bouche soudain gourmande Diablesse, tu sais ce que tu risques de déclencher avec un regard comme celui-là Moi ? Je ne souhaite que calmer un peu ton appétit... ma seule et honorable intention Je te crois ! Et que comptais-tu m’offrir pour le satisfaire ? D’un mouvement souple elle se redresse, le domine un instant, se baisse à nouveau, juste l’espace d’une caresse des lèvres sur les siennes. Si tu insistes un peu... je te promets de prendre tout mon temps pour te montrer ma réponse Non... attends ! Il va te falloir patienter... C’est déjà lundi, c’est le matin, et.... Emmanuelle, il est presque neuf heures Et alors ? Jamais ce jour-là ? Une superstition ? Je vais t’offrir un grigri. Et ça, je peux Elle glisse ses mains sous la chemise, retrouve sous ses doigts la chaleur de la peau Arrête... sinon... sinon, je ne réponds plus de rien Encore un défi Thérèse va arriver Thérèse ? Qui est cette Thérèse La personne qui assure l’entretien de la maison. Elle reprend son travail ce matin, à neuf heures et demie, ce qui signifie que, bientôt, nous ne serons plus seuls. Tu veux prendre ce risque Tu le savais et tu m’as laissée me conduire ainsi C’était bien Brute ! Tu ne perds rien pour attendre, je saurai te faire payer ça A ce rythme, je n’arriverai jamais à m’acquitter de ce que je te dois Tant mieux ! Et, puisque tu en parles, j’ai besoin d’un acompte Un acompte ? Encore ! Important Ça dépend, combien peux-tu rembourser dans l’immédiat Peu, pas trop à la fois. Juste ce qu’il faut Il faudra bien que je m’en *******e Ils n’ont rien entendu derrière eux Ni la porte s’ouvrir et se refermer, encore moins l’exclamation étonnée devant les transformations de la pièce, et pas même surpris le regard chargé de colère devant leurs corps allongés et leurs bouches jointes. Et ils sursautent à un toussotement rageur, se séparent sous une voix, sèche, presque revêche et se retrouvent assis, gênés comme pris en flagrant délit, sous un regard froid Bonjour Monsieur D’Orval. Madame Thérèse ! Vous êtes en avance, je ne vous attendais pas si tôt Je suis désolée de vous déranger Non, pas du tout. Alors, et ces vacances Comme d’habitude. Je peux... revenir plus tard Ce n’est pas nécessaire, accordez-nous cinq minutes et nous vous abandonnons les lieux. Emmanuelle, voici Thérèse Je suis ravie de vous rencontrer, Brice vient à l’instant de me parler de vous Thérèse, je suis heureux de vous présenter Emmanuelle Davrey, quelqu’un de très spécial pour moi Ça, je m’en suis rendue compte... Bien, à tout à l’heure, je vais me préparer Déjà détournée d’eux, sans un mot de plus... ni même un sourire Brice, ce n’est pas possible, elle est... elle est glaciale ! Hâtons-nous de lui laisser le champ libre, je la crois capable de nous chasser d’ici à coups de balai. Elle vient souvent Tous les jours. Rassure-toi, elle n’est pas méchante, un peu bizarre, mais c’est tout. Et puis ça fait des années maintenant qu’elle travaille pour moi, depuis que... Allons, maintenant que j’y pense, tu as raison, il vaut mieux ne pas l’irriter ! Au fond, je dois avouer qu’elle me paralyse quelquefois avec son côté iceberg Il ne te reste qu’à régler le chauffage au maximum, en espérant la voir fondre... complètement ! Elle ne m’aime pas Pourquoi dis-tu cela Je ne sais pas, une impression très forte. Sortons ! Le dernier dehors doit un gage à l’autre Je pourrai choisir ce que je veux Qui sait Pas plus de quelques minutes pour s’élancer et se poursuivre à l’extérieur, rejoignant les chiens, jouant avec eux, tels deux enfants Pas même cachée et pourtant invisible à leurs regards tant ils sont pris par eux-mêmes, Thérèse se tient derrière la fenêtre. Epiant chacun de leurs gestes, lèvres serrées de colère, regard haineux fixé sur Emmanuelle qui court, dont le rire résonne, pur et clair, ayant pour écho celui de Brice. De Brice, qui se montre, soudain, traître à ses souvenirs, et oublieux de ses promesses d’hier... à cause d’une femme... venue de nulle part et seule coupable Lui, il ne peut être que la victime de minauderies fades et stupides, il est bien trop naïf, au point de se laisser distraire, par de grossières grimaces, de ce qu’il doit à une autre, à celle aujourd’hui disparue Sa toute petite ! Qu’elle adore bien plus à chaque instant, pour être la seule à lui rester fidèle... Même son père, le vieil imbécile, là-haut, qui n’a plus voulu d’elle ! Sa jolie poupée... brisée trop tôt... Elle saura bien trouver comment la maintenir présente, la rappeler à son époux... Que croit-il ! il n’a pas fini de payer... Pas encore, et pas assez... Jamais suffisamment, si cela ne dépendait que de sa volonté. Et aussi comment faire fuir une petite sotte Une gamine qui s’imagine, déjà, en territoire conquis... qui s’accorde le droit de modifier l’ordonnance des lieux ! Dès son retour, elle va connaître les limites de ce qui lui est autorisé Inconscients de tant de rancune et de haine, Brice et Emmanuelle grimpent sur l’étroit chemin qui serpente entre les arbres, vers la maison du Docteur Bonnel. Nous allons le déranger, il est beaucoup trop tôt Penses-tu ! Il se lève aux aurores. Mais je te promets que tu vas goûter au meilleur petit déjeuner de ta vie C’est toi qui est affamé ! Nous aurions dû prendre le temps de le faire chez toi. Te rends-tu compte que nous avons fui Je n’ai plus la force d’affronter les sorcières Brice... il faut que... nous devons parler de Je sais, mais... pas maintenant... Plus tard, au retour, quand nous serons seuls. Regarde, nous arrivons |
ÇáÓÇÚÉ ÇáÂä 02:08 PM. |
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